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Sommaire
Dans cette section, Marc nous présente sept items : le nom du lieu, loffre initiale du vin, la crucifixion, le partage des vêtements, le temps (3e heure), linscription sur laccusation, les deux bandits; Matthieu laisse tomber le temps, Luc laisse tomber loffre initiale du vin et le temps, tout comme Jean. On sentend pour situer la crucifixion au lieu dit du Crâne, qui se situait hors des murs (aujourdhui le 2e mur), près de la porte de la ville et dune route passante, et tout près dun jardin où on a retrouvé des tombeaux.
Marc, suivi par Matthieu, nous présente deux scènes où on offre du vin à Jésus (Luc et Jean nont pas la première offre). Cest probablement un ajout de Marc à la source quil reçoit. Pourquoi? Dans les faits, il arrivait souvent que des gens offrent du vin aux condamnés afin dadoucir leur souffrance. Ici, Marc parle de lajout de la myrrhe, une façon de parfumer le vin, un geste de raffinement, tandis que Matthieu parle de fiel, en référence au Psaume 69, 22 sur le juste souffrant. Mais Jésus ne boira pas, car pour Marc, Jésus avait décidé dassumer la souffrance jusquau bout. De même, Marc est le seul à écrire que Jésus a été crucifié à la 3e heure (9 h du matin), en contradiction avec Jean pour qui Jésus était encore devant Pilate à midi. Nous sommes probablement devant une création de Marc qui veut baliser la journée selon les heures de prière de la communauté romaine; aucun autre évangile ne le suit sur ce point.
La crucifixion était la mort la plus ignominieuse qui soit, un châtiment réservé à la classe inférieure, aux esclaves et aux étrangers, répandu dans le monde gréco-romain et Juif depuis quelques siècles. La croix était formée de deux poutres, une poutre verticale qui demeurait sur place, et à laquelle on faisait une entaille, soit au sommet avec une forme de V, soit sur le côté, près du sommet, afin dy insérer la poutre transversale portée par le condamné. Cette croix sélevait habituellement à une hauteur de 2,1 mètres. Comment Jésus a-t-il été attaché au bois de la croix? Malgré le silence des évangiles, on peut penser que les mains de Jésus furent clouées, pourvu quon accepte que, techniquement, ce ne sont pas les mains qui ont été cloués, mais les poignets, car les mains nauraient pu supporter le poids du corps et se seraient déchirées. Les deux pieds ont probablement été mis lun sur lautre et cloués avec un seul clou.
Les quatre évangiles parlent du partage des vêtements personnels de Jésus, en utilisant le langage du Psaume 22, 19. Jean, en décomposant le psaume en deux parties, ajoute un deuxième partage, celui de sa tunique sans couture quon ne déchire pas, une allusion possible au fait que les soldats romains nont pas réussi à briser ce qui appartient à Jésus, lunité du peuple messianique de Dieu. Sur le plan historique, il est probable que Jésus était complètement nu lorsquil fut mis en croix.
Les quatre évangiles racontent quune inscription portant le chef daccusation a été apposée sur la croix, au-dessus de la tête de Jésus. Cette pratique était courante et avait un but dissuasif. Le contenu de cette inscription varie selon les évangiles, Marc nous présentant la formule la plus courte, et probablement la plus ancienne. Quand à celle de Jean, plus élaborée et plus solennelle, écrite en trois langues, invraisemblable sur le plan historique, elle vise un but théologique : une proclamation prophétique et impériale sur Jésus.
Encore une fois, les quatre évangiles sentendent pour placer deux co-crucifiés avec Jésus, des bandits selon Marc, Matthieu et Jean, des malfaiteurs selon Luc. Il est impossible de savoir pour quel crime ils ont été condamnés, ou sil y en avait plus que deux. Pour les évangélistes, en plaçant ces deux bandits à côté de Jésus, on illustrait lindignité de la situation à laquelle le Jésus innocent a été soumis.
Il faut faire une analyse à part de la parole de Jésus qui demande au Père de pardonner à ses adversaires, car non seulement elle napparaît que chez Luc, mais les manuscrits ne sont pas unanimes à rapporter cette prière. Après une longue analyse, on doit reconnaître quil est plus facile daccepter que ce passage fut écrit par Luc et enlevé plus tard par des copistes pour des raisons théologiques et antisémites, que dy voir une addition dun copiste qui sest donné la peine dimiter le style et la pensée de Luc.
- Traduction
- Commentaire
- Le nom du lieu (Marc 15, 22; Matthieu 27, 33; Luc 23, 33a; Jean 19, 17b)
- Golgotha ou lieu du crâne
- Le site à Jérusalem
- Loffre initiale de vin (Marc 15, 23; Matthieu 27, 34)
- Lutilisation par Marc de ce geste
- Lutilisation par Matthieu de ce geste
- La crucifixion (Marc 15, 24a; Matthieu 27, 35a; Luc 23, 33b; Jean 19, 18a)
- La crucifixion en général
- Sur quel type de croix Jésus fut-il crucifié?
- Comment Jésus a-t-il été attaché à la croix?
- Le partage des vêtements (Marc 15, 24b; Matthieu 27, 35b; Luc 23, 34b; Jean 19, 23-24)
- Le partage et le Psaume 22
- La tunique non déchirée
- La troisième heure (Marc 15, 25); les soldats qui montent la garde (Matthieu 27, 36)
- La troisième heure
- La seconde référence à la crucifixion de Marc
- Les soldats qui montent la garde (Matthieu 27, 36)
- Linscription et le motif daccusation (Marc 15, 26; Matthieu 27, 37; Luc 23, 38; Jean 19, 19-22)
- Le compte rendu évangélique
- Lépisode chez Jean
- Lévangile selon Pierre
- Lhistorité de linscription
- Les bandits ou malfaiteurs (Marc 15, 27; Matthieu 27, 38; Luc 23, 33c; Jean 19, 18b)
- « Père, pardonne-leur » (Luc 23, 34a)
- La signification du verset
- Lauthenticité du verset
- Traduction
La traduction du texte grec est la plus littérale possible afin de permettre la comparaison des mots utilisés. Les passages chez Luc, Matthieu et Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. En bleu, on trouvera ce qui est propre à Luc et Matthieu. En rouge ce qui est propre à Jean et à un autre évangéliste. Lévangile de Pierre est exclu de cette comparaison.
Marc 15 | Matthieu 27 | Luc 23 | Jean 19 | Évangile de Pierre 4 |
22 Et ils le portent sur le lieu Golgotha, ce qui est traduit par lieu du Crâne. | 33 Et étant allés vers un lieu dit Golgotha, ce qui est dit lieu du Crâne. | 33a Et quand ils allèrent sur le lieu appelé Crâne, | 17b il sortit vers le lieu dit du Crâne, ce qui est dit en hébreu Golgotha, | |
23 Et ils lui donnaient du vin ayant été mêlé de myrrhe. Puis, lui, il ne le prit pas. | 34 Ils lui donnèrent à boire du vin ayant été mélangé avec du fiel. Et ayant goûté, il ne voulut pas boire. | | | |
(pour le parallèle, voir plus bas au v. 27) | (pour le parallèle, voir plus bas au v. 38) | 33b là ils le crucifièrent, et les malfaiteurs, dune part qui à droite, dautre part qui à gauche | 18 où ils le crucifièrent, et avec lui deux autres, ici et là, puis, au milieu Jésus. | 10. Ils amenèrent deux malfaiteurs, entre lesquels ils crucifièrent le Seigneur. Et lui se taisait, comme sil néprouvait aucune souffrance. |
| | [34a Puis, Jésus disait : Père, aie pardonné à eux, car ils ne savent pas ce quils font.] | | |
24 Et ils le crucifient et ils se partagent ses vêtements tirant au sort pour eux qui emporterait quoi. | 35 Puis, layant crucifié, ils se sont partagés ses vêtements tirant au sort | 34b Puis, se partageant ses vêtements, ils tirèrent aux sorts. | | 11. Lorsquils avaient dressé la croix, ils y avaient inscrit: " Celui-ci est le roi dIsraël". |
| 36 Et étant assis, ils le gardaient là. | | | 12. Ils déposèrent ses vêtements devant lui et se les partagèrent en les tirant au sort. |
25 Puis, cétait la troisième heure et ils le crucifièrent. | | | | |
26 Et il y avait linscription de son accusation (où) avait été inscrit : le roi des Juifs. | 37 Et ils posèrent au-dessus de sa tête son accusation (où) avait été écrit : celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. | [38 Puis, il y avait aussi une inscription sur lui : le roi des Juifs celui-ci.] | 19 Puis, Pilate écrivit aussi un écriteau et mit sur la croix; puis, avait été écrit : Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs. | |
| | | 20 Donc, beaucoup parmi les Juifs lurent cet écriteau, car il était près du lieu de la ville où Jésus fut crucifié, et cela avait été écrit en hébreu, en latin et en grec. | |
| | | 21 Donc, les grands prêtres des Juifs disaient à Pilate : nécris pas le roi des Juifs, mais que celui-là a dit : je suis le roi des Juifs. | |
| | | 22 Pilate répondit : ce qui a été écrit, a été écrit. | |
| | | 23 Donc, les soldats, quand ils crucifièrent Jésus, prirent ses vêtements et firent quatre parts, pour chaque soldat une part, et la tunique. Puis, la tunique était sans couture, à partir du haut tissée dune pièce. | |
| | | 24 Donc, ils se dirent les uns aux autres : ne la déchirons pas, mais décidons par le sort à son sujet à qui elle sera, afin que lÉcriture soit accomplie : ils se sont partagés mes vêtements entre eux, et sur mon habillement ils tirèrent au sort. Donc, les soldats firent ainsi ces choses. | |
27 Et avec lui ils crucifient deux bandits, un à droite et un à sa gauche. | 38 Alors sont crucifiés avec lui deux bandits, un à droite et un à gauche. | | | |
- Commentaire
Chez Marc, on peut repérer sept items.
- Le nom du lieu
- Loffre initiale du vin
- La crucifixion
- Le partage des vêtements
- Le temps (unique à Marc)
- Linscription sur laccusation
- Les deux bandits
Matthieu reprend six de ces items dans le même ordre. Luc reprend dans lordre les items 1, 3, 7, 4 au début, puis litem 6 plus tard. Le récit de Jean comprend 5 items, les items 1, 3, 7 au début, puis il donne une expansion aux items 6 et 4. Malgré les similitudes avec Marc, Jean puise de manière indépendante à une tradition ancienne que connaissait également Marc.
- Le nom du lieu (Marc 15, 22; Matthieu 27, 33; Luc 23, 33a; Jean 19, 17b)
Marc utilise un présent historique (« ils le portent ») et continuera ainsi au. v. 24 et v. 27. Matthieu et Luc emploient erchesthai (aller), et Jean exerchesthai (sortir). On ne sait trop pourquoi Marc a opté pour le verbe « porter » (pherō) : Jésus était-il si faible quon a du le soutenir pour quil se rende au lieu de la crucifixion?
- Golgotha ou lieu du crâne
- Le terme sémitique du lieu de la crucifixion est Golgotha (ce terme est plus près de laraméen Gulgultā que de lhébreu Gulgōlet), et le terme grec est kranion, les deux signifiant : crâne (Léquivalent latin est calvaria, calvaire). Selon son habitude, Luc élimine les termes non grecs.
- Toutes les formes du nom pointent vers un site qui ressemble à un crâne, parce quil constituait un monticule arrondie sélevant du paysage avoisinant. Les pèlerins du 4e s. parlaient du calvaire quils visitaient comme dune petite colline (monticulus), et ce qui en reste aujourdhui est situé dans une église et sélève à environ 4,3 mètres. Cette élévation permettait aux Romains de servir un avertissement à la population.
- Le site à Jérusalem
- Jésus a été crucifié en dehors des murs de Jérusalem. Mais où exactement? Cette question est liée à celle de son inhumation, car selon Jean, Jésus fut mis dans un tombeau tout près. On a beaucoup débattu de la valeur du site choisi par les architectes de Constantin qui, en se basant la tradition locale, ont bâti vers lan 325-335 cette grande enclave sacrée constituant la basilique du martyrium, un jardin saint avec une rotonde en colonnades centrée sur le tombeau (appelé Anastasis) et un Calvaire détaché, considéré comme la colline du Golgotha. Ce qui reste de la reconstruction des Croisés en 1099-1149 est généralement appelé léglise du Saint-Sépulcre.
- Un point central dans ce débat concerne la question des murs de la ville au fil de lhistoire. Le second mur nord existait au temps de Jésus (voir la carte de Jérusalem). Le site du Saint-Sépulcre est-il à lextérieur de ce mur? Les fouilles archéologiques depuis la 2e guerre mondiale ont confirmé que ce site se situait à lextérieur du mur et avait servi de carrière depuis le 8e ou 7e s. av. J.C. et avait été partiellement rempli au 1ier s. av. J.C. pour servir de jardin et de lieu de sépulture. De plus, ce site nest pas loin de la Porte du jardin du mur nord et cadre bien avec la description de Jean 19, 41 : « Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié, et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne navait encore été mis »). Ce qui est maintenant le Calvaire sélève à 10-12 mètres au dessus du plancher de la carrière, un monticule qui devait être visible à partir des murs. Enfin, on a trouvé la trace de tombeaux taillés dans le roc de ce monticule. Bref, les fouilles ont renforci les arguments pour le site traditionnel.
Léglise du Saint-Sépulcre et lévolution des bâtments sur le lieu du Golgotha
daprès le National Geographic Magazine, numéro de décembre 2017
Chapitre suivant: Jésus est crucifié, deuxième partie : les activités autour de la croix
Liste de tous les chapitres | |
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Quelques données chronologiques sur le St-Sépulcre
Année | Événement |
30 | Jésus est crucifié et inhumé en dehors du mur de la ville |
41-44 | Un nouveau mur est construit, et le tombeau de Jésus est maintenant dans la ville |
313 | Lédit de Milan légalise le christianisme |
614 | Les Perses endommagent léglise du St-Sépulcre |
1009 | Un calife égyptien ordonne la destruction de toutes les églises |
1048 | Lachèvement de la restauration de léglise byzantine |
Vers 1200 | Durant les croisades, Jérusalem change souvent de mains |
1555 | Lédicule est reconstruit |
1719 | Le dôme de la rotonde est restauré |
1810 | Lédicule est restauré |
1927 | Un tremblement de terre majeur endommage léglise et lédicule |
- Loffre initiale de vin (Marc 15, 23; Matthieu 27, 34)
Il faut dabord clarifier tout de suite une chose. Car Marc/Matthieu nous présentent deux scènes où on sert à boire à Jésus, dabord au début quand les soldats romains lui présentent du oinos (vin sucré) mélangé à de la myrrhe ou du fiel, et à la fin après le cri de détresse de Jésus avant de mourir, alors que quelquun de lassistance met du oxos (un vin rude, amer, vinaigré) sur une éponge et lui tend avec un roseau. Luc nous présente quune seule scène où des soldats, qui se moquent de Jésus, lui présentent du oxos, une scène parallèle à la deuxième scène de Marc/Matthieu. Il en est de même chez Jean où on présente à Jésus une éponge imbibée doxos au bout dune branche dhysope. Notons que seul Jean précise que Jésus en a bu.
Ainsi, seuls Marc et Matthieu nous offrent cette scène initiale autour du vin (oinos). Alors la question se pose : la tradition préévangélique contenait-elle deux scènes où on offre à Jésus à boire, et que Luc et Jean auraient simplifiées de manière indépendante, ou au contraire, nen contenait quune seule, celle du vin vinaigré au moment de la mort de Jésus? Si cest ce dernier cas, il faudra expliquer pourquoi Marc aurait ajouté cette scène du vin mêlé de myrrhe au début.
- Lutilisation par Marc de ce geste
- Il y a une certaine vraisemblance dans scène où on offre à un condamné une gorgée de vin pour engourdir la douleur (voir Proverbe 31, 6-7 : « Procure des boissons fortes à qui va mourir, du vin à qui est rempli damertume: quil boive, quil oublie sa misère, quil ne se souvienne plus de son malheur ». Marc ajoute que ce vin a été mêlé à de la myrrhe. Pourquoi cet ajout? La myrrhe ne contribue pas à leffet anesthésiant du vin. Pline (Histoire naturelle 14.15 : #92) nous donne la réponse : « Le vin le plus fin au temps ancien était celui quon avait épicé avec du parfum de myrrhe ».
- Mais alors pourquoi des soldats romains, eux qui nont cessé de moquer de Jésus, veulent-il lui offrir le vin le plus fin? Il y a sans doute une référence ironique à la pratique courante face aux condamnés. Mais le fait même que Jésus refuse de boire est très révélateur : Marc nous présente cette offre des soldats comme une épreuve, car à Gethsémani Jésus a déjà pris la décision de boire la coupe jusquà la lie, et accepter de boire ce vin mêlé de myrrhe pour adoucir sa douleur reviendrait à renier cet engagement.
- Lutilisation par Matthieu de ce geste
- Matthieu modifie le texte de Marc pour faire référence aux Psaume 69, 22 : « Pour nourriture ils mont donné du fiel (cholē), dans ma soif ils mabreuvaient de vinaigre (oxos) ». Ainsi, lexpression de Marc « vin ayant été mêlé de myrrhe », devient chez lui « vin ayant été mélangé avec du fiel » pour évoquer la première partie du verset, tandis que la deuxième partie du verset sera utilisé plus tard pour la deuxième scène où on offre à boire à Jésus du oxos. Pourtant, le psaume parlait de cholē et de oxos de manière synonyme, les deux boissons étant désagréables et offertes au juste par dépit. Mais cest une pratique de Matthieu de prendre un passage de lÉcriture avec deux mots synonymes pour créer deux affirmations distinctes (voir lentrée triomphale de Jésus à Jérusalem en Mt 21, 15 où lânesse et lânon utilisés de manière synonyme par Zacharie 9, 9 deviennent deux animaux distincts). Ici, le lecteur de Matthieu reconnaît que, comme Dieu la prédit par le psalmiste, le juste est maltraité par ses ennemis. Et si le Jésus de Matthieu refuse de boire après avoir goûté, cest quil reconnaît dans le goût de fiel quon lui donne un geste de moquerie. Notons que la présence de fiel dans le vin nest pas impossible, car on avait lhabitude dans lAntiquité dajouter un goût âcre au vin, que ce soit le fiel, la myrrhe ou labsinthe.
- Il est probable que dans la tradition la plus ancienne il ny avait quune seule scène où on offrait à boire à Jésus qui a soif, cette boisson vinaigrée (oxos) commune, dans un geste de moquerie. Cette tradition a été préservée chez Jean et dans la deuxième scène doffre de vin chez Marc/Matthieu. Cest donc Marc qui aurait ajouté cette première scène doffre de vin, suivant la pratique courante concernant les condamnés, et selon son habitude pour les doublets afin de créer des parallélismes inclusifs entre le début et la fin. Mais cela a surtout bien servi sa théologie sur Jésus qui accepte son sort jusquà la fin. Matthieu, y voyant une référence au Ps 69, 22, a introduit ici le mot fiel. Luc, pour sa part, selon son habitude de simplifier les choses, a vu le doublet et a éliminé cette première scène.
- La crucifixion (Marc 15, 24a; Matthieu 27, 35a; Luc 23, 33b; Jean 19, 18a)
- La crucifixion en général
- Le terme « croix » peut biaiser notre compréhension en nous présentant limage de deux barres qui se croisent, alors que le grec stauros et le latin crux nont pas nécessairement cette signification : on pouvait mettre à mort en empalant, pendant, clouant ou attachant quelquun.
- Les premières traces archéologiques font référence à la crucifixion de pirates et datent du 7e s. av. J.C. dans le port dAthènes. Avec Alexandre le Grand, fin du 4e s., la crucifixion devient une pratique hellénique courante. Cest à travers les guerres puniques de Rome contre les Carthaginois, parents avec les Phéniciens, que la crucifixion se serait répandue dans le monde romain. Plaute (250-184 av. J.C.) est le premier auteur à nous en donner une description, une punition destinée à la classe inférieure, aux esclaves et aux étrangers (doù Philippiens 2, 7 : « Mais il (le Christ) sanéantit lui-même, prenant condition desclave »). Cicéron la décrit comme la punition la plus cruelle et la plus dégoûtante (In Verrem 2..5.64, 66 : #165.16). Sénèque parle « darbre maudit » (Épitre 101.14) et Josèphe de « la plus pitoyable des morts » (Guerre juive, 7.6.4 : #203).
- La pratique de la crucifixion est connue également dans le monde juif, car cest ainsi quAlexandre Jannée fait exécuter 800 prisonniers au 1ier s. av. J.C. Pendant loccupation romaine, cétait devenu une pratique courante : le gouverneur de Syrie fit crucifier 2 000 Juifs en lan 4 av. J.C. Si Jésus est le seul cas connu lors de la première préfecture (lan 6 à 40), on a plusieurs attestations pour la seconde préfecture (lan 44 à 66).
- Comment les premiers artistes ont-ils représenté la crucifixion? Le symbole de la croix (sans le corps) apparaît dans les catacombes du 3e s. Quant à la représentation de Jésus crucifié, on a seulement une demi-douzaine de portraits sétant du 2e au 5e s. La plus ancienne, du 2e s., sculptée sur une petite pierre de jaspe, nous montre un homme crucifié, nu et crispé, sans spectateurs, et peut-être loeuvre dun gnostique voulant se moquer de la foi chrétienne orthodoxe en la mort de Jésus. Il y a cette représentation de la même époque sur une pièce de cornaline (figure 1), découverte en Roumanie (Costanza) où le Christ apparaît super humain alors quil est deux fois plus grand que ses disciples qui lentourent. Enfin, mentionnons les graffiti du 3e s. (figure 2) trouvé au Domus Gelotiana du palais impériale du la colline du Palatin à Rone, une école de page : on se moque du Dieu honoré par les chrétiens en le représentant sous forme dâne.
Figure 1: Crucifix de Costanza |
Figure 2: Crucifix du Palatin |
- Sur quel type de croix Jésus fut-il crucifié?
- La question se pose car Sénèque (De consolatione ad Marciam 30.3) décrit différentes croix : « Certaines victimes avaient la tête en bas vers le sol, dautres avaient leurs parties intimes empalées, dautres encore avaient leurs bras étendus sur la poutre transversale ». De même, Josèphe (La guerre juive 5.11.1 : #451) mentionne que Titus avait fait crucifier des prisonniers avec différentes positions, certains cloués sur une simple poutre droite (figure 3), les mains cloués au dessus de leur tête. Une image du 5e s. sur le portail de Sainte-Sabine représente la crucifixion sous la forme dun échafaud (figure 4).
Figure 3: Crux simplex de Justus Lipsius |
Figure 4: Crucifixion, portail de Sainte-Sabine |
- Comme deux criminels furent crucifiés avec Jésus, on imagine des croix individuelles. Bien quexistaient des croix en forme de X (crux decussata, courbée), le fait que Jésus doive transporter la poutre transversale élimine cette possibilité. Si une poutre verticale était déjà plantée au lieu du Crâne, la poutre transversale pouvait être fixée de deux façons :
- En faisant une entaille en forme de V au sommet de la poutre verticale, permettant dy insérer la poutre transversale, ce qui donnait au tout la forme dun T (crux commissa). Cest ce quassument la Lettre de Barnabée 9, 8 et Justin (Dialogue 91.2)
- En faisant une entaille horizontale sur le côté de la poutre droite, à une certaine distance du sommet, et dans lequel on insérait la poutre transversale, ce qui donnait la forme (crux immissa), comme le signe plus en mathématique, mais allongé. Cest ce quassument Irénée (Adversus haereses 2.24.2) qui ajoute un siège ou un repos pour les fesses. Et cest la représentation traditionnelle de Jésus en croix.
- Jusquà quelle hauteur pouvait sétendre la poutre verticale? La croix pouvait parfois être assez basse pour que les animaux ravagent les pieds du crucifié, qui pouvaient être à 30 centimètres du sol. Suétone (Galba 9.1) parle dun homme quon a crucifié à une hauteur plus élevée que les autres pour se moquer de ses prétentions à être citoyen romain. Comme les trois évangiles mentionnent quon doit tendre un roseau ou une branche dhysope pour faire boire Jésus, il faut imaginer une poutre dune hauteur denviron 2,1 mètres.
- Comment Jésus a-t-il été attaché à la croix?
- Habituellement, les bras étaient dabord soit attachés, soit cloués à la poutre transversale, avant que celle-ci soit levée avec des perches fourchues (furcillae), puis insérée dans lentaille de la poutre verticale. Sur le sujet, Pline (Histoire naturelle 28.11.46) fait référence à un attirail de cordes (spartum). Philon (De posteritate Caini 17 : #61), pour sa part, fait allusion à des hommes crucifiés et cloués à un arbre. La Mishna Shabbat 6.10 parle des clous dun crucifié (voir aussi Plaute et Sénèque qui font référence aux clous).
- Quen est-il de Jésus? Malheureusement, les récits évangéliques ne précisent pas si Jésus a été attaché ou cloué. Comme seule indication, nous avons des scènes après sa résurrection : « Voyez mes mains et mes pieds; cest bien moi! » (Luc 24, 39), qui semble faire allusion à la trace des clous, et « Porte ton doigt ici: voici mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté » (Jean 20, 27) qui semble faire référence à la trace des clous dans les mains. Ignace (Aux Smyrnéens 1.2) affirme que Jésus fut vraiment cloué, tandis quÉphrem (Commentaire sur le Diatessaron 20.31) parle des clous aux mains et des pieds attachés. Les biblistes se sont posé la question de la valeur historique de tous ces détails, sachant que le récit de la crucifixion aurait pu être influencé par le Psaume 22, 17 (LXX) : « ils mont percé les pieds et les mains ». De manière surprenante, aucun évangéliste na exploité ce psaume en ce sens, alors que le psaume sera cité explicitement au 2e s.
- On peut conclure quil est plausible que les mains de Jésus furent clouées, pourvu quon accepte que, techniquement, ce ne sont pas les mains qui ont été cloués, mais les poignets, car les mains nauraient pu supporter le poids du corps et se seraient déchirées. Dailleurs, lhébreu yād fait référence non seulement à la main, mais aussi à lavant bras. Quen est-il des pieds? On a peu de données sur les pieds des crucifiés. Mais la découverte en juin 1968 de huit ossuaires dans un tombeau à Giv‛at ha-Mivtar, à Jérusalem, et contenant les os de 20 personnes nous a fourni des données extrêmement précieuses : dans un des ossuaires, on a trouvé les os dun homme, fin de la vingtaine, du nom de Yehohanan, qui aurait été crucifié quelques décennies avant lan 70; les bras semblent avoir été attachés (non cloués) à la poutre transversale, mais les pieds auraient été cloués de chaque côté de la poutre verticale, le clou traversant dabord une plaque dolivier (pour empêcher denlever le pied), puis le talon du pied, et enfin la surface de la poutre. Ce fait, contemporain de Jésus, devrait enlever le scepticisme concernant la proposition que les pieds de Jésus auraient pu être cloués.
- Chez les artistes, on note que les plus anciens portraits de Jésus en croix ignorent les clous aux pieds (voir par exemple la figure 4 plus haut). Ce nest quavec le temps, et surtout avec lintérêt pour le sang, que les clous sont apparus. Chez certains Père de lÉglise, on parle de 4 clous (les 2 mains, les 2 pieds). Mais Hélène, la mère de lempereur Constantin, nen aurait trouvé que trois, et ce nombre serait devenu standard (Grégoire de Nazianze, Bonaventure). Ainsi, les pieds de Jésus auraient été placés lun par-dessus lautres, et un seul clou les aurait transpercé.
- Terminons en parlant de deux objets qui pouvaient être présents à la croix, non pas pour réduire la souffrance, mais la prolonger. Car dans la mesure où le crucifié pouvait avoir un point dappui lui permettant de mieux respirer, il pouvait vivre plus longtemps, plutôt que dêtre étouffé par la pression du poids de son corps. Il y avait dabord le suppedaneum ou appui-pied qui était parfois attaché au bas de la poutre verticale, comme on le voit dans les graffiti du Palatin (figure 2). Cela est à lorigine de la croix russe avec cette barre transversale supplémentaire à angle . Mais il y avait aussi le sedile, lappui-fesses ou pēgma, i.e. un bloc de bois pour soutenir les fesses; cela était pratique pour enlever du poids pour la courte période où élevait la poutre transversale ou on la descendait. Mais, étant donné la rapidité avec laquelle Jésus est décédé, ces deux objets nétaient probablement pas présents.
- Le partage des vêtements (Marc 15, 24b; Matthieu 27, 35b; Luc 23, 34b; Jean 19, 23-24)
Après la crucifixion de Jésus, les évangiles racontent la scène du partage de ses vêtements. Il sagit de ses vêtements personnels, et non des vêtements de moquerie (Mt 15, 20a et Mt 27, 31a mentionnent explicitement quon lui a remis ses vêtements après la scène de moquerie). Alors Jésus était-il totalement nu en croix? Les Romains avaient lhabitude de crucifier les criminels totalement nus (voir Daldianus, Oneirokritika 2.53). Les évangiles ne sont pas spécifiques, et probablement ne savaient pas. Jean, qui est si précis sur chaque morceau de vêtement, nous donne limpression que Jésus navait plus rien sur lui. Mais les Romains auraient-il fait une exception pour Jésus, sachant lhorreur des Juifs pour la nudité (voir Jubilées 3, 30-31; 7, 20 ou la Mishna Sanhedrin 6, 3 ou Sipre 320), et donc lui aurait permis de porter un pagne. Les images les plus anciennes le dépeignent totalement nu (voir plus tôt la crucifixion de Costanza, figure 1), et plusieurs sculptures sur des pierres précieuses le représentent nu. Méliton de Sardes (Homélie de Pâques 97) écrit que son corps était nu et indigne dune simple pièce de vêtement, voilà pourquoi le ciel sest obscurci pour quon ne le voie pas. Cette vue est acceptée par des pères de lÉglise comme Jean Chrysostome et Éphrem le Syrien. Les données manquent pour une conclusion définitive, mais les données actuelles favorisent la nudité complète.
- Le partage et le Psaume 22
- De manière remarquable, les quatre évangélistes utilisent un langage semblable pour décrire le partage des vêtements de Jésus. Dans quelle mesure cela vient-il du Psaume 22, 19 (LXX)?
Ligne 1 | (1) Ils se sont partagés (2) mes vêtements (pl. de himation) (3) entre eux, |
Ligne 2 | (4) et pour (5) mon habillement (hismatismos) (6) ils ont tiré (7) au sort. |
À part Jean, les évangélistes ne citent pas explicitement le Psaume, mais nen copient pas moins les principaux items :
Marc 15, 24b | n. 1, 2, 4, 6, 7 |
Matthieu 24, 35b | n. 1, 2, 6, 7 |
Luc 23, 34b | n. 1, 2, 6, 7 |
Jean 19, 23b-24a | n. 2 |
On se retrouve devant une situation curieuse : les synoptiques utilisent la moitié du vocabulaire du psaume sans le nommer, alors que Jean, qui cite pourtant le psaume, nutilise presque pas son vocabulaire dans la description de la scène. Tout cela provient sans doute dune tradition pré évangélique que Marc reprend, copié par Matthieu et Luc, et que Jean reprend à sa façon, en citant explicitement le psaume. Et surtout, alors que les deux lignes du psaume sont parallèles et ne sont en fait quune seule et même action, la deuxième ligne accomplissant la première, Jean en fait deux épisodes, lun avec les vêtements (himation), lautre avec lhabillement (hismatismos), i.e. la tunique; il tient à affirmer clairement que toute lÉcriture se réalise.
- Mais Jean va plus loin que le psaume en précisant que ses vêtements ont été partagés en quatre parts, un pour chaque soldat. Ce détail pourrait venir dune source préjohannique et non synoptique. Quoi quil en soit, il semble quune section de quatre soldats (Grec : tetradion; latin : quaternion) était commune. Et lun des quatre pourrait être un officier, comme un centurion. Ce détail a une certaine vraisemblance, car il ne joue aucun rôle théologique.
- Le fait de remettre les vêtements du condamné à ses gardiens est-il vraisemblable? Le Digeste de Justinien (48.20.1) fait référence à Hadrien interdisant que les bourreaux exigent les vêtements du condamné, et Tacite (Histoire 4.3) décrit un esclave qui est crucifié tout en portant ses bagues. Il est possible que cette attitude du 2e s. soit plus douce que celle du 1ier s. Quant au tirage au sort, les synoptiques utilisent lexpression du Psaume 22, 19. Certains biblistes se sont demandé si vraiment les soldats auraient apporté avec eux des dés pour le tirage au sort. Mais le jeu pouvait se résumer à deviner le nombre de doigts levés derrière la main de ladversaire.
- La tunique non déchirée
- Jean 19, 23-24 accorde une grande importance au chitōn (tunique), quil identifie au himatismos (habillement) de Ps 22, 19, et qui est différent des vêtements partagés en quatre parts. Cette tunique est une longue robe quon portait directement sur la peau. Jean précise que cette tunique était sans couture (arraphos). Quest-ce que cela veut dire? Était-ce un vêtement inhabituel? Un vêtement dune qualité spéciale? Beaucoup de pères de lÉglise y ont vu un vêtement inhabituel soulignant soit la majesté de Jésus, soit sa pauvreté.
- Les biblistes ont beaucoup discuté de la signification de cette tunique sans couture, y voyant une référence soit à lhistoire de Joseph et de ses frères, soit à Moïse. Mais parmi toutes les hypothèses, deux apparaissent plausibles.
- Nous aurions ici une allusion à la robe du grand prêtre qui, si on en croit Josèphe (Antiquités judaïques 3.7.4 : #161) portait un chitōn, non composé de deux pièces, cousu aux épaules et sur le côté, une longue pièce détoffe tissée. Il faut noter que tout ce quil y a de commun entre Jean et Josèphe est le mot chitōn. Selon cette interprétation, après avoir présenté Jésus comme roi, Jean le présenterait maintenant comme prêtre. Cette interprétation est nouvelle et absente de lhistoire de linterprétation de ce passage.
- Jean nous présenterait ici un symbole dunité, car il écrit explicitement que la tunique ne fut pas déchirée (schizein). Cette symbolique est présente en 1 Rois 11, 30-31 quand le prophète Ahiyya prit le manteau (himation) neuf quil avait sur lui et le déchira en douze morceaux, pour symboliser léclatement du royaume de David. Et de fait, Jean revient souvent sur la question de lunité : « (Jésus allait mourir) afin de rassembler dans lunité les enfants de Dieu dispersés » (11, 52); « afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, queux aussi soient en nous » (17, 21); « quoiquil y en eût tant (153 poissons), le filet ne se déchira (schizein) pas » (21, 11). Ainsi, lévangéliste signifierait que les soldats romains nont pas réussi à briser ce qui appartient à Jésus, lunité du peuple messianique de Dieu. Cest cette interprétation que privilégie des père de lÉglise comme Cyprien ou Alexandre dAlexandrie.
Il est impossible de trancher définitivement entre ces deux interprétations, mais la dernière a le plus de plausibilité. Mais, ne loublions pas, on enlève à Jésus cette tunique.
- La troisième heure (Marc 15, 25); les soldats qui montent la garde (Matthieu 27, 36)
- La troisième heure
- La seconde référence à la crucifixion de Marc
- « Puis, cétait la troisième heure et ils le crucifièrent » (15, 25). Cest une répétition de 15, 24 « Et ils le crucifient », et qui sera encore répété en 15, 27 « Et avec lui ils crucifient deux bandits ». On a émis diverses hypothèses sur la raison de ces répétitions. Il faut mieux accepter le fait que nous avons ici un autre exemple du style libre et sans contrainte de Marc.
- Matthieu et Luc, de manière indépendante, omettent 15, 25. Pourquoi? Ce nest pas la première fois que ces deux évangélistes nous dispensent des répétitions de Marc (ils ont fait la même chose avec Marc 14, 35-36, la prière de Jésus à Gethsémani qui est répétée). De plus, il est possible que la mention de la troisième heure soit apparue à tous les deux comme une innovation à rebours de la tradition quils connaissaient, ou encore que le cadre liturgique auquel il ferait allusion nexistait pas dans leur communauté.
- Les soldats qui montent la garde (Matthieu 27, 36)
« Et étant assis, ils le gardaient (tērein) là ». Nous avons ici le vocabulaire de Matthieu (il est le seul à utiliser tērein dans les récits de la passion). Cette note comporte une certaine vraisemblance. Par exemple, Petronius (Satyricon 111) décrit un soldat surveillant des voleurs en train dêtre crucifiés pour quon ne les descende pas de la croix. Et Matthieu est cohérent avec ce quil nous a déjà raconté sur les soldats avec lesquels Pierre sassoie pour voir lissue du procès (26, 58). Pour lui, ces soldats sont importants, car non seulement ils peuvent témoigner de la crucifixion, mais également de sa mort (27, 54), et du tombeau vide (28, 4); il sagit dun témoignage indépendant.
- Linscription et le motif daccusation (Marc 25, 26; Matthieu 27, 37; Luc 23, 38; Jean 19, 19-22)
Les quatre évangiles sentendent pour dire que le motif daccusation a été mis par écrit. Marc et Luc parlent dinscription (epigraphē), Marc ajoutant une formule redondante : où avait été inscrit (epigegrammenē). Jean parle décriteau (titlos), qui se réfère à la fois au tableau et au message, et qui pouvait aussi désigner titlos comme titre royal, une idée pas totalement absente de Jean. Le but de cette inscription ou écriteau était dinformer le public en général et davoir un effet dissuasif. Daprès des données extérieures au Nouveau Testament, cette pratique était courante, mais pas nécessaire, et on avait beaucoup de latitude dans la formulation du chef daccusation et dans la façon de lafficher : on le portait parfois devant le condamné marchant au lieu dexécution, ou encore, on le pendait à son cou. Selon le Talmud de Babylone Sanhedrin 43a, un héraut aurait proclamé le crime de Jésus.
- Le compte rendu évangélique
- Marc ne précise pas où fut mise linscription. Luc écrit : « sur lui », et Matthieu : « au-dessus de sa tête ». En harmonisant toutes ces versions, la majorité des artistes ont imaginé un crux immissa : , avec linscription au-dessus de la tête de Jésus. Cest possible que ce soit ce quimaginaient les évangélistes, mais nous navons pas dexemple indépendant. Malgré tout, on comprendrait mal que les évangélistes inventent quelque chose qui naurait pas été plausible à leur auditoire du 1ier s.
- Sur cette inscription, nous avons les seuls mots sur Jésus écrits de son vivant. Daprès le contexte, ces mots auraient été écrits par les soldats romains, et rien nindique que cela aurait été fait pour se moquer. Quelquun qui cherche ce qui a été exactement écrit sur linscription sera un peu déçu devant la variation des versions :
Marc | Le roi des Juifs |
Matthieu | Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs |
Luc | Le roi des Juifs celui-ci |
Jean | Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs |
Évangile de Pierre | Celui-ci est le roi dIsraël |
- Lépisode chez Jean
- Chez Jean, cest Pilate qui est à lorigine du contenu de lécriteau, même si on peut imaginer que ce sont les soldats qui lont écrit physiquement. Lévangéliste en profite pour prolonger le débat amorcé lors du procès. Ayant été forcé de condamner quelquun quil savait innocent, le Pilate de Jean fait mettre sur un écriteau public le contenu même de laccusation provenant des grands prêtres, leur jetant au visage leur propre action. Et dune façon ironique, à ces Juifs qui ont dit navoir dautre roi que César, Pilate impose maintenant son autorité : ce qui a été écrit, a été écrit; ils se sont fait prendre à leur propre jeu.
- La formulation du contenu de lécriteau chez Jean est la plus formelle et la plus solennelle, et a donné naissance chez les artistes au fameux INRI, lacronyme tiré de la phrase latine : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum. Et cette solennité est accrue par lindication que lécriteau était trilingue. Pour certains biblistes, cette indication était un gage dhistoricité. Il est légitime de la mettre en doute : il est raisonnable de penser que les soldats nauraient pas pris la peine de transcrire le chef daccusation en trois langues. Bien sûr, on pouvait trouver des inscriptions en plusieurs langues, comme celle interdisant lentrée dans certaines sections du temple, écrite en Grec et en latin selon Josèphe (La guerre juive 6.2.4 : #125). Mais il sagissait dinscriptions formelles.
- Quel est alors le rôle de cette inscription solennelle chez Jean? Chez les synoptiques, elle sera loccasion de se moquer de Jésus. Mais pour le quatrième évangile, Jésus est vraiment roi, même si son royaume nest pas de ce monde. Or, le païen Pilate, lui qui na aucune autorité sur Jésus sinon celle venu den haut, en vient à faire une proclamation formelle sur la vérité. Et la proclamation de IĒSOUS NAZŌRAIOS est du même niveau que la proclamation solennelle de « Tiberius Caesar », le côté impérial et royal étant rehaussé par le trilinguisme. Pour lauditeur chrétien, cette proclamation colore la suite : le roi des Juifs, celui qui a dit à Gethsémani lors de son arrestation : « Je suis ». De même les trois langues avaient une signification : lhébreu était la langue sacrée de lÉcriture dIsraël, le latin celui du conquérant romain, le grec celui du message sur Jésus proclamé et écrit. Ainsi, tout comme Caïphe a proclamé sans le savoir une vérité sur Jésus (« quil est de votre intérêt quun seul homme meure pour le peuple », Jn 11, 49), de même Pilate, sans le savoir, fait une proclamation prophétique et impériale sur Jésus.
- Lévangile selon Pierre
Le contenu de linscription selon cet évangile non canonique est différent : « Celui-ci est le roi dIsraël ». Il ne sagit pas dun titre politique comme celui de roi des Juifs. Pour le chrétien qui a écrit cet évangile, Jésus est vraiment le roi dIsraël, et à travers cette inscription, les Juifs se trouvent à proclamer la vérité, même sils se moquent des prétentions de Jésus.
- Lhistorité de linscription
Certains biblistes ont écarté lhistoricité de linscription sous prétexte quelle était une proclamation chrétienne sur Jésus. Cela sapplique sans doute à Jean, mais non pas aux synoptiques, et en particulier Marc qui nous présente linscription la plus originale et la plus simple. Le fait que le titre « Le roi des Juifs » serait totalement une création chrétienne nest pas plausible : ce titre napparaît jamais par la suite dans les confessions chrétiennes, et le fait même que Jésus lors de son procès dise : « Cest toi qui le dit », montre quil est inadéquat. Par contre, rien nempêche de penser quun préfet romain, lors dune procédure extraordinaire dans une petite région dune province romaine, applique la jurisprudence ordinaire concernant le crime de lèse-majesté. Toute prétention à la royauté déclencherait une réaction violente de Rome, comme on la vu après la mort dHérode le Grand en 4 av. J.C. alors que Varus, gouverneur romain de Syrie, a fait des crucifixions de masse à lendroit de ceux qui se proclamaient rois et de leurs disciples. Il nexiste aucune objection sérieuse à lhistoricité de la publication du chef daccusation pour lequel les Romains ont exécuté Jésus.
- Les bandits ou malfaiteurs (Marc 15, 27; Matthieu 27, 38; Luc 23, 33c; Jean 19, 18b)
- Marc utilise un verbe au présent « ils crucifient » pour faire inclusion avec 15, 24 « ils le crucifient », une façon demballer la liste des items préliminaires. De plus, Marc et Matthieu ont placé la mention des deux malfaiteurs à la fin de la liste des items préliminaires, alors que Luc et Jean les ont placés au début, dans la même phrase qui annonce la crucifixion de Jésus au lieu du Crâne, comme une réalité tout à fait accidentelle. Néanmoins, tous les évangélistes sentendent pour mentionner « deux autres » crucifiés avec Jésus, et situer leur position relative à Jésus. Et cest tout ce quon sait. Cette concision a ouvert la porte à limagination des pères de lÉglise qui ont cherché à brosser des portraits différents de la crucifixion des deux autres et leur ont donné des noms.
- Pourquoi les évangélistes ont-ils tenu à inclure ces deux personnages dans leur récit? La réponse simple est dy voir une façon dillustrer lindignité de la situation à laquelle le Jésus innocent est soumis : être associé à des bandits, comme il y a fait allusion à Gethsémani (Marc 14, 48). De plus, chez Marc et Matthieu, les deux bandits se joindront plus tard au concert de ceux qui expriment leur dérision face à Jésus (Mc 15, 32b; Mt 27, 44). Chez Luc, cest une deuxième mention qui prépare lépisode majeur de 23, 39-43. Chez Jean, leur rôle est tout autre : ils mettront en valeur le fait que, contrairement à ce quon leur fera, on ne brisera pas les jambes de Jésus, accomplissant ainsi lÉcriture.
- Y a-t-il un lien entre la présence de ces deux larrons et Isaïe 53, 12 (« il a été compté parmi les criminels »)? Sur le plan du vocabulaire, il ny a pas de similarité entre la description des deux co-crucifiés et ce passage dIsaïe. Seul Luc a fait référence à ce passage plus tôt, lors du dernier repas de Jésus (22, 37), et ici rien nindique quil y fait référence. De plus, lun de ces malfaiteurs apparaîtra plus loin sous un jour favorable, et non comme lanomos (sans loi) dIsaïe. On ne peut donc pas voir de connexion entre la scène des malfaiteurs et Isaïe 53, 12.
- Quel est le crime de ces co-crucifiés? Marc et Matthieu parlent de bandits (lēstēs). Or, ce terme nest jamais utilisé pour Barabbas qui a été associé à une insurrection. Même le terme chez Luc de malfaiteur na pas été utilisé pour Barabbas. Malgré le fait que Marc mentionne la présence en prison de nombreuses personnes en raison dune émeute récente, rien ne permet dy associer nos deux malfaiteurs. Et tout dabord, y avait dautres personnes crucifiées en plus de ces deux malfaiteurs? Les évangiles demeurent silencieux. Leur accent est sur leur rôle darchétype, afin de placer Jésus au centre, au milieu deux. Notons le fait de les appeler « bandits » en font des gens violents, et non de simples voleurs.
- « Père, pardonne-leur » (Luc 23, 34a)
Cette parole de Jésus chez Luc fait partie de ce qui est communément appelé : les sept dernières paroles du Christ; une appartient à Marc/Matthieu, trois à Luc, et trois à Jean.
1 | Mon Dieu, mon Dieu, pour quelle raison mas-tu abandonné | Mc 15, 34 || Mt 27, 46 |
2 | Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce quils font | Lc 23, 34a |
3 | Amen, je vous le dis, ce jour avec moi tu seras au paradis | Lc 23, 43 |
4 | Père, entre tes mains, je remets mon esprit | Lc 23, 46 |
5 | Femme, regarde : ton fils... Regarde : ta mère | Jn 19, 26-27 |
6 | Jai soif | Jn 19, 28 |
7 | Cest achevé | Jn 19, 30 |
Notons aussi que, au début de cette section, nous avons identifié sept items chez Marc, dont cinq sont repris par Luc. Sur les cinq items de Luc, quatre apparaissent ici aux v. 33 et 34 et arrangés dans cette séquence :
- Au lieu du Crâne ils crucifient Jésus et les deux malfaiteurs (1. Le nom du lieu; 3. La crucifixion; 7. Les deux malfaiteurs)
- Jésus prie pour le pardon
- Ils se partagent les vêtements de Jésus (4. Le partage des vêtements)
Comme on peut le constater, nous avons ici une triade, dont le début et la fin sont une reprise et un abrégé de Marc, et le centre une affirmation unique à Luc. Pour certains biblistes cette triade est typique du style de Luc.
- La signification du verset
- Lauthenticité du verset
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