Luc 1, 57-66.80 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation. Sommaire Le récit lui-mêmeNotre récit commence avec la mention dÉlisabeth, connue seulement de Luc, une juive exemplaire, mais stérile, que lévangéliste associe à Marie par un certain lien de parenté, afin de pouvoir dresser un tableau parallèle entre la naissance de Jean-Baptiste et celle de Jésus, montrant que le Nouveau Testament senracine dans lAncien Testament. Elle donne naissance à un fils, le plus beau cadeau dans une société patriarcale. Cette naissance est la manifestation de la ḥēsēd de Dieu, cette compassion de Dieu pour son peuple dont parle lAncien Testament à plusieurs reprises. Tout comme pour Sara, la femme stérile dAbraham qui exprime sa joie à la naissance dIsaac, la naissance de Jean-Baptiste est une source de joie non seulement pour les parents, mais pour tout le voisinage : cest une joie communautaire tellement son impact est grand. Le coeur du récit tourne autour de la circoncision de lenfant, le 8e jour selon la coutume juive, probablement par le médecin du village, au moment où on choisit le nom quil portera; le choix du nom est extrêmement important, car il détermine lidentité et lavenir de lenfant. Et selon la coutume, laîné portait le nom du père, car il allait le plus souvent reprendre le métier du père et prolonger ses activités; il était en quelque sorte une extension de la figure du père. En nous présentant Élisabeth qui intervient pour proposer un autre nom pour son enfant, Luc entend affirmer deux points principaux : Jean-Baptiste ne sera pas une extension de son père, i.e. il ne sera pas un prêtre officiant au temple, il aura plutôt une vocation unique voulue par Dieu; et cest une femme qui, la première, en fait lannonce. De fait, Élisabeth apparaît comme une plus grande figure que celle de Zacharie : contrairement à son mari qui est dabord incrédule, elle entre tout de suite et instinctivement dans le plan de Dieu en choisissant Jean comme nom de son fils, et quand on se tournera vers Zacharie pour le nom de lenfant, on lui demandera ce quil « souhaite » comme nom, et non ce quil a décidé, comme si son rôle était secondaire et non décisif. Après le choix dÉlisabeth et Zacharie, cest létonnement et lincompréhension chez la parenté et le voisinage. Pour Luc, cet étonnement devant quelque chose dinhabituel est une façon de souligner lintervention de Dieu qui a ses propres voies. Lintervention de Dieu se fait aussi sentir par la guérison de Zacharie qui peut maintenant parler; cest à la fois une guérison physique, car il a retrouvé la parole, et une guérison spirituelle, car il est maintenant croyant en étant entré dans le plan de Dieu en acceptant le nom Jean pour son fils, et cela sexprime par le fait quil loue les bénédictions reçues de Dieu. La réaction des parents et voisins représentent la réaction que Luc attend de son lecteur. Ils vivent un grand frémissement tellement les événements les dépassent, et ils se posent des questions sur lidentité de bébé Jean-Baptiste. Le lecteur doit se poser les mêmes questions pour entrer dans le mystère de Dieu. Car à travers lévénement Jean-Baptiste, ce mystère est à loeuvre. Et il est à loeuvre dabord en Israël, à travers un enfant qui est appelé dabord à croitre physiquement et moralement, et à exercer son ministère dans des lieux inhabités. Le vocabulaire Les mots utilisés dans le récit appartiennent au vocabulaire lucanien, i.e. des mots quil est seul à utiliser ou quil utilise plus que tous les autres évangélistes ou des mots qui apparaissent dans des scènes qui lui sont propres : être rempli (pimplēmi), temps (chronos), voisins (perioikos), ceux qui habitent autour (perioikeō), parenté (syngenēs et syngeneia), magnifier (megalynō), Seigneur (kyrios), se réjouir (synchairō), arriver (ginomai), jour (hēmera), appeler (kaleō), nom (onoma), répondre et dire (apokrinomai, legō), pas du tout (ouchi), faire signe (enneuō), demander (aiteō), sétonner (thaumazō), immédiatement (parachrēma), parler (laleō), bénir (eulogeō), Dieu (theos), peur (phobos), chose (rhēma), coeur (kardia). Structure et composition Notre péricope fait partie du récit de lenfance. Or, le récit de lenfance de Luc est un élément dun plan beaucoup plus vase : lévénement Jésus est le point central de lhistoire du salut qui prend ses racines dans lAncien Testament, et se poursuit par la suite à travers lhistoire de lÉglise. Donc, le récit de la naissance et de la circoncision de Jean-Baptiste porte les couleurs de lAncien Testament : de fait, il reprend le thème de Sara, femme dAbraham, qui était stérile et âgé, et qui donna naissance à Isaac. Même si les chrétiens ont pris leur distance face au Judaïsme, Luc tient à rappeler que leur foi prend ses racines dans ce quil y a de meilleur chez les Juifs. Dans sa composition, Luc créé un parallèle entre la naissance de Jean-Baptiste et celle de Jésus : annonce de la naissance dune enfant par lange Gabriel alors que cela semble impossible, et détermination de leur nom par Dieu, chant de béatitude de la part des deux mères, mention de la naissance de deux garçons et visite des gens dalentour, mention de la circoncision des deux garçons le 8e jour, prophétie sur lavenir de ces deux garçons, résumé de lenfance des deux garçons. En rapprochant Jésus et Jean-Baptiste à travers le parallèle de leur naissance, Luc se trouve à montrer la grandeur de Jean-Baptiste : lui aussi fait partie du plan de Dieu. Noublions-pas que pour la communauté chrétienne, Jean-Baptiste a longtemps été une figure gênante, et Luc opère un travail de réconciliation : Jean-Baptiste est un élément du plan de Dieu. Intention de lauteur Luc met laccent sur la circoncision de lenfant, moment où il recevait son nom : ce nom ne sera pas selon les attentes où laîné recevait le nom du père, mais il sera selon le plan de Dieu; ce choc avec les attentes ordinaire est le signe de lirruption de Dieu. Pour accentuer le drame autour du nom de lenfant, Luc créé un petit scénario autour de Zacharie. Ce drame atteint son apogée avec lécriture du nom de Jean : cest le signe que Zacharie est devenu croyant, car il vient de reconnaître les bénédictions de Dieu et sest rallié à son plan. En faisant retrouver lusage de la parole à Zacharie, Luc souligne non seulement laction de Dieu, mais le fait quen devenant croyant, Zacharie est en mesure de proclamer la parole de Dieu. Luc amplifie la réaction de lentourage : il veut que nous-nous identifions à cet entourage, que nous prenions conscience à notre tour que ce qui se passe nest pas habituel, que nous nous ouvrions à la possibilité que nous sommes devant une action bienveillante de Dieu, et que lenfant Jean-Baptiste nest pas un être ordinaire, et par là que nous nous apprêtions à lécouter.
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Elisabet (Élisabeth) | On sait très peu de choses dÉlisabeth dont le nom napparaît que dans les récits de lenfance de Luc dans tout le Nouveau Testament, et donc dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 0. Ailleurs, on ne le rencontre quen Exode 6, 23 : « Aaron épousa Elishéba, fille dAmminadab, soeur de Nahshôn, et elle lui donna Nadab, Abihu, Eléazar et Itamar ». En hébreu, son nom se dit : Èlishèba, et signifie : mon Dieu est plénitude ou accompli. Luc nous dit ceci sur Élisabeth :
Quelle est sa relation à Marie? Syngenēs, répond Luc. Que signifie ce mot grec? Il est composé de la préposition syn (avec, en compagnie de, en même temps que) et du verbe gennaō (engendrer, donner naissance). Il fait donc référence au fait dêtre né en compagnie dautres personnes, doù la traduction habituelle : parent, famille pour rendre lidée quon partage les mêmes origines, le même sang. Quand on parcourt la Bible pour vérifier ses diverses significations, on obtient le résultat suivant :
Comme on peut le constater, syngenēs est un terme très flexible et cest seulement le contexte qui permet de déterminer la signification que lauteur entend lui donner. Quen est-il de Luc? Tout dabord, il est celui qui lutilise le plus dans tous le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 1; Rm = 4. Et la signification quil lui donne est très générale, la première que nous avons identifiée plus haut (1) :
Ainsi, il ne sagit pas du père ou de la mère, ni du frère et de la soeur; à cause des liens du sang, ils sont différents des « amis ». Cest dans ce contexte quil faut relire ce que Luc dit de la relation entre Élisabeth et Marie. Alors Élisabeth pourrait être une tante ou une cousine plus ou moins rapprochée; en raison de la différence dâge, il serait difficile dimaginer une nièce. Quoi quil en soit, il est difficile dêtre plus précis. Mais pourquoi Luc souligne-t-il ce tient de parenté entre Marie et Élisabeth? Il faut regarder tout le récit de lenfance de Jésus pour trouver une réponse : cette parenté permet daccentuer le parallèle entre lévénement Jésus et lévénement Jean-Baptiste; les deux « héros » ont une histoire similaire. En effet :
Pour comprendre ce parallèle, il faut savoir que Jean-Baptiste représente lAncien Testament, et Jésus le Nouveau Testament. Et pour Luc, le passage de lAncien au Nouveau nest pas une rupture, mais une continuité; le Nouveau plonge ses racines dans l'Ancien. |
Textes avec Elisabet dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eplēsthē (fut rempli) | Le verbe pimplēmi, ici à laoriste indicatif passif, est tout à fait lucanien : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 13; Jn = 0; Ac = 6; à part des évangiles-Actes, il est absent du reste du Nouveau Testament. Il signifie : remplir, rassasier, être rempli, être écoulé, gorger. Il est utilisé dans cinq circonstances différentes.
Ici, dans la scène autour dÉlisabeth, ce verbe exprime le fait que sa grossesse arrive à terme : le neuf mois sont vus comme des étapes qui ont maintenant été complétées. |
Textes avec pimplēmi dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
chronos (temps) | Le nom chronos est assez répandu dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 3; Ac = 13; mais cest Luc qui lutilise le plus dans son évangile et ses Actes des Apôtres. Il possède deux grandes significations.
Il signifie dabord une période de temps, le temps perçu comme un fluide qui sécoule, un fluide qui a un début et une fin.
Il signifie également un point dans le temps ou un moment précis, i.e. une date.
Dans le récit sur Élisabeth, chronos désigne cette période de temps que constitue une grossesse et qui arrive à son terme. |
Textes sur chronos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
tekein (enfanter) |
Tekein est le verbe tiktō à laoriste infinitif et signifie : enfanter, concevoir, créer. Il nest pas très fréquent : Mt = 4; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 0. Sur ses dix occurrences dans les évangiles, sept servent à désigner la naissance de Jésus. Ici, nous avons la seule occurrence pour désigner la naissance de Jean-Baptiste. Cest donc une particularité tout à fait lucanienne.
Notons que ce verbe, dans la voix active (huit occurrences sur le total de dix), ne sapplique quà la femme : seule la femme conçoit ou enfante. Et quant aux deux occurrences à la voix passive, elles font référence à lenfant qui est né. Bref, cest un verbe lié exclusivement au rôle de la femme dans la naissance. |
Textes sur le verbe tiktō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
egennēsen (elle engendra) | Egennēsen est le verbe gennaō à laoriste indicatif actif et il signifie : engendrer, naître, venir à lexistence. Il est semblable au verbe tiktō, mais beaucoup plus fréquent : Mt = 45; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 18; Ac = 7; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Malgré la similitude avec tiktō, il nest pas un synonyme; car il a un sens plus générique de venir à lexistence et na pas de relation avec le rôle de la femme. En effet, on lutilise pour parler de lhomme qui engendre (Mt 1, 2 : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frère »).
Malgré les apparences, cest Jean qui utilise le plus ce mot. Même si, selon les statistiques, Matthieu lemploie 45 fois, sur ces 45 occurrences, 40 appartiennent à la généalogie du début de son évangile, ce qui laisse cinq occurrences pour le reste de son évangile. Ainsi, si on inclut sa première épitre, Jean a recours à ce verbe 28 fois. Sur ce total, dix-sept ont un sens spirituel, lié à lêtre nouveau créé par lEsprit de Dieu. Voici un exemple typique : Jn 3, 3 : « Jésus lui répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître (gennaō) den haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu." » Dans ce verset, Luc se sert à la fois tekein, pour décrire le fait quÉlisabeth accouche, et de gennaō pour décrire quun être est venu physiquement au monde. Cest un verbe quil utilise pratiquement uniquement dans son récit de lenfance, et le seul autre emploi apparaît dans un sens négatif à la fin de lévangile pour exprimer le souhait de ne pas naître dans les moments de détresse (Lc 23, 29). |
Textes sur le verbe gennaō dans les évangiles-Actes-épitres johanniques | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
huios (un fils) | Huion est laccusatif singulier du nom masculin : huios (fils). Il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 89; Mc = 35; Lc = 77; Jn = 55; Ac = 21; 1Jn = 22; 2Jn = 2; 3Jn = 0. Mais de ces 301 occurrences au total, 176 servent à désigner Jésus comme fils de Dieu ou fils de lhomme, soit plus de la moitié (58%). Néanmoins, si on enlève ce dernier cas de léquation, nous nous retrouvons quand même avec 125 occurrences du mot « fils », à comparer aux 26 occurrences du mot « fille ». Il ne faut pas sen surprendre dans une société patriarcale où seul lhomme a un statut social et où avoir un fils a une plus grande valeur que davoir une fille. Prenons toutefois conscience que dans les évangiles-Actes le terme huios peut revêtir plusieurs significations que jai regroupées en cinq catégories.
Signification biologique : il sagit de lenfant mâle engendré par des parents (71 fois : Mt = 18; Mc = 7; Lc = 26; Jn = 12; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
Signification spirituelle pour désigner lêtre de Jésus : Jésus est le fils de Dieu ou il est le fils de lhomme (175 fois, dont 82 fois « fils de lhomme » : Mt = 49 (30 fois « fils de lhomme »); Mc = 22 (14 fois « fils de lhomme »); Lc = 37 (25 fois « fils de lhomme »); Jn = 40 (12 fois « fils de lhomme »); Ac = 3 (1 fois « fils de lhomme »); 1Jn = 22 (0 fois « fils de lhomme »); 2Jn = 2 (0 fois « fils de lhomme »); 3Jn = 0). Exemples :
Appartenance à une lignée généalogique : on est fils dun ancêtre selon larbre généalogique (19 fois : Mt = 10; Mc = 3; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0 ; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
(Note : on a léquivalent du côté féminin avec « fille » pouvant désigner une lignée généalogique : Lc 1, 5 « il (Zacharie) avait pour femme une fille (thygatēr) dAaron, dont le nom était Élisabeth ») Appartenance à un groupe selon la race : cest ainsi quon est fils dun pays ou fils de lhumanité (14 fois : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
(Note : on a léquivalent du côté féminin avec « fille » pouvant désigner lappartenance à un groupe racial : Lc 23, 28 « Mais, se retournant vers elles, Jésus dit: " Filles (thygatēr) de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants! " ») Appartenance à quelquun, à un groupe, ou adhésion à des valeurs : être fils désigne le fait dêtre disciple dun maître ou ami de quelquun ou dune valeur qui identifie une personne ou un groupe (22 fois : Mt = 9; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 3; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
Ici, au v. 57, le mot « fils » a bien sûr un sens biologique. Luc raconte la naissance dun fils, ce qui est source de joie à un double titre : un enfant vient au monde alors quon nen espérait plus, donc un enfant « miracle », et cest un mâle. Dans les évangiles, seules deux naissances sont racontées : Jésus et Jean-Baptiste; Luc est le seul à inclure les deux naissances dans son récit, Matthieu nayant que celle de Jésus. Raconter la naissance de quelquun est une façon de le présenter comme un héro, anticipant dans cette naissance ce quil deviendra. |
Textes avec le nom huios dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 58 Quand le voisinage et la parenté apprirent combien le Seigneur avait fait déborder sa compassion pour elle, ils se réjouirent avec elle.
Littéralement : Et ils entendirent (ēkousan) les gens d'alentour (perioikoi) et les parents (syngeneis) delle que magnifia (emegalynen) le Seigneur (kyrios) la miséricorde (eleos) de lui après elle et ils se réjouissaient (synechairon) avec elle. |
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ēkousan (ils entendirent) | Ēkousan est le verbe akouō à laoriste indicatif 3e personne du pluriel. Littéralement, il signifie : écouter et, comme on peut limaginer pour tout mot de la vie courante, il est fréquent dans toute la Bible, et plus particulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 57; Mc = 41; Lc = 59; Jn = 54; Ac = 89; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3Jn = 1.
Chez Luc, on peut regrouper en trois catégories sa signification. Écouter signifie entendre physiquement et personnellement quelque chose. Exemples :
Écouter signifie apprendre une nouvelle, entendre parler de quelque chose. Exemples :
Écouter signifie souvrir à une parole et laccueillir dans la foi. Exemples :
Ici, au v. 58, akouō signifie le fait dentendre une nouvelle, dapprendre par ouï-dire : la nouvelle concerne le fait quÉlisabeth, ayant dépassé lâge normal pour devenir mère, a mis au monde un enfant, un garçon. Pour Luc, il est important que les bonnes nouvelles se répandent afin que la communauté puisse célébrer autour delles; doù chez lui limportance de la parole. |
Textes avec le verbe akouō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
perioikoi (voisins) | Perioikoi est ladjectif masculin pluriel de perioikos. Ce mot est formé de deux termes, dabord la préposition peri (autour de) et oikos (maison). Il désigne ce qui est autour de chez soi; lorsquil sagit de personnes humaines, on parlera de « voisins », lorsquil sagit dun lieu géographique, on parlera de « lieux environnants », « régions dalentour », « banlieue ». Il est très rare dans la Bible, et ce passage de Luc présente le seul cas dans tout le Nouveau Testament.
Ici, au v. 58, on fait référence aux gens qui demeurent non loin de la résidence dÉlisabeth chez qui sest répandue la bonne nouvelle. Cela présente le village comme une petite communauté. |
Textes avec l'adjectif perioikos dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
syngeneis (parents) | Syngeneis est ladjectif masculin pluriel de syngenēs. Nous avons analysé plus tôt ce terme en disant quil fait référence au fait dêtre né en compagnie dautres personnes, doù la traduction habituelle de « parenté ». Ici, le terme désigne la famille au sens large. Et comme Luc aime aller du général au particulier, il commence par le voisinage, avant de nommer la famille élargie parmi ceux qui se réjouissent de la bonne nouvelle. | Textes avec syngenēs (parent) dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
emegalynen (il magnifia) | Emegalynen est le verbe megalynō à laoriste indicatif actif, 3e personne du singulier. Il est formé à sa base de ladjectif mega (grand). On le trouve rarement dans le Nouveau Testament, tout comme dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie fondamentalement : rendre grand. On peut rendre grande une réalité par la parole, doù les diverses traductions : magnifier, louer, célébrer, glorifier, exalter. Par exemple :
On peut aussi rendre grande la chose elle-même en lagrandissant. Par exemple :
Ici au v. 58, Luc met laccent sur la grandeur de lintervention amoureuse de Dieu, donc sur la grandeur de son action : rendre féconde une femme qui ne létait pas jusquici. On notera que dans lantiquité linfécondité était la responsabilité de la femme, jamais celle de lhomme. Pour Luc, la miséricorde de Dieu est toujours à loeuvre, mais le fait quÉlisabeth a pu enfanter un garçon la rendue plus manifeste, plus éclatante. |
Textes avec le verbe megalynō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kyrios (seigneur) |
Pour une analyse du mot kyrios, on se réfèrera au Glossaire. En quelques mots, le substantif masculin kyrios désigne en grec classique « celui qui est maître de, qui a autorité », cest-à-dire le maître, le maître de maison, le représentant légal, le tuteur. Cest par la Septante, cette traduction grecque de lAncien Testament hébreu, quil a fait son entrée dans la Bible. Cest le mot que les traducteurs ont choisi pour traduire le tétragramme YHWH, le nom propre de Dieu, quun Juif pieux évitait de prononcer : « Abram répondit: "Mon Seigneur (héb. ʾ ădōnāy; grec despota) Yahvé (héb. yhwh; grec kyrie), à quoi saurai-je que je le posséderai?" » (Gn 15, 8). Cest ainsi quun mot grec, désignant seulement un maître qui a autorité, en est venu à désigner Dieu. Les premiers chrétiens de culture hellénique ont relu la Septante à la lumière de leur foi en Jésus ressuscité, si bien que non seulement kyrios est devenu le terme pour désigner Dieu, mais aussi celui pour désigner Jésus, en particulier sous linfluence du Psaume 110, 1 : « Le Seigneur (héb. yhwh; grec kyrios) a dit à mon Seigneur (héb. ʾ ădōnāy; grec kyriō): Assieds-toi à ma droite, jusquà ce que jaie fait de tes ennemis lescabeau de tes pieds »; dans ce psaume, le nom kyrios est attribué à la fois à Dieu et au messie, et pour les premiers chrétiens, il pouvait donc désigner à la fois Dieu et Jésus.
Quen est-il de Luc? Comme il est le plus grec des évangélistes, on ne sera pas surpris dapprendre quil est celui qui utilise le plus le terme kyrios : Mt = 80; Mc = 18; Lc = 104; Jn = 52; Ac = 106; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; comme il est à la fois lauteur dun évangile et des Actes, cela signifie quil emploie au total 210 fois ce terme. Mais quand on regarde dun peu plus près son évangile, on se rend compte que le mot revêt cinq significations différentes. Kyrios désigne Dieu (37 fois, dont 25 fois dans son récit de lenfance). Par exemple :
Kyrios désigne Jésus lui-même (40 fois, dont 13 fois sous la plume de Luc comme narrateur, 11 fois dans la bouche des disciples). Par exemple :
Kyrios désigne un maître, par exemple le maître de maison (24 fois, souvent dans les paraboles de Jésus). Par exemple :
Kyrios désigne le messie (2 fois, lors de la citation du Psaume 110)
Kyrios est un adjectif signifiant : "être maître de" (1 fois).
Cette analyse ne serait pas complète si on ne se posait pas aussi la question : dans lévangile de Luc, qui utilise quelle signification du mot? Voici le tableau quon peut en tirer : la première colonne présente lauteur qui utilise kyrios. Les autres colonnes renvoie aux diverses significations du mot.
Ici au v. 58, cest sous la plume de Luc le narrateur que kyrios apparaît, et il désigne Dieu selon les termes de la foi juive traditionnelle. Pour Luc, les débuts de la foi chrétienne senracinent dans ce quil y a de meilleur dans la tradition juive. |
Le nom kyrios dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eleos (miséricorde) |
Eleos est un nom neutre qui signifie : miséricorde, pitié, compassion. Autant ce mot est très fréquent dans lAncien Testament (tout près de 350 occurrences), autant on le rencontre peu souvent dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Et sur les six occurrences de Luc, cinq appartiennent aux récits de lenfance. Quest-ce à dire?
Eleos est le terme choisi par la Septante pour traduire lhébreu ḥēsēd. Quest-ce que cette ḥēsēd? Il ne sagit pas avant tout dun sentiment, mais dune action : on fait la ḥēsēd (dailleurs, le mot est souvent accompagné du verbe asah, faire). Il sagit de faire du bien aux autres, en particulier ceux qui sont dans le besoin, et le mot est souvent traduit par « faveur » : « Alors, quand Dieu ma fait errer loin de ma famille, je (Abraham) lui ai dit: Voici la faveur (ḥēsēd) que tu me feras: partout où nous arriverons, dis de moi que je suis ton frère" » (Gn 20, 13). Un bon roi est celui qui fait la ḥēsēd : « Piété (ḥēsēd) et fidélité montent la garde près du roi; sur la piété (ḥēsēd) est fondé le trône » (Pr 20, 28). Bien sûr, la ḥēsēd est aussi un attribut de Dieu, et qui est célébrée à travers la liturgie des psaumes : « Mais toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein damour (ḥēsēd) et de vérité (ʾemet)» (Ps 86, 15). La ḥēsēd est souvent associée, comme ici, à la vérité, i.e. à ce qui est solide et authentique, qui ne peut décevoir; car Dieu demeure fidèle à son alliance et interviendra toujours en faveur de son peuple. Voilà une conviction profonde de la foi juive. Dans les évangiles, seuls Luc et Matthieu font référence à la ḥēsēd à travers le mot grec eleos. Ils conservent lidée dune action en faveur des autres, surtout de ceux dans le besoin. Chez Luc, il apparaît dans le récit du bon Samaritain qui vient au secours dun homme gravement blessé par les brigands, alors que Jésus pose la question sur lequel des hommes, entre le prêtre, le lévite et le Samaritain, sest montré le prochain de lhomme blessé :
Chez Matthieu on retrouve une idée semblable alors que Jésus multiplie les reproches à légard des Pharisiens qui se spécialisent dans les choses religieuses :
Mais dans le récit de lenfance de Luc où apparaissent cinq des six occurrences de eleos, le ton est différent : on retrouve latmosphère liturgique des Psaumes où on chante la miséricorde de Dieu : Marie la chante (1, 50.54), lentourage dÉlisabeth la chante (1, 58), Zacharie la chante (1, 72.78). Dans lAncien Testament, parler de la ḥēsēd cest parler de laction de Dieu en faveur de son peuple, par fidélité à son alliance. Pour Luc, lévénement Jean-Baptiste est en continuité avec la ḥēsēd de Dieu dans lAncien Testament, et cette action en faveur de son peuple aura son point culminant en Jésus; Jean-Baptiste est un maillon essentiel de cette chaîne dactions. |
Textes avec le nom eleos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
synechairon (ils se réjouissaient) |
Synechairon est le verbe synchairō à limparfait de la 3e personne pluriel. Ce verbe est formé de la préposition syn (avec, en compagnie de) et du verbe chairō (se réjouir). Cest donc lidée de se réjouir avec dautres, de partager sa joie, bref de se réjouir communautairement. Comme le verbe est à limparfait, signifiant que laction nest pas terminée, cest alors une joie qui se prolonge. Ce verbe est très rare dans toute la Bible (8 occurrences), et dans les évangiles il ne se retrouve que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Lidée dune réjouissance communautaire est bien traduite par Luc dans les deux paraboles où quelquun perd quelque chose dimportant, une brebis (15, 6), ou largent dun jour de salaire (15, 9), puis invite tout lentourage à partager sa joie. Pour sa part, Paul a cette image du corps avec plusieurs membres, et si un membre est à lhonneur, cette joie se reflète sur tous les membres (2Co 12, 26). Ainsi, pour Luc, la joie dÉlisabeth nest pas une joie personnelle, mais une joie qui rejoint toute la communauté : la naissance de Jean-Baptiste a un impact sur toute la communauté, et donc la joie devient communautaire.
Mais il y a plus. Quand Luc rédige cette scène, il a probablement en tête lhistoire de Sara, lépouse dAbraham, qui était avancée en âge et stérile (Gn 21, 1-7). Or, selon ce quécrit la Septante, le Seigneur visita Sara qui devint enceinte et conçut un fils quAbraham appela : Isaac. Après sa circoncision, Sara sécria : « Le Seigneur ma causé un doux rire ; quiconque lapprendra se réjouira (synchairō) avec moi » (Gn 21, 6). Élisabeth est la nouvelle Sara, et comme Sara fut linstrument de Dieu pour la réalisation de sa promesse dune alliance et dune longue lignée, ainsi Élisabeth sera linstrument de Dieu dans cette nouvelle alliance. Il ne sagit plus dune joie personnelle, mais dune joie universelle. |
Textes avec synchairō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 59 Le huitième jour, ils allèrent faire circoncire lenfant et proposaient le nom du père : Zacharie.
Littéralement : Et arriva (egeneto) au jour (hēmera) le huitième (ogdoē) ils allèrent (ēlthon) pour circoncire (peritemein) lenfant (paidion) et appelaient (ekaloun) lui selon le nom (onomati) du père (patros) de lui Zacharie (Zacharian). |
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egeneto (il arriva) | Egeneto est le verbe ginomai à laoriste moyen et signifie : arriver, advenir, survenir, devenir, venir à lexistence, apparaître. Il est aussi fréquent en grec que les verbes avoir et être en français : Mt = 76; Mc = 54; Lc = 132; Jn = 50; Ac = 110; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 1. Comme on peut le constater, Luc en est le plus grand utilisateur, 242 fois si on inclut les Actes des Apôtres. Et ici on a la forme de laoriste moyen : egeneto. Or, il est le plus grand utilisateur de cette forme : Mt = 13; Mc = 18; Lc = 61; Jn = 17; Ac = 55; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ainsi, chez Luc cest un total de 116 occurrences si on inclut les Actes des Apôtres. Cest trop fréquent pour ne pas y reconnaître un trait de son style. Cela lui permet très souvent dintroduire un fait, un événement, un récit, tout comme les bons conteurs dhistoire aiment commencer avec : « Il était une fois ». | Textes avec le verbe ginomai dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hēmera (jour) | Hēmera est le nom féminin hēmera au datif singulier. Il signifie : jour, et comme le mot français, il est très commun dans les évangiles-Actes : Mt = 42; Mc = 25; Lc = 80; Jn = 30; Ac = 86; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0, et tout particulièrement chez Luc. Toutefois, derrière sa banalité, il sert à traduire des réalités différentes. Cest ainsi que chez Luc on peut définir cinq réalités différentes que désigne le mot « jour ».
La journée qui a 24 heures, ou quantité spécifique de journées. Par exemple :
Un moment ou date spécifique, souvent dans lavenir. Par exemple :
Une époque ou une période du passé (toujours au pluriel). Par exemple :
Le jour par rapport à la nuit. Par exemple :
Renvoie aux années dune vie, ou à lâge dune personne. Par exemple :
Ici, au v. 59, Luc fait référence à une date ou moment spécifique, celui où doit avoir lieu la circoncision. |
Textes avec le nom hēmera dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ogdoē (huitième) | Ogdoē est ladjectif numéral ogdoos au féminin datif singulier, saccordant avec « jour ». Seul Luc lutilise dans les évangiles-Actes : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, et à chaque fois en référence au huitième jour où un Juif devait faire circoncire son enfant mâle. En effet, cétait pour un Juif une obligation légale, comme lexplicite Lévitique 12, 1-4 :
Le Seigneur adressa la parole à Moïse : « Parle aux fils dIsraël : Si une femme enceinte accouche dun garçon, elle est impure pendant sept jours, aussi longtemps que lors de son indisposition menstruelle. Le huitième jour, on circoncit le prépuce de lenfant ; ensuite, pendant trente-trois jours, elle attend la purification de son sang ; elle ne touche aucune chose sainte et ne se rend pas au sanctuaire jusquà ce que sachève son temps de purification. Zacharie et Élisabeth suivent ainsi leur tradition religieuse. Luc est le seul évangéliste à insister sur cet environnement de Jésus, car cela correspond à son plan : la foi chrétienne senracine dans la tradition juive. |
Textes avec l'adjectif numéral ogdoos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ēlthon (ils allèrent) | Ēlthon est le verbe erchomai à laoriste indicatif, 3e personne du pluriel. Il signifie : venir, arriver, aller, paraître, et est aussi courant en grec que son équivalent en français : Mt = 113; Mc = 86; Lc = 99; Jn = 155; Ac = 50; 1Jn = 3; 2Jn = 2; 3Jn = 2. Et cela est normal dans un récit où il y a de laction : les personnages vont et viennent. Par exemple, Jean-Baptiste « va » dans toute la région proclamer son baptême de conversion, les gens « viennent » à lui, Jésus « va » à la synagogue, et on lui demande ce quil « vient » faire, Jésus donne la raison pour laquelle il « est venu », etc.
Ici, au v. 59, Zacharie et Élisabeth « vont » faire circoncire leur enfant. Où vont-ils? Luc ne le dit pas. Daprès Genèse 21, 4 le père pouvait circoncire son enfant (« Abraham circoncit son fils Isaac, quand il eut huit jours, comme Dieu lui avait ordonné »); mais rien nindique ici que Zacharie a circoncis son fils, et cela nexplique pas le fait quils doivent se déplacer. Daprès Exode 4, 25 la mère pouvait exceptionnellement circoncire son fils (« Cippora prit un silex, coupa le prépuce de son fils et elle en toucha ses pieds. Et elle dit: "Tu es pour moi un époux de sang." »; mais comme nous lavons observé pour le père, rien nindique que ce soit le cas ici. Daprès 1 Maccabées 1, 61 la circoncision était pratiquée par un médecin (« (on mit à mort les femmes qui avaient fait circoncire leur enfant) avec leurs nourrissons pendus à leur cou, exécutant aussi leurs proches et ceux qui avaient opéré la circoncision »). Comme on situe la composition de 1 Maccabées vers lan 100 avant notre ère, on peut penser que ce sont les mêmes pratiques qui existaient plus tard, lors de la naissance de Jean-Baptiste et Jésus : cest le médecin du village qui procédait à la circoncision des enfants mâles. |
Textes avec le verbe erchomai chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
peritemein (circoncire) | Peritemein est le verbe peritemnō à laoriste de linfinitif. Il est composé de la préposition peri (autour de) et du verbe temnō (couper) : cest lablation du prépuce, i.e. circoncire. Il semble que nous sommes devant une coutume antique reliée au rite dinitiation sexuelle : la circoncision permettait à lorgane mâle dêtre adapté à sa nouvelle fonction (voir L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984, p. 122-123). Elle était pratiquée par les Égyptiens, les Édomites, les Ammonites, les Moabites et les Israélites, mais non par les Assyriens, les Chaldéens ou les Philistins (voir Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975, p. 168-169).
Cest probablement lors de leur arrivée en Canaan que les Israélites ont adopté cette pratique et quils lont attribué au patriarche Abraham. Mais cette pratique a pris une dimension religieuse : « Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de lalliance entre moi et vous » (Gn 17, 11); dans lalliance quil propose, Dieu promet à Abraham une postérité féconde et tout le pays de Canaan. Cest probablement lors de l'exil à Babylone (6e s. avant lère moderne) que la circoncision a revêtu une si grande importance, leur permettant de se distinguer de tous les autres peuples qui les entouraient (les Babyloniens n'étaient pas circoncis). Dans les évangiles, seuls Luc et Jean mentionnent soit le verbe « circoncire » (peritemnō) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, soit le nom « circoncision » (peritomē) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 2; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais les perspectives de Luc et Jean sont totalement différentes : Luc présente de manière positive la circoncision de Jean-Baptiste et de Jésus le huitième jour comme un geste de fidélité à la tradition juive, tandis que Jean insère la référence à la circoncision dans un contexte de controverse nous présentant un Jésus qui dénonce lhypocrisie des Pharisiens, ces gens qui reprochent à Jésus de guérir le jour du sabbat alors queux-mêmes pratiquent la circoncision le jour du sabbat. Pourquoi Luc a-t-il tenu à mettre en valeur la circoncision? Il aurait pu raconter la naissance de Jean-Baptiste et de Jésus sans quil soit nécessaire de mentionner leur circoncision? Noublions pas que la rédaction finale de son évangile se situe autour des années 80 ou 85 de notre ère, au moment où la poussière sur le conflit autour de la circoncision des chrétiens est retombée. On relira les épitres de Paul (voir les textes sur « circoncire » et « circoncision » ci-contre) sur le combat quil a mené pour empêcher que les païens se convertissant à la foi chrétienne soit obligés de se faire circoncire. On relira les Actes des Apôtres et la décision prise à Jérusalem (vers 51/52 de notre ère) sur le sujet. Luc, lui-même un non-Juif, connaissait très bien ce débat. Alors pourquoi a-t-il tenu à dire que Jean-Baptiste et Jésus furent circoncis? La réponse se situe probablement à deux niveaux. Dune part, comme le débat sest apaisé au moment de la rédaction de son évangile, évoquer la circoncision ne suscite plus la même charge émotive et on peut regarder cet élément de la tradition juive avec un regard serein. Dautre part, et cest probablement le point le plus important, la foi chrétienne plante ses racines au coeur de ce quil y a de meilleur dans la tradition juive : Jésus était un Juif, Jean-Baptiste était un Juif, et sil brosse un portrait parallèle de Jésus et Jean-Baptiste, cest sa façon darrimer la source de la bonne nouvelle à un digne représentant de la tradition juive; la circoncision est en quelque sorte un point darrimage. Noublions pas : lAncien et le Nouveau Testament ne sont pas en opposition, mais en harmonie pour Luc. |
Textes avec le verbe peritemnō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
paidion (enfant) |
Paidion est laccusatif neutre de paidion. Il signifie enfant ou petit enfant, et plus précisément, selon Hérodote (rapporté par Henry George Liddell, Robert Scott, A Greek-English Lexicon), cest lenfant jusquà sept ans. Il apparaît surtout dans les récits de lenfance de Luc et Matthieu : Mt = 18; Mc = 12; Lc = 13; Jn = 3; Ac = 0; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Nous avons déjà analysé lenfant dans le Nouveau Testament dans notre glossaire, et on sy réfèrera. Quil nous suffise den résumer les points principaux.
Dans le Nouveau Testament, il y a six termes grecs pour désigner lenfant au sens général, sans allusion au sexe de lenfant : teknon (enfant) et son diminutif teknion (petit enfant), pais (enfant) et son diminutif paidion (petit enfant), nēpios (plus jeune) et brephos (nourrisson); les mots « fils » (huios) ou « fille » (thygatēr) sont écartés, car ils désignent un sexe particulier. Si on considère la chronologie de lenfance qui va de la naissance jusquà lâge de 13 ans, au moment du bar mitzwah (fils de la Loi), où lenfant en devenant soumis à la Loi, passe à lâge adulte, les six termes pointent vers un moment spécifique. Cette enfance se divise en deux parties, paidion, qui désigne lenfant de moins de 7 ans, et pais, qui désigne lenfant de 7 à 13 ans. Nēpios est le bébé au tout début de sa phase paidion, tout comme brephos dailleurs, mais ce dernier peut inclure lembryon dans le sein maternel. Quant au terme teknon, le plus fréquent dans le Nouveau Testament, cest lenfant sans aucune connotation dâge. Et teknion, son diminutif, concerne un adulte à qui on veut exprimer son affection et son attachement, comme en français lorsquon dit Ti-Jean, Ti-Louis, ou Loulou. Pour résumer ce qui vient dêtre dit, nous proposons le tableau qui suit basé sur ce que laisse entendre les évangélistes.
Chez Luc, sur les 13 occurrences du mot paidion, plus de la moitié se situent dans le récit de lenfance et désignent les bébés naissants que sont Jean-Baptiste et Jésus. Telle semble être la définition du mot chez Luc, puisque lorsquil raconte lescapade du jeune Jésus au temple pour discuter avec les maîtres, il ne parle plus de paidion, mais de pais (2, 43); quelle âge devait-il avoir alors, sept ou huit an? En dehors des récits de lenfance, la seule autre occurrence qui lui est propre se trouve dans la parabole de lami inopportun en 11, 7 (« et que de lintérieur lautre réponde: Ne me cause pas de tracas; maintenant la porte est fermée, et mes enfants (paidion) et moi sommes au lit; je ne puis me lever pour ten donner »; quel âge ont ces enfants au lit? Impossible de le dire, mais probablement très jeunes. Dans le reste de son évangile, les occurrences de paidion proviennent soit de la source Q (7, 32 : « Ils ressemblent à ces gamins (paidion) qui sont assis sur une place et sinterpellent les uns les autres »), soit des récits de Marc (9, 47-48; 18, 16-17), et donc ne peuvent être versées au dossier de Luc. De manière semblable à Luc, Matthieu concentre la moitié des occurrences de paidion dans son récit de lenfance de Jésus; en effet, le mot désigne Jésus jusque vers lâge de deux ans. Les seules autres occurrences qui lui sont propres concernent la conclusion des deux multiplications des pains (14, 21 : « Or ceux qui mangèrent étaient environ 5.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants (paidion); voir aussi 15, 38); Matthieu mentionne donc des gens qui nont pas de statut social, i.e. les femmes et les enfants, mais comment expliquer la présence denfants dans cette scène sinon quils étaient encore inséparables de leur mère. Marc nous apporte une tout autre perspective. Le mot paidion apparaît dans trois scènes : ressuscitation de la fille de Jaïre (5, 35-43) que Marc appelle paidion, même si elle a 12 ans, le récit de la Syrophénicienne (7, 24-30) où celle-ci mentionne à Jésus que les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants (paidion), des enfants quon peut imaginer avoir deux ou trois ans, et celle où on amène à Jésus des enfants pour quil leur touche mais qui indispose les disciples (10, 13-15), des enfants qui, selon la version de Luc (18, 15), son des bébés (brephos). Jean appartient à une classe à part avec ses trois scènes : dans celle du centurion royal (4, 46-54, les serviteurs parlent de son fils avec le mot pais, donc un enfant dau moins 7 ans, mais le père parle de son fils avec le mot paidion, peut-être pour mettre laccent sur laffection pour son fils; dans celle où Jésus utilise lanalogie de la femme en train daccoucher (16, 21), paidion désigne clairement lenfant naissant; dans la finale de lévangile, paidion est dans la bouche de Jésus pour interpeller ses disciples (21, 5), une expression daffection à leur égard. Que conclure? Pour Luc, paidion désigne des bébés dans leurs premiers mois de naissance, pour Matthieu les enfants dans leurs premières années, et pour Marc il ny a rien de systématique : paidion désigne en règle générale des enfants très jeunes, mais couvre aussi un enfant de douze ans. Jean rejoint Luc et Matthieu dans sa terminologie, mais devient unique en employant paidion pour décrire toute la tendresse et laffection du maître pour ses disciples adultes. Un mot sur la source Q dont nous avons un seul exemple : « Ils ressemblent à ces gamins (paidion) qui sont assis sur une place et sinterpellent les uns les autres » (Lc 7, 32 || Mt 11, 16); ces « gamins » ne sont pas encore en mesure daccompagner papa dans son travail quotidien comme il était habituel à lépoque, et donc sont encore à lâge de samuser avec dautres enfants sur la place publique, et donc devaient avoir entre 4 et 7 ans. Que ce soit Luc, Matthieu, Marc ou Jean, tous présentent une image positive de paidion, que ce soit sous les traits de Jésus ou Jean-Baptiste, ou dun être cher dont on veut la guérison, ou de disciples pour qui on nourrit une grande affection. |
Textes avec le nom paidion dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom pais dans le Nouveau Testament Textes avec le nom teknon dans le Nouveau Testament Textes avec le nom teknion dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ekaloun (ils appelaient) | Ekaloun est le verbe kaleō à limparfait de lindicatif actif, 3e personne du pluriel. Luc y recourt de manière régulière et fréquente : Mt = 26; Mc = 4; Lc = 43; Jn = 2; Ac = 18; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il possède deux grandes significations :
Chez Luc, la signification de nommer quelquun ou un lieu domine largement, surtout dans son récit de lenfance, et cest le cas ici. Mais qui est le sujet du verbe « nommer » au v. 59? Remarquons que le verbe est à limparfait « ils appelaient », et donc que ce nest pas une action terminée : cest plutôt une proposition. Mais quels sont ceux qui font cette proposition? Spontanément, on serait porté à dire : les parents. Mais Zacharie est muet, et la mère au verset suivant sera en désaccord avec la proposition. Il ne peut donc sagir des parents. Daprès le contexte, on peut penser que la proposition proviendrait du voisinage et de la parenté, ces derniers étant les sujets du verset précédent. Cette proposition suivrait la coutume dappeler laîné en fonction du nom du père. Pourquoi Luc nous fait-il un tel récit où sopposent deux noms à donner au Baptiste? Rappelons-nous la scène de la rencontre de Zacharie avec lange du Seigneur dans le temple : cest lange qui propose le nom de Jean (1, 13), un nom qui signifie : Yahvé fait grâce. Alors en insistant pour dire que le Baptiste ne portera pas le nom du père, mais celui qui vient de Dieu, Luc se trouve à affirmer que Jean aura une mission spéciale qui ne vient pas des hommes. |
Textes avec le verbe kaleō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
onomati (nom) | Onomati est le neutre génitif de onoma et signifie : nom. Il est évidemment très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 23; Mc = 15; Lc = 34; Jn = 25; Ac = 58; 1Jn = 3; 2Jn = 0; 3Jn = 2. Tout comme pour kaleō, Luc utilise ce mot plus que tous les autres, et dans son évangile il aime particulièrement introduire le nom de ses personnages avec « du nom de ».
Dans le Judaïsme en général, et les évangiles-Actes en particulier, onoma joue deux rôles.
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Textes avec le nom onoma dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
patros (père) | Patros est le génitif singulier du nom masculin patēr; il joue le rôle de complément de nom de « nom », i.e. on voulait donner à lenfant le nom du père. Comme on sen doute, le nom « père » est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 62; Mc = 18; Lc = 53; Jn = 130; Ac = 34; 1Jn = 14; 2Jn = 4; 3Jn = 0.
Tout comme en français, il peut revêtir diverses significations, du père biologique au père spirituel. Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut regrouper ces diverses significations en quatre catégories.
Chez Luc, sur les 53 occurrences de patēr, plus de la moitié (27 occurrences) désignent le père biologique, et dans la majorité des cas (23 occurrences) ce sont des références qui lui sont uniques; cest donc dire son importance. Il vaut la peine de faire ressortir limage du père qui se dégage de son évangile.
Cest dans ce cadre quil faut situer le père de Jean-Baptiste. Tout dabord, dans la naissance de Jean-Baptiste, il partage la vedette avec Élisabeth, et il apparaît dabord comme un homme de peu de foi qui demande une garantie dans la promesse de lange Gabriel. Mais par la suite, cest lui qui « officialisera » le nom de son nouveau-né, même si la mère avait déjà décidé de lui donner le nom de Jean, et cest lui qui fera la prière finale de gratitude, léquivalent du « magnificat » de Marie. |
Textes avec le nom patēr dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Zacharian (Zacharie) | Zacharian est le nom masculin Zacharias à laccusatif, car il est lobjet de laction du verbe « appeler » : on veut donner le nom de Zacharie au nouveau-né. Il sagit dun nom hébreu : zĕkaryâ, formé de deux mots, zĕkar, dérivé du verbe zākar (se souvenir), et du nom divin yâ (Yahvé), et donc signifie : Yahvé se souvient. Dans tout le Nouveau Testament, seul Luc mentionne ce Zacharie, de la classe sacerdotale dAbia, père de Jean-Baptiste et époux dÉlisabeth. Un autre Zacharie est mentionné par la source Q (Lc 11, 51 || Mt 23, 35), que reprennent Matthieu et Luc, ce Zacharie, fils du prêtre Yehoyada, dont parle 2 Chroniques 24, 17-22, que le roi Joas (9e s. avant lère moderne) fit lapider pour avoir reproché au peuple dêtre retourné au culte des pieux sacrés; Matthieu a probablement associé par erreur ce Zacharie avec le fils de Barachie, lun des douze petits prophètes (voir 23, 35). | Textes avec le nom Zacharias dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 60 Mais la mère intervint pour dire : « Absolument pas, il sappellera Jean ».
Littéralement : Et ayant répondu (apokritheisa) la mère (mētēr) de lui elle dit (eipen) : non (ouchi), mais il sera appelé Jean (Iōannēs). |
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apokritheisa (ayant répondu) | Apokritheisa est le verbe apokrinomai au participe aoriste, nominatif féminin singulier. Il est formé de la préposition apo (à partir de) et du verbe krinō (décider, choisir, juger, interpréter), et donc signifie littéralement : prendre une décision ou émettre un jugement à partir de ce qui a été dit, doù « répondre ». Il est extrêmement fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 55; Mc = 30; Lc = 46; Jn = 78; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais ce qui est remarquable dans les évangiles, cest de retrouver lexpression stéréotypée : « répondre et dire », le premier souvent au participe et le dernier exprimé par le verbe legō (dire) ou phēmi (déclarer), par exemple : « Mais ayant répondu, il (Jésus) dit » (Mt 15, 24). Les chiffres parlent deux-mêmes : Mt = 50; Mc = 19; Lc = 40; Jn = 32.
Comme le montrent ces chiffres, Luc aime cette structure qui fait partie de son style, si bien que lorsquil reprend des scènes de Marc, il se permet dajouter cette structure de phrase. Donnons quelques exemples : Exemple 1 (contexte : accusation de blasphème par les scribes et pharisiens)
Exemple 2 (contexte : Pharisiens et scribes sont choqués de ce que Jésus mange avec les pécheurs)
Exemple 3 (contexte : les Pharisiens sont choqués de ce que les disciples arrache des épis pour les manger le jour du sabbat)
Pourquoi Luc tient-il à faire précéder régulièrement le verbe « ayant répondu » au verbe « dire »? Bien sûr, lévangéliste nest pas là pour répondre. Mais on peut deviner quil veut introduire une forme de dialogue chez ses personnages : plutôt que davoir une suite de « il dit », comme on le voit souvent chez Marc, Luc précise que ce qui sera dit est une réponse à ce qui précède, introduisant une forme dinteraction. Ce style convient bien dans le milieu culturel grec auquel il appartient. |
Textes avec le verbe apokrinomai dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mētēr (mère) | Le nom mētēr signifie : mère, et nous a donné des mots français, comme maternité ou maternel. Comme on peut sy attendre dans une société patriarcale, ce nom est beaucoup moins présent dans les évangiles-Actes que le mot « père » ; dans ce dernier cas, on avait dénombré 315 occurrences, pour « mère » on se retrouve avec 75 occurrences seulement : Mt = 26; Mc = 17; Lc = 17; Jn = 11; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0 (et ailleurs dans le Nouveau Testament, le mot napparaît que 8 fois). Et on ne sera pas surpris dapprendre que sur les 75 occurrences, 13 appartiennent aux récits de lenfance de Luc (7) et de Matthieu (6). Et on peut regrouper en trois catégories les personnages qui portent le titre de mère.
Chez Luc, pour comprendre sa perception de la « mère », il faut faire une distinction entre le récit de lenfance et le reste de son évangile. Dans le récit de lenfance, deux figures de mère se dégagent, celle dÉlisabeth et celle de Marie, mais celle de Marie beaucoup plus que celle dÉlisabeth. En fait, le mot « mère » concernant Élisabeth nintervient quici au v. 60 pour lui attribuer un rôle dans la décision sur le nom de son fils. Par contre, Marie sera appelée « mère du Seigneur » (1, 43), cest à elle que sadresse le prophète Syméon pour annoncer que son fils sera en butte à la contradiction et quune épée transpercera son coeur de mère (2, 34-35), cest elle qui prend la parole pour parler à son fils lors de son escapade au temple et exprimer langoisse des parents (2, 48), enfin cest elle qui garde en mémoire tous les événements concernant son fils (2, 51); le père, Joseph, napparaît que comme simple figurant (il est le fiancé de Marie, il monte à Jérusalem avec elle pour se faire recenser, il est là avec elle quand les bergers viennent voir le nouveau-né, il se rend avec elle au temple pour la présentation de lenfant, et avec elle il se met à la recherche de Jésus lors de son escapade au temple, mais il ne dit aucun mot et ne prend aucune initiative de lui-même). Face à lenfant Jésus, cest la mère, Marie, qui joue un rôle majeur. Par contre, lorsquon passe au coeur de lévangile, ce quon appelle le ministère public de Jésus, Marie disparaît presque complètement; cest comme si nous avions affaire à deux auteurs différents. Dans son récit de lenfance, il fait référence 17 fois soit à la mère de Jésus (5 fois), soit à Marie (12 fois), mère de Jésus, si bien quil pourrait être qualifié dévangéliste de Marie. Mais, avec le ministère de Jésus, plus rien, ou presque. En fait la seule référence est la scène de la famille de Jésus qui veut le voir (8, 19-20), une scène quil reprend de Mc 3, 31-32. Et il est surprenant quil ne reprend même pas la scène de Mc 6, 3 où les gens mentionnent quon connaît sa mère, une scène avec laquelle il devait être familier. Quest-ce-à dire? Nous osons proposer deux explications.
Que faut-il conclure? Oui, Élisabeth est la mère de Jean-Baptiste, mais cest comme femme de foi quil nous la présente, elle qui a su reconnaître les signes de lEsprit quand Marie lui a rendu visite : « Et comment mest-il donné que vienne à moi la mère (mētēr) de mon Seigneur? » (1, 43) En dehors de son récit de lenfance, il nexiste quune seule scène qui lui soit propre (les autres étant une reprise de Marc ou de la source Q) où on parle de mère, celle de la veuve de Naïn dont le fils unique est décédé (7, 12-15) : la pointe du récit nest pas sur le rôle de mère de cette veuve, que sur le fait quil sagit dun fils unique, donc de la seule personne qui peut subvenir à ses besoins; il sagit dun geste de compassion de Jésus vis-à-vis dune veuve. |
Textes avec le nom mētēr dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eipen (elle dit) | Eipen est le verbe legō à laoriste indicatif actif, 3e personne du singulier. Il signifie : dire. Cest le verbe le plus utilisé dans les évangiles-Actes : Mt = 505; Mc = 290; Lc = 531; Jn = 480; Ac = 234; 1Jn = 5; 2Jn = 2; 3Jn = 0, soit un total de 2 047 fois. Luc, plus que tous les autres, y a recours. On pourrait être surpris du nombre doccurrences. Mais cela tient au fait de la façon dont on présentait le dialogue dans lantiquité. Aujourdhui, lorsquon veut signifier quil sagit des paroles dun interlocuteur, on met des guillemets (par ex. « »), ou encore dans un roman on utilisera des traits longs (par ex. ) suivis du contenu du dialogue. Mais cette ponctuation nexistait pas à lépoque du Nouveau Testament (les mots étaient écrits sans espace pour utiliser le moins de cuir possible). Alors la façon simple dindiquer au lecteur que ce qui suit est le contenu du dialogue, cest décrire : disant. Quelques exemples :
Cest exactement la situation que nous avons ici au v. 60 : Et ayant répondu, sa mère dit: "Absolument pas, il sappellera Jean" (en fait le texte grec na même pas toute cette ponctuation). Aujourdhui, nous écririons plutôt : sa mère répondit : « Non, il sappellera Jean ; le « dit » est redondant. |
Textes avec le verbe legō chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ouchi (non) | Ouchi est un adverbe de négation. Il est semblable à ladverbe ou (non, ne...pas), sauf quil est une négation renforcée, doù notre traduction : absolument pas. On le trouve quelquefois dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 9; Mc = 0; Lc = 18; Jn = 5; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. | Textes avec l'adverbe ouchi dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Iōannēs (Jean) |
Iōannēs est un nom propre, la version grecque du nom hébreu yĕhôḥānān ou yôḥānā, qui signifie : Yahweh fait grâce. Nous avons fait une longue analyse de la figure de Jean-Baptiste dans notre Glossaire; on sy réfèrera. Quil nous suffise den résumer les points principaux.
Jean a été surnommé le Baptiste en raison de son introduction de la pratique du baptême en eau vive pour le pardon des péchés, moyennant un repentir sincère. Notre mot « baptiser » vient du grec: baptizō, qui signifie plonger ou tremper dans leau, et cest de ce mot grec dont sest servi la Septante pour traduire lhébreu : ṭābal. Cette pratique de plonger quelquun dans leau pour exprimer le repentir et recevoir le pardon des péchés est différente des ablutions rituelles quon pratiquait à lépoque : les ablutions deau, par exemple avant de commencer ses fonctions liturgiques pour le prêtre au temple, ne signifiaient que le passage du monde profane au monde sacré, et navait aucun rapport avec le pardon des péchés et devaient être constamment répétées. La pratique du baptême était révolutionnaire, car elle se trouvait à faire limpasse sur le rôle du temple comme seul lieu du pardon des péchés à travers les divers sacrifices danimaux. Où Jean a-t-il puisé lidée dun baptême pour le pardon des péchés? Il est possible quil sest laissé inspirer par le récit de Naamân, le lépreux, chef de larmée du roi dAram, qui, à la demande du prophète Élisée, se plongea sept fois dans la Jourdain et vit sa peau devenir nette comme celle dun petit enfant (voir 2 R 5, 1-19). De plus, il est possible quil ait été sensible à la situation du peuple, incapable de respecter la minutie de toutes les règles de pureté rituelle, et donc incapable davoir accès au temple et à son pardon pour les péchés. Ce qui est clair, cest quil a su rejoindre tout le monde, purs et impurs, proposant un message universaliste. Lhistorien juif Flavius Josèphe na que de bons mots à son égard et note son succès populaire. Selon ce dernier, il a été victime de son succès, car le roi Hérode Antipas craignit son influence sur la foule et le fit emprisonner et tuer (selon les évangiles synoptiques, Hérode le fit tuer probablement à lautomne de lan 27, ou au début de lan 28, à cause de ses reproches sur son mariage avec la femme de son frère Philippe). Les premiers chrétiens ont pris un certain temps à comprendre son rôle, car le mouvement baptiste, initié par Jean, sest poursuivi de manière parallèle à celui de Jésus, avec parfois un sentiment de rivalité (voir Jn 3, 26; 4, 1-3). Il est peu probable que Jean-Baptiste a su que Jésus était le messie : de sa prison, il envoie des disciples senquérir si Jésus est le messie (Lc 7, 19 || Mt 11, 3), et surtout les disciples de Jean par la suite ignorent quil leur ait parlé de Jésus (voir Apollos en Ac 18, 25, et les disciples de Jean à Éphèse en Ac 19, 1-3). Paul de Tarse ignore totalement Jean-Baptiste. Quand Marc écrit son évangile vers lan 67 de notre ère, le climat semble plus serein, et surtout la relecture des Écritures, en particulier Exode 23, 20, Malachie 3, 1, et surtout Isaïe 40, 3, a permis de situer Jean-Baptiste dans le plan de Dieu : il a été le précurseur du messie. Daprès lévangéliste, il est lÉlie qui devait précéder la venue du messie (il est vêtu comme Élie, voir Mc 1, 6), et sa personne est tellement associée à Jésus quaprès sa mort on croit quil est de nouveau vivant en Jésus (Mc 8, 28). Matthieu, vers lan 80 ou 85, accentue la synchronisation entre la mission de Jean-Baptiste et celle de Jésus. Il introduit aussi du nouveau matériel, la source Q, où les deux missions se déroulent dans une atmosphère eschatologique. Le sommet de cette synchronisation est atteint avec Luc, à la même époque, qui nous brosse un tableau parallèle de la naissance du Baptiste et celle de Jésus, et où Élisabeth appelle Marie la mère de son Seigneur (Lc 1, 43), et où Zacharie dit de son fils Jean quil sera « appelé prophète du Très-Haut », car il marchera « devant le Seigneur, pour lui préparer les voies » (Lc 1, 76). Avec Jean vers lan 90 ou 95, dans une grande perspective théologique Jean-Baptiste est présenté comme celui qui est venu « pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui » (Jn 1, 7), et surtout il a indiqué clairement aux gens quil était le messie : « Voici lagneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Cest de lui que jai dit: Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce quavant moi il était » (Jn 1, 29). Il occupe maintenant une place essentielle dans la vision chrétienne de lhistoire. Dans lensemble, nous restons avec limage dun homme hors de lordinaire, dun innovateur qui a introduit le baptême deau pour le pardon des péchés, moyennant un sincère repentir, et par ce fait court-circuitant le temple de Jérusalem comme seul lieu du pardon des péchés, dun homme intègre, droit et passionné qui a suscité lenthousiasme des foules, dune force de caractère qui na pas eu peur de confronter les autorités, dun homme qui représente ce quil y a de meilleur dans le Judaïsme, et de qui on a dit : « Je vous le dis: de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il ny en a pas » (Lc 7, 28 || Mt 11, 11). Même si, sur le plan historique, il ny a aucune donnée qui permette de penser que Jean-Baptiste a reconnu en Jésus le messie promis, il nen reste pas moins, comme lont reconnu les évangiles beaucoup plus tard, quil a été un maillon essentiel dans la mission de Jésus. Et il a pu lêtre, parce quil a vécu cette parole quil a offerte à ses disciples, gênés devant lactivité de Jésus : « Un homme ne peut rien sattribuer au-delà de ce qui lui est donné du ciel » (Jn 3, 27); cest une façon de vivre sans agenda personnel, avec une ouverture complète aux événements et à la volonté de Dieu. Cest ainsi quil a ouvert la voie à celui qui allait transformer lhumanité. |
Textes avec le nom Iōannēs dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 61 On lui répondit : « Mais personne dans la famille ne porte ce nom ».
Littéralement : Et ils dirent à elle que personne (oudeis) nest (estin) de la parenté (syngeneias) de toi qui sappelle du nom celui-là. |
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oudeis (personne) | Oudeis est un adjectif indéfini, utilisé ici comme un substantif, et signifie : aucun, personne. Il est assez répandu dans les évangiles-Actes : Mt = 19; Mc = 26; Lc = 35; Jn = 53; Ac = 28; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Comme on peut le constater, Luc y a recours assez régulièrement : sur les 35 occurrences dans son évangile, 21 lui sont uniques (i.e. ne proviennent pas du fait quil recopie Marc ou la source Q, ou encore dune source quil partage avec Jean). Le mot sapplique soit à des personnes soit à des choses. Quelques exemples.
Personne
Chose
Ici, au v. 61, oudeis désigne évidemment une personne, une personne qui aurait pu porter le nom de Jean. |
Textes avec l'adjectif oudeis dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
estin (il est) | Estin est le verbe eimi à lindicatif présent, 3e personne du singulier. Il sagit du verbe « être », un verbe fondamental dans toutes les langues. Dans les évangiles-Actes, cest le verbe le plus fréquent après le verbe « dire », soit 1 596 occurrences : Mt = 279; Mc = 178; Lc = 351; Jn = 420; Ac = 267; 1Jn = 94; 2Jn = 5; 3Jn = 2.
En général, il exprime un état (je suis malade) ou lattribut dun objet (la maison est verte). En français, il sert aussi dauxiliaire au verbe (je suis tombé). Mais en grec, létendue de son utilisation est beaucoup plus grande.
Bref, le verbe « être » possède une vaste gamme dutilisation. Ici, au v. 61, il entend exprimer lappartenance : « personne nest de ta parenté qui sappelle du nom celui-là », rendu en français par « personne appartenant à ta parenté sappelle de ce nom-là », ou encore en assumant lappartenance : « personne de ta parenté sappelle de ce nom-là ». Lidée est que personne dans la parenté ne sappelle Jean, et donc on comprend mal pourquoi on veut lappeler : Jean. Sans doute, pour lévangéliste, en soulignant ce point, il entend insister sur la vocation unique de lenfant. |
Textes avec le verbe eimi chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
syngeneias (parenté) | Syngeneias est le génitif singulier du nom féminin syngeneia. Cest le nom associé à ladjectif syngenēs que nous avons analysé plus tôt. Il est très rare dans le Nouveau Testament, et en fait, il ne se retrouve que sous la plume de Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Nous avons fait remarquer que, pour ladjectif syngenēs, le terme est très flexible, pouvant désigner tout un clan, aussi bien que des membres précis de la famille. Mais en général il sagit de la famille au sens très large. En Ac 7, 14, Luc désigne avec syngeneia 75 personnes. On peut donc imaginer un groupe de gens qui ont un lien de sang quelconque, ou sont parents par alliance à travers les beaux parents. | Textes avec le nom syngeneia dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 62 Alors on faisait des signes au père pour connaître comment il souhaitait lappeler.
Littéralement : Puis, ils faisaient des signes (eneneuon) au père de lui [concernant] le quoi le cas échéant il souhaite (theloi) quil soit appelé lui. |
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eneneuon (ils faisaient des signes) |
Eneneuon est le verbe enneuō à limparfait de lindicatif, 3e personne du pluriel. Il est très rare dans toute la Bible, nétant présent quici, dans ce verset, puis dans le livre des Proverbes. Il est formé de la préposition « en » (dans, parmi), et du verbe neuō qui signifie : faire un signe de tête; et donc le verbe entend décrire une situation où quelquun (ou un groupe) fait des signes, incluant la tête, pour se faire comprendre.
Considérons simplement le verbe « neuō », les exemples suivants nous laissent une image assez claire de ce quil décrit :
Dans le premier exemple, on peut imaginer Simon-Pierre faire un mouvement de la tête en regardant le disciple bien-aimé, fronçant les sourcils, faisant peut-être un petit geste de la main exprimant la question : « sais-tu de qui il parle? » Dans le deuxième exemple, nous imaginons que le gouverneur a peut-être regardé Paul en faisant un mouvement de tête vers le haut pour linviter à parler. Mais il existe en grec diverses combinaisons du verbe neuō avec différentes prépositions. Il y a dabord la combinaison avec la préposition kata (en bas, sur) qui nous donne kataneuō : faire signe aux autres dans un environnement dautorité. Malheureusement, nous navons que lexemple suivant dans toute la Bible :
On peut difficilement imaginer un simple mouvement de la tête, sans quil y ait aussi un mouvement du bras pour indiquer aux gens de lautre barque de sapprocher. Il y a ensuite la combinaison avec la préposition epi (sur, selon, conformément) qui nous donne epineuō : faire un signe de tête pour consentir. Il y a un seul exemple dans le Nouveau Testament :
Aujourdhui, le mouvement de tête pour exprimer le consentement est celui de haut en bas, tandis que le refus est celui de droite à gauche. Était-ce la même chose au premier siècle? Cest possible. Il y a aussi la combinaison avec la préposition dia (à cause de, en vue de, par lintermédiaire) qui nous donne dianeuō : faire des signes, sexprimer par signes. Il y a un seul exemple dans le Nouveau Testament :
Il est difficile de saisir quelle nuance Luc entend apporter à cette scène avec dianeuō, alors quil connaît enneuō (Lc 1, 62), neuō (Ac 24, 10), et kataneuō (Lc 5, 7). Ailleurs, dans la Septante, nous navons que deux exemples de dianeuō (Ps 35, 19 (LXX Ps 34, 19), et Si 27, 22) : dans ces deux cas il sagit de faire un signe avec les yeux, i.e. cligner des yeux. On voit mal comment Zacharie communiquait en clignant des yeux. On pourrait examiner le terme hébreu qua traduit la Septante avec dianeuō dans le Ps 35, 19 (LXX : Ps 34, 19); il sagit de qāraṣ (pincer, piquer, serrer, mordre): « quils ne clignent (héb. qāraṣ; gr : dianeuō) pas de loeil ». On comprend lhébreu demployer qāraṣ au sens de « serrer » loeil, pour décrire le clignement de loeil. Mais si on veut aller plus loin dans létude de qāraṣ, on est vite déçu : les traducteurs de la Septante ne sont pas cohérents, et qāraṣ a été traduit par enneuō en Pr 6, 13 et 10, 10, deux cas où il sagit de cligner des yeux, mais il a été traduit par horizō (délimiter, déterminer, fixer, marquer) en Pr 16, 30 (héb. : « qui serre (qāraṣ) les lèvres a commis le mal »; grec : « il marque (horizō) avec ses lèvres tout le mal »). La seule autre occurrence de qāraṣ se trouve en Job 33, 6 qui a été traduit cette fois par diarrēgnymi (déchirer, rompre, percer) : héb. « Vois, devant Dieu je suis ton égal, jai été pétri (qāraṣ) dargile, moi aussi ! », grec « Tu as été formé (diarrēgnymi) dargile tout comme moi ; nous avons été formé (diarrēgnymi) de la même (substance). Bref, nous sommes laissés à notre propre imagination pour comprendre la signification chez Luc de dianeuō dans cette scène de Lc 1, 22 où Zacharie, devenu muet, cherche à se faire comprendre : il est possible que la préposition « dia » cherche à rendre lidée que Zacharie cherche à se faire comprendre « par lintermédiaire de » différents signes, donc par différents mouvements du corps. Enfin, il y a la combinaison avec la préposition ek (à partir de, en sortant de) qui nous donne ekneuō : il sagit donc de faire signe de son départ, doù la traduction habituelle de « se détourner subrepticement, disparaître, détourner la tête ». Il nexiste quune seule occurrence dans le Nouveau Testament :
Il est temps de revenir à enneuō après ce parcours des différentes variations autour de la même racine. Seuls Luc et Jean sont familiers avec ces variations. Il sagit de faire des signes, mais des signes qui ont diverses significations : des signes pour approuver, des signes pour ordonner dapprocher, des signes multiples pour se faire comprendre, des signes pour demander quelque chose. Ici, au v. 62, cest le voisinage qui fait des signes pour demander quelque chose à Zacharie. Ce détail de Luc est ici surprenant : jamais Luc ne nous a dit que Zacharie était sourd, et donc on pouvait certainement lui parler directement. En 1, 20, il prête ces paroles à lange Gabriel : « Et voici que tu vas être réduit au silence (siōpaō) et sans pouvoir parler (laleō) ». Le verbe siōpaō napparaît que dans les évangiles-Actes dans le Nouveau Testament et signifie simplement : demeurer silencieux, et jamais devenir sourd. Pour confirmer cette signification, lange ajoute : sans pouvoir parler (laleō). Alors pourquoi ce besoin des signes? Il faut donc assumer que pour Luc être muet impliquait nécessairement être sourd, et qu'à l'époque il n'existait pas d'exemple de qu'un quelqu'un simplement muet, tout en continuant à entendre. |
Textes avec le verbe enneuō dans la Bible Textes avec le verbe neuō dans la Bible Textes avec le verbe kataneuō dans la Bible Textes avec le verbe epineuō dans la Bible Textes avec le verbe dianeuō dans la Bible Textes avec le verbe ekneuō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
theloi (il souhaite) | Theloi est le verbe thelō à loptatif présent, 3e personne du singulier. Il signifie habituellement : vouloir. Loptatif est un temps grec qui est un peu léquivalent du subjonctif français où on exprime un souhait, un désir, comme dans lexpression : que la paix vienne sur terre. Voilà pourquoi ce verbe « vouloir » devient « souhaiter ». Le choix de Luc de loptatif est très intéressant. Car, revoyons la scène en se rappelant que nous sommes dans un monde patriarcal. Élisabeth a déjà déclaré fermement que son nom sera Jean. Maintenant, le voisinage se tourne vers le père et on sattendrait à ce que vienne de lui la décision finale qui fait autorité. Mais non, on demande plutôt ce quil « souhaite », comme pour se montrer inclusif et vérifier sil soutient sa femme. Ce nest pas surprenant de la part de Luc quon peut considérer comme « lévangéliste des femmes ». | Textes avec le verbe thelō chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 63 Après avoir demandé une tablette, il écrivit : son nom est Jean. Tout le monde fut surpris.
Littéralement : Et ayant demandé (aitēsas) une tablette (pinakidion), il écrivit (egrapsen) disant : Jean est nom de lui. Et ils sétonnèrent (ethaumasan) tous. |
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aitēsas (ayant demandé) | Aitēsas est le verbe aiteō au participe aoriste, et signifie : demander. Il est assez présent dans les évangiles-Actes : Mt = 14; Mc = 9; Lc = 11; Jn = 11; Ac = 10; 1Jn = 5; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Cest un verbe qui fait partie du vocabulaire de Luc, puisque dans les 11 occurrences de son évangile, 7 lui sont propres (ne sont pas une copie de Marc ou de la source Q); et il revient à plusieurs reprises dans les Actes. Il y a peu de choses à signaler sur ce verbe, sinon que sur les 11 occurrences de Luc, 5 se situent dans la section 11, 9-13 qui parle de la prière. | Textes avec le verbe aiteō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pinakidion (une tablette) | Pinakidion est un nom neutre. Il est le diminutif de pinax (planche, plateau) et signifie : une tablette pour écrire. Il sagit dune petite planche de bois blanchie à la chaux sur laquelle on pouvait écrire et aisément effacer ce qui avait été écrit; quand la tablette devenait trop noire, on la reblanchissait à la chaux (Le pinakidion est à distinguer du deltos, cette tablette à écrire également en bois, mais recouverte de cire noircie de suie sur laquelle on écrivait avec un stylet). Hippocrate (460 à 377 av. notre ère), lancêtre des médecins, laurait utilisé pour faire ses observations (Des épidémies, 6.8.7), ainsi que ses étudiants en médecine par la suite. Cest le cas aussi du médecin Claude Galien (129 à 216 de notre ère) qui exerça la médecine à Pergame et à Rome (sur la référence à pinakidion chez Hippocrate et Galien, voir Henry George Liddell, Robert Scott, A Greek-English Lexicon). Luc est le seul à y faire référence dans toute la Bible. Certains biblistes y voient un argument favorisant lidée que Luc aurait été médecin. | Textes avec le nom pinakidion dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
egrapsen (il écrivit) | Egrapsen est laoriste du verbe graphō qui signifie : écrire. Sil apparaît régulièrement dans les évangiles-Actes (Mt = 10; Mc = 9; Lc = 20; Jn = 22; Ac = 12; 1Jn = 13; 2Jn = 2; 3Jn = 3) et dans tout le Nouveau Testament, ce nest pas parce que les gens écrivent beaucoup, mais parce que tous ces auteurs font régulièrement référence à lÉcriture, en particulièrement en utilisant le verbe au passif : il est écrit. Chez Luc, sur les 32 occurrences de son évangile et de ses Actes, 23 (72%) renvoient à lÉcriture.
Dans lantiquité, la majorité des gens ne savaient ni lire ni écrire, doù lexistence de la profession des scribes; nous sommes dans une tradition orale. Selon John P. Meier (A Marginal Jew, v. 1, p. 253-315), savoir lire et écrire était rare et réservé à lélite intellectuelle. En même temps, Paul Johnson (A History of the Jews, p. 106), écrit : Dans leur lutte contre léducation grecque, des Juifs pieux ont commencé, dès la fin du 2e siècle avant J.-C., à développer un système national déducation. Aux anciennes écoles de scribes ont été progressivement ajoutées un réseau décoles locales où, en théorie du moins, tous les garçons juifs apprenaient la Torah. Ce développement a eu une grande importance dans la diffusion et la consolidation de la synagogue, dans la naissance du pharisaïsme en tant que mouvement enraciné dans léducation populaire et, éventuellement, dans la montée du rabbinat. Quoiquil en soit, dans lévangile de Luc on rencontre rarement une scène où quelquun écrit. À part cette scène avec Zacharie, il y a en fait une seule autre, celle de la parabole du gérant habile.
Dans cette scène, il ne sagit pas décrire un morceau de littérature, mais plutôt des chiffres. Nous navons pas mentionné lintroduction à lévangile de Luc.
Il faut évidemment assumer que lévangéliste savait lire et écrire, et le grec de Luc est raffiné, reflet dune grande éducation. On peut assumer la même chose de son interlocuteur, Théophile, réel ou fictif (Théophile signifie : ami de Dieu). Cest dans ce contexte que nous revenons à Zacharie que Luc nous présente en train décrire : son nom est Jean. Rappelons-nous que Zacharie est prêtre, et donc accepter le fait quil sache lire et écrire est tout à fait logique. Ceci dit, comme lensemble de son récit de lenfance ne peut être confirmé sur le plan historique et le fait que Luc ne semble pas bien connaître la Palestine (John P. Meier, A Marginal Jew, v. 2, p. 857, n. 92, H. Conzelman, The Theology of St. Luke, et bien dautres biblistes reconnaissent que Marc et Jean connaissent mieux la géographie de la Palestine que Luc), tout cela ne nous permet pas de nous baser sur cette scène pour nous faire une idée du degré dalphabétisation en Palestine au 1ier siècle. |
Textes avec le verbe graphō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ethaumasan (ils sétonnèrent) | Ethaumasan est le verbe thaumazō à laoriste, 3e personne du pluriel. On le retrouve ici et là dans les évangiles-Actes, mais surtout chez Luc : Mt = 7; Mc = 4; Lc = 13; Jn = 6; Ac = 5; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0; et sur les 13 occurrences de son évangile, 9 lui sont propres (i.e. ne sont pas une copie de Marc ou de la source Q). De manière générale, il signifie : sétonner. Mais létonnement peut survenir dans trois contextes différents.
Ici, au v. 63, le contexte est celui dun étonnement devant une situation qui laisse perplexe : on déroge à la règle habituelle de donner à laîné le nom du père. Je ne pense pas quon soit choqué, comme si cétait quelque chose doffensant; cest plutôt quon ne comprend pas. Qui est le sujet de cet étonnement? Depuis le v. 58b, Luc écrit constamment « ils ». Il faut remonter au v. 58a pour savoir de qui il sagit : le voisinage et la parenté. Ce sont eux qui sont étonnés. |
Textes avec le verbe thaumazō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 64 [Aussitôt] sa bouche souvrit et sa langue [se délia], et il se mit à reconnaître la bénédiction de Dieu.
Littéralement : Puis, fut ouvert (aneōchthē) la bouche (stoma) de lui immédiatement (parachrēma) et la langue (glōssa) de lui, et il parlait (elalei) bénissant (eulogōn) le Dieu (theon). |
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aneōchthē (il fut ouvert) | Aneōchthē est le verbe anoigō à laoriste passif, 3e personne du singulier. Il signifie : ouvrir. Mais comme le verbe est ici au passif, il faut traduire : fut ouvert. Quand un verbe est au passif dans les évangiles, cest souvent une façon de traduire laction de Dieu. En effet, qui a ouvert la bouche de Zacharie? Ailleurs chez Luc, on aura des phrases comme : « Ouvrant (anoigō) sa bouche... Philippe lui annonça (Ac 8, 35); « Ouvrant (anoigō) la bouche, Pierre dit... » (10, 34). Ainsi, si cest Zacharie qui sétait décidé à parler, Luc aurait écrit : Zacharie ouvrit la bouche et dit. Mais cest Dieu qui a rendu muet Zacharie par son ange (Lc 1, 20), et cest Dieu qui lui rend maintenant la parole.
Le verbe anoigō est peu fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 11; Mc = 1; Lc = 6; Jn = 10; Ac = 16; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il décrit une réalité qui peut être tant physique que symbolique. Sur le plan physique, il sagit de portes ou de tombeaux qui souvrent, de la bouche qui se met à parler, ou de cassette quon ouvre. Exemples :
Sur le plan symbolique, il fait référence aux yeux ou aux oreilles qui souvrent, une façon de traduire la transformation dune personne, lentrée dans le monde de la foi. De même, parler du ciel qui souvre cest affirmer que la communication entre le monde Dieu et celui des hommes est rétablie. Exemples :
Ici, la signification est à la fois physique et symbolique. Sur le plan physique, Zacharie, qui était muet jusquici, peut émettre des sons en ouvrant la bouche. Sur le plan symbolique, Zacharie est transformé : il nest plus la personne incroyante qui était à la source de son handicap. |
Textes avec le verbe anoigō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
stoma (bouche) | Le nom neutre stoma désigne la bouche. Il est peu fréquent dans les évangiles-Actes et est concentré chez Matthieu et Luc : Mt = 11; Mc = 0; Lc = 9; Jn = 1; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 2; 3Jn = 2. Dans le Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles et les Actes (32 sur les 37 occurrences), la bouche fait avant tout référence au siège de la parole : la parole de Dieu sest fait connaître par la bouche des prophètes (Lc 1, 70; Ac 3, 18) ou par la bouche de David (Ac 1, 16; 4, 25), ou par la bouche de Dieu lui-même (Mt 4, 4); pendant son ministère, des paroles de grâce sortent de la bouche de Jésus (4, 22), et ses ennemis lui tendant des pièges pour surprendre de sa bouche quelque parole (Lc 11, 54), et cest ce qui arrivent quand ils sécrient : « Quavons-nous encore besoin de témoignage? Car nous-mêmes lavons entendu de sa bouche! » (Lc 22, 71); à leur tour, les premiers chrétiens ouvrent la bouche pour proclamer la bonne nouvelle (Ac 8, 35; 10, 34; 15, 7; 22, 14). La bouche et le coeur de lêtre humain sont si intimement liés quils définissent son état : « ce qui sort de la bouche procède du coeur, et cest cela qui souille lhomme? » (Mt 15, 18)
On ne trouve que quatre occurrences où la bouche faire référence au fait de manger ou boire (par exemple : « Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis sévacue aux lieux daisance (Mt 15, 17; voir aussi Mt 15, 11 et Ac 11, 8); « On mit autour dune branche dhysope une éponge imbibée de vinaigre et on lapprocha de sa bouche » (Jn 19, 29)) Notons une expression unique quon trouve en 2 Jn 1, 22 (voir aussi 3 Jn 1, 14), pour exprimer le fait de se parler de vive voix : « Mais jespère vous rejoindre et vous parler de bouche à bouche, afin que notre joie soit parfaite ». Ici, au v. 64, la bouche est présentée comme le siège de la parole : Zacharie se met à parler, et comme on le verra plus loin, il proclamera à sa façon une parole de Dieu. |
Textes avec le nom stoma dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
parachrēma (immédiatement) | Parachrēma est un adverbe qui signifie : immédiatement, tout de suite, aussitôt, sur le champ. Dans tout le Nouveau Testament, il napparaît que chez Luc, à lexception de deux occurrences chez Matthieu dans la scène du figuier desséché (Mt 21, 19-20) : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 10; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Cest donc un adverbe tout à fait lucanien, quil préfère à ladverbe euthys (aussitôt) employé abondamment par Marc.
Quand Luc utilise parachrēma, il entend lier fortement une affirmation avec ce qui précède. Voyons de plus près.
Cest le cas ici au v. 64 : Zacharie retrouve la parole aussitôt après avoir écrit que le nom de lenfant est Jean. Quest-ce à dire? Le fait décrire que son nom est Jean est le signe que Zacharie sest mis finalement à croire à la parole de lange Gabriel. Cest son manque de foi qui lavait rendu muet (voir 1, 20), et cest maintenant par sa foi quil retrouve la parole. Ainsi, avec ladverbe parachrēma, Luc établi un lien ferme entre la foi exprimée par lécriture du nom de Jean et la capacité retrouvée de parler et de proclamer la parole. |
Textes avec l'adverbe parachrēma dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
glōssa (langue) |
Glōssa est un nom féminin qui signifie : langue. Il est rare dans les évangiles-Actes : Mt = 0; Mc = 3; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 6; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans tout le Nouveau Testament (Ph = 1; 1Co = 21; Rm = 2; Jc = 4; 1P = 1; Ap = 8), il désigne toujours la langue en tant quorgane de la parole, à lexception de Lc 16, 24 (« aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans leau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme ») et Ap 16, 10 (« alors, son royaume devint ténèbres, et lon se mordait la langue de douleur »).
Ici, dans la phrase de Luc, il y a quelque chose de boiteux, car Luc écrit littéralement : car sa bouche souvrit (anoigō) immédiatement et sa langue (glōssa), et il parlait (laleō) louant Dieu. On comprend quune bouche souvre, mais une langue de souvre pas (nulle part dans le Nouveau Testament ou dans la Septante on ne parle de langue qui souvre). Sur ce point, Marc 7, 35 écrit plus justement à propos de la guérison dun sourd-muet : « Et ses oreilles souvrirent (anoigō) et aussitôt le lien de sa langue (glōssa) se dénoua (luō) et il parlait (laleō) correctement ». Pourtant, Luc maîtrise le grec et écrit habituellement avec un art consommé. Au moins, on se serait attendu à une phrase comme celle de LXX Job 33, 2 : « Tu vois jouvre (anoigō) la bouche et ma langue (glōssa) se mit à parler (laleō) »; le verbe « parler » (laleō) est présent, mais fait partie de lautre membre de la phrase. Quoi quil en soit, selon R. Brown, ce cas est considéré comme un zeugma, c'est-à-dire une figure de style où le verbe affecte deux mots qui ne sont pas sur le même plan sémantique. Dans notre traduction, nous avons ajouté le mot « délier » : sa langue [se délia]. Tout cela ne change pas le fait que cest la langue qui parle et cest elle qui peut faire une prière de louange pour laction de Dieu. Ce rôle de la langue est un thème commun de toute la Bible. Par exemple :
La langue de Zacharie sest déliée pour célébrer les bénédictions de Dieu. |
Textes avec le nom glossa dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
elalei (il parlait) | Elalei est le verbe laleō à limparfait, 3e personne du singulier. Il signifie : parler, bavarder, papoter. Comme on peut limaginer, cest un mot fréquent, et Luc lutilise abondamment : Mt = 26; Mc = 21; Lc = 31; Jn = 59; Ac = 58; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Quand on examine de près lusage quil en fait, on peut créer trois catégories :
Ici, au v. 64, le fait pour Zacharie de parler exprime seulement un changement détat : le premier changement détat avait eu lieu au v. 20 (« voici que tu seras incapable de parler (laleō) »), et maintenant a lieu un second changement détat (« il parlait (laleō) »); notons que nous navons aucune indication du contenu de ce quil disait, sinon quil louait Dieu. Ainsi, le verbe « parler » nentend pas introduire ici un contenu quelconque, mais signifier un changement dans létat de Zacharie : il est désormais croyant. Notons que le verbe est à limparfait (« il parlait ») : cest une action commencée, mais non terminée, et qui se poursuivra. |
Textes avec le verbe laleō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eulogōn (bénissant) |
Eulogōn est le participe présent du verbe eulogeō. Ce dernier est formé de ladverbe eu (bien) et du verbe legō (dire). Il signifie donc littéralement : dire du bien ou dire de bonnes choses, doù le verbe français « louer ». Mais la Septante sest servie de ce verbe pour traduire lhébreu bārak (bénir). Aussi, on ne peut comprendre eulogeō si on ne comprend pas bārak.
Laction de bénir dans lAncien Testament Pour comprendre le verbe bénir dans lAncien Testament, on se réfèrera au glossaire. Résumons ce qui y est dit. Bénir est la prérogative exclusive de Dieu par laquelle il comble lêtre humain de bienfaits. Cest ainsi que dès lorigine, « Dieu les (les êtres vivants) bénit (bārak) et dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez leau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre" » (Gn 1, 22). Un être humain ne peut pas bénir un autre être humain, sinon par délégation, sinon en priant que Dieu le bénisse; ainsi, quand Isaac bénit son fils Jacob, il dit : « Que Dieu te donne la rosée du ciel et les gras terroirs, froment et vin en abondance! Que les peuples te servent, que des nations se prosternent devant toi! » (27, 29). Le roi lui-même nest quun médiateur, même si dans la phrase il est le sujet de laction de bénir : « Puis le roi (Salomon) se retourna et bénit (bārak) toute lassemblée dIsraël, et toute lassemblée dIsraël se tenait debout » (1R 8, 14); il faut sous entendre : au nom de Dieu. Mais il arrive aussi quune personne bénisse Dieu. Par exemple : « Salomon dit : "Béni (bārak) soit Yahvé, Dieu dIsraël, qui a accompli de sa main ce quil avait promis de sa bouche à mon père David" » (1R 8, 15)? Comment lêtre humain peut-il bénir Dieu? En fait, une telle phrase est toujours accompagnée dune proposition relative « qui » où se trouvent énumérés tous les bienfaits accordés par Dieu. En dautres mots, la phrase pourrait être résumée ainsi : voilà comment a été béni lhomme ou le peuple. Dans ce cas, le mot « béni » est une reconnaissance de ce qua fait Dieu; il fait partie dune prière de louange. Mais on ne peut simplement traduire par le verbe « louer », car il sagit plus quun souhait de dire de bons mots sur Dieu. Cest une confession de foi où quelquun reconnaît laction de Dieu, comme on le voit par exemple dans le psaume 135 qui, après avoir énuméré les merveilles accomplies par Dieu pour son peuple, se termine par : « Béni (bārak) soit Yahvé depuis Sion, lui qui habite Jérusalem! » (Ps 135, 21); cest une proclamation de foi. Laction de bénir dans les évangiles Dans les évangiles, on na aucune scène comme dans lAncien Testament où Dieu parle et bénit sa création; ce type danthropomorphisme a été éliminé. Mais lidée demeure où cest Dieu et Dieu seul qui peut bénir. Un exemple typique se trouve dans la parabole du jugement dernier chez Matthieu : « Alors le Roi dira à ceux de droite: Venez, les bénis (eulogeō) de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde » (Mt 25, 34); ceux que Dieu a bénis reçoivent lhéritage du royaume. Il y a deux types de situation où on parle de « bénir ». Il y a dabord la situation où Jésus prononce la bénédiction sur le pain : « prenant les cinq pains et les deux poissons, levant les yeux au ciel, il bénit (eulogeō), il rompit les pains et le donnait aux disciples » (Mc 6, 41 || Mt 14, 19 || Lc 9, 16); chez Marc eulogeō na pas de complément dobjet direct, et donc ne peut être traduit : il bénit les pains. Certains ont traduit par : il dit la bénédiction, une référence à leucharistie. De fait, cest comme ça que Jean nous présente sa version de la scène : « Jésus prit donc les pains et, ayant rendu grâce (eucharisteō), il les distribua » (Jn 6, 11). Dans sa seconde scène où Jésus nourrit la foule, Marc (ainsi que Luc qui fusionne les deux scènes en une seule) dira cette fois : il les bénit (les poissons); mais comme nous lavons fait remarquer pour « bénir » dans lAncien Testament, il sagit ici dune proclamation de foi que les pains ou les poissons sont un don de Dieu. Ce vocabulaire sera repris par Marc et Matthieu, lors du dernier repas de Jésus avec ses disciples : « Et tandis quils mangeaient, il prit du pain, bénit, rompit et leur donna en disant: "Prenez, ceci est mon corps." » (Mc 14, 22 || Mt 26, 26). Luc a préféré utiliser le verbe « rendre grâce » (eucharisteō) pour cette scène, et a gardé le verbe « bénir » pour un repas de Jésus ressuscité avec ses disciples (Lc 24, 50). Quon parle de « bénir » ou de « rendre grâce », lidée est la même, la reconnaissance dans la foi du don de Dieu, le seul qui peut bénir. Lautre situation où apparaît « bénir » est cette entrée triomphale de Jésus à Jérusalem où des gens disent : « Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! » (Mc 11, 9-10 || Mt 21, 9 || Lc 19, 38 || Jn 12, 13). Cest une citation du Psaume 118, 26 (LXX 117, 26 : « Béni (gr. eulogeō, héb. bārak) soit celui qui vient au nom du Seigneur! »). La source Q nous donne aussi un écho de cette scène : « Oui, je vous le dis, vous ne me verrez plus, jusquà ce quarrive le jour où vous direz: "Béni (eulogeō) soit celui qui vient au nom du Seigneur!" » (Mt 23, 39 || Lc 11, 35). Cest une interprétation messianique du psaume : le messie est béni, i.e. il est un don de Dieu, et pour la première communauté chrétienne, il sagit de Jésus. Laction de bénir chez Luc Luc mérite un traitement à part. Tout dabord, il est celui qui utilise le plus ce terme : Mt = 5; Mc = 5; Lc = 13; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais surtout il nous propose beaucoup dautres scènes que ceux des autres évangélistes où « bénir » est utilisé. En particulier, il est le seul évangéliste à nous présenter des gens qui bénissent Dieu : dans le récit de lenfance, Syméon reçoit lenfant Jésus dans des bras et bénit Dieu (2, 28), et son évangile se termine avec cette phrase : « et ils (les Onze et leurs compagnons) étaient constamment dans le Temple à bénir (eulogeō) Dieu ». Comme nous lavons vu plus tôt, il ne sagit pas simplement de dire de bons mots sur Dieu, mais dune proclamation de foi sur ce que Dieu est en train de réaliser, lui le seul qui peut bénir; on pourrait paraphraser en disant : on proclamait sa foi en la façon dont Dieu nous a béni. Lautre particularité de Luc est de nous présenter des scènes où on « bénit » des gens : Élisabeth bénit Marie et le fruit de son sein (1, 42), Syméon bénit Joseph et Marie (2, 28), Jésus demande de bénir ceux qui nous maudissent (6, 28), Jésus bénit ses disciples à Béthanie (24, 50-51), enfin Dieu a envoyé Jésus ressuscité bénir tous ceux qui se détourne de leur perversité (Ac 3, 26). Quest-ce que bénir une personne? Quand Élisabeth bénit Marie et son enfant, elle reconnaît dans la foi quelle a été comblée de bienfaits par Dieu; quand Syméon bénit Joseph et Marie, il reconnaît la même chose pour tout le couple; quand Jésus demande de bénir les ennemis, il demande quon prie Dieu pour quil fasse du bien à nos ennemis (le 2e membre de la phrase se lit ainsi : priez pour ceux qui vous diffament); quand Jésus ressuscité bénit les disciples à Béthanie, il reconnaît que Dieu les comblera de ses bienfaits dans leur mission. Cest dans ce contexte quil faut situer notre verset 64 où Zacharie se met à parler, « bénissant » Dieu. Cest une proclamation de foi où Zacharie reconnaît enfin que Dieu est intervenu dans sa vie. Cest cette foi qui lui a permis de retrouver la voix, et cest cette foi qui inspirera sa prière de louange au v. 67. Disons un mot sur les mots apparentés : ladjectif eulogētos (béni) et le substantif eulogia (bénédiction). Tout dabord, ladjectif eulogētos napparaît que deux fois dans les évangiles-Actes, et seulement six fois dans le reste du Nouveau Testament. Chez Marc 14, 61, le mot sert à désigner Dieu dans le monde juif : « Tu es le Christ, le Fils du Béni (eulogētos) »; car étant la source de toutes bénédiction, Dieu est le Béni. Chez Luc 1, 68, dans la prière de Zacharie, cest la reconnaissance de lintervention de Dieu qui a béni son peuple en le visitant et en lui apportant le salut, et donc Dieu est le Béni. Quant à eulogia (bénédiction), il est totalement absent des évangiles-Actes et napparaît que dans les épitres et lApocalypse. |
Textes avec le verbe eulogeō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
theon (Dieu) |
Theon est le nom masculin theos à laccusatif. Comme on peut facilement limaginer, il est extrêmement fréquent dans les évangiles-Actes, en particulier chez Luc (289 occurrences quant on combine son évangile et ses Actes) : Mt = 51; Mc = 49; Lc = 122; Jn = 83; Ac = 167; 1Jn = 62; 2Jn = 2; 3Jn = 3.
Cest le terme theos quont choisi les traducteurs de la Septante pour traduire le terme hébreu : ĕlōhîm (Gn 1, 1 : LXX « Au commencement, Dieu (héb. ĕlōhîm, grec theos) créa le ciel et la terre »), qui est un pluriel de majesté ou de plénitude ou dexcellence du singulier ʾēl (Gn 14, 18 : LXX « Et Melchisédech, roi de Salem, offrit des pains et du vin ; car il était prêtre du Dieu (héb. ʾēl, grec theos) Très-Haut ». Ce terme ʾēl correspond au nom générique pour désigner la divinité chez les peuples sémitiques voisins dIsraël. Une des étymologies possibles serait la racine ʾōl (être puissant, être prééminent) (voir Jean-Pierre Prévost, ēl, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 125). Pour les Juifs, le mot Dieu est un terme générique, mais Dieu a aussi un nom propre, qui est yhwh (traduit en français par Yaweh ou Yahvé) un mot qui provient du verbe hāyâ, qui signifie : être, arriver, devenir (Gn 1, 2 : « Or la terre était (hāyâ) vide et vague »). Selon Ex 3, 14-15, cest à Moïse, au buisson ardent, que Dieu aurait révélé son nom : « Dieu (ĕlōhîm) dit à Moïse: "Je suis (hāyâ) celui qui est (hāyâ)." Et il dit: "Voici ce que tu diras aux Israélites: Je suis (hāyâ) ma envoyé vers vous. Dieu (ĕlōhîm) dit encore à Moïse: "Tu parleras ainsi aux Israélites: Yahvé (yhwh), le Dieu (ĕlōhîm) de vos pères, le Dieu (ĕlōhîm) dAbraham, le Dieu (ĕlōhîm) dIsaac et le Dieu (ĕlōhîm) de Jacob ma envoyé vers vous. Cest mon nom pour toujours, cest ainsi que lon minvoquera de génération en génération ». Mais comme yhwh est un nom ineffable et quil était interdit de le prononcer, on le remplaçait par ʾādôn (Seigneur), ou sa forme emphatique ʾădōnāy (Seigneur), dans la proclamation verbale du texte de lÉcriture. La Septante, pour sa part, a simplement oblitéré le premier membre de lexpression « Yahvé Dieu », pour ne traduire que le mot Dieu avec theos; par exemple Gn 2, 4 (« Au temps où Yahvé (yhwh) Dieu (ĕlōhîm) fit la terre et le ciel » a été traduit : LXX « Au temps où Dieu (theos) fit la terre et le ciel ». Quand le nom Yahvé apparaît seul, il est simplement remplacé par theos (voir par exemple Gn 4, 1) ou par kyrios (Seigneur), léquivalent grec de ʾădōnāy : par exemple, en Gn 4, 13, lhébreu « Alors Caïn dit à Yahvé (yhwh) » devient en grec : « Caïn dit au Seigneur (kyrios) ». Voilà le contexte pour comprendre Dieu dans le Nouveau Testament. Dans les évangiles-Actes, on dira soit theos (Dieu), soit kyrios (Seigneur). Quant au nom propre Yahvé, il apparaît sous la forme de sa définition en Ex 3, 14-15, i.e. « Je suis (hāyâ) », qui devient en grec : egō eimi (expression surtout utilisée par Jean; sur le sujet voir le glossaire sur l'expression « Je suis »). Concentrons-nous maintenant sur Luc. Dentrée de jeu, disons quil est celui qui utilise le plus à la fois le mot theos et à la fois le mot kyrios. On peut imaginer quil a abondamment fréquenté la Septante. Le mot theos est si fréquent quil apparaît dans presque tous les contextes possibles. Jai pensé les regrouper sous un certain nombre de thèmes, présentés par le nombre doccurrences dans son évangile, en ordre décroissant.
On peut conclure que Dieu est omniprésent dans lunivers de Luc, et cela se reflète dans son évangile qui commence au temple (1, 9) et se termine au temple (24, 53). Et dans les sept catégories que nous avons identifiées pour comprendre le rôle que joue Dieu chez Luc, cest celui de Dieu comme finalité de la vie humaine qui revient le plus souvent. Et cest exactement ce rôle que joue Dieu dans ce v. 64 : il est lobjet de la foi et de la prière de Zacharie qui reconnaît en lui la source de tous les bienfaits. |
Textes avec le nom theos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 65 Tous les gens des alentours tombèrent dans un état de frémissement, et dans toute la région montagneuse de Judée on discutait de ces événements.
Littéralement : Et il arriva sur tous une peur (phobos) ceux qui étaient habitant autour (perioikountas) deux, et dans lentière (holē) région montagneuse (oreinē) de Judée (Ioudaias) il était discuté (dielaleito) toutes les paroles proncées (rhēmata) celles-là. |
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phobos (peur) | Phobos est un nom masculin quon traduit habituellement par « peur » ou « crainte »; cest ce mot grec qui nous a donné le mot français : phobie. Il nest pas très fréquent dans les évangiles-Actes, mais cest Luc qui lutilise le plus : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 3; Ac = 5; 1Jn = 3; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Quand on analyse attentivement les occurrences de phobos dans les évangiles-Actes, on constate que la traduction « peur » ou « crainte » ne rend pas vraiment compte de ce qui se passe et des sentiments vécus. Aussi, nous proposons de regrouper ces occurrences en quatre catégories.
On ne peut simplement analyser le nom phobos sans aussi analyser le verbe apparenté phobeō (craindre, avoir peur), qui est beaucoup plus fréquent. Encore là, Luc domine son utilisation : Mt = 18; Mc = 12; Lc = 23; Jn = 5; Ac = 14; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Comme nous lavons fait pour phobos, on peut regrouper les diverses occurrences de phobeō dans les mêmes quatre catégories (on pourra consulter les diverses occurrences et leur catégories par le lien dans la marge droite). Notons que Luc reprend une expression bien connue de lAncien Testament : ne crains pas, i.e. arrêtez de frémir. En effet, quand Dieu fait sentir sa présence, lhomme est bouleversé, ce que nous avons rangé dans la première catégorie, et lhomme doit être rassuré. Par exemple :
Cest ainsi que Luc nous présente des scènes semblables. Par exemple :
Enfin, le verbe phobeō chez Luc sert à désigner une catégorie de gens appelés : craignant Dieu. Il sagit de non-Juifs, séduits par le monothéisme du Judaïsme, en adopte certaines pratiques, comme le sabbat, les prescriptions alimentaires, le tribut au temple et les pèlerinages annuels, sans aller jusquà la circoncision. Comme nous lavons déjà mentionné le mot crainte renvoie au respect accordé à Dieu et à ses préceptes, ce que nous avons rangé dans la quatrième catégorie. Par exemple :
Chez Luc, de manière générale, le bouleversement provenant de lintervention de Dieu et la présence de gens pieux et pleins de la crainte de Dieu est très présent, plus particulièrement dans les récits de lenfance. Ici, au v. 65, en mentionnant que les gens dalentour vivent un « frémissement » (phobos), Luc signifie quils ne vivent pas seulement une surprise sur le nom donné à lenfant, particulièrement le fait de donner le même nom à l'enfant avant que les parents puissent communiquer entre eux, mais reconnaissent une intervention de Dieu dans le couple de Zacharie et Élisabeth. |
Textes avec le nom phobos dans le Nouveau Testament
Textes avec le verbe phobeō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
perioikountas (qui étaient habitant autour) | Perioikountas est le participe présent du verbe perioikeō. Ce dernier est formé de la préposition peri (autour de) et du verbe oikeō (habiter), doù la traduction : habiter autour, i.e. les voisins. Cest ici la seule référence à ce verbe dans toute la Bible grecque.
Luc laisse entendre que tout le patelin où vivaient Élisabeth et Zacharie étaient au courant de lévénement et partageaient les mêmes sentiments. |
Textes avec le verbe perioikeō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
holē (entière) | Holē est le datif féminin singulier de ladjectif holos (entier, total, ensemble). Cest un mot assez général quon trouve régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 22; Mc = 18; Lc = 17; Jn = 6; Ac = 19; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez Luc, cette référence à la totalité sapplique à différentes réalités.
Elle sapplique dabord à un territoire géographie pour désigner la totalité dun territoire. En particulier, il est le seul évangéliste à parler de « toute la Judée ». Par exemples :
Elle sapplique aussi à lêtre humain pour désigner lintégralité de son être. Par exemples :
Elle sapplique également à un groupe de personnes pour désigner lintégralité de ce groupe. Par exemples :
À laccasion, elle peut sappliquer à une période de temps pour désigner lintégralité de cette période. Par exemples :
Enfin, elle peut désigner des objets matériels pour en désigner lintégralité.
Ici, au v. 65, holos fait référence à lintégralité dun territoire, soit celui de la Judée. On peut soupconner une forme denflure typique dun récit populaire en laissant croire que toute la population de Judée était au courant de lévénement. |
Textes avec l'adjectif holos chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
oreinē (région montagneuse) | Oreinē est ladjectif oreinos au datif féminin et signifie : montagneux. Il est utilisé ici comme substantif et on le traduit habituellement par : région montagneuse. Le mot est très rare dans tout le Nouveau Testament et napparaît que dans le récit de lenfance de Luc, ici et en 1, 39. Et il est toujours associé à la Judée.
De fait, on se réfèrera à la carte topographique de la Palestine (lien dans la marge de droite) pour constater que la Judée est effectivement une région montagneuse. Par exemple, Jérusalem est à 754 mètres daltitude, Bethléem à 775 mètres, Hébron à 930 mètres. La tradition, quil est impossible de confirmer historiquement, place le lieu de résidence dÉlisabeth et Zacharie dans le village dAin Karim, à 6 kilomètres de Jérusalem; il sagirait dun lieu réservé aux prêtres et aux lévites leur permettant de demeurer non loin du temple et de se déplacer pour le tour quils assuraient tous les six mois. Aujourdhui, deux églises rappellent les événements dont parle Luc, léglise de la Visitation et celle de Saint-Jean-Baptiste. |
Textes avec l'adjectif oreinos dans le Nouveau Testament
Pour constater que la Judée est une région montagneuse, voir la cartographie de la Palestine | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ioudaias (Judée) | Ioudaias est le nom Ioudaia au génitif féminin singulier et signifie : Judée. Il nest pas très fréquent dans le Nouveau Testament et napparaît que dans les évangiles-Actes, à lexception de quatre occurrences chez Paul : Mt = 8; Mc = 4; Lc = 10; Jn = 7; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Au temps de Jésus, il désigne la région qui constitue la partie sud de la Palestine, et la distingue de la Samarie au centre et de la Galilée au nord. Cest cette définition quon retrouve chez tous les évangélistes et Paul, à lexception de Luc où le terme désigne parfois tout le territoire des Juifs, i.e. la Palestine (un usage probablement répandu dans le monde romain) et parfois cette région du sud de la Palestine.
Région sud de la Palestine
Toute la Palestine
Ici, de manière très claire, Ioudaia désigne cette partie sud de la Palestine, une région montagneuse. |
Textes avec le nom Ioudaia dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
dielaleito (il était discuté) | Dielaleito est le verbe dialaleō à limparfait indicatif passif, 3e personne du pluriel. Il est formé de la préposition dia (par le moyen de, avec) et du verbe laleō (parler), et signifie donc : parler avec, discuter, délibérer. Il est très rare et napparaît que deux fois dans toute la Bible grecque, et les deux fois chez Luc, ici et en 6, 11; dans le premier cas, cest une discussion pour approfondir le mystère dévénements inhabituels où on voit une intervention de Dieu, dans le deuxième cas cest une discussion pour se débarrasser de Jésus.
Ici, on notera linsistance de Luc sur la dimension communautaire de la réflexion : on discute avec dautres. Le verbe est à limparfait, car cest une réflexion qui se poursuit, qui nest pas achevée. Le verbe est au passif, car le sujet concerne des événements qui sortent de lordinaire et posent question. |
Textes avec le verbe dialaleō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
rhēmata (paroles prononcées) | Rhēmata est le nom rhēma au nominatif neutre pluriel. Il désigne le contenu dune parole prononcée ou dune déclaration, et comme ce contenu peut concerner des événements, il peut désigner les choses qui se sont produites, ou de manière plus générale, le sujet dont on a parlé. On le traduit donc de diverses manières selon le contexte : parole, dire, propos, déclaration, événement, sujet. Donnons quelques exemples chez Luc.
Ce mot apparaît à quelques reprises dans lensemble du Nouveau Testament, et dans les évangiles-Acte, cest surtout Luc et Jean qui lutilisent : Mt = 5; Mc = 2; Lc = 19; Jn = 12; Ac = 14; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il est tout à fait lucanien, puisque sur les 19 occurrences dans son évangile, 17 lui sont propres, i.e. seules deux occurrences sont une copie de Marc. Ici, que désigne rhēma? Ce qui précède renvoie au fait que Zacharie se mit soudainement à parler, alors quil était muet jusquici. Mais il y aussi le fait du nom de lenfant, Jean, qui est très particulier en nétant pas un emprunt à celui du père, et donc signe dun destin unique. Il faut également ajouter que le père et la mère, sans se consulter, on choisi le même nom pour leur enfant, signe de la main de Dieu, tout comme il faut ajouter la naissance dune mère qui nétait plus en âge denfanter, un autre signe de lintervention de Dieu. Tout cela donne matière à réflexion. |
Textes avec le nom rhēma dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 66 Tous ceux qui apprirent la chose la gardèrent en mémoire et se demandaient : « Que deviendra cet enfant? » Laction de Dieu laccompagnait.
Littéralement : Et ils se mirent (ethento) tous les ayant entendu dans le coeur (kardia) deux disant : quoi donc lenfant celui-là il sera? Et car main (cheir) du Seigneur était avec lui. |
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ethento (ils se mirent) | Ethento est le verbe tithēmi à laoriste moyen, 3e personne du pluriel. À part Matthieu, il est assez fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 5; Mc = 11; Lc = 15; Jn = 18; Ac = 23; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Fondamentalement, il signifie : mettre. Mais comme en français, « mettre » peut prendre diverses significations selon le contexte : placer, poser, déposer, fixer. Considérons des exemples chez Luc.
Habituellement, il sagit de mettre ou placer un objet quelque part, au sens local.
Mais parfois, on met ou place une personne dans une catégorie ou dans une fonction.
Il arrive aussi quon place quelque part des réalités intangibles, comme des paroles, des sentiments ou des idées.
Parfois, il sagit détablir, poser ou fixer quelque chose dans un but précis.
Enfin, mentionnons le cas où on place son argent à la banque, ou on y fait un dépôt.
Ici, au v. 66 on parle de mettre dans son coeur ce quon a entendu, et donc de placer en soi des réalités intangibles. Cela signifie les conserver en mémoire pour essayer de saisir lidentité unique de Jean-Baptiste. |
Textes avec le verbe tithēmi dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kardia (coeur) | Kardia est le datif féminin singulier du nom kardia (coeur). Comme on peut limaginer, cest un mot assez fréquent dans lensemble du Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 16; Mc = 11; Lc = 22; Jn = 7; Ac = 20; 1Jn = 4; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais dans ce dernier cas, le mot ne désigne jamais lorgane du corps biologique. À part le cas de Mt 12, 40 où il renvoie à la partie interne dune chose (« le Fils de lhomme sera dans le coeur de la terre durant trois jours et trois nuits »), il fait toujours référence à cette partie intime de lêtre humain habitée par des émotions, des sentiments et des désirs, où se trouve le siège de la connaissance, de la réflexion, des décisions, et la source de ses actions. Regardons de plus près ce que Luc nous en dit.
Lêtre humain dans ses émotions, ses sentiments et ses désirs. Par exemples :
Lêtre humain en tant quêtre de la parole, dabord, dans sa capacité dentendre cette parole et de la mémoriser, afin dy réfléchir par la suite. Par exemples :
Lêtre humain en tant quêtre de la parole, et capable de poser des questions, de réfléchir et de comprendre, bref de penser. Par exemples :
Lêtre humain dans son aspect moral, qui parfois souvre, parfois se ferme face à ce quil voit et entend, et donc exprime une certaine attitude et orientation face à la vie. Par exemples :
Lêtre humain dans son aspect moral où sexprime ses intérêts et ses valeurs, où se prennent ses décisions qui sont à la source de son action libre. Par exemples :
Ici, au v. 66, le coeur désigne la partie intime de tous ceux qui ont entendu ce qui a été dit sur les événements entourant Élisabeth et Zacharie et où a lieu un questionnement et une réflexion. Pour Luc, le coeur joue un rôle important, car cest là le lieu où Dieu peut intervenir : à travers les événements inhabituels, il amène les gens à sinterroger, à réfléchir, et éventuellement à souvrir à la foi. Et cest là que Jésus ressuscité fait sentir sa présence : « Notre coeur nétait-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures? » (Lc 24, 32). Et cest le coeur qui distingue les êtres humains devant Dieu : « Il leur dit: "Vous êtes, vous, ceux qui se donnent pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos coeurs; car ce qui est élevé pour les hommes est objet de dégoût devant Dieu" » (Lc 16, 15). |
Textes avec le nom kardia dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
cheir (main) | Cheir est le nominatif féminin singulier du nom cheir (main). Bien entendu, il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 24; Mc = 26; Lc = 26; Jn = 15; Ac = 45; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Sa signification semble évidente en désignant la main, mais comme on le voit dans lAncien Testament, cette main est parfois physique, i.e. elle opère une action concrète et pratique, parfois symbolique, i.e. elle apparaît dans un contexte où prime sa signification symbolique. En effet, la main est ce qui permet à une personne dagir, de fabriquer des choses ou de faire des signes, et de là elle peut revêtir une signification qui dépasse le simple geste concret et traduit lidée de puissance ou de contrôle. Examinons comment Luc utilise ce mot. Notons que dans son évangile et ses Actes sur les 71 occurrences du mot, presque 70% de ces occurrences apparaissent dans un contexte où la main prend un sens symbolique.
Commençons par la main physique. Elle « tient la pelle à vanner » (Lc 1, 71) ou la charrue (Lc 9, 52); elle permet aux disciples de froisser les épis (Lc 6, 1); la main droite et sèche dun homme est guérie par Jésus (Lc 6, 8.10); un père met au doigt de la main de son fils un anneau (Lc 15, 22); ce sont les marques aux mains et aux pieds de Jésus qui permettent de lidentifier après la résurrection (Lc 24, 39-40); cest en leur prenant la main que Pierre guérit ou ressuscite quelquun (Ac 3, 7; 9, 41); cest avec leurs mains que des Juifs ont fabriqué un veau dor ou que les Éphésiens ont fabriqué des idoles (Ac 7, 71; 19, 26); un ange enlève les chaînes aux mains quand Pierre est en prison, et le Agabus se lie les mains pour transmettre un message (Ac 12, 7; 21, 11); cest par la main que le tribun prend le fils de la soeur de Paul pour lamener à lécart et lécouter (Ac 23, 19); cest par la main des apôtres et des anciens quest écrite cette lettre pour lÉglise à la suite du concile de Jérusalem (Ac 15, 23); et cest à la main de Paul que saccroche une vipère (Ac 28, 3-4). Mais cest dans sa fonction symbolique que Luc utilise le plus ce mot.
Bref, Luc a beaucoup recours à lutilisation de la fonction symbolique de la main, et dans son évangile, sur les 14 occurrences dans un contexte symbolique, 12 lui sont propres (ne sont pas une recopie de Marc). Cest le cas ici au v. 66 : lutilisation de lexpression « la main du Seigneur » reprend ce quon trouve régulièrement dans lAncien Testament (par exemple, Ezéchiel 8, 1 : « La sixième année, au sixième mois, le cinq du mois, jétais assis chez moi et les anciens de Juda étaient assis devant moi; cest là que la main du Seigneur Yahvé sabattit sur moi ») pour exprimer lintervention de Dieu dans lhistoire; cette fois, Dieu manifeste son action à travers Jean-Baptiste. |
Textes avec le nom cheir dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 80 Lenfant grandissait et son intelligence devenait plus forte, pendant quil vivait dans les régions désertiques jusquau temps où il se fit connaître en Israël.
Littéralement : Puis, lenfant grandissait (ēuxanen) et il se fortifiait (ekrataiouto) en esprit (pneumati), et il était dans les régions désertiques (erēmois) jusquà ce que des jours de manifestation (anadeixeōs) de lui en faveur dIsraël (Israēl). |
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ēuxanen (il grandissait) | Ēuxanen est le verbe auxanō à limparfait de lindicatif actif et signifie : croître, grandir. Il est assez rare dans lensemble du Nouveau Testament (23 occurrences), et plus particulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Si on voulait être plus précis, il faudrait mentionner que les deux occurrences chez Matthieu sont une recopie de Marc et de la source Q, tout comme deux des quatre occurrences de lévangile de Luc; ainsi on se retrouve avec deux occurrences dans lévangile de Luc qui sont de la plume de Luc, une occurrence chez Jean, et quatre dans les Actes des Apôtres. On pourrait aussi mentionner le verbe synauxanō, formé de la préposition syn (avec) et du verbe auxanō, et qui signifie donc : grandir avec, grandir ensemble; mais il napparaît quune seule fois dans toute la Bible, en Mt 13, 30 (« Laissez lun et lautre croître ensemble (synauxanō) jusquà la moisson; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs: Ramassez dabord livraie et liez-la en bottes que lon fera brûler; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier »). Bref, auxanō est un verbe peu fréquent, et est présent avant tout chez Luc.
Le verbe croître dans les évangiles-Actes apparaît dans quatre contextes différents.
Au v. 80, il sagit avant tout de la croissance physique de lenfant Jean-Baptiste, mais cette croissance permet également sa croissance psychologique, intellectuelle et spirituelle. Tout au long de son évangile, Luc aime souligner les cheminements de la vie, comme celui de compréhension de la croix avec les disciples qui sont en marche avec Jésus à partir de 9, 51 jusquà larrivée à Jérusalem (« Or il advint, comme saccomplissait le temps où il devait être enlevé, quil prit résolument le chemin de Jérusalem »), ou encore comme les disciples dEmmaüs qui font lexpérience de Jésus ressuscité en cheminant sur la route (24,13 : « deux dentre eux faisaient route vers un village du nom dEmmaüs »). Parler de cheminement, cest parler de croissance. Et ici, le verbe est à limparfait, et donc traduit lidée dune croissance qui se poursuit. |
Textes avec le verbe auxanō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ekrataiouto (il se fortifiait) | Ekrataiouto est limparfait de lindicatif moyen de krataioō qui signifie : devenir fort. Ici, le verbe est à la voix moyenne, et donc devient un verbe réfléchi, doù la traduction française : il se fortifiait. Dans tout le Nouveau Testament, on ne trouve que quatre occurrences de ce mot, deux dans les épitres dites pauliniennes, et deux dans lévangile selon Luc.
Quest-ce qui se fortifie, quest-ce qui devient plus fort? Dans les épitres dites pauliniennes, il sagit de la foi du croyant (1 Co 16, 13 : « demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, soyez forts »), et cela nest possible quen laissant lEsprit Saint agir en soi (Ep 3, 16 : « vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous lhomme intérieur »). Mais ici, avec lenfant Jean-Baptiste, nous sommes sur un autre registre : cest lesprit de Jean-Baptiste qui se fortifie. Aussi tournons-nous vers la signification du mot « esprit » dans ce contexte. |
Textes avec le verbe krataioō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pneumati (esprit) |
Pneumati est le datif du nom neutre pneuma et il est généralement traduit par : esprit. Pour une présentation de pneuma, on consultera le Glossaire. Résumons-en les points principaux. Le mot est dérivé du verbe pneō qui signifie : souffler, exhaler une odeur, respirer. Chez les auteurs grecs classiques, le substantif neutre pneuma renvoie dabord au souffle du vent, ensuite à la respiration, à lhaleine ou à lodeur du parfum. Dans la traduction grecque de la Bible hébraïque, appelée la Septante, pneuma traduit le mot hébreu rûaḥ qui désigne
Dans ce dernier cas, si on se fie au livre de la Sagesse, les êtres humains sont en mesure de saisir les intentions de Dieu, parce quils ont reçus de lui cette réalité immatérielle et dynamique : « Et ton souffle (pneuma) incorruptible est en tous les êtres » (12, 1). Dans les évangiles-Actes-épitres de Jean, cest un mot fréquent, surtout chez Luc : Mt = 19; Mc = 23; Lc = 36; Jn = 24; Ac = 70; 1Jn = 12 (plus de 240 occurrences dans lensemble du Nouveau Testament). Quand on parcourt les évangiles-Actes, le mot pneuma sert à désigner trois réalités différentes.
Ici, au v. 80, pneuma renvoie à cette dernière catégorie de lêtre humain doué dun souffle de vie : cest ce pneuma de lenfant Jean-Baptiste qui devient plus fort. Mais comment un souffle de vie peut-il devenir plus fort? En fait, le pneuma de lêtre humain désigne tout lêtre humain en tant quêtre qui est sensible, qui pense et agit. Quand on parcourt les évangiles-Actes, on note que cet aspect du pneuma est souvent synonyme de « coeur » (kardia). Ainsi, tout ce que nous avons dit sur le coeur sapplique parfois à pneuma chez lêtre humain. Nous avons dit que le coeur renvoie à lêtre humain dans ses émotions, ses sentiments et ses désirs. On peut dire parfois la même chose de pneuma quand il désigne lêtre humain. Comparons ces deux références :
Nous avons dit que le coeur renvoie à lêtre humain en tant quêtre de la parole, et capable de poser des questions, de réfléchir et de comprendre, bref de penser. On peut dire parfois la même chose de pneuma quand il désigne lêtre humain. Comparons ces deux références :
Nous avons dit que le coeur renvoie à lêtre humain dans son aspect moral, qui parfois souvre, parfois se ferme face à ce quil voit et entend, et donc exprime une certaine attitude et orientation face à la vie. On peut dire parfois la même chose de pneuma quand il désigne lêtre humain. Comparons ces deux références :
Nous avons dit que le coeur renvoie à lêtre humain dans son aspect moral où sexprime ses intérêts et ses valeurs, où se prennent ses décisions qui sont à la source de son action libre. On peut dire parfois la même chose de pneuma quand il désigne lêtre humain. Comparons ces deux références :
Si les deux termes apparaissent souvent synonymes, sont-ils équivalents ou identiques? Pas tout à fait. Considérons dabord cette parole chez Marc 14, 38 : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: lesprit (pneuma) est ardent, mais la chair est faible ». En dautres mots, lêtre humain dans son aspect moral peut avoir les plus belles valeurs et les meilleures intentions du monde, il lui arrive dêtre incapable dagir en fonction de ces valeurs et de ces intentions. Mais jamais on a des considérations semblables en parlant du coeur et en mettant en opposition coeur-chair; le coeur est lêtre humain concret et existentiel, avec parfois un coeur noble et généreux (Lc 8, 15), avec parfois un coeur superbe (Lc 1, 51), avec parfois un coeur pur (Mt 5, 8), avec parfois un coeur endurci (Mc 6, 52) ou un coeur qui nest pas droit (Ac 8, 21). Lesprit, par contre, est ce souffle reçu de Dieu par lêtre humain et qui lui permet de lui ressembler; nous sommes au niveau de la définition de lêtre humain, non au niveau existentiel. Et surtout quand on meurt, on remet son esprit (Lc 23, 46 || Mt 27, 50), et quand Jésus ressuscite la fille de Jaïre, lévangéliste écrit : « Son esprit revint, et elle se leva à linstant même » (Lc 8, 55). Jamais on ne remet son coeur quand on meurt. Bref, dans la plage des significations du coeur et de lesprit, certains éléments se recoupent, dautres divergent. Revenons au v. 80 et à lexpression : son esprit devenait plus fort. Cela signifie que le souffle reçu de Dieu qui lui permet de lui ressembler en ayant des sentiments, en pouvant souvrir à la parole et à la réalité, comprendre et penser, prendre des décisions et agir, tout cela se développait. Et ce développement allait de manière parallèle au développement physique. |
Textes avec le nom pneuma chez Luc | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
erēmois (régions désertiques) | Erēmois est le datif féminin pluriel de ladjectif erēmos : désert, vide, désolé, stérile, vacant. Ici, il est utilisé sous une forme nominale, sous-entendant : (lieu) désertique, inhabité. On le rencontre régulièrement dans les évangiles-Actes, souvent dans scènes en référence à Jean-Baptiste ou Jésus ou au séjour du peuple juif au désert : Mt = 8; Mc = 9; Lc = 10; Jn = 5; Ac = 9; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Il ne faut pas imaginer un lieu sablonneux comme le Sahara. Il sagit plutôt dun endroit non habité, isolé, sauvage. Dailleurs, le mot est ici au pluriel et donc doit être traduit : lieux ou régions désertiques, i.e. lieux isolés, non habités. Or, si on se fie à Isaïe, la région du Jourdain contenait des lieux isolés : « Et les déserts (erēmos) du Jourdain fleuriront, et ils seront dans la joie : la gloire du Liban leur a été donnée, et les honneurs du Carmel ; et mon peuple verra la gloire du Seigneur et la grandeur de Dieu » (35, 2). Pourquoi Luc insiste-t-il sur le fait que la jeunesse de Jean-Baptiste se passe en lieu isolé? On peut imaginer que cest pour la même raison quil a écrit le récit de lenfance : préfigurer à travers lenfant tout ce que ladulte sera. De fait, Jean-Baptiste mènera une vie ascétique, selon la voie des nazirs (Lc 1, 15). Et surtout, sa mission se déroulera à lécart des villes et des villages; ce sont les gens qui se déplaceront pour venir lécouter dans les régions désertiques non loin du Jourdain. |
Textes avec l'adjectif erēmos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anadeixeōs (manifestation) | Anadeixeōs est le nom féminin anadeixis au génitif singulier. Il est formé de la préposition ana (décrit un mouvement de bas en haut) et du verbe deiknymi (montrer), et donc signifie montrer quelque chose en la sortant de sa cachette pour lélever au grand jour, doù la traduction habituelle : manifestation; on pourrait aussi traduire : révélation. Cest la seule occurrence dans tout le Nouveau Testament, et la seule autre occurrence dans la Bible grecque se trouve en Siracide 46, 3 où on parle de la lune comme indicateur des époques.
On ne peut analyser le nom anadeixis sans inclure le verbe anadeiknymi. Ce verbe signifie avant tout « désigner », au sens dexpliciter, ou didentifier ou dindiquer quelque chose ou quelquun : ainsi Jésus « désigne » 72 disciples pour les envoyer en mission (Lc 10, 1), et les apôtres prient pour que Dieu leur « désigne » qui prendra la place de Judas pour reconstituer le groupe des Douze (Ac 1, 24). Ce verbe napparaît que sous la plume de Luc. Ainsi anadeixis véhicule à la fois lidée de révélation dune personne qui nétait pas connue, et à la fois lidée dune affectation à une mission; chez Luc, cest évidemment Dieu qui désigne Jean-Baptiste pour une mission spécifique. Ainsi, quand Luc écrit que Jean-Baptiste était dans les régions désertiques jusquaux jours de sa manifestation à Israël, il laisse entendre non seulement quà un certain moment Jean-Baptiste sest fait connaître, mais que ce moment était aussi une affectation par Dieu à une mission. |
Textes avec le nom anadeixis dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Israēl (Israël) | Israēl est un nom propre qui désigne lentité politico-religieuse du territoire des Juifs, qui comprend la Judée, la Samarie et la Galilée. Il est composé du nom hébraïque el « but, domaine, chef », doù « dieu », et du verbe provenant de la racine soit ssr (luire, éclairer, sauver, dominer), soit srh (combattre, lutter). Le nom Israēl a dabord été attribué à Jacob, utilisant une étymologie populaire : « Il (létranger contre lequel Jacob avait lutté toute la nuit) reprit: "On ne tappellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu las emporté." ».
Le mot revient régulièrement dans les évangiles-Actes, en particulier chez Luc : Mt = 12; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 4; Ac = 15; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Sept des douze occurrences chez Luc apparaissent dans son récit de lenfance. Cela est indicatif de lintention de lévangéliste : la naissance de Jean-Baptiste est lexpression de lintervention de Dieu pour Israël (1, 68 : « Béni soit le Seigneur, le Dieu dIsraël, de ce quil a visité et délivré son peuple ») et sa mission cible uniquement Israël (1, 16 : « et il ramènera de nombreux fils dIsraël au Seigneur, leur Dieu »); la naissance de Jésus est une réponse à lattente dun messie de la part dIsraël (2, 25 : « Syméon attendait la consolation dIsraël »), et donc est perçue comme une action miséricordieuse de Dieu pour Israël (1, 54 : « Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde ») et sa mission cible avant tout Israël (2, 34 : « cet enfant doit amener la chute et le relèvement dun grand nombre en Israël »). Bien sûr, laction de Jésus a un impact qui dépasse Israël (2, 32 : « lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël »). Mais cet impact est à long terme et ne sera présenté que dans les Actes des Apôtres. Quest-à-dire? Le plan de Luc est clair. Jean-Baptiste et Jésus appartiennent à lespérance dun messie par tout Israël. Mais alors que laction de Jésus sera le fondement dune ouverture ultérieure au monde, celle de Jean-Baptiste est présentée uniquement comme orientée vers Israël et la préparation de la mission de Jésus. Pour Luc, Jean-Baptiste représente ce quil y a de meilleur de lAncien Testament, et le pivot vers le Nouveau Testament. |
Textes avec le nom Israēl dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Nous sommes vers lan 80 ou 85 de lère chrétienne. Cela signifie que nous sommes environ 50 ans après les événements qui entourent le ministère de Jésus et sa mort, et plus de 80 après sa naissance. Luc, qui est lauteur de ce troisième évangile selon la tradition, un homme de culture grecque et un collaborateur de Paul (voir Col 4, 14; 2 Tm 4, 11; Phlm 1, 24), a sous les yeux un ensemble déléments de la tradition, une version de lévangile selon Marc avec lequel il a travaillé, et une version de la source Q que connaît également Matthieu, et il a sa propre expérience lÉglise, ayant collaboré avec Paul. Il décide doffrir sa propre version de lévénement Jésus. Sa vision des choses est universaliste et grandiose, car elle couvre tous les peuples et tous les temps. Dans cette vision, il voit lhistoire du peuple juif présentée dans lAncien Testament comme un temps de préparation à ce qui allait suivre avec Jésus, qui est le centre de lhistoire humaine, le sauveur de lhumanité, et ce centre historique est suivi par le temps de lÉglise qui est appelé à rejoindre lhumanité jusquaux confins de la terre et jusquà la fin des temps. Cette vision se reflète dans ses deux oeuvres, son évangile, qui commence avec le récit de lenfance, un complément à lévangile de Marc qui nen a pas, qui lui permet dancrer lévénement Jésus dans lespérance issue de lAncien Testament, et par ses Actes des Apôtres qui lui permet de raconter la force de propagation de la parole de salut à travers lhistoire de lÉglise. On ne sait pas de quels matériaux il disposait pour composer son récit de lenfance, sauf les cantiques qu'il semble avoir emprunté aux premières communautés juives chrétiennes. Une bonne partie de son récit de l'enfance porte l'influence de lAncien Testament. Il est possible quil y ait ici et là quelques détails historiques, mais cest impossible à confirmer. Par contre, le schéma quil envisage est assez clair : comme Jésus est issu du mouvement baptiste de Jean, et cest cela qui lui a révélé sa mission et la fait connaître au peuple, et comme Marc a présenté Jean comme précurseur de Jésus, il compose un tableau parallèle de la naissance des deux hommes. Cela lui permet à la fois de mettre en valeur les traditions juives et sa grande espérance en un messie, et à la fois de réhabiliter Jean Baptiste (on se référera au glossaire sur Jean-Baptiste pour comprendre tout le contexte) et de montrer quil est un élément essentiel du plan de Dieu. Autour de la naissance de Jean-Baptiste, Luc met en scènes deux figures, Zacharie (Dieu se souvient), un prêtre âgé qui officiait selon son tour au temple, et sa femme Élisabeth (Mon Dieu est plénitude), une femme sans enfant et âgée. Ces deux figures sont présentées comme des Juifs pieux et exemplaires. Et Luc ajoute quÉlisabeth était une parente de Marie (i.e. tante ou une cousine plus ou moins rapprochée). Ces détails sont-ils historiques? Impossible à vérifier. Lintérêt de Luc est catéchétique : Zacharie devient la figure de lhomme lent à croire et qui se rallie tardivement, Élisabeth est celle de la femme prompte à croire et se rallie rapidement au plan de Dieu (Luc, aime mettre en valeur la femme au dépend de lhomme, surtout sur le plan de la foi : voir sa phrase en 24, 11 (« mais ces propos (des femmes sur Jésus ressuscité) leur semblèrent du radotage, et ils ne les crurent pas »)). Luc sadresse à des lecteurs grecs, représentés par ce Théophile du début de son évangile (1, 3). Comme le monde grec voyait régulièrement des personnages en autorité se présenter comme sauveur du peuple, Luc emprunte ce langage pour parler dun Dieu qui vient visiter lhumanité pour offrir son salut, un salut fait de bienfaits, de transformation et dune immense joie. Cest dans ce cadre quil faut lire sa présentation de la naissance de Jean-Baptiste. Pour ce faire, il a recours au schéma connu dans lAncien Testament de la naissance dIsaac dune mère âgé et stérile jusque là. Aux personnages principaux de Zacharie et Élisabeth, il ajoute la parenté et le voisinage, figure du peuple juif : la naissance du baptiste concerne tous les Juifs, et ils partagent donc la joie des parents. Dans le récit de la naissance de Jean-Baptiste, Luc met laccent sur lévénement de la circoncision et le moment où lenfant recevait son nom, révélation de son identité et de son avenir. Lentourage, qui appelle déjà lenfant avec le nom du père, représentent les propagateurs de la tradition. Mais cest dans la bouche dune femme que Luc met dabord la transmission du plan de Dieu à travers un nom qui ne sera pas celle du père. Il est inutile de chercher à savoir comment Élisabeth a su que cest le nom proposé par lange Gabriel; il faut sen tenir aux mots de Luc qui présentent une Élisabeth proposant le nom même voulu par Dieu. Le fait même que cest un nom différent des attentes normales est le signe de lirruption de Dieu dans lhistoire. Pour accentuer le drame autour du nom de lenfant, Luc créé un petit scénario autour de Zacharie. Ce scénario commence par linvitation de lentourage pour que le père dise son mot. Ici, deux choses surprennent. Tout dabord, on ne demande pas à Zacharie de prendre une décision comme chef de famille, mais on lui demande seulement ce quil « souhaite »; Luc était peut-être féministe avant lheure en atténuant lautorité paternelle. Ensuite, il est étrange quon parle à Zacharie par signe, car Luc dit simplement quil est muet, et non pas sourd; peut-être faut-il imaginer que dans son milieu un muet était également sourd. Ce drame atteint son apogée avec lécriture du nom de Jean : cest le signe que Zacharie est devenu croyant, car il vient de reconnaître les bénédictions de Dieu et sest rallié à son plan. En faisant retrouver lusage de la parole à Zacharie, Luc souligne non seulement laction de Dieu, mais le fait quen devenant croyant, Zacharie est en mesure de proclamer la parole de Dieu. Les deux versets qui suivent concernent la réaction de lentourage. Cest beaucoup. Pourquoi? Noublions-pas, Luc sadresse à des lecteurs, il sadresse à nous, et il veut que nous-nous identifions à cet entourage, que nous prenions conscience à notre tour que ce qui se passe nest pas habituel, que nous nous ouvrions à la possibilité que nous sommes devant une action bienveillante de Dieu, et que lenfant Jean-Baptiste nest pas un être ordinaire, et par là que nous nous apprêtions à lécouter. La liturgie a ajouté le sommaire de Luc sur lenfance de Jean-Baptiste qui croît physiquement et moralement comme tout être humain, mais déjà se positionne pour sa mission en milieu inhabité, en retrait en quelle que sorte de la société, pour mieux proclamer son message de changement. Ainsi, pour Luc, la visite de Dieu dans notre humanité, si bienveillante soit-elle, ne se fait pas sans heurter certaines de nos habitudes de vie et nos attentes, symbolisées ici par le nom de lenfant. Et croire, cest accepter dêtre dépassé comme la fait spontanément Élizabeth, comme la fait Zacharie plus péniblement.
-André Gilbert, Gatineau, septembre 2019 |