Matthieu 2, 1-12 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation. Sommaire Le récit lui-mêmeVoici un récit avec une couleur exotique. Des sages astrologues, appelés mages, venus d’Orient, i.e. d’Arabie, arrivent à Jérusalem parce qu’ils ont vu une nouvelle étoile se lever, signe de la naissance d’un roi chez les Juifs. Leur arrivée met en émoi le roi Hérode et tout Jérusalem. Après avoir consulté les grands prêtres et les scribes sur ce que dit l’Écriture sur le lieu de naissance du messie, Hérode fait venir secrètement les mages pour les envoyer à Bethléem faire enquête et rapporter l’information, sous prétexte de lui rendre hommage également. Au moment où les mages se mettent en marche, voici que l’étoile les précède pour s’arrêter au-dessus de la résidence de l’enfant. C’est une joie extrême pour les mages. Quand ils entre dans la maison et qu’ils voient l’enfant avec sa mère, ils se prosternent devant l’enfant et ouvrent leurs présents sous la forme d’un coffret avec de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, avertis en rêve de ne pas retourner chez Hérode, ils retournent dans leur pays par un autre chemin. Le vocabulaire L’ensemble du récit porte la marque du vocabulaire de Matthieu. Cela ne signifie pas pour autant qu’il a inventé ce récit, mais il l’a redit dans ses propres mots. Quel est ce vocabulaire? "Voici" (idou), "des régions du levant" (apo anatolōn), "arriver" (paraginomai), "disant" (legontos), "venir" (erchomai), "se prosterner" (proskyneō), qui devant Jésus, doit être interprété comme un geste de foi, "entendre/écouter" (akouō), "rassembler" (synagō), "oint/messie/christ" (christos), "sortir" (exerchomai), "alors" (tote), "devenir manifeste / apparaître" (phainō), "aller" (poreuō), "investiguer" (exetazō), "trouver" (heuriskō), "rapporter une nouvelle" (apangellō), "pour que" (hopōs), "jusqu’à ce que" (heōs), "se tenir" (histēmi), "au-dessus" (epanō), "grand" (megas), "extrêmement" (sphodra), "tomber" (piptō), "ouvrir" (anoigō), "trésor" (thēsauros), "don" (dōron) qui doit être interprété dans le même sens qu’un geste d’offrande au temple, "or" (chrysos) que, selon Isaïe, les rois d’Arabie apporteraient pour la construction du temple, "chemin" (hodos), "se retirer" (anachōreō). Structure et composition La structure du récit est basée sur une forme de dualité. Il y a d’abord la dualité des réactions face à l’événement de la naissance de Jésus : d’une part, il y a les mages, représentant des Gentils, qui l’accueillent avec joie l’événement et se déplacent pour rendre hommage; il y a d’autre part, Hérode et tout Jérusalem, représentant les Juifs, chez qui l’événement suscitent la consternation et met en branle le désir de le supprimer. Il y a aussi la dualité sur la source de révélation sur Jésus. D’une part, il y a l’Écriture juive qui annonce la naissance du messie à Bethléem. D’autre part, il y a la nature que représente l’étoile qui est aussi une forme de révélation sur la date et le lieu de naissance du messie. Quand on situe le récit des mages dans le contexte de l’ensemble du récit de l’enfance, on constate que son rôle est de répondre à question : D’où vient Jésus? Comment est-il fils d’Abraham? Comment Matthieu a-t-il composé ce récit? Il avait sous les yeux deux traditions : la première contenait la figure de Joseph et du roi Hérode, inspirée de la figure vétérotestamentaire du patriarche Joseph ainsi que du jeune Moïse et ses démêlées avec le Pharon; la deuxième, inspirée de l’oracle de Balaam dans le livre des Nombres, contenait la figure des mages en marche à cause de l’apparition d’une nouvelle étoile, associé à la naissance d’un personnage important, et une fois en Judée cette étoile les guidera jusqu’à la demeure de l’enfant-roi à qui ils rendront hommage. Matthieu a fusionné ces deux récits en une histoire cohérente, ajoutant des références à l’Écriture, soit de manière directe (Michée 5, 1 et 2 Samuel 5, 2 : naissance à Bethléem d’un nouveau pasteur), soit de manière indirecte (Is 60, 6 et Ps 72, 10-11 : les présents d’or, d’encens et de myrrhe). Intention de lauteur Rappelons que les chrétiens d’origine juive étaient probablement majoritaires dans la communauté de Matthieu, mais on y trouvait aussi un groupe significatif d’origine païenne, et tout au long de l’histoire de cette communauté au premier siècle on perçoit des tensions. Alors le récit des mages vient consolider la place des chrétiens d’origine païenne : le récit des mages anticipait leur venue à la foi. Il y a plusieurs voies pour cheminer vers le messie, et l’une de ces voies étaient basées sur la science astrologique de l’époque, et donc il n’y avait pas seulement la voie de l’Écriture. D’ailleurs les autorités juives qui connaissaient l’Écriture ne se sont pas ouverts à la bonne nouvelle, ils sont mêmes devenus des adversaires. Pour les chrétiens d’origine juive dans la communauté, ils pouvaient y voir pour leur part un reflet de la situation actuelle, alors qu’ils venaient d’être exclus de la synagogue par leurs confrères juifs; ainsi la situation actuelle avait déjà été anticipée au temps de Jésus enfant. La catéchèse de Matthieu s'adresse en fait tant aux chrétiens d'origine juive que non juive. Elle justifie d'une part sa messianité par sa naissance à Bethléem, lieu de naissance du roi David et d'où viendrait selon le prophète le messie. Et d'autre part, la présence de tous ces chrétiens d’origine païenne dans la communauté actualise ce qu’avaient prévu les prophètes d’autrefois pour la fin des temps quand ils visualisaient l’arrivée à Jérusalem de ces rois païens d’Arabie pour célébrer le salut offert par le Dieu d’Israël en apportant ce qu’ils avaient de plus précieux pour le service du culte; le nouveau culte, c’est maintenant le Christ ressuscité. Et en cela Jésus est fils d'Abraham en qui seront bénies les nations de la terre. Le récit des mages anticipe également la façon dont Matthieu conçoit maintenant la mission chrétienne : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples… » (Mt 28, 19).
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Iēsou (Jésus) |
Iēsous (Jésus) est le nom attribué à la personnalité centrale des évangiles. Il provient de l'hébreu, sous la forme יְהוֹשֻׁעַ ou יְהוֹשׁוּעַ (yĕhôšûaʿ), le nom que portait Josué dans l'Ancien Testament. Il signifie : Yahveh sauve. Évidemment, le mot est extrêmement fréquent dans tout le Nouveau Testament, environ 873 occurrences dépendamment des versions utilisées, étant présent dans tous les livres qui le composent. Il en est de même chez les évangélistes : Mt = 152; Mc = 82; Lc = 88; Jn = 243; Ac = 69; 1Jn = 12; 2Jn = 2; 3Jn = 0. Le quatrième évangile domine largement ces statistiques : en raison du nombre dialogues qu’on y trouve, on peut comprendre qu’il faille constamment le nommer explicitement.
Dans les évangiles, le nom Iēsous apparaît à peu près toujours sous la plume du narrateur. Mais il y a quelques exceptions où il est mis dans la bouche de quelqu’un d’autre : Mt = 7; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7. Résumons ces occurrences.
Faisons quelques remarques.
Dès les premières générations chrétiennes, le nom « Jésus » sera à peu près toujours accompagné du titre de Christ (i.e. oint ou messie) et de Seigneur, si bien que les épitres dites paulinienne utilisent sans cesse les expressions : le Christ Jésus ou le Seigneur Jésus, ou encore notre Seigneur Jésus Christ. L’évangile de Marc commence ainsi : « Commencement de l'Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu », et celui de Matthieu : « Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham »; et dans le Prologue de Jean (1, 17) on trouve l’expression : « Car la Loi fut donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ ». Le nom « Jésus » fait référence à l’être historique, et dans la foi, on fait référence à celui qui est ressuscité, ou qui a été fait Christ et Seigneur. On notera un certain nombre d’exception à ce qui vient d’être dit. Mais très souvent l’emploi du nom « Jésus » sans les qualificatifs de Christ ou Seigneur en dehors des évangiles provient d’un contexte où on fait référence à sa vie terrestre, en particulier ses souffrances et sa mort, et tout le témoignage qu’il a donné alors qu’il était parmi nous, ou encore quand on référence au non croyant. Exemples :
Ici au v. 1 le nom « Jésus », comme d’ailleurs dans les six occurrences du récit de l’enfance, n’apparaît que sous la plume du narrateur. De plus, sur les six occurrences du nom, il y a deux occurrences où le nom est accompagné du titre de « Christ » (1, 1 dans l’introduction à l’évangile et 1, 18 qui en quelque sorte une introduction au récit de l’enfance), qui était le titre par lequel Jésus était connu et nommé par les premières communautés chrétiennes. Dans les quatre autres occurrences où on mentionne son nom sans aucun titre, la phrase fait toujours référence à sa naissance, i.e. au bébé qui nait et à qui on donne un nom. Notons que si les évangiles font écho au fait que Jésus a souvent été appelé « Jésus de Nazareth », jamais on ne parle de « Jésus de Bethléem ». |
Le nom Iēsous dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
gennēthentos (ayant été engendré) |
Le verbe gennēthentos est le participe aoriste de gennaō, génitif masculin singulier, et il signifie : engendrer, produire, croître. Il peut sembler fréquent : Mt = 45; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 18; Ac = 7; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais ces statistiques sont un peu trompeuses. Par exemple, Matthieu emploie 45 fois ce verbe, mais sur ces 45 occurrences, 40 sont utilisées pour décrire la généalogie de Jésus, ce qui laisse cinq occurrences pour le reste de son évangile. C’est donc dans la tradition johannique que ce verbe revient le plus souvent, soit un total de 28 fois. Mais sur ce total, dix-sept occurrences ont un sens spirituel, lié à l’être nouveau créé par l’Esprit de Dieu (par exemple, Jn 3, 3 : « Jésus lui répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître (gennaō) d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu." ».
Il vaut la peine de mentioner qu’il existe en grec un autre verbe pour traduire « donner naissance » et que nous verrons au verset 2 : tiktō. Si les deux verbes peuvent être utilisés pour la mise au monde d’un être, gennaō a un sens beaucoup plus générique de produire une réalité, si bien qu’il peut s’entendre d’une réalité spirtuelle qui vient à l’existence, comme on le voit abondamment chez Jean, et que le sujet peut être tant l’homme que la femme, et même Dieu (par exemple, He 1, 5 : « Auquel des anges, en effet, Dieu a-t-il jamais dit: "Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré (gennaō) "? Et encore: "Je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils". » Par contre, tiktō (enfanter) fait référence à l’acte physique de la procréation, et le sujet est toujours une femme. Ici, la structure de la phrase avec gennaō est un génitif absolu et qu’il faut traduire par : Jésus ayant été engendré. Une telle structure grecque typique au début d’une phrase sert à donner le cadre du récit qu’on s’apprêter à narrer : tout sera centré autour de cette naisance. De plus, notre phrase contient aussi la particule grecque de (puis, or) et le verbe idou (voici). Tout cela créé un lien avec ce qui précède pour annoncer un nouveau développement. Qu’est-ce qui précède? L’ange vient d’annoncer à Joseph que l’enfant qui a été engendré vient de l’Esprit Saint, ce qui amène Joseph à accepter cet enfant. Notre récit développera ce que signifie cette naissance. |
Le verbe gennaō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Bēthleem (Bethléem) |
Bēthleem est la traduction grecque de l’hébreu bêyt leḥem, le nom d’une bourgade à environ sept kilomètres au sud de Jérusalem (voir la carte). Le nom hébreu est formé de deux mots : bêyt (maison) et leḥem (pain), donc maison du pain. Dans le Nouveau Testament, cette ville n’apparaît que dans les récits de l’enfance de Matthieu et Luc, à l’exception d’un verset chez Jean : Mt = 5; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Le nom est bien connu dans l’Ancien Testament. Mais signalons d’abord qu’il y a deux villes qui portent ce nom, Bethléem en Judée, et Bethléem en Zabulon (Jos 19, 15; Jg 12, 8), au nord-ouest de Nazareth. Signalons ensuite que les traducteurs de la Septante nous donnent deux façons de traduire le nom hébreu en grec : il y a la traduction qu’on retrouve aussi dans le Nouveau Testament, Bēthleem (15 occurrences), et il y a celle de Baithleem (25 occurrences); ce choix semble dépendre de la préférence du traducteur. Bethléem en Judée nous est familier dans l’Ancien Testament à cause de David, un jeune berger de ce patelin, le cadet des fils de Jessé, qui va recevoir l’onction royale des mains de Samuel à la demande de Yahvé (1 S 16, 1). La ville sera détruite avec l’invasion assyrienne de -701, mais le prophète Michée redonne espoir en annonçant qu’un jour de Bethléem « sortira un rejeton pour être prince d'Israël » (5, 1). C’est ainsi que dans le milieu des premières générations chrétiennes, la ville de Bethléem était considérée comme le lieu où devait naître le messie. C’est ce que laisse entendre Mt 2, 4-5 (« Hérode se mit à s'informer où devait naître le messie. On lui répondit: À Bethléem en Judée ») et Jn 7, 42 (« L'Écriture n'a-t-elle pas dit que c'est de la descendance de David et de Bethléem, le village où était David, que doit venir le Christ? »). Pour Luc et Matthieu, Bethléem serait le lieu où Jésus serait né. Mais une analyse critique des récits de l’enfance ne permet pas de conclure à la valeur historique d’une telle affirmation pour les raisons suivantes (sur ce sujet voir Brown) :
Qu’est-ce à dire? Il faut lire les récits de l’enfance non comme une biographie de Jésus, mais comme un récit théologique. Qu’affirme-t-on en faisant naître Jésus à Bethléem ? Jésus est ce messie que Yahvé avait promis à son peuple, et dont parle le prophète Michée alors qu’il le vit provenir de la ville de David, Bethléem, et appartenir à la descendance de David. Ainsi, pour Luc et Matthieu, Jésus est de la descendance de David, il est le messie, et il est donc ce messie promis qui devait naître à Bethléem. Aujourd’hui l’église de la nativité à Bethléem a été construite par l’empereur Constantin (4e s.) au-dessus d’une grotte (en référence sans doute au récit de Luc seulement où les parents ne trouvent pas où se loger et la proximité des bergers), rehaussée par l’empereur Justinien (6e s.) à laquelle les Croisés ajouteront la décoration des mosaïques et des sculptures (12e s.). |
Le nom Bēthleem dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ioudaias (Judée) |
Ioudaias est le nom Ioudaia au génitif féminin singulier et signifie : Judée. Il nest pas très fréquent dans le Nouveau Testament et napparaît que dans les évangiles-Actes, à lexception de quatre occurrences chez Paul : Mt = 8; Mc = 4; Lc = 10; Jn = 7; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Au temps de Jésus, il désigne la région qui constitue la partie sud de la Palestine, et la distingue de la Samarie au centre et de la Galilée au nord (voir la carte de la Palestine). Cest cette définition quon retrouve chez tous les évangélistes et Paul, à lexception de Luc où le terme désigne parfois tout le territoire des Juifs, i.e. la Palestine (un usage probablement répandu dans le monde romain) et parfois cette région du sud de la Palestine.
Région sud de la Palestine
Toute la Palestine
Ici, au v. 1, de manière très claire, Ioudaia désigne cette partie sud de la Palestine, une région montagneuse, et où se situe Bethléem. Dans l’Ancien Testament, la mention de « Bethléem de Judée » est une façon de la distinguer de cette autre ville de Bethléem au nord, sur le territoire de Zabulon. Mais au temps de Matthieu cette autre Bethléem ne donne plus signe de vie et ce n’est pas probablement pas pour cette raison qu’il utilise l’expression « Bethléem de Judée ». Comme il raconte la naissance du « roi des Juifs », cela semble important pour lui d’insister sur le fait que Jésus est né dans le territoire juif par excellence, la Judée. Il semble faire la même chose avec Jean-Baptiste, alors qu’il reprend un texte de Marc sur le début de son ministère, mais lui ajoute la mention que ce désert où prêchait Jean-Baptiste était en Judée :
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Le nom Ioudaia dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hēmerais (jours) |
Hēmerais est le nom hēmera (jour) au datif pluriel qui s’accorde avec la préposition en (dans, à). L’expression en hēmerais Hērōdou signifie littéralement : aux jours d’Hérode, et on la traduit habituellement par : à l’époque ou au temps d’Hérode. Le nom hēmera est très commun dans les évangiles-Actes : Mt = 45; Mc = 27; Lc = 83; Jn = 31; Ac = 94; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0, en particulier chez Luc qui l’emploie abondamment.
Comme le nom « jour » en français, le mot grec hēmera est utilisé pour traduire diverses réalités.
Ici, au v. 1 Matthieu a recours à une expression (« aux jours de ») fréquente en grec pour donner la date d’un événement, en l’occurrence celle de la naissance de Jésus. |
Le nom hēmera dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Hērōdou (Hérode) |
Hērōdou est le génitif singulier du nom Hērōdēs (Hérode). Il est le complément de nom de « jours ». On ne retrouve ce nom que dans les évangiles-Actes dans toute la Bible : Mt = 13; Mc = 8; Lc = 14; Jn = 0; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
De quel Hérode s’agit-il, puisque nous sommes devant une grande famille dont voici l’arbre généalogique ? ![]() (Dans cette généalogie, on note des personnages qui sont mentionnés dans le Nouveau Testament :
Ici, au v. 1, il s’agit d’Hérode le Grand, né à Ascalon vers -73, d’un père Iduméen et d’une mère Nabatéenne. Il fut un grand collaborateur des Romains. Nommé gouverneur de Galilée en -47, il devint en -37 roi de Judée, et après -31, roi d’un domaine qui incluait la Samarie, la Galilée et certaines villes helléniques. Il fut un grand bâtisseur : il fit construire la forteresse Antionia adjacente au temple, fit embellir le temple de Jérusalem, fit bâtir pour lui les palais et les forteresses de l’Hérodium, près de Bethléem, de Jéricho, de Jérusalem (qui devint par la suite la résidence temporaire des procurateurs romains en visite à Jérusalem et où Jésus fut jugé) et de Masada. Hérode le Grand était aussi reconnu pour sa cruauté. Il mit à mort, sous le soupçon d'un complot, Hyrcan, grand-père de sa femme Marianne I, fit noyer son frère Jonathan dans une piscine à Jéricho, puis fit tuer sa femme Marianne I ainsi que son présumé amant, un certain Joseph, mari de sa sœur, fit également étrangler ses fils Alexandre et Aristobule, puis fit tuer son fils Antipater avant de mourir. Hérode le Grand nous intéresse plus particulièrement parce qu’il nous permet de déterminer la date de naissance de Jésus. En effet, d’après Mt 2, 16 Hérode aurait fait tuer les enfants de moins de deux ans, d’après ce qu’on lui avait indiqué sur l’âge de Jésus. Or, selon l’historien juif Flavius Josèphe (Antiquités juives vi 4 : #167 et ix 3 : #213), Hérode le Grand serait décédé après une éclipse de la lune et avant la Pâque, ce qui nous amène à l’an 750 de la fondation de Rome ou l’an 4 avant l’ère chrétienne, plus précisément en mars/avril de l’an -4 (l’éclipse a eu lieu dans la nuit du 12 au 13 mars, un mois avant la Pâque). C’est donc en l’an -6 que serait né Jésus, ce qui concorde avec une remarque de Lc 3, 23 qui, après introduit le ministère de Jésus avec la mention de l’an quinze du gouvernement de Tibère César, i.e. une période qui s’étend d’octobre de l’an 27 à octobre de l’an 28, écrit : « Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans »; à son baptême, Jésus avait donc environ 33 ou 34 ans, et son ministère aurait duré environ deux ans et demi, jusqu’à sa mort en avril de l’an 30. Il peut paraître étrange que Jésus soit né 6 ans avant l’ère chrétienne, mais tout cela vient d’une erreur de Dionysius Exiguus (Denis le Petit) en 533 qui, voulant établir l’an 0 du nouveau calendrier en utilisant la date de la mort d’Hérode, s’est trompé de six ans dans ses calculs. |
Le nom hērōdēs dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
basileōs (roi) |
Basileōs est le nom basileus au génitif singulier, et s’accorde avec nom Hérode auquel il est mis en apposition. Il revient régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 22; Mc = 12; Lc = 11; Jn = 16; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Matthieu est celui qui fait le plus souvent référence à des rois, et très souvent ces références lui sont propres (15 occurrences sur 23). Bien sûr, le récit de l’enfance autour du roi Hérode y est pour quelque chose. Mais la référence aux rois est mise dans la bouche de Jésus avec les gouverneurs pour parler de ce ceux qui dominent le monde, et surtout dans les paraboles qui lui sont propres où un roi veut régler ses comptes, et surtout dans la parabole du jugement dernier où Jésus, sous les traits d’un roi choisit ceux qui seront les bénis du Père et partageront son royaume. On peut être surpris de cette forte présence de l’image du roi dans un monde où l’empire romain imposait son autorité, un empire militaire. Au-delà du fait que l’empereur a mis en poste ici et là des rois vassaux, comme le furent les Hérode, le peuple juif gardait la nostalgie de la royauté, en particulier celle de David, qui représentait l’une des figures du messie, et bien souvent c’est sous les traits d’un roi qu’on se représentait Dieu prenant soin de son peuple. Rien d’étonnant que Jésus fut condamné par Pilate avec le titre de « Roi des Juifs ». Que représente ce roi pour Matthieu? Il est bien sûr l’ennemi de l’enfant roi qu’est Jésus. Mais il symbolise aussi tous les pouvoirs terrestres qui s’opposent au plan de Dieu, tout comme le Pharaon, roi d’Égypte, s’est attaqué à l’enfant Moïse pour s’opposer au plan de Yahvé de libérer son peuple. |
Le nom basileus dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
idou (voici) |
Idou est le verbe horaō (voir) à l’aoriste de l’impératif actif, 2e personne du singulier. Il se traduit littéralement : voici. L’expression « voici » est très fréquente chez Matthieu et Luc : Mt = 62; Mc = 7; Lc = 57; Jn = 4; Ac = 23; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Elle sert à introduire un événement ou un personnage. Matthieu adore l’utiliser, il est d’ailleurs celui qui l’utilise le plus. Parmi les 62 occurrences de son évangile, 43 lui sont propres (ne sont pas une reprise de Marc ou de la source Q). Il se permet ainsi à plusieurs reprises de l’ajouter au texte qu’il reçoit de Marc. Par exemple :
Il faut souligner aussi que idou fait partie ici au v. 1 d’une phrase qui commence avec un génitif absolu, comme nous l’avons mentionné plus tôt dans notre analyse du verbe « engendrer », et cette phrase se traduit littéralement : « Jésus ayant été engendré, voici ». Pourquoi le souligner? C’est une structure lexicale typique de Matthieu : elle revient 10 fois dans son évangile. Nous y voyons une confirmation que c’est la même main qui a écrit le récit de l’enfance et le reste de l’évangile. |
L'expression idou dans les évangiles | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
magoi (mages) |
Magoi est le nom magos au nominatif masculin pluriel. On le traduit habituellement par : mage. En grec, il y a deux autres mots apparentés : le nom mageia (magie, sortilège) et le verbe mageuō (pratiquer la magie).
Mais qu’est-ce qu’un mage? On se réfèrera à l’analyse de Brown. Dans les évangiles, seuls Matthieu et Luc dans ses Actes les mentionnent : Mt = 4; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez Matthieu, le mot n’apparaît que dans cette scène de son récit d’enfance. Dans les Actes, trois figures sont présentées.
Quel portrait du mage en tire-t-on? Il faut faire attention ici avec la traduction de « magicien » proposé par la Bible de Jérusalem. Car au sens moderne un « magicien » exerce un métier très spécifique, relié à la prestidigitation. Dans l’antiquité, l’activité est beaucoup plus large. Prenons par exemple Bar-Jésus dont parle Luc. Le titre de « soi-disant prophète » laisse entendre qu’il avait le don de divination, comme aujourd’hui certains utilisent le jeu du Tarot pour prédire l’avenir de quelqu’un. Les trois figures proposées par Luc pointent vers quelqu’un dont les capacités mystifiaient les gens et se spécialisaient dans les sciences occultes. Dans l’Ancien Testament, seul le livre de Daniel parle des mages. La Septante a traduit par magos le terme hébreu ʾašāp (prestidigitateur, nécromancien, astrologue, médium, devin). Considérons à ce sujet un passage du livre de Daniel : (LXX) Et le roi, criant de toute sa force, ordonna d'amener les mages (magos), les Chaldéens et les sorciers. Et il dit aux sages de Babylone : Celui qui lira ce qui est écrit, et qui m'en fera connaître l'interprétation, sera revêtu de pourpre, et il aura autour du cou un collier d'or, et dans mon royaume il commandera le troisième après moi (Dn 5, 7) Nous sommes à la cour du roi de Babylone, Baltasar, et le roi est confronté à un phénomène extraordinaire, des doigts d’homme qui écrivent au mur. Ébranlé, il demande à des « spécialistes » ce que signifie ce qui a été écrit. L’auteur du livre de Daniel met dans le même groupe les mages, les Chaldéens, les sorciers et les sages. Notons que le terme Chaldéen désigne un peuple qui avait une solide réputation en matière d’astrologie. On leur confie ici la tâche d’interpréter quelque chose de mystérieux, qui relève des sciences occultes. Plus tôt dans le livre de Daniel, on leur avait demandé d’interpréter les rêves du roi Nabuchodonosor. À ce sujet, Daniel s’est révélé meilleurs que tous ces gens. Que conclure? Si Daniel apparaît comme un « super mage » en étant capable de déchiffrer les rêves et les phénomènes étranges, ce titre peut avoir un sens positif; d’ailleurs en Dn 5, 7 on parle de « sage ». Bref, le mage est un spécialiste des sciences occultes, et si parfois on l’associe à un charlatan, il peut aussi apparaître comme un sage qui possède la clé pour comprendre des choses hors de l’ordinaire. Revenons à Matthieu et à ses mages. L’évangéliste les associe à des astrologues, spécialistes dans l’interprétation du mouvement des astres. Cela correspond à la grande définition des gens voués aux sciences occultes. Comme ils ne sont pas Juifs, ils vont devenir les représentants des Gentils ou païens. Et tout comme Matthieu valorise le rêve comme lieu de révélation de Dieu, il valorise également la nature comme lieu de révélation, et dès lors ces astrologues qui en sont l’interprète. |
Le nom magos dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anatolōn (levant) |
Anatolōn est le nom anatolē au génitif féminin pluriel; le génitif est exigé par la préposition apo (en partant de). Le mot signifie : le lever, le levant, l'orient, l'est, et est très peu fréquent dans le Nouveau Testament, et en fait n’apparaît que chez Matthieu et Luc (l’occurrence chez Marc appartient à une addition qui est d’une autre plume que celle de l’évangéliste) : Mt = 5; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Nous avons ici l’expression apo anatolōn où anatolōn est un pluriel, sans doute en sous-entendant : (régions) du levant, et donc signifie littéralement : en provenant des régions du levant. L’expression est tout à fait matthéenne, car on la retrouve en 24, 27 : « Car tout comme l’éclair sort en provenant (des régions) du levant brille jusqu’aux (régions) du couchant, ainsi sera la manifestation du fils de l’homme ». Mais l’expression a avant tout chez Matthieu une valeur symbolique. Car elle réalise en partie ce que dira plus tard Jésus et que nous a transmis la source Q, que Matthieu et Luc reprennent à leur façon :
Rappelons le contexte de Mt 8, 11 qui est celui de la demande du centurion, un non Juif, qui prie Jésus de guérir son fils et qui étonnera Jésus avec sa très grande foi. C’est donc l’annonce que les non Juifs, et donc des Gentils, se joindront à la communauté chrétienne. On pourra consulter Brown qui résume les spéculations des biblistes sur la région ou le pays où la tradition plaçait l'origine des mages venus rendre hommage à Jésus. |
Le nom anatolē dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
paregenonto (ils arrivèrent) |
Paregenonto est le verbe paraginomai à l’aoriste moyen de l’indicatif, 3e personne du pluriel. C’est un verbe formé avec la préposition para (à côté de) et ginomai (devenir, venir à l’existence). Il signifie donc littéralement : venir à l’existence à côté d’une personne et d’une chose, d’où la traduction habituelle : arriver, se présenter. Il est peu fréquent dans le Nouveau Testament sauf chez Luc : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 8; Jn = 2; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Pourtant, même s’il n’y a que trois occurrences chez Matthieu, c’est néanmoins un mot qui appartient à son vocabulaire, car les trois occurrences lui sont propres. Il y a bien sûr la présence du verbe dans le récit de l’enfance qui lui est propre. Mais les deux autres occurrences apparaissent dans des passages qu’il emprunte à Marc, mais auquel il ajoute le verbe paraginomai. Voyons de plus près :
Ces deux exemples illustrent les deux cas de figure du verbe paraginomai : 1) l’utilisation de manière absolue avec seulement un sujet et sans direction de mouvement (« arrive Jean le Baptiste »), et 2) l’utilisation où on indique d’où on vient ou où on va (« arrive Jésus de Galilée au Jourdain »). Ici, au v. 1, paraginomai entend présenter l’entrée en scène des mages et est accompagné du lieu d’où ils viennent (du levant), et du lieu où ils vont : Jérusalem. |
Le verbe paraginomai dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Hierosolyma (Jérusalem) |
Hierosolyma est l’accusatif neutre pluriel du nom Hierosolyma (Jérusalem). Il faut tout de suite noter que dans le Nouveau Testament, et dans les évangiles-Actes en particulier, il y a deux façons en grec de désigner Jérusalem : il y a d’abord Hierosolyma, la forme hellénisée de la ville sainte comme ici : Mt = 11; Mc = 10; Lc = 4; Jn = 12; Ac = 22; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; et il y a Ierousalēm, la forme sémitique : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 27; Jn = 0; Ac = 37; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Matthieu préfère Hierosolyma (les deux occurrences de Ierousalēm sont une copie de la source Q), tout comme Marc et Jean, tandis que Luc préfère Ierousalēm.
Dans la Bible hébraïque, c’est surtout le mot yĕrûšālayim qui sert à désigner la ville de Jérusalem, alors que le mot yĕrûšĕlem n’est utilisé que dans le livre de Daniel et d’Esdras. Dans les deux cas, la Septante a traduit le mot hébreu par Ierousalēm, le mot grec Hierosolyma n’étant utilisé que par les écrits de la période hellénistique, comme les livres des Maccabées. La ville de Jérusalem aurait été fondée au début du 3e millénaire par les Cananéens (L. Monloubou – F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée – Anne Sigier, 1984, p. 374). Elle est mentionnée au 19e s. avant l’ère moderne comme l’une des cités qui se rebellent contre un pharaon de la 12e dynastie. Elle est également mentionnée dans les lettres d’El Armarna sous forme de Urushalima, un nom formé de deux mots : Uru (fondation) et Shalima (paix, qui était aussi une divinité amorite de la paix et de la prospérité). Au 10e s. David conquiert cette cité cananéenne et en fait la capitale de son royaume. Et c’est là que Salomon fait construire un temple pour Yahvé et on y transféra l’arche d’alliance, si bien qu’elle devint la ville sainte. À l’époque d’Hérode le Grand, Jérusalem avait des airs de cité grecque avec des rues larges et des monuments luxueux. Le roi augmenta l’esplanade du Temple, fit construire la forteresse Antonia du côté nord du Temple, ainsi que son propre palais dans l’ouest de la ville. Selon les calculs de l’archéologue Brochi (M. Brochi, La population de l’ancienne Jérusalem, RB 82(1975)5-14), la population de Jérusalem à la mort d’Hérode le Grand était d’environ 38 500 habitants, et elle augmenta jusqu’à 82 500 à l’époque d’Agrippa I (41-44), si bien qu’on pourrait inférer une population de 67 000 habitants à l’époque du ministère de Jésus, en adoptant une progression constante et continue. Que représente Jérusalem pour Matthieu? Comme Juif, elle est la cité de David qui en a fait la capitale du monde Juif, est la « la ville du grand roi » (Mt 5, 37) qu’est Dieu, car par le Temple, demeure de Dieu, il assure sa présence. Mais c’est aussi la ville où se concentrent les Pharisiens et les opposants à Jésus (Mt 15, 1), la ville où il aura à souffrir et sera condamné (Mt 20, 18), la ville d’un Temple qui a perdu de vue sa mission et dont il doit chasser les vendeurs / acheteurs (Mt 21, 10-13). C’est donc dans la capitale du monde Juif qu’entrent les mages à la recherche du roi des Juifs. |
Le nom Ierousalēm dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 2 « Où se trouve le roi des Juifs qui vient de naître? », demandèrent-ils. « Car nous avons vu son astre à son lever, et ainsi nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
Littéralement : disant (legontes) : Où est l’ayant été enfanté (techtheis), roi des Juifs (Ioudaiōn)? Car nous avons vu (eidomen) de lui l’étoile (astera) au lever et nous sommes venus (ēlthomen) nous prosterner (proskynēsai) devant lui. |
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legontes (disant) |
Legontes est le verbe legō au participe présent actif, nom masculin pluriel, s’accordant avec le nom « mages ». Il signifie : dire. C’est le verbe le plus utilisé dans les évangiles-Actes : Mt = 505; Mc = 290; Lc = 531; Jn = 480; Ac = 234; 1Jn = 5; 2Jn = 2; 3Jn = 0, soit un total de 2 047 fois. La seule raison de nous y arrêter ici est pour signaler que nous avons un participe présent et une structure lexicale que Matthieu utilise le plus parmi les évangélistes : Mt = 118; Mc = 37; Lc = 91; Jn = 21; Ac = 60; 1Jn = 3; 2Jn = 1; 3Jn = 0. En effet, alors que nos langues modernes introduisent le contenu d’une parole avec le symbole « : », ou « , », ou dans les romans « - », le grec utilise le verbe « disant » suivi du contenu de la parole, ou encore « disant que ». Nos bibles ignorent souvent le verbe « disant » et le remplacent par « : ».
Donnons un exemple :
Le fait d’avoir à toujours utiliser « disant » pour introduire le contenu d’une parole ou d’une citation alourdit la phrase et crée beaucoup de redondance. Donnons quelques exemples :
Ici, au v. 2, l’expression « disant » sert à introduire une question des mages. Il est surprenant que Matthieu n’ait pas utilisé le verbe « demander » ou « interroger », puisque c’est là le sens de leur parole qui apparaît comme une question : où est l’enfant qui vient de naître? La réponse provient peut-être du fait que la parole des mages ne s’adresse à personne, et même si elle apparaît comme une question, elle est plutôt en fait une affirmation sur le but de leur voyage et la raison de leur présence à Jérusalem. |
Le verbe legō au participe présent dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
techtheis (ayant été enfanté) |
Techtheis est le verbe tiktō au participe passif aoriste, au nominatif masculin singulier. Ici le participe est utilisé comme un substantif précédé d’un article, d’où notre traduction : l’ayant été enfanté. Il est rare dans tout le Nouveau Testament, et dans les évangiles il n’apparaît que dans les récits de l’enfance, sauf chez Jean où il fait référence à une femme enceinte en général. Mt = 4; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez Matthieu et Luc, le verbe « enfanter » ne concerne que Jésus, sauf une occurrence chez Luc où il s’agit de Jean-Baptiste.
Nous avons eu l’occasion plutôt de mentionner la distinction entre le verbe gennaō (engendrer) et le verbe tiktō (enfanter), le premier ayant une signification plus générique et pouvant s’appliquer tant à l’homme qu’à la femme, tandis que le deuxième ne s’applique qu’à la femme et dans son action de mettre au monde quelqu’un. La structure de la phrase de Matthieu surprend. Car on se serait entendu à une phrase comme celle-ci : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître? » ou « Où est l’enfant roi des Juifs? ». En commençant par « l’ayant été enfanté », Matthieu fait un lien avec l’étoile qui vient d’apparaître ou de se lever et qui explique le voyage des mages. En effet, dans la mentalité antique, on associait souvent un phénomène cosmique à la naissance ou la mort de personnages importants; l’apparition d’une étoile spéciale pouvait signifier la naissance d’un être important. |
Le verbe tiktō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ioudaiōn (Juifs) |
Ioudaiōn est l’adjectif ioudaios au génitif masculin pluriel. Ici, l’adjectif est employé comme nom et joue le rôle du complément de nom du mot « roi » : roi des Juifs. Le mot ioudaios est la transcription grecque du mot hébreu : yĕhûdî (Juif), un mot qui est dérivé du mot yĕhûd (Judée). Et donc, le mot renvoie originellement aux habitants de la Judée. Mais à l’époque du Nouveau Testament, « Juif » n’est plus lié aux habitants de la Judée, mais désigne un groupe ethnique qu’on trouve un peu partout dans le bassin méditerranéen, au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Et en plus du groupe ethnique, le mot désigne aussi une tradition religieuse.
Dans les évangiles-Actes, le mot est peu fréquent, sauf chez Jean et les Actes : Mt = 5; Mc = 6; Lc = 5; Jn = 70; Ac = 79; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Si on se concentre sur les synoptiques, on note 15 occurrences du mot ioudaios , mais sur ces 15 occurrences, 11 fois le mot apparaît dans l’expression « roi des Juifs ». Et les 11 occurrences de l’expression « roi des Juifs » apparaissent tous dans le récit de la passion comme motif de condamnation à la crucifixion, sauf ici en Mt 2, 2, où elle est dans la bouche des mages. Tout cela signifie qu’au n’aurait jamais parlé de « roi des Juifs » n’eut été de ce procès devant Pilate et de sa condamnation à mort. Autrement, le mot « Juif » dans les synoptiques fait référence à des coutumes religieuses (Mc 7, 3 : « les ablutions rituelles »), à un groupe ethnique hostile aux chrétiens (Mt 28, 15), ou encore à un groupe social et géographique (Lc 7, 3; 23, 51). Chez Jean, le mot « Juif » revêt une signification particulière, car il en vient à désigner tout groupe hostile aux chrétiens. Dans les Actes, on met en scène des Juifs non seulement de Judée, mais aussi d’un peu partout dans le bassin méditerrannéen, certains ouvert au message chrétien, d’autres hostiles. Ici, Matthieu utilise le mot « Juif » dans une phrase qui surprend : « Où est l’ayant été enfanté roi des Juifs », au lieu de la formule habituelle : Où est le roi des Juifs qui vient de naître. En gardant à la fin de la phrase l’expression « roi des Juifs », Matthieu se trouve à la mettre en relief : c’est ce que cherchent les mages, le roi des Juifs. Pourquoi mettre en relief ce titre, quand jamais dans son évangile Jésus n’est présenté sous cet angle? Et lors du procès juif auprès du Sanhédrin, c’est son titre de messie qui sera discuté. Mais ce titre de messie n’a de signification que pour un juif chez qui on trouve une attente messianique. Les mages sont des Gentils, des païens pour qui l’idée de messie n’a pas de signification. De plus, selon la mentalité antique, l’apparition d’un phénomène cosmique est liée à la naissance d’un personnage important, et un roi est un personnage important. On notera enfin l’ironie : Jésus fut condamné par Pilate sous la pression des autorités juives comme roi des Juifs, et c’est ce roi des Juifs que recherchent les mages. |
L'adjectif ioudaios dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eidomen (nous avons vu) |
Eidomen est le verbe horaō (voir) à l’indicatif aoriste actif, 1ière personne du pluriel. Les mages sont le sujet du verbe.
Comme le verbe « voir » en français, il est extrêmement fréquent chez les évangélistes, en particulier Matthieu et Luc : Mt = 138; Mc = 67; Lc = 138; Jn = 86; Ac = 95; 1Jn = 9; 2Jn = 0; 3Jn = 2. Mais dans notre analyse, nous allons écarter les cas où horaō est utilisé pour dire « voici » (en français cette expressions provient de « vois ici » et joue le rôle dadverbe), i.e. idou et ide, expression à laquelle ont recours souvent Matthieu et Luc. Cela nous donne maintenant les chiffres suivants pour horaō : Mt = 72; Mc = 51; Lc = 81; Jn = 63; Ac = 72; 1Jn = 9; 2Jn = 0; 3Jn = 2. Tout comme le mot « voir » en français, horaō peut revêtir diverses significations.
Ici, au v. 2, horaō désigne le fait de voir physiquement une chose. N’oublions pas que, en tant qu’astronomes et astrologues, les mages sont des observateurs d’étoiles et des phénomènes cosmiques. La même signification reviendra au v. 9 (« et voici que l’astre, qu’ils avaient vu (horaō) à son lever, les précédait.. »), au v. 10 (« Voyant (horaō) l’astre ils se réjouirent… »). L’observation de l’étoile les amènera dans la maison où se trouve l’enfant Jésus. Matthieu utilisera le même verbe pour décrire le fait d’avoir trouvé l’enfant : « Entrant alors dans le logis, ils virent (horaō) l’enfant avec Marie sa mère… ». Tout se passe sur le plan de l’observation physique. N’oublions pas que Matthieu a mis en scène des païens pour qui il n’y pas d’Écriture, et donc le point de départ de leur réflexion est l’observation de la nature, et c'est cette observation qui leur permet de « voir » le roi des Juifs. |
Textes avec le verbe horaō chez Matthieu (sans "voici", i.e. idou, ide) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
astera (étoile) |
Astera est le nom astēr à l’accusatif masculin singulier. Il signifie : étoile, astre, et la racine du mot nous a donné les mots : astronomie, astrologie, astropphysique, astronaute. C’est un mot rare dans les évangiles, et n’eut été le récit des mages de Matthieu, nous n’aurions eu que ce passage apocalyptique de Marc 13, 25 (« les étoiles (astēr) se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées »), un passage que Mt 24, 29 recopie.
Ce passage de Marc peut être choquant pour le lecteur d’aujourd’hui, car il est totalement impossible que des étoiles tombent sur terre selon les lois de la gravité; les étoiles étant plus grandes que la terre, c’est la terre qui pourrait tomber sur les étoiles, comme notre soleil. Il vaut la peine de rappeler brièvement la cosmogonie de l’Antiquité. Dans la cosmologie des anciens, l’univers est divisé en deux grandes parties Gn 1, 1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » Le ciel représente le monde d’en haut et la terre le monde d’en bas. Le monde d’en bas est celui de la terre, une terre plate soutenue par d’immenses colonnes ou de hautes montagnes; au-dessus de la terre, très haut, il y a une voute solide, demi-sphérique, qui repose au bord de l’horizon, le firmament, qui sépare le monde d’en bas du monde d’en haut, un monde inaccessible. Regardons maintenant le monde d’en haut. Sur la voute céleste ou firmament, il y a d’abord les astres dont Dieu a établi leur tracé, d’abord le soleil (Ps 19, 5-7), puis la lune, et enfin il a fixé les étoiles (Gn 1, 16) à leur endroit actuel. Parlons des étoiles. Dans le monde antique, plus particulièrment en Mésopotamie, les étoiles étaient adorées comme divines (L. Monloubou – F.M. Du But, op. cit., p. 238). Mais la Bible rejette leur divinité et les considère comme des créatures de Dieu (Gn 1, 36). Néanmoins, on voit en elles des êtres animés qui peuvent intervenir en faveur d’Israël (Jg 5, 20 : « Du haut des cieux les étoiles ont combattu, de leurs chemins, elles ont combattu Sisera »). Revenons à l’étoile de Matthieu dans son récit des mages. C’est l’apparition d’une étoile à son lever qui a intrigué nos mages-astrologues et les a mis en marche, et cette étoile les a conduits jusqu’à Bethléem, et vient s’immobiliser au-dessus de la demeure de l’enfant. Il y a un concensus chez les biblistes pour considérer ce récit comme fictif. Mais Matthieu est un être intelligent et un bon théologien. Même s’il créé un récit fictif, sa catéchèse doit avoir des éléments crédibles pour être comprise et reçu par sa communauté. On se réfèrera aux notes de R.E. Brown sur le sujet, qu’il nous suffise d’en résumer les principaux points. La communauté de Matthieu acceptait probablement la croyance populaire que les phénomènes cosmiques étaient liés à l’arrivée de personnages importants : par exemple, une étoile aurait guidé Énée sur l’emplacement où Rome devait être fondée, ou encore, les naissances de Mithridate et Alexandre Sévère auraient été accompagnées par l’apparition d’une nouvelle étoile dans le ciel. Alors le lecteur de Matthieu trouvait normal que la naissance de Jésus fut accompagnée par un phénomène cosmique. Alors on s’est posé la question : y a-t-il vraiment eu un phénomène cosmique à l’époque de Jésus auquel le lecteur de Matthieu a pu se référer en entendant le récit des mages? En fait, il y a un phénomène qui se produit tous les 805 ans où les planètes Saturne et Jupiter passent l’un devant l’autre, et en même temps ou peu de temps après, Mars passe également devant elles. Or, il semble qu’un tel phénomène se soit produit en l’an -7 et aurait été mentionné sur des tablettes cunéiformes, avec la conjonction de Saturne et Jupiter, puis celle de Mars tôt l’année suivante dans la constellation du Poisson du zodiaque. Or, on associait cette constellation du Poisson aux derniers jours et aux Hébreux, tandis que Jupiter était associée aux souverains du monde et Saturne était identifiée avec l’étoile des Amorites de la région de Syrie-Palestine. Bref, Jésus étant né autour de l’an -6, le souvenir de ce phénomène cosmique autour de l’année -7 et -6 a pu rendre plausible la mention de cette étoile qui met en marche ces mages-astrologues d’Orient à la recherche d’un personnage important qui venait de naître. |
Le nom astēr dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
en tē anatolē (au lever) |
Anatolē est le nom anatolē au datif singulier; le datif est demandé par la préposition en (à, en, dans). Nous avons analysé plus tôt ce mot et nous avons vu qu’il signifie : le lever, le levant, l'orient, l'est. Mais au v. 1, le mot était au pluriel et nous avons suggéré qu’il traduisait l’idée de « régions du levant ». De plus, il était relié aux mages dont il précisait l’origine. Mais ici le mot est au singulier et il est relié au mot « étoile » qui précède. Qu’est-ce à dire? Ici, le mot désigne moins une région que la situation de l’étoile, i.e. l’étoile au lever. En effet, le nom anatolē à la même racine que le verbe anatellō qui signifie : se lever, apparaître. Les mages font donc référence à une étoile qui vient d’apparaître.
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ēlthomen (nous sommes venus) |
Ēlthomen est le verbe erchomai à l’indicatif aoriste actif, 1ière personne du pluriel. Après legō (dire) et eimi (être), erchomai (aller, venir) est le verbe le plus fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 113; Mc = 86; Lc = 99; Jn = 155; Ac = 50.
Chez Matthieu, il apparaît à peu près à tous les neuf versets. Cette fréquence s’explique en partie parce qu’il s’agit d’un verbe de la vie courante et qu’il recopie ce verbe qui apparaît dans ses sources. Mais il y a plus, puisque sur les 113 occurrences, 51 lui sont propres. Et, à plusieurs reprises, il modifie sa source pour ajouter erchomai. Voici deux exemples où nous avons souligné l’ajout de ce verbe chez Matthieu.
Les mages disent qu’ils sont venus à Jérusalem parce qu’ils ont vus l’étoile à son lever. Remarquons qu’ils ne disent pas : l’étoile nous a guidés jusqu’ici. C’est le fait de voir apparaître l’étoile qui les amenés à se mettre en marche. Mais pourquoi avoir pris la direction de Jérusalem? Le lecteur de Matthieu pouvait imaginer que l’étoile qu’ont vue les mages était apparue dans la constellation du Poisson qui était associée aux Hébreux, et Jérusalem était sa capitale. |
Le verbe erchomai chez Matthieu | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
proskynēsai (prosterner) |
Prosekynēsai est le verbe proskyneō à l'infinitif aoriste actif. À part Matthieu, Jean et l’Apocalypse, il est peu fréquent dans le Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 13; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 11; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais même le nombre d’occurrences est trompeur chez Jean, car sur les 11 présences du verbe, 9 apparaissent dans le dialogue avec la Samaritaine où on discute du lieu où on doit rendre un culte (proskyneō).
Que signifie ce verbe? Habituellement on le traduit par : se prosterner. Dans le monde oriental ancien, on se jetait à genou pour toucher le sol avec son front pour exprimer sa révérence devant quelqu’un, par exemple un roi ou un souverain quelconque; c’est une façon de reconnaître son autorité et de promettre son obéissance. Dans le monde religieux, ce sera une façon d’exprimer sa révérence à la divinité, de lui vouer un culte, ce que les Latins exprimeront avec le mot : adorer ou vénérer. Mais parfois, à un niveau moins extrême, le verbe peut être utilisé pour exprimer le respect pour quelqu’un ou le saluer respectueusement. Qu’en est-il du Nouveau Testament?
Revenons à Matthieu. Dans les évangiles, c’est celui qui utilise le plus proskyneō. Non seulement il est celui qui utilise le plus ce verbe, mais sur les 13 occurrences 10 s’adressent à Jésus, et ces dix occurrences lui sont propres. Et il se permet de l’ajouter (souligné) à ses sources, par exemple dans la guérison d’un lépreux :
C’est là l’expression chez Matthieu d’une théologie haute, où Jésus est présenté sous ses traits divins. Ici, au v. 2, le contexte est celui où les mags expriment la raison pour laquelle ils ont quitté leur pays pour se rendre à Jérusalem. Matthieu semble jouer sur deux plans. D’une part, comme l’objet de l’intérêt des mages est un roi, il est normal qu’ils veuillent poser le geste habituel vis-à-vis d’un souverain, celui de se mettre à genou pour toucher le sol avec son front et exprimer ainsi sa révérence. Mais d’autre part, comme nous l’avons vu, chez Matthieu le geste de se prosterner devant Jésus exprime toujours une certaine foi dans la seigneurie de Jésus. Et l’auditeur de l’évangile de Matthieu devait voir dans les mages les premiers Gentils à croire en Jésus, une anticipation de tous ceux qui se joindront plus tard à la communauté chrétienne. |
Textes avec le verbe proskyneō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 3 Quand il entendit ces paroles, le roi Hérode fut bouleversé, comme d'ailleurs l'ensemble des citoyens de Jérusalem.
Littéralement : Puis, ayant entendu (akousas), le roi Hérode fut troublé (etarachthē) et tout Jérusalem avec lui. |
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akousas (ayant entendu) |
Akousas est le verbe akouō au participe aoriste actif, nominatif masculin singulier, et s’accorde avec le mot « roi » qui suit. Il signifie : écouter, entendre, et il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 62; Mc = 42; Lc = 64; Jn = 59; Ac = 89; 1Jn = 14; 2Jn = 1; 3Jn = 1. En français, entendre ou écouter a plusieurs significations. Il a bien sûr d’abord la signification d’entendre des bruits, mais aussi peut signifier un accord (« c’est entendu »), ou le fait de s’exprimer (« se faire entendre »), ou d’être informé (« entendre parler »), ou désigner l’activité d’un juge (« entendre une cause »), ou signifier mal comprendre une chose (« entendre de travers »), ou renvoyer à une compréhension générale (« étant entendu que »), ou exprimer le fait qu’une prière a été exaucée (« Dieu m’a entendu »), etc. On pourrait faire aussi une liste des diverses significations du verbe « écouter ». Il en de même dans les évangiles avec le verbe akouō.
La signification la plus obvie est celle d’entendre des bruits :
Mais akouō entend aussi décrire le fait qu’on apprend une nouvelle, qu’on est mis au courant de quelque chose :
Parfois akouō entend signifier plus qu’entendre une parole ou une nouvelle, car il comporte la nuance de comprendre :
Akouō a parfois aussi le sens d’apprendre ou acquérir un savoir, surtout quand il renvoie à ce qui a été reçu comme tradition du passé :
Comme en français, akouō peut exprimer le fait qu’une demande a été acceptée, qu’une prière a été exaucée, qu’on a obéi à une exigence :
Chez l’évangéliste Jean, akouō implique souvent la foi, et donc écouter ou entendre signifie : croire :
Encore chez Jean, akouō entend traduire la connaissance qu’a Jésus de son Père, et donc de la communion unique qui existe entre les deux; le verbe « entendre » traduit la transparence totale à la parole du Père :
Enfin, il y a le cas unique où akouō renvoit à la procédure judiciaire où un juge entend des témoins :
Revenons à Matthieu. Ce mot fait partie de son vocabulaire, car sur les 63 occcurences du verbe dans son évangile, 32 lui sont uniques. Comme Juif, on comprend que la parole est importante, et donc son écoute. Et il se permet d’ajouter ce verbe (souligné) aux sources qu’il reçoit, comme Marc :
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Le verbe akouō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
etarachthē (il fut troublé) |
Etarachthē est le verbe tarassō à l’indicatif aoriste passif, 3e personne du singulier. Le sujet est Hérode. Il signifie : troubler, remuer, bouleverser, et il est très rare dans l’ensemble de Nouveau Testament, et chez les évangélistes, seul Jean l’utilise un certain nombre de fois : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 6; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Le verbe « troubler » signifie fondamentalement : briser l’état de quiétude d’une réalité. Cela peut s’appliquer à des objets comme l’eau (« quand l'eau est troublée », Jn 5, 7), tout comme à des personnes (« le roi Hérode fut troublé », Mt 2, 3). Appliqué à une personne ou à un groupe, le mot entend décrire la perte de la paix intérieure ou de la quiétude, et il a souvent une connotation négative.
Il y a le cas particulier de l’évangile selon Jean où c’est Jésus qui est troublé : Jésus est troublé en voyant les gens pleurer la mort de Lazare (11, 33), il est troublé devant l’approche de l’heure de sa mort (12, 27), il est troublé devant la trahison de Juda (13, 21). Quel sens donner à ce trouble? À chaque fois Jésus fait face à une épreuve : l’épreuve des gens qui pleurent Lazare parce qu’ils ne croient pas à la résurrection, l’épreuve de la trahison de l’un de ses disciples, l’épreuve de sa propre mort. C’est la façon pour l’évangéliste de souligner que Jésus est conscient de ce qui l’attend, et en même temps l’affronte volontairement et avec confiance. C’est probablement en ce sens qu’il faut comprendre ces deux passages où Jésus invite ses disciples à croire en lui, et donc à ne pas se troubler (14, 1), et où il leur donne sa paix, ce qui permettra à leur cœur de ne pas se troubler (14, 27); le soutien de Jésus ressuscité dans la foi permet de surmonter ce qui trouble. Il n’y a que deux occurrences de tarassō chez Matthieu. En 14, 26 Matthieu reprend simplement tel quel le verbe dans le récit de Marc 6, 50 sur Jésus qui marche sur les eaux où les disciples sont troublés. On peut penser que ce n’est pas un mot qui appartient vraiment au vocabulaire matthéen et que sa présence dans cette scène des mages provient de sa source. Ici, c’est Hérode qui est troublé et « tout Jérusalem avec lui ». Qu’est-ce-à dire? Avec Hérode et tout Jérusalem c’est le peuple juif qui est représenté. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, « être troublé » a une connotation négative. Prenons l’exemple du récit de la marche de Jésus sur les eaux (Mt 14, 22-33 || Mc 6, 45-52) : la cadre suggère que nous sommes après la résurrection de Jésus, et l’échec des disciples à croire que Jésus a vaincu le mal et la mort (représenté par les eaux), fait en sorte qu’ils ne voient en Jésus qu’un spectre du monde des morts et ils sont alors « troublés »; c’est seulement en retrouvant la foi avec l’aide de Jésus qui s’identifie par sa parole qu’ils retrouveront la paix et proclameront à la fin : « Vraiment, de Dieu fils tu es ». Matthieu est celui qui insistera le plus au procès de Jésus sur l’implication du peuple juif, en particulier des autorités, dans la mort de Jésus. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le fait qu’Hérode et tout Jérusalem soit troublé : c’est une réaction liée à l’absence de foi. C’est ce manque de foi qui a conduit à sa condamnation à mort sous une fausse compréhension de son titre de « roi des Juifs ». Et c’est ce manque de foi qui conduit Hérode et tout Jérusalem à interpréter de manière erronée la signification de la naissance du roi des Juifs et à aussitôt le rejeter. |
Le verbe tarassō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 4 Après avoir rassemblé les grands prêtres et les spécialistes de la Bible dans la population, il se mit à s'informer où devait naître le messie.
Littéralement : et ayant rassemblé (synagagōn) tous les grands prêtres (archiereis) et les scribes (grammateis) du peuple (laou), il s’enquérait (epynthaneto) auprès d’eux où le oint (christos) est engendré. |
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synagagōn (ayant rassemblé) |
Synagagōn est le verbe synagō au participe aoriste actif, nominatif masculin singulier, et il s’accorde avec le sujet « il » du verbe « s’enquérir », qui est Hérode mentionné au verset précédent. C’est un mot composé de la préposition syn (avec) et du verbe agō (mener, conduire), et signifie donc : mener ou conduire avec, d’où rassembler.
C’est surtout chez Matthieu qu’on le retrouve dans tout le Nouveau Testament : Mt = 24; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7; Ac = 11; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il se permet même de l’ajouter à ses sources (l’ajout est souligné).
Matthieu utilise le verbe synagō dans quatre grands contextes. Il y a d’abord celui des rassemblements humains où on se réunit pour une décision, une action, une activité ou un événement. Par exemples :
Le contexte peut-être celui des fruits de la nature comme le blé, le grain, l’ivraie, ou même les poissons de la mer, et alors « rassembler » traduit l’idée de récolter, recueillir, ramasser. Par exemple :
Plutôt qu’être celui des fruits de la nature, le contexte peut-être celui plus général des biens ou de tout ce qui nous appartient qu’on cherche à ramasser ou à rassembler.
Enfin, il y a le contexte particulier chez Matthieu où, lors du jugement dernier, le roi fait référence aux étrangers. De manière surprenante, Matthieu utilise le verbe synagō pour décrire l’action de les accueillir, plutôt qu’un verbe comme lambanō (accueillir, recevoir). Il est probable que le verbe entend décrire le geste de les « rassembler » à sa famille, donc de les intégrer, une façon de les accueillir; dans un monde centré sur les ethnies, intégrer l’étranger était vital pour lui.
Ici, au v. 4, il s’agit bien sûr du contexte du rassemblement des gens qui veulent discuter. C’est le contexte le plus fréquent chez Matthieu, et dans plus de la moitié des cas, ce rassemblement est contre Jésus. Il s’agit des Pharisiens, des grands prêtres, des anciens du peuple, des scribes. Dans le récit de la passion, ce verbe revient six fois. C’est donc dans ce même contexte qu’il faut lire synagō au v. 4 : bien sûr, Hérode fait un rassemblement de grands prêtres et de scribes, un mini Sanhédrin, pour obtenir de l’information des spécialistes de la Bible sur le lieu de naissance du messie, mais on sait que le but ultime est de le faire périr, tout comme dans le récit de la passion. |
Le verbe synagō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
archiereis (grands prêtres) |
Archiereis est le nom archiereus à l’accusatif masculin pluriel. L’accusatif est requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct du verbe « rassembler ». Il est formé du préfixe arch, qui est de la même racine que le verbe archō (commencer, être premier) et du nom hiereus (prêtre), donc premier prêtre ou grand prêtre. Dans le Nouveau Testament, ce nom n’apparaît que dans les évangiles-Actes, sauf dans l’épitre aux Hébreux où le titre est appliqué à Jésus : Mt = 25; Mc = 22; Lc = 15; Jn = 21; Ac = 22; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; He = 17.
Que sait-on sur le grand prêtre? À l’origine, la fonction de grand prêtre consistait à offrir le sacrifice quotidien, à accomplir le rite de l’Expiation une fois par année, à la fête du grand pardon (Yom Kippur), alors qu’il entrait dans le Saint des Saints, à assurer la surveillance du Temple, de son personnel et du culte, ainsi qu’à présider le Sanhédrin. Cette fonction semble apparaître tardivement après l’exil et après la reconstruction du temple (sur ce qui suit, voir L. Monloubou – F.M. Du But, op. cit., p. 297-298). Elle est liée avec le moment où la monarchie avait pratiquement disparu et que le grand prêtre héritait progressivement des diverses prérogatives qui avaient été celles des rois. D’ailleurs l’investiture du grand prêtre rappelait les rites du couronnement du roi, en particuliers l’onction. C’est ansi que le grand prêtre devint le chef de la nation et son représentant devant Dieu. Les premiers grands prêtres semblent descendre de Josué fils de Yehosadaq (Ag 2, 4), et donc étaient de la lignée des fils de Sadoq. Les derniers de cette lignée furent Onias II (-246 à -220), son fils Simon le Juste (-220 à -195; voir Si 50), puis Onias III qui fut supplanté par son frère Jason (-173 à -171). En -167 commencent les persécutions d’Antiochus Épiphane, et Onias IV, fils Onias III s’enfuit en Égypte. Après le court règne du roi persécuteur, le temple est purifié en l’an -164, et en l’an -152 Jonathan Maccabée, un asmonéen, frères de Judas Maccabée et descendant de Ioarib (et donc n’était pas issu de la ligne sadoquite.), est nommé grand prêtre par le roi de Syrie Alexandre Balas, ce qui entraîne l’éviction des Oniades. C’est peut-être à ce moment que Onias IV fonde le temple de Léontopolis en Égypte (Josèphe, Antiquités judaïques, XIII, #62-73), et que le « Maître de justice » (Document de Damas 1, 11) se réfugie à Qumrân. Avec la dynastie asmonéenne se succèdent des personnages qui seront à la fois ethnarques ou rois et grands prêtres : Simon Thassi (-142 à -135), Jean Hyrcan I (-134 à -104), Aristobule I (-104 à -103), Alexandre Jannée (-103 à -76), Salomé Alexandra (elle ne sera que reine : -76 à -67), Hyrcan II (-67 à -66), Aristobule II (-66 à -63), Hyrcan II (-63 à -40; mais seulement grand prêtre à partir de -63 en raison de la conquête du romain Pompée, puis ethnarque à partir de -47); Antigone (-40 à -37). En l’an -37 c’est l’arrivée d’Hérode le Grand au pouvoir. Aristobule III sera brièvement grand prêtre en -36, le dernier de la dynastie asmonéenne. Désormais Hérode le Grand se réserve tout le pouvoir politique, et pour le rôle de grand prêtre, il donnera sa préférence aux « fils de Boethos » rappelés d’Égypte : Simon (-22 à -5), Yoazar (-4). Hérode meurt en l’an -4 et son fils Archélaüs lui succède pour la Judée. En l’an 4 de notre ère, Éléazar est nommé grand prêtre jusqu’à ce qu’Archélaüs soit exilé en Gaulle en l’an 6. Son territoire est transféré à Quirinius, légat de Syrie, et les préfets romains qui se succèderont en Judée donneront la préférence comme grand prêtre à la famille d’Anne (6 – 15), son fils Éléazar (16 – 17), son gendre Caïphe (18 – 37), son autre fils Jonathan (37). Le roi Agrippa (41 – 44) partagea le rôle entre le fils d’Anne, Matthias, et les deux fils de Boéthos, Eiloneus. Sous Hérode II de Chalkis et Agrippa II se succèderont neuf grands prêtres, dont Ananie (47 – 51; Paul le rencontra au Sanhédrin, selon Ac 23, 2), et Ananos (qui fit mettre à mort, Jacques, le frère de Jésus, en l’an 62) jusqu’à la destruction du temple par les Romains en l’an 70. Avec la disparition du temple, le rôle de grand prêtre n’a plus lieu d’être. Ici, au v. 4, on aura noté que le mot est au pluriel, alors qu’une seule personne pouvait être grand prêtre. Qu’est-ce-dire? Matthieu reflète l’habitude de continuer à appeler grand prêtres tous anciens grands prêtres, ceux qui étaient retraités ou qui avaient été déposés, et donc qui n’étaient plus en fonction; le titre pouvait même inclure tous les membres de la grande famille à laquelle ils appartenaient. Ce que fait également Luc. Par exemple, quand Jésus débute son ministère vers l’automne de l’an 27, Caïphe est le grand prêtre en titre depuis presque dix ans, alors qu’Anne l’avait été de l’an 6 à l’an 15. Pourtant Luc écrit : « sous les grands prêtres d'Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean » (3, 2). Cette famille élargie continuait à avoir un rôle prépondérant au Sanhédrin, s’occupait de l’administration du temple, de ses édifices, du trésor, de sa sécurité, de l’organisation des prêtres pour le sacrifice quotidien. Bref, le pouvoir religieux est entre leurs mains. Chez Matthieu, comme dans les autres évangiles d’ailleurs, les grands prêtres ne font apparition qu’à la fin de l’évangile, quand Jésus est à Jérusalem, et leur rôle n’est que négatif :
Ici, au v. 4, plane déjà l’ombre de leur rôle négatif. |
Le nom archiereus dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
grammateis (scribes) |
Grammateis est le nom grammateus à l’accusatif masculin pluriel, tout comme l’était le nom archiereus (grand prêtre). Il est présent surtout dans les évangiles synoptiques : Mt = 22; Mc = 21; Lc = 14; Jn = 1; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On le traduit habituellement par scribe, car le mot a la même racine que gramma (lettre, caractère, écrit, signe de l’alphabet) et graphō (écrire, tracer des lettres, rédiger, noter par écrit); c’est quelqu’un qui sait lire et écrire, et donc pouvait exercer la fonction de greffier ou secrétaire ou chancelier (traduction de la BJ pour Ac 19, 35) et qu’on traduit aussi par « homme cultivé » (traduction de la BJ pour 1 Co 1, 20) ou « actuaire » (traduction de Chouraqui pour 1 Co 1, 20). On peut comprendre le prestige de cette fonction dans un monde où la majorité des gens ne savaient ni lire ni écrire.
Notons que le scribe a une longue histoire qui a un écho dans l’Ancien Testament. Il est un fonctionnaire royal, passé maître non seulement dans l’art de la rédaction de documents, mais également dans certaines techniques, comme celles des cadastres, et il jouait un rôle important dans l’administration du royaume. On le retrouve aux côtés de David (2 S 8, 17), de Salomon (1 R 4, 3), de Joas (2 R 12, 11), d’Ézéchias (2 R 18, 18), d’Ozias (2 Ch 26, 11), Néhémie (Ne 13, 13). Il s’occupe de la conservation des archives, et ils ont joué un rôle dans la compilation des textes sacrés qui ont nous a donné le Pentateuque (voir L. Monloubou – F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée – Anne Sigier, 1984, p. 686-687). Personnellement, j’aime traduire le mot « scribe » par « spécialiste de la Bible », car la Bible était l’objet principal par lequel on apprenait à lire, et le but premier pour lequel on apprenait à lire. D’ailleurs, quand on observe leurs interventions dans les évangiles, on remarque qu’ils entendent débattre de points particuliers de l’Écriture, comme cet écho chez Marc où ils enseignaient qu’Élie doit venir avant le messie (9, 11), que le messie est fils de David (12, 35), et que Dieu est unique (12, 32). Au point de départ, il est important de distinguer les trois groupes sociaux que sont les scribes, les pharisiens et les grands prêtres. Par exemple, certains scribes étaient Pharisiens, mais tous les Pharisiens n’étaient pas nécessairement des scribes. Les Pharisiens étaient un groupe politico-religieux et leur nom signifie : les séparés, ou ceux qui sont à part; apparus vers le 2e s. av. J.C., ils visaient une application stricte de la loi, et par là leur recherche de pureté les amenaient à éviter souvent la contamination avec la masse des gens. Cela ne signifiait pas pour autant qu’ils savaient tous lire et écrire, d’où l’expression qu’on trouve en Marc 2, 16 : « les scribes des Pharisiens », que Luc précise ainsi : « les Pharisiens et leurs scribes »; ainsi, certains de scribes étaient dans la mouvance du parti des Pharisiens. Comme leur tradition orale occupait une grande place, la nécessité de savoir lire était d’autant moins importante. Quant aux grands prêtres, on peut imaginer que plusieurs savaient lire et écrire, mais leur appartenance à une lignée héréditaire et leur rôle totalement différent en faisaient un groupe distinct. Notons enfin que si les scribes sont souvent nommés avec les grands prêtres et les anciens, c’est pour refléter la composition du Sanhédrin. Quelle image du scribe nous donne Matthieu? En fait, c’est une image complexe.
Il peut être intéressant de noter comment les scribes sont présentés seuls ou avec d’autres groupes.
On peut noter que c’est chez Marc que les scribes apparaissent le plus souvent seuls, ou encore avec les grands prêtres. Par contre, les Pharisiens apparaissent peu souvent seuls ou avec les scribes. Nous sommes dans la période la plus ancienne de la Palestine, probablement avant l’an 70 et la destruction du temple, et donc avant la période où les Pharisiens prendront le contrôle du Judaïsme. Par contre, si on se tourne vers Matthieu, on voit que les Pharisiens apparaissent 22 fois, soit seuls, soit avec les scribes. Ainsi, Matthieu voit beaucoup les scribes sous la lorgnette des Pharisiens. Quand on arrive à Jean, vers l’an 90 ou 95, le scribe a pratiquement disparu, et seuls demeurent les Pharisiens. Ainsi, pour Matthieu, le scribe n’est pas simplement une personne lettrée, mais il représente en général le Judaïsme. Et ici, au v. 4, il semble jouer un double rôle : celui du spécialiste de la Bible sur lequel compte pour connaître ce que l’Écriture dit sur la naissance du messie, et celui qui est associé au grand prêtre comme membre du Sanhédrin. Ici, son rôle semble neutre, mais connaissant le rôle que Matthieu fait surtout jouer au scribe, il contribue au complot contre Jésus. |
Le nom grammateus dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
laou (peuple) |
Laou est le nom laos au génitif masculin singulier, le génitif étant requis parce que laos est ici le complément de nom de scribe : les scribes du peuple. Dans tout le Nouveau Testament c’est Luc qui utilise le plus ce mot, tant dans son évangile que ses Actes : Mt = 14; Mc = 2; Lc = 36; Jn = 3; Ac = 48; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans les évangiles-Actes, le mot a trois grandes significations.
Dans la majorité des cas, le mot « peuple » fait référence au peuple juif : parfois la référence est explicite avec l’expression « peuple d’Israël », parfois elle est implicite. Cette signification provient de l’AT qui présente l’histoire d’un Dieu qui se veut le père d’un peuple qu’il rassemble et sauve. C’est ainsi que le mot laos a traduit le mot ʿam dans la Septante. Le mot laos est parfois mis en contraste avec le mot « nation » (ethnos) qui désigne les nations païennes.
À deux reprises, laos désigne les nations païennes, et il est toujours au pluriel. Ces deux occurrences se trouvent chez Luc et elles font toutes référence à un passage de l’AT. La Septante a parfois ainsi traduit le terme hébreu gôy (nation, peuple) par le terme laos au pluriel.
Enfin, laos peut désigner le nouveau peuple de Dieu, la communauté chrétienne. Seul Luc le mentionne dans les évangiles-Actes, mais cette notion est très présente chez Paul et dans l’Apocalypse.
Matthieu est loin d’utiliser laos aussi souvent que Luc. Par contre, sur les 14 occurrences de son évangiles, 12 lui sont propres, provenant notamment de sources qui lui sont particulières. Et il y quatre occurrences où Matthieu reprend un récit de Marc qui parle des « anciens », mais le corrige en ajoutant « du peuple »; Matthieu insiste pour dire que ces anciens sont des représentants du peuple, et donc reflètent le peuple. Dans la même logique, il nous offre ce verset terrible lors de la condamnation à mort de Jésus :
Matthieu le Juif est celui qui est le plus sévère envers son peuple. Ici, au v. 4, nous avons une expression étrange : « les scribes du peuple » qui ne se rencontre nulle part ailleurs dans la Bible. Brown (voir note sur Mt 2, 4) propose d’y voir une dépendance à une tradition basée sur la naissance de Moïse où on parlait de « scribes sacerdotaux » qui conseillaient le Pharaon. Ne pourrait-on pas ajouter que, puisque sa source ne parlait pas des anciens, Matthieu tenait à s’assurer qu’on verrait dans ces scribes les représentants du peuple, et que leur action reflétait tout le peuple; leur collaboration avec Hérode était la collaboration de tout le peuple, pour le meilleur et le pire. |
Le nom laos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
epynthaneto (il s'enquérait) |
Epynthaneto est le verbe pynthanomai à l’imparfait moyen de l’indicatif, 3e personne du singulier. La forme moyenne est utilisée pour un verbe réfléchi, et l’imparfait décrit l’idée que l’action est toujours en cours et n’est pas terminée. Le verbe signifie : s’enquérir, s’informer, se renseigner. Il est peu fréquent dans toute la bible, tout comme dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Seul Luc l’utilise à plusieurs reprises. Il s’agit ici de la seule occurrence de Matthieu, et le verbe lui a probablement été suggéré par le matériel pré-matthéen qu’il avait sous les yeux où le roi Hérode s’enquiert auprès des grands prêtres et des scribes sur le lieu de naissance du messie.
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Le verbe pynthanomai; dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
christos (oint) |
Christos est le nom christos au nominatif masculin singulier. Le nominatif est requis car christos est le sujet du verbe « être engendré ». Le mot a la même racine que le verbe chriō (graisser) et signifie littéralement : oint, et est donc un adjectif qu’on a transformé en un nom, l’oint, et qui fait référence à l’oint par excellence, le messie. Pour les chrétiens, christos est devenu le nom propre de Jésus. Alors on devine que ce mot est extrêmement fréquent dans le Nouveau Testament, tout comme il apparaît régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 16; Mc = 7; Lc = 12; Jn = 19; Ac = 25; 1Jn = 8; 2Jn = 3; 3Jn = 0.
Pour une analyse détaillée de christos, on se réfèrera à notre glossaire et à R. Brown. Qu’il nous suffise d’en rappeler les grandes lignes. L’action de « graisser » ou oindre d’huile apparaît dans l’AT avec Salomon (10e siècle), le fils de David, qu’on oindra d’huile lors de son intronisation, un signe de son élection et son adoption par Dieu qui lui assurait la victoire contre ses ennemis et une dynastie éternelle. Quand, après l’exil, les rois ne seront plus de la descendance de David, on se mettra à espérer, du moins en Juda, un retour de cette lignée, un roi terrestre, un oint, qui dirigera son peuple avec justice. Notons aussi, comme nous l’avons mentionné en présentant les grands prêtres, que l’onction d’huile a aussi fait partie de leur intrônisation. En hébreu le mot se disait : māšîaḥ, et en araméen : měšîḥâ’. La Septante a traduit l’hébreu māšîaḥ par le mot grec : christos. À l’époque de Jésus, parler de l’oint c’était parler du messie attendue de la lignée de David. Et à cause de passages de l’AT comme le Ps 2, 7 (« le Seigneur m’a dit : "Tu es mon fils ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré" »), l’oint était considéré comme adopté par Dieu lors de son intronisation, et donc fils de Dieu. Au cours du ministère de Jésus, il n’existe aucun indice que Jésus aurait prétendu être le messie. Par contre, il est plausible que certains de ses disciples l’aient considéré comme le roi promis de maison de David, l’oint appelé à régner sur le peuple de Dieu. La réponse de Jésus a été ambivalente, car d’une part, il refusait certains traits de la perception populaire, et d’autre part, pour lui il revenait à Dieu de définir le rôle que devait jouer ce messie dans le royaume. Il n’en reste pas moins que cette ambivalence était suffisante pour décider ses ennemis de livrer aux Romains ce soi-disant futur roi. Et c’est après sa mort, à la suite de sa résurrection, que Jésus fut appelé messie avec une fréquence étonnante, comme l’atteste d’abord les confessions prépauliniennes, puis les écrits pauliniens, au point que son nom est souvent remplacé par Christ. Qu’en est-il chez Matthieu? Parmi les Synoptiques, c’est lui qui utilise le plus christos, et sur les 16 occurrences dans son évangile, 12 lui sont propres. Et pour saisir l’importance qu’il accorde à ce titre, il faut le comparer à Marc quand il réutilise ses récits, mais en les modifiant pour ajouter : Christ (souligné).
Pourquoi une telle insistance sur ce titre? Rappelons que Matthieu était Juif, et une partie de sa communauté était formée des chrétiens d’origine juive. Et le cœur de la prédication sur Jésus à la communauté juive consistait à proclamer que Jésus était ce messie promis. Que l’on songe à Paul de Tarse. Et dans le récit de l’enfance de Matthieu, c’est un des thèmes directeurs : l’évangile commence avec « L’acte de naissance de Jésus Christ » et la généalogie se termine avec « de laquelle (Marie) fut engendré Jésus, appelé le Christ (1, 16) Au v. 4, on peut être surpris d’avoir une scène centrée sur l’oint, le christ ou messie, alors les mages ont proclamé qu’ils étaient à la recherche du roi des Juifs. Il faut conclure que messie ou Christ et roi des Juifs étaient équivalents : on fait référence au messie descendant du roi David, et donc quelqu’un de lignée royale. |
Le nom christos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 5 On lui répondit: « À Bethléem en Judée, car on peut lire dans le livre du prophète:
Littéralement : Puis, eux ils dirent à lui : à Bethléem de Judée, car ainsi a été écrit (gegraptai) par le prophète (prophētou): |
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gegraptai (il a été écrit) |
Gegraptai est le verbe graphō à l’indicatif parfait passif, 3e personne du singulier. Il signifie : écrire. Il apparaît assez régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 10; Mc = 9; Lc = 20; Jn = 22; Ac = 12; 1Jn = 13; 2Jn = 2; 3Jn = 3. Dans plus de la moitié des cas, le verbe est utilisé pour faire référence à l’Écriture. C’est le cas chez Matthieu où sur les 12 occurrences, 11 prennent la forme stéréotypée du parfait passif : il a été écrit, et renvoie à un passage spécifique de l’Écriture, la seule exception étant la référence à l’écriteau sur la croix, au-dessus de la tête de Jésus.
Voici la liste des passages de l’Écriture auxquelles graphō nous renvoie.
De ces 11 références, seule la première provient de la plume de Matthieu : tout ce qui entoure les tentations de Jésus et la description de Jean-Baptiste proviennent de la source Q, et tout le reste est une reprise de Marc. Cela nous indique que les premiers chrétiens ont relu les événements qui entourent la vie de Jésus à la lumière de l’AT. Mais en plus de ces références à l’AT soulignées par l’analyse du verbe graphō, on trouve aussi chez Matthieu une formule stéréotypée avec le verbe « accomplir » (tout cela arriva pour que s’accomplisse). On pourra consulter la liste fournie par R. Brown. Or, cinq de ces formules stéréotypées appartiennent au récit de l’enfance, dont nos versets 5 et 6. À la suite de son analyse Brown conclut que ces formules sont des ajouts de Matthieu à la tradition qu’il reçoit, exprimant le lien qu’il saisit entre la scène autour de Jésus et l’AT. Ici, Matthieu insère une référence à Michée 5, 1 (« Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël ») et à 2 Samuel 5, 2 (« C’est toi (David) qui feras paître Israël, mon peuple, et c’est toi qui seras le chef d’Israël »). Bien sûr, Matthieu n’est pas unique en associant Bethléem à la naissance du messie. Luc nous raconte aussi que la naissance de Jésus a eu lieu à Bethléem, et Jean semble nous dire que tout le monde le savait (« L’Ecriture ne dit-elle pas qu’il sera de la lignée de David et qu’il viendra de Bethléem, la petite cité dont David était originaire ? », 7, 42). Matthieu est le seul à nous donner la référence explicite. |
Textes avec le verbe graphō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prophētou (prophète) |
Prophētou est le nom prophētēs au génitif masculin singulier. Le génitif est requis à cause de la préposition dia quand elle signifie : à travers, par le moyen de, d’où la traduction : par le prophète. La référence aux prophètes est très fréquente dans les évangiles-Actes : Mt = 37; Mc = 6; Lc = 29; Jn = 14; Ac = 30; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
De quoi parle-t-on lorsqu’on parle du ou des prophètes? Tout d’abord, signalons que le mot désigne celui qui parle au nom de Dieu. Il est la contraction de deux mots : pro (en avant de, à la place de) et phēmi (déclarer, dire). Le prophète est celui qui est le porte-parole d’un autre, qui proclame en son nom. Dans le monde juif, le prophète est avant tout le porte parole de Dieu : il transmet la pensée de Dieu, ses desseins, sa volonté. En hébreu, on l’appelle : nābîʾ (au pluriel : nĕbîʾîm), un mot qui serait dérivé de l’akkadien : « appeler », « annoncer ». Israël a une longue tradition de prophètes dont les paroles ont été mises par écrit et qui font partie de la Bible hébraïque. Rappelons que le Judaïsme a divisé celle-ci en trois parties : la Loi (heb. תוֹרָה: Torah), les Prophètes (héb. נְבִיאִים : nĕbîʾîm) et le Écrits (heb. כְּתוּבִים (ketouvim).
C’est chez Matthieu que le mot « prophète » apparaît le plus fréquemment. Et parmi les 37 occurrences de son évangile, 25 lui sont propres. Il ne faut pas s’en surprendre, car une bonne partie de sa communauté était des Juifs familiers avec l’Écriture. C’est ainsi qu’il se permet d’apporter des précisions à l’évangile de Marc qui s’adressait à des gens dont plusieurs n’étaient pas familiers avec l’Écriture. Voici deux exemples de ces précisions (soulignées).
Les précisions apportées par Matthieu sur le texte de Marc présupposent une communauté familière avec l’Écriture. Les références de Matthieu aux prophètes apparaissent dans quatre contextes différents. Il y a d’abord celui d’une citation d’un passage prophétique de l’Écriture, l’auteur étant parfois explicité. Par exemples :
Puis, Matthieu fait parfois référence de manière générale aux prophètes de l’Ancien Testament. Par exemples :
Comme nous l’avons signalé plus haut, les prophètes constituent également toute une section de l’Écriture hébraïque avec les Lois et les Écrits. Matthieu y fait parfois référence. Par exemples :
Enfin, le mot prophète désigne les prophètes contemporains, soit Jésus, soit Jean-Baptiste, soit les prophètes de la communauté chrétienne, ou simplement la fonction prophétique en général. Par exemples :
Ici, au v. 5, le contexte est celui d’une citation d’un prophète de l’Écriture. Matthieu ne nous donne pas le nom du prophète auquel il fait référence. Mais nous savons qu’il s’agit d’abord de Michée 5, 1 (« Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël »), mais aussi de 2 Samuel 5, 2 (« C’est toi qui feras paître Israël, mon peuple, et c’est toi qui seras le chef d’Israël »). On peut être surpris que 2 Samuel soit rangé parmi les prophètes, mais rappelons que les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois font partie de la section des prophètes dans la Bible hébraïque. On note aussi que Matthieu, en employant le mot « prophète » au singulier, se contente de faire allusion au prophète principal, Michée, les autres prophètes étant intégrés au prophète principal. |
Textes avec le nom prophētēs dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es absolument pas la plus insignifiante ville qui a donné des chefs de Juda, car c'est de chez toi que sera originaire ce chef qui dirigera mon peuple Israël. »
Littéralement : et toi Bethléem, terre de Juda, tu es nullement (oudamōs) le moindre (elachistē) parmi les gouverneurs (hēgemosin) de Juda, car de toi sortira (exeleusetai) gouvernant (hēgoumenos), celui qui fera paître (poimanei) mon peuple Israël (Israēl). |
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oudamōs (nullement) |
Oudamōs est un adverbe qui signifie : nullement, en aucun cas, d’aucune façon. Ce mot n’apparaît nulle part ailleurs dans tout le Nouveau Testament. Dans la Septante, on ne le trouve que dans les livres des Maccabées. C’est donc un adverbe rare, et les témoignages bibliques de son utilisation se situent au premier siècle avant notre ère et après notre ère.
Ici, Matthieu nous propose une citation de Michée 5, 1. Or le texte grec de la Septante qu’il est sensé citer n’a pas du tout le mot oudamōs. Littéralement, la Septante écrit : tu es moindre parmi les milliers de Juda. Or, la version de Matthieu avec l’addition de oudamōs change la signification de la phrase : au lieu d’une forme positive (tu es le moindre), nous avons maintenant une forme négative (tu es nullement le moindre). Certains biblistes se sont demandé si Matthieu n’avait pas en main une autre version du texte grec que la Septante. C’est possible, mais il arrive aussi à Matthieu de prendre l’initiative de modifier le texte grec pour qu’il cadre mieux avec son intention théologique. C’est ce qu’il aurait fait plus tôt avec la citation d’Is 7, 14 (sur l’Emmanuel), comme le propose R. Brown. Quel est ici cette intention? Ce changement semble aller de pair avec le mot « chef » qui suit (la Septante a « milliers », comme nous le verrons plus loin). En effet, Matthieu entend mettre en valeur Bethléem qui donnera au monde ce chef, ce roi-messie, et donc ne peut être vu comme une petite entité parmi toutes les têtes couronnées. Or, cette signification est un peu l’opposé de ce que dit le texte hébraïque et qu’a traduit la Septante, et qu’on pourrait paraphraser ainsi : la ville de Bethléem est si insignifiante qu’on l’ignore parmi les clans de Judas, et pourtant elle sera le lieu de naissance du fameux roi David. En ajoutant oudamōs, Matthieu a plutôt écrit : Bethléem n’est pas du tout insignifiante. |
Textes avec l'adverbe oudamōs dans la Bible
R. Brown: la mise en parallèle de la citation de Matthieu, du texte grec et hébraïque | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
elachistē (le moindre) |
Elachistē est l’adjectif superlatif de elachistos au nominatif féminin singulier, et rapporte à Bethléem. Elachistos est le superlatif de l’adjectif mikros (petit), et donc signifie : le plus petit ou le moindre. Dans les évangiles-Actes il n’apparaît que chez Matthieu et Luc (Mt = 5; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et ailleurs dans le Nouveau Testament, que dans les épitres 1 Corinthiens et Jacques. Chez Matthieu, le superlatif fait référence aux moindres des préceptes (5, 19), i.e. aux préceptes sans importance, et aux moindres des personnes (25, 40), i.e. aux personnes sans importance; de manière générale dans le Nouveau Testament, le mot désigne ce qui est sans importance.
Ici, au v.6 nous sommes dans une soit-disant citation de Michée 5, 1. Or le texte de la Septante de Michée 5, 1 n’a pas le superlatif elachistos, mais plutôt: oligostos (« tu es le plus petit (oligostos) parmi les milliers »), qui provient de l’adjectif oligos qui signifie : peu nombreux. Ainsi, le texte grec de Michée met l’accent sur la population de Bethléem qui est insuffisante pour faire partie de la structure organisationnelle de Juda. En remplaçant oligostos par elachistos, Matthieu opère un changement d’accent : il n’est plus question de la population de Bethléem, mais de son importance. Sans ce changement, il aurait été difficile pour Matthieu de mettre en valeur Bethléem, car la population de ce bourg demeurait probablement très modeste. Mais en utilisant un adjectif évoquant l’idée d’importance, alors il pouvait affirmer que Bethléem était une ville importante, car lieu de naissance du roi-messie. |
L'adjectif au superlatif elachistos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hēgemosin (gouverneurs) |
Hēgemosin est le nom hēgemōn au datif masculin pluriel. Le datif est requis à cause de la préposition en (en, dans, parmi). Il revêt diverses significations : chef, gouverneur, souverain, guide, préfet, président, commandant. Il nous a donné le mot français : hégémonie. Il est peu présent dans le Nouveau Testament, sauf chez Matthieu et Luc : Mt = 10; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Sur les 10 occurrences de Matthieu, 9 lui sont propres. Et dans les occurrences qui lui sont propres et à part notre v. 6, hēgemōn désigne toujours Pilate à qui il donne le titre de gouverneur.
Comment traduire ici hēgemōn alors qu’on parle, non pas d’une personne, mais d’un bourg? Car il faudrait traduire littéralement : « et toi Bethléem, terre de Juda, tu es nullement le moindre parmi les chefs (ou gouverneurs) de Juda ». Mais comment Bethléem peut être un chef ou un gouverneur? Tout d’abord, nous sommes devant une soi-disant citation de Michée 5, 1, et le texte de Septante de Michée 5, 1 n’a pas hēgemōn, mais plutôt : chilias , qui signifie milliers, et qui traduisait ainsi l’original hébreu : ʾelep (milliers). Comment chilias est-il devenu hēgemōn chez Matthieu? Selon certains biblistes, les consonnes hébraïques ʾlp (milliers) peuvent être lues comme ʾallupē (chefs, têtes de clan) ou comme ʾalpē (milliers, clans). Cela présuppose que Matthieu ou l’auteur du texte qu’utilise Matthieu connaissait l’hébreu. Nous avons opté pour la traduction : gouverneur, car ailleurs c'est toujours la signification de hēgemōn. Notons qu'un traducteur comme André Chouraqui a opté pour "chef lieu", pour garder l'idée de comparaison entre villes. |
Le nom hēgemōn dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
exeleusetai (il sortira) |
Exeleusetai est le verbe exerchomai à l’indicatif futur moyen/passif 3e personne du singulier. Il est formé de la préposition ek (de, venant de) et du verbe erchomai (venir, arriver, aller), et donc signifie : sortir, et est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 43; Mc = 39; Lc = 44; Jn = 30; Ac = 30; 1Jn = 2; 2Jn = 1; 3Jn = 1.
Dans le monde sémitique, entrer et sortir sont deux activités fondamentales, qui peuvent résumer l’ensemble des activités d’une vie. C’est ainsi que dans l’AT on a l’expression hébraïque bôʾ (entrer) et yāṣāʾ (sortir) qui est synonyme d’agir. Par exemples :
Chez Matthieu, le verbe revient régulièrement. Sur les 43 occurrences du mot, 22 lui sont propres. Comme l’évangéliste aime être clair et précis, le mot lui permet de bien délimiter l’espace et bien souvent d’exprimer une séparation. Qu’il nous suffise de regarder comment il modifie le texte de Marc en ajoutant (souligné) « sortir ».
La fréquence du verbe exerchomai s’explique par le fait que Matthieu exprime de manière stéréotypée certains déplacements. C’est ainsi que quitter ou partir d’un lieu est toujours exprimé par le verbe « sortir ». Par exemple :
Mais ici, au v. 6, nous avons une expression qu’on ne retrouve nulle part ailleurs chez Matthieu : « car de toi sortira (exeleusetai) gouvernant ». Il ne faut pas s’en surprendre, car Matthieu cite le texte de la Septante de Michée 5, 1, et le texte de la Septante nous donne : « de toi il sortira (exeleusetai) pour moi un chef ». Ainsi, Matthieu s’est contenté de reprendre tel quel le verbe de la Septante. Le verbe exerchomai entend donc désigner la provenance du futur leader et messie. |
Le verbe exerchomai dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hēgoumenos (gouvernant) |
Hēgoumenos est le verbe hēgeomai au participe présent moyen, nominatif masculin singulier; le nominatif est requis car ce participe est le sujet du verbe « sortira ». Hēgeomai n’apparaît que chez Matthieu et Luc dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ailleurs dans le Nouveau Testament, il est utilisé dans les épitres dites pauliniennes, aux Hébreux, de Jacques et la 2e de Pierre. Il revêt deux grandes significations, d’abord l’action de gouverner ou diriger ou aller devant ou commander, puis dans un autre registre sémantique, l’action de considérer ou penser une réalité, la juger ou l’estimer. Comme on pourra le constater dans la liste des occurrences dans le Nouveau Testament, les deux grandes significations se répartissent à parts égales.
Ici, au v. 6, hēgeomai a clairement le sens de gouverner. Encore une fois, rappelons que Matthieu cite ici la version de la Septante de Michée 5, 1. Or dans la Septante on a la phrase : « de toi il sortira pour moi un chef (archōn) d’Israël ». Pourquoi Matthieu n’a-t-il pas simplement repris ici le terme archōn (chef) de la Septante, mais a opté pour le verbe « gouverner » (hēgeomai) ? Il est probable qu’il a voulu être cohérant avec nom « gouverneur » (hēgemōn) utilisé juste avant. De plus, on note que archōn a une signification très générale, puisqu’il peut désigner un chef de maison, un chef de synagogue, un magistrat, un notable, le chef des démons, etc., alors que parler de gouverneur et de gouverner nous situe clairement au niveau politique du roi-messie, ce que recherchent les mages. |
Le verbe hēgeomai dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
poimanei (il fera paître) |
Poimanei est le verbe poimainō à l’indicatif actif futur, 3e personne du singulier. Le sujet est le pronom relatif hostis (celui qui) qui remplace « le gouvernant » qui sortira de Bethléem. Poimanō signifie : paître, faire paître. Il renvoie à l’activité du berger qui s’occupe de son troupeau, et donc par extension signifie : guider, s’occuper de, voir à, gouverner, surveiller. Le verbe est très rare dans le Nouveau Testament, et plus particulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Chez Matthieu, ce verbe n’apparaît qu’ici où il se contente de reprendre cette phrase de 2 Samuel 5, 2a dans la version de la Septante : « Tu feras paître (poimanō) mon peuple Israël ». Sa seule modification est de transformer la 2e personne du singulier (tu feras paître) en 3e personne du singulier (il fera paître). Le texte de 2 Samuel se rapporte au roi David. Maintenant, Matthieu l’applique à Jésus, le roi-Messie. L’action de faire paître exprime l’action pour un roi de gouverner son peuple, et donc de le guider, de le protéger et de lui donner ce dont il a besoin. |
Le verbe poimainō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Israēl (Israël) |
Israēl est un nom indéclinable au masculin singulier. Il est la translittération grecque du terme hébreu yiśrāʾēl, un terme composé de el « but, domaine, chef », d’où « dieu », et du verbe provenant de la racine soit ssr (luire, éclairer, sauver, dominer), soit srh (combattre, lutter). Il apparaît régulièrement chez Matthieu et Luc, beaucoup moins chez les autres évangélistes : Mt = 12; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 4; Ac = 15; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Pour comprendre la signification de ce mot, il vaut la peine de faire un petit détour par l’histoire de ce nom. Le nom Israēl a d’abord été attribué à Jacob, utilisant une étymologie populaire : « Il (l’étranger contre lequel Jacob avait lutté toute la nuit) reprit: "On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l'as emporté." ». Puis, traditionnellement, les Juifs descendant de Jacob se sont appelés « la maison d’Israël », tandis que ceux du sud se faisaient appelés : maison de Juda. Ce fut une des réussites du roi David (10e siècle av. JC) de régner d’abord sur la maison de Juda : 2 Samuel 2, 4 : « Les hommes de Juda vinrent et là, ils oignirent David comme roi sur la maison de Juda »; puis également sur la maison d’Israël : 2 Samuel 12, 8 : « Je (Yahvé, selon les parole de Nathan) t'ai livré la maison de ton maître, j'ai mis dans tes bras les femmes de ton maître, je t'ai donné la maison d'Israël et de Juda et, si ce n'est pas assez, j'ajouterai pour toi n'importe quoi ». Malheureusement, la suite est plus complexe et plus douloureuse, alors qu’un schisme déchire les deux maisons à partir de 933 av. JC, et en 721 av. JC, la Samarie, qui appartient à la maison d’Israël, est prise par les Assyriens qui déportent un certain nombre de personnes et installent des étrangers, si bien qu’un prophète comme Jérémie (vers 620 av. JC), dans ses promesses au nom de Yahvé, doit constamment distinguer les deux groupes : Voici venir des jours -- oracle de Yahvé -- où j'accomplirai la promesse de bonheur que j'ai prononcée sur la maison d'Israël et sur la maison de Juda. En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un germe de justice qui exercera droit et justice dans le pays. 16 En ces jours-là, Juda sera sauvé et Jérusalem habitera en sécurité. Voici le nom dont on appellera la Ville: "Yahvé-notre-Justice. 17 Car ainsi parle Yahvé: Jamais David ne manquera d'un descendant qui prenne place sur le trône de la maison d'Israël (Jr 33, 15-17) La maison de Juda au sud connaîtra aussi le sort de la maison d’Israël au nord et sera condamné à l’exil en Babylonie en 587 av. JC. Mais après le retour d’exil de la maison de Juda et la reconstruction du temple de Jérusalem (vers 520 av. JC), les lignes entre maison d’Israël et maison de Juda commencent à s’estomper et la signification des expressions commencent à changer. Un exemple est donné par 1 Chroniques 28, 4 (on date le livre des Chroniques vers 340 av. JC) où David parle de la décision de Yahvé de le choisir : De toute la maison de mon père, c'est moi que Yahvé, le Dieu d'Israël, a choisi pour être à jamais roi sur Israël. C'est en effet Juda qu'il a choisi pour guide, c'est ma famille qu'il a choisie dans la maison de Juda, et parmi les fils de mon père, c'est en moi qu'il s'est complu à donner un roi à tout Israël. David vient du sud, de la tribu de Juda, mais il est devenu roi de tout Israël, ce qui inclut, selon l’ancienne terminologie, à la fois la maison d’Israël et la maison de Juda. On voit une autre évolution dans les Psaumes, où maison d’Israël en vient à désigner les laïcs par oppositions aux clercs (prêtres et lévites) : « Maison d'Israël, bénissez Yahvé, maison d'Aaron, bénissez Yahvé, maison de Lévi, bénissez Yahvé, ceux qui craignent Yahvé, bénissez Yahvé » (Ps 135, 19-20). À l’aube de l’ère chrétienne, l’expression « maison de Juda » semble être tombée en désuétude, et seule demeure « maison d’Israël » (par exemple, le livre de Judith, vers 75 av. JC., ne connaît que « maison d’Israël » : 4, 15; 6, 17; 8, 6; 13, 14; 14, 5.10; 16, 14). Qu’en est-il du Nouveau Testament? La seule référence à la maison de Juda est une citation de Jérémie 31, 31-34 en Hébreux 8, 8 (« Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, et je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle »). Par contre, l’expression « maison d’Israël » est présente deux fois chez Matthieu en référence à la mission de Jésus et de ses disciples (10, 6; 15, 24), et deux fois dans les Actes des Apôtres, d’abord dans le discours de Pierre à la suite de la Pentecôte (2, 36, « Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié »), ensuite dans le discours d’Étienne qui raconte toute l’histoire sainte et fait une référence au prophète Amos (7, 42, « Alors Dieu se détourna d'eux et les livra au culte de l'armée du ciel, ainsi qu'il est écrit au livre des Prophètes: M'avez-vous donc offert victimes et sacrifices, pendant 40 ans au désert, maison d'Israël? ») Ainsi, Israël et Juda ont connu une évolution différente. Alors que Juda est à la source du terme « Juif », i.e. de Juda, désignant une race précise, Israël en est venu à désigner une entité politico-religieuse. Alors que jamais on n’utilise l’expression Dieu de Juda, l’expression Dieu d’Israël est omniprésente. Et c’est ainsi qu’elle se retrouve dans la bouche de Jésus chez Matthieu pour désigner l’objet de la mission : l’ensemble d’une communauté qui plonge ses racines jusqu’à Jacob, et occupe un territoire précis. Sur les 12 occurrences du mot « Israël » chez Matthieu, 10 lui sont propres, dont 3 dans le récit de l’enfance avec l’expression « peuple d’Israël » et « terre d’Israël » (2, 20-21); autrement ce sont les expressions « maison d’Israël » (10, 6), « villes d’Israël » (10, 23), « maison d’Israël » (15, 24), « Dieu d’Israël » (15, 31), « fils d’Israël » (27, 9). Ici, au v.6, le mot « Israël » fait partie de la citation de 2 Samuel 5, 2a. Matthieu a conservé sa signification politico-religieuse, car il est le territoire du roi-messie. On peut être surpris que Matthieu reprenne cette vision restrictive du messie, alors que son évangile s’adresse à des gens qui incluent les Gentils. Mais comme Juif, Matthieu reste fidèle à l’idée que le messie promis était d’abord pour le peuple d’Israël, que la mission de Jésus concernait originellement exclusivement les Juifs (« Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël », Mt 15, 24), et si on adopte la vision d’Isaïe, c’est à Israël que ce sont joints les nations de la terre pour aller vers sa lumière (voir par exemple Is 2, 2). C’est ce que représenteront les mages. |
Le nom Israēl; dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 7 À la suite de ces paroles, Hérode convoqua secrètement les astrologues, afin qu'ils lui précisent la date exacte où l'astre était apparu,
Littéralement : Alors (tote) Hérode ayant appelé (kalesas) secrètement (lathra) les mages, il se fit préciser (ēkribōsen) auprès d’eux le temps (chronon) de l’étoile apparaissant (phainomenou). |
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tote (alors) |
Tote est un adverbe si ordinaire qu’il n’y aurait rien à dire, s’il n’était un mot presque fétiche chez Matthieu : Mt = 90; Mc = 6; Lc = 15; Jn = 10; Ac = 21; il revient à peu près à tous les 12 versets. C’est un adverbe de temps qu’on traduit habituellement par « alors ». Il permet d’exprimer une séquence logique de cause à effet. Comme Matthieu aime structurer les choses et les présenter de manière ordonnée, tote devient pour lui l’outil idéal. Par exemple, « laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande » (5, 24); ici, la réconciliation doit précéder l’offrande.
Sur les 90 occurrences de son évangile, 81 lui sont propres. Et c’est ainsi qu’il se plaît à ajouter cet adverbe (souligné) à ses sources, que ce soit Marc ou la source Q. Par exemples :
Ici, au v. 7, tote fait suite à l’annonce à Hérode par les grands prêtres et les scribes que le lieu de naissance du messie est Bethléem de Judée. Ayant obtenu cette information sur le lieu géographique de l’enfant-roi, Hérode peut procèder à la seconde étape : connaître l’âge estimé de l’enfant à partir des données astronomiques des mages, puisqu’on assumait que l’apparition de l’astre correspondait au jour de naissance de l’enfant. L’adverbe tote dans le récit exprime donc la conséquence d’obtenir une première pièce d’information. |
L'adverbe tote dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kalesas (ayant appelé) |
Kalesas est le verbe kaleō au participe aoriste actif, nominatif masculin singulier. Le nominatif est requis parce que le participe s’accorde avec le sujet : Hérode. C’est un verbe qui revient régulièrement dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 26; Mc = 4; Lc = 43; Jn = 2; Ac = 18; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Mais Matthieu l’utilise aussi assez souvent, et sur les 26 occurrences dans son évangile, 20 lui sont propres, dont six occurrences dans son récit de l’enfance.
Le verbe signifie : appeler. Mais appeler peut avoir deux grandes significations. Il signifie d’abord nommer une personne ou une chose.
Mais le verbe « appeler » signifie aussi : convier, convoquer, inviter.
Ici, au v. 7, « appeler » a le sens de convoquer : Hérode convoque les mages à une rencontre pour obtenir des renseignements. |
Le verbe kaleō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
lathra (secrètement) |
L’adverbe lathra (secrètement) est très rare dans toute la bible, et plus spécifiquement dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez Matthieu, à part notre verset, il est utilisé pour décrire l’intention de Joseph qui, devant la grossesse hors mariage de Marie, veut suivre les règles religieuses de Dt 22, 20-21 (concernant une femme non vierge lors de son mariage et qui exigeait qu’on lapide la femme, ou dans un système légal moins sévère, qu’on la dénonce publiquement et qu’un acte de divorce soit immédiatement rédigé), mais il préfère procéder plus discrètement : il veut éviter à Marie la honte d’une dénonciation publique et procéder à un divorce pour des motifs plus bénins (sur ce point, voir Brown). N’oublions pas, Joseph ne sait pas à ce moment que l’enfant que porte Marie est l’œuvre de l’action de l’Esprit Saint.
Jetons un bref regard sur lathra dans le reste du Nouveau Testament. Chez Jean (11, 28), c’est Marthe qui informe discrètement sa sœur Marie de l’arrivée de Jésus en raison de la présence de Juifs venus la consoler, sans doute pour protéger sa rencontre personnelle avec Jésus. Chez Luc (Ac 16, 37), c’est Paul qui refuse d’être libéré secrètement à Philippes, voulant que les stratèges reconnaissent publiquement leur erreur. Ainsi, dans un premier cas, le secret a une valeur positive, dans le second cas une valeur négative. Dans la Septante, le secret peut être la voie de la séduction perverse, pour désigner une façon de parler dans l’intimité d’une personne pour la convaincre : c’est un membre de famille qui amène quelqu’un à se tourner vers les faux dieux (Dt 13, 7), c’est Saül qui veut amener doucement David à épouser sa fille (1 S 18, 22), c’est Job qui proclame qu’il ne s’est pas laisser séduire en secret par les astres du ciel pour les considérer comme des divinités. Comme la nuit, le secret permet de faire le mal : c’est l’homme qui dénigre son prochain dans son dos (Ps 101, 5), c’est le roi Ptolémée qui reproche à ses conseillers d’avoir comploté contre le royaume en voulant exterminer les Juifs (3 M 6, 24). Enfin, le secret fait partie de la stratégie de guerre pour s’approcher subrepticement de l’ennemi comme David face à Saül (1 S 26, 5), ou pour envoyer des messages à des alliés (1 M 9, 60). On pourrait aussi ajouter le cas du pauvre qui ne veut pas qu’on sache qu’il mange, pour garder son image de pauvre. Bref, à part les situations de guerre, l’action secrète a toujours une valeur négative et est reliée au mal. Qu’en est-il de notre verset 7? Notons que jusqu’ici il n’y a pas eu de rencontre entre le roi et les mages. Cette convocation pour une première rencontre vise à obtenir de l’information sur la date exacte de la naissance de l’enfant-roi. Pourquoi cette convocation doit-elle être secrète? Selon le v. 3, tout Jérusalem est déjà au courant de la naissance de l’enfant-roi. Il ne s’agit donc pas de taire l’existence de ce jeune rival. Mais puisque cette convocation du roi est centrée sur l’âge de l’enfant, il faut inclure ce détail dans l’exigence du secret : on ne doit pas connaître l’âge de l’enfant. Et par la suite, ce détail servira de critère dans le massacre des garçons de Bethléem et des environs. Il faut donc conclure que le terme « secrètement » utilisé par l’auteur du récit vise à traduire l’idée d’un propos malveillant. Car nous savons bien qu’un roi peut faire ce qu’il veut, peut importe si son geste est connu ou pas. Mais il faut nous situer au niveau du récit, et l’auteur connaissait bien plusieurs scènes de l’AT où le secret est bien souvent la voie suivie pour commettre le mal. |
L'adverbe lathra dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ēkribōsen (il se fit préciser) |
Ēkribōsen est le verbe akriboō à l’indicatif aoriste actif, 3e personne du singulier. Voilà un verbe très rare qui ne se trouve dans toute la Bible que chez Matthieu: Mt = 2; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; il n’apparaît qu’ici et au v. 16, où le verbe nous renvoie à notre verset (« d'après le temps qu'il s'était fait préciser par les mages »). Akriboō signifie : connaître exactement, enquêter assidûment, faire avec précision. C’est donc l’idée d’exactitude et d’enquête qui domine.
Le verbe akriboō serait un verbe technique utilisé en astronomie. Comme les mages sont des astrologues / astronomes, on comprend que l’auteur utilise ce terme. Que s'agit-il de préciser? Nous sommes devant un phénomène astronomique, l’apparition d’une nouvelle étoile à son lever. On peut assumer que les mages, comme astronomes, ont dû noter la date et l’heure de ce phénomène. Tout cela permet de calculer l’âge de l’enfant, en assumant que ce moment correspond exactement à la naissance de l’enfant-roi, selon la mentalité de l’antiquité. Voilà l'information que veut obtenir Hérode. |
Le verbe akribō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
chronon (temps) |
Chronon est le nom chronos à l’accusatif masculin singulier. L’accusatif est requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct au verbe akriboō (se faire préciser). Il signifie : temps; il nous a donné en français les mots : chronologie et chronomètre. Il est peu fréquent dans les évangiles-Acts, sauf chez Luc : Mt = 3; Mc = 2; Lc = 7; Jn = 4; Ac = 17.
Chronos possède deux grandes significations. Il peut renvoyer à une période de temps, le temps perçu comme un fluide qui s’écoule, un fluide qui a un début et une fin.
Il signifie également un point dans le temps ou un moment précis, i.e. une date.
Chronos est rare chez Matthieu. Sur les trois occurrences du mot, deux apparaissent dans le récit des mages en lien avec les l’appartion de l’étoile, l’autre occurrence se trouve dans la parabole dite des talents pour indiquer que le maître revient régler ses comptes après une longue période de temps. Ici, au v. 7, tout comme au v. 16, chronos désigne une date précise, celle de l’apparition d’une nouvelle étoile à son lever. |
Le nom chronos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
phainomenoua (apparissant) |
Phainomenou est le verbe phainō au participe présent moyen, génitif masculin singulier. Le génitif est requis car le participe joue le rôle de complément de nom du mot: étoile. Le verbe est peu présent dans les évangiles-Actes, sauf chez Matthieu : Mt = 13; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 0; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie : amener à la lumière, devenir visible ou manifeste, apparaître, être vu, briller, resplendir.
C’est un verbe tout à fait matthéen. Avec 13 occurrences, l’évangéliste est non seulement celui qui l’utilise le plus, mais les 13 occurrences lui sont toutes propres. C’est ainsi qu’il ajoute (souligné) parfois ce verbe à ses sources.
Sur les 13 occurrences chez Matthieu, quatre se retrouvent dans le récit de l’enfance, dont trois pour décrire le fait que l’ange du Seigneur apparaît en rêve à Joseph. Mais ici, au v. 7 c’est différent : il ne s’agit plus de l’ange qui apparaît, mais de l’étoile. Et le choix du même verbe que celui utilisé pour décrire l’apparition de l’ange n’est pas neutre. Pour le Juif Joseph, Dieu se révèle par l’ange en rêve. Pour les mages qui sont des Gentils, Dieu se révèle aussi, mais par l’étoile, un élément de la nature créée. Ainsi, le verbe phainō renvoit à une révélation de Dieu. |
Le verbe phainō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 8 et après les avoir envoyés à Bethléem, il leur dit: «Allez, et renseignez-vous avec exactitude sur cet enfant; et si jamais vous le trouvez, venez me l'annoncer, afin que je puisse moi aussi me prosterner devant lui. »
Littéralement : Et ayant envoyé (pempsas) eux vers Bethléem il dit : Étant allés (poreuthentes), investiguez (exetasate) avec soin (akribōs) au sujet de l’enfant (paidiou). Puis, quand vous l’aurez trouvé (heurēte), rapportez-moi la nouvelle (apangeilate) pour que (hopōs) moi aussi, étant venu, je puisse me prosterner (proskynēsō) devant lui. |
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pempsas (ayant envoyé) |
Pempsas est le verbe pempō au participle aoriste actif, nominatif masculin singulier. Le nominatif est requis car le participe s’accorde avec le sujet Hérode qui est sous-entendu. Il signifie : envoyer, et il est surtout présent chez Jean où il sert à décrire la relation de Jésus avec son père, puis chez Luc : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 10; Jn = 32; Ac = 11; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Comme on peut le constater, pempō ne présente pas beaucoup d’intérêt pour Matthieu : sur les quatre occurrences, l’un apparaît ici au v. 8 dans le récit de l’enfance et semble provenir du matériel pré-matthéen comme nous le verrons dans l’étude des parallèles; une autre en 11, 2 semble provenir de la source Q, puisqu’on retrouve également le verbe dans le passage parallèle de Lc 7, 18-19; et les autres apparaissent dans un contexte où un roi envoie des gardes et proviennent d’une source particulière de Matthieu. L’évangéliste, comme éditeur, n’a pas introduit pempō à ses sources comme il le fait pour certains verbes qui lui sont chers. Dans notre récit actuel, Hérode envoie les mages à la recherche de l’enfant. Mais, comme nous le verrons dans l’étude des parallèles, la tradition dont se sert Matthieu parlerait plutôt de l’envoie d’Hérode de son service de renseignement à la recherche de l’enfant, car on n’y trouve pas de rencontre entre les mages et Hérode (voir la reconstitution de Brown de la tradition pré-matthéenne). D’ailleurs, il y a quelque chose d’invraisemblable dans le récit actuel qu’Hérode délègue la recherche de l’enfant à ces étrangers orientaux, alors qu’il avait une armée de fonctionnaires pour bien faire ce travail, en particulier un service de renseignement très efficace. Mais Matthieu, dans sa théologie, trouve important d’avoir une trame où Dieu peut déjouer les plans des potentats de cette terre. |
Le verbe pempō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
poreuthentes (étant allés) |
Poreuthentes est le verbe poreuō au participe aoriste passif, nominatif masculin pluriel. Le nominatif est requis car le participe s’accorde avec « mages », le sujet de la phrase. Le verbe poreuō signifie : aller, au sens de se mettre en marche, partir, ou encore être en marche, faire route; c’est l’idée de se déplacer à partir d’un certain point. Luc utilise abondamment ce verbe, lui pour qui la vie du chrétien et de l’Église est un long cheminement : Mt = 29; Mc = 3; Lc = 52; Jn = 16; Ac = 37; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, alors qu’il est absent de Marc, puisque les trois occurrences qu’on y trouve appartiennent à l’appendice probablement d’origine lucanienne, et non à l’évangile lui-même.
Qu’en est-il de Matthieu? Même si son utilisation du verbe ne se compare pas à Luc, le mot fait pourtant bel et bien partie de son vocabulaire. Sur les 29 occurrences dans son évangile, 24 lui sont propres. Et c’est ainsi qu’il ajoute (souligné) régulièrement poreuō à ses sources. Voici deux exemples :
Ici, au v. 8, c’est cette structure de phrase que nous retrouvons et qui est la signature de Matthieu : « étant allés, investiguez avec soin ». Or, ne venons-nous pas de dire que le verbe qui amorce cette phrase : « Et ayant envoyé (pempō) » n’est pas vraiment matthéen? Nous sommes probablement devant une suture de Matthieu. La tradition qu’il a sous les yeux parlait simplement d’un envoi, assumant qu'il s'agissait de gens du service de renseignement d’Hérode. L’évangéliste opère ici une substitution pour insérer les mages qui, eux, sont mandatés d’obtenir les renseignements voulus. |
Le verbe poreuō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
exetasate (investiguez) |
Exetasate est le verbe exetazō à l’impératif aoriste actif, 2e personne du pluriel. Il signifie : se renseigner, rechercher, enquêter, examiner, investiguer. Il est rare dans toute la Bible. Dans le Nouveau Testament, il n’apparaît que chez Matthieu et Jean : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans la traduction par la Septante de la Bible hébraïque, exetazō traduit différents mots hébreux : dāraš (chercher, se renseigner) en Dt 19, 18; bāḥan (examiner, mettre à l’épreuve) en Ps 11, 4-5. Il y a donc l’idée de chercher, questionner, enquêter, et même de mettre à l’épreuve au sens de valider l’identité de ce qu’on cherche. C’est aussi un sens semblable qu’on trouve dans le reste de la Septante.
Malgré qu’il n’y ait que deux occurrences chez Matthieu, le mot semble faire partie de son vocabulaire, puisqu’il l’ajoute (souligné) au texte qu’il reprend de Marc, reflétant peut-être une pratique missionnaire de sa communauté.
Ce n’est donc pas une mince tâche qu’Hérode confie aux mages. C’est sans doute une façon pour Matthieu de souligner l’importance qu’Hérode accorde à ce qu’on trouve cet enfant-roi, qui est en fait un rival. |
Le verbe exetazō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
akribōs (avec soin) |
Akribōs est un adverbe qui signifie : exactement, précisément, minutieusement, avec soin. Au verset précédent, nous avons vu le verbe de la même famille : akriboō, que nous avons traduit par : se faire préciser. Il est très rare dans toute la Bible, et plus spécifiquement dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Comme on peut le voir avec Dt 19, 18 (LXX), l’adverbe met l’insistance sur la minutie et l’exactitude dans le travail d’enquête : « Les juges investigueront (exetazō) avec soin (akribōs), et s'ils voient que c'est un témoin inique qui s'est levé contre son frère pour porter de faux témoignages. Ici, au v. 8, il y a quelque chose d’ironique dans le récit : car enquêter avec soin exprime habituellement le souci de la vérité, mais Hérode veut simplement s’assurer à tout prix de mettre la mains sur l’enfant rival. Tout l’effort est au service du mal. |
L'adverbe akribōs dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
paidiou (enfant) |
Paidiou est le nom paidion au génitif neutre singulier. Le génitif est requis par la préposition peri (en ce qui concerne, au sujet de) qui précède. Dans le monde grec, selon Hérodote (rapporté par Henry George Liddell, Robert Scott, A Greek-English Lexicon), paidion désigne l’enfant jusqu’à sept ans. Il est plus fréquent que pais (enfant, garçon), puisqu’on retrouve 52 occurrences, surtout dans les évangiles : Mt = 18; Mc = 12; Lc = 13; Jn = 3; Ac = 0; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0; 1 Co = 1; He = 1. Rappelons que dans le Nouveau Testament il existe six mots pour désigner l’enfant : teknon (enfant) et son diminutif teknion (petit enfant), pais (enfant) et son diminutif paidion (petit enfant), nēpios (plus jeune) et brephos (nourrisson). Sur le sujet, voir notre glossaire.
Le tableau suivant permet de situer les différentes appellations pour désigner l’enfant selon l’âge.
Comme on peut le constater, sur le plan chronologique l’enfance se déroule de la naissance jusqu’à l’âge de 13 ans, au moment du bar mitzwah (fils de la Loi), où l’enfant en devenant soumis à la Loi, passe à l’âge adulte. Cette enfance se divise en deux parties, paidion, qui désigne l’enfant de moins de 7 ans, et pais, qui désigne en général l’enfant de 7 à 13 ans (mais il y a des cas où le mot est utilisé de manière générale). Nēpios est le bébé au tout début de sa phase paidion, tout comme brephos d’ailleurs, mais ce dernier peut inclure l’embryon dans le sein maternel. Quant au terme teknon, le plus fréquent dans le Nouveau Testament, c’est l’enfant sans aucune connotation d’âge. Et teknion, son diminutif, concerne un adulte à qui on veut exprimer son affection et son attachement, comme en français lorsqu’on dit Ti-Jean, Ti-Louis, ou Loulou. Quant aux nombres d’occurrences dans les évangiles-Actes selon les différentes appellations, nous pouvons faire l’observation suivante.
Qu’en est-il de Matthieu? Comme le tableau ci-dessus le montre, paidion est le mot le plus fréquent chez lui pour désigner l’enfant, et la moitié des occurrences de paidion apparaissent dans son récit de l’enfance; en effet, le mot y désigne Jésus jusque vers l’âge de deux ans. Les seules autres occurrences qui lui sont propres concernent la conclusion des deux multiplications des pains (14, 21 : « Or ceux qui mangèrent étaient environ 5.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants (paidion); voir aussi 15, 38); Matthieu mentionne donc des gens qui n’ont pas de statut social, i.e. les femmes et les enfants, mais comment expliquer la présence d’enfants dans cette scène sinon qu’ils étaient encore inséparables de leur mère. Quant aux autres occurrences, ils proviennent soit de la source Q (11, 16; « Mais à qui vais-je comparer cette génération? Elle ressemble à des gamins (paidion) qui, assis sur les places, en interpellent d’autres »), soit des récits de Marc (18, 2-5; 19, 13-14). Bref, Matthieu respecte l’idée que paidion désigne les enfants de moins de sept ans. | Nom paidion dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
heurēte (vous aurez trouvé) |
Heurēte est le verbe heuriskō au subjonctif aoriste actif, 2e personne du pluriel. Le subjonctif est requis parce que la phrase est introduite par la conjonction epan, formé de la préposition epi (sur, au temps de) et la conjonction an (le cas échéant), et qu’on traduit habituellement par : quand. Il signifie : trouver (après avoir cherché), rencontrer ou tomber sur (quelqu’un), acquérir, découvrir. Il revient régulièrement dans les évangiles-Actes, tout particulièrement chez Luc : Mt = 27; Mc = 11; Lc = 45; Jn = 19; Ac = 35; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0.
Matthieu n’est pas celui qui utilise le plus ce verbe, mais il fait partie de son vocabulaire. D’une part, on constate que sur les 27 occurrences de son évangiles, 14 lui sont propres, soit la moitié; et d’autre part, il lui arrive d’ajouter (souligné) ce verbe à sa source marcienne.
Dans les deux premiers exemples, Matthieu a substitué le verbe « trouver » au verbe « sauver » de Marc. Pourquoi? Il est possible que Matthieu ait voulu « spiritualiser » la vie. En effet, l’évangile de Marc s’adressait à la communauté romaine persécutée, ou perdre sa vie devait être compris au sens littéral, i.e. une mort physique. Ça ne semble pas le cas pour la communauté Matthéenne, probablement située autour d’Antioche vers l’an 80 ou 85. Il nous présente la vie comme un chemin qu’on découvre : « étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et il en est peu qui le trouvent (heuriskō)» (7, 14). Ainsi, qui pense avoir trouvé un chemin de vie, verra son erreur en n’ayant pas cette vie qu’il cherchait; mais qui accepte de se dépouiller de son ancienne vie en prenant le chemin de la porte étroite, trouvera ce qu’il cherche. Quant à l’addition de heuriskō en Mt 27, 32, elle porte la marque du goût de Matthieu pour la précision : Marc n’explique pas pourquoi on a choisi Simon de Cyrène pour porter la croix de Jésus, tandis que Matthieu semble nous dire qu’on a cherché quelqu’un en mesure d’assumer cette tâche, et on a finalement trouvé un homme du nom de Simon. Revenons au v. 8. Il faut ici interpréter à mon avis heuriskō dans le contexte du sens très fréquent que Matthieu donne à ce verbe : trouver la vie, comme nous venons de le voir; ou encore, trouver le Royaume des cieux :
Mais au v. 8 la phrase a quelque chose d’ironique, car c’est Hérode qui demande de trouver cette « perle fine » ou ce « trésor » ou cette « vie ». Pour les mages, ce sera vraiment le cas. Mais pour Hérode, c’est une réalité qu’il rejette et veut faire périr. Pour Matthieu, c’est exactement le drame de l’humanité qui se jouera à la passion. |
Verbe heuriskō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
apangeilate (rapportez la nouvelle) |
Apangeilate est le verbe apangellō à l’impératif aoriste actif, 2e personne du pluriel. Il est formé de la préposition apo (à partir de) et du verbe angellō (annoncer), et donc signifie : annoncer à partir de, d’où rapporter, annoncer, déclarer. C’est l’idée de rapporter une nouvelle, annoncer un événement. Le mot « évangile » (euangelion) est de la même racine : eu (heureux), et angelion (nouvelle), tout comme le mot « ange » (angelos) qui signifie : messager (d’une nouvelle). Il n’est pas très fréquent dans l’ensemble du Nouveau Testament, et dans les évangiles-Actes on le rencontre surtout chez Luc : Mt = 8; Mc = 5; Lc = 11; Jn = 1; Ac = 15; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0, où il s’agit habituellement d’annoncer un événement à quelqu’un. Il est pratiquement absent de Jean où l’occurrence unique fait référence à la communication sur le Père par Jésus, et en Marc on ne trouve en fait que trois occurrences, les autres appartenant à l’appendice de Marc qui porte la marque de Luc.
Malgré qu’il n’y ait que huit occurrences de apangellō chez Matthieu, c’est néanmoins un verbe qui appartient à son vocabulaire et auquel il accorde une certaine importance. L’indice nous est donné par le fait que, dans son travail d’édition de l’évangile de Marc, il ajoute (souligné) apangellō au récit.
Sur les huit occurrences de apangellō chez Matthieu, trois (28, 8.10.11) sont clairement utilisées en référence à la proclamation de la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus. À mon avis, c’est dans ce contexte qu’il faut interpréter apangellō au v.8; car pour les mages, trouver le roi-messie sera une bonne nouvelle, et pour Matthieu et sa communauté, c’est la rencontre du ressuscité. Et encore une fois, il y a quelque chose d’ironique que cette demande de proclamation de la bonne nouvelle provienne d’Hérode, celui qui entend le faire périr. Sur le plan théologique, Matthieu semble affirmer que Dieu se sert même des adversaires pour réaliser son plan de salut. |
Le verbe apangellō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hopōs (pour que) |
Hopōs est soit un adverbe interrogatif, soit une conjonction. Comme adverbe interrogatif, il signifie : comment. Nous navons quun seul exemple dans les évangiles.
Comme conjonction, il joue deux rôles. Il peut introduire une proposition subordonnée finale, et il signifie alors : de façon que, dans le but de, pour que. Par exemples :
Hopōs peut aussi introduire une proposition subordonnée complétive avec des verbes de demande, et il est habituellement traduit par : que. Par exemples :
Ici, au v. 8, hopōs sert à introduire une proposition subordonné où est exprimée la finalité de la demande d’Hérode de rapporter la nouvelle que les mages ont trouvé le roi-messie. Hopōs nest pas fréquent chez les évangélistes, sauf chez Luc, et surtout Matthieu : Mt = 17; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 1; Ac = 14; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. De plus, parmi les 17 occurrences de lévangile de Matthieu, 15 lui sont propres (ne sont pas une copie de Marc ou de la source Q). C’est ainsi qu’il lui arrive de l’ajouter (souligné) à sa source marcienne.
Nous avons donc ici lempreinte de la plume de Matthieu. |
L'adverbe / conjonction hopōs dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
proskynēsō (que puisse me prosterner) |
Proskynēsō est le verbe proskyneō au subjonctif aoriste actif, 1ière personne du singulier. Le subjonctif est requis à cause de la conjonction hopōs qui introduit une subordonnée exprimant la finalité de la demande d’Hérode. Nous avons déjà analysé proskyneō au v. 2 et avons conclu que lorsqu'il est appliqué à Jésus, il exprime avant tout un geste de foi, et exprime la théologie haute de Matthieu. Ici, au v. 8, proskyneō pourrait s’expliquer par le fait que Jésus est considéré comme roi, et donc Hérode suivrait le protocole prévu pour les rois, celui de se prosterner jusqu’à terre et d’offrir des cadeaux. Mais Matthieu écrit pour sa communauté croyante, et comme on vient de la voir, le verbe proskyneō utilisé à l’égard de Jésus doit toujours est interprété dans un contexte de foi. Donc, l’évangéliste poursuit l’ironie : Hérode exprime son intention de rendre hommage au messie, fils de Dieu.
Avant de quitter le v. 8, rappelons notre constatation générale : à part le mot « envoyer » qui n’est pas vraiment matthéen et proviendrait de la tradition pré-matthéenne, le reste du verset relève du vocabulaire matthéen. Qu’est-ce à dire? La tradition qu’utilise Matthieu parlait probablement de l’envoi par Hérode d’officiers pour aller à la recherche de l’enfant roi (voir la reconstitution de Brown de la tradition pré-matthéenne). Matthieu modifie le récit pour insérer une rencontre d’Hérode avec les mages où il leur délègue la recherche de l’enfant-roi et la responsabilité de l’informer. L’insertion des mages, représentants des Gentils, lui permet de créer une scène en contraste entre le monde juif et le monde des gentils. |
Le verbe proskyneō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 9 À la suite des paroles du roi, ils partirent. Et voici que l'astre qu'ils avaient vu à son lever conduisait jusqu'à ce qu'ils parviennent à destination, et alors il se tint au dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant.
Littéralement : Puis, eux, ayant écouté du roi, ils partirent et voici l’étoile, celle qu’ils virent au lever, elle les précédait (proēgen), jusqu’à (heōs), étant venu, elle se tint (estathē) au-dessus (epanō) de là où était l’enfant. |
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proēgen (elle précédait) |
Proēgen est le verbe proagō à l’indicatif imparfait actif, 3e personne du singulier. Il est formé de la préposition pro (devant, en avant) et du verbe agō (mener, emmener, conduire), et signifie donc : amener devant, précéder. Il apparaît seulement à quelques reprises dans les évangiles-Actes (Mt = 6; Mc = 5; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0) et encore plus rarement dans le reste du Nouveau Testament (1 Timothée et Hébreux).
L’action de précéder ou d’amener se situe dans deux grands contextes, celui relié à l’espace, et celui relié au temps. Contexte relié à l’espace Dans ce contexte, proagō est la plupart du temps traduit par « précéder ». Le contexte peut être celui où des gens devancent les autres dans une marche, i.e. marchent devant. Par exemple :
Le contexte peut être aussi celui d’un leader qui marche devant ses troupes. Par exemple :
Il y a le contexte rare où c’est un objet qui précède.
Mais il y a aussi le contexte où il ne s’agit pas pour un groupe ou une personne de précéder les autres, mais plutôt où on amène quelqu’un plus avant ou on le conduit devant quelqu’un d’autre, par exemple un juge; il s’agit en quelque sorte d’une comparution. On trouve des exemples dans les Actes des Apôtres.
Ce contexte inclut l’univers symbolique, i.e. aller devant en s’écartant de la norme.
Contexte relié au temps Dans ce contexte, proagō établit un ordre dans le temps, où des gens arrivent avant d’autres à un endroit, i.e. ils vont plus vite. Par exemple :
Cette préséance dans le temps peut concerner des réalités intangibles comme des prophéties ou des prescriptions ou des actions passées. Par exemple :
Notons que le verbe proagō n’est pas particulièrement matthéen. Il n’apparaît que cinq fois dans son évangile, dont trois occurrences sont simplement une copie de Marc; jamais il n’édite une de ses sources pour ajouter proagō. Il est possible que le verbe lui ait été suggéré par une tradition pré-matthéenne (voir la reconstitution de cette source sur les mages par Brown). Quoi qu’il en soit, quelle est ici la signification du verbe? Dans notre analyse plus haut, nous avons affirmé qu’il faut situer proagō dans un contexte d’espace, et donc que l’étoile est devant les mages, et qu’en bougeant, elle indique une direction. D’après le récit traditionnel, l’étoile exerce cette forme de leadership depuis leur arrivée en Judée. Rappelons que le phénomène cosmique qui a pu être à la source du récit des mages est la conjonction de Saturne et Jupiter vers l’an -7, puis celle de Mars tôt l’année suivante dans la constellation du Poisson du zodiaque. Or, on associait cette constellation du Poisson aux derniers jours et aux Hébreux. Aussi, les mages ont pu se diriger vers la Judée en partir de cette observation, sans avoir besoin d’autre indication. Mais, une fois en Judée, où se diriger exactement? C’est ici que l’astre réapparaît et vient à leur secours pour préciser exactement où en Judée, i.e. Bethléem. |
Le verbe proagō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
heōs (jusqu'à) |
Heōs est une particule qui peut être soit une conjonction, soit un adverbe. Comme conjonction il introduit une limite temporelle : « jusqu’à ce que », par exemple : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite, jusqu'à ce que (heōs) j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds », Mc 12, 36; comme adverbe, il introduit souvent une limite spatiale : « jusqu’à », par exemple : « Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut jusqu’en (heōs) bas », Mc 15, 38. Il revient régulièrement dans les évangiles-Actes, surtout chez Mt = 49; Mc = 15; Lc = 28; Jn = 10; Ac = 22; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
La raison de nous arrêter brièvement à cette particule est que Matthieu aime l’utiliser souvent. Sur ses 49 occurrences, 21 lui sont propres, et il lui arrive même de l’ajouter (souligné) à ses sources.
Ici, au v. 9, heōs porte probablement la signature de Matthieu. Comment concilier ce fait avec notre affirmation que l’évangéliste reprend ici une tradition pré-matthéenne? En effet, cette tradition racontait probablement que l’étoile a conduit les mages à l’endroit où se trouvait l’enfant (voir la reconstitution de Brown). Nous n’avons pas de version indépendante de cette tradition, et Matthieu l’a probablement rendu avec ses propres termes et sa propre syntaxe (voir Brown sur le travail d’édition de Matthieu). |
Conjonction heōs dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
estathē (elle se tint) |
Estathē est le verbe histēmi à l’indicatif aoriste actif, 3e personne du singulier. Comme verbe intransitif, il signifie : se tenir; comme verbe transitif, il signifie : placer. Il revient régulièrement dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 21; Mc = 10; Lc = 26; Jn = 19; Ac = 35; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
La signification du verbe histēmi est marquée par son contexte. Il y a le contexte où, dans un cadre spacial, une personne se trouve ou se place dans un lieu :
Le verbe peut revêtir une valeur transitive dans un contexte où on déplace des personnes ou des objets pour les poser dans un endroit précis :
Il y a les situations où le verbe est synonyme de se tenir debout :
Quand il y a eu précédemment un mouvement, histēmi exprime parfois l’idée que le mouvement s’arrête :
Enfin, il y a les cas où il n’y aucun référence à un mouvement spécial quelconque, mais il s’agit de tenir ou se ternir ferme, solidement, sans broncher :
Matthieu utilise histēmi comme les autres évangélistes. Néanmoins, sur les 21 occurrences dans son évangile, 10 lui sont propres, et il lui arrive de l’ajouter (souligné) à la source marcienne :
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Le verbe histēmi dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
epanō (au-dessus) |
Epanō est un adverbe qui signifie : au-dessus, sur. Les évangélistes ne lutilisent que rarement, sauf Luc, et surtout Matthieu : Mt = 8; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 2; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
On le retrouve dans trois contextes différents.
Ce qui est remarquable chez Matthieu cest que les huit occurrences de son évangile sont toutes uniques, i.e. elles ne sont pas une copie de Marc ou de la source Q. Et même, il se permet de l’ajouter (souligné) à sa source marcienne :
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Textes avec l'adverbe epanō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 10 Ayant ainsi vu l'astre, ils ressentirent une très grande joie.
Littéralement : Puis, ayant vu l’étoile, ils furent réjouis (echarēsan) d’une joie (charan) grande (megalēn) extrêmement (sphodra) |
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echarēsan (ils furent réjouis) |
Echarēsan est le verbe chairō à l’indicatif passif aoriste, 3e personne du pluriel. Le verbe signifie : se réjouir, et il est surtout présent chez Luc, réputé pour être l’évangile de la joie, et dans la tradition johannique : Mt = 6; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 9; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 3; 3Jn = 1. Le verbe est aussi utilisé pour exprimer la salutation en grec, i.e. « réjouis-toi » qu’on traduit habituellement par « salut ». Par exemple :
De quoi se réjouit-on dans la tradition évangélique? Il faut distinguer deux groupes, ceux pour Jésus, et ceux contre lui : Pour Jésus
Contre Jésus
Comme on peut l’observer, pour le disciple les motifs de se réjouir varient beaucoup, mais se concentrent autour de la personne de Jésus, de sa venue, de la fécondité de sa mission, des merveilles de ce qu’il a réalisé, de sa présence continuelle par sa résurrection, et la possibilité d’avoir part au Royaume. Pour la communauté croyante, c’est la perspective du pardon et de retrouver ce qui était perdu, de l’ouverture universelle de la bonne nouvelle et de l’allègement des règles religieuses. À la base de toute cette joie, il y a partout le don de Dieu, dans la mesure où on s’y ouvre. Matthieu n’a pas beaucoup d’intérêt pour le verbe chairō. Sur les huit occurrences de son évangile, trois sont utilisées comme parole de salutation, et la plupart des occurrences sont une copie de ses sources. Que de dire donc de chairō ici au v. 10? Alors que partout ailleurs la source de la joie se situe autour de la personne de Jésus, ici c’est la présence de l’étoile. On pourrait toujours dire que la source de la joie des mages est ultimement l’enfant-roi, car l’étoile est là pour leur indiquer sa demeure. Mais il reste que nous avons dans ce verset quelque chose d’inusité, et qui provient probablement de la tradition qu’utilise Matthieu. |
Le verbe chairō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
charan (joie) |
Charan est le nom chara (joie) à l’accusatif féminin singulier. Un nom à l’accusatif joue habituellement le rôle de complément d’objet direct d’un verbe transitif (par exemple au v. 8 : « Hérode envoya les mages », et le mot « mages » est à l’accusatif). Aussi, il faudrait traduire littéralement : ils réjouirent une joie, ce qui sonne tout à fait étrange. Pourtant, nous avons deux autres exemples dans le NT du verbe « réjouir » accompagné du nom « joie » :
Dans les deux exemples que nous venons de citer, le mot chara (joie) est au datif, et donc joue le rôle de complément d’objet indirect : il spécifie le type de réjouissance. Mais alors il aurait été normal que nous ayons également ici au v. 10 le mot « chara » au datif. Comment expliquer cette anomalie? La réponse la plus probable nous vient de la version de la Septante d’Isaïe 39, 2 : Et à cause d'eux Ézéchias fut réjoui d’une joie grande (echarē charan megalēn) et il leur montra la maison de Nechotha, et l’or, et l’argent, les parfums, les aromates et la myrrhe, puis l’arsenal et ses magasins, enfin tout ce qui se trouvait dans ses trésors (thēsauros). Et il n’y eut rien qu’Ézéchias ne fit voir dans son palais et dans ses domaines. Qu’observons-nous? Nous retrouvons dans ce passage rassemblés les trois mêmes mots qu’ici au v. 10 : se réjouir, joie, grande. Le verbe se réjouir est au même temps, i.e. à l’indicatif aoriste passif, la seule différence étant que dans le texte d’Isaïe il est à la 3e personne du singulier, puisqu’il s’agit d’Ézéchias, et qu’ici au v. 10 il est à la 3e personne du pluriel, puisqu’il s’agit des mages. Le nom « joie » est à l’accusatif féminin singulier (charan), ainsi que son attribut « grande » (megalēn), tout comme ici au v. 10. Le contexte du passage d’Isaïe est celui du roi de Babylone qui envoie vers 703 au roi de Judée, qui avait été malade, une embassade avec des lettres et des présents, et Ézéchias, dans sa joie, lui montre la chambre de ses trésors : or, argent, parfum, aromates, myrrhe. Le texte hébreu dit simplement : « Ézéchias se réjouit (śāmaḥ) avec eux (les messagers) ». Le traducteur de la Septante s’est donné une marge de liberté en traduisant : « Ézéchias fut réjoui d’une grande joie », et ayant le mot « joie » à l’accusatif. Or, ce passage d’Isaïe est repris tel quel par 2 Rois 20, 13. Mais cette fois le traducteur de la Septante (certainement un autre que celui d'Isaïe 39, 2) a traduit ainsi l’hébreu : « Ézéchias fut réjoui à ce sujet ». Que conclure? Le traducteur de la Septante d’Isaïe 39, 2 s’est donné beaucoup de liberté avec « Ézéchias fut réjoui d’une joie grande (echarē charan megalēn) », et en faisant de « joie » un complément d’objet direct, comme pour dire : « Ézéchias a eu une grande joie », il a introduit une forme inusité. Or, l’auteur du récit des mages connaissait fort probablement ce passage d’Isaïe qui parlait d’une ambassade d’un pays d’Orient apportant des présents, et mentionnait une chambre de trésors avec de l’or, de l’argent, des parfums, des aromates et de la myrrhe. Comme nous l’avons dit, Matthieu reprend ici une tradition pré-matthéenne du récit des mages, et n’a pas jugé bon de la modifier ici. |
Le nom chara dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
megalēn (grande) |
Megalēn est l’adjectif megas à l’accusatif féminin singulier, s’accordant en genre et en nombre avec le nom « joie » qui précède. Il est assez fréquent dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 20; Mc = 15; Lc = 26; Jn = 5; Ac = 31; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Il signifie littéralement : grand. Mais selon le nom qu’il qualifie, il peut prendre différentes nuances. Par exemple :
Matthieu emploie régulièrement cet adjectif. Sur les 20 occurrences, 12 lui sont propres. Et il se permet de modifier sa source marcienne pour l’ajouter (souligné). Donnons deux exemples (voir aussi Mt 24, 24 || Mc 13, 22; Mt 24, 31 || Mc 13, 27).
Ainsi l’adjectif megas fait vraiment partie du vocabulaire de Matthieu. Ceci dit, pouvons-nous affirmer que l’expression « grande joie » est de la plume de Matthieu? Or, nous venons d’affirmer plus haut que l’expression « ils furent réjouis d’une grande joie » est probablement empruntée à Isaïe 39, 2 par l’auteur du récit pré-matthéen des mages, et que Matthieu se serait contenté de la reprendre telle quelle, même si l’expression « être réjoui de joie » avec « joie » à l’accusatif est inusité. Or il est possible que l’un des motifs pour Matthieu de retenir telle quelle cette expression est qu’elle exprime les sentiments qui font suite à l’accueil de la bonne nouvelle; c’est ce qu’il affirmera à la fin de l’évangile en modifiant le texte de Marc, où les femmes quittent le tombeau vide pleine de peur et ne disent rien à personne, en écrivant plutôt : « Quittant vite le tombeau avec peur et grande (megas) joie (chara), elles coururent porter la nouvelle à ses disciples » (Mt 28, 8). Ainsi, pour Matthieu, ce qu’exprime cette tradition sur le sentiment des mages devant l’étoile, qui est fort probablement associée à l’étoile de David et au messie, exprime les sentiments du croyant devant la bonne nouvelle. Il n’a pas créé cette expression, mais il la retient vivement, nous donnant un écho de ce que vivent les Gentils de sa communauté. |
L'adjectif megas dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
sphodra (extrêmement) |
Sphodra est un adverbe qui signifie : extrêmement, fortement, excessivement. Dans le Nouveau Testament il n’apparaît que dans les évangiles-Actes, à l'exception d'une occurrence dans l’Apocalypse : Mt = 7; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Par contre, cet adverbe est fréquent dans la Septante.
Comme les statistiques le montrent, c’est un adverbe surtout matthéen. Toutes les occurrences de son évangile lui sont propres. Comme il le fait souvent, il se permet d’ajouter (souligné) cet adverbe à sa source marcienne. Voici deux exemples (voir aussi Mt 19, 25 || Mc 10, 26)
L’adverbe permet à Matthieu d’accentuer les sentiments :
C’est ce qu’il fait ici avec le récit de mages, mais cette fois, de manière unique dans tout l’évangile, ce sont des sentiments positifs de joie. Cela donne une idée de ce que représente pour lui et pour sa communauté la bonne nouvelle du messie. |
L'adverbe sphodra dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 11 Après être entré dans la maison, ils aperçoivent l'enfant avec Marie, sa mère. Alors ils se prosternèrent devant lui en s'agenouillant, puis après avoir ouvert leurs coffrets, ils lui offrirent des cadeaux: de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
Littéralement : Et, étant venus dans la maison (oikian), ils virent l’enfant avec Marie (Marias), la mère (mētros) de lui, et étant tombés (pesontes) (par terre), ils se prosternèrent devant lui et ayant ouvert (anoixantes) les trésors (thēsaurous) d’eux, ils offrirent (prosēnenkan) à lui des dons (dōra), or (chryson) et encens (libanon) et myrrhe (smyrnan). |
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oikian (maison) |
Oikian est le nom oikia (maison) à l’accusatif féminin singulier. L’accusatif est requis par la préposition eis (vers, jusqu’à, dans). Deux mots désignent en grec la maison, le nom masculin oikos, et le nom féminin oikia. Tous les évangélistes utilisent les deux termes : oikos (Mt = 10; Mc = 13; Lc = 33; Jn = 5; Ac = 25; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) et oikia (Mt = 25; Mc = 18; Lc = 24; Jn = 5; Ac = 11; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0). Comme on peut le constater, Matthieu et Marc préfèrent oikia à oikos, alors que Luc préfère oikos à oikia, tandis que Jean les utilise de manière équivalente. Il ne semble pas y avoir de nuance entre les deux termes. Un exemple typique provient de Jean où la maison de Marthe et Marie est appelée dabord oikos, puis oikia :
Quand on parcourt lutilisation de oikia par les évangélistes, on note quatre significations possibles.
Chez Matthieu, oikia désigne généralement la maison physique, la seule exception étant les cas où il sagit des résidents de la maison (10, 13-14; 12, 25; 13, 57). Que dit-il sur la maison?
Ces références suffisent à démontrer que, quand Matthieu parle d’une maison, il ne parle pas d’une simple bicoque, mais d’un bâtiment qui peut accueillir plusieurs personnes. Alors comment comprendre le mot « maison » ici au v. 11? Pour Matthieu, il est très clair que Joseph et Marie sont des résidents permanents de Bethléem et que leur maison correspond aux résidences habituelles de la ville. Et c’est donc trahir ce qu’écrit Matthieu que de transposer ici le récit de Luc et de faire naître Jésus dans une étable et une mangeoire. Le fait qu’on mette des mages devant une crèche prend sa source dans la confusion du récit de Luc avec celui de Matthieu. Certains biblistes ont essayé de concilier les deux récits sans convaincre qui que ce soit. |
Le nom oikia dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Marias (Marie) |
Marias est le nom Maria au génitif féminin singulier. Le génitif est requis à cause de la préposition meta (avec). Notons que le nom « Marie » apparaît en grec dans les évangiles-Actes sous deux formes, la forme déclinable Maria (Mt = 3; Mc = 8; Lc = 3; Jn = 5; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et la forme indéclinable Mariam (Mt = 8; Mc = 0; Lc = 14; Jn = 10; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). La Septante n’utilise que la forme Mariam. Le mot grec provient de l’hébreu : Miryām, le nom de la sœur de Moïse et Aaron.
Chaque évangéliste fait des choix différents quant à la forme du mot. Dans son récit de l’enfance, Matthieu nous présente toujours la forme Maria pour désigner la mère de Jésus, mais de manière surprenante en 13, 55 il modifie Marc qui a Maria pour avoir la forme Mariam. Tout aussi surprenante est sa façon de désigner Marie de Magdala sous la forme Mariam, modifiant le Maria de Marc, sauf en 27, 56 où il se contente de copier de Maria de Marc (certains copistes comme celui du codex Ephraemi Rescriptus, 5e s., ont vu l’incohérence et ont écrit « Mariam »). L’autre Marie a toujours la forme Maria. Chez Marc, on a toujours la forme Maria. Luc utilise toujours la forme Mariam dans son récit de l’enfance pour parler de la mère de Jésus, sauf en 1, 41 (« la salutation de Marie »). De même, il emploie toujours la forme Mariam pour désigner la sœur de Marthe. Par contre, Marie de Magdala et l’autre Marie apparaissent toujours sous la forme Maria. Chez Jean, la sœur de Marthe est toujours appelée Mariam, comme chez Luc. Par contre, Marie, la femme de Clopas et Marie de Magdala ont la forme Maria, sauf à la fin de son évangile où Marie de Magdala prend la forme Mariam. Dans ses Actes, Luc présente la mère de Jésus sous la forme Mariam, et la mère de Jean-Marc sous la forme Maria. Dans l’ensemble du Nouveau Testament, les 53 occurrences du nom « Marie » se partagent en parts presqu'égales entre Maria et Mariam. Que conclure? Il est clair que la forme Mariam appartient avant tout à un milieu juif, tandis que la forme Maria à un milieu gréco-romain. Mais comme nous n’avons pas un portrait complet et exact de l’histoire de la rédaction des évangiles, il est impossible d’expliquer totalement la présence de Maria ou de Mariam. De manière générale, on peut affirmer que la mère de Jésus est plutôt absente des évangiles, à l’exception de Jean qui, pourtant, ne nous donne jamais son nom; car le 4e évangéliste lui fait jouer un rôle symbolique, celle de la mère des croyants. Luc nous surprend : car dans son récit de l’enfance Marie est une figure centrale, mais elle disparaît complètement par la suite. Qu’en est-il de Matthieu? Dans son récit de l’enfance, c’est Joseph qui est la figure centrale. De Marie, on dit simplement que c’est d’elle que naquit Jésus, qu’elle était la fiancée de Joseph et qu’elle fut enceinte avant leur cohabitation par l’action de l’Esprit Saint, et qu’elle est à la maison avec Joseph quand se présentent les mages. Elle apparaît surtout comme l’instrument du plan de Dieu, sans qu’on présente quelle qu’action que ce soit. Matthieu la mentionnera de nouveau en 13, 55 en reprenant un passage de Marc et ajoutant l’expression : « N'a-t-il pas pour mère la nommée Marie », faisant ressortir qu’elle n’est pas une figure très connue. Ainsi, dans le récit de l’enfance et plus particulièrement au v. 11, Marie n’existe que par Joseph, comme c'est habituellement le cas dans la culture juive. |
Le nom Maria dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mētros (mère) |
Mētros est le nom mētēr (mère) au génitif féminin singulier. Le génitif est requis car le mot est apposition à Marie, qui est au génitif. Le mot mētēr nous a donné en français les mots : maternel et maternité. Il est très présent dans les évangiles-Actes (Mt = 26; Mc = 17; Lc = 17; Jn = 11; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), mais avec un total de 75 occurrences, il l’est beaucoup moins que le nom « père » (patēr) avec ses 316 occurrences, ce qui normal dans un contexte de société patriarchale. Notons aussi que sur les 75 occurrences, 13 appartiennent aux récits de l’enfance de Luc (7) et de Matthieu (6).
La diverses références à la mère dans les évangiles-Actes tombent dans trois catégéries : la mère de Jésus, la mère d’une autre personne, et la mère en sens général. Le tableau suivant les représente selon les évangélistes.
Que révèle ce tableau? Tout d’abord, Marc, qui a écrit son évangile vers l’an 67, n’a que deux occurrences avec « mère de Jésus » et elles sont concentrées en une seule scène : la mère et frères de Jésus veulent le voir, mais plutôt que de les accueillir, Jésus fait une homélie sur la véritable maternité et fraternité, qui est basée sur l’accueil de la parole de Dieu; on ne trouve ici aucune mise en valeur de la mère de Jésus. C’est un peu différent chez Matthieu et Luc vers les années 80 ou 85, qui, en plus de reprendre la scène de Marc sur la mère et les frères de Jésus qui veulent le voir, nous présentent un récit de l’enfance de Jésus. Chez Matthieu, la mère de Jésus est mentionnée plusieurs fois, comme celle par qui naîtra Jésus par l’action de l’Esprit Saint, celle que Joseph doit accueillir chez et qu’il doit protéger avec son enfant; mais on ne la voit poser aucun geste spécifique, elle est simplement la fiancée de Joseph. C’est différent chez Luc, où elle devient une femme de foi qui accueille la parole de Dieu transmise par l’ange Gabriel et qui exprime sa gratitude, celle qui sera appelée à souffrir à cause de son fils et qui médite dans son cœur les événements entourant son fils; nous sommes devant une grande femme de foi. C’est ainsi que dans les Actes des Apôtres elle sera assidue à la prière avec les disciples. Le sommet est atteint avec Jean, écrivant vers les années 90 ou 95, où la mère de Jésus joue un rôle dans la vie publique de Jésus, en intervenant à Cana comme une femme de foi, et surtout à la crucifixion de Jésus où l’évangéliste affirme qu’elle est passée d’une relation biologique à une relation spirituelle de foi, où elle devient avec le disciple bien-aimé les prémices de cette communauté de foi qui deviendra l’Église. Ainsi, avec le temps, la mère de Jésus a pris plus de place et est devenue une plus grande figure. En ce qui concerne la catégorie des « mères en général », Matthieu et Luc sont dépendants de Marc dont ils reprennent la majorité des passages : la véritable mère de Jésus est celle qui écoute la parole; on doit être prêt à quitter sa mère pour suivre Jésus; la Loi de Moïse exige d’honorer son père et sa mère; quand il se marie l’homme quittera son père et sa mère. Matthieu et Luc reprennent également la source Q : la suite de Jésus peut amener la fille à s’opposer à sa mère. C’est donc un portrait mitigé qu’on a de la mère : bien sûr, il faut l’honorer, mais il faut être capable de la quitter pour se marier ou suivre Jésus, et surtout, les liens de la foi sont plus importants que les liens biologiques. Revenons à notre verset 11 qui nous dit à propos des mages : « Ils virent l’enfant avec Marie, sa mère ». La mère est nommée par rapport l’enfant qui est au centre de la scène; à l’exemple de l’ensemble du récit de l’enfance chez Matthieu, elle ne joue aucun rôle, sinon d’accompagner Jésus et Joseph. Mais ce qui surprend dans la scène des mages, c’est l’absence du père. Voilà l’indice que le matériel pré-matthéen sur les mages est indépendant de l’autre matériel pré-matthéen centré sur Joseph, ses fiançailles et sa fuite en Égypte. |
Le nom mētēr dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pesontes (étant tombés) |
Pesontes est le verbe piptō (tomber) au participe aoriste actif, nominatif masculin pluriel. Le nominatif est requis car les mages, sous-entendus, sont le sujet. Il est surtout présent chez Matthieu et Luc : Mt = 19; Mc = 8; Lc = 17; Jn = 3; Ac = 9; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans les évangiles, il apparaît dans trois grands contextes qui marquent sa signification. Il y a d’abord un contexte négatif où « tomber » désigne une réalité qui fait une chute, s’écroule ou est détruite, que ce soit volontaire ou involontaire.
Il y a ensuite le contexte de grande vénération où une personne se prosterne par terre pour exprimer une demande pressante ou rendre hommage.
Enfin, il y a le contexte agraire où on jette la semence en terre.
Chez Matthieu, on retrouve ces trois contextes.
Piptō est un mot matthéen, non seulement en raison de sa fréquence, et que, sur les 19 occurrences de son évangile, 12 lui sont propres, mais également parce qu’il l’ajoute (souligné) à ses sources.
Ici, au v. 11, Matthieu nous présente le geste de tomber par terre pour se prosterner. Le couple piptō (tomber sur ses genoux) et proskyneō (se prosterner) est unique à Matthieu dans les évangiles où il apparaît trois fois (ailleurs dans le Nouveau Testament, on le retrouve dans les Actes des Apôtres, et surtout dans l’Apocalyse). Il exprime la profonde vénération, et chez Matthieu c’est un geste de foi; les mages reconnaissent dans l’enfant-messie leur Seigneur. Dans les mages, l’évangéliste entend représenter les membres non-Juifs de sa communauté. |
Le verbe piptō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anoixantes (ayant ouvert) |
Anoixantes est le verbe anoigō (ouvrir) au participle aoriste actif, nominatif masculin pluriel. Peu présent chez Marc, on le retrouve à quelques reprises chez Matthieu et Jean, et surtout dans les Actes des Apôtres : Mt = 11; Mc = 1; Lc = 6; Jn = 11; Ac = 16; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Ce qu’on ouvre peut être une réalité tant physique que symbolique. Sur le plan physique, il sagit de portes ou de tombeaux qui souvrent, de la bouche qui se met à parler, ou de cassette quon ouvre. Exemples :
Sur le plan symbolique, il fait référence aux yeux ou aux oreilles qui souvrent, une façon de traduire la transformation dune personne, lentrée dans le monde de la foi. De même, parler du ciel qui souvre cest affirmer que la communication entre le monde Dieu et celui des hommes est rétablie. Exemples :
Le verbe anoigō fait partie du vocabulaire matthéen. Sur les 11 occurrences de son évangile, 8 lui sont propres. Et dans les passages qui lui sont propres, il fait surtout référence à la bouche ou aux yeux qui s’ouvrent. Par exemple, ainsi commence son discours sur la montagne : « Et ouvrant (anoigō) la bouche, il les enseignait en disant: » (5, 2). Il lui arrive même de l’ajouter (souligné) à sa source marcienne.
Ici, au v. 11, il s’agit d’ouvrir des trésors. Or, l’expression « ouvrir des trésors » revient à quelques reprises dans la Septante.
L’auditeur de Matthieu devait être familier avec l’expression, et surtout pouvoir saisir le sens symbolique qu’il peut revêtir. |
Le verbe anoigō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
thēsaurous (trésors) |
Thēsaurous est le nom thēsauros (trésor) à l’accusatif masculin pluriel. L’accusatif est requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct à « ouvrir ». Ce nom nous a donné en français le verbe : thésauriser. Le nom est peu fréquent dans l’ensemble du Nouveau Testament, incluant les évangiles : Mt = 9; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Comme on peut le constater, c’est Matthieu qui utilise le plus ce mot.
Quand on parcourt la Bible sur l’usage de thēsauros, par lequel la Septante traduit souvent l’hébreu : ʾôṣār, on peut faire les remarques suivantes. Thēsauros désigne parfois des réalités physiques ou matérielles, parfois des réalités spirituelles. Comme réalité physique, le trésor peut faire référence à diverses possessions matérielles qu’on amasse, et que bien souvent on garde dans un endroit sécurisé. Par exemples :
Comme réalité physique, le trésor peut aussi faire référence à la chambre, ou magasin, ou coffret où on dépose ses possessions. Par exemples :
Comme réalité spirituelle, le trésor peut faire référence aux valeurs et aux intentions d’une personne, appelées son « cœur », à la source de ses actions, à l’enseignement de l’Écriture, à la sagesse qui y est contenue, à la lumière apportée par le Christ, à la présence d’un ami fidèle, à une situation favorable dans le monde de Dieu. Bref, il s’agit de divers biens intangibles. Par exemples :
Comme nous l’avons fait remarquer, Matthieu est celui qui parle le plus de trésor, et sur les 9 occurrences de son évangile, 5 lui sont propres. Il y a la section où il oppose trésor matériel et trésor spirituel (6, 19-21), et celle où le centre de décision de l’homme, le cœur, est comparé à un trésor, deux sections inspirées de la source Q. Il y a aussi la comparaison du royaume des cieux à un trésor qu’on trouve dans un champ (13, 52). Et il y a surtout cette image du scribe juif devenu chrétien, sans doute un écho personnel de l’évangéliste, où l’Écriture est comparée à un trésor dont on sait tirer le neuf et le vieux, i.e. ce qui est renouvelé par la foi au Christ, et ce qui est appelé à mourir. Ici, au v. 11, Matthieu nous amène dans une réalité totalement différente du reste de son évangile, car thēsauros désigne d’abord le coffret qui contient les présents que veulent offrir les mages. L’évangéliste est certainement dépendant ici du matériel pré-matthéen. |
Le nom thēsauros dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eprosēnenkan (ils offrirent) |
Prosēnenkan est le verbe prospherō à l’indicatif aoriste actif, 3e personne du pluriel. Il est peu fréquent dans l’ensemble du Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-Actes, sauf chez Matthieu et l’épitre aux Hébreux : Mt = 15; Mc = 3; Lc = 4; Jn = 2; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Le verbe est composé de la préposition pros (vers, en vue de) et du verbe pherō (porter), et donc signifie : porter vers, i.e. offrir, présenter. Quand il s’agit d’un objet, on traduit le plus souvent : offrir; quand il s’agit d’une personne, on traduit le plus souvent : présenter.
Jetons un bref regard sur les deux principales traductions du verbe prospherō dans les évangiles-Actes. Les circonstances pour traduire ce verbe par « présenter » sont diverses : on présente à Jésus des malades, des paralysés, des démoniaques pour qu’il les guérisse (Mt 4, 24; 8, 16; 9, 2.32, etc.), on présente un débiteur à son créancier (Mt 18, 24), on présente des enfants pour que Jésus les touche (Mt 19, 13; Mc 10, 13; Lc 18, 15), on présente Jésus à Pilate lors de son procès (Lc 23, 14). Mais on peut aussi quelque fois présenter des objets, comme de la monnaie (Mt 22, 19; 25, 20). Offrir traduit l’idée qu’une réalité, en particulier en objet, passe entre les mains d’un autre, car elle est un don. C’est ainsi qu’on offre un présent (Mt 2, 11), une offrande pour l’autel ou un don pour le temple (Mt 5, 23-24; 8, 4; Mc 1, 44; Lc 5, 14; Ac 7, 42; 21, 26), du vinaigre au crucifié (Lc 23, 36; Jn 19, 29), ou encore de l’argent (Ac 8, 18) Qu’observe-t-on? Prospherō est beaucoup utilisé dans un contexte cultuel, et si on ajoute l’épitre aux Hébreux dans notre analyse, on se rend compte que plus de la moitié des 47 occurrences de propherō dans le Nouveau Testament se situent dans un contexte d’offrance au temple, et donc un contexte cultuel et religieux. Or ici, propherō fait partie de l’expression : « ils offrirent (prosēnenkan) à lui des dons (dōra) ». Jetons un bref regard sur cette expression dans le Nouveau Testament.
De manière très claire, l’expression offrir des dons apparaît habituellement dans un contexte religieux et cultuel, relié aux offrandes dans le temple. Est-ce que la scène des mages serait le seul cas du NT où le contexte serait différent? Bien que cette scène soit copiée sur la tradition habituelle des ambassades politiques, l’auteur chrétien du récit a certainement voulu que son auditoire l’associe au geste religieux de rendre un culte à Dieu, et ici au messie-roi. |
Le verbe prospherō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
dōra (dons) |
Dōra est le nom dōron (don) à l’accusatif neutre pluriel. L’accusatif est requis, car le mot « don » est un complément d'objet direct du verbe prospherō. C’est un mot assez rare dans tout le Nouveau Testament, sauf chez Matthieu et l’épitre aux Hébreux : Mt = 9; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Avec ses neuf occurrences, dont huit lui sont propres, le mot fait vraiment partie du vocabulaire matthéen. L’examen de dōron confirme ce que nous avons dit dans le notre analyse de prospherō, ie. nous sommes exclusivement dans un contexte religieux d’offrande au temple de Jérusalem. Chez Matthieu, si on oublie pour l’instant le récit des mages, dōron apparaît dans quatre contextes différents : le sermon sur la montagne où Jésus affirme qu’il faut se réconcilier avec son frère avant de présenter son dōron devant l’autel (5, 23-24), dans le récit de la guérison de lépreux où Jésus demande d’offrir le dōron prévu pour confirmer la guérison (8, 4), dans une controverse avec les Pharisiens sur leurs traditions que Matthieu reprend de Marc et où on préfére offrir le dōron au temple plutôt qu’aider ses parents (15, 5), et enfin une suite d’invectives contre les scribes et Pharisiens à propos du serment où Jésus dénonce leur casuistique où on est tenu au serment si on jure par le dōron et non par l’autel qui est en dessous (23, 18-19). Chez Luc (21, 1-4), le mot apparaît dans un récit qu’il copie de l’évangile de Marc où une pauvre veuve donne au temple le peu qu’elle a : pour éviter de faire référence à des pièces spécifiques de monnaie, il utilise le mot plus générique de dōron. Tout cela confirme que « don » doit se comprendre dans un contexte religieux. |
Le nom dōron dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
chryson (or) |
Chryson est le nom chrysos (or) à l’accusatif masculin singulier. L’accusatif est requis, car « or » est en apposition au nom « don », qui est à l’accusatif. Le nom est très rare dans tout le Nouveau Testament, et c’est chez Matthieu qu’il est le plus fréquent : Mt = 5; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Chrysos fait partie du vocabulaire matthéen : les cinq occurrences lui sont propres, et il l’ajoute (souligné) même à un texte de Marc.
Le texte de Mt 10, 9 fait référence aux diverses pièces de monnaie en circulation selon leur valeur, l’or, l’argent et le bronze. Autrement, l’or chez Matthieu fait référence à l’or qui ornait le temple (23, 16-17); le temple était le lieu où on pouvait le plus facilement voir de l’or. Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les mages. Pourquoi apporter de l’or? Bien sûr, on pourrait évoquer que devant un roi, les ambassadeurs apportent ce qu’il y a de plus précieux. Mais l’intention de Matthieu semble beaucoup plus précise et nous renvoit probablement à Isaïe 60, 9 : LXX « Les îles m'ont attendu, et les navires de Tarsis sont les premiers à ramener de loin tes enfants, et avec eux leur argent et leur or (chrysos), pour sanctifier le nom du Seigneur saint, et glorifier le Saint d'Israël » Le ch. 60 d’Isaïe annonce que la lumière de Yahvé descendra sur son peuple alors que le monde est dans les ténèbres, et les nations païennes, les rois, bref les non-Juifs marcheront vers cette lumière, que les tribus arabes de Madiân et de Saba viendront avec leurs richesses, leurs chameaux, leur or et leur encens pour rendre hommage au nom du Seigneur. Nous sommes vers l’an -620, après le retour d’exil, au moment où on veut reconstruire le temple. C’est donc l’annonce que ce temple sera reconstruit grâce à l’or des nations qui voudront rendre hommage à Yahvé. Le lecteur de Matthieu, familier avec l’Écriture, pouvait voir dans ces mages ces nations et ces rois venus d’Arabie avec leurs chameaux et leur or, non pas pour reconstruire le temple de Jérusalem, mais pour l'offrir au nouveau temple du roi-messie. |
Le nom chrysos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
libanon (encens) |
Libanon est le nom libanos (encens) à l’accusatif masculin singulier. L’accusatif est requis, car « encens » est en apposition au nom « don », qui est à l’accusatif. C’est le seul cas de ce mot dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ailleurs dans le Nouveau Testament, il n’apparaît que dans l’Apocalypse (18, 13). Dans la Septante, il apparaît dans un certain nombre de livres, en particulier le Lévitique; notons que le terme libanos fait parfois référence à encens, parfois à Liban. Notons que le mot « encens » est aussi exprimée par le mot grec thymiama (voir Lc 1, 10-11).
Qu’est-ce que l’encens? C’est une substance résineuse obtenue en incisant l’écorce d’un bois blanc (héb. lebonā), comme le boswellia, en provenance de l’Inde, de Somalie ou de l’Arabie du Sud (« pays de Saba »). L’encens entrait dans la confection des parfums et des aromates, et était assimilé au parfum de l’offrande. Dans le temple de Jérusalem, le sacrifice de l’encens est prévu chaque jour, matin et soir, sur l’autel des parfums dans le Saint (Ex 30, 7-8). Selon Lv 2, 1-2, l’encens accompagne l’oblation (sur le sujet, voir Xavier-Léon Dufour, Dictionnaire de Nouveau Testament, p. 225, et Monloubou, F. M. Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 205-206). Ainsi, l’encens nous ramène au temple, tout comme les termes précédents de dōron (don) et chrysos (or), et à une atmosphère cultuelle. Mais Matthieu entend clairement ici faire référence au prophète Isaïe comme avec chrysos (or), et plus précisément à ce passage de 60, 6. Et il te viendra des troupeaux de chamelles, et des chameaux de Madian et de Gépha couvriront tes chemins. Tous les hommes de Saba viendront chargés d'or, et t'offriront de l'encens (libanos), et publieront la bonne nouvelle (euangelizomai) du salut (sōtērios) du Seigneur. Ainsi, les gens qui viennent d’Arabie apportent l’or et l’encens pour le temple, et c’est eux qui annoncent (euangelizomai, i.e. ils évangélisent) la bonne nouvelle du salut. Pour Matthieu, c’est le reflet de ce qui s’est passé dans sa communauté quand les non-Juifs ont cru en Jésus ressuscité et maintenant lui rendent hommage. C’est ce que représentent les mages, c’est la signification de leur geste vis-à-vis de l’enfant-messie. |
Le nom libanos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
smyrnan (myrrhe) |
Smyrnan est le nom smyrna (myrrhe) à l’accusatif féminin singulier. L’accusatif est requis, car « myrrhe » est en apposition au nom « don », qui est à l’accusatif. Voilà un autre mot très rare dans le Nouveau Testament, en fait qui ne se retrouve que chez Matthieu et Jean : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
La myrrhe (de l’hébreu môr, dont la racine signifie : amer), est un baume précieux produit à partir d’une résine rouge importée d’Arabie. On l’utilisait à diverses occasions. Selon Ex 30, 22-25, Yahvé aurait demandé à Moïse de mélanger la myrrhe à d’autres huiles aromatiques pour servir d’offrande et pour oindre l’autel du parfum, l’autel de l’holocauste et tous ses accessoires. Selon le Cantique des Cantiques (4, 14), elle servait de parfums des noces. D’après Jean 19, 39, la myrrhe mélangée à de l’aloès a servi à l’ensevelissement de Jésus. Enfin, Marc 15, 23 ajoute cette scène où on mêle de la myrrhe au vin pour le donner à Jésus souffrant, une façon d’offrir un vin parfumé et fin, selon les critères de l’Antiquité, mais que Jésus refuse (sur le sujet voir R. Brown, La mort de messie). Pourquoi les mages apportent-ils de la myrrhe à l’enfant-messie? Comme pour l’or et l’encens, nous sommes dans le contexte cultuel du temple, la myrrhe servant d’offrande et permant d’oindre l’autel de l’holocauste. L’enfant-messie est le centre d’un nouveau culte. Au moment où Matthieu écrit son évangile, il y a plus de dix ans que le temple de Jérusalem a été détruit, et bien sûr il n’y plus d’offrandes ou d’holocauste. Mais tout cela, pour le chrétien, a été remplacé par Jésus ressuscité, le nouveau temple, et c’est maintenant à lui qu’on rend hommage. Tout cela devait être très clair pour l’auditoire de Matthieu. |
Le nom smyrna dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 12 Mais à la suite d'un avertissement au cours d'un rêve de ne pas revenir auprès d'Hérode, ils retournèrent dans leur pays par un autre chemin.
Littéralement : Et ayant reçu une révélation (chrēmatisthentes) par un rêve (onar) de ne pas revenir (anakampsai) vers Hérode, à travers un autre chemin (hodou) ils se retirèrent (anechōrēsan) vers la contrée (chōran) d’eux |
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chrēmatisthentes (ayant reçu une révélation) |
Chrēmatisthentes est le verbe chrēmatizō au participe aoriste passif, nominatif masculin pluriel; le participe s’accorde avec le sujet « mages » sous-entendu dans la proposition principale. C’est un verbe rare dans toute la Bible et plus particulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Le verbe a la même racine que le nom chrēma (choses, moyens, biens) et signifie d’abord : faire des transactions ou des affaires, d’où donner des avis, faire des consultations, et dans un contexte religieux : faire une révélation, ou au passif, recevoir une révélation. Mais à l’occasion, le verbe signifie : recevoir un titre ou un nom.
Les deux occurrences de Matthieu appartiennent au récit de l’enfance et se situent dans un contexte semblable où quelqu’un reçoit par une révélation en rêve l’informant sur la route à prendre : dans le premier cas, ce sont les mages, dans le deuxième c’est Joseph. Il y a quelque chose de paradoxal à voir des « païens » recevoir une révélation divine. Pour Matthieu, Dieu se sert de tous pour promouvoir son plan, à l’occurrence ici pour protéger l’enfant-messie. Mais il faut aussi se rappeler que les mages évoquent les Gentils de sa communauté. Ce verset 12 sert de point de suture entre le récit des mages, que Matthieu aurait reçu d’une tradition pré-matthéenne et qui se terminait probablement avec le fait que les mages sont retournés par la route habituelle dans leur pays après avoir rendu hommage à l’enfant-roi (voir la reconstitution de cette tradition), et le récit en cours sur Hérode à la recherche de l’enfant (voir la reconstitution de cette tradition). Aussi, puisque Matthieu avait introduit la rencontre des mages avec Hérode qui ne faisait pas partie de la tradition ancienne et qu’il en a fait pratiquement des espions au service du roi, il doit trouver maintenant un moyen d’éviter une nouvelle rencontre. Le moyen trouvé est celui d’une révélation divine, comme on en voit souvent chez le prophète Jérémie avec le verbe chrēmatizō. Ainsi, Dieu garde les adversaires du messie en échec. |
Le verbe chrēmatizō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
onar (rêve) |
Onar est le nom onar à l’accusatif neutre singulier. Il signifie : rêve ou songe, et nous a donné les mots onirique ou onirisme en français. Il n’apparaît que chez Matthieu dans toute la Bible : Mt = 6; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Le rêve en grec est aussi exprimé par deux autres mots : d’abord, oneiros qu’utilisent seulement le livre de la sagesse ainsi que 2 Maccabées et 4 Maccabées, mais surtout enyption, un mot formé de en (dans, en) et hypnos (sommeil) qui a servi à traduire l’hébreu ḥălōm (rêve, songe) et qui n’apparaît dans le Nouveau Testament que dans les Actes (2, 17) dans une citation du prophète Joël. Pourquoi trois mots grecs? Si on place leur utilisation dans le temps, il semble que les traducteurs de la Septante du 3e et 2e siècle avant l’ère moderne ont opté pour enyption afin de traduire le mot hébreu ḥălōm. Mais au premier siècle avant l’ère moderne jusqu’au début du 1ier siècle de notre ère, enyption a été remplacé par oneiros dans le milieu juif hellénique. Et quand Matthieu écrit son évangile vers l’an 80 ou 85, c’est onar qui semble en usage.
De manière générale dans l’ensemble de l’AT, le rêve est valorisé, car c’est un des canaux de communication utilisé par Dieu. Bien sûr, il y a parfois des faux prophètes qui ont eu des rêves (voir Dt, Is, Jr, Mi, Za), et certains écrits comme ceux du Siracide mettent en garde contre les rêves. Mais la grande majorité des textes présentent une vision positive du rêve. C’est ainsi que beaucoup de grands personnages avaient des rêves qu’ils savaient interpréter comme parole de Dieu : le patriarche Joseph, le roi Salomon, Daniel, Mardochée, et Joël annonce des temps eschatologiques où l’Esprit Saint sera répandu sur tous et les gens auront des rêves. Ici, ce qui nous intéresse est le patriarche Joseph (Gn 37 – 50) dont le récit a influencé la matériel pré-matthéen qu’utilise Matthieu dans son récit de l’enfance. Joseph a des rêves présentés comme une parole de Dieu annonçant l’avenir brillant qui l’attend en Égypte et l’humiliation de ses frères. Mais non seulement Joseph a entendu la parole de Dieu en rêve, mais il avait la capacité d’intepréter le rêve des autres. Ce contexte semble expliquer l’organisation du matériel pré-matthéen principal du récit de l’enfance qui met en vedette Joseph, père de Jésus, et qui est rythmé par l’intervention à trois reprises de Dieu par la parole d’un ange dans un rêve de Joseph. Notons d’abord la présence chez Matthieu de six rêves qui sont à chaque fois le lieu d’une révélation.
Trois de ces rêves (1, 20; 2, 13.19) impliquent un ange et proviennent probablement d’un récit pré-matthéen; ils sont l’œuvre d’un chrétien anonyme (voir la structure de ces trois apparitions d’ange en rêve). Dans les trois autres récits (2, 12.22; 27, 19), il n’y a pas d’ange, mais on nous dit simplement que la personne a eu un rêve, révélant quelque chose qui l’a amenée à agir. Ces trois derniers récits sont de la plume de Matthieu, car on y trouve non seulement son vocabulaire, mais les récits détonnent par rapport au fil de l’ensemble du contexte (sur le rêve de la femme de Pilate en particulier, voir Brown) Or, notre v. 12 présente un rêve des mages et font partie du travail de suture sous la plume de Matthieu afin de retrouver le récit principal autour d’Hérode, mais en gardant le motif d’intervention de Dieu par le rêve; ainsi, malgré ses ajouts, le récit garde une certaine unité. Et on sent bien que chez Matthieu, le rêve est un lieu où la parole de Dieu peut s’exprimer. |
Le nom onar dans la Bible Le nom oneiros dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anakampsai (revenir) |
Anakampsai est le verbe anakamptō à l’infinitif actif aoriste. Il est formé de la préposition ana qui décrit un mouvement de bas en haut ou de retour en arrière, et du verbe kamptō (se pencher, plier), et donc pencher vers l'arrière, i.e. revenir, retourner. C’est un verbe très rare dans les évangiles-Actes (Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et peu fréquent dans la Septante avec 16 occurrences.
Chez Matthieu, c’est le seul cas de ce verbe. Nous avons ici l’indice que ce n’est pas un mot matthéen. On peut imaginer que la tradition pré-matthéenne parlait d’un retour des mages dans leur contrée en utilisant ce verbe, et que Matthieu s’est contenté de le reprendre. |
Le verbe anakamptō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hodou (chemin) |
Hodou est le nom hodos (chemin, route) au génitif masculin singulier. Le génitif est requis par la préposition dia (à travers, par). C’est un mot assez fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 22; Mc = 16; Lc = 20; Jn = 4; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, excepté chez Jean. Comme Jésus était un prédicateur itinérant, on n’est pas surpris de constater que les évangiles font si souvent référence à la route.
Matthieu est celui qui utilise le plus souvent le nom hodos, et sur ses 22 occurrences, 10 lui sont propres. Il l’ajoute (souligné) parfois à sa source marcienne.
Ici, au v. 12, hodos fait référence à la route physique que doivent prendre les mages pour retourner dans leur contrée. Comme Matthieu a inséré le récit des mages dans la trame principale du récit de l’enfance, il doit créer une « sortie » pour les mages, et c’est par le biais d’un « autre chemin » que celui qui les conduit à Hérode, qu’ils se rendront dans leur pays. |
Le nom hodos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anechōrēsan (ils se retirèrent) |
Anechōrēsan est le verbe anachōreō à l’indicatif aoriste, 3e personne du pluriel. Le verbe anachōreō est composé de la préposition ana (décrit un mouvement de bas en haut, ou de retour en arrière ou de recommencement) et du verbe chōreō (faire place, se déplacer), et donc signifie : se retirer. C’est un verbe typiquement matthéen : Mt = 10; Mc = 1; Lc = 0; Jn = 1; Ac = 2. Il est utilisé quatre fois dans les récits de l’enfance : les mages se retirent par une autre route pour éviter Hérode (2, 12-13); également pour éviter Hérode, Joseph se retire en Égypte (2, 14), puis en Galilée (2, 22). Quand Jésus est le sujet, le verbe décrit une retraite stratégique de sa part devant une menace imminente :
Autrement, c’est Jésus qui demande à la foule de se retirer ou de déguerpir de la maison du chef de synagogue où sa fille est considérée comme morte (9, 24), ou c’est Judas qui se retire du temple après avoir jeté ses trente pièces d’argent, une retraite qui se termine par son suicide (27, 5). Le choix par Matthieu de anachōreō ici au v. 12 n’est pas innocent. Car il aurait pu écrire que les mages « partirent » pour leur contrée. Mais le verbe anachōreō pourrait être traduit par : s’enfuir. Car la retraite des mages vise à éviter un mal : celui qu’Hérode soit informé du lieu où se trouve l’enfant, tout comme Joseph se retirera en Égypte (2, 14) pour fuir la fureur d’Hérode le Grand, puis se retirera en Galilée pour fuir la terreur d’Hérode Archélaüs en Judée (2, 22), tout comme Jésus se retirera pour fuir Hérode Antipas après l’arrestation de Jean-Baptiste (4, 12), puis après son exécution (14, 13), car il était associé à ce prophète, tout comme il se retirera pour fuir le complot des Pharisiens qui veulent le tuer (12, 15). Nous avons peut être également ici un écho d’Exode 2, 15 : « Le Pharaon, l'ayant apprise (que Moïse avait tué un Égyptien), voulut faire périr Moïse ; mais celui-ci se retira (anachōreō) de la face du Pharaon ; il passa en la terre de Madian, et, étant arrivé en la terre de Madian, il s'assit auprès d'un puits »; car la trame principale du récit de l’enfance chez Matthieu a été inspirée par l’enfance de Moïse et la conspiration contre Moïse par le Pharaon par la suite (sur le sujet, voir Brown). |
Le verbe anachōreō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
chōran (contrée) |
Chōran est le nom chōra à l’accusatif féminin singulier. L’accusatif est requis par la préposition eis (vers, dans), qui indique la direction d’un mouvement. Le mot désigne un espace délimité entre deux points, d’où région, contrée, campagne, terre, pays. Il est présent ici et là dans les évangiles-Actes, mais surtout chez Luc : Mt = 3; Mc = 4; Lc = 9; Jn = 3; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Chōra n’est pas un mot qui appartient au vocabulaire matthéen. Sur les trois occurrences, l’une (4, 16) est une citaton d’Isaïe 8, 23 – 9, 1, une autre (8, 28) est une copie de Marc 5, 1, et ici au v. 12 nous avons la fin du matériel pré-matthéen du récit des mages. On peut assumer que chōra servait simplement à décrire le retour des mages dans leur contrée dans la tradition reçue par Matthieu, et que l’évangéliste s’est contenté de reprendre. Et il est probable que selon cette tradition le récit se terminait ainsi : « Puis, ils (les mages) revinrent (anakamptō) dans leur contrée (chōra) ». |
Le nom chōra dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-André Gilbert, Gatineau, janvier 2021 |