Analyse de Jean 6, 41-51 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.
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Egongyzon (Ils murmuraient) | Ce verbe est l'imparfait de gongyzō qui signifie : murmurer, récriminer, grogner, marmonner, grommeler, maugréer, ronchonner, rouspéter, râler. L'imparfait exprime un geste qui perdure dans le temps. Le verbe est peu fréquent : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 4; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ailleurs, dans le Nouveau Testament, il n'apparaît qu'en 1 Co 10, 10. Ce qu'il importe de retenir est que nous avons ici un écho de l'Ancien Testament, plus précisément de la sortie d'Égypte, alors que le peuple est déçu de se retrouver au désert affamé, avec l'impression d'être sur le point de mourir.
De manière assez claire, Jean entend présenter Jésus comme le nouveau Moïse duquel on attend des signes, comme le furent la manne et les cailles. Plus tôt, Jésus a nourri la foule, et celle-ci a réagi en s'écriant : « C'est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde » (6, 14). Pourquoi murmure-t-on maintenant, comme le peuple a murmuré contre Moïse? Jésus a affirmé être le pain descendu du ciel, i.e. être le pain venu de Dieu. Nous expliciterons plus bas ce que signifie cette expression, mais pour l'instant disons que Jean nous présente des gens choqués, scandalisés. C'est d'ailleurs le sens du mot gongyzō ailleurs dans les évangiles.
Ainsi, gongyzō traduit une forme d'incompréhension devant une parole de Jésus. Quand on ne comprend pas, il y a deux attitudes possibles : soit on accepte l'incompréhension sous forme de mystère, et alors c'est une attitude de foi, ou bien c'est le refus critique de ce qui dépasse l'entendement. Ainsi, gongyzō traduit une attitude de non-foi. C'est ce sens qu'on note par exemple chez Isaïe :
Bref, gongyzō n'exprime pas d'abord une attitude d'hostilité, mais celle d'une doléance critique devant une affirmation incompréhensible, et qui refuse de faire le saut de la foi, comme le fera Pierre plus loin (6, 68). Aussi, nous avons opté pour le verbe « maugréer » pour exprimer cette doléance critique, le verbe « murmurer » étant trop associé aujourd'hui au simple fait de parler à voix basse. |
Textes avec le verbe gongyzō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
oun (alors) | La seule raison de signaler la conjonction oun (alors, donc, en effet, en conséquence) est qu'elle est très fréquente chez Jean : Mt = 56; Mc = 6; Lc = 33; Jn = 200; Ac = 61; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Elle sert souvent de simple élément de transition, sans idée que ce qui vient est la conséquence de ce qui précède. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ioudaioi (les Juifs) | Ce mot provient de l'adjectif ioudaios, utilisé également comme substantif. Il joue un rôle très important chez Jean : Mt = 5; Mc = 6; Lc = 4; Jn = 70; Ac = 77; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Alors qu'ailleurs dans les évangiles-Actes il ne sert qu'à désigner les Juifs en tant que groupe ethnique, sans aucune connotation péjorative, chez Jean il entend désigner très souvent les autorités juives de Jérusalem hostiles à Jésus. En fait, si on veut être plus précis, il y a chez Jean deux grandes significations au mot « Juif ».
À quelle catégorie appartiennent ces Juifs qui maugréent? Il s'agit bien sûr des Juifs interrogateurs associés aux autorités de Jérusalem. Mais nous sommes pourtant en Galilée, sur le bord du lac, dans la région de Capharnaüm. L'hypothèse qu'ils étaient des Juifs de Jérusalem en visite en Galilée ne fonctionne pas, parce plus loin ils disent bien connaître les parents de Jésus à Nazareth, ce qui présuppose une certaine familiarité avec le milieu familial. Il faut reconnaître que ce v. 41 et le thème des murmures n'est pas à sa place ici, et reflète le travail éditorial de l'évangéliste qui a rassemblé des péricopes différentes qui, à l'origine, appartenaient à des contextes différents (Pour quelqu'un comme M.E. Boismard, Synopse des quatre évangiles, T. III - L'évangile de Jean. Paris : Cerf, 1977, 190-205), le contexte originel du v. 41 est celui de la fête des Tentes et suivait la scène de l'expulsion des vendeurs du temple où les Juifs demandent à Jésus un signe comme Moïse en a donné). Tout cela est secondaire si on se place du point de vue de l'évangéliste. Pour ce dernier, les Juifs représentent ces gens qui sont incapables d'entrer la perspective chrétienne, et multiplient les objections; ils sont la preuve que croire est un véritable défi. |
L'adjectif ioudaios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
peri autou (à son sujet) | Cette expression toute simple, formée de la préposition peri (au sujet de, sur, en ce qui concerne, à cause de, à l'égard de) et du pronom personnel autos (lui), ici au génitif, ne vaut la peine d'être mentionné que parce que Jean l'aime bien et l'emploie régulièrement : Mt = 2; Mc = 3; Lc = 8; Jn = 11; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. La plupart du temps, l'évangéliste l'utilise pour désigner Jésus comme sujet de la discussion. C'est un autre signe de la simplicité du style du quatrième évangile. | Textes de Jean avec peri autou | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
egō eimi (moi, je suis) | Pour une analyse de l'expression egō eimi, on se réfèrera au glossaire; qu'il nous suffise de résumer ce qui y est dit. L'expression est composée du pronom personnelle egō (je, moi) et du verbe eimi (être) à l'indicatif présent. C'est une expression tout à fait banale en grec et qui signifie simplement : c'est moi, ou moi je suis. Cependant, les évangiles, l'Ancien Testament et les écrits religieux grecs lui ont aussi donné une signification solennelle et sacrée. C'est Jean qui l'utilise le plus : Mt = 4; Mc = 2; Lc = 8; Jn = 37; Ac = 10; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez lui, il apparaît avec trois formulations différentes :
C'est à partir de l'Ancien Testament qu'il faut essayer de comprendre la signification que lui donne Jean, en particulier le Deutéro-Isaïe (40-55).
Isaïe se sert de « Je suis » pour désigner Yahvé, Jean s'en sert pour désigner Jésus. Aussi, quand cette expression apparaît dans la bouche de Jésus, son auditoire comprend la connotation divine, et voilà pourquoi on veut le lapider (voir 10, 41). Les synoptiques optent surtout pour le titre de Seigneur (kyrios), pour sa part, Jean, préfère « Je suis » (egō eimi). |
Le glossaire sur egō eimi | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
artos (pain) | artos (pain) fait référence à la base de notre alimentation, et est naturellement présent dans les évangiles-Actes : Mt = 20; Mc = 21; Lc = 14; Jn = 24; Ac = 5. On peut être surpris de sa fréquence chez Jean, mais c'est le chapitre 6 avec le récit de la multiplication des pains et le discours sur le pain de vie qui concentre la plupart des occurrences, i.e. 21 occurrences sur 24 (les trois autres occurrences se trouvant au dernier repas de Jésus avant de mourir et dans la scène finale de Jésus ressuscité qui mange avec ses disciples).
Chez Jean, le mot fait référence à deux réalités différentes : le pain physique qui nourrit le corps, et le pain symbolique qui fait référence à une réalité immatérielle, et qui est décrit comme : pain descendu ciel, pain de Dieu, pain de vie. Quelle est cette réalité immatérielle? Nous en avons un indice un peu plus loin quand Jésus parle de « venir vers lui » (v. 44), un thème relié à la foi en lui, et cite les écrits prophétiques disant qu'ils seront tous instruits par Dieu (v. 45): le pain ferait référence à sa parole; nous sommes devant la symbolique sapientielle du pain, tout comme plus tôt le récit de la Samaritaine a mis de l'avant la symbolique sapientielle de l'eau. Jean nous renvoie à une symbolique très présente dans l'Ancien Testament. Commençons avec les écrits prophétiques.
Ainsi, le pain désigne la parole de Yahvé. Mais parler de pain, c'est aussi parler de repas festif et de banquet, et pour un prophète comme Isaïe, c'est l'évocation du banquet messianique.
Pour Isaïe, lors de ce banquet messianique, Yahvé rassasiera son peuple de sa parole, et cette parole sera efficace. Ce passage est important pour comprendre Jean, car, ne l'oublions pas, pour lui le banquet messianique est déjà présent en Jésus, et en lui Dieu rassasie son peuple. Un autre cadre pour comprendre Jean est celui de la littérature sapientielle.
Dans cette littérature, la sagesse est cette conduite intelligente et avisée, qui peut être inspirée par la parole de Dieu. Pour Jean, la sagesse est Jésus lui-même, qu'il appelle logos (parole ou verbe) dans son prologue. S'il est vrai que le pain renvoie d'abord à la révélation en et par Jésus, du fait même que l'évangile est écrit dans un contexte chrétien, on devine également une allusion à l'assemblée eucharistique. La première allusion est venue avec la scène de la multiplication des pains où Jésus prends ces pains et rend grâce (6, 11), comme on le fait lors de la célébration eucharistique, puis plus loin il associera le pain à sa chair donnée pour la vie du monde (6, 51). On peut ajouter aussi la mention de la manne qui, dans le milieu chrétien, était une référence à l'eucharistie, comme en témoigne Paul, qui y fait allusion au moment d'aborder la question des célébrations eucharistiques :
Ainsi, dans sa dimension immatérielle, le pain désigne d'abord et avant tout la révélation en et par Jésus, mais on y trouve également en filagramme une allusion au pain eucharistique. |
Textes avec artos dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
katabas (descendu) | Katabas est le participe aoriste de katabainō qui signifie : descendre, amené à terre. Ce verbe décrit un mouvement de haut en bas et apparaît un certain nombre de fois dans les évangiles-Actes : Mt = 11; Mc = 6; Lc = 13; Jn = 17; Ac = 19; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. En dehors de Jean, il est surtout utilisé pour décrire l'action physique de descendre de quelque part, par exemple descendre de Jérusalem (Mc 3, 22; Ac 8, 26; 25, 7). Mais chez Jean, sur 14 occurrences, 11 font référence à une descente du ciel (les trois exceptions apparaissent dans la séquence du récit autour du fonctionnaire royale qui se rend à Cana rencontrer Jésus pour qu'il guérisse son fils à Capharnaüm, cette ville-ci étant située sur le bord du lac de Galilée, sous le niveau de la mer).
Ainsi, il faut donc interpréter ces 11 occurrences au sens symbolique. Dans l'imaginaire antique, le monde de Dieu est situé « en haut », et le monde des ténèbres « en bas ». C'est ainsi que l'Esprit Saint « descend » du ciel. Dans l'univers moderne qui ne partage plus cet imaginaire et qui explore l'espace interstellaire, on ne peut plus parler d'un Dieu là-haut. Aussi, j'ai préféré utiliser l'expression « venir de Dieu ». |
Textes avec le verbe katabainō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ouranou (ciel) |
Ouranou est le nom au génitif de ouranos (ciel), et comme on peut l'imaginer, assez fréquent dans les évangiles-Actes, surtout chez le Juif Matthieu où il apparaît souvent au pluriel : Mt = 82; Mc = 18; Lc = 35; Jn = 18; Ac = 26; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Pour une analyse du mot, on se réfèrera au glossaire. Qu'il nous suffise de résumer ce qui y est dit.
Le mot est très lié à la cosmologie du Judaïsme, où l'univers se divise en deux grandes parties, le monde d'en bas, et le monde d'en haut, l'un appelé terre, l'autre appelé ciel. Une voute semi-sphérique délimite les deux mondes, et elle repose à l'extrémité de la terre plate sur des colonnes ou des hautes montages. Dans cette partie au-dessus du firmament, tantôt appelée « ciel », tantôt « cieux » on compte différentes couches, celles des luminaires (soleil, lune et étoiles), les outres d'eau pour la pluie, et au-dessus de tout cela, le domaine de Dieu qui offre une demeure pour divers êtres : les élus, les anges, les puissances et Dieu lui-même. Quand cet au-delà du firmament est présenté en apposition à la terre, comme l'autre pôle de l'univers, il est toujours au singulier : ciel, et on parle donc du « ciel et la terre ». Par contre, quand il est présenté en lui-même, dans sa dimension composite, il est habituellement au pluriel : cieux; on parlera des anges dans les cieux ou du Père qui est dans les cieux. C'est ainsi que dans les évangiles le mot ouranos peut revêtir trois significations :
Jean se distingue des autres évangéliste en ayant le mot ouranos uniquement au singulier, et donc en ne voyant l'espace au-dessus du firmament comme un grand tout unifié, présenté comme un pôle de l'univers en opposition à l'autre pôle qu'est la terre. Ensuite, plus que les autres évangélistes, ouranos entend désigner tout simplement Dieu : « venir du ciel » signifie « venir de Dieu ». Enfin, comme Jean ne mentionne jamais les oiseaux ou les nuages ou les signes météorologiques, il n'a pas besoin de faire référence au « ciel » de leur habitacle, à une exception près, quand il écrit que Jésus, dans sa prière, lève « les yeux au ciel » (17, 1). Au v. 41, avec l'expression « pain venu du ciel », Jean entend tout simplement désigner le pain qui vient de Dieu : « ciel » est alors un euphémisme pour dire Dieu. |
Le glossaire sur ouranos | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 42 Et ils discutaient : « Ce type n'est-il pas Jésus, le fils de Joseph dont nous connaissons le père et la mère? »
Littéralement : et ils disaient (elegon) : celui-là n'est-il pas (ouch houtos estin) Jésus (Iēsous), le fils Joseph (Iōsēph) de qui nous connaissons (oidamen) le père (patera) et la mère (mētera)? Comment (pōs) maintenant (nyn) il dit que du ciel je suis descendu? |
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Elegon (ils disaient) | Le verbe elegon est l'imparfait du verbe legō (dire), un verbe très commun dans les évangiles-Actes (Mt = 505; Mc = 290; Lc = 531; Jn = 480; Ac = 234; 1Jn = 5; 2Jn = 2; 3Jn = 0). Nous voulons seulement souligner le fait que le verbe soit à l'imparfait, et donc qu'il exprime une action continue, non terminée : on soulève la question de l'identité de Jésus, et cette question n'est pas réglée. Voilà pourquoi j'ai essayé de rendre l'idée d'une question non résolue avec le verbe « discuter ».
En effet, quand Jean utilise le verbe « dire » à l'imparfait, c'est souvent pour décrire une intense discussion au sujet de Jésus :
Ainsi, malgré les discussions, on ne s'entend pas sur l'identité de Jésus : s'agit-il d'un homme de bien ou d'un imposteur? Est-il le messie ou Christ? De qui est-il vraiment le fils? Et au v. 42, on discute parce qu'on ne comprend pas que Jésus prétendre être une nourriture de Dieu alors qu'il est simplement un être humain comme tout le monde. |
Textes de Jean avec elegon | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ouch houtos estin (celui-là n'est-il pas) | Intéressons-nous d'abord à houtos. C'est un pronom démonstration qui signifie : celui-ci, celui-là. C'est un mot que Jean utilise beaucoup et qui est en fait très banal : Mt = 147; Mc = 79; Lc = 228; Jn = 190; Ac = 236; 1Jn = 39; 2Jn = 5; 3Jn = 4. Mais le contexte suggère un ton de mépris et de dénigrement, surtout en face des prétentions de Jésus. Dans un tel contexte, il faut traduire houtos par « ce type » pour rendre l'idée d'une parole prononcée avec une certaine arrogance.
Il est important de relever l'expression ouch houtos estin (celui-là n'est-il pas), d'abord parce qu'elle est apparue plus tôt chez Marc alors que les gens de son patelin sont surpris de le voir enseigneur avec autorité à la synagogue et guérir les gens :
Copiant Marc, Matthieu reprendra la même expression :
Luc copie également Marc, avec une légère variante :
Les biblistes s'entendent en général pour dire que Jean n'a pas connu les évangiles de Marc, Matthieu et Luc. Aussi, Jean semble donc reprendre une ancienne tradition qu'il a connue autrement : les gens étaient abasourdis devant cet homme si ordinaire, provenant d'un milieu humble, qui s'est mis à enseigner avec une force inégalée et qu'on a perçu comme ayant des prétentions déplacées. La deuxième raison de souligner l'expression est pour faire remarquer qu'il fait partie du vocabulaire de Jean, puisque ce dernier l'utilisera plus tard pour exprimer la surprise des gens de Jérusalem de voir Jésus là alors qu'on cherche à le tuer (7, 25), ou la surprise de l'entourage de l'aveugle-né de le voir maintenant guéri (9, 8), ou encore la surprise des Pharisiens devant un Jésus qui ne semble pas respecter le sabbat (9, 16). Chez l'évangéliste, c'est un vocabulaire pour exprimer l'étonnement. |
Textes avec ouch houtos estin | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Iēsous (Jésus) | Le nom Iēsous provient de l'hébreu, sous la forme יְהוֹשֻׁעַ ou יְהוֹשׁוּעַ (yĕhôšûaʿ), le nom que portait Josué dans l'Ancien Testament. Il signifie : Yahveh sauve. Évidemment, ce nom est éminemment présent dans les évangiles-Actes : Mt = 152; Mc = 82; Lc = 88; Jn = 243; Ac = 69; 1Jn = 12; 2Jn = 2; 3Jn = 0. Le quatrième évangile domine largement ces statistiques : en raison du nombre dialogues qu'on y trouve, on peut comprendre qu'il faille constamment le nommer explicitement.
Ce qui met à part ce verset est qu'il présente pour une rare fois le nom « Jésus » dans la bouche de quelqu'un d'autre que le narrateur. C'est peu fréquent dans les évangiles : Mt = 7; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7. Résumons ces occurrences.
Faisons quelques remarques.
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Textes avec Jésus dans la bouche d'un autre que le narrateur | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Iōsēph (Joseph) | Le nom de Joseph, père de Jésus, est peu fréquent et apparaît surtout dans les récits de l'enfance : Mt = 8; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 2; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Si on exclut les récits de l'enfance, que sait-on sur Joseph? Tout d'abord, le nom. D'après Genèse 30, 24 : « et elle (Rachel) l'appela Joseph, disant: "Que Yahvé m'ajoute un autre fils!" ». En hébreu : יוֹסֵף (yôsēp). Son nom a donc été choisi parmi les patriarches.
Selon les coutumes de l'époque, Joseph aurait eu plusieurs enfants : Jésus l'ainé, puis Jacques, Joset, Simon et Jude (Mt 13, 55) (sur la question des frères de Jésus, voir Meier) dont les noms sont reliés aux Patriarches (sur le sujet, voir Meier). Il y a eu des filles aussi dont les noms nous sont inconnus (Mt 13, 56), les femmes n'ayant pas de statut social. Il était habituel pour un père de transmettre son métier à son aîné, si bien qu'on attribue à Joseph le métier de charpentier (Mt 13, 55), ainsi qu'à Jésus (Mc 6, 3). Sur ce métier, on se réfèrera au Glossaire, où il s'agit d'un travail d'artisan ou d'homme à tout faire. Joseph était probablement décédé quand Jésus avait 30 ou 35 ans, i.e. au moment d'amorcer sa vie publique. Il était l'époux de Marie qu'il épousa lorsqu'elle avait probablement 14 ans (voir Meier). Quelle était la relation de Jésus avec son père Joseph? On n'en sait évidemment rien. Mais il était habituel pour le père de montrer le métier à son fils, et de dernier tentait de l'imiter. On a peut-être un écho de cette relation à travers une affirmation qui semble d'abord théologique : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu'il ne le voie faire au Père; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement » (Jn 5, 19). Ce qui est sûr, Jésus n'a pu devenir le leader qu'il faut sans l'influence de ses parents.. |
Le nom (Iōsēph dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
oidamen (nous savons) | Le verbe oidamen a pour racine oida, qui signifie soit voir, soit savoir ou connaître. Nous l'avons présenté dans notre analyse de Jn 10, 4. La connaissance joue un rôle crucial dans le quatrième évangile : Mt = 24; Mc = 21; Lc = 25; Jn = 83; Ac = 19; 1Jn = 15; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Chez Jean, Jésus veut faire parvenir son auditoire à la connaissance de la vérité toute entière, mais en même temps, le fait de prétendre savoir représente un obstacle. C'est le cas ici : les juifs connaissent l'origine de Jésus à Nazareth, et ils connaissent ses parents. Et ils reviendront à quelques reprises sur cette connaissance.
Le fait que Dieu puisse parler à travers un humble artisan dont on connait bien les origines semble impensable. |
Le verbe oida dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
patera (père) | Patera est l'accusatif de patēr (père, ancêtre), un terme extrêmement commun dans les évangiles-Actes, mais plus particulièrement dans la tradition johannique : Mt = 62; Mc = 18; Lc = 52; Jn = 130; Ac = 34; 1Jn = 14; 2Jn 4. Mais, tout comme en français, il peut revêtir diverses significations, du père biologique au père spirituel. Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut regrouper ces diverses significations en quatre catégories :
Ici, au v. 42, « père » désigne l'engendreur biologique. C'est très rare chez Jean, Le seul autre exemple se trouve dans le récit de guérison du fonctionnaire royal à Capharnaüm : « Le père reconnut que c'était l'heure où Jésus lui avait dit: "Ton fils vit", et il crut, lui avec sa maison tout entière » (4, 53). |
Le mot patēr dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mētera (mère) | Mētera est l'accusatif singulier de mētēr (mère). Quand les évangiles-Actes parlent de mère, ils entendent des catégories différentes : la mère de Jésus, la mère d'un autre personnage, la mère en général.
Pour bien comprendre ce qui est dit de la mère de Jésus, il faut inclure dans notre recherche le nom de la mère de Jésus : Marie (Mt = 5; Mc = 1; Lc = 12; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Qu'est-ce qui se dégage de toutes ces données? Même s'il y a un total de 47 références à Marie-mère, 19 proviennent des récits de l'enfance. Pourquoi le mentionner? Les récits de l'enfance appartiennent à un genre littéraire spécifique qui les met à part : non seulement leur teneur est hautement théologique (chez Matthieu, Jésus est décrit comme un nouveau Moïse, et donc revit les événements par lesquels il est passé, chez Luc l'Ancien et le Nouveau Testament sont présentés sous une forme de continuité, l'un représenté par Jean-Baptiste, l'autre par Jésus), mais ils n'apportent pas beaucoup à notre compréhension de l'environnement du ministère de Jésus. Restreignons notre analyse à Marie-mère dans le cadre de la vie publique de Jésus. Disons d'abord quelques mots sur chaque évangéliste.
Ainsi, quand on considère les écrits synoptiques et le rôle de Marie dans le ministère de Jésus, on se retrouve avec deux scènes : la famille qui veut le voir et la mention des parents et des frères de Jésus, cette dernière scène également présente chez Jean. Les deux scènes ne visent qu'à rappeler que les liens biologiques peuvent être une source de confusion et un obstacle à la foi. Ici au v. 42, Jean reprend une tradition que connaît également Marc, mais en prenant la peine d'enlever le nom de Marie, pour ne garder que le mot « mère ». Comme nous l'avons vu, ce qui l'intéresse, c'est le rôle qu'elle jouera comme figure de la communauté croyante. Et en cela, les liens du sang ne jouent aucun rôle, et par là Jean rejoint les récits synoptiques. |
Le mot mētēr dans le Nouveau TestamentLe nom Marie dans la Bible | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pōs (comment) | Il y aurait peu de choses à dire sur l'adverbe pōs (comment, combien, comme), si ce n'était que Jean l'aime bien (Mt = 14; Mc = 14; Lc = 16; Jn = 20; Ac = 9; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et surtout qu'il sert bien son propos de montrer comment les paroles de Jésus et son attitude déconcertent les gens et ne peuvent être comprises qu'après une transformation intérieure. Donnons quelques exemples :
Ainsi, on n'arrive pas à comprendre pourquoi il faut renaître, et comment cela se fait; on n'arrive pas à comprendre comment la personne de Jésus peut être une véritable nourriture; on n'arrive pas à comprendre ce que signifie être véritablement libre; on n'arrive pas à comprendre pourquoi le messie, dans on rôle de messie, doit passer par la mort. Notre v. 42 verse un autre élément à ce dossier : comment cette nourriture venue de Dieu passe-t-elle par un être ordinaire dont on connaît bien la famille?
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Les textes avec l'adverbe pōs dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
nyn (maintenant) | Encore une fois, la seule raison de mentionner l'adverbe nyn (maintenant, à présent, désormais) est qu'il est très utilisé par Jean : Mt = 4; Mc = 3; Lc = 13; Jn = 29; Ac = 25; 1Jn = 4; 2Jn = 1; 3Jn = 0. On peut regrouper cette utilisation du mot en quatre catégories.
On peut rattacher notre verset 42 à cette dernière catégorie : les Juifs sont choqués du contraste entre un passé où Jésus était bien connu comme l'enfant de parents bien connus et résidant à Nazareth, et le présent où il se présente comme nourriture venant de Dieu. |
Les textes avec l'adverbe nyn au sens chronologique chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 43 Jésus leur fit cette réponse : « Arrêtez de maugréer tous ensemble
Littéralement : Il répondit (apekrithē) Jésus et il dit (kai eipen) à eux : ne murmurez pas avec les uns les autres (allēlōn) |
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Apekrithē kai eipen (il répondit et il dit) | Comme on peut l'imaginer, apekrithē, l'aoriste du verbe apokrinomai (répondre), est un verbe très fréquent dans les évangiles-Actes, puisqu'il joue un rôle important dans un dialogue : Mt = 55; Mc = 30; Lc = 46; Jn = 78; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais ce qu'il faut souligner ici, ce n'est pas seulement que Jean l'utilise plus que les autres, mais que l'expression « répondre et dire » (apokrinomai kai legō) est une particularité de son style : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 28; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. | Les textes avec "répondre et dire" chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
allēlōn (les uns les autres) | Il y a peu de choses à dire sur allēlōn, un pronom personnel de réciprocité, sinon qu'il est beaucoup utilisé dans la tradition johannique : Mt = 3; Mc = 5; Lc = 11; Jn = 15; Ac = 8; 1Jn = 6; 2Jn = 1; 3Jn = 0. En raison même de l'accent sur la communauté ou sur les groupes, il est normal que ce pronom revienne régulièrement. Et plus particulièrement, il est utilisé 11 fois pour inviter à l'amour mutuel.
Mais bien souvent, comme ici au v. 43, il décrit les discussions ou interrogations au sein d'un groupe d'individus. |
Les textes avec allēlōn dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 44 Personne n'est capable d'être attiré par moi, à moins que le Père, qui m'a envoyé, l'attire lui-même, et moi je le relèverai au dernier jour
Littéralement : Personne (oudeis) il est capable (dynatai) de venir vers moi (elthein pros me) si le père l'ayant envoyé (pempsas) moi, qu'il attire (helkysē) lui, et moi je le ferai se lever (anastēsō) lui au dernier jour (eschatē hēmera). |
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Oudeis (personne) | Oudeis est un pronom indéfini utilisé pour la négation (personne, aucun, nul, rien) et que Jean aime bien : Mt = 18; Mc = 25; Lc = 34; Jn = 49; Ac = 25; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Quand ce pronom joue le rôle de sujet, comme c'est le cas ici, on note quatre grandes situations où apparaît ce mot dans le quatrième évangile.
Qu'est-ce qui est nié ici au v. 44? C'est la capacité humaine d'accueillir Jésus, sa parole et ses actions sans l'aide du Père. Cela suggère qu'il y entre la manière humaine de percevoir les choses et l'ensemble de la vie un écart infranchissable avec celle de Dieu; seule une intervention de Dieu permet de franchir cet écart. |
Le pronom oudeis comme sujet chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Dynatai (il est capable) | Dynatai, un verbe à la forme moyenne/passive, provient de dynamai qui signifie : pouvoir, être capable de, être assez fort pour. C'est un verbe qui est utilisé à toutes les sauces : Mt = 21; Mc = 24; Lc = 24; Jn = 36; Ac = 21; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On pourrait dire que Jean aime bien ce verbe qu'il emploie régulièrement. Mais ce qui est remarquable, c'est que ce verbe est presque toujours sous une forme négative chez lui. Et quand il n'y est pas, c'est parce qu'il est introduit par une question du genre : comment (pōs) être capable, ou qui (tis) est capable? La réponse à cette question est toujours négative.
Quand on parle d'incapacité, on parle de qui? Il s'agit avant tout de l'incapacité de l'être humain et du monde.
Mais il s'agit parfois de l'incapacité de Jésus.
Ainsi, notre analyse de dynatai accentue ce que nous avons dit dans notre analyse de oudeis : l'écart entre les vues humaines et celles de Dieu, et l'incapacité de l'être humain d'entrer par lui-même dans ces vues. Jean était-il pessimiste? C'est plutôt qu'il avait une connaissance profonde du monde de Dieu et de celui de l'être humain, et de l'abyme qui existe entre les deux. |
L'expression ou dunamai (ne pas être capable) chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Elthein pros me (de venir vers moi) | Elthein est l'aoriste infinitif de erchomai (venir, arriver, aller, paraître), un verbe qu'affectionne particulièrement la tradition johannique : Mt = 113; Mc = 86; Lc = 99; Jn = 155; Ac = 50; 1 Jn = 3; 2 Jn = 2; 3 Jn = 2. C'est un verbe ordinaire et passe-partout, comme avoir, être ou faire en français, en accord avec le style grec simple du 4e évangile. Mais ce qui retient ici notre attention est l'expression : venir vers moi, une expression qu'on retrouve quelque fois dans les évangiles-Actes, mais surtout chez Jean : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 8; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Et chez Jean, il signifie toujours : devenir disciple, croire en Jésus.
Ainsi, croire en Jésus n'est pas une initiative personnelle, mais l'effet d'un désir dont Dieu est la source, et qui créé une sorte de soif de comprendre que seul Jésus pourra apaiser, et qui ne s'achèvera que dans une vie sans fin. |
L'expression erchomai pros me (venir vers moi) chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Pempsas (ayant envoyé) | Pempsas est le participe aoriste du verbe pempō (envoyer quelque chose à quelqu'un), un verbe très johannique : (Mt = 4; Mc = 1; Lc = 10; Jn = 32; Ac = 11). Sur les 32 occurrences du verbe, 24 servent à décrire l'envoi de Jésus par le Père : pour Jean, Jésus est en mission, et donc sa vie n'a de sens que par rapport à ce Dieu Père qui l'a mandaté. Qu'est-ce que cela signifie?
Avec cette notion d'envoi, Jean affirme une chose très importante sur le plan théologique : Jésus ne tient pas sa valeur de sa propre personnalité, mais de sa relation à ce Dieu père dont il est le miroir, le reflet, le révélateur, si bien qu'une prise de position par rapport à lui, est une prise de position par rapport à Dieu. Son envoi est la manifestation même de Dieu en notre monde. Ici, au v. 44, cela signifie qu'on ne peut dissocier croire en Dieu et croire en Jésus, et c'est Dieu qui envoie, il veillera à ce que la mission de Jésus atteigne son terme.
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Le verbe pempō (envoyer) quand c'est le Père qui envoie chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Helkysē (qu'il attire) | Cet aoriste subjonctif du verbe helkō (tirer à soi, entraîner, traîner, pousser) est très rare, non seulement dans les évangiles-Actes (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 5; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), mais également dans le reste du Nouveau Testament où il se retrouve seulement dans l'épitre de Jacques. Quand il est utilisé avec un objet, il a le sens de tirer, par exemple tirer une épée de son fourreau, ou tirer le filet de l'eau. Quand il est utilisé avec une personne, il a le sens de traîner quelqu'un, comme le trainer devant les tribunaux ou hors d'une maison.
C'est donc un sens tout à fait unique que Jean donne ici au mot helkō, ainsi qu'en 12, 32 (« et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai (helkō) tous les hommes à moi »). Les biblistes ont cherché à comprendre les influences qui ont pu s'exercer sur l'évangéliste et l'ont amené à choisir ce mot pour exprimer le pouvoir d'attraction de Jésus sur les gens. Ainsi, deux textes sont apparus possibles.
Chez Jean cette attirance vers la connaissance de Dieu amène les gens à se tourner vers Jésus. |
Le verbe helkō (attirer / tirer) dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Anastēsō (je ferai se lever) |
Anastēsō est le verbe anistēmi (faire se lever, susciter, se lever, se dresser, ressusciter, s'élever) au futur. Jean l'utilise de manière parcimonieuse : Mt = 4; Mc = 17; Lc = 27; Jn = 8; Ac = 45; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Sur le sujet, on consultera le glossaire sur la résurrection des morts. Résumons les éléments principaux.
Anistēmi, avec egeirō (qui signifie d'abord « se réveiller », mais dont la valeur symbolique a été étendue à : faire se lever, mettre sur pied, ériger, dresser, susciter, constitue) constituent les deux verbes principaux du Nouveau Testament pour faire référence à la résurrection : la langue grecque n'a pas de terme propre pour faire référence à la résurrection. Aussi, on constate que ces deux verbes renvoient à quatre grandes réalités différentes. Pour faire bref, on donnera seulement des exemples avec anistēmi.
Sur le plan statistique, c'est la première réalité (le geste de se lever) qui est la plus fréquente dans les évangiles-Actes, ce qui confirme le fait que anistēmi n'est pas d'abord utilisé pour parler de résurrection. Ici, au v. 44, Jean fait référence à la résurrection des morts. Or quand on regarde l'ensemble du Nouveau Testament on note une certaine ambiguïté : qui ressuscitera, les croyants seulement, ou tout le monde. Plusieurs textes parlent seulement de résurrection des justes ou de ceux attachés au Christ : « Les fils de ce siècle-ci, se marient et sont données en mariage; mais ceux qui auront été jugés dignes d'avoir part à ce siècle-là et à la résurrection d'entre les morts ni ne se marient ni ne sont épousées » (Lc 20, 34-35); ainsi seulement ceux qui en auront été jugés dignes ressusciteront. Paul dit des choses semblables : « Puisque nous croyons que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui » (1 Th 4, 14); il semble que seulement ceux qui sont morts en étant croyants ressusciteront. Par contre, d'autres passages du Nouveau Testament parlent de résurrection pour tous, celui-ci où Paul s'adresse au gouverneur Félix : « ayant en Dieu l'espérance, comme ceux-ci l'ont eux-mêmes, qu'il y aura une résurrection des justes et des pécheurs » (24, 15); tout le monde ressuscite, même si le sort de chacun sera différent. La même ambiguïté se retrouve chez Jean. D'une part, il semble assumer que seul le croyant ressuscite : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » (6, 39); clairement, seulement le croyant héritera de la vie éternelle et sera ressuscité par Jésus au dernier jour. Mais d'autre part, dans un discours adressé aux Juifs, Jésus a cette parole : « N'en soyez pas étonnés, car elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa (fils de l'homme) voix et sortiront: ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement (5, 28-29); clairement, ceux qui ont fait le bien et ceux qui ont fait le mal ressuscitent, même s'il n'est pas clair quel sera le sort de ceux qui subissent un jugement. Et ici, au v. 44, la promesse de la résurrection ne concerne que les croyants. On ne peut résoudre cette ambiguïté sans aborder une autre ambiguïté, celle qui concerne ce qui est déjà donné, et ce qui sera donné plus tard : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie » (Jn 5, 24); ainsi, le croyant a déjà la vie éternelle. Les lettres pauliniennes diront des choses semblables : « ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l'a ressuscité des morts » (Col 2, 12); pour le croyant, la résurrection a déjà eu lieu. Pourtant, même s'il a déjà la vie éternelle, il semble manquer quelque chose au croyant. En fait, il semble manquer deux choses.
Une clé pour résoudre ces ambiguïtés est celui du Judaïsme du 1ier siècle, un cadre qui a imprégné Jésus et les premières communautés chrétiennes, un cadre eschatologique où l'histoire n'est pas infinie, mais aura un terme, un terme vu avec une vision apocalyptique, i.e. d'intervention et de révélation finale de Dieu qui s'accompagnera d'un jugement (« jusqu'à la venue de l'Ancien qui rendit jugement en faveur des saints du Très-Haut, et le temps vint et les saints possédèrent le royaume », Dn 7, 22). Un autre aspect de ce cadre est celui de l'obligation d'avoir un corps pour vivre; dans l'univers juif, il n'y pas « d'âme » sans un corps. C'est ainsi que Paul doit répondre à la question : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils? Avec quel corps reviennent-ils? » (1 Co 15, 35). Sa réponse sera de parler d'un corps « spirituel (1 Co 15, 44), que tous devront revêtir comme on revêt une aube. Dans ce contexte, le milieu juif envisageait une résurrection des morts pour tous les gens décédés, afin d'abord de bien les identifier, pour ensuite exercer un jugement final, envoyant les uns vers la lumière, les autres vers la nuit (pour un exemple de cette vision, voir 1 Hénoch). C'est dans ce contexte qu'il faut lire notre v. 44. Même si le croyant est déjà passé de la mort à la vie, il a besoin de l'intervention divine pour vaincre la mort physique. Cette victoire sur la mort physique semble réservée pour la fin de l'histoire humaine, alors qu'à chacun sera donné un corps pneumatique. À ce moment, le croyant, devenu semblable à son maître, pourra le contempler dans toute sa gloire. |
Le glossaire sur la résurrection des morts | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Eschatē hēmera (au dernier jour) | L'adjectif eschatē est le datif féminin singulier de eschatos : dernier. Il est utilisé occasionnellement dans les évangiles-Actes : Mt = 10; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7; Ac = 3; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais ce qui est remarquable, c'est la signification que lui donne la tradition johannique et qui se distingue de ce qu'on trouve ailleurs dans les évangiles-Actes. En effet, eschatos désigne soit un état final (Lc 11, 26 || Mt 12, 45; Mc 5, 23), soit un dernier sou (Lc 12, 59 || Mt 5, 26), soit les dernières personnes (Mc 10, 31 || Lc 13, 30 || Mt 19, 30; Mc 9, 35), soit la dernière place (Lc 14, 9), soit l'extrémité de la terre (Ac 1, 8; 13, 47). Mais chez Jean, l'adjectif accompagne toujours le mot « jour » dans son évangile, et toujours le mot « heure » dans sa première épitre. Et donc, à l'exception de Jn 7, 37 où il s'agit du dernier jour de la fête des tentes, eschatos fait référence à la fin de l'histoire humaine. Le seul cas dans les évangiles-Actes où eschatos est associé au mot « jour » est en Ac 2, 17, dans le discours de Pierre à la Pentecôte : « Il se fera dans les derniers (eschatos) jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair »; il s'agit d'une citation du prophète Joël 3, 1 qui ne parle pas de « derniers jours », mais de « jour de Yahvé » (יוֹם יְהוָה yôm yhwh), que la Septante a rendu par « jour du Seigneur » (hēmera kyriou).
Ainsi, que l'on parle du « jour du Seigneur », ou des « derniers jours », ou du « dernier jour », ou de la « dernière heure », on parle de la même chose : de la fin des temps ou de la fin de l'histoire humaine, liée à une intervention de Dieu. Le Judaïsme se distingue d'autres pays du Proche-Orient ancien en ne voyant pas l'histoire de manière cyclique, mais de manière linéaire : comme il y a un commencement (voir le livre de la Genèse), il y une fin. Mais il faut prendre le mot « fin » selon les deux sens du terme, i.e. au sens de but, souvent exprimé avec des mots comme « salut », et au sens d'arrêt, souvent exprimé avec des termes comme reddition de compte ou jugement. Ainsi, dans l'Ancien Testament, si Yahvé intervient pour lâcher sa colère et juger la conduite humaine en permettant aux ennemis d'Israël de les piller et de les massacrer, c'est pour mettre fin à leur violence et à leur méchanceté (voir Éz 7, 1-14), et pour par la suite les rassembler du milieu des peuples, et leur donnerai un seul coeur, mettre en eux un esprit nouveau, extirperai de leur chair le coeur de pierre et je leur donner un coeur de chair (Éz 11, 19). C'est ainsi qu'on attendait une intervention finale de Dieu, à laquelle on se référait comme « Jour de Yahvé » (Is 2, 12; Éz 13, 5, Jl 1, 15; So 1, 7; etc.) ou « Jour de la colère » (Lm 2, 22; Éz 22, 24; So 1, 18), ou « Jour du jugement » (Jdt 16, 17). Le Nouveau Testament fait un écho à ce contexte, en particulier le récit autour de Jean-Baptiste : « Comme il voyait beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir au baptême, il leur dit: "Engeance de vipères, qui vous a suggéré d'échapper à la Colère prochaine? » (Mt 3, 7). Mais l'événement de Jésus a tout transformé, car il est devenu l'intervention définitive de Dieu. La colère de Dieu est devenue la bonne nouvelle de Dieu. Cependant, on n'a pas perdu l'idée d'une fin de l'histoire, une fin selon les deux sens du terme : fin au sens de but, i.e. la vie éternelle dans le monde de Dieu, fin au sens d'arrêt, i.e. la destruction du monde présent accompagnée du retour de Jésus dans toute sa gloire qui jugera chacun selon ses oeuvres. Entre temps, il est urgent de prêcher l'évangile pour que chacun ait la chance de l'accueillir ou de la refuser. Un ensemble de mots traduiront toutes ces idées en commençant par celui de telos (qui signifie cible ou but, mais aussi fin ou achèvement), et le vocabulaire de l'Ancien Testament comme « ce jour », « jour de colère », « jour de jugement ». Donnons quelques exemples.
Tout ce contexte crée un grand contraste avec l'univers de Jean. Ce dernier partage avec les auteurs du Nouveau Testament l'idée qu'il y a une fin de l'histoire humaine. Mais tout le vocabulaire de la colère divine a disparu. Il en est de même pour le bouleversement de la nature et les catastrophes précédant la venue du jour. Il ne s'agit plus d'un jour de jugement, car le jugement a déjà eu lieu dans la prise de position face à Jésus, et s'il y a la mention d'une résurrection de jugement (5, 29), c'est pour mentionner que ceux qui auront fait le mal ne peuvent pas avoir le même sort que ceux auront fait le bien. Tout l'accent est sur le « jour de la résurrection », et donc Jean n'entend parler qu'à la communauté croyante et du terme de leur vie. Il ne parle même pas de l'avènement ou du retour de Jésus comme partout ailleurs dans le Nouveau Testament : pour lui, depuis sa résurrection Jésus habite en permanence le croyant : « Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous » (14, 20). La seule chose qui manque et qui leur sera donnée au terme de l'histoire humaine, c'est la destruction de la mort physique (11, 25) et la contemplation de Jésus dans toute sa gloire (17, 24). On peut se poser une dernière question. Jean utilise l'expression « dernier jour », au singulier, alors que partout ailleurs dans le Nouveau Testament, on ne trouve que le pluriel; par exemple : « Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours (en eschatais hēmerais) surviendront des moments difficiles » (2 Tm 3, 1; voir aussi Jc 5, 3; P 3, 3; Ac 2, 17). Et même dans le Siracide on trouve le pluriel : « Pense à la colère des derniers jours (en hēmerais teleutēs), à l'heure de la vengeance, quand Dieu détourne sa face » (18, 24); ce dernier n'emploie le singulier que pour la fin de la vie individuelle (voir Si 2, 3; 51, 14). Une réponse possible provient du fait que Jean ne reprend pas à son compte tous ces événements terribles qui précèdent la fin et qui font partie de la littérature apocalyptique : pour Marc (voir ch. 13), par exemple, il y aura des guerres, des tremblements de terre, des famines, des persécutions qui dureront un certain temps, même si le Seigneur a décidé d'abréger ces jours (13, 20), avant que les astres du ciel ne s'effondrent. Dans ce contexte décrit par Marc, il est normal de parler de « derniers jours », car le tout durera plusieurs jours. Rien de tel chez Jean, et donc parler de « derniers jours » au pluriel, n'aurait aucun sens. Le « dernier jour », c'est le jour de la résurrection des morts. |
L'adjectif eschatos dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 45 En effet, les écrits prophétiques disent : "Et Dieu offrira son enseignement à tous". Quiconque est à l'écoute de Dieu, et s'ouvre à son enseignement, est attiré par moi.
Littéralement : il est écrit (estin gegrammenon) dans les prophètes (prophētais) : et ils seront tous enseignés (didaktoi) par Dieu. Tout l'ayant écouté (akousas) d'auprès du père et ayant appris (mathōn), il vient vers moi. |
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estin gegrammenon (il est écrit) | Gegrammenon est le participe parfait passif de graphō : écrire, rédiger, composer, un verbe que la tradition johannique aime bien : Mt = 10; Mc = 9; Lc = 20; Jn = 22; Ac = 12; 1Jn = 13; 2Jn = 2; 3Jn = 3. Comme on peut l'imaginer, très souvent graphō sert à introduire une citation de l'Écriture, comme ce passage de Marc 1, 2 : « Selon qu'il a été écrit (gegraptai) dans Isaïe le prophète: Voici que j'envoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route ». Le verbe gegraptai est le parfait passif de graphō, et il apparaît dans plus de 66% des cas dans les évangiles-Actes pour introduire une citation de l'Écriture. Mais il y a une exception : le 4e évangile. Dans les six occurrences où
graphō sert à introduire un passage de l'Écriture, l'évangéliste utilise toujours le participe parfait passif gegrammemon, et cinq fois sur six avec l'auxiliaire « être » : estin gegrammemon (il est écrit), comme c'est le cas ici au verset 45. Dans les évangiles-Actes, il existe seulement deux occurrences semblables dans l'évangile de Luc : 4, 17 (« Jésus trouva le passage où il était écrit », le verbe être est à l'imparfait) et 20, 17 (« Que signifie donc ceci qui est écrit »).
Tout cela permet de tirer deux conclusions : Jean appartient à une tradition différente de celle des évangiles synoptiques; malgré tout, on trouve ici et là dans son évangile certaines parentés avec Luc, ce qui laisse supposer qu'ils ont connu certaines traditions semblables (la plus évidente étant la pêche miraculeuse, au ch. 5 chez Luc, au ch. 21 chez Jean). Quels livres de l'Ancien Testament Jean aime-t-il citer avec l'expression gegrammenon? Sur les six passages, quatre font référence aux Psaumes, et deux aux prophètes (i.e. Isaïe et Zacharie). |
Le verbe graphō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prophētais (prophètes) | Prophētais est le datif pluriel de prophētēs : celui qui parle au nom de Dieu, prophète. Il est la contraction de de deux mots : pro (en avant de, à la place de) et phēmi (déclarer, dire). Le prophète est celui qui est le porte-parole d'un autre, qui proclame en son nom. Dans le monde juif, le prophète est avant tout le porte parole de Dieu : il transmet la pensée de Dieu, ses desseins, sa volonté. En Hébreu, on l'appelle : nābîʾ (au pluriel : nĕbîʾîm), un mot qui serait dérivé de l'akkadien : « appeler », « annoncer ». Mais ce qui est plus important pour notre propos, le mot est ici au pluriel : le Judaïsme a divisé ce que nous appelons « Ancien Testament » en trois parties : la Loi (heb. תוֹרָה: Torah), les Prophètes (heb. נְבִיאִים : nĕbîʾîm) et le Écrits (heb. כְּתוּבִים (ketouvim).
Ici, au v. 45, Jean fait référence à Isaïe 54, 13. Si on se demande pourquoi il utilise le mot prophète au pluriel, il faut probablement répondre qu'il fait d'abord référence à cette partie de l'Écriture que les Juifs appelaient : les Prophètes, et dans lequel se situe le livre d'Isaïe. Au ch. 54, Isaïe invite Israël à crier de joie, car il lui annonce la fin de ses malheurs et le début de son salut, et promet de ne plus s'irriter contre son peuple. C'est dans ce contexte qu'il dit :
Jean ne cite donc pas textuellement Isaïe et ne prend que ce qui sert son propos : il élimine la mention des fils pour ne garder que « tous ». S'il connaissait la Septante, il a changé l'accusatif didaktous pluriel pour didaktoi, le nominatif pluriel : l'accusatif de la Septante, donc un complément d'objet direct, s'explique mal et nous oblige à assumer que la phrase qui précède (« je ferai tes créneaux de rubis, tes portes d'escarboucle...) commande aussi le verset suivant, i.e. « je ferai... qu'ils seront tous enseignés ». Notons en terminant que c'est ici la seule référence de Jean à ce corpus appelé : les Prophètes. |
Le nom prophētēs dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
didaktoi (enseignés) | Didaktoi est le nominatif pluriel de l'adjectif didaktos : instruit, enseigné. Il est dérivé du verbe didaskō : enseigner, instruire. L'adjectif est très rare dans toute la Bible : dans le Nouveau Testament, on ne le trouve qu'ici et en 1 Co 2, 13, et dans la Septante seulement en Isaïe 54, 13, 1 Maccabées 4, 7 et Psaumes de Salomon 17, 32 (un écrit juif apocryphe du 1ier siècle de notre ère, à ne pas confondre avec les Odes de Salomon).
L'équivalent juif est l'adjectif : limmud (être enseigné, disciple, habitué); être enseigné par quelqu'un, c'est être son disciple. Ainsi, dans la citation d'Isaïe, c'est l'idée que tous seront enseignés par un maître qu'est Dieu, et ils deviendront ses disciples. D'ailleurs, dans la majorité des cas où on trouve didaktos, c'est Dieu qui enseigne. |
L'adjectif didaktos dans la Bible | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
akousas (ayant écouté) | Akousas est le participe aoriste du verbe akouō : entendre, écouter, apprendre, comprendre, considérer, obéir. Il est très fréquent dans tout le Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-actes-épitres de Jean : Mt = 57; Mc = 41; Lc = 59; Jn = 54; Ac = 89; 1 Jn = 10; 3 Jn = 1. Comme on le constate, c'est un mot bien intégré dans la tradition johannique. Pour en apprécier toutes les nuances, il faut répartir la panoplie de significations en plusieurs catégories. Nous en proposons sept.
Dans le cadre de cette richesse sémantique du verbe akouō, Jean entend décrire ici l'attitude du croyant. En faisant référence à Isaïe 54, 13, il assume que Dieu offre en tout temps son enseignement au coeur humain. Croire, c'est entendre ce langage au fond de son coeur, s'y ouvrir et se laisser diriger par lui. Et si c'est le cas, la personne reconnaît que le langage de Jésus est du même type que ce langage du coeur, et alors elle accepte de croire en lui et de le suivre. Voilà la logique de Jean. |
Le verbe akouō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mathōn (ayant appris) | Mathōn est le participe aoriste du verbe manthanō : apprendre. Il n'apparaît que sept fois dans les Évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 0; Jn = 2; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ailleurs, dans le Nouveau Testament, il n'apparaît que 17 fois, presqu'uniquement dans les épitres pauliniennes (la seule exception étant Ap 14, 3).
La signification du verbe est assez claire : il s'agit d'apprendre, un apprentissage qui peut se faire à travers l'expérience de la vie, mais le plus souvent par la fréquentation de maîtres et l'enseignement didactique. Voilà pourquoi la Bible de Jérusalem traduit souvent ce verbe par « aller à l'école » : « Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école (manthanō; litt. : apprenez de moi), car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29). C'est un sens semblable qu'on trouve dans la seule autre occurrence chez Jean : « Les Juifs, étonnés, disaient: "Comment connaît-il les lettres sans avoir étudié?" (manthanō; litt. : sans avoir été à l'école ou sans avoir appris) » (7, 15). Au v. 45, il faut lire ensemble les verbes « écouter » (akouō) et « apprendre » (manthanō). Jean a pris soin de les unir en utilisant le même temps de verbe : ayant écouté et ayant appris. Pourquoi? C'est comme si écouter, i.e. avoir l'ouverture du coeur et la bonne disposition pour s'ouvrir à la voix intérieure du coeur n'était pas suffisante. Il faut en plus une démarche didactique, il faut aussi une forme d'apprentissage à l'école, il faut l'aide d'un enseignement. Jean a peut-être en tête l'expérience de sa propre communauté, qui non seulement avait les dispositions intérieures requises, mais c'est également mise à scruter l'Écriture pour trouver tout ce qui concernait Jésus; elle a dû passer des heures à étudier. Cela correspond à l'ensemble de l'expérience des premières communautés chrétiennes, comme on le voit dans certaines lettres pauliniennes, où l'apôtre insiste sur la nécessité de parfaire leur apprentissage : « Je vous en prie, frères, gardez-vous de ces fauteurs de dissensions et de scandales contre l'enseignement que vous avez reçu (manthanō; litt. : l'enseignement que vous avez appris); évitez-les » (1 Co 16, 17). |
Le verbe manthanō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 46 Cela ne signifie pas pour autant que quelqu'un a vu le Père, puisque seul celui qui vient de Dieu a vu le Père.
Littéralement : non que le père il a vu (heōraken) quelqu'un, sinon l'étant d'auprès de (para) Dieu, celui-ci il a vu (heōraken) le père. |
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heōraken (il a vu) | Heōraken est l'indicatif parfait du verbe horaō : voir, regarder, viser, percevoir, observer, remarquer, discerner, veiller. Comme on peut l'imaginer, il est très fréquent dans les évangiles-Actes, et plus particulièrement dans la tradition johannique : Mt = 76; Mc = 60; Lc = 81; Jn = 82; Ac = 72; 1Jn = 9; 2Jn = 0; 3Jn = 2. Il fait partie de cet ensemble de verbes autour de l'action de voir qu'affectionne le quatrième évangile, comme blepō (voir de ses yeux, porter ses regards sur, constater) : Mt = 20; Mc = 15; Lc = 16; Jn = 17; Ac = 13; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0; theaomai (regarder, contempler, voir) : Mt = 4; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 5; Ac = 3; 1Jn = 3; 2Jn = 0; 3Jn = 0; theōreō (regarder, observer, examiner, contempler) : Mt = 2; Mc = 4; Lc = 6; Jn = 23; Ac = 14; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Comme c'est le cas de la signification des mots dans les évangiles, et plus particulièrement chez Jean, elle peut varier selon les contextes. Pour horaō, on peut repérer 6 significations différentes; bien sûr, on peut discuter de l'exactitude de chaque signification, mais ces catégories aident à comprendre les différentes nuances du mot.
Ici, au v. 46, nous avons la phrase : « non pas que quelqu'un a vu le Père, seul celui qui est de Dieu a vu le Père ». Rappelons le contexte : Jésus vient de citer l'Écriture pour affirmer que « tous seront enseignés par Dieu ». Le v. 46 vient nuancer l'affirmation : être enseigné par Dieu ne signifie pas pour autant qu'on l'a vu. Par contre, la situation est différente pour Jésus : lui, puisqu'il vient de Dieu, il a vu le Père. Ainsi, le mot « voir », dans le même verset, n'a pas la même signification : dans le premier cas, il signifie le voir physiquement; évidemment, aucune personne ne peut voir physiquement Dieu. Dans le deuxième cas, il s'agit de la communion de Jésus et de son Père, et le verbe « voir » renvoie à cette connaissance unique de Jésus de son Père. |
Le verbe horaō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
para (d'auprès de) | Para est une préposition qu'aime bien Jean : Mt = 18; Mc = 17; Lc = 29; Jn = 35; Ac = 29; 2Jn = 3. Elle a en général quatre grandes significations :
Chez Jean, les deux premières significations dominent.
Au v. 46, para traduit l'idée que Jésus vient de Dieu, car il a été envoyé par son Père. |
La préposition para dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 47 Vraiment, vraiment, je vous l'assure, le croyant possède la vie éternelle.
Littéralement : C'est vrai, c'est vrai (amēn amēn), je dis à vous, le croyant il a vie éternelle. |
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amēn amēn (c'est vrai, c'est vrai) | On se réfèrera au glossaire pour une analyse de amēn. Résumons ce qui y est dit en quelques mots.
Amēn est la transcription grecque du verbe hébreu : אָמַן (ʾāman). La racine mn renvoit à ce qui est solide et ferme (Ps 89, 53 « Béni soit Yahvé à jamais! Amen! Amen! »). Cet « amen » final a été traduit par la Septante par genoito (que cela arrive, qu'il en soit ainsi), du verbe ginomai (arriver, survenir). Mais très souvent, la Septante le traduit par « croire » (pisteuein). Quand à la forme nominale אֶמֶט (ʾemeṭ), elle est souvent traduite par vérité (alētheia) pour désigner ce qui est conforme à la réalité ou comme sincère, ce sur quoi on peut se fier. La présence de amēn dans le Nouveau Testament s'explique par deux sources : le langage de Jésus, et son utilisation dans la liturgie synagogale . Dans les évangiles, il se retrouve exclusivement dans la bouche de Jésus et est toujours suivi de legō (je dis) : (Mt = 31 ; Mc = 13; Lc = 5; Jn = 50; Ac = 0), et legō est surtout suivi de hymin (à vous). Chez Jean, il apparaît toujours sous la forme d'un doublet « amen, amen », ce qu'il est seul à faire. On le traduit par : « croyez-en ma parole », « eh bien oui », « je vous le garantis », « croyez-moi ». Nous avons opté pour la traduction : « Vraiment, je vous l'assure ». Quant à son contenu, on pourrait le regrouper en quatre catégories.
Le fait d'utiliser amēn, et même de le doubler, donne une certaine autorité et solennité à ce qui est affirmé, une façon d'attirer l'attention de l'auditeur à ce que Jésus est sur le point d'affirmer. Si on utilise les quatre catégories que nous avons suggérées, le v. 47 relève de l'enseignement sur les fruits de la foi en Jésus. Plus tôt, il a fait référence à celui qui, parce qu'il est à l'écoute Dieu et qu'il s'ouvre à son enseignement, vient à Jésus, i.e. croit en lui. Maintenant, Jésus enchaîne logiquement sur les fruits de cette foi en lui, la vie éternelle. C'est la même logique qu'on trouvera en conclusion de l'évangile de Jean : « Ceux-là (les signes) ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie en son nom » (20, 31). |
Le glossaire sur amēn | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
zōēn aiōnion (vie éternelle) | L'expression zōēn aiōnion est formée du nom zōē (vie) et de l'adjectif aiōnios (éternel), à l'accusatif féminin singulier. C'est la tradition johannique qui a donné toute son ampleur à cette expression : Mt = 3; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 17; Ac = 2; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Alors que les autres évangiles peuvent employer l'adjectif « éternel » pour d'autres réalités, Jean ne l'emploie que pour l'associer à « vie ».
Qu'est-ce donc cette vie éternelle? D'entrée jeu, notons que, à part Jean, les évangélistes situent cette vie éternelle dans le futur (« (celui qui aura tout laissé) qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, soeurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle », Mc 10, 30), si bien qu'elle peut être associée à la résurrection des morts. Il n'en est pas ainsi chez Jean, car cette vie éternelle est déjà présente. On n'a qu'à noter les verbes au présent : « Qui croit au Fils a la vie éternelle », « croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle », « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », « je leur donne la vie éternelle ». Le mot « vie » (zōē) ne désigne pas chez Jean cette vie naturelle par laquelle on naît et on meurt. Dans ce dernier cas, il utilise plutôt le mot psychē : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie (psychē ) pour ses amis » (15, 13). Dans le Judaïsme, on connaissait la notion de vie éternelle. Vers l'an 164 av. J.C, il y a d'abord Daniel :
Et il y a aussi le premier livre des Maccabées autour de 120 avant notre ère:
On peut aussi ajouter le livre de la Sagesse dont l'auteur serait un juif alexandrin du milieu du premier siècle av. J.C. :
Enfin, mentionnons les Psaumes de Salomon qui proviendraient d'un milieu juif du milieu du 1ier siècle de notre ère :
Qu'en est-il à Qumran? Si on en croit 1QS 4, 7, les fils de lumière, qui marcheront avec un esprit de vérité lors de la venue du Seigneur, connaîtront une joie éternelle, i.e. les jours messianiques se poursuivront sans fin sur terre. Cependant, tout n'est pas dans le futur, car la communauté vit déjà le bonheur de la présence des anges (1QS 11, 7), car ils sont fils de Dieu (sur le sujet, voir Brown, The Gospel According to John, p. 506). Par la suite, dans la tradition rabbinique, on met en contraste « vie temporelle » et « vie éternelle » : cette dernière est non seulement différente par la durée, étant sans fin, mais aussi par sa qualité. La même idée sera reprise par la tradition apocalyptique d'Hénoch et d'Esdras, où on parle plutôt de deux « siècles » (voir par exemple le ch. 48 de 1 Hénoch) ou « âges » différents. Pour Jean, « vie éternelle » c'est la vie même de Dieu, qu'il partage avec son fils : « Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d'avoir aussi la vie en lui-même » (5, 26). Et si le Fils est venu en ce monde, c'est pour partager cette vie : « Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie et qu'on l'ait en surabondance » (10, 10). En fait, Jésus est la vie même : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi » (14, 6). La seule façon d'accéder à cette vie pour l'être humain, c'est de croire en lui : « afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (3, 16). Comment cette vie est-elle communiquée? Selon Gn 2, 7, l'être humain est devenu vivant quand Yahvé a insufflé dans ses narines une haleine de vie, ainsi l'être humain reçoit la vie éternelle quand Jésus souffle l'Esprit Saint sur ses disciples après sa résurrection (20, 22). En effet, c'est l'Esprit qui donne la vie : « C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (6, 63). Mais cet Esprit n'est disponible qu'à la suite de la mort de Jésus : « car il n'y avait pas encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié » (7, 39). Par la suite, pour les premières communautés chrétiennes, la communication de cette vie sera associée aux eaux du baptême : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (3, 5); cette eau provident fondamentalement du côté du corps de Jésus crucifié : « l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau » (19, 34). Pour ces premières communautés chrétiennes également, cette vie éternelle est nourrie par le corps et le sang de Jésus de l'eucharistie : « Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde » (6, 51). Il est clair pour Jean que la « vie éternelle » est d'une qualité différente de la « vie (psychē) naturelle ».
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L'expression zōē aiōnios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 48 Moi, je suis le pain de vie.
Littéralement : Moi, je suis le pain de la vie. |
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Egō eimi ho artos tēs zōēs (Moi, je suis le pain de la vie) | Tous ces mots ont été analysés plus tôt. Contentons de résumer ce que nous avons dit.
Le pain, conformément à la symbolique de l'Ancien Testament qui désigne la parole de Yahvé et à la tradition sapientielle qui y voit la sagesse qui nourrit, Jean le présente comme la révélation dans et par Jésus de ce qu'est Dieu, et par là de ce que nous sommes. Ce pain est appelé « pain de vie ». Et la vie dont il s'agit ici est la « vie éternelle », donc non pas le pain pour la vie physique, mais le pain pour cette vie qui est la vie même de Dieu que partage son Fils, et que ce dernier veut nous faire partager. Cette vie est d'une tout autre qualité que la vie physique, et ne s'arrête pas avec la mort physique. Cette vie peut être communiquée à tout être vivant après la mort de Jésus, grâce au souffle de l'Esprit. Cette vie est déjà présente chez le croyant. Le Jésus de Jean proclame : « Je suis le pain de vie ». L'expression « Je suis » se trouve dans la bouche de Yahvé dans l'Ancien Testament, et a donc une connotation divine. Comme la « vie » dont il s'agit est la vie même de Dieu, Jean entend clairement affirmer la qualité divine de Jésus, et donc s'ouvrir à la parole de Jésus, c'est s'ouvrir à la parole même de Dieu; c'est la même vie qui est communiqué au croyant. Et donc il n'y aucune autre parole ou aucune autre source de vie à chercher, que celle de Jésus. Pour Jean, quand la communauté se rassemble pour le repas eucharistique, elle ne fait autre chose que proclamer et mettre en pratique cette parole de Jésus. |
L'expression artos zōē chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 49 Vos ancêtres ont mangé la manne dans le désert, mais ils sont morts.
Littéralement : Les pères de vous (hymōn), ils mangèrent (phagē) dans le (lieu) désert (erēmō) la manne (manna) et ils moururent (apethanon) |
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hymōn (de vous) | Hymōn est le pronom personnel sy (tu, te, toi, vous) au génitif pluriel. Il est surabondant dans les évangiles-Actes : Mt = 448; Mc = 160; Lc = 434; Jn = 405; Ac = 260; 1Jn = 34; 2Jn = 8; 3Jn = 10. La seule raison de nous arrêter à ce pronom possessif ici est de souligner le fait que, en mettant le pronom « de vous » ou « vos » dans la bouche de Jésus, pour désigner les pères ou ancêtres, Jean exprime une séparation : il ne s'agit plus de nos ancêtres Abraham ou Moïse, mais de « vos » ancêtres. Comparons avec les scènes précédentes.
Comparons aussi avec ces paroles du discours de Pierre :
C'est la même situation que lorsqu'un couple se déchire et que l'un des conjoints, au lieu de dire : notre fils, dit « ton » fils. Qu'est-ce qui s'est passé? Il semble qu'au moment où a lieu la rédaction finale de l'évangile selon Jean, la communauté chrétienne d'origine juive et dont plusieurs membres continuaient à fréquenter la synagogue, en fut exclue. L'évangile lui-même en fait écho à travers plusieurs scènes qui, même si elles font référence à des événements de la vie de Jésus, sont un écho de la situation contemporaine de la communauté de Jean.
L'ensemble de l'évangile de Jean prend la forme d'un grand procès où s'affrontent ceux qui ont cru en Jésus, et ceux qui s'y opposent, et parce que les deux camps sont d'origine juive, une séparation s'est développée, si bien que l'expression « nos » pères est devenue « vos » pères, ou « votre » père (Abraham : 8, 56), « notre » Loi est devenu « votre » Loi (8, 17) ou « leur » Loi (15, 25). |
Les expressions « votre », « vos », « leur » pour exprimer la séparation chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Phagē (ils mangèrent) | Phagē est la forme aoriste du verbe esthiō (manger, dévorer). Parmi les évangélistes, c'est Jean qui l'utilise le moins : Mt = 24; Mc = 27; Lc = 32; Jn = 15; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. En fait, il apparaît seulement dans deux scènes : celle qui termine le récit de la Samaritaine où les disciples, revenus de la ville où ils étaient allés chercher quelque chose à manger, demandent à Jésus de prendre de la nourriture (4, 31-38), et celle où Jésus donne à manger à la foule et qui se termine avec le discours sur le pain de vie (on peut passer sous silence l'expression « manger la Pâque » en 18, 28). Dans les deux scènes, la nourriture physique n'est qu'une façon d'introduire un autre type de nourriture : dans la première scène, Jésus exprime sa faim de voir accomplie sa mission : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin » (4, 34); dans la deuxième scène, il s'agit de la nourriture de la révélation en et par Jésus, de cette parole qui prend sa source en Dieu. Voilà ce qui intéresse Jean.
Ainsi, manger devient une analogie pour exprimer cette aspiration à une nourriture qui est d'ordre spirituel, que Dieu seul peut combler à travers Jésus. Cette analogie est aussi associée par Jean à ce que vit la communauté lorsqu'elle se rassemble pour faire eucharistie. |
Le verbe esthiō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Erēmō (le lieu désert) | Erēmō est le féminin datif de l'adjectif erēmos : désert, vide, désolé, stérile, vacant. Ici, il est utilisé sous une forme nominale, sous-entendant : (lieu) désertique, inhabité. On le rencontre un peu partout dans les évangiles-Actes, mais à plusieurs reprises il s'agit d'une citation de l'Ancien Testament, par exemple celle d'Isaïe pour décrire Jean-Baptiste : Mt = 8; Mc = 9; Lc = 10; Jn = 5; Ac = 9; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C'est le cas ici aussi avec une référence à Exode 16, 1 où « la communauté des Israélites arriva au désert de Sîn, situé entre Elim et le Sinaï, le quinzième jour du second mois qui suivit leur sortie d'Égypte »; c'est là qu'elle va connaître la faim, à la laquelle Yahvé va répondre en faisant tomber la manne.
On pourrait se poser la question : pourquoi utiliser l'adjectif erēmos, plutôt que le nom propre pour désigner le désert : erēmia. Une explication possible est que erēmos, en faisant référence vaguement à un lieu inhabité, isolé, offre plus de flexibilité que le nom : désert. Mais une autre explication vient de ce que les traducteurs de la Septante on opté pour l'adjectif erēmos pour traduire l'hébreu : מִדְבַּר (midbar : désert); et comme on fait régulièrement référence à l'Écriture, probablement dans sa traduction grecque, on peut comprendre que l'adjectif s'est imposé. |
L'adjectif erēmos dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
manna (la manne) | Le mot manna signifie originellement en grec : grain d'encens. C'est en ce sens qu'il faut lire Baruch 1, 10 : LXX « Ils dirent : Nous vous avons envoyé de l'argent ; achetez avec l'argent des holocaustes et pour les péchés et l'encens, et préparez la manne (manna : i.e. les grains d'encens) et offrez-les à l'autel du Seigneur notre Dieu ». Mais les traducteurs de la Septante ce sont servis de ce mot ainsi que de son petit frère : man, pour traduire le mot hébreu : מָּן (mān); ainsi, dans la Septante on trouvera parfois man, parfois manna. Le Nouveau Testament n'a retenu que manna. Mais le mot est très rare, et dans les évangiles, il n'apparaît que chez Jean, deux fois, et seulement deux fois ailleurs dans le Nouveau Testament (He 9, 4; Ap 2, 17); on ne le rencontre que 13 fois dans tout l'Ancien Testament (Ex 16, 31.33.35; Nb 11, 6-7.9; Dt 8, 3.16; Jos 5, 12; Ps 78, 24; Ne 9, 20).
Selon certains biblistes (voir L. Monloubou, F. M. Du Buit, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée-Anne Sigier, 1984, p. 447-448), l'hébreu mān serait originellement le nom d'un arbrisseau, la Tamirix mannifera, et quand les Israélites traversèrent les régions désertiques, ils purent se nourrir de sa sécrétion comestible, et associèrent alors ce fait inattendu à celui de leur libération et à une action merveilleuse de Dieu. Mais ce qui importe, c'est ce qu'en a retenu la tradition juive : la manne apparaît sous la forme d'une couche mince, quelque chose de granuleux, fin, semblable à du givre (Ex 16, 14), ressemblant à la graine de coriandre blanche, avec un goût de la fleur de farine, mêlée avec le miel (Ex 16, 31). Selon Nb 11, 8 : « on la broyait à la meule ou on l'écrasait au pilon; enfin on la faisait cuire dans un pot pour en faire des galettes. Elle avait le goût d'un gâteau à l'huile ». C'est d'abord le livre de l'Exode, ch. 16, qui raconte comment la communauté israéliste, faisant fasse à la désolation d'une région désertique et tenaillée par la faim, s'est mise à regretter le temps où elle habitait l'Égypte et maugréèrent contre Moïse, leur leader. C'est alors que Yahvé promet à Moïse de faire pleuvoir du pain du haut du ciel, un pain qu'ils auront à cueillir chaque matin. C'est ainsi qu'une couche de rosée évaporée apparut sur la surface du désert, quelque chose de menu, de granuleux, de fin comme du givre sur le sol. Et quand le soleil devenait chaud, cela fondait. Devant ce phénomène, les Israélites se dirent l'un à l'autre: "Qu'est-ce cela?" (v. 15). Dans la première partie du ch. 16, on ne parle que de pain, et ce n'est qu'au v. 31 qu'on a cette phrase : « La maison d'Israël donna à cela le nom de manne ». Ce récit reçoit un écho dans le livre des Nombres et le Deutéronome, et le Ps 78, 24 : « Et il fit pleuvoir sur eux la manne pour les nourrir, et il leur donna le pain du ciel ». Il fait partie de l'imaginaire juif, si bien que l'historien Flavius Josèphe (1ier s. de notre ère) le reprend : Et encore aujourd'hui tout ce lieu est arrosé d'une pluie semblable à celle que jadis, par faveur pour Moïse, Dieu envoya pour leur servir de nourriture. Les Hébreux appellent cet aliment manna, car le mot man est une interrogation dans notre langue et sert à demander : « Qu'est-ce que cela ? » Ils ne firent donc que se réjouir de cet envoi du ciel et ils usèrent de cette nourriture pendant quarante ans, tout le temps qu'ils furent dans le désert (Antiquités judaïques, livre 3, ch. 1 : 6) Mais ce qui est plus important pour notre propos est la symbolique qui s'est développée autour de la manne dans le judaïsme rabbinique. Voici quelques exemples :
La symbolique de la manne semble se rattacher la période eschatologique et à la célébration de la Pâque. Par exemple, le midrash Mekilta sur Ex 16, 1 raconte que la première manne est tombée le jour de la Pâque. C'est ainsi que s'est développée l'attente que le messie arriverait le jour de la Pâque et que la manne recommencerait à tomber. Même si on ne peut être sûr que ces textes du judaïsme rabbinique s'appliquent également à l'époque de Jean, on peut facilement l'imaginer, surtout en regard d'autres textes, comme cet extrait des oracles Sibyllins (qui remontent avant l'ère chrétienne) : « Ceux qui craignent Dieu hériteront de la vraie vie éternelle... festoyant avec le doux pain venu du ciel étoilé » (pour cette partie sur le judaïsme rabbinique, voir R.E. Brown, The Gospel According to John, p. 265-266). Tout cela offre un contexte au récit. Car le référence à la manne nous situe dans un monde eschatologique où Dieu interviendra fera à nouveau tomber la manne, le jour de la Pâque, en présence de son messie. Or, le ch. 6 de Jean se situe dans le contexte de la Pâque juive. Et la foule demande à Jésus un signe semblable à celui donné par Moïse, un signe par excellence, celui de la manne. |
Le mot manna dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
apethanon (ils moururent) | Apethanon est la forme aoriste du verbe apothnēskō : mourir, être mis à mort. On le rencontre de temps à autre dans les évangiles-Actes, sauf chez Jean où il apparaît régulièrement : Mt = 5; Mc = 8; Lc = 10; Jn = 28; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans le quatrième évangile, on peut repérer quatre contextes différents :
Le v. 49 est à ranger dans la catégorie de l'humanité en général, et non dans celle de la constatation d'un décès particulier; c'est la condition humaine d'avoir à mourir. Ainsi, les ancêtres juifs, comme ceux de tous les peuples, sont morts. Mais l'accent ici est sur le fait que, malgré avoir été nourris par le pain venu de Dieu dans le désert, les pères n'ont pu éviter la mort physique. Le quatrième évangile est unique en ce qu'il est le seul évangile à aborder la question générale de la vie et de la mort, et plus particulièrement celle de la mort physique et de la mort spirituelle. Les autres évangiles abordent la mort sous l'angle de la mort d'un être particulier. Jean s'intéresse avant tout à la vie et à la mort spirituelle. Cela est confirmé quand on étend notre analyse au mot « mort » (thanatos) : Mt = 7; Mc = 6; Lc = 7; Jn = 8; Ac = 8; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Par exemple, Jn 5, 24 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort (thanatos) à la vie »; ou encore 1 Jn 3, 14 : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort (thanatos) à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort (thanatos) ». La réflexion de Jean est certainement inspirée de l'événement Jésus. Celui-ci est mort physiquement, néanmoins il est toujours vivant. Pourquoi? Il ne suffit pas de dire que, comme Fils de Dieu, il était d'une autre « étoffe ». Sa vie de communion avec Dieu, reflet de l'être de son Père, ne pouvait qu'être éternelle, comme sera la nôtre en prenant le même chemin. |
Le mot apothnēskō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 50 Ceci est le pain de Dieu, afin qu'on puisse en manger et ne pas mourir.
Littéralement : Ceci est (houtos estin) le pain, celui du ciel descendant, afin que (hina) quelqu'un, à partir de lui qu'il mange et qu'il ne meure pas. |
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houtos estin (ceci est) | L'expression houtos estin (ceci est) est composé du pronom démonstratif houtos (ceci, celui-ci, cela, celui-là) et du verbe eimi (être) à l'indicatif présent. Il est bon de le souligner ici parce que l'expression entend identifier ou définir une réalité, comme on dit : celui-ci est un héro, ou encore, celui-là est un imposteur. Les évangélistes l'utilisent régulièrement, et plus particulièrement Jean : Mt = 14; Mc = 4; Lc = 6; Jn = 18; Ac = 11; 1Jn = 3; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Ce qui nous intéresse ici est la question : qu'est-ce que Jean affirme sur Jésus avec cette expression ? On peut le résumer sous trois aspects.
Toutes ces affirmations sont d'ordre théologique. Pour Jean, elles constituent le pain de la révélation, cette lumière dans le monde, la raison pour laquelle il a écrit son évangile. |
L'expression houtos estin dans les affirmations sur Jésus dans la tradition johannique | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hina (afin que) | La conjonction hina (afin que, afin de, pour, de telle sorte que, si bien que, que) a plusieurs significations :
Ici, au v. 50, nous avons une signification finale : le but du pain descendu du ciel est de faire en sorte que, celui qui en mange, ne meurt pas. Quand on s'attarde ainsi au but exprimé dans la signification finale de hina, on découvre d'importantes affirmations théologiques, et il vaut la peine d'en énumérer quelques unes.
Ainsi, le pain qu'est Jésus, en étant source de vie éternelle, vise ultimement cette grande communion universelle en Dieu et avec Jésus. Elle est cette force transformatrice qui permet la mission en prenant le même chemin que celui de Jésus. |
La conjonction hina exprimant la finalité chez Jean | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 51 Je suis moi-même le pain vivant qui vient de Dieu. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra pour toujours, et le pain que je lui donnerai, c'est ma chair pour que le monde ait la vie.
Littéralement : Moi, je suis le pain le vivant celui du ciel descendant; si quelqu'un mange de ce pain-là, il vivra jusqu'au siècle (eis ton aiōna), puis et le pain que moi je donnerai, est la chair (sarx) de moi pour la vie du monde (kosmou). |
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eis ton aiōna (jusqu'au siècle) | Aiōna est l'accusatif singulier du nom masculin aiōn, un nom qui fait référence à une période de l'existence : ère, siècle, durée de vie, âge, génération, longue période de temps, époque. Ainsi, le choix de la traduction dépendra du contexte. Donnons quelques exemples de la traduction de la Bible de Jérusalem :
Aiōn est utilisé à quelques reprises dans les évangiles-Actes : Mt = 8; Mc = 4; Lc = 7; Jn = 13; Ac = 2; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Comme on l'aura remarqué, c'est Jean qui en fait un usage abondant. Mais la plupart du temps, c'est dans le cadre de l'expression eis ton aiōna (jusqu'au siècle, traduit par « pour toujours », « à jamais », « éternel ») : Mt = 1; Mc = 2; Lc = 1; Jn = 12; Ac = 0; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Jean porte sur la vie un regard d'éternité. Ce que le Jésus de Jean affirme, c'est que la vie qu'il propose ne peut pas avoir de fin, elle est pour un espace de temps qui n'a pas de terme. |
L'expression eis ton aiōna dans la tradition johannique | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
sarx (chair) | Le nom féminin sarx (chair) apparaît ici et là dans les évangiles-Actes, mais surtout chez Jean : Mt = 5; Mc = 4; Lc = 2; Jn = 13; Ac = 3; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il revêt diverses significations.
Ici, au v. 51, « chair » renvoie au corps humain de Jésus, si bien que la phrase pourrait être redite comme : le pain que moi je donnerai, c'est mon corps. Jésus accepté la mort de son être corporel, avec la souffrance qu'elle impliquait. Mais à partir du v. 51 apparaît avec plus d'insistance le thème eucharistique avec des mots comme « manger », « nourrir », « boire », « chair » et « sang ». En cela, Jean rejoint le vocabulaire synoptique, comme par exemple chez Mt 26, 26-28 : « Prenez, mangez, ceci est mon corps... Buvez-en tous, car ceci est mon sang... ». Notons qu'il n'y pas chez Jean de paroles de Jésus sur le pain et la coupe lors de son dernier repas. Il est possible que nous ayons ici au v. 51 la forme johannique des paroles eucharistiques (quelque peu semblable à Lc 22, 19 : « Ceci est mon corps, donné pour vous »). Mais alors pourquoi parler de « chair » plutôt que de « corps » comme dans les synoptiques? Comme il n'y pas vraiment de mot équivalent hébreu ou araméen pour désigner « corps » comme on le comprend aujourd'hui, il est possible que, lors de son dernier repas, Jésus ait dit en araméen l'équivalent de : ceci est ma chair. Cela est confirmé par les écrits d'Ignace, évêque de la ville d'Antioche, une ville qui a longtemps préservé la version sémitique de la tradition chrétienne, qui utilise souvent le mot « chair » en référence à l'eucharistie. Ainsi, Jean aurait préservé un écho plus exact des paroles de Jésus (sur ce point, voir R.E. Brown, The Gospel According to John, p. 285). |
Le nom sarx dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kosmou (monde) | Kosmou provient du nom masculin kosmos au génitif singulier. Ce mot grec signifie d'abord « ordre, bon ordre ». Dans la Grèce antique, on pouvait l'utiliser dans le monde militaire pour désigner la disposition ordonnée des troupes pour le combat. C'est en ce sens que la Septante a traduit Genèse 2, 1 : « Le ciel et la terre furent ainsi achevés, avec toute leur armée (kosmos) ». Mais l'ordre a aussi à voir avec la beauté, si bien que le mot peut renvoyer aux ornements et à la parure des femmes, comme le rappelle le terme « cosmétique ». Ainsi, la Septante a traduit Exode 33, 6 : « Alors les Israélites se débarrassèrent de leurs parures (kosmos) à partir du mont Horeb ». Ce sont les livres récents de la période hellénistique (2e et 1ier siècle av. J.C.) qui introduiront kosmos pour parler de l'univers créé, un sens que reprendra le Nouveau Testament (sur le sujet, voir Pierre Létourneau, Kosmos in Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Mediaspaul, 2004, p. 423-430).
Dans les évangiles-Actes, kosmos serait passé presqu'inaperçu n'eut été de la tradition johannique : Mt = 9; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 78; Ac = 1; 1Jn = 23; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Dans l'ensemble, il peut revêtir trois significations différentes.
Ces trois significations se retrouvent dans la tradition johannique : univers créé = 4 fois; la société où évolue l'être humain et lieu de la mission = 53 fois ; la réalité hostile à Jésus = 45 fois. Sur ce point, Jean est déroutant en nous faisant passer d'une signification à l'autre, utilisant le même mot, sans nous avertir. Par exemple, en 14, 30 il écrit : « Je ne m'entretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde (force hostile); sur moi il n'a aucun pouvoir »; puis il enchaîne au verset suivant (14, 31) : « mais il faut que le monde (lieu de la mission) reconnaisse que j'aime le Père et que je fais comme le Père m'a commandé ». Que dit donc l'évangéliste de ce monde non hostile à Jésus, ce monde que nous avons défini comme lieu de sa mission?
Dans ce cadre, on peut relire notre verset 51 comme la proclamation du rôle de Jésus dans ce monde : offrir cette nourriture qu'est le don de sa vie à quiconque accepte de l'accueillir dans la foi; c'est cette nourriture qui donne vraiment la vie au monde. |
Le nom kosmos) dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-André Gilbert, Gatineau, août 2018 |