Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.1: Acte 2, scène 1 - #17. Le procès devant le Sanhédrin, deuxième partie : question(s) sur le Messie, le Fils de Dieu, pp 461-483, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Le procès devant le Sanhédrin, deuxième partie : question(s) sur le Messie, le Fils de Dieu
(Mc 14, 60-61; Mt 26, 62-63; Lc 22, 67-70a)


Sommaire

L’intervention du grand prêtre dans les procédures judiciaires à la suite des divers témoignages marque un tournant. Il demande à Jésus de répondre aux témoignages, mais doit faire face à son silence. Pour Marc, comme les témoignages ne sont pas concordants, c’est une forme de mépris de la part de Jésus, tandis que chez Matthieu, où les témoignages suivent les règles judiciaires, c’est une forme d’approbation tacite sur la destruction du temple. Dans le deux cas, le silence de Jésus est relu à la lumière du serviteur souffrant de l’Ancien Testament qui n’ouvre pas la bouche devant ses adversaires.

Le grand prêtre pose à Jésus la question s’il est le messie, le fils de Dieu. Il faut interpréter ces titres non pas dans le contexte de la vie de Jésus, mais dans le celui où fut écrit l’évangile et dans celui des auditeurs chrétiens : le messie et le fils de Dieu désignaient celui qui a été engendré non pas un père humain, mais par l’Esprit Saint. Marc parle du « fils du Béni », une expression de son cru pour donner une saveur judaïsante à son récit, comme il le fait dans certains moments dramatiques avec des expressions araméennes. Matthieu, plus clair avec « fils de Dieu », renvoie clairement à la confession apostolique de la foi. Luc, avec un plus grand sens historique, distingue messie, plus appropriée à l’époque de Jésus, du titre de fils de Dieu, plus approprié à la confession chrétienne.

Jésus fut-il considéré messie et fils de Dieu de son vivant ? Pour répondre, il faut considérer les deux termes séparément. En ce qui concerne le titre de messie, il est plausible que certains de ses disciples l’aient considéré comme le roi promis de maison de David, l’oint appelé à régner sur le peuple de Dieu. La réponse de Jésus a été ambivalente, car d’une part, il refusait certains traits de la perception populaire, et d’autre part, il revenait à Dieu de définir le rôle que devait jouer ce messie dans le royaume. Quant au titre de fils de Dieu, il est raisonnable de penser que Jésus ne fut pas appelé fils de Dieu par ses disciples de son vivant, tout comme il est raisonnable de penser que la question du grand prêtre lui demandant s’il était fils de Dieu n’a pas vraiment fait partie des procédures judiciaires.


  1. Traduction
  2. Commentaire
    1. L’intervention du grand prêtre ; le silence de Jésus (Marc/Matthieu)
    2. La question christologique : le messie, le fils de Dieu
      1. Marc
      2. Matthieu
      3. Luc
  3. Analyse
    1. Jésus, le messie
    2. Jésus, le fils de Dieu

  1. Traduction (à partir de la 28e édition du texte de Nestle-Aland)

    Les passages chez Matthieu, Luc ou Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. Les mots en bleu indiquent ce qui est commun à Jean et Luc, en rouge ce qui est commun à l’évangile de Jean, Luc et Matthieu. Les parenthèses carrées [] indiquent des parallèles trouvés dans une autre séquence dans les évangiles.

    Marc 14 Matthieu 26 Luc 22 [Jean 10]
    [66 Et comme il fit jour, le collège des anciens du peuple se rassembla, à la fois grands prêtres et scribes, et l’emmenèrent à leur Sanhédrin]
    60 Et s’étant levé, le grand prêtre au milieu interrogea Jésus, disant : « Tu ne réponds (pas) rien à ceux qui témoignent contre toi? » 62 Et s’étant levé, le grand prêtre lui dit : « Tu ne réponds rien à ceux qui témoignent contre toi? » [24 Les Juifs firent donc cercle autour de lui et lui disaient :
    61 Mais lui se taisait et ne répondit plus rien. De nouveau, le grand prêtre l’interrogea et lui dit : « (si) Es-tu le messie, le fils du Béni? » 63 Mais Jésus se taisait. Et le grand prêtre lui dit : « Je t’abjure selon le Dieu vivant de nous dire si tu es le messie, le fils de Dieu? » 67 disant : « Si tu es le messie, dis-le nous. » [Mais il leur dit...] 70 Mais ils dirent tous : « (si) Est-ce que tu es donc le fils de Dieu? » « Si tu es le messie, dis-le nous ouvertement (25 Jésus leur répondit... ) 36 « ...vous dîtes : Tu blasphèmes, parce ce que j’ai dit : je suis fils de Dieu »]
    [19, 7: Les Juifs lui (Pilate) répondirent : « Nous avons une loi et selon la loi il doit mourir, car il s’est fait fils de Dieu »

  2. Commentaire

    1. L’intervention du grand prêtre ; le silence de Jésus (Marc/Matthieu)

      • « Et s’étant levé, le grand prêtre au milieu interrogea Jésus ». Le fait que le grand prêtre se lève implique un tournant dans les procédures judiciaires. On a l’impression d’arriver au coeur du litige. L’expression « au milieu » laisse entendre que le grand prêtre parle au nom de tout le Sanhédrin. La tradition chrétienne a gardé le souvenir qu’il est le principal adversaire de Jésus. Chez Luc, le grand prêtre ne joue aucun rôle, car le matériel de cette scène a été reporté dans la scène du procès d’Étienne dans les Actes des Apôtres.

      • «Tu ne réponds (pas) rien à ceux qui témoignent contre toi? ». Depuis le début des procédures judiciaires, on a essayé d’accumuler du matériel contre Jésus, et maintenant le grand prêtre attire l’attention sur ce matériel. Si Marc et Matthieu semble utiliser des mots semblables, l’accent de leur récit est tout autre. Car chez Marc, les témoignages étaient faux et non concordants, et le silence de Jésus est une façon de repousser ces arguments sans valeur. Par contre, le dernier témoignage chez Matthieu remplissait les conditions d’un témoignage valable, et le silence de Jésus peut être perçu comme un accord tacite.

      • « Mais lui se taisait et ne répondit plus rien ». Le silence de Jésus reviendra devant Pilate (Mc 15, 5; Mt 27, 14), et devant Hérode (Lc 23, 9). Il faut voir dans ce silence une forme de mépris de la part de Jésus devant ces procédures hostiles. On l’impression que Jésus s’est résigné à son sort, sachant que, quoi qu’il dise, rien ne pourra changer son dénouement. La tradition chrétienne a lu ce silence à la lumière des Psaumes (par exemple, 38, 15 : comme un homme qui n’a rien entendu et n’a pas de réplique à la bouche) ou d’Isaïe 53, 7 : Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche. Et par la suite, cette attitude de Jésus est devenue un modèle : lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, souffrant ne menaçait pas, mais s’en remettait à Celui qui juge avec justice (1 Pi 2, 23).

    2. La question christologique : le messie, le fils de Dieu

      • « De nouveau, le grand prêtre l’interrogea ». L’expression « de nouveau » chez Marc montre la persistance du grand prêtre qui, devant l’impasse des faux témoignages, se tourne vers une nouvelle tactique pour faire parler Jésus.

      • « Je t’abjure (exorzō) selon le Dieu vivant ». Cette phrase chez Matthieu est un appel à prêter serment devant Dieu. Elle accentue l’atmosphère de salle d’audience. L’expression « Dieu vivant » est un écho de la confession de Pierre (Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Mt 16, 16). De manière très ironique, au moment même où on demande à Jésus de prêter serment, Pierre jure ne pas le connaître.

      • Messie, fils de Dieu. Il faut assumer que lorsque l’auditeur de l’évangile entendait ces mots, ils avaient la signification familière dans la proclamation du credo ou dans la célébration liturgique, une signification différente de celle de l’époque de Jésus. Et à travers l’hostilité et le scepticisme du grand prêtre, ces chrétiens y voyaient le rejet juif dont ils faisaient l’expérience. Pour eux, le messie n’était plus ce roi de la maison de David, mais bien le second nom de Jésus. Il en est de même de l’expression « fils de Dieu ». On était maintenant loin de la promesse de Nathan à David que tout roi issu de sa maison serait considéré par Dieu comme un fils, car pour le lecteur de Matthieu et Luc le fils de Dieu désignait celui qui a été engendré non pas un père humain, mais par l’Esprit Saint. Pour le lecteur de Jean, le fils de Dieu est celui qui est constamment en présence du Père (1, 18), dès avant la création du monde. En étant conscient de tout cela, regardons comment chaque évangéliste traite de la question christologique.

      1. Marc

        • « Es-tu le messie (sy ei ho christos) ? (litt : tu si le messie?) ». L’expression sy ei est fréquente chez Marc, mais il faut tout de suite ajouter que la question : sy ei ho christos, apparaît dans les quatre évangiles. Remarquons aussi que ce qui suit (le fils du Béni), n’est pas une deuxième question, mais une apposition à la première question.

        • On a beaucoup discuté chez les biblistes sur le sens de messie, certains l’associant au fils de David comme c’était le cas dans le milieu juif. Mais on oublie alors de se situer au niveau de la période où l’évangéliste écrit et du contexte des auditeurs de Marc : le messie est alors bel et bien compris comme Jésus Christ, fils de Dieu, comme l’affirme Pierre (8, 29) ainsi que le début de l’évangile (1, 1). Et c’est en ce sens qu’il faudra comprendre la réponse de Jésus au verset qui suit : « Je le suis ».

        • « le fils du Béni (eulogētos) ». Pourquoi Marc ne dit-il pas plus simplement : le fils de Dieu? Eulogētos apparaît 8 fois dans le Nouveau Testament et désigne habituellement Dieu. Mais ici, c’est la seule fois où il est utilisé comme titre de Dieu. C’est un cas unique. Il est possible que la coutume d’utiliser un substitut au nom divin était bien connue chez les Juifs parlant grec. Et Marc utilise cette touche populaire dans ses récits en intégrant par exemple des expressions araméennes, comme les dernières paroles de Jésus en croix, pour reconstituer le milieu de Jésus. Cette approche est surtout visible dans certains moments dramatiques. Et ici, dans notre scène devant le grand prêtre, elle contribue à rehausser son importance.

      2. Matthieu

        • « si tu es le messie, le fils de Dieu? ». Matthieu est plus intéressé par la clarté pédagogique que par le drame comme chez Marc. Aussi renvoie-t-il clairement son lecteur à la confession apostolique de la foi (voir 14, 33 : Vraiment, tu es Fils de Dieu; et la confession de Pierre en 16, 16 : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant). Le lien avec la confession de Pierre est renforcé par l’expression « Dieu vivant » dans la bouche du grand prêtre (Je t’abjure selon le Dieu vivant). Pour Matthieu, pas de doute, il est question ici du messie au sens chrétien, le fils glorifié de Dieu.

      3. Luc

        • « Si tu es le messie... » « Est-ce que tu es donc le fils de Dieu? ». Luc a un plus grand sens historique et une perception de ce qui est approprié à une époque ultérieure. Ainsi, distingue-t-il le titre de messie plus approprié dans le milieu juif et celui de fils de Dieu plus approprié dans la foi chrétienne. Par exemple, Jean Baptiste (3, 15-16) et Pierre (9, 20) parleront du messie, tandis que la voix venant du ciel (3, 22 ; 9, 35) parleront de fils de Dieu. Cela pourrait expliquer pourquoi Luc ne suit qu’en partie Marc, préférant d’autres traditions pour son récit.

  3. Analyse

    1. Jésus, le messie

      • Le mot « messie » vient de l’Araméen měšîḥâ’, reflétant l’Hébreu māšîaḥ, et traduit en grec par christos, qui nous a donné : Christ. Le mot tant Hébreu que Grec signifie : oint, une onction tant physique (d’huile) que spirituelle.

      • Dans l’histoire juive, l’onction d’huile fut d’abord appliquée aux rois, et seulement plus tard aux prêtres. Pendant la monarchie davidique (de l’an 1 000 à 587), chaque roi était oint d’huile, signe de son élection et son adoption par Dieu qui lui assurait la victoire contre ses ennemis et une dynastie éternelle. Au 8e siècle, dans le contexte où une suite de rois pourris et ineptes se sont succédés, des voix comme celle d’Isaïe s’élèvent pour ranimer l’espoir, mais un espoir beaucoup plus nuancé : Dieu suscitera un nouveau-né (Emmanuel), signe qu’il est toujours présent avec le peuple choisi, et son héritier rétablira la justice et bâtira un grand empire de paix (Is 7, 14-16 ; 9, 1ss ; 11, 1ss). Au cours de la période postexilique, un changement drastique se produit, puisque la dynastie davidique n’est plus sur le trône : le roi idéal viendra dans un avenir non défini et la dynastie davidique sera restaurée par la puissance même de Dieu.

      • À l’époque de Jésus, les attentes varient énormément. Malheureusement, les documents se font rares. À Qumran, le messie de justice apparaît sous la forme d’un descendant de David ou d’un prêtre ou d’un prophète qui a été oint. Dans les apocryphes juifs, il est le fils de David qui vient rassembler son peuple comme un berger, ou il est un roi qui vient régner pour 400 ans et réprimander les injustes. Quant à l’historien juif Josèphe, il n’attribue jamais le titre de messie aux grandes figures historiques qu’il décrit. Enfin, on trouve dans la littérature rabbinique ce passage où Simon ben Kosiba est appelé messie (vers l’an 130 de notre ère) par Rabbi Aqiba, mais avant cette période personne ne reçoit ainsi ce titre.

      • En conclusion, il n’existe pas d’attente nationale unique concernant le messie et à laquelle ses disciples auraient pu associer Jésus. De plus, il n’y pas une multitude de messies parmi lesquels Jésus se serait distinguer. Enfin, comme Jésus n’était pas de descendance lévitique, il ne pouvait être associé à un messie prêtre ou prophète, mais seulement à un messie roi. Examinons maintenant certains éléments, dont deux sont des faits, le troisième une probabilité.

        1. Fait #1 : après sa résurrection, Jésus fut appelé messie avec une fréquence étonnante, comme l’atteste d’abord les confessions prépauliniennes, puis les écrits pauliniens, au point que son nom est souvent remplacé par Christ.

        2. Fait #2 : dans les évangiles, les scènes où on donne le titre de messie à Jésus se font très rares et son acceptation par Jésus n’est pas claire. Par exemple, le titre de messie dans la bouche de la Samaritaine dans le récit de Jean (4, 25-26), s’il est historique, ne peut renvoyer au oint de la maison de David, puisque les Samaritains rejetaient la monarchie davidique. Chez Matthieu (16, 16-17), Pierre confesse que Jésus est le messie, le fils du Dieu vivant, mais dans le passage parallèle de Marc (8, 29-30) Pierre parle seulement de messie et Jésus lui demande de ne le dire à personne ; qu’est-ce qui est historique dans tout ça ? La même question se pose dans notre récit où le grand prêtre interroge Jésus sur sa messianité : selon Marc, Jésus dit : « Je le suis », selon Matthieu, Jésus dit : « C’est toi qui le dit ».

        3. Probabilité : Jésus fut crucifié sous l’inculpation d’être ou prétendre être le roi des Juifs. Tous les évangiles s’entendent sur ce point. Comme c’est un titre que n’ont jamais utilisé ses disciples, il est impensable qu’ils l’aient inventé. En dehors des évangiles, seul Mara bar Serapion (philosophe assyrien du premier siècle) établi un lien entre la royauté et la mort de Jésus. Bref, il est hautement probable que nous soyons devant un événement historique. Même si être appelé roi ne renvoie pas nécessairement à la monarchie davidique, il demeure harmonieux avec l’idée que Jésus aurait pu être appelé messie au cours de sa vie publique. Sur ce dernier point, révisons diverses théories des biblistes dont nous qualifierons à chaque fois leur degré de probabilité en italique.

          1. Non probable : En public ou en privé, selon certains biblistes, Jésus aurait prétendu être le messie. Réponse : on chercherait en vain des textes démontrant que Jésus savait qu’il était le messie, mais se serait retenu de le dire pour laisser toute la place à Dieu, ou encore que Jésus se serait considéré comme un messie impliqué dans un mouvement révolutionnaire, ou encore que Jésus se serait vu messie lors de la parousie.

          2. Peu probable : Selon certains biblistes, Jésus aurait clairement nié être le messie. Réponse : cela reviendra à nier le fait #1 et rendrait difficile à comprendre la probabilité que Jésus soit mort sous l’accusation de roi des Juifs. On peut comprendre que Jésus n’ait jamais nié clairement être le messie tout en ne l’affirmant jamais clairement, car le titre était équivoque : avoir nié ce titre aurait amené Jésus à nier son rôle unique dans l’établissement du règne de Dieu, et l’avoir accepté aurait induit en erreur ceux qui attendaient le règne de David sur terre et l’extermination des ennemis.

          3. Très probable : Selon certains biblistes, les opposants à Jésus ont interprété les paroles de Jésus ou de ses disciples comme une prétention à la messianité, ce qui a contribué à l’accusation pour qu’il soit crucifié. Réponse : cela est cohérent avec les faits #1 et #2 et la probabilité qu’il soit mort sous l’inculpation d’être roi des Juifs. Et il est facile de comprendre que les Juifs étaient intéressés de savoir s’il se croyait messie, et les Romains à savoir s’il se croyait roi.

          4. Très probable : Selon certains biblistes, au cours de la vie de Jésus, certains de ses disciples ont cru qu’il était le messie et l’ont confessé lui ou les autres. Réponse : ce point aide à comprendre le fait #1 tout en clarifiant le motif d’inculpation de Jésus, sans mentionner qu’il est également soutenu par les quatre évangiles. Car Jésus a prêché en utilisant abondamment le langage du royaume, et on peut comprendre le déplacement de la pensée d’un royaume déjà présent à travers la parole et les guérisons de Jésus vers sa personne elle-même comme le roi promis. De plus, Jésus n’était-il pas lui-même d’ascendance davidique ?

          5. Probable : Selon certains biblistes, la réponse de Jésus sur sa messianité est ambivalente, ne l’affirmant ni ne la niant, sans doute en raison en partie de sa conception de ce qu’il devait faire, et en partie du fait qu’il laissait dans les mains de Dieu la manifestation de son vrai rôle. Réponse : ce point éclaire tant les faits #1 et #2, que le motif d’inculpation de Jésus et les affirmations iii) et iv) que nous venons de voir. D’après les évangiles, Jésus est sûr de lui quand il affirme la venue du règne de Dieu à travers ses paroles et ses actes, mais en même temps reconnaît qu’il appartient à Dieu de fixer le moment et les modalités de cette venue ; l’ambivalence vient de ce qu’il appartient à Dieu d’établir le rôle du roi messie dans le royaume de Dieu.

          Que conclure ? Au cours du ministère de Jésus, il est plausible que certains de ses disciples l’aient considéré comme le roi promis de maison de David, l’oint appelé à régner sur le peuple de Dieu. La réponse de Jésus a été ambivalente, car d’une part, il refusait certains traits de la perception populaire, et d’autre part, il revenait à Dieu de définir le rôle que devait jouer ce messie dans le royaume. Il n’en reste pas moins que cette ambivalence était suffisante pour décider ses ennemis de livrer aux Romains ce soi-disant futur roi.

    2. Jésus, le fils de Dieu

      • Nous avons moins de données pour « fils de Dieu » que pour « messie ». De manière générale, dans la culture polythéisme du monde gréco-romain, beaucoup de gens recevaient le titre de fils de Dieu : les chefs d’état, les héros ou les faiseurs de merveille, car on les considérait comme le produit de l’union de Dieu avec un être humain. En Israël, les anges reçoivent au sens figuré ce titre (Genèse 6, 2), ou encore, Dieu interpelle son peuple comme fils (Osée 11, 1) ou encore, on fait référence aux gens pieux comme à des fils de Dieu (Sagesse 2, 18). Mais il est extrêmement rare dans la littérature juive tant biblique qu’extra biblique que « fils de Dieu » soit un titre attribué à un être humain. Seul un texte isolé et obscur de Qumran (4Q246) ferait allusion à un fils de Dieu, peut-être une figure messianique.

      • Par quel cheminement est-on arrivé à la notion de fils de Dieu en ce qui concerne Jésus ? La littérature juive à l’époque de Jésus ou celle qui la précède n’est d’aucun secours : même le commentaire à Qumran (4QFlor 1, 1-13) de 2 Samuel 7, 11-14 où Dieu s’adresse à David comme à un fils n’insiste pas sur cette relation filiale. Pourtant, la fréquence du titre de fils de Dieu attribué à Jésus dans les écrits chrétiens des années 50, et même avant, est impressionnante. On n’a qu’à penser à Romains 1, 3-4 (établi Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de sainteté ) qui fait référence à un titre qui semble connu depuis longtemps. Une telle réflexion a-t-elle commencé du vivant de Jésus ?

      • Quand on lit attentivement les évangiles, on remarque qu’aucun être humain ne donne le titre de fils de Dieu à Jésus de son vivant. Chez Marc, Pierre l’appelle : messie, pas fils de Dieu. Chez Matthieu, les passages (14, 33 ; 16, 16) où Jésus est appelé fils de Dieu sont clairement des ajouts de l’évangéliste. Chez Luc, seuls les êtres surnaturels lui donnent ce titre : les démons (4, 3), ou un ange (1, 35). Le message est qu’il faut une compréhension extrahumaine pour saisir cet aspect de Jésus, comme le montre Marc de manière dramatique par la confession du centurion après sa mort : Vraiment cet homme était fils de Dieu! (15, 39). Bref, il est raisonnable de penser que Jésus ne fut pas appelé fils de Dieu par ses disciples de son vivant. De même, il est raisonnable de penser que la question du grand prêtre lui demandant s’il était fils de Dieu n’a pas vraiment fait partie des procédures judiciaires.

      • Par quel processus de pensée les premiers chrétiens sont-ils arrivés à l’idée de Jésus fils de Dieu ? Son ascendance davidique ne s’ouvrait pas à une telle perspective (voir Marc 12, 35-37). Certains biblistes pensent que le langage de Jésus qui priait Dieu en l’appelant : père, tout comme certaines de ses affirmations sur lui-même comme « fils » ont pu établir les bases d’une christologie qui s’est explicitée après sa mort.

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