Analyse biblique de Luc 15, 1-32 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.
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engizontes (approchant) |
Le verbe engizō signifie : sapprocher, se faire proche de. Même si cest un mot quil reprend de Marc quand ce dernier parle du Règne de Dieu qui sest approché (10, 9) ou de Jésus qui sapproche de Bethphagé, au mont des Oliviers (19, 29), il lutilise fréquemment à toutes les sauces (Mt = 7 ; Mc = 3; Lc = 18; Jn = 0; Ac = 6) pour décrire la proximité dune ville ou dun événement, et dans le cas qui nous occupe, la proximité humaine qui permet détablir une relation : cest soit Jésus qui prend linitiative (15, 1; 18, 40; 24, 15), soit dautres (15, 1; 22, 47). Nous avons traduit engizō par « fréquenter » pour rendre lidée que se rendre proche de quelquun signifie souvrir à sa pensée et établir une relation continue.
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pantes (tous) |
Notons simplement que le mot grec pas (tous) est fréquemment utilisé par Luc : (Mt = 129 ; Mc = 67; Lc = 159; Jn = 65; Ac = 172), et donc un total de 331 pour lensemble de son évangile et des Actes. Cest une façon pour lui de souligner lunanimité des gens et la popularité de Jésus. |
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telōnai (douaniers) |
Nous avons traduit telōnēs (publicain, péager, percepteur) par douanier, car le mot grec est dérivé de telos (impôt), et que dans le contexte de la Galilée il désignait probablement les gens qui soccupaient du péage dans cette zone frontalière. Évidemment, ces gens étaient mal vus, car on les considérait comme des collaborateurs de loccupant romain, et leur travail ouvrait la possibilité dexactions.
Or, ces gens mal vus sont présentés par les trois évangiles synoptiques (Mt = 6 ; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 0; Ac = 0) comme des gens qui sont allés vers Jésus pour lécouter (Lc 15, 1) et même partager sa table (Mc 2, 15; Mt 9, 10), tout comme ils se sont mis à lécoute de Jean Baptiste (Lc 3, 12; 7, 29; Mt 21, 32), et quenfin lun deux est devenu un disciple de Jésus (Lévi selon Lc 5, 27, Matthieu selon Mt 10, 3). Mais cest Luc qui nous donne le portrait le plus positif avec ce récit sur la prière du Pharisien et du Publicain/douanier (Lc 18, 10), alors que le Juif Matthieu nhésite pas à les utiliser comme exemple de ce quil ne faut pas être : Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les douaniers eux-mêmes nen font-ils pas autant? (5, 46); Que sil refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et sil refuse découter même la communauté, quil soit pour toi comme le païen et le douanier (18, 17). En cela, Luc poursuit de manière cohérente loeuvre de son évangile de réhabiliter et mettre en valeur les pauvres, les marginaux, les gens mal vus comme les bergers ou les gens sans statut social comme les femmes. |
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hamartōloi (pécheurs) |
Quant au mot pécheur (hamartōlos), il a une longue histoire biblique, car il apparaît à peu près partout dans lAncien Testament. Une évocation typique nous est donnée par les Psaume 51, 15 : Aux pécheurs (ḥaṭṭāʾ) jenseignerai tes voies, à toi se rendront les égarés (pšʿ). Dans les évangiles, Luc est celui qui nous parle le plus du pécheur : (Mt = 5 ; Mc = 6; Lc = 18; Jn = 4). Mais quel sens faut-il donner à ce mot et comment le traduire? Car jamais en ce 21e siècle il nous viendrait à lidée de traiter un groupe de gens de « pécheurs ». Ça ne fait plus partie de notre vocabulaire. Retournons à létymologie du mot. Tout dabord, en Hébreu, la racine ḥṭʾ signifie dabord : négliger, faire défaut, être en tort (voir Jean lHour, Nouveau Vocabulaire Biblique, p. 148). Lidée générale est quon a raté la cible quon visait, si bien que le pécheur est quelquun qui sest mis en porte-à-faux vis-à-vis de quelquun, et donc est en situation de rupture vis-à-vis de cette personne. Dans le monde grec classique, si le verbe pécher (hamartanō) évoque le fait de manquer le but ou la cible, et donc de se tromper et de commettre une erreur, le mot « pécheur » napparaîtra que plus tard sous la plume dAristote où il désigne quelquun qui se trompe ou fait fausse route (voir André Myre, Nouveau Vocabulaire Biblique, p. 391). Pour compléter ce tableau, il faut se rappeler que le monde antique est celui où prédomine la collectivité sur lindividu. Ainsi, quelquun qui se désaligne des règles communautaires est un pécheur. Et comme nous sommes dans un monde où les dimensions sociale et religieuse sont fusionnées, quelquun qui sécarte des règles communes devient quelquun en rupture avec Dieu, un transgresseur, un révolté, un dévoyé, un hors-la-loi, un pervers, un égaré, un marginal, un infidèle, un renégat, des qualificatifs tous synonymes de pécheur. Les diverses traductions de la Bible pigent allègrement dans ce vocabulaire. Personnellement, jai opté pour le mot « dévoyé », car dune part il garde lidée de quelquun qui dévie et ségare, et dautre part il véhicule une connotation péjorative. Ce quil faut retenir ici, cest que selon Luc, Jésus na pas peur de ces gens, et même exerce sur eux une certaine fascination.
Quand on regarde plus en détail ce que disent les évangiles sur le pécheur, on note ceci.
Que conclure? Nous avons dit que le terme pécheur était attribué aux gens en infraction face aux règles socioreligieuses. Il ne faut pas avoir la mentalité hippy et croire que cétait un idéal à imiter. Sur ce point Luc est très clair : autant Jésus a su se faire proche deux et susciter leur fascination, autant il a voulu les introduire à un changement de vie, ce quil appelle : la repentance. Il donne des exemples : Zachée a donné la moitié de sa fortune, la « pécheresse » de Lc de 7, 36 sest probablement éloignée de sa vie ancienne. On ne doit pas avoir une approche romantique à leur égard. Mais le message est très clair : on ne peut les rejoindre si on ne fait pas proche deux et on ne les comprend pas de lintérieur. |
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akouein (pour entendre) |
Quant au verbe akouō (entendre, écouter, apprendre, comprendre), quaime beaucoup Luc (Mt = 57 ; Mc = 41; Lc = 57; Jn = 54; Ac = 89) avec un total de 131 pour lensemble évangile et Actes, il fait surtout référence (70% du temps) à laccueil de la parole de Jésus et à ses actions, ou encore aux merveilles opérées par Dieu. Dailleurs, à 7 reprises lexpression « Parole » ou « Parole de Dieu » lui est associée (voir par exemple 8, 15.21; 10, 39; 11, 28). Cest en ce sens quil faut lire ici ce mot.
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Textes avec le verbe akouō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 2 Mais les Pharisiens aussi bien que les spécialistes de la Bible grommelaient, se plaignant quil ouvrait les bras aux dévoyés et mangeait avec eux.
Littéralement : Et ils grommelaient (diegongyzon) non seulement (te) les Pharisiens (Pharisaioi) mais (kai) aussi les scribes (grammateis) disant que lui les pécheurs il fait bon accueil (prosdechetai) et mange (synesthiei) avec eux. |
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diegongyzon (grommelaient) |
Avec diagonguzō (murmurer, grommeler, grogner, râler), nous avons un mot unique à Luc dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0 ; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Luc a dû sinspirer de lAncien Testament grec où le mot apparaît à quelques reprises, en particulier pour décrire la réaction dinsatisfaction du peuple juif à légard de Moïse en raison des difficultés de lexpérience du désert, comme labsence deau et de nourriture (Ex 15, 14; 16, 2.7.8). Ailleurs, dans son évangile, les gens râlent parce quil est allé manger chez le pécheur Zachée (19, 7). Ainsi, ce verbe sert à décrire une attitude dinsatisfaction et dincompréhension devant une situation choquante. Sil fallait chercher un parallèle contemporain, il faudrait parler dune personne bien vue dans le monde religieux qui sinviterait chez un couple homosexuel avec des enfants.
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te... kai (non seulement... mais) |
La seule raison de souligner cette expression est pour faire remarquer que nous avons ici la signature de Luc : Mt = 3 ; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 3; Ac = 148 (un total de 154 pour lensemble évangile et Actes). Luc a marqué de son style cette introduction aux paraboles.
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Pharisaioi (Pharisiens) |
Sur les Pharisiens, on se réfèrera à létude de J.P. Meier. Rappelons que la fréquence des controverses de Jésus avec les Pharisiens est plus le reflet des conflits vécus avec eux par les premières communautés chrétiennes, même sil est clair que Jésus a eu des démêlés avec eux, surtout sur linterprétation de la loi mosaïque où les Pharisiens se référaient à leur propre tradition orale. Ce qui nous intéresse ici est la définition même du mot « pharisien » qui provient peut-être de laraméen : perûsîm, qui signifie « les séparés », i.e. ceux qui ne sont pas comme les autres. Luc nous en donne un tableau dans cette scène de prière au temple quand le Pharisien dit : Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce douanier (18, 11). On imagine que lardeur et la passion des Pharisiens dans létude et la pratique zélée et minutieuse de la loi mosaïque les ait emmenés à se distancer de certains de leurs compatriotes, mais aussi à entrer en conflit avec Jésus qui proposait une interprétation différente de la même loi.
Si on se tourne vers Luc, on observe quil reprend un certain nombre des controverses de Marc, comme limpureté rituelle lors des repas (5, 30), les actions interdites le jour du sabbat (6, 2), la relativisation du jeûne (6, 2), tout comme celles de la source Q, par exemple la minutie dans le prélèvement de la dîme (11, 42) ou dans la purification de ce qui sert au repas (11, 39). Mais il nous présente également un portrait qui lui est propre : Mt = 29 ; Mc = 12; Lc = 27; Jn = 20; Ac = 9. Tout dabord, à quelques reprises il nous donne un tableau positif de Pharisiens : à trois reprises Jésus est invité à manger par un Pharisien (7, 36; 11, 37; 14, 1), et il note même que des Pharisiens et des docteurs de la Loi étaient venus de tous les villages de Galilée, de Judée, et de Jérusalem pour entendre son enseignement (5, 17). Il ne faut pas sen surprendre, car ses Actes des Apôtres nous présentent des Pharisiens favorables aux chrétiens, comme Gamaliel (5, 34) et affirment même que plusieurs Pharisiens sont devenus Chrétiens (15, 5), dont le plus notable est Paul de Tarse. Dailleurs, les Pharisiens partageaient avec Jésus un certain nombre de points : lélection dIsraël, limportance de répondre de tout son coeur aux exigences de la loi, la promesse de Dieu de son messie et la résurrection des morts accompagnée du jugement final. Par contre, Luc a sa propre litanie de reproches à légard des Pharisiens : leur orgueil et leur besoin des honneurs publics (11, 43), leur amour de largent (16, 14), leur prétention à la perfection et dêtre à part des autres (18, 11). Cest dans tout ce contexte quil faudra lire les trois paraboles de lévangile, car il nous permettra de comprendre le changement dunivers auxquels les Pharisiens seront invités. |
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grammateis (scribes) |
Les mots grecs grammateus (scribe, greffier, secrétaire), gramma (lettre, caractère, écrit, signe de lalphabet) et graphō (écrire, tracer des lettres, rédiger, noter par écrit) partagent la même racine. Voilà pourquoi on traduit grammateus par : scribe, car il renvoie à celui qui a une fonction sociale bien définie de lire et écrire dans un monde où la majorité des gens ne savent ni lire ni écrire. Personnellement, jaime traduire le mot par « spécialiste de la Bible », car la Bible était lobjet principal par lequel on apprenait à lire, et son but premier. Dailleurs, quand on observe leurs interventions dans les évangiles, on remarque quils entendent débattre de points particuliers de lÉcriture, comme cet écho chez Marc où ils enseignaient quÉlie doit venir avant le messie (9, 11), que le messie est fils de David (12, 35), et que Dieu est unique (12, 32). Alors se pose la question : comment distinguer les Pharisiens des scribes? Certains scribes appartenaient au groupe des Pharisiens, mais les Pharisiens nétaient pas tous des scribes. On trouve chez Luc lexpression « les Pharisiens et leurs scribes » (5, 21) alors quil clarifie lexpression « les scribes des Pharisiens » de Marc 2, 16. Il est encore plus clair dans les Actes avec la phrase : Quelques scribes du parti des Pharisiens se levèrent (23, 9). Ainsi, le titre de scribe exprimait un rôle social, alors que celui de Pharisien exprimait lappartenance à un groupe politico-religieux. Cest probablement avec les scribes, ces spécialistes de la Bible, que Jésus a eu des démêlées concernant linterprétation de certains passages de la Bible.
La multiplication de la présence des Pharisiens aux côtés des scribes dans les évangiles est avant tout loeuvre de la communauté chrétienne des décennies plus tard en conflit direct avec eux. Cest ce que semble confirmer lévolution de la rédaction des évangiles: alors que Marc, quon date vers lan 67, mentionne 20 fois les scribes, il na pourtant que trois fois le couple scribes-Pharisiens, et à chaque fois en lien avec le problème des règles alimentaires (2, 16; 7, 1.5), alors que les scribes apparaissent seuls 9 fois, (à part des Pharisiens, ils sont associés 8 fois avec les grands prêtres). Ainsi, les scribes sont beaucoup plus nombreux que les Pharisiens. Par contre, Matthieu quon date vers 80 ou 85, sur 21 mentions, a 10 fois le couple scribes-Pharisiens. Enfin, Jean, quon date vers lan 90, le mot scribe napparaît quune fois et avec le couple scribes-pharisiens, par contre le mot pharisien apparaît 20 fois. On voit bien que les Pharisiens se sont accrus avec le temps. Et Luc dans tout ça, lui dont lévangile aurait été écrit à peu près à la même époque que Matthieu? Ici, il se situerait à mi-chemin entre Marc et Matthieu avec 5 fois le couple scribes-pharisiens. Il est possible que son évangile fut écrit un peu avant celui de Matthieu. Voici le tableau complet des diverses expressions. Les deux premières rangées affichent le nombre de présences des mots scribes et pharisiens, et les autres leurs combinaisons ou non combinaisons :
Bref, sur le plan historique, cest avant tout avec les scribes que Jésus a eu des discussions sur linterprétation de lÉcriture, surtout si on se réfère à la Galilée (les Pharisiens se retrouvaient surtout à Jérusalem). Même si Jésus a probablement connu des conflits avec les Pharisiens, ces conflits ont pris plus dimportance au temps de la communauté chrétienne. Luc, ici dans cette introduction aux trois paraboles, trouve sans doute important davoir à la fois les scribes ou spécialistes de la Bible, reflétant ainsi les nombreux débats que Jésus a eus avec eux, mais également les Pharisiens, car ce sont eux qui étaient heurtés par la promiscuité de Jésus avec les dévoyés et tous ces gestes qui ne respectaient pas les règles de pureté rituelle. |
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prosdechetai (il fait bon accueil) |
Le verbe grec prosdechomai signifie : accueillir quelquun, recevoir favorablement, admettre, attendre. Cest un mot tout à fait lucanien : Mt = 0 ; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 2, qui à part notre verset ici, désigne lattente du messie (2, 15), du salut (2, 38), du retour du maître (12, 36), du royaume de Dieu (23, 51). Il exprime donc une tension ou un élan vers quelquun. Jésus veux cette relation avec les dévoyés, ceux quon appelait les pécheurs; aussi jai opté pour la traduction : il leur ouvrait les bras.
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synesthiei (il mange) |
Luc na rien inventé ici et reprend une bonne partie du langage de la manducation de Marc : Mt = 24 ; Mc = 27; Lc = 32; Jn = 15; Ac = 7; mais il lui donne une portée plus grande.
Ce quil faut surtout signaler, cest que le geste de manger occupe une plus grande place chez lui, parce quil apparaît comme le coeur de toute relation : Jésus accepte à plusieurs reprises les invitations à manger (7, 36; 14, 1), et Luc explicite clairement le sens du dernier repas de Jésus avec ses disciples (Jai ardemment désiré manger (esthiō) cette pâque avec vous avant de souffrir : 22, 15), et le repas fera partie de la vie dans le royaume de Dieu (22, 30; voir aussi 14, 15). Cest dans un tel contexte quil faut lire le geste de Jésus de se faire proche des dévoyés, et plus tard, du geste du père qui vient de retrouver son fils, et tout cela peut apparaître choquant. |
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v. 3 Alors Jésus leur raconta cette histoire tirée de la vie :
Littéralement : Puis il dit vers eux la parabole (parabolēn) celle-ci disant : |
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parabolēn (parabole) |
Le mot grec parabolē signifie : comparaison, juxtaposition, illustration, analogie. Fondamentalement, on veut expliquer ou clarifier une situation ou un événement en les rapprochant dune autre situation ou dun autre événement bien connu, si bien quon se retrouve avec le couple : de même que... ainsi. En français, voulant expliquer une situation, on dira : « cest comme...». Comme un bon leader, il semble que Jésus soit passé maître dans lart de la parabole pour bien communiquer. Comme très souvent, son point de comparaison est une histoire assez détaillée, et une histoire vraisemblable dans le contexte palestinien, jai opté pour la traduction : histoire tirée de la vie. Malheureusement, avec le temps, deux tendances se sont présentées :
Bien sûr, comme Luc dépend de Marc, il reprend une bonne partie de son matériel, incluant lexpression « parabole ». Mais on note chez lui un effort pour séloigner de lassociation des paraboles avec un langage énigmatique : à une exception près (8, 10) où il copie le texte de Marc, il élimine lexpression « parler en paraboles » quon trouve souvent chez Marc (3, 23; 4, 2.11; 12, 1). Si on élimine cette exception quest 8, 10, le mot parabole est toujours au singulier, car il désigne une histoire ou une illustration précise. Et sa parabole na pas besoin dexplication, elle séclaire delle-même. Cest ce quon note dans ce récit que nous commentons. Notons enfin que Luc aime bien nous avertir que ce qui suit est une parabole : à limage de Marc (2, 21) sur coudre un drap neuf à un vieux vêtement, Luc prend la peine dajouter quil sagit dune parabole (5, 36), ou encore, à limage de la source Q sur un aveugle qui ne peut guider un autre aveugle, Luc prend la peine dajouter quil sagit dune parabole (6, 39). Et ici, avant les trois récits que nous analysons, il prend la peine de dire quil sagit dune parabole. |
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v. 4 Si quelquun parmi vous avait cent moutons et quil en perdait un, ne laisserait-il pas les quatre-vingts dix neuf dans un lieu désertique pour se mettre en marche vers celui qui sest perdu aussi longtemps quil ne la pas trouvé?
Littéralement : Quel (tis) homme parmi (ex) vous (hymōn) ayant cent (hekaton) moutons (probata) et ayant perdu (apolesas) parmi eux un nabandonne-t-il (kataleipei) pas les quatre-vingt-dix neuf (enenēkonta ennea) dans le désert (erēmō) et marche (poreuetai) pour le perdu (apolōlos) jusquà ce quil trouve (heurē) lui? |
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tis ex hymōn (qui d'entre vous) |
Il vaut la peine de relever lexpression grecque : tis ex hymōn (qui parmi vous). Car elle constitue un style interpellant, où on oblige lauditoire à prendre position. On retrouve lexpression ailleurs dans les évangiles : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 1. Cet art de la communication ne pourrait-il pas avoir sa source dans le Jésus historique? Même si cest sous la plume de Luc que lexpression apparaît le plus souvent, il ne la probablement pas créée de toute pièce pour les critères suivants : la multiplicité des sources (on la retrouve dans la source Q, chez Jean et dans la source qui lui est particulière), et le critère de cohérence avec le prédicateur charismatique qua probablement été Jésus, se référant à la vie quotidienne. À cela on pourrait ajouter le cas où Luc présente une expression similaire sans sentir le besoin de la rectifier pour laligner avec les autres, ce qui aurait été le cas si cest lui qui aurait introduit tis ex hymōn. Donnons plus de détails.
À cela on peut ajouter lexpression semblable :
Bref, face à son auditoire qui comprend mal son attitude, Jésus leur dit : « Regardez, vous auriez fait la même chose ». |
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hekaton (cent) |
Le chiffre cent ne semble pas jouer de rôle particulier, sinon dêtre un chiffre rond générique pour illustrer un nombre assez important : Mt = 4; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 0. Par exemple, Luc évoque une dette de cent barils dhuile ou de cent mesures de blé (16, 6-7), Marc parle de la semence qui produit du cent pour un (4, 8), ou Jean qui mentionne 100 litres de myrrhe et daloès apportées par Nicodème pour lembaumement de Jésus (19, 39). Il est amusant de constater que Luc ne semble pas apprécier beaucoup le détail des chiffres, puisquil remplace les chiffres de Marc dans la parabole de la semence (et ils ont produit lun 30, lautre 60, lautre cent) par une expression générique : centuple (8, 8), et a éliminé tout chiffre dans lexplication de la parabole (8, 15) ; de même, dans sa reprise de la scène de la multiplication des pains de Marc, il a éliminé lorganisation de la foule en carrés de cent et de cinquante (Mc 6, 40 || Lc 9, 10; cest ce que fait aussi Matthieu, car cette organisation devait paraître incompréhensible). Le chiffre 100 de notre récit ici provient de la source Q, car il se retrouve également dans le récit semblable de Matthieu (18, 12). Il entend évoquer un grand nombre de moutons.
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probata (moutons) |
Luc nest pas très « mouton » : Mt = 11; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 19; Ac = 1. Même en ajoutant les agneaux (Arēn) et les boucs (eriphos), les statistiques changent peu : Mt = 12; Mc = 2; Lc = 4; Jn = 19; Ac = 1. Sur les quatre mentions, trois proviennent de la source Q, et le quatrième appartient à notre parabole quand le fils ainé reproche à son père de ne même pas avoir sacrifié un bouc pour lui. Que conclure? Dune part, lunivers de Luc est en toute probabilité celui de la ville (peut-être Corinthe en Grèce, voir mon texte : Où fut écrit lévangile de Luc?), et limage du berger et de ses moutons avait peu dintérêt, comme cela pouvait lêtre dans la Palestine de Jésus; cela renforce lidée que Luc na pas inventé cette parabole. Dautre part, limage du berger et de ses moutons comporte une grande signification pour lAncien Testament et lunivers juif. Rappelons quelques unes delles.
Bref, Luc connaissait bien lAncien Testament, et en reprenant ce quil recevait de la tradition Q, il devait bien saisir que ce pasteur promis par Yahvé pour rassembler les égarés était en fait Jésus lui-même. |
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apolesas (ayant perdu) |
Le verbe apollymi quon traduit habituellement par « périr » comporte deux significations : 1) perdre une possession; 2) détruire ou mourir ou éliminer physiquement ou symboliquement. Cest un mot bien connu dans les évangiles : Mt = 18; Mc = 10; Lc = 27; Jn = 9; Ac = 2. Même si sa fréquence est plus élevée chez Luc, cela nen fait pas pour autant un mot qui appartient au style lucanien. Car dans la moitié des cas, le mot provient de Marc ou de la source Q. De plus, lensemble des trois paraboles que nous analysons lutilise sept fois. En dautres occasions, ce mot est une façon pour lui datténuer le langage trop cru quil reçoit de sa source (voir 6, 9 où périr remplace le « tuer » de Mc 3, 4; voir 11, 51 où périr remplace « assassiner » de Mt 18, 35), selon son habitude déviter les situations ou les mots trop brutaux. Bref, nous avons probablement ici le vocabulaire quil a reçu de sa source, et dans le contexte du troupeau de moutons, nous sommes dans une situation où un berger a perdu son mouton.
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kataleipei (il abandonne) |
Le verbe kataleipō (laisser, quitter, délaisser) nest pas très fréquent : Mt = 4; Mc = 4; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 4. Très souvent, il concerne des gens quon laisse ou quitte. Chez Luc, cest Lévi qui quitte tout (5, 28), cest Marthe qui se plaint dêtre laissée seule (10, 40), et dans une scène reprise de Marc, ce sont sept maris qui meurent sans laisser denfant (20, 31). Et il y a bien sûr notre parabole où le berger laisse ses moutons. Cest un mot simple où il ne faut pas chercher de sens technique ou théologique. On ne sait pas quel verbe faisait partie de la source Q, puisque chez Matthieu cest plutôt le verbe aphiēmi (renvoyer, congédier, laisser de côté, négliger, omettre, remettre, laisser, quitter, abandonner) qui apparaît dans la parabole équivalente, un mot plus fréquent, surtout chez Matthieu : Mt = 48; Mc = 34; Lc = 36; Jn = 15; Ac = 8. Il est possible que Luc soit ici plus près de la source.
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enenēkonta ennea (quatre-vingt-dix neuf) |
Cet adjectif numéral napparaît quici dans le contexte de la parabole et dans lautre écho de ce récit dans la source Q chez Matthieu : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0.
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erēmō (désert) |
Le mot erēmos (désert, vide, désolé, stérile) sert à décrire dabord le lieu où prêchait Jean Baptiste, le lieu où Jésus sest retiré après son baptême, le lieu où il aime se retirer pour prier ou pour se protéger de la foule. Il ne faut donc pas imaginer un lieu sablonneux comme le Sahara. Il sagit plutôt dun endroit non habité, isolé, sauvage. Cest dans un tel endroit que Jésus prêche un jour à la foule et qui cause un problème de logistique, car labsence dhabitation empêche de loger et nourrir les gens pour la nuit (voir Lc 9, 12). Luc suit sur ce point lensemble des évangiles : Mt = 8; Mc = 9; Lc = 10; Jn = 5; Ac = 9. Par contre, sa version de la parabole diverge de celle de Matthieu, puisque ce dernier parle non pas de désert, mais de montagne (Mt 18, 12). Quelle était la version de la source Q? Est-ce Luc ou Matthieu qui a modifié le lieu où sest égaré le mouton? Si la parabole remonte à Jésus, il est plus probable quon y parlait de lieu sauvage ou désertique, en accord avec la topographie de la Palestine. Par contre, si la tradition a raison en plaçant la rédaction de lévangile de Matthieu à Antioche (la ville moderne dAntakya en Turquie), alors on comprendrait que Matthieu adapte la parabole à son auditoire, car Antioche est entourée de montages. Quoi quil en soit, si on regarde la version de Luc, il faut donc imaginer que le troupeau de mouton pâturait près des lieux habités, et que lun deux sest perdu dans un lieu sauvage.
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Textes avec l'adjectif erēmos dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
poreuetai (il marche) |
Le verbe poreuō (marcher, faire route, aller, se rendre) occupe une grande place dans les écrits de Luc (89 fois) : Mt = 29; Mc = 3; Lc = 52; Jn = 16; Ac = 37. Car la vie semble pour lui un long cheminement, et cest un Jésus qui chemine quil présente, en particulier cette longue marche qui le conduira à Jérusalem (9, 51 19, 28). Pourtant, en ce qui concerne le début de cette parabole, il semble que la source Q contenait également poreuō puisquon le retrouve également dans la version de Matthieu (18, 12). Se mettre à la recherche de quelquun est exigent, car il oblige à laction, à marcher, à cheminer.
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apolōlos (le perdu) |
Il sagit du même verbe apollymi que nous avons examiné plus haut, mais au participe parfait, et qui est utilisé comme un substantif avec son article to. Pourquoi le souligner? Tout dabord, cette forme reviendra 4 fois dans cet ensemble que nous analysons, puis elle conclura la scène du douanier Zachée : Car le Fils de lhomme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (to apolōlos) (Lc 19, 10). Mais elle se retrouve également chez Matthieu à deux reprises dans la bouche de Jésus :
Que conclure? Avec « brebis perdue », nous avons limpression dêtre devant une expression assez ancienne, qui na été créée ni par Luc ou ni par Matthieu. De fait, elle remonte à lAncien Testament :
Limage du mouton perdu faisait partie de lunivers juif, et il est facile dimaginer que Jésus a repris cette image et a vu sa mission dans cette ligne. |
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heurē (il trouve) |
Le verbe heuriskō (trouver, rencontrer, découvrir, constater, reconnaître) occupe une si grande place chez Luc, quon pourrait penser que nous avons ici la signature de Luc : Mt = 27; Mc = 11; Lc = 45; Jn = 11; Ac = 35. Pourtant, le même verbe est présent dans la version de Matthieu (18, 13). On peut croire quil faisait partie de la parabole originelle de la source Q, dautant plus que zēteō (chercher) appartient à limage vétérotestamentaire comme on la vu plus haut chez Ézéchiel 34 et le Psaume 119. Le travail dédition de Luc a peut-être consisté à éliminer le verbe « chercher » dans lexpression quon trouve chez Matthieu (se mettant en marche il cherche le perdu), trouvant le verbe « chercher » redondant avec celui de « marcher ».
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v. 5 Quand il la trouvé, il le met plein de joie sur ses épaules.
Littéralement : et ayant trouvé il le pose (epitithēsin) sur les épaules (ōmous) de lui se réjouissant (chairōn) |
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epitithēsin (il pose) |
Le verbe epitithēmi est un mot composé : tithēmi (mettre) et epi (sur), doù la traduction : poser sur, mettre sur, imposer, infliger, fournir : Mt = 5; Mc = 8; Lc = 4; Jn = 2; Ac = 13. Ce nest pas un mot quutilise beaucoup Luc, sauf dans les Actes où la plupart du temps il désigne limposition des mains. Dans son évangile où le mot apparaît quatre fois, il se présente dabord dans deux scènes qui lui sont propres (le bon Samaritain où les bandits « infligent des coups » à la victime (10, 30), et la guérison de la femme courbée sur laquelle Jésus « impose les mains » (13, 13)), puis dans la scène reprise de Marc où on prend Simon de Cyrène pour soccuper de la croix de Jésus, mais que Luc modifie pour employer lexpression : « ils mirent sur lui » la croix à porter (23, 26), et enfin ici dans notre passage. Alors se pose la question : comme il la fait pour la scène avec Simon de Cyrène, Luc a-t-il ajouté le mot epitithēmi à la source Q? Nous ne le pensons pas. Dune part, epitithēmi ne joue aucun rôle théologique, et dautre part, on voit mal comment un homme de la ville aurait pris la peine dajouter un tel détail dans cette scène pastorale.
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ōmous (épaules) |
Dans tout le Nouveau Testament, ce mot napparaît quici et chez Matthieu 23, 4 : Ils lient de pesants fardeaux et les imposent (epitithēmi) aux épaules (ōmos) des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. Quand on considère lensemble de la Bible, jamais on ne trouve une scène semblable où un berger met un mouton sur ses épaules. Doù vient cette image? De Jésus lui-même? Peut-être. On peut être surpris de voir un berger obligé de porter ainsi son mouton. Il faut imaginer quil est trop jeune ou trop faible pour faire le chemin du retour, ou trop égaré pour retrouver son chemin.
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chairōn (se réjouissant) |
On peut décrire lévangile de Luc comme un évangile de la joie. Il souvre sur le thème de la joie avec lannonce à Marie et aux bergers. À plusieurs reprises, la foule se réjouit en voyant les merveilles que Jésus accomplit. Quand on compile la présence du verbe « se réjouir » (chairō) et du substantif « joie » (chara), on obtient le tableau suivant : Mt = 12; Mc = 3; Lc = 20; Jn = 18; Ac = 11. Mais cette joie dans la parabole était probablement présente dans la parabole originelle, car on la retrouve également dans la version de Matthieu en 18, 13 (Et sil parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il tire plus de joie delle que des 99 qui ne se sont pas égarées).
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v. 6 À son retour à la maison, il appelle les amis et des voisins en leur disant : "Venez vous réjouir avec moi, car jai retrouvé le mouton que javais perdu."
Littéralement : et étant allé (elthōn) dans (eis) la (ton) maison (oikon) il appelle ensemble (synkalei) les amis (philous) et les voisins (geitonas) disant à eux : réjouissez-vous ensemble (syncharēte) avec moi, car jai trouvé le mouton de moi le perdu. |
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elthōn eis ton oikon (étant allé dans la maison) |
Pour désigner la maison, le grec possède deux mots avec la même racine, mais lun ayant la forme masculine comme ici (oikos) : Mt = 10; Mc = 13; Lc = 33; Jn = 5; Ac = 25; et lautre ayant la forme féminine (oikia) : Mt = 25; Mc = 18; Lc = 24; Jn = 5; Ac = 11. Comme on peut le constater, Luc préfère habituellement la forme masculine, et surtout, quand on additionne le tout, il fait souvent référence à la maison. Alors est-ce lui qui a voulu que la scène du berger qui retrouve son mouton se déplace maintenant à la maison? Dune part, lexpression erchomai eis ton oikon (aller dans la maison) napparaît jamais ailleurs sous sa plume; il écrira plutôt : entrer à la maison (eiserchomai eis ton oikon : 1, 40), partir pour la maison (aperchomai eis ton oikon : 1, 23), retourner à la maison (hypostrephō eis ton oikon : 1, 56), descendre à la maison (katabainō eis oikon : 18, 14). Dautre part, une seule fois on verra sous sa plume erchomai, mais avec la forme féminine oikia, alors quil précise le texte de Marc sur la ressuscitation de la fille de Jaïre en disant : Or, venu à la maison (erchomai eis tēn oikian : 8, 51). Fait-il ici la même chose avec une scène quil aurait reçue? Il est difficile de conclure. Les scènes à la maison semblent plaire à Luc quand on regarde sa fréquence dans son évangile.
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synkalei (il appelle) |
Le verbe synkaleō est composé de la préposition syn (avec) et du verbe kaleō (appeler), et on traduit habituellement par : convoquer, assembler, réunir. Il est très rare : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 3, mais se retrouve surtout sous la plume de Luc, comme dailleurs les verbes avec syn (avec) comme préfixe, ou encore suivis de syn. Dans lévangile de Luc, la seule occurrence en dehors du texte que nous analysons se trouve en 9, 1 alors que Jésus convoque les Douze pour les envoyer en mission. Nous navons rien de décisif pour conclure que nous aurions ici loeuvre de Luc, plutôt que la source Q. Mais les mots ont une saveur lucanienne.
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philous (amis) |
On continue ici avec un mot qui a une saveur lucanienne : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 15; Jn = 6; Ac = 2. Sur les 15 occurrences, une seule vient de la source Q (7, 34). La plupart du temps, il apparaît dans des passages uniques à Luc, sauf deux fois où il reprend la source Q, mais insère le mot philos (voir 7, 6 et 12, 4).
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geitonas (voisins) |
Ce mot est presque totalement absent de tout le Nouveau Testament, sauf pour trois passages de Luc (dont deux dans notre ensemble : 14, 12; 15, 6.9) et un passage de Jean (dans lépisode de laveugle né : 9, 8) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 0. Cest donc un mot qui fait partie du vocabulaire de Luc.
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syncharēte (réjouissez-vous ensemble) |
Encore une fois, nous avons une construction chère à Luc avec un verbe (chairō : se réjouir) précédé de syn (avec). Et on ne sera pas surpris dapprendre quil est le seul à utiliser ce mot dans les évangiles (ailleurs il se retrouve seulement sous la plume de Paul : 1 Co 12, 26; 13, 6; Phil 2, 17.18) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0. Au début de son évangile, Luc a cette phrase : Les gens dalentour et ses (dÉlisabeth) proches apprirent que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde à son égard, et ils sen réjouissaient avec elle (synchairō) (1, 58). Ainsi, les arguments saccumulent pour voir dans tout le verset des traits tout à fait lucanien, et non un élément de la source Q.
Disons un mot en terminant sur la structure dun verbe à limpératif, suivi de la conjonction explicative hoti, comme nous lavons ici : réjouissez-vous ensemble (impératif)... car (hoti). Cest une construction quon rencontre un certain nombre de fois dans les évangiles : Mt = 10; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 1; Ac = 3. Luc laime bien, car il se permet de corriger un passage quil reçoit de Marc : renvoie-les (impératif) afin quils (hina) aillent dans les fermes et les villages dalentour (Mc 6, 36), pour le remplacer par : Renvoie (impératif) la foule, afin quils (hoti) aillent dans les villages et fermes dalentour (9, 12). Cette construction est toujours son oeuvre, sauf une fois où elle simplement reprise de la source Q (12, 40). On peut donc dire deux choses : la construction est très lucanienne, mais elle apparaît aussi dans la source Q. |
Textes avec synchairō dans la Bible | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 7 Cest de la même façon, je vous le dis, quil y aura de la joie chez Dieu pour un seul dévoyé qui réoriente sa vie, que pour quatre-vingt-dix-neuf personnes irréprochables qui nont pas besoin de réorienter leur vie.
Littéralement : Je dis à vous (legō hymin) quainsi (houtōs) une joie (chara) dans le ciel (ouranō) sera pour un seul pécheur se repentant (metanoounti) que pour quatre-vingt-dix-neuf justes (dikaiois) lesquels pas besoin nont de repentance (metanoias). |
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legō hymin (Je dis à vous) |
Lexpression legō hymin (je dis à vous) dans sa forme au pluriel, ou legō soi (je te dis) dans sa forme au singulier est très fréquente dans tous les évangiles : Mt = 48; Mc = 18; Lc = 32; Jn = 30. Elle semble provenir dune ancienne tradition, car elle relève de lattestation multiple : Marc (par exemple : 3, 28), la source Q (par exemple : Lc 7, 9 || Mt 8, 10), Jean (par exemple : 5, 24) Cest le reflet sans doute de lautorité avec laquelle parlait le Jésus historique.
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houtōs (ainsi) |
La seule raison de souligner houtōs (ainsi, de cette façon, de même que... ainsi), une expression assez fréquente (Mt = 32; Mc = 10; Lc = 21; Jn = 14; Ac = 26), est de faire remarquer quelle a sa place naturelle à la fin dune parabole : après son récit, Jésus fait la comparaison avec la vie (de la même façon...) (par exemple, voir la parabole du riche en 12, 21; parabole du constructeur et du roi en guerre, 14, 33; parabole du serviteur inutile 17, 10).
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chara (joie) |
Dans les écrits synoptiques, Luc est celui qui insiste le plus sur la joie : Mt = 6; Mc = 1; Lc = 8. Chez Matthieu, sur six occurrences quatre font partie dun récit parabolique, si bien quon se retrouve avec deux passages seulement : les mages qui éprouvent de la joie devant létoile (2, 10) et les femmes qui quittent le tombeau vide pleines de joie après la résurrection de Jésus (28, 8). La seule occurrence de Marc fait partie de la parabole de la semence (4, 16) qui se retrouve également chez Matthieu. Chez Luc, le thème transperce tout son évangile : lange annonce une grande joie à Zacharie (1, 14) comme il le fait aux bergers (2, 10), les 72 disciples envoyés en mission reviennent tout joyeux (8, 13), les disciples sont fous de joie devant Jésus ressuscité (24, 41) et lévangile se termine avec ces mots : Pour eux, sétant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu (24, 52-53). Ici, dans le verset que nous analysons, la joie est celle de Dieu personnifiée par le berger devant le rétablissement des relations avec son mouton.
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ouranō (ciel) |
Comme on sen doute, ouranos est un mot fréquent : Mt = 82; Mc = 18; Lc = 36; Jn = 18; Ac = 26. Et on ne sera pas surpris de constater que les occurrences les plus élevées se trouvent chez le Juif Matthieu : car le ciel était chez les Juifs une façon de désigner Dieu tout en évitant de prononcer le nom ineffable. Cest ainsi que sur les 82 occurrences de Matthieu, plus de la moitié (44) sert à dire soit : Royaume des Cieux, soit : Père qui est dans les cieux. Cela amène la question du singulier et du pluriel. Voici des statistiques sur le singulier/pluriel : Mt = 28/54; Mc = 13/5; Lc = 32/4; Jn = 18/0; Ac = 25/1. Ainsi, le singulier mène largement, sauf chez le Juif Matthieu. Bien sûr, le ciel est au singulier quand il désigne cette partie de lunivers en haut, par opposition à la terre (les oiseaux du ciel, voir Mc 4, 32 || Mt 13, 32 || Lc 13, 19; ou encore : le ciel et la terre passeront en Mc 13, 31 || Lc 16, 17 || Mt 24, 35).
Ici, cest Luc qui nous intéresse, et le mot est presque toujours au singulier. Cette préférence est très claire, car sur les 32 occurrences du singulier, 20 lui sont propres. Cette préférence est dautant plus vraie que Luc transforme parfois sa source qui contient « cieux » pour que le mot devienne « ciel » (voir 3, 21-22 || Mc 1, 10-11 pour la source qui vient de Marc, et 6, 23 || Mt 5, 12 et 11, 13 || Mt 7, 11 pour la source Q (Comme toute règle, il y a des exception, et chez Luc deux exceptions, i.e. 10, 20 où un texte qui semble propre à Luc a lexpression « cieux » et surtout 18, 22 où Luc reprend Marc qui affiche « ciel » pour le transformer en « cieux »). Bref, la présence du mot « ciel » au singulier dans le verset que nous analysons est tout à fait lucanien. Mais si on se place du point de vue du Jésus historique, on peut imaginer quil devait parler « des cieux » comme tout bon Juif pour désigner Dieu. Mais lécho que nous avons décrits juifs dans le siècle qui précède montre quon lemploie tant au pluriel quau singulier :
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Sur ouranos (ciel), voir le Glossaire | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
metanoounti (se repentant) |
Cest chez Luc quon retrouve surtout le verbe metanoeō (changer davis, regretter, se repentir) : Mt = 5; Mc = 2; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 4. Il apparaît dabord chez Marc avec lexpression : Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche: repentez-vous (metanoeō) et croyez à lÉvangile (Mc 1, 15; 6, 12). Il est présent dans la source Q (Lc 10, 13 || Mt 11, 21; Lc 11, 32 || Mt 12, 41). Mais cest Luc qui lui donne toute son expansion où on le voit dans sept passages qui proviennent de sa plume. Cest pour lui un thème très important au point quon le retrouve en croix avec le bon larron, même si le mot ny est pas explicitement utilisé. Quand on regarde les passages qui lui sont propres, à lexception de la section actuelle que nous analysons, nous observons trois cadres :
On traduit habituellement metanoeō par repentir ou conversion. Il me semble que le mot « repentir » est trop marqué par les émotions liées au regret, et « conversion » est trop associé au changement de religion. Pour traduire lidée que « metanoeō » implique la reconnaissance quon est sur une fausse voie et la décision dorienter différemment sa vie, jai opté pour : réorienter sa vie. |
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dikaiois (justes) |
Le mot dikaios (homme de bien, juste, droit, équitable, raisonnable, innocent) est bien connu dans le Nouveau Testament et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 17; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 3; Ac = 6. Fondamentalement, il signifie : conforme ce qui doit être. En français on a un peu cette idée quand on dit : chanter juste, avoir la note juste; cest comme sil existe une cible, et quon latteint en plein milieu. Dans notre langage courant moderne, la signification de « juste » sest quelque peu rétrécit pour désigner surtout ce qui est équitable : ainsi quelquun reçoit une sentence « juste » si elle correspond bien à son crime, ou encore, quelquun sera accusé dêtre injuste sil favorise lun plus que lautre. Dans le monde du Nouveau Testament, en particulier des évangiles, la signification du mot est beaucoup plus riche.
Dans ce v. 7 que nous analysons, nous avons traduit dikaios par « irréprochable ». Fondamentalement, ce mot devrait se ranger ici dans le dernier groupe sémantique que nous avons présenté : un homme de Dieu par opposition aux méchants et aux dévoyés. Mais le cadre est polémique : lauditoire est composé de gens qui ressemblent à ceux à qui sadresse la parabole du Pharisiens et du Publicain et de qui Luc dit quils se flattaient dêtre des justes et navaient que mépris pour les autres (Lc 18, 9). Ce sont des gens qui se croient parfaits devant Dieu. Il me semble que le titre « irréprochables » leur convient bien, car ce sont des gens qui ont lillusion de ne plus avoir besoin dêtre guidés et dévoluer. Cest dans le même sens quil faut interpréter trois autres passages : je ne suis pas venu appeler les gens irréprochables (dikaios), mais les gens dévoyés à la réorientation de leur vie (Lc 5, 32); je ne suis pas venu appeler les gens irréprochables (dikaios), mais les gens dévoyés (Mt 9, 13); Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les gens irréprochables (dikaios), mais les gens dévoyés (Mc 2, 17). |
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metanoias (repentance) |
Nous avons analysé plus haut metanoeō (réorienter sa vie). Ici, cest le substantif metanoia. Nous avions dit quil sagissait dun mot très lucanien. On peut dire la même chose du substantif : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 6, donc 11 fois pour lensemble Lc-Ac sur un total de 14 fois. Et si on combine le verbe et le substantif, on obtient 24 fois pour Lc-Ac sur un total de 34 fois, soit plus de 70%. Contentons-nous de mentionner que chez Marc et Matthieu, metanoia napparaît que dans le contexte du baptême de Jean Baptiste (Mc 1, 4; Mt 3, 8.11). Luc associe aussi metanoia au baptême de Jean (Lc 3, 3.8; Ac 3, 24; 19, 4). Mais cest surtout lobjet principal de la mission chrétienne qui doit proclamer au nom de Jésus la réorientation de vie (metanoia) à toutes les nations, à commencer par Jérusalem (24, 27); voir aussi Ac 5, 31; 11, 18; 20, 21; 26, 20. Ainsi, affirmer ne pas avoir besoin de réorienter sa vie se ramène à refuser ce qui est au coeur de la mission chrétienne.
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v. 8 Une autre histoire. Quelle femme, possédant léquivalant de dix jours de salaire et qui perdrait léquivalant dune somme dun seul jour de salaire, nallumerait pas une lampe et ne balaierait pas la maison pour chercher avec soin tant quelle naura rien trouvé?
Littéralement : Ou bien, quelle femme (gynē) drachmes (drachmas) ayant dix (deka) si perdait drachme une seule (mian), elle nallume (haptei) pas une lampe (lychnon) et elle balaie (saroi) la maison (oikian) et elle cherche (zētei) avec soin (epimelōs) jusquà (heōs hou) ce quelle le trouve (eurē)? |
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gynē (femme) |
On peut dire que Luc est lévangéliste des femmes (gynē) : Mt = 29; Mc = 17; Lc = 41; Jn = 22; Ac = 19; et sur les 41 emplois dans son évangile, 8 proviennent de Marc, 2 de la source Q, ce qui laisse 31 emplois qui lui sont propres. Mais au-delà de ces statistiques, il faut signaler que Luc tient à mettre sur scène un certain nombre de figures féminines, dabord Élisabeth (1, 5) et Marie (1, 42), ainsi que la prophétesse Anne (2, 36) dans les récits de lenfance, puis cette femme qui verse un vase de parfum sur ses pieds et dont Jésus dit que ses péchés sont pardonnés car elle a beaucoup aimé (7, 44), cette femme courbée depuis 18 ans dont Jésus dit quelle aussi une fille dAbraham (13, 12), et surtout celles quil présente comme des disciples, layant suivi depuis la Galilée (8, 2-3) et Marthe et Marie à qui il dit quelle a choisi la meilleure part, lécoute de la parole, comme les disciples (10, 38). Cette deuxième parabole commence avec la figure dune femme. Même si nous venons de dire que Luc aime mettre en vedette une femme, il ne sensuit pas pour autant quil aurait créé cette parabole. Nous avons dautres exemples de paraboles où lun est centrée sur un homme, la suivante sur une femme (source Q : lhomme qui sème un grain de sénevé et la femme qui met du levain de la farine, Mt 13, 31-32 || Lc 13, 18-21). Cette séquence homme femme que nous présente Luc se trouve-t-elle dans la source Q (mais que Matthieu aurait éliminé), ou est-ce Luc qui ajoute à la source Q cette parabole centrée sur une femme quil tiendrait dune autre source? Impossible de répondre.
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drachmas (drachmes) |
La drachme est une monnaie dargent grecque, équivalente au denier romain, soit une journée de salaire. La monnaie sétait répandue au Proche Orient avec la conquête dAlexandre le Grand. Aussi, on la mentionne à quelques reprises dans le livre des Maccabées (2 Macc 4, 19; 10, 20; 12, 43). Cependant, sous lempire romain, cest le denier qui domine, et cest le denier qui est nommé comme monnaie dans les évangiles (14 fois). La drachme napparaît quici dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0. Pourquoi? Est-ce Luc qui aurait modifié sa source en fonction de son public grec? Mais pourquoi ne la-t-il pas fait également avec la parabole du débiteur qui devait 500 deniers (7, 41), avec la parabole du bon samaritain qui débourse deux deniers pour sa victime (10, 35), et avec la discussion sur le paiement du tribut à César, où Jésus demande de montrer un denier (20, 24)? Il faut savoir que les monnaies grecques, romaines et juives coexistaient au Proche Orient et que les auteurs des traditions évangéliques se sentaient probablement libres de passer dune monnaie à lautre. Cest ainsi que la parabole de lhomme en voyage qui confie sa fortune à ses serviteurs, et qui provient de la source Q, tourne autour de la plus forte monnaie grecque dargent, le talent, chez Matthieu (25, 15), un talent équivalant à 6 000 deniers, mais elle tourne autour de la mine (60 mines équivalaient à un talent) chez Luc, une autre monnaie grecque dargent (19, 13). Impossible de savoir quelle était la monnaie de la parabole dansla bouche de Jésus, si jamais elle remonte jusquà lui. On peut dire la même chose de celle de la femme avec les dix drachmes.
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Sur la monnaie dans la Bible, voir le Glossaire | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
deka (dix) |
Cet adjectif numéral est peu fréquent (Mt = 3; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 1) et semble jouer le rôle dun chiffre rond commode dans un récit, en particulier pour désigner le nombre le plus élevé ou le nombre dun groupe. Chez Luc, par exemple, dix lépreux viendront vers lui pour se faire guérir (17, 12), ou encore, un homme partant en voyage confiera 10 mines à dix de ses serviteurs, et le meilleur réussira à en produire 10 autres (19, 13ss). Chez Matthieu, il y a la parabole des dix vierges (25, 1), et dans la parabole des talents, celui qui avait reçu 5 talents en produira 5 autres pour atteindre le total de dix. On peut dire la même chose de la parabole de la femme avec 10 drachmes, tout en reconnaissant que Luc aime plus que les autres le chiffre dix. Mais ce quil importe de dire pour notre récit, cest que la somme de dix drachmes représentent un grande somme, i.e. au minimum dix jours de salaire, probablement lévalent dun mois de salaire dans notre monde moderne avec notre organisation du travail.
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mian (une seule) |
Le chiffre « un » est très fréquent : Mt = 66; Mc = 44; Lc = 43; Jn = 40; Ac = 21. Ici, la drachme unique est en opposition avec les dix drachmes. Rappelons que dix drachmes est une somme énorme. Et donc on pourrait penser que perdre une drachme nest pas la fin du monde, puisque la femme pourrait vivre avec 9 drachmes. Mais tout le travail de la femme pour retrouver cette drachme perdue montre limportance de chacune des drachmes. Cela cadre parfaitement avec la parabole où un seul des cent moutons est perdu : chacun est important. Derrière ces deux paraboles, on voit le lien avec le regard de Dieu sur chacun des êtres humains, si nombreux soient-ils.
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haptei (elle allume) |
Le verbe haptō comporte deux significations différentes : 1) toucher, et 2) allumer quelque chose. Cest Luc qui lutilise le plus : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 1. Mais si on considère seulement les passages où il a le sens dallumer comme ici, on observe quil est seul : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1. Il y a même plus. Dans deux passages où Luc reprend le texte de Marc où ce dernier parle de lampe quon doit mettre sur un lampadaire, et non sous le boisseau ou sous le lit, Luc prend dabord la peine dajouter quil faut dabord « allumer la lampe » (haptō lychnon)(8, 16). Remarquons que Matthieu (5, 15) a la même réaction en reprenant lui aussi le texte de Marc, mais il emploie un autre verbe : faire brûler une lampe (kaiō lychnon). Et Luc recopiera son texte de 8, 16 un peu plus loin à peu près tel quel en 11, 33. Alors il faut admettre que ce récit de la femme qui a perdu sa drachme et qui allume une lampe présente un vocabulaire très lucanien. Malgré tout, rien nempêche de penser quil ninvente pas ce récit, mais le reprend en lui donnant une touche personnelle.
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lychnon (lampe) |
Malgré le fait que le mot renvoie à un objet de la vie courante, lychnos (lampe, flambeau) nest pas si fréquent : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 6; Jn = 1; Ac = 0. Chez Matthieu, les deux emplois sont une reprise, lune de Marc, lautre de la source Q. Chez Luc tout comme chez Matthieu, deux emplois sont également une reprise du même passage de Marc, et un emploi de Luc est une reprise de la même source Q. Ce qui laisse trois passages chez Luc qui proviennent de sa plume ou dune source qui lui est propre. Encore une fois, nous avons un mot qui fait partie de son univers. La lampe est associée à la lumière qui illumine et permet de voir clair, qui permet donc dagir et de nous mettre en marche.
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saroi (elle balaie) |
Il y a peu de chose à dire sur saroō (balayer, nettoyer), sauf quil semble presquinconnu des évangélistes (et totalement absent du reste du Nouveau Testament) : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Lapparition du mot chez Matthieu et dans un passage de Luc est une reprise de la source Q (Mt 12, 44 || Lc 11, 25). Ce qui laisse le passage que nous analysons le seul autre cas du mot. Il est difficile dy voir un mot que Luc aime bien. Cela faisait sans doute partie de la parabole quil reçoit dune source.
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oikian (maison) |
Sur oikia (Mt = 25; Mc = 18; Lc = 24; Jn = 5; Ac = 11), contentons-nous de rappeler ce que nous avons dit plus haut : Luc préfère la forme masculine (oikos) à la forme féminine (oikia), mais celle-ci est quand même assez fréquente pour faire partie de son vocabulaire.
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zētei (elle cherche) |
Le verbe zēteō, qui signifie soit chercher, soit demander, est bien répandu dans les évangiles : Mt = 14; Mc = 10; Lc = 25; Jn = 32; Ac = 9. Cest dautant plus facile à comprendre quil fait partie de lexpression « chercher à se saisir de Jésus » ou « chercher à le faire périr » qui revient comme un leitmotiv dans tous les évangiles. Ce verbe fait partie du vocabulaire de Marc, de la source Q, de Jean, et des passages propres à Luc ou à Matthieu. Chez Luc, même si le mot nest pas aussi utilisé que chez Jean, le mot apparaît 16 fois sous sa plume sur les 25 occurrences, les autres cas relevant dun emprunt soit à Marc (surtout dans les récits de la passion et de la résurrection), soit à la source Q (surtout les récits sur la recherche du royaume de Dieu plutôt que de sinquiéter du lendemain). Dans son récit de lenfance, les parents de Jésus sont à sa recherche (2, 48-49), par la suite les gens cherchent à le toucher (6, 19), Hérode cherche à le voir (9, 9), Zachée cherche à le voir (19, 3). Cest un mot que Luc aime bien, au point que parfois il modifie sa source, pour ajouter « rechercher » : par exemple, les gens portant un paralytique « cherchent » à lintroduire dans la maison où se trouve Jésus (5, 18 || Mc 2, 3), ou encore la source Q sur linquiétude du lendemain où Matthieu parle de sinquiéter de ce quon mangera (6, 31) alors que Luc parle plutôt de ne pas « chercher » ce quon mangera (12, 29). Dans la parabole de la drachme perdue, le verbe « chercher » était-il dans la source ou est-il de la plume de Luc qui réécrit la parabole? Impossible de répondre.
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epimelōs (avec soin) |
Cet adverbe napparaît quici dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0, ce qui est souvent le signe que lévangéliste utilise une source.
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heōs hou (jusquà) |
Il vaut la peine de sarrêter un bref instant sur lexpression heōs hou suivi du subjonctif, car elle nest pas fréquente : Mt = 5; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 1. Chez Matthieu, elle est loeuvre de sa plume, sauf un passage provenant de la source Q (Mt 13, 33 || Lc 13, 21). Et ce qui est remarquable, il modifie à deux reprises le texte de Marc, dans un premier cas (Marc qui na que heōs + présent) pour ajouter hou + subjonctif (Mt 14, 22 || Mc 6, 45), dans un deuxième cas pour ajouter carrément heōs hou + subjonctif (Mt 17, 9 || Mc 9, 9) dans une phrase où Marc écrit : ei mē hotan (sinon quand). Chez Luc, la situation est plus simple : à part ce passage de la source Q quil partage avec Matthieu (13, 21), les trois autres passages proviennent de sa plume ou dune source qui lui est propre. Ainsi, lexpression de la parabole de la drachme perdue pourrait provenir aussi bien de la plume de Luc que de la source Q.
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eurē (elle trouve) |
Ce verbe a déjà été analysé et nous avons dit que, même sil est très fréquent chez Luc, il pourrait tout aussi bien venir de la source Q, comme on la vu dans la parabole du berger qui a perdu un mouton.
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v. 9 Et après avoir trouvé, elle appelle les amies et les voisins en disant : "Venez vous réjouir avec moi, car jai retrouvé largent équivalant à une journée de salaire que javais perdu."
Littéralement : et ayant trouvé elle appelle ensemble les amies et les voisins disant : réjouissez-vous ensemble avec moi, car jai trouvé la drachme que javais perdue. |
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Nous avons ici un strict parallèle avec la fin de la parabole de la brebis perdue : mêmes mots, mêmes verbes. Faisons la comparaison à partir de la traduction littérale. En italique, on a mis des mots présents dans une parabole, absente de lautre, et en caractère gras les mots modifiés.
Ainsi, les deux paraboles se terminent de manière pratiquement identique : la grande différence résidant surtout dans la variation du genre, masculin pour la première (notons quen grec le participe et le pronom relatif saccordent en genre et en nombre), féminin pour la deuxième. Dans un tel cas, les deux paraboles visent à transmettre le même message. |
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v. 10 Cest de la même façon, je vous le dis, quil y a de la joie chez les gens en relation avec Dieu pour un seul dévoyé qui réoriente sa vie. »
Littéralement : Ainsi, je dis à vous (houtōs, legō hymin), il survient (ginetai) joie devant les anges (angelōn) de Dieu pour un seul pécheur se repentant (metanoounti). |
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La première chose à faire remarquer est que cette conclusion est pratiquement identique à celle de la parabole de la brebis perdue, notre première parabole. Regardons de plus près en divisant le verset en trois sections. Nous avons mis en caractère gras les mots différents.
On aura remarqué que la séquence de certains mots a changé : dans la parabole 2 (drachme perdue), « ainsi » vient avant le « je dis à vous », et non après, tout comme le verbe « il surviendra » vient avant la mention de la joie et de son complément, et non après. Le verbe être au futur (sera) a été remplacé par le verbe « survenir » au présent dans la deuxième parabole, et le ciel a été remplacé par « les anges de Dieu ». De plus, la particule « que » est disparue dans la deuxième parabole. Enfin, mentionnons que la conclusion de la première parabole se terminait par « que pour quatre-vingt-dix-neuf justes lesquels pas besoin nont de repentance », et qui a évidemment disparu dans la deuxième parabole, puisque le cadre avait complètement changé. Que conclure? Les différences dans les deux premières sections pourraient indiquer deux auteurs différents des sources quutilise Luc. Rien nempêche de penser que le milieu de ces sources soit le même, i.e. la source Q, même si Matthieu ne la présente pas (a-t-il voulu éliminer un duplicata?). Pourquoi des auteurs différents? Si lauteur était le même, on se serait attendu à des phrases identiques comme pour tout bon récit populaire facile à mémoriser. Mais rien nempêche que ces récits soient de milieux semblables. La différence dans le vocabulaire et les expressions est minime. Par exemple, lexpression « Je dis à vous » avec la particule « que » ou sans la particule « que » semble être utilisée indifféremment dans tous les évangiles, incluant la source Q (voir Lc 10, 12 || Mt 10, 15 avec la particule, voir Lc 7, 9 || Mt 10, 12 sans la particule). Ou encore, « ainsi » peut se trouver indifféremment avant le verbe ou après le verbe (voir Lc 17, 26 || Mt 24, 37 où « ainsi » précède le verbe, voir Lc 12, 43 || Mt 24, 46) où « ainsi » suit le verbe. Enfin, les verbes « sera » et « il survient » sont tout autant attestés dans la source Q (voir Lc 11, 30 || Mt 12, 40 pour « ainsi sera » et Lc 11, 26 || Mt 12, 45 pour « il survient »). Cela étant dit, il en va autrement de la troisième section où les mots sont identiques : pour un seul pécheur se repentant. Cest fort probablement un ajout de Luc à sa source, car non seulement le verbe « se repentir » et le substantif « repentance » apparaissent souvent sous sa plume comme nous lavons dit plus haut, ils font également partie de sa théologie. |
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houtōs, legō hymin (Ainsi, je dis à vous) |
Ces mots ont déjà été analysés plus haut, où nous avons dit quils semblent le reflet dune ancienne tradition.
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ginetai (il survient) |
Le verbe ginomai (être, survenir, devenir, venir à lexistence, apparaître) est aussi fréquent en grec que les verbes avoir et être en français : (Mt = 76; Mc = 54; Lc = 132; Jn = 50; Ac = 110). Même si Luc lutilise le plus (242 fois pour évangile-Actes), il est impossible de conclure que nous avons ici un trait de sa plume. Dailleurs, ginomai décliné à la 3e personne du présent comme ici net pas si fréquent chez lui : Mt = 6; Mc = 7; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 0.
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Textes avec le verbe ginomai dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
angelōn (anges) |
Luc aime beaucoup les anges : Mt = 20; Mc = 6; Lc = 25; Jn = 3; Ac = 21 (46 fois pour évangile-Actes). Mais il faut se rappeler que angelos est la traduction de lhébreu : malʾak (messager, envoyé). Cest ainsi que le mot en Lc 7, 24 doit être parfois traduit par « envoyé » ou « messager » : Quand les envoyés (angelos) de Jean furent partis, Jésus se mit à dire aux foules au sujet de Jean (voir aussi Lc 7, 27; 9, 52). Chez Luc, parmi les 25 emplois, 22 désignent ce messager céleste. Notons également que sur les 22 emplois, 20 apparaissent sous la plume de Luc, les deux autres cas provenant lun de Marc, lautre de la source Q. De plus, 14 occurrences (64%) apparaissent dans les récits de lenfance. Mais ce qui nous intéresse ici, est lexpression « anges de Dieu ». Or, à part ce verset-ci que nous analysons, lexpression apparaît ailleurs trois fois, deux fois chez Luc et une fois chez Jean (Et il lui dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de lhomme : 1, 51). Mais chez Luc, les deux occurrences apparaissent dans le contexte où Luc reprend la source Q. Comparons la version de Luc avec celle de Matthieu. Jai mis en caractère gras les mots semblables, et jai souligné les différences majeures.
On aura remarqué les différences majeures. Chez Matthieu, cest Jésus lors du Jugement dernier qui reconnaît ceux qui lont confessé et renie ceux qui lont renié, et tout se passe devant le Père des cieux. Chez Luc, cest le fils de lhomme lors du Jugement dernier qui reconnaît ceux qui lont confessé, et cest Dieu (sous-entendu à travers le verbe au passif) qui renie ceux qui ont renié Jésus, et tout se passe devant les anges de Dieu. La question se pose donc : quelle version parmi les deux reflète le mieux la source Q? Commençons par lexpression « Père qui est dans les cieux ». Sur les 14 occurrences dans les évangiles, 13 apparaissent chez Matthieu (la seule exception étant Mc 11, 25 où le croyant en prière doit remettre les fautes des autres sil veut que le Père dans les cieux lui pardonne). Or, sur les 13 occurrences chez Matthieu, sept apparaissent dans des passages qui lui sont propres. Et dans les six autres passages, cest lui qui semble modifier sa source pour ajouter « Père qui est dans les cieux ». Le cas le plus clair est celui de Mt 12, 50 où il modifie le texte de Marc (3, 35: Voici ma mère et mes frères : celui qui fait la volonté de Dieu) qui devient sous sa plume : Voici ma mère et mes frères : car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Il fait la même chose avec la source Q. Par exemple, les biblistes sentendent en général pour dire que la version de Luc de la prière du « Notre Père » est la plus ancienne. Cest ainsi que nous avons : Père, que soit sanctifié ton Nom (Lc 11, 2). Mais Matthieu laurait modifiée ainsi : Notre Père qui est dans les cieux, que soit sanctifié ton Nom (Mt 6, 9) (voir aussi Lc 11, 13 || Mt 7, 11; Lc 6, 46 || Mt 7, 21). Conclusion : la version de Luc avec « anges de Dieu » reflète le mieux la source Q et cest Matthieu qui la modifiée pour remplacer « anges de Dieu » par « Père qui est dans les cieux ». Et la présence des « anges de Dieu » est tout à fait à sa place dans un contexte de Jugement dernier, comme on le voit dans lensemble des évangiles, et qui est confirmé par cette autre source quest Jean 1, 51 citée plus haut. Enfin, on peut régler facilement lexpression « fils de lhomme » chez Luc contre la version de Matthieu : je... moi. « Fils de lhomme » appartient au contexte apocalyptique (voir Daniel 7) qui fut celui de Jésus et il est fort probable que ce soit un titre qui origine de Jésus lui-même (voir R.E. Brown). Cest un titre qui a été un peu une source de confusion chez les premiers chrétiens et on ne la pas retenu comme titre majeur de Jésus ressuscité dans la communauté. Par contre, lexpression « je... moi » au moment du Jugement dernier trahit la foi chrétienne en la résurrection de Jésus. Il ny aucun doute quil faut préférer la version de Luc comme étant la plus ancienne et reflétant le mieux la source Q. Si on revient à la parabole de la drachme perdue, on peut affirmer avec un bon degré de confiance que lexpression « joie devant les anges de Dieu » provient dune source ancienne et non de Luc, et même plus, elle pourrait bien appartenir à la source Q. Mentionnons en terminant que cette notion danges de Dieu remonte à lAncien Testament (malʾak yhwh : voir par exemple Genèse 16, 7-13). Toutefois, il reste un petit point à résoudre : alors que les anges de Dieu apparaissent habituellement dans un contexte de Jugement dernier, et donc dans le futur (voir Lc 9, 26; 12, 8-9; Mc 8, 38; Jn 1, 51), comment peut-on avoir ici un verbe au présent : il survient une joie devant les anges de Dieu, i.e. cest dès maintenant que réagissent avec joie les anges de Dieu? Dans le monde juif, les anges semblent avoir un rôle particulier lors du jugement final (voir Mc 13, 27; Mt 25, 31), mais leur rôle est beaucoup plus vaste, si bien que Matthieu peut écrire : Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits: car, je vous le dis, leurs anges aux cieux voient constamment la face de mon Père qui est aux cieux (18, 10). Ainsi, les anges semblent être ce canal de communication entre les hommes et Dieu, si bien que les événements de ce monde ont un écho dans lautre monde. Et quand on considère lensemble des évangiles, les anges jouent un rôle dans le présent. |
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metanoounti (se repentant) |
Répétons ce que nous avons dit plus haut : nous somme ici devant un ajout de Luc pour soutenir sa théologie concernant la conversion et le changement de vie, à limage du bon larron en croix.
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v. 11 Jésus ajoute une autre histoire. « Il y avait un homme avec deux fils.
Littéralement : Puis il dit : « Un homme quelconque (anthrōpos tis) avait deux (dyo) fils. |
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anthrōpos tis (un homme quelconque) |
Il vaut la peine de souligner lexpression anthrōpos tis, car elle est unique à Luc dans tous les évangiles et Actes : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 0; Ac = 0. Cest sa signature pour introduire un récit :
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dyo (deux) |
Il est intéressant de jeter un coup doeil au chiffre deux : Mt = 40; Mc = 18; Lc = 29; Jn = 13; Ac = 0. Car il a dans plusieurs cas une signification symbolique qui dépasse la simple désignation dun nombre. Nommons-en quelques un :
Bien sûr, le chiffre deux de notre parabole qui samorce appartient à cette dernière catégorie. |
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v. 12 Le cadet dit à son père : "Papa, donne-moi la portion dhéritage qui me revient de ce que tu possèdes." Alors le père fait le partage de ses biens.
Littéralement : et il dit le plus jeune (neōteros) deux au père : "Père (pater), donne-moi la portion (meros) échéante (epiballon) à moi des possessions (ousias)". Puis lui il distribua (dieilen) à eux (autois) lavoir (bion). |
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neōteros (le plus jeune) |
Il s'agit d'un comparatif très peu présent dans le Nouveau Testament et dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 1. Contrairement à notre société où les plus jeunes sont valorisés, lunivers judéo-chrétien a une perception un peu négative des jeunes, si bien quils sont relégués aux tâches subalternes : que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune (neōteros), et celui qui gouverne comme celui qui sert (Lc 22, 26); ils soccupent de tâches que dautres ne veulent pas faire : Les jeunes gens vinrent envelopper le corps et lemportèrent pour lenterrer (Ac 5, 6). On leur reproche leur liberté et leur impulsion : quand tu étais jeune (neōteros), tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais (Jn 21, 18); les jeunes veuves (neōteros), écarte-les. Dès que des désirs indignes du Christ les assaillent, elles veulent se remarier (1 Timothée 5, 11). Alors le début de notre parabole annonce le pire. Et on aura remarqué que cest Luc qui utilise surtout ce mot. De plus, la seule apparition du mot en dehors de Luc se trouve en Jn 21, 18, basée sur une source que Luc connait également (voir Lc 5).
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pater (père) |
Le mot patēr (père, ancêtre) est très répandu : Mt = 62; Mc = 18; Lc = 52; Jn = 130; Ac = 34.
Notons enfin que père, sous forme dinterpellation dun être humain (au vocatif en grec), napparaît que dans cette parabole dans les évangiles. |
Textes avec le nom patēr dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
meros (portion) |
Le mot meros ne joue pas un grand rôle dans les évangiles : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 4; Ac = 7. Il signifie fondamentalement la partie dun tout, et lon traduit par portion (dun tout), part (dans un groupe), morceau (dun aliment), région (partie dun pays), reste (dun tout), lot (parmi les différents sorts réservés aux gens), groupe (parmi une population). Et il est bien connu de Luc comme on le voit dans les Actes des Apôtres. Dans son évangile, sur les 4 occurrences, trois lui sont propres, lautre provenant de la source Q. Dans la parabole meros désigne bien sûr une part dhéritage. On aura noté que lhéritage ne revient pas seulement à lainé, mais également au plus jeune.
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epiballon (échéant) |
Le verbe epiballō est composé de deux mots : le verbe ballō (jeter) et la préposition epi (sur), doù les traductions : mettre quelque chose sur quelque chose (par exemple, mettre les mains sur la charrue, ou encore, ajouter quelque chose à quelque chose), échoir sur quelquun, se jeter sur quelquun ou quelque chose (doù se saisir de quelquun, ou encore, les vagues qui se jettent sur la barque), seffondrer (Pierre seffondre (epiballō) en larmes après son reniement). Dans notre parabole, une portion dhéritage échoit au plus jeune, et donc lui revient. Le mot est connu de Luc : Mt = 4; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 2; Ac = 4. Et dans son évangile, parmi les 5 occurrences 2 apparaissent dans des passages qui lui sont propres (mettre la main à la charrue : 9, 62; la part de fortune qui échoit à quelquun : 15, 12), dans deux occurrences cest Luc qui ajoute le verbe à sa source marcienne (on cherche à porter la main sur Jésus : 20, 19; on portera la main sur les disciples et on les persécutera), enfin une dernier occurrence provient de la source Q (ajouter un vieux vêtement à un neuf : 5, 36). Dans les Actes, le verbe signifie seulement mettre la main sur quelquun.
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ousias (possessions) |
Voilà un mot absent de tout le Nouveau Testament, à part ces deux occurrences dans notre parabole. Le mot proviendrait du verbe eimi (je suis) au participe présent (ousa) : les choses étant à moi, doù possessions, propriétés.
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dieilen (il distribua) |
Diaireō signifie démanteler, fendre en deux, diviser, doù distribuer et répartir. Mais le mot est presquinexistant dans tout le Nouveau Testament. On le rencontre seulement ici (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0) et chez Paul ( Mais tout cela, cest lunique et même Esprit qui lopère, distribuant (diaireō) ses dons à chacun en particulier comme il lentend : 1 Co 12, 11). Le geste du père peut poser question : pourquoi acquiesce-t-il à la demande de son fils cadet? Est-ce un geste sage? Relisons ce passe du Siracide 33, 20-24 :
A ton fils, à ta femme, à ton frère, à ton ami, ne donne pas pouvoir sur toi pendant ta vie. Ne donne pas à un autre tes biens, tu pourrais le regretter et devrais les redemander. Tant que tu vis et quil te reste un souffle, ne te livre pas au pouvoir de qui que ce soit. Car il vaut mieux que tes enfants te supplient, plutôt que de tourner vers eux des regards suppliants. En tout ce que tu fais, reste le maître, ne fais pas une tache à ta réputation. Quand seront consommés les jours de ta vie, à lheure de la mort, distribue ton héritage. Daprès ce critère, le père nest pas sage. Si cette parabole provient de Jésus et quelle reflète limage de Dieu, elle se trouve à affirmer que Dieu donne la priorité à la liberté humaine sur lexercice de lautorité. |
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autois (à eux) |
La seule raison de mettre les réflecteurs sur ce mot est pour faire remarquer que ce pronom personnel est au pluriel. Le père aurait donc distribué sa fortune aux deux fils. Comme cette distribution ne semble avoir aucun impact sur laîné, on peut imaginer que cest seulement à la mort du père que le fils prendra possession de sa part dhéritage, comme le recommande le Siracide.
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bion (l'avoir) |
Nous connaissons en français le mot bios, car il nous a donné des mots comme biologie ou biosphère. Fondamentalement, il signifie : vie, non au sens de vie animale, mais au sens de mode ou manière de vivre, doù sont dérivés gagne-pain, moyens de subsistance, ressources, avoir, fortune, niveau de vie. Il est rare dans le Nouveau Testament et dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 0. Cest Marc qui lutilise pour la première et seule fois quand Jésus dit de la pauvre veuve qui a mis deux piécettes dans le trésor du temple quelle a mis « son moyen de subsistance » (Mc 12, 14). Luc reprendra tel quel ce verset (Lc 21, 4). Mais il semble aimer ce mot puisquen copiant de Marc son explication de la parabole du semeur, il ajoutera que lune des causes de létouffement de la parole provient des plaisirs du niveau de vie (bios) (Lc 8, 14). De même, dans le récit de lhémorroïsse quil reprend de Marc, il a cette phrase quil ajoute : elle avait dépensé tout son avoir ( bios) en médecins (Lc 8, 43). Enfin, nous avons les deux occurrences dans notre parabole. On peut donc penser que Luc na pas inventé cette parabole dun père et de ses deux fils, mais il la reprend à sa manière.
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Textes avec le nom bios dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 13 Et sans attendre bien longtemps, ses valises faites, le cadet partit en voyage pour un pays lointain. Et cest là quil gaspilla ce quil possédait en menant une vie dissolue.
Littéralement : Et après pas plusieurs jours (met ou pollas hēmeras), ayant rassemblé (synagagōn) toutes choses (panta) le plus jeune fils partit en voyage (apedēmēsen) vers une contrée lointaine (chōran makran) et là (kai ekei) il dilapida (dieskorpisen) la fortune (ousian) de lui vivant (zōn) dans la perdition (asōtōs). |
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met ou pollas hēmeras (après pas plusieurs jours) |
Le mot hēmera, comme on le devine bien, est extrêmement courant, car il renvoie à une réalité quotidienne : Mt = 42; Mc = 25; Lc = 79; Jn = 30; Ac = 86. Comme on le constate, cest chez Luc quil apparaît le plus souvent; mais en soi cela nous renseigne peu. Cependant, si on sattarde à lexpression « pas plusieurs jours » (ou pollas hēmeras), on se rend compte quon est devant une expression unique dans tout lévangile de Luc et quon ne la retrouve telle quelle que chez Jean 2, 12 : Après quoi, il descendit à Capharnaüm, lui, ainsi que sa mère et ses frères et ses disciples, et ils ny demeurèrent que peu de jours (ou pollas hēmeras) (Il est vrai que le récit de Actes 1, 5 nous présente quelque chose de semblable avec ou meta pollas tautas hēmeras quand Jésus dit à ses disciples : cest dans lEsprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours). Ailleurs chez Luc, le qualificatif pour parler de plusieurs jours est : pleiōn (Ac 21, 10; 27, 20), ou encore : hikanos (Ac 27, 7). Il est donc possible que la source de cette parabole appartienne à un milieu qui comporte des similitudes avec celui de Jean. Quoi quil en soit, lidée est la même : on utilise la négation pour dire quil sest passé peu de jours entre la décision du père de partager lhéritage et celle du fils de dépenser cet héritage : cest dire son empressement.
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Textes avec le nom hēmera dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
synagagōn pas (ayant rassemblé toutes choses) |
Il y a peu de choses à dire sur synagō (Mt = 24; Mc = 5; Lc = 7; Jn = 7; Ac = 11) qui nest pas si habituel chez Luc et qui semble à chaque fois provenir dune source particulière. Mais si on regarde lexpression synagō pas où pas, un adjectif (tout), est utilisé comme substantif (comme ici où on a traduit : toutes choses), alors on note que le seul autre passage de cette expression se trouve en Mt 22, 10 dans la parabole des invités à la noce qui se défilent : ses serviteurs... ramassèrent tous ceux (synagō pas) quils trouvèrent. Or, cette parabole appartient à la source Q (En Lc 20, 23, Luc mentionne seulement lordre du maître sans décrire lexécution). La parabole du fils cadet vient-elle de la source Q, comme du berger avec ses 100 moutons? Cest possible, mais il faudrait un peu plus dindices. Nous avons traduit lexpression « ayant rassemblé toutes choses » par « ses valises faites » dans un effort pour lactualiser dans un contexte contemporain.
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apedēmēsen eis chōran makran (il partit en voyage vers une contrée lointaine) |
Le verbe apodēmeō ne semble pas faire partie du vocabulaire de Luc : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Car la seule autre mention du mot se trouve dans la parabole des vignerons homicides (20, 9), quil copie de Marc (Mc 12, 1). De plus, alors que le mot apparaît deux fois sous la plume de Matthieu dans la parabole des talents (25, 14-15) où le maître part en voyage et donne la responsabilité de son avoir à ses serviteurs, tirée de la source Q, il est totalement absent chez Luc dans sa parabole des mines (19, 12-13), puisée pourtant à la même source. Par contre, dans cette même parabole des mines, apparaît la seule autre mention de lexpression que nous avons ici : contrée lointaine (chōra makros). Encore une fois, est-ce une pure coïncidence que nous nous retrouvons avec la source Q? Quoi quil en soit, la mention dun voyage dans un pays lointain signifie que nous ne sommes plus en terre juive, en terre natale, et nous prépare à ce qui suivra.
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kai ekei (et là) |
En soi, ladverbe ekei (là) ne représente pas beaucoup dintérêt dans létude de Luc. Mais il en va autrement quand il suit la conjonction « et » (kai). Et pour être plus précis, nous avons ici une structure de phrase qui revêt une forme particulière : une proposition principale au passé (il partit en voyage), suivie de lexpression kai ekei (et là) qui introduit une autre proposition principale au passé (il dilapida la fortune). On sera peut-être surpris dapprendre que cette structure de phrase est assez rare dans les évangiles. Chez Luc, cest ici sa seule présence. Ailleurs, cest seulement chez Jean quil apparaît à trois reprises :
Ce rapprochement avec Jean est troublant et rejoint dautres passages de Luc où la source semble venir dun milieu semblable à celui de Jean. |
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dieskorpisen (il dilapida) |
Le verbe diaskorpizō est un composé de deux mots : skorpizō (disperser, disséminer, dissiper) et la préposition dia (à travers, par le moyen de), et signifie : dilapider, dissiper au loin. Ce nest pas un mot qui fait partie du vocabulaire habituel de Luc : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1. Cest Marc (14, 27) qui a introduit pour la première fois le mot en mettant dans la bouche de Jésus une citation de Zacharie 24, 7 qui annonce quon frappera le berger et les brebis seront dispersées (diaskorpizō). Matthieu (26, 31) reprendra ce passage, mais non Luc qui élimine de son récit de la passion la fuite des disciples. Autrement, le mot se retrouve deux autres fois chez Matthieu dans sa parabole des talents (24, 25-26) qui provient de la source Q, où il a le sens de répandre, comme un citoyen qui répand sa semence. Chez Luc, le mot est absent de sa parabole équivalente, celle des mines. Ainsi, à part sa présence dans la parabole du père et du fils cadet, il apparaît dans le récit dans lenfance dans la prière de louange de Marie (1, 51) qui remercie Dieu davoir dispersé (diaskorpizō) les hommes au coeur superbe, et dans la parabole de ladministrateur habile (16, 1) à qui son maître reproche de dilapider (diaskorpizō) ses biens. Or, cest seulement dans cette dernière parabole que le verbe est associé à lidée de disperser ses biens. Ainsi, le seul vrai parallèle à la parabole du fils cadet est la parabole de ladministrateur habile. Ces deux paraboles appartiennent à une source que lui seul connaît.
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ousian (fortune) |
Une seule remarque simpose : au v. 12, le mot ousia désignait ce que possédait le père. Maintenant, il désigne ce que possède le cadet. Ainsi, en dilapidant son héritage, ce sont les biens du père quil dilapide.
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zōn asōtōs (vivant dans la perdition) |
Encore une fois avec zaō (vivre) nous ne sommes pas dans le monde de Luc, mais plutôt dans celui de Jean : Mt = 5; Mc = 2; Lc = 8; Jn = 19; Ac = 6. Mais ce quil faut surtout remarquer, cest que nous avons ici un cas unique dans tous les évangiles où le verbe zaō saccompagne dun adverbe pour décrire une manière de vivre. Et cette manière de vivre est décrite par asōtōs, un adverbe quon ne rencontre nulle part ailleurs dans toute la Bible et qui signifie : sans espoir de récupération, cas désespéré, qui apporte la destruction, doù notre traduction de vie dissolue. Ainsi, le cadet est en train de sauto-détruire.
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v. 14 Après avoir tout épuisé, il arriva quune grande pénurie sévit dans le pays où il se trouvait, si bien quil commença à connaître lindigence.
Littéralement : Puis ayant épuisé (dapanēsantos) de lui toutes choses, étant survenue une famine (limos) très forte (ischyra) dans la contrée celle-là (chōran ekeinēn), et lui-même commença (ērxato) à être dans la privation (hystereisthai). |
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dapanēsantos (ayant épuisé) |
Le verbe dapanaō signifie : défrayer toutes les dépenses, consommer, épuiser. Cest un mot rare dans toute la Bible et dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1. Alors que Luc aurait eu la chance de lutiliser quand il reprend de Marc le récit de lhémorroïsse (ayant épuisé (dapanaō) tout ce quelle avait : Mc 5, 26), il ignore cette incise. À part notre parabole du fils cadet, la seule occurrence du mot chez lui se trouve dans les Actes des Apôtres quand il rapporte que des chrétiens demandent à Paul de défrayer les dépenses (dapanaō) pour faire raser la tête de quatre personnes qui ont fait un voeu, pour montrer quil est toujours attaché aux traditions juives (voir Actes 21, 24). Ainsi, il est fort probable que ce mot appartenait à la source quutilise Luc.
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limos (famine) |
Dans les évangiles, la moitié des occurrences de limos est lié à ce passage eschatologique de Marc 13, 8 (Il y aura par endroits des tremblements de terre, il y aura des famines) que reproduisent Matthieu (24, 7) et Luc (21, 11) : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 2. Autrement, en dehors de notre parabole sur le fils cadet, la seule mention se trouve dans ce passage de Luc où il met dans la bouche de Jésus une allusion à la famine au temps dÉlie (4, 25). Encore une fois, on ne peut quassumer quil sagit dun mot provenant de la source utilisée par Luc. Notons que dans lAntiquité, la famine était un phénomène cyclique.
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ischyra (très forte) |
Il y a deux occurrences chez Luc, dont lune (11, 21) est une copie de Marc (nul ne peut pénétrer dans la maison dun homme fort : 3, 27), comme chez Matthieu (12, 29) dailleurs : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Ici, dans la parabole du cadet, Luc semble se contenter de reproduire sa source.
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chōran ekeinēn (contrée celle-là) |
Voilà une expression qui ne se retrouve que dans cette parabole. Autrement, seul Marc nous donne un autre exemple : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Bref, voilà une expression non lucanienne.
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ērxato (il commença) |
Le verbe archō signifie : commencer, se mettre à, prendre la direction, diriger, commander et apparaît très souvent chez Luc : Mt = 13; Mc = 26; Lc = 31; Jn = 2; Ac = 6. Mais cest un mot si fréquent également chez Marc que reproduit souvent Luc quon ne peut tirer aucune conclusion.
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hystereisthai (à être dans la privation) |
Le mot hystereō signifie : traîner derrière, être en retard, être inférieur, échouer à obtenir, manquer de, être en manque ou dans le besoin. Cest un mot peu fréquent dans les évangiles (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 0) et la seule occurrence en dehors de notre parabole se trouve dans un passage propre à Luc où il met dans la bouche de Jésus une remarque sur les disciples qui nont jamais manqué de quoi que ce soit en mission (22, 35). Bref, cela apporte peu déclairage sur notre parabole. Ce qui est clair, le fait davoir tout dépensé son héritage le conduit à une situation que nous ainsi décririons ainsi aujourdhui : être dans la rue. Ce qui est moins clair : quel est le lien avec la famine?
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Textes avec le verbe hystereō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 15 Réagissant, il alla offrir ses services à un citoyen de la région, qui lenvoya dans les champs soccuper des cochons.
Littéralement : Et étant allé, il sattacha (ekollēthē) à un des citoyens (politōn) de la contrée celle-là, et il envoya (epempsen) lui vers les champs (agrous) de lui paître (boskein) des cochons (choirous). |
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ekollēthē (il sattacha) |
Le verbe kollaō signifie : coller, cimenter, joindre ensemble de manière serrée, mettre ensemble. Il est presque totalement absent des évangiles : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 5. Dans les Actes, Luc lutilise surtout pour décrire laction des gens qui se joignent (kollaō) à la communauté. Dans son évangile, à part notre texte, Luc insère ce verbe dans un passage de Marc : Même la poussière de votre ville qui sest collée (kollaō) à nos pieds, nous lessuyons pour vous la laisser (10, 11). Est-ce Luc qui aurait ajouté cette scène à sa source? Difficile de répondre. Le fait de sattacher à quelquun est une sorte de contrat, ce que nous avons traduit par : offrir ses services. Rien nindique que nous soyons devant une forme desclavage typique dans le cas dune personne endettée.
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politōn (citoyens) |
Le mot politēs signifie : citoyen, homme libre. À part un passage de lépitre aux Hébreux (8, 11), seul Luc semble connaître ce mot dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 1. Dans la parabole des mines où la base provient de la source Q, il est possible que ce soit lui qui ajoute le fait que les concitoyens (politēs) haïssaient lhomme de haute naissance qui part en voyage (19, 14). Aurait-il fait la même chose avec la parabole du fils cadet? Cest possible. Dans ce cas, il aurait accentué laliénation du cadet : il est un immigrant, un étranger, sans les droits dun citoyen.
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epempsen (il envoya) |
Le verbe pempō signifie : envoyer, renvoyer, conduire, escorter (Mt = 4; Mc = 1; Lc = 10; Jn = 32; Ac = 11) et est bien connu de Luc. Bien sûr, il apparaît à profusion chez Jean pour qui Jésus est « lenvoyé » du Père. Il reste que cest un mot quaime bien Luc. Sur les 10 occurrences dans son évangile, une seule est copiée de la source Q (7, 19). Les neuf autres semblent provenir dune source qui lui est propre ou de sa propre plume. Un cas typique est la parabole des vignerons homicides que Luc emprunte à Marc : alors que ce dernier utilise apostellō pour décrire lenvoi de serviteur par le maître de la vigne, Luc préfère lui substituer pempō (Mc 12, 4 || Lc 20, 11; Mc 12, 5 || Lc 20, 12; Mc 12, 6 || Lc 20, 13). A-t-il fait la même chose ici? Difficile à dire.
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agrous (champs) |
Les références de Luc à agros (champ) sont moins fréquentes quon pense : Mt = 17; Mc = 9; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 1. Sur les neuf occurrences, cinq proviennent de sources quil utilise, et les quatre autres proviennent de paraboles qui lui sont propres. Ainsi, on ne peut observer aucun travail dédition où il aurait ajouté la mention des champs. Cela ne surprend pas : nous avons déjà observé que cest un homme de la ville, et que parfois il transforme un champ en un jardin (voir Lc 13, 19 où il modifie en jardin un élément de la source Q qui faisait probablement référence à un champ (Mt 13, 31)).
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boskein (paître) |
Seuls les évangiles mentionnent boskō (nourrir, soccuper de, paître, brouter) : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 2; Ac = 0. Et cest avant tout Marc qui a introduit ce mot dans la scène où des esprits impurs demandent à Jésus, au moment où il sapprête à les expulser dun homme, dêtre envoyés dans un troupeau de porcs en train de paître (Mc 5, 11.14), et que reprennent Matthieu (8, 30.33), et Luc (8, 32.34). Autrement, seuls Luc (ici, dans notre parabole du fils cadet) et Jean (21, 15.17) ont cette référence à « paître ». Encore une fois, nous avons cette parenté entre la source de Luc et le milieu de Jean.
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choirous (cochons) |
Les cochons ont été introduits par Marc avec sa fameuse scène de lhomme possédé par une légion de démons qui demande dêtre expulsée vers un troupeau de porcs (Mc 5, 11-16) et que reprennent Matthieu (8, 30-32) et Luc (8, 32-33). Autrement, seuls un passage particulier de Matthieu (7, 6) et de Luc (ici dans notre parabole) le mentionnent. On nest pas surpris dapprendre quil ny avait pas de porc en milieu juif, car cétait un animal impur (Ni le porc, qui a bien le sabot fourchu et fendu mais qui ne rumine pas; vous le tiendrez pour impur. Vous ne mangerez pas de leur chair et ne toucherez pas à leurs cadavres : Deutéronome 14, 8). La mention des porcs soulignent deux choses : le fils cadet est vraiment en milieu non Juif, donc à létranger, et il est réduit à faire un travail quelque peu humiliant pour un Juif.
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v. 16 Oh! Comme il aurait voulu manger les caroubes que dévoraient les cochons, mais personne nen lui donnait.
Littéralement : Et il désirait (epethymei) se rassasier (chortasthēnai) des caroubes (keratiōn) que mangeaient (ēsthion) les cochons, et personne (oudeis) donnait à lui. |
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epethymei (il désirait) |
Le verbe epithymeō (désirer, convoiter, avoir envie de) apparaît surtout chez Luc, et dans des passages qui lui sont propres : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 1. Et ce quil y a de remarquable, cest que lexpression « désirer se rassasier » se retrouve également telle quelle dans la parabole du riche et de Lazare (16, 21), et la structure « désirer » plus un verbe à linfinitif apparaît non seulement dans ces deux paraboles, mais également dans une parole que Luc met dans la bouche de Jésus : Jai ardemment désiré manger cette pâque (22, 15). On pourrait dire que cest une coïncidence provenant de la source, ou y voir une retouche lucanienne de sa source.
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chortasthēnai (se rassasier) |
Le verbe chortazō (nourrir, engraisser, se rassasier) nest pas particulier à Luc : Mt = 4; Mc = 4; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 1. Car à part les deux occurrences de « désirer se rassasier » que nous voulons de signaler, les deux autres occurrences proviennent lun dun emprunt à la source Q (6, 21), lautre de Marc (9, 17) dans le récit de la multiplication des pains. Bien sûr, ce mot intervient dans un contexte où on a faim.
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keratiōn (caroubes) |
Voilà un mot unique dans toute la Bible : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0. La caroube est le fruit comestible du caroubier, gousse longue, plate et coriace contenant une pulpe dune saveur douce et sucrée. Elle est de couleur brun-rouge foncée et un peu violacée lorsquelle est mure. Le caroubier pousse abondamment en Syrie, dans les îles grecques et à Chypre. Et encore aujourdhui, on se sert de ce fruit pour nourrir les cochons. Mais pourquoi le cadet sest-il mis à désirer la nourriture des cochons? Il faut croire que son maître qui lhébergeait lui donnait le strict minimum, surtout en période de famine, et quil enviait labondance de nourriture à laquelle les cochons avaient droit. En présentant une situation où un être humain est bien moins traité quun animal, lauteur souligne sa déchéance.
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ēsthion (ils mangeaient) |
Nous avons déjà analysé esthiō au v. 2. Mais contentons-nous de souligner que les références aux animaux qui mangent sont très rares dans les évangiles. À part ce passage, il y a seulement cette mention des chiens qui mangent ce qui tombe de table (Mc 7, 28 || Mt 15, 27).
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oudeis (personne) |
Avec oudeis (aucun, personne, rien) nous avons un pronom indéfini extrêmement commun dans les évangiles et les Actes : Mt = 45; Mc = 35; Lc = 54; Jn = 66; Ac = 36. Encore une fois, la scène présente un monde sans pitié qui accentue la détresse du cadet.
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Textes avec l'adjectif oudeis chez Luc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 17 Faisant une réflexion personnelle, il se disait : "Combien demployés de mon père ont tout le pain quils veulent, alors que moi je crève ici de faim.
Littéralement : Puis vers lui-même étant allé (eis heauton de elthōn), il disait (ephē) : "Combien (posoi) de salariés (misthioi) du père de moi surabondent (perisseuontai) de pains (artōn), mais moi de faim (limō) ici (hōde) je péris (apollymai). |
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eis heauton de elthōn (vers lui-même étant allé) |
Lexpression « eis heauton elthōn » est tout à fait unique : elle signifie entrer en soi-même, faire une prise de conscience, faire une réflexion personnelle. On ne trouvera aucun équivalent dans les évangiles et il faut lattribuer à la source quutilise Luc. Ainsi donc, le fait même pour le cadet de toucher les bas-fonds ou de frapper un mur loblige à réfléchir.
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ephē (il disait) |
Voilà un verbe assez commun (Mt = 16; Mc = 6; Lc = 8; Jn = 3; Ac = 25) qui signifie : dire, déclarer, affirmer, penser, supposer. Quand on considère les Actes, Luc lutilise à profusion. Dans son évangile, cest moins fréquent, mais sur les 8 occurrences, 7 proviennent de sa plume. Bref, il fait partie de son vocabulaire. Ici, il est utilisé pour décrire un conversation intérieure.
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posoi (combien) |
Le pronom interrogatif posos (combien, combien grand) est bien présent dans les évangiles : Mt = 7; Mc = 6; Lc = 6; Jn = 0; Ac = 1. Mais il est concentré dans certaines scènes. Par exemple, sur les 6 occurrences chez Marc, 4 se retrouvent dans les deux scènes de multiplication des pains (6, 38; 8, 5.19.20) et Matthieu reprend trois de ces occurrences (15, 34; 16, 9-10). Même sil lutilise une fois dans les Actes des Apôtres (21, 20), Luc ne semble pas aimer ce mot : sur 6 occurrences dans son évangile, trois apparaissent dans deux paraboles provenant dune source (15, 17; 16, 5.7), et les autres proviennent de la source Q (Matthieu qui ne semble pas aimer ce mot laurait éliminé de sa version de la source Q). Ce pronom interrogatif ouvre la voie à une comparaison entre la situation du cadet et celle de subalternes chez son père. Cela montre létat de son délabrement mental : car il nose même plus comparer son état avec celui quil avait chez son père.
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misthioi (salariés) |
Voilà un mot très rare qui napparaît que dans cette parabole dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Dans lAncien Testament, on ne le retrouve que presquuniquement dans le Siracide. Il signifie : salarié, travailleur qui a été engagé. Il ne sagit donc pas dun esclave, mais de quelquun qui est rémunéré pour son travail, souvent traduit par mercenaire. Mais dans le contexte du premier siècle, il semble que le salarié avait un statut social inférieur à lesclave. Car ce dernier avait un maître qui pourvoyait à ses besoins, et certains étaient éduqués et se voyaient confiés des responsabilités importantes. Par contre, les salariés étaient des journaliers qui devaient se débrouiller eux-mêmes pour survivre. Certains étaient sans éducation et pouvaient être même sans domicile fixe. On leur confiait souvent des tâches ingrates pour un salaire minable. Cest dailleurs la situation du cadet avec les cochons. Notons que lAncien Testament sent le besoin de protéger ces gens : Tu nexploiteras pas ton prochain et ne le spolieras pas: le salaire de louvrier ne demeurera pas avec toi jusquau lendemain matin (Lv 19, 13). Bref, ce que dit le cadet est ceci : je vais continuer à être salarié, mais au moins mes conditions seront meilleures avec mon père.
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perisseuontai (ils surabondent) |
Le verbe perisseuō signifie : être en plus, être de reste, abonder, surpasser, être dans labondance, exceller, surabonder. Il est présent dans les évangiles (Mt = 6; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 2; Ac = 1), surtout dans le contexte du récit de la multication des pains : Mc 8, 8; Lc 9, 17; Mt 14, 20; 15, 37; Jn 6, 12-13. Chez Luc, le seul autre passage que notre parabole où Luc semble introduire ce mot se trouve dans lintroduction à la parabole du riche insensé (12, 15). Autrement, le mot vient de la source Q et de Marc. Ainsi, on peut facilement imaginer quil reçoit lexpression de sa source. Mais ce quil faut retenir est que le cadet perçoit bien que son père est plus généreux pour ses salariés que ce dont il fait actuellement l'expérience.
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Textes avec le verbe perisseuō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
artōn (pains) |
Le pain est la base de la nourriture et on nest pas surpris de leur voir un peu partout dans les évangiles : Mt = 20; Mc = 21; Lc = 14; Jn = 24; Ac = 5. Luc nen fait pas un usage abondant, et tient à lutiliser pour faire référence à la fraction du pain lors de leucharistie (24, 25.30). Dans lusage ordinaire du mot pain, il faut surtout mentionner la parabole de lami inopportun qui demande du pain au milieu de la nuit (11, 5). Cest le coeur du repas et la base de la survie. On aura noté que ce qui motive la réflexion du cadet nest pas du tout le désir de revoir son père, mais le désir dapaiser sa faim.
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limō (faim) |
Nous avons déjà analysé plus haut limos. Ajoutons que notre passage est le seul des évangiles où le mot est traduit non pas par famine, mais par faim.
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hōde (ici) |
Ladverbe hōde signifie : ici, ainsi, de cette manière, comme ce qui suit. Il est assez répandu dans les évangiles : Mt = 18; Mc = 10; Lc = 15; Jn = 5; Ac = 2. Quand on examine les passages où Luc lutilise, on note que, sur 15 occurrences, 10 apparaissent dans des sections qui lui sont propres, ou encore, ont été ajoutées par sa plume : un cas typique est le récit de la guérison de lépileptique quil emprunte à Marc, mais insère cette phrase : Amène ici (hōde) ton fils (9, 41). Pourtant, ailleurs ladverbe apparaît dans les passages de la source Q et dans des passage où il copie Marc, si bien quil est impossible de tirer une conclusion : le mot peut aussi bien provenir de la source ou de sa plume. Quoi quil en soit, ladverbe sert ici à désigner son milieu comme infect.
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apollymai (je péris) |
Nous avons déjà analysé ce mot. Mais il faut tout de même souligner quil revient huit fois tout au long de notre ensemble comme un leitmotif. Cest lun des thèmes majeurs.
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v. 18 Je me lèverai donc pour aller vers mon père, et je lui dirai : Papa, jai commis une faute à légard de Dieu et à légard de toi,
Littéralement : Étant levé (anastas), jirai vers le père de moi et je dirai à lui : Père, jai commis une faute (hēmarton) contre le ciel et devant (enōpion) toi, |
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anastas (étant levé) |
Le verbe anistēmi est composé de deux mots, ana (en haut) et histēmi (mettre debout, placer, soutenir), et donc signifie : mettre debout, se lever, se dresser, faire se lever, susciter, se réveiller, ressusciter. Dans lensemble évangiles-Actes, il est utilisé 113 fois : Mt = 8; Mc = 20; Lc = 31; Jn = 9; Ac = 45. Comme on le remarque, Luc lutilise intensivement. Mais quand on examine son évangile, on note quil suit les structures de phrase habituelles chez les évangélistes : sur les 31 occurrences, le verbe apparaît 20 fois pour introduire une action sous la forme : sétant levé (anistēmi) il partit, une structure quon retrouve partout dans les évangiles; comme cest le cas ici avec « je me lèverai et jirai ». Dix autres fois, le verbe est utilisé pour parler de la résurrection du Christ, comme cela se fait dans les autres évangiles. Ainsi, on retrouve dans cette parabole une forme dexpression très commune. Cependant, on ne peut passer sous silence que, derrière le geste de se lever dans le cadre de cette situation de détresse, la symbolique de la résurrection est présente.
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hēmarton (jai commis une faute) |
Le verbe hamartanō signifie : manquer la cible, se tromper de chemin, faillir à atteindre ses objectifs, aller de travers, faillir à obtenir, être privé de, négliger, errer, pécher. Contrairement au mot pécheur, soit le substantif, soit ladjectif, le verbe pécher nest pas si fréquent : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 4; Ac = 1. Chez Luc, deux occurrences du verbe se produisent dans notre parabole, les deux autres provenant lune de la source Q (17, 3), lautre dune source particulière (17, 4). Ces deux derniers cas semblent provenir dun contexte chrétien avec la mention de « frères », tout comme deux cas chez Matthieu (18, 15.21). Quoi quil en soit, il sagit avant tout doffenser une personne, avec la préposition eis (envers). Ici, il sagit plutôt de commettre une faute contre le ciel, et donc contre Dieu. Cest là seule fois dans tout le Nouveau Testament où on a lexpression : pécher contre Dieu. Cela soulève la question : en quoi le cadet a-t-il commis une faute contre Dieu? Sans doute a-t-il enfreint le commandement : honore ton père et ta mère (Ex 20, 12). En demandant immédiatement son héritage, il a considéré son père comme déjà mort, et en dilapidant tous ses biens, il na accordé aucune valeur à ce qui provenait de lui. Enfin, en coupant ses liens avec le père, en savilissant au point de devenir salarié, et donc en avilissant son être de fils, nest-ce pas son père quil avilit dans son rôle de père?
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enōpion (devant) |
La préposition enōpion (devant, en face de, sous les regards de) napparaît presquexclusivement chez Luc dans les évangiles-Actes : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 22; Jn = 1; Ac = 13. Et sur les 35 occurences sous la plume de Luc, 13 apparaissent dans lexpression « devant Dieu » ou « devant le Seigneur ». Notre parabole présente donc quelque chose de paradoxale, un renversement des rôles : alors quhabituellement dans les évangiles on offense une personne devant Dieu, ici on offense Dieu devant une personne. On peut soupçonner la gravité de la faute et son caractère public. Il reste que ce nest pas le père que le fils regrette davoir offensé, mais Dieu.
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v. 19 et je nai plus le droit dêtre ton fils. Mais engage-moi comme un de tes employés.
Littéralement : ne plus (ouketi) je suis digne (axios) dêtre appelé (klēthēnai) fils de toi. Mais fais-moi comme (poiēson me hōs) un des salariés de toi. |
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ouketi (ne plus) |
Ladverbe ouketi signifie : ne plus, pas encore, pas maintenant. En général, cest une négation pour dire quune action ou une situation a cessé. Dans les évangiles, on rencontre cet adverbe chez Marc et surtout chez Jean dans le discours dadieu de Jésus où il annonce quon ne le verra plus : Mt = 2; Mc = 7; Lc = 3; Jn = 12; Ac = 3. Dans lévangile de Luc, parmi les trois occurrences, deux se trouvent justement dans notre parabole, et la troisième est un emprunt à Marc (20, 40). Cest dire que ladverbe ne joue pas de rôle particulier chez lui, et donc provient probablement de sa source : la situation de fils a cessé dexister.
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axios (digne) |
Ladjectif axios signifie : ce qui est valable, méritant, ce qui est équivalent à, ce qui est digne de. Ainsi, il y a une idée de comparaison dans cet adjectif. On a un peu cette idée quand Luc met dans la bouche de Jean Baptiste cette parole : Produisez donc des fruits dignes (axios) du repentir (Lc 3, 8), littéralement : produisez-donc des fruits comparables ou équivalents à votre repentir. Cest la même idée quand on traduit par « méritant » : car louvrier est méritant de son salaire (Lc 10, 7). Le mot est assez fréquent chez Luc : Mt = 9; Mc = 0; Lc = 8; Jn = 1; Ac = 7. Malgré le fait que dans les 25 occurrences dans les évangiles-Actes, Luc en présente 15, nous ne pensons pas que Luc a introduit ce mot dans la parabole. Car le mot est utilisé dans la source Q (Lc 3, 8), et Matthieu lutilise allègrement; on ne voit pas ici une touche particulièrement lucanienne. Par contre, il a probablement mis dans la bouche du bon larron lexpression axios thanatou (méritant la mort : Lc 23, 15), une expression quon retrouve 4 fois dans les Actes. Ainsi, le fils cadet reconnaît quil ne mérite plus le titre de fils. On est loin de lidée que le simple lien du sang garantit la filiation avec son père : il faut une certaine équivalence entre la situation du fils et la situation du père, et cette équivalence a été perdue par le fils.
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klēthēnai (être appelé) |
Le verbe kaleō signifie : appeler, convoquer, inviter, citer à comparaître, réclamer. Il est fréquent : Mt = 24; Mc = 4; Lc = 42; Jn = 2; Ac = 18. Et comme on le constate, cest chez Luc quil est le plus fréquent. En particulier, il utilise 23 fois (12 dans les évangiles, 11 dans les Actes) lexpression « étant appelé » (kaloumenos, le participe présent passif de kaleō : par exemple : Simon appelé le Zélote, une ville appelée Naïn, Marie, appelée la Magdaléenne, une soeur appelée Marie, un homme appelé du nom de Zachée, près du mont appelé des Oliviers, arrivés au lieu appelé Crâne), une expression quil est le seul à utiliser dans tous les évangiles. Cest un cas clair où Luc édite ses sources. Mais dans la parabole du fils cadet, cest klēthēnai que nous avons deux fois, le verbe kaleō à laoriste infinitif passif et qui ne réapparait que dans les Actes (1, 19) dans tout le Nouveau Testament. Que conclure? Il est possible que Luc retouche sa source avec son style. Mais les données sont très minces. Quoi quil en soit, la signification de la phrase est claire : le fils cadet ne mérite plus le titre de fils. Et perdre son nom, cest perdre son identité.
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Textes avec le verbe kaleō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
poiēson me hōs (fais-moi comme) |
Comme en français, le verbe poieō (faire, produire, créer, causer, accomplir, achever, réaliser, exécuter) est si fréquent quil apparaît dans tous les chapitres des écrits du Nouveau Testament, et même plusieurs fois par chapitre : Mt = 86; Mc = 45; Lc = 88; Jn = 108; Ac = 68. Mais ce qui nous intéresse ici est lexpression : poieō me hōs, i.e. faire moi comme, autrement dit : traite-moi comme. Nous avons un verbe, ici à limpératif, suivi dun pronom personnel et de la conjonction de comparaison. On na pas déquivalent dans le reste des évangiles; en fait, lexpression la plus rapprochée se trouve chez Matthieu 21, 36 : ils traitèrent eux de même (epoiēsan autois hōsautōs). On serait donc enclin à penser que toute la phrase est de la source originelle. Et la signification de la phrase est obvie : ayant perdu son ancienne identité, il en propose une nouvelle, celle dêtre un salarié ou un journalier au service de son père.
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v. 20 Alors il se lève pour aller vers son père. Mais comme il est encore loin, son père laperçoit à distance et est bouleversé jusquaux entrailles. Il court aussitôt vers lui et se jette à son cou pour lembrasser.
Littéralement : Et sétant levé (anastas) il partit (ēlthen) vers le père de lui-même. Mais encore (eti) lui dune grande distance (makran) étant éloigné (apechontos), il vit (eiden) lui le père de lui et il fut ému jusquaux entrailles (esplanchnisthē) et ayant couru (dramōn) il se jeta (epepesen) au cou (trachēlon) de lui et embrassa (katephilēsen) lui. |
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anastas ēlthen (sétant levé il partit) |
Nous déjà analysé plus haut le verbe anistēmi, surtout lorsquil est suivi dun verbe, une tournure habituelle dans les évangiles pour traduire le début dune action : on se lève pour agir. Ici, on veut seulement faire remarquer une structure également fréquente dans les récits : une intention est suivie dune action, i.e. un personnage exprime son intention de faire quelque chose, et cest suivi de la mise en action de lintention en utilisant à peu près les mêmes mots.
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eti (encore) |
Ladverbe eti (déjà, encore, encore plus, ne... plus) apparaît régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 8; Mc = 5; Lc = 16; Jn = 8; Ac = 5. On aura remarqué que Luc est celui qui lemploie le plus. Mais cest un adverbe assez commun et on ne peut guère tirer de conclusion, même si à quelques reprises Luc ajoute eti à sa source marcienne (voir la discussion avec les Sadducéens sur la résurrection des morts alors que Marc, copié par Matthieu, présente la phrase : ni ils ne se marient ni elle ne sont épousées, mais ils sont comme des anges (Mc 12, 25 || Mt 22, 30), alors que Luc ajoute après « épousées » : et en effet ils ne peuvent plus (eti) mourir (Lc 20, 36)). Par contre, quand on regarde la structure de la phrase, on note une structure assez unique : un adverbe (eti : encore), suivi dun pronom personnel (autos : lui), suivi dun autre adverbe (makran : dune grande distance), suivi dun verbe au participe présent (apechō : étant éloigné). Le seul autre cas similaire dans les évangiles se trouve chez Luc (14, 32) au chapitre précédent où Jésus compare les exigences de le suivre à un roi parti en guerre et, voyant quil ne peut vaincre et voyant lennemi, et encore lui loin étant (eti autou porrō ontos, i.e. adverbe (eti : encore), suivi dun pronom personnel (autos : lui), suivi dun autre adverbe (porrō : loin),suivi dun verbe au participe présent (ontos : étant)). Comment expliquer la similitude entre les deux textes? Deux textes provenant de la même source? Une intervention de la plume de Luc? Difficle de répondre.
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makran (grande distance) |
Ladverbe makran, qui est peu présent dans les évangiles (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 2) et dans lensemble du Nouveau Testament, signifie : loin, une grande distance, longuement. Il ny a aucun recoupement entre les différentes présences de ladverbe dans les évangiles-Actes. Dans la parabole du fils cadet, il exprimer lintensité de lattente du père qui est si forte quelle est capable de voir le moindre détail au loin.
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apechontos (étant éloigné) |
Voici un autre verbe peu fréquent (Mt = 5; Mc = 2; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 2) qui signifie : ne pas sapprocher de, sabstenir de, empêcher de, être loin de, obtenir, recevoir pleinement de. Encore ici, Luc nest pas le seul à utiliser ce mot. Et sur ses 4 occurrences, lune vient de Marc, deux viennent de source qui lui sont propres, et une autre semble un ajout à la source Q. Dans ce dernier cas, le récit de la guérison de lesclave du centurion, on trouve lexpression négative ou makran apechontos (nétant pas éloigné dune grande distance), alors que dans la parabole du fils cadet on a lexpression affirmative : makran apechontos (étant éloigné dune grande distance). Si cest Luc qui modifie ainsi la source Q, a-t-il fait la même chose avec la parabole du cadet? Cest possible, sans quon puissance avoir une conclusion définitive.
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eiden (il vit) |
Le verbe horaō signifie : voir, regarder, viser, percevoir, observer, remarquer, discerner, veiller. Il est si fréquent quon ne peut rien conclure de particulier : Mt = 76; Mc = 60; Lc = 81; Jn = 83; Ac = 72.
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esplanchnisthē (il fut ému jusquaux entrailles) |
Voilà un verbe très rare dans toute la Bible et dans le monde gréco-romain : Mt = 5; Mc = 4; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0. Il signifie : avoir pitié, être ému de compassion, avoir des entrailles. Cest Marc qui a introduit le mot, dabord pour décrire les sentiments de Jésus face à un lépreux qui le supplie (1, 41), puis pour décrire ses sentiments face à la foule qui était comme un troupeau sans berger (6, 34), et qui navait pas quoi manger après lavoir écouté trois jours (8, 2). Mais il y a aussi chez lui le cas de ce père dun enfant épileptique qui demande à Jésus davoir pitié (splanchnizomai) de lui et de son enfant (9, 22). Matthieu reprendra à trois reprises des passages Marc où lexpression sy trouve, dabord en duplicant lattitude de Jésus face à la foule lors de la première multiplication des pains (9, 36 et 14, 4), puis en reprenant son attitude dans la deuxième multiplication des pains (15, 32). Les deux autres occurrences surviennent dans la parabole du débiteur insolvable où le roi est pris de pitié (18, 27) et dans la rencontre de Jésus avec deux aveugles pour lesquels Jésus est pris de pitié (20, 34). Chez Luc, les trois occurrences apparaissent dans des passages qui lui sont propres : la ressuscitation de la veuve de Naïn alors que Jésus est ému de compassion devant sa douleur (7, 13), dans la parabole du bon Samaritain où ce dernier est ému de compassion devant lhomme laissé à demi mort (10, 33) et dans notre parabole du fils cadet. Nous sommes devant un mot du vocabulaire lucanien. Il n'en demeure pas moins que le message est frappant : en étant bouleversé jusquaux entrailles, le père montre combien il aimait son fils jusquà en mourir.
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dramōn (ayant couru) |
Le verbe trechō signifie : se mouvoir rapidement, courir. De manière générale, on ne court pas dans les évangiles : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 0. Sachant que les hommes et les femmes portaient une robe ample ou une tunique, on imagine facilement quil était difficile de courir. Néanmoins nous avons quelques scènes où on court. Chez Marc, un possédé dun esprit impur court au pied de Jésus pour le supplier de ne pas le tourmenter (5, 6) et en croix quelquun court tremper une éponge dans le vinaigre quand Jésus lance un grand cri avec le mot Eli du Psaume 22 (15, 36); dans les deux cas, latmosphère est celle dune émotion intense et de grande agitation. Matthieu reprend telle quelle la scène de la croix (27, 48), mais il y aussi la scène des femmes au tombeau vide qui courent pleines de joie apporter la bonne nouvelle aux disciples (28, 8); dans ce dernier cas, cest une grande joie qui fait courir. Chez Jean, les deux occurrences apparaissent après la mort de Jésus : cest dabord Marie qui court vers Pierre et lautre disciple pour annoncer que le tombeau est vide, et quon a peut-être volé le corps de Jésus (20, 2), et cest ensuite Pierre et le disciple bien-aimé qui courent au tombeau vide vérifier les choses (20, 4); dans les deux cas, la course est motivée par lintensité de leur amour pour Jésus. Enfin, chez Luc, à part cette parabole du cadet, il y a cette scène qui est une variante de celle de Jean, où Pierre court au tombeau (24, 12); encore une fois, dans les deux, cest lamour qui fait courir.
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epepesen (il jeta) |
Le verbe epipiptō signifie : tomber sur, se jeter sur, se pencher sur, attaquer, assaillir. Il est presquabsent des évangiles : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 6. Chez Marc, les gens se jettent sur Jésus pour être guéris (3, 10). Chez Luc, à part notre parabole, le mot napparaît que dans le récit de lenfance quand la crainte est tombée Zacharie à la vue de lange (1, 12). On serait donc devant un verbe unique provenant dune source particulière. Pourtant, les Actes mentionnent trois fois que lEsprit est tombé sur des gens (8, 16; 10, 44; 11, 15), puis que la crainte est tombée les gens dÉphèse, ensuite que Paul sest penché sur lhomme perçu comme mort (20, 10), et surtout, lors du discours dadieu de Paul à Milet (20, 37), que les gens en sanglots se jettent (epipiptō) au cou (trachēlos) de Paul pour lembrasser (kataphileō). Voilà une phrase pratiquement identique à celle de la parabole du fils cadet. Il est difficile de nier que nous sommes en plein langage de Luc, et que ce dernier a sans doute marqué de sa plume ce quil recevait de sa source.
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trachēlon (cou) |
Comme on peut le deviner, trachēlos (cou, nuque) est un mot rare dans tout le Nouveau Testament : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 2 (en dehors de ces auteurs, il apparaît seulement en Romains 16, 4). Sil ny avait pas ce passage de Marc 9, 42 sur les scandales (il serait mieux pour lui de se voir passer autour du cou une de ces meules), repris par Matthieu 18, 6 et Luc 17, 2, on aurait seulement la parabole du fils cadet et des deux passages des Actes pour mentionner lexistence du cou. Mais ce quil faut signaler, cest seulement cette scène du père au cou du fils cadet et celle des gens en sanglots autour du cou de Paul (Ac 20, 37) qui mettent valeur le cou dans un contexte positif dun grand geste daffection (autrement le cou sert à tuer quelquun, comme dans les passages sur le scandale, ou la remarque de Paul en Rm 16, 4 sur les gens qui ont offert leur cou pour sauver sa vie, ou à y mettre un joug pour létouffer dobligations comme le signale Ac 15, 10). Que le geste de se jeter au cou de quelquun soit convenant ou non, cela importe peu pour un père qui accepte de laisser déborder son amour.
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katephilēsen (il embrassa) |
Kataphileō signifie : embrasser, donner un baiser, caresser. Dans tout le Nouveau Testament, il napparaît que dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1. Et si ce nétait de Luc, on ne connaîtrait que le baiser de Judas pour ce verbe. En effet, Mc 14, 45 (Rabbi, et Judas lui donna un baiser (kataphileō)) a été repris presque tel quel par Mt 26, 49. On notera que Luc refuse dutiliser kataphileō pour le baiser de Judas (il utilise plutôt phileō : aimer, donner une marque daffection). Pourquoi? Ce qui est clair, il tient à réserver kataphileō pour des gestes damour authentique et de grande affection (la pécheresse qui couvre de baisers les pieds de Jésus (7, 38.45), le père qui embrasse son fils cadet, et les gens en sanglots qui embrassent Paul pour lui dire adieu (Ac 20, 37)). On peut aussi conjecturer que le geste de Judas était si dégoûtant et infâme quil ne méritait pas le beau mot de kataphileō. Notons enfin que le geste dembrasser ses parents, ses frères, ses enfants et ses amis est très connu dans lAncien Testament :
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v. 21 Le fils lui dit donc : "Papa, jai commis une faute à légard de Dieu et à légard de toi, je nai plus le droit dêtre appelé ton fils."
Littéralement : Puis il dit le fils à lui : "Père, jai commis une faute contre le ciel et devant toi, ne plus je suis digne dêtre appelé fils de toi. |
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La seule raison pour laquelle nous nous arrêtons à ce verset est pour souligner quelle est simplement la mise en action du propos du fils cadet exprimé au v. 18-19. Comparons le propos et la mise en action avec la traduction littérale.
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v. 22 Aussitôt le père sadresse à ses serviteurs pour leur demander : "Vite, apportez le plus bel habit pour le revêtir, mettez-lui une bague au doigt et des sandales au pied.
Littéralement : Puis il dit le père à ladresse des serviteurs (doulous) de lui: "Vite (tachy), apportez (exenenkate) un vêtement (stolēn) le premier (prōtēn) et revêtez (endysate) lui, et donnez une bague (daktylion) à la main (cheira) de lui et des sandales (hypodēmata) aux pieds (podas), |
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doulous (serviteurs) |
Le mot doulos signifie : esclave, serviteur, auxiliaire, subordonné, et il est très présent dans les évangiles : Mt = 30; Mc = 5; Lc = 28; Jn = 11; Ac = 4. Il est difficile à traduire, car cest une catégorie sociale qui nexiste plus de nos jours. Traduire par esclave ne rend pas justice au mot, car aussitôt nous viennent à lesprit les noirs travaillant dans les champs de coton aux États-Unis. Bien sûr, cétait des gens qui nétaient pas rémunérés. Mais leur maître prenait soin de subvenir à leur besoin, de les éduquer, de les soigner et leur confiait de grandes responsabilités. Nous en connaissons le nom de quelques uns, comme Onésime, esclave de Philémon, devenu chrétien, qui sest occupé de Paul (Philémon 1, 10-17). On naissait esclave, fils ou fille de parents esclaves, et on mourrait esclaves, à moins davoir les moyens de devenir une personne libre (voir 1 Corinthiens 7, 21 où Paul recommande aux esclaves de demeurer dans la condition qui est la leur). Bref, dans le judaïsme et dans le monde gréco-romain, être né esclave ou serviteur faisait partie de la réalité sociale et navait pas nécessaire une connotation négative. Cest ce quon voit chez Luc :
On peut observer labsence de perception négative de cette réalité sociale dans le fait que Marie se définit devant lange Gabriel comme lesclave (doulos) du Seigneur (1, 38.48), ainsi que Syméon, tout heureux davoir vu le messie (2, 29). Bref, le père du fils cadet, sans doute comme tout propriétaire terrien, possède des esclaves. Nous avons préféré traduire doulos par serviteur plutôt quesclave, pour éviter cette connotation négative. |
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tachy (vite) |
Ladjectif tachys signifie : rapide, vite, prompt, précipité, vif. Il ne se rencontre que quelques fois dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 3; Ac = 4. Il na pas de rôle spécial, sinon de traduire la hâte à accomplir une action, par exemple annoncer que Jésus est ressuscité (Mt 28, 7-8). Chez Luc, il décrit la hâte de Dieu à répondre à la prière du croyant (18, 8). Dans la parabole du cadet, il décrit lempressement du père à réhabiliter son fils et à fêter, tant sa joie est grande.
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exenenkate (apportez) |
Ce mot est formé de la préposition ek (de, venant de) et du verbe pherō (porter, apporter, produire, supporter, emporter), et on traduit habituellement par : emporter dehors, produire, faire sortir, livrer. Mais il est presquabsent du Nouveau Testament. À part 1 Tm 6, 7 et He 6, 8, il napparaît que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 3. Dans les Actes, les 3 occurrences ne servent quà décrire le fait quon emporte (ekpherō) le corps dAnnie et Saphire. Ainsi, le mot dans la bouche du père revêt un caractère unique, en ce quon ne peut trouver aucun autre exemple dans le Nouveau Testament. Et probablement, si on voulait le traduire littéralement et rendre la préposition ek dans le verbe, il faudrait dire : faites sortir le vêtement, comme on sortirait un vêtement rangé depuis un certain temps dans les boules à mite.
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stolēn (vêtement) |
Le mot stolē désigne : vêtement, vêtement tombant, habit, robe. Seuls Marc et Luc lutilise : Mt = 0; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Chez Marc, il apparaît dans deux scènes, lune concernant les scribes qui aiment circuler en « grandes robes » (Mc 12, 38 : le texte a simplement stolē, mais les traducteurs sentent le besoin de traduire par grandes robes ou longues robes pour rendre lidée dun vêtement dapparat), et lautre décrivant la présence dun jeune homme en robe (stolē) blanche au tombeau vide après la résurrection (Mc 16, 5). Luc (20, 46) a repris la scène de Marc sur les scribes avec de grandes robes, puis nous présente la parabole du fils cadet. Dans lAncien Testament, le mot désigne entre autres lhabit du grand prêtre (voir par exemple Ex 28, 4). Bref, le vêtement que le père demande au serviteur est un vêtement dapparat.
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Voir le glossaire sur les vêtements dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prōtēn (premier) |
Ladjectif prōtos (principal, majeur, premier, qui est en avant, début) est assez fréquent : Mt = 16; Mc = 10; Lc = 10; Jn = 6; Ac = 12. Très souvent (44 fois pour la Bible de Jérusalem), on traduit par ladjectif numéral « premier » (par exemple, premier par rapport au dernier), autrement on traduit par « notables » (6 fois) pour décrire les hommes et les femmes qui sont premiers dans une société, ou encore par « avant » dans lordre chronologique et hiérarchique (3 fois, en particuier chez Jean pour décrire le rapport entre Jésus et le Baptiste). Ici, dans la parabole du cadet la plupart des Bibles traduisent prōtos par : plus beau, pour rendre lidée que le vêtement est premier (voir les traductions). Cest ainsi un cas unique qui nous indique que le récit provient sans doute dune source dont dépend Luc.
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endysate (revêtez) |
Le verbe signifie endyō : vêtir, revêtir, se vêtir, shabiller, sintroduire dans. On pourrait dire que Luc naime pas beaucoup parler de vêtement : Mt = 3; Mc = 3; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. À part lhistoire du fils cadet, on retrouve endyō à la fin de son évangile dans la bouche de Jésus quand il demande à ses disciples de demeurer à Jérusalem jusquà ce quils soient revêtus (endyō) de la force den haut (24, 49). Cest ainsi quil ignore cette scène de Marc 15, 20 où on ôte le vêtement de pourpre dont on avait revêtu Jésus pour se moquer pour remettre ses vêtements. Et si on navait que lévangile de Luc, on ne saurait pas que Jean Baptiste était vêtu dune peau de chameau (Mc 1, 6). Bien sûr, il reprend les consignes de mission de Marc 6, 9 qui demande de ne pas avoir deux tuniques, mais sans parler de les revêtir, mais plutôt comme contenu de bagages. Ainsi, la scène du père qui demande de revêtir son fils a quelque chose de vraiment unique chez lui, provenant sans doute de sa source quil accepte telle quelle.
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daktylion (bague) |
Il y a peu de chose à dire sur daktylios, car cest un mot unique dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0. Il signifie : anneau, bague. Mais lanneau est bien sûr connu dans le monde juif comme nous le révèle lAncien Testament. Mais les passages qui jettent le plus de lumière sur notre récit sont les suivants :
Cest donc un geste où on remet lautorité à quelquun. Ainsi, le père redonne à son fils tous ses droits de fils. |
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cheira (main) |
Le mot cheir se traduit littéralement par main ou bras. Cest ce quon constate dans les évangiles: Mt = 24; Mc = 26; Lc = 26; Jn = 15; Ac = 45. Mais ce qui surprend au prime abord, cest que pour être précis, la parabole du fils cadet aurait dû parler de la bague au doigt, et non de la bague à la main. Car le mot doigt existe bel et bien en grec : daktylos. Et tous les évangiles connaissent ce mot : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 3; Ac = 0. Il faut en déduire que pour la parabole, la précision technique nétait pas importante. Car en fait, cest la main qui est importante, puisque la main est symbole de puissance, cette main par laquelle agit le Seigneur (Lc 1, 66), cette main de lennemi de laquelle on prie dêtre délivré (1, 71.74). Ainsi, en mettant la bague à la main, on lui redonne sa puissance et son autorité, même si en fait cest au doigt quon met la bague.
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Textes avec le nom cheir chez Luc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hypodēmata (sandales) |
Les évangiles-Actes concentrent toutes les mentions des sandales dans le Nouveau Testament : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 2. Par delà leur aide à la marche, les sandales ont une valeur symbolique. Tout dabord, en soi elles représentent un objet de peu de valeur, si bien quAbram peut dire au roi de Sodome : ni un fil ni une courroie de sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi, et tu ne pourras pas dire: Jai enrichi Abram (Gn 14, 23). On comprend lhyperbole quand Marc fait dire à Jean Baptiste : Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales (Mc 1, 7); Jean Baptiste est indigne de toucher à lobjet sur Jésus qui a le moins de valeur possible. En même temps, porter des sandales est le symbole de lhomme libre, autonome et digne, si bien quen présence de Dieu, pour exprimer sa soumission, on les enlève : Yahvé dit à Moïse : "Napproche pas dici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte (Ex 3, 5). Par contre, les pauvres et les esclaves ne portent pas de sandales, et cest sans sandale que les disciples de Jésus doivent annoncer la bonne nouvelle : Nemportez pas de bourse, pas de besace, pas de sandales, et ne saluez personne en chemin (Lc 10, 4). Si on enlevait des évangiles-Actes les passages qui font référence à lindignité du Baptiste de délier les courroies des sandales de Jésus, ou aux consignes de la mission du chrétien relié aux sandales, ou à lallusion à la parole de Yahvé à Moïse denlever ses sandales, il ne resterait plus que la parabole du fils cadet. Cest un cas unique où on insiste sur la valeur des sandales pour redonner à quelquun sa dignité.
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podas (pieds) |
Il y a peu de chose à dire ici de ce mot familier des évangiles-Actes (Mt = 10; Mc = 6; Lc = 9; Jn = 14; Ac = 19), sinon quil nest pas essentiel à la compréhension du récit : cest évident que des sandales vont aux pieds, et on aurait très bien compris la phrase : donnez-lui des sandales, sans lajout : aux pieds. Est-ce que la mention des pieds était dans la source originelle? Ou est-ce Luc qui laurait ajouté selon selon son habitude de préciser les choses? La réponse à cette question nest pas importante pour notre analyse.
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v. 23 Apportez aussi le veau en train dêtre engraissé, abattez-le, et faisons la fête par un banquet.
Littéralement : et apportez (pherete) le veau (moschon) lengraissé (siteuton), égorgez (thysate), et mangeant célébrons (euphranthōmen), |
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pherete (apportez) |
Le verbe pherō (porter, supporter, apporter, venir avec, produire, emporter) est commun dans lensemble des évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 15; Lc = 4; Jn = 16; Ac = 9 et nest pas spécialement prisé par Luc. Dans son évangile, on porte un paralytique (5, 18), Simon de Cyrène porte la croix de Jésus (23, 26), les femmes portent des aromates (24, 1), et ici dans la parabole, le père demande dapporter un veau.
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ton moschon ton siteuton (le veau l'engraissé) |
Le nom moschos (veau, jeune taureau) et ladjectif siteutos (engraissé, gavé) apparaissent toujours ensemble dans les évangiles et seulement dans cette parabole du fils cadet (moschos apparaîtra seul en He 9, 12.19 et Ap 4, 7). Au Proche Orient, le veau était un met de choix réservé à des occasions spéciales. Cest ainsi quAbraham, au chêne de Mambré, lorsquil reçoit la visite de Yahvé sous la forme de trois hommes, fait apprêter un beau petit veau bien tendre (Gn 18, 7). Et il semble quon choisissait un des veaux pour lengraisser et lui donner des attentions spéciales. On en a un écho chez Jérémie qui, de manière sarcastique, se moque de mercenaires qui ont été nourris aux petits soins comme un veau gras, et qui ont pourtant décampé devant la menace (Jr 46, 21). Le veau pouvait être engraissé pendant sept ans et il était digne dêtre offert à Yahvé en holocause (Jg 6, 25-28). Cest donc dire quil fallait une occasion unique pour manger le veau quon engraissait depuis quelques années. Cette occasion unique, cétait pour le père le retour de son fils.
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thysate (égorgez) |
Le verbe thyō signifie : sacrifier, immoler, égorger. Dans tout le Nouveau Testament, il ne sapplique quà légorgement danimaux. En dehors de deux occurrences dans la première épitre aux Corinthiens (5, 7; 10, 20), il napparaît que dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 4. Chez Luc, même si on note quatre occurrences, il y en fait deux passages, celle de la parabole du fils cadet où le verbe apparaît trois fois, et la reprise par Luc (22, 7) dun texte Marc mentionnant le jour des Azymes, où devait être immolée (thyō) la pâque. Ainsi, le verbe thyō nappartient pas vraiment au vocabulaire de Luc, mais à celui de la parabole, tout comme cela se voit chez Matthieu où il apparaît dans la parabole du roi qui organise un festin des noces pour son fils (22, 4) et fait égorger ses bêtes grasses (sitistos, un synonyme de siteutos).
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euphranthōmen (célébrons) |
Le verbe euphrainō (causer de la joie, éprouver de la joie, se réjouir) apparaît seulement sous la plume de Luc dans les évangiles-Actes : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 0; Ac = 2. Daucuns pourraient conclure que nous avons ici une insertion de Luc dans sa source, dautant plus que Luc est lévangéliste de la joie par excellence. Mais quand on regarde dun peu plus près, il faut admettre quil est plutôt probable que les six occurrences de euphrainō dans son évangile viennent de ses sources : car euphrainō apparaît quatre fois dans la parabole du fils cadet, il était apparu plus tôt dans la parabole du riche insensé qui faisait la fête (12, 19) et réapparaîtra au chapitre suivant (16, 19) dans la parabole de Lazare et du riche qui faisait bonbance. Nous sommes loin de la joie évangélique. Et les deux occurrences des Actes sont dabord une citation du Psaume 16, puis une allusion à Ex 31 (les célébrations autour du veau dor) dans la bouche dÉtienne. Aussi, vaut-il mieux conclure que la célébration organisée par le père fait partie de la parabole originelle.
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v. 24 Car mon fils que voici était mort, il a maintenant repris vie, il sétait perdu, on la retrouvé." Et on commença à fêter.
Littéralement : car celui-ci le fils de moi mort (nekros) était et est remonté à la vie (anezēsen), il était sétant perdu (apolōlōs) et il a été retrouvé (heurethē). Et ils commencèrent (ērxanto) à célébrer (euphrainesthai). |
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nekros (mort) |
Le nom nekros désigne le corps mort ou inanimé, le cadavre, une personne mourante. Dans les évangiles-Actes, il est très présent à cause de lexpression « résurrection des morts » : Mt = 12; Mc = 7; Lc = 14; Jn = 8; Ac = 17. Quand on regroupe toutes les occurrences du mot, on note trois contextes : un contexte général de la résurrection des morts, un contexte de mort physique ou quasi mort physique, et enfin un contexte symbolique (i.e. une situation comparable à la mort). Chez Luc, sur les 14 occurrences, neuf font référence à la résurrection des morts (par exemple, Allez rapporter à Jean... les morts ressuscitent : 7, 22), trois font référence à la mort physique (par exemple le récit de la ressuscitation du fils de la veuve de Naïm en 7, 15 : Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler), et deux font référence à la mort symbolique et qui sont concentrés ici, dans la parabole du fils cadet. Aussi, cette mort symbolique, i.e. le fils était mort dans son identité de fils, appartient probablement à la source originelle.
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anezēsen (il est remonté à la vie) |
Ce verbe est formé de la préposition ana qui décrit un mouvement de bas en haut et du verbe zaō qui signifie : vivre. On le traduit donc par revivre, reprendre vie, remonter à la vie. Or, ce verbe apparaît seulement ici dans toute la Bible : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0. Il pourrait révéler une forme archaïque du retour à la vie. Les probabilités sont très fortes quil provient de la source originelle. Comme la mort avait une valeur symbolique, ainsi ce retour à la vie a aussi une valeur symbolique : le fils a retrouvé son identité de fils, les relations sont rétablies avec le père.
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apolōlōs... heurethē (il était sétant perdu... il a été retrouvé) |
Voilà la conclusion de la parabole. Cette conclusion ressemble aux autres de cet ensemble
On peut faire deux remarques : la conclusion sur le récit du fils cadet inverse lordre « trouvé / perdu » en respectant plus lordre chronologique, i.e. on est dabord perdu avant dêtre trouvé, ensuite le verbe heuriskō est maintenant au passif : ceci est compréhensible, car le père na fait aucune démarche pour chercher son fils; il sest contenté dattendre. Il est possible que le milieu qui nous a donné cette parabole du fils cadet soit différent de celui des deux premières paraboles. |
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ērxanto... euphrainesthai (ils commencèrent... à célébrer) |
Nous avons déjà analysé archō et euphrainō pour conclure que, dans leur contexte précédent, ils pouvaient appartenir à la source originelle. Pourtant, cette phrase ici suit ce que nous avons considéré à la phrase précédente comme la conclusion de la parabole du fils cadet, et elle précède le verset suivant qui apparaît comme une nouvelle parabole, celle du fils aîné. Elle est une phrase de transition.
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v. 25 Mais le fils ainé se trouvait encore aux champs. Alors quil sétait approché de la maison, il entendit la musique et les pas de danse.
Littéralement : Puis était le fils de lui le plus vieux (presbyteros) dans un champ (agrō). Et lorsque venant il sapprocha de la maison, il entendit un concert dinstruments (symphōnias) et des choeurs de danse (chorōn), |
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presbyteros (le plus vieux) |
Ladjectif presbyteros est le comparatif et le superlatif de presbys (vieil homme), et signifie : plus ancien, plus âgé, plus vieux, lancien, lancêtre, le vieillard. Il occupe une assez grande place : Mt = 12; Mc = 7; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 19. Mais sa signification varie : dans 60% des cas, il désigne le groupe des anciens qui, avec les grands prêtres et des scribes, constituaient lautorité religieuse dans le monde juif; à quelques reprises il désigne les ancêtres à lorigine dune tradition; ou encore les plus âgés par rapport aux plus jeunes; enfin, dans les Actes des Apôtres, il désigne ce nouveau groupe des anciens qui jouent un rôle de leadership dans les communautés chrétiennes avec les apôtres. Chez Luc, il fait toujours référence au groupe des anciens juifs qui veulent arrêter Jésus avec les grands prêtres, à lexception de notre parabole. Notons quun presbyteros, i.e. un plus vieux, devait se signaler par sa plus grande sagesse par rapport au plus jeune, doù leur rôle dans la société.
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agrō (champ) |
Nous avons déjà analysé agros au v. 15 pour dire que ce nest pas un mot qui appartient au vocabulaire de Luc; ce dernier semble un homme de la ville et préfère parler de jardin plutôt que de champ. Mais ce quil faut retenir ici, cest que la parabole nous introduit ce fils aîné alors quil travaille dans le champ : na-t-on pas le symbole du fils fidèle, sérieux, travaillant, un véritable modèle? Et quel contraste après le récit du fils cadet qui a mené une vie dissolue.
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symphōnias... chorōn (un concert d'instruments... des choeurs de danse) |
Le nom symphōnia signifie : accord des sons, instrument musical, orchestre. Ce mot grec nous a donné le mot français : symphonie. On ne sera pas surpris dapprendre quil sagit ici dune occurrence unique du mot dans tout le Nouveau Testament. Par contre, dans le livre du prophète Daniel (version de la Septante), il semble désigner un concert dinstruments, après une énumération dinstruments (voir Dn 3, 5 : À linstant où vous entendrez le son de la trompette et de la flûte, de la cithare, de la harpe et du psaltérion, et le concert dinstrument (symphōnia) et toute sorte de musique (mousikos)...; voir aussi Dn 3, 7.10.15). Quant à choros, il signifie : danse, choeur, groupe de danseurs et de chanteurs. Comme symphōnia cest seulement ici quil apparaît dans tous le Nouveau Testament. Mais il est bien connu dans lAncien Testament (voir par exemple Ex 15, 20 : Miryam, la prophétesse, soeur dAaron, prit en main un tambourin et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins, et des choeurs de danses (choros); ou encore, Psaume 150, 4 : Louez-le par le tambour et le choeur de danse (choros); louez-le sur les cordes des instruments). Quest-ce que tout cela indique? La musique et la danse faisait partie de la culture juive. Et notre parabole reflète latmosphère dune célébration festive.
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v. 26 Il appelle donc un des garçons de service pour senquérir de ce qui se passait.
Littéralement : et ayant appelé (proskalesamenos) un des garçons de service (paidōn) il senquérait (epynthaneto) quoi peut bien (ti an) être ces choses? |
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proskalesamenos (ayant appelé) |
Le verbe proskaleō, former de la préposition pros (vers) et du verbe kaleō (appeler), signifie : convoquer, citer en justice, appeler, et apparaît chez tous les évangélistes, à lexception de Jean : Mt = 6; Mc = 9; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 10. Il exprime lidée de faire venir quelquun ou un groupe pour dire quelque chose dimportant ou pour senquérir de quelque chose. Ce qui est notable chez Luc, cest sur les quatre occurrences du mot, deux apparaissent dans une parabole (ici et 16, 5), et deux semblent une addition de Luc, soit à un texte de Marc (18, 6), soit à un récit provenant de la source Q (7, 18). Nous pouvons seulement dire que cest un mot avec lequel il est à laise. Si on se place au niveau du scénario de la parabole, on pourrait se demander : pourquoi a-t-il besoin dinterroger un des serviteurs, et non pas directement son père? Le scénario veut que la fête se passe dans la maison, alors que des serviteurs à lextérieur de la maison nétaient sans doute pas directement impliqués dans le soutien de la fête. Le besoin de comprendre du fils aîné est si vif quil sadresse dabord aux premiers serviteurs quil voit.
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paidōn (garçons de service) |
Le nom pais désigne dabord un enfant, quil soit un garçon ou une fille, mais aussi un serviteur et un esclave. Dans les évangiles-Actes, il est moins fréquent que doulos pour désigner un serviteur : Mt = 8; Mc = 0; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 6. On pourrait se demander : quelle différence y a-t-il entre pais et doulos quand on parle dun esclave? En effet, un peu plus tôt dans la parabole, le père sest adressé à ses « doulos » pour quils habillent son fils et préparent la fête. Maintenant, le fils aîné sadresse non à un doulos, mais à un pais. Pourquoi? Une parabole de Luc (12, 35-48) peut nous éclairer, celle du serviteur (doulos) à qui le maître confie la responsabilité de son domaine en son absence. Puisque le maître tarde à revenir, il peut arriver que le serviteur (doulos) se mette à frapper les garçons de service (pais) et les filles de services (paidiskē), à manger, boire et senivrer (12, 45). Ainsi, il existerait une hiérarchie dans le monde des esclaves. Dailleurs, jamais on ne mentionne de responsabilités importantes confiées à un pais, comme on le voit chez un doulos. Bien sûr, il y a des cas où pais désigne non pas un esclave, mais un enfant (lenfant Jésus resta à Jérusalem à linsu de ses parents : Lc 2, 43). Donc, le fils aîné sadresse à un esclave subalterne, qui na pas de responsabilité importante dans la fête, pour savoir ce qui se passe.
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Sur l'enfant dans le Nouveau Testament, voir le Glossaire | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
epynthaneto (il senquérait) |
Le verbe pynthanomai est utilisé lorsquon veut obtenir de linformation et signifie : senquérir, sinformer, se renseigner sur. Cest un mot très lucanien : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 6. Dans son évangile, à part notre parabole, Luc ajoute ce mot au récit de la guérison de laveugle de Jéricho (18, 36). Et bien sûr, il a recours à ce verbe un certain nombre de fois dans les Actes. Dans la parabole du fils aîné, il convient bien dans le contexte de sinformer de ce qui se passe.
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ti an (quoi peut bien) |
Ti est un pronom interrogatif (quoi?) et an est une particule qui introduit souvent une proposition conditionnelle ou au subjonctif. La seule raison de souligner ti an est que Luc est le seul à lutiliser cette construction dans les évangiles-Actes (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 3), et elle porte sa signature :
Ainsi, si Luc utilise une source, il ne se gêne pas pour léditer. |
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v. 27 On lui dit donc que son frère était revenu à la maison, et que le père avait fait égorger le veau quon engraissait, car il lavait retrouvé en bonne santé.
Littéralement : Puis lui dit à lui que le frère (adelphos) de lui était arrivé (hēkei), et a fait égorgé le père de lui le veau lengraissé, car en santé (hygiainonta) lui il a récupéré (apelaben). |
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adelphos (frère) |
Le nom adelphos est si répandu quil est peu révélateur dun travail rédactionnel : Mt = 39; Mc = 20; Lc = 24; Jn = 14; Ac = 57. Chez Luc, comme dans lensemble des évangiles, le mot frère désigne à fois les frères de sang et les frères au sens spirituel. Dans notre parabole, le frère fait bien sûr référence aux liens du sang.
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hēkei (il était arrivé) |
Le verbe hēkō signifie dabord : être venu, être là, mais aussi être arrivé, revenir, venir, arriver, se produire. Il est peu fréquent : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 3; Ac = 0. Chez Jean, il fait référence à la venue de lheure (2, 4), puis à larrivée de Jésus en Galilée (4, 47), et au fait quil vienne de Dieu (8, 42). Chez Marc, cest le contexte de la scène de la multiplication de pain alors que Jésus remarque que les gens sont venus de loin (8, 3). Matthieu ne fait que reprendre un texte de la source Q (8, 11), un texte quon retrouve également chez Luc (13, 29) sur la venue de beaucoup de gens au festin dans le royaume de Dieu. Il reste donc deux textes de Luc, la parabole du fils aîné et celui de lannonce par Jésus que des jours viendront où Jérusalem sera assiégé (19, 43). On ne peut dire autre chose de ce verbe dans notre parabole que le fait quil est peu utilisé. Mais il rend bien lidée de quelquun qui était attendu, et qui est enfin arrivé.
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et a fait égorgé le père de lui le veau lengraissé |
Nous avons déjà analysé ce vocabulaire. Mais nous voulons simplement faire remarquer la concision de la réponse du garçon de service. Pourquoi tout ce bruit? On vient dabattre le veau quon engraissait. Cest une image très superficielle, mais très claire.
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hygiainonta (santé) |
Le verbe hygiainō signifie : être en santé, être sain. Ce mot grec nous a donné le mot français: hygiène. Dans les évangiles, on ne le retrouve que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0. Malgré sa rareté, cest un mot quil aime bien. Pour sen convaincre, on a quà observer comment il modifie la phrase de Marc 2, 17 : Ce ne sont pas les gens capables (hoi ischyontes) qui ont besoin de médecin, qui devient chez lui (5, 31) : Ce ne sont pas les gens en santé (hoi hygiainontes) qui ont besoin de médecin. Encore une fois, nous avons la touche de Luc dans notre parabole. Notons quon ne dit pas : les relations ont été rétablies avec son fils; mais sur le plan physique il va bien. Le garçon de service a une perception superficielle des choses.
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apelaben (il a récupéré) |
Le verbe apolambanō est composé de la préposition apo (à partir de) et du verbe lambanō (recevoir) et qui signifie : récupérer, reprendre, regagner, recevoir, obtenir, prendre à part. Seul Luc utilise ce verbe : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 0. Encore une fois, voici la signature de Luc. Et ce verbe convient bien dans la parabole, car il sagit de retrouver ce quon possédait auparavant.
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v. 28 À ce moment il piqua une grande colère et ne voulait même pas entrer. Alors le père sortit pour len prier.
Littéralement : Puis il se mit en colère (ōrgisthē) et ne voulait (ēthelen) pas entrer (eiselthein), mais le père de lui étant sorti (exelthōn) exhortait (parekalei) lui. |
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ōrgisthē (il se mit en colère) |
Le verbe orgizō signifie : mettre en colère, irriter, et au passif : se mettre en colère contre quelquun; être irrité contre quelquun. Il est très rare dans le Nouveau Testament et dans les évangiles : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0. Chez Luc, il apparaît ici et dans la parabole des invités aux noces (14, 21) où le maître se fâche de voir les gens décliner linvitation au repas et répliquera en invitant le tout venu. Chez Matthieu, il apparaît dans la parabole des deux débiteurs où le maître se fâche de voir lun de ses débiteurs ne pas montrer la même compassion envers son frère (18, 34), ainsi que le discours sur la montagne où Jésus demande de ne pas se mettre en colère contre son frère (5, 22). Ainsi, sur trois des quatre occurrences dans les évangiles, la colère apparaît dans un récit parabolique pour décrire la réaction de quelquun devant une attitude inacceptable. Il est clair que le fils aîné trouve inacceptable de ce qui se passe. On aura au verset suivant plus de détail. Sur le plan rédactionnel, on ne peut rien déceler dune intervention de Luc.
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ēthelen (il voulait) |
Il y a peu de choses à dire de thelō (vouloir, vouloir bien, se plaire à, aimer), sinon quil est très répandu : Mt = 45; Mc = 25; Lc = 28; Jn = 23; Ac = 14. Même si 75% des occurrences chez Luc se trouvent dans des passages qui lui sont propres, on ne peut rien déduire, car ces emprunts à Marc et la source Q sont trop nombreux. Dans notre parabole, le fils aîné a pris une décision basée sur la colère : il refuse de participer à la fête et dêtre complice de la décision du père.
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Textes avec le verbe thelō chez Luc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eiselthein (entrer) |
Le verbe eiserchomai est formé de la préposition eis (dans) et du verbe erchomai (venir, arriver) et signifie : entrer, pénétrer. Cest un autre verbe fréquent dans tous les évangiles : Mt = 33; Mc = 30; Lc = 50; Jn = 15; Ac = 33. Luc lutilise à profusion, mais on ne peut dire rien de plus. Dans notre parabole, le fils refuse denter dans le lieu de la fête, car cela lobligerait à y participer, et donc à consentir à la décision du père.
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exelthōn (étant sorti) |
Le verbe exerchomai décrit laction inverse du précédent : formé de la préposition ek (de) et du verbe erchomai (venir, arriver), il signifie : sortir, partir, venir de. Lui aussi, il est très fréquent : Mt = 43; Mc = 37; Lc = 39; Jn = 29; Ac = 29. Très souvent, les personnages des évangiles sortent pour aller à la rencontre de quelquun. Cest ce qui se passe chez le père. Son geste exprime son amour du fils aîné : il veut garder la relation; comme la situation est bloquée, cest lui qui prendre linitiative de laction.
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parekalei (il exhortait) |
Le verbe parakaleō est formé de la préposition para (auprès de) et du verbe kaleō (appeler, inviter, convoquer), et signifie : appeler auprès de soi, prier, appeler, inviter, exhorter, avertir, réclamer, consoler, réconforter, encourager. Le verbe est assez présent dans les évangiles, sauf chez Jean, mais cest dans les Actes des Apôtres quil prendra son expansion où les apôtres exhortent et encouragent les membres de la communauté chrétienne : Mt = 9; Mc = 10; Lc = 7; Jn = 0; Ac = 24. Dans les évangiles, il a souvent le sens de supplier. Cest ce que le père du fils aîné semble faire ici.
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v. 29 Laîné fit cette réponse à son père : "Ça fait si longtemps que je suis à ton service et jamais je nai désobéi à tes règles, et pourtant jamais tu as pris la peine de me donner même une chose sans valeur comme le mâle dune chèvre pour fêter avec mes amis.
Littéralement : Puis lui ayant répondu dit au père de lui: "Voici (idou) tant (tosauta) dannées (etē) je sers (douleuō) toi et jamais (oudepote) le précepte (entolēn) de toi je nai enfreint (parēlthon), et à moi jamais tu nas donné un bouc (eriphon) afin que avec les amis de moi je célèbre. |
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idou (voici) |
Le mot idou est limpératif passif du verbe horaō (voir, regarder, observer, remarquer). Sous cette forme il est si fréquent quil mérite un traitement à part : Mt = 62; Mc = 7; Lc = 57; Jn = 4; Ac = 23. Dans un récit, il vise à attirer lattention : « Et voici quarrive un homme... ». Ce procédé est beaucoup utilisé par Luc, Matthieu et source Q. Quand on examine attentivement lévangile de Luc, on note quil aime à ce point ce procédé quil ne se gêne pas de lintroduire dans certains textes quil reçoit de Marc. Par exemple, alors que Marc met dans la bouche de Jésus cette parole : Allez à la ville; vous rencontrerez un homme portant une cruche deau. Suivez-le (Mc 14, 13), Luc modifie ainsi cette phrase : Voici (idou) quen entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche deau. Suivez-le (Lc 22, 10). Dans la majorité des cas, le mot apparaît dans des passages qui lui sont propres. Quest-ce à dire? En raison de la présence importante de lexpression également chez Matthieu et la source Q, on ne peut pas simplement lattribuer au travail éditorial de Luc. Cest ce quil faut conclure pour notre parabole.
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tosauta (tant) |
Ladjectif démonstratif tosoutos signifie : aussi grand, aussi nombreux, autant. Mais il ne fait pas partie du langage habituel des évangiles : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 4; Ac = 2. Ces chiffres peuvent être trompeurs. Chez Matthieu, par exemple, une occurrence provient de la source Q (Mt 8, 10), puis les deux autres apparaissent dans la même phrase dans la scène de la multiplication des pains (Où prendrons-nous, dans un désert, assez (tosoutos) de pains pour rassasier une telle (tosoutos) foule?, Mt 15, 33), une scène qui a son parallèle en Jean où apparaît également le mot (Il y a ici un enfant, qui a cinq pains dorge et deux poissons; mais quest-ce que cela pour tant (tosoutos) de monde?, Jn 6, 9). Chez Luc, parmi les deux occurrences, lune vient de la source Q, lautre apparaît dans notre parabole. Il est logique de penser quil faisait partie de la source de Luc. Dans la bouche du fils aîné, ce « tant » annonce le nombre impressionnant des bonnes choses quil auraît faites.
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etē (années) |
Voici un mot que Luc aime beaucoup : Mt = 1; Mc = 2; Lc = 15; Jn = 3; Ac = 11. Cependant, il faut se garder de voir ici le travail éditorial de Luc, car la plupart du temps, Luc a recourt à etos pour préciser une chronologie (lan quinze... le ciel fut fermé pour trois ans... a vécu 7 ans avec son mari... lorsquil eut douze ans, etc.). Ici, il ny a rien de précis : tant dannées. Quoi quil en soit, le fils aîné met de lavant sa fidélité depuis toujours.
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douleuō (je sers) |
Le verbe douleuō signifie : être esclave, servir quelquun, rendre service. Encore une fois, cest chez Luc quon le trouve surtout, alors quil est peu fréquent : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 2. À part sa présence dans notre parabole, les autres occurrences se situent dans le même verset : Nul serviteur ne peut servir (douleuō) deux maîtres... Vous ne pouvez servir (douleuō) Dieu et lArgent (16, 13). Cest dire sa rareté, et on peut facilement imaginer que le verbe dans notre parabole provient de la source. Il est important de souligner la signification de ce verbe : cest être esclave. Cela dit beaucoup sur la façon dont le fils voit sa relation au père. On est loin de lamour filial. Le fils a fait son devoir de fils de servir son père, il a obéi au précepte divin.
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oudepote (jamais) |
Oudepote est un adverbe rare dans toute la Bible. Dans les évangiles-Actes, cest dans lévangile de Matthieu quon le retrouve le plus : Mt = 5; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 0. Il ny pas de recoupement entre toutes ces occurrences, sinon cette expression dans la bouche de Jésus : oudepote anegnōte (Navez-vous jamais lu...), qui apparaît deux fois fois chez Matthieu (21, 16.42) et une fois chez Marc (2, 25). Chez Luc, les deux seules occurrences se situent ici dans notre verset. Décidément, nous ne sommes pas dans le vocabulaire de Luc. Quand quelquun utilise le mot jamais, il y a souvent une part de caricature : le ton est très emphatiqe. Le mot jamais, tout comme le mot toujours, comporte une note dexagération. Ce que dit le fils aîné avec son « jamais », cest : jai été parfait.
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entolēn (précepte) |
Le mot entolē (ordre, commandement, précepte, injonction) renvoie à une réalité importante du judaïsme, et il est donc présent dans le Nouveau Testament et dans les évangiles-Actes : Mt = 6; Mc = 6; Lc = 4; Jn = 10; Ac = 1. Il faut tout de suite opérer une distinction entre la signification dentolē chez Jean et sa signification dans le reste des évangiles.
Chez Jean, il désigne le commandement de Jésus de saimer les uns les autres (15, 2), et ce commandement est source de vie éternelle (12, 50). Chez les autres évangiles, entolē fait plutôt référence aux dix commandements donnés au Sinaï et à tout ce qui en découle. Cest ce quon voit chez Marc quand Jésus énumère ainsi les commandements : Ne tue pas, ne commets pas dadultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère (10, 19), et quil résumera par la suite par : Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est lunique Seigneur, Tu aimeras ton prochain comme toi-même (12, 19-31). Mais en même temps, entolē déborde les dix commandements pour couvrir aussi une jurisprudence qui découle de lapplication des commandements, comme celle concernant le divorce : Cest en raison de votre dureté de coeur quil a écrit pour vous cette prescription (entolē) (rédaction dun acte de divorce et répudiation) (10, 5). Pour Matthieu le Juif, celui qui violera lun de ces moindres préceptes de la Loi, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux (5, 19). Quen est-il chez Luc? Sur les cinq occurrences du mot, une seule reprend le passage de Marc qui résume la liste des commandements du Sinaï (18, 20). Malgré le fait que les autres occurrences appartiennent à des passages propres, elles reprennent les mêmes thèmes. Comme Matthieu, le respect des commandements est valorisé : Zacharie et Élizabeth suivent, irréprochables, tous les commandements (entolē) et observances du Seigneur (1, 6); ou encore, les femmes au tombeau vide se tinrent en repos, selon le commandement (25, 36). Dans un tel contexte, lexpression entolē de toi, i.e. ton commandement, surprend quelque peu dans cette parabole. On ne parle plus de commandement de Dieu, mais de commandement du père. On se croirait dans un monde militaire. Pourtant, limage du père depuis le début est tout autre. Par exemple, il noppose aucune résistance à la demande du fils cadet davoir immédiatement sa part dhéritage. Nous sommes sans doute devant limage du fils de son père : ce nest pas celui dun père aimant, mais celui dun supérieur exigeant. Et dans un tel contexte, ce nest pas la relation qui importe, mais lobservance de préceptes. Si lauteur de la parabole nous présente cette image, il entend probablement faire alllusion à la perception de Dieu avec ses commandements chez beaucoup de Juifs. |
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parēlthon (j'ai enfreint) |
Le verbe parerchomai est formé de la préposition para (auprès de, autour de) et du verbe erchomai (venir, arriver), et signifie : passer à côté, passer outre, dépasser, passer. Il apparaît un certain nombre de fois dans les évangiles-Actes, sauf chez Jean : Mt = 8; Mc = 5; Lc = 7; Jn = 0; Ac = 2. Quand on examine lensemble des emplois de ce verbe, on constate quune signification domine : celle de passer autour de quelque chose ou de quelquun comme le vent. Par exemple : En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera (parerchomai) pas que tout ne soit arrivé (Lc 21, 32 || Mt 24, 34 || Mc 13, 30); ou encore : Lendroit est désert et lheure est déjà passée (parerchomai) (Lc 14, 15); ou encore : nul ne se sentait de force à passer (parerchomai) par ce chemin (où se trouvaient deux démoniaques) (Lc 8, 28). Dans ce contexte, le sens de parerchomai dans ce verset de la parabole est assez unique : passer à côté, au sens déviter. Nulle part ailleurs dans les évangiles on ne retrouve ce sens denfreindre. Cela renforce lidée que le choix des mots nest pas de Luc, mais de sa source.
Mais ce quil faut noter ici est lapproche négative dans la réaction du fils aîné : il ne dit pas sêtre attaché au commandement du père, mais plutôt ne pas avoir cherché à léviter ou à lenfreindre, tout comme on supporte une situation comme une fatalité sans chercher à la changer. |
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eriphon (bouc) |
Dans tout le Nouveau Testament, le mot eriphos napparaît quici et chez Matthieu 25, 32 (Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0) quand le fils de lhomme vient dans sa gloire pour séparer les boucs des brebis. Selon la parabole de Matthieu, le bouc est associé à ceux que le fils de lhomme maudira et enverra au feu éternel. Il est ainsi facile dassocier le bouc à ce qui navait pas de valeur, en tout cas beaucoup moins quune brebis. Ce que dit donc le fils cadet est que son père na même pas su lui offrir un animal sans beaucoup de valeur. Mais ce quil faut surtout remarquer, cest lemploi des deux « jamais »
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v. 30 Par contre, quand ton fils que voilà, qui revient davoir dévoré tous tes biens avec les putains, tu tes donné le mal dégorger le veau quon engraissait.
Littéralement : Puis quand (hote) le fils de toi, celui-là (ho huios sou houtos), layant dévoré (kataphagōn) de toi lavoir avec des prostituées (pornōn) il est allé, tu as égorgé pour lui lengraissé veau. |
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hote (quand) |
La conjonction hote (lorsque, quand, où, que) apparaît chez tous les évangélistes : Mt = 12; Mc = 12; Lc = 12; Jn = 21; Ac = 10. Dans lévangile le Luc, il se traduit habituellement par « lorsque » ou « quand ». Même si chez lui toutes les occurrences, sauf une, appartiennent à des passages propres, ou sont une reprise dun texte Marc ou de la source Q auquel il ajoute la particule hote, on ne peut en déduire quoi que ce soit concernant son intervention dans notre parabole; même lexpression hote de (mais quand) au début de la phrase, quon rencontre ici dans lévangile et quatre fois dans les Actes, se rencontre également trois fois chez Matthieu. Ici, avec son « quand », le fils ainé sapprêtre à centrer lattention sur un événement quil na pas « digéré ».
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ho huios sou houtos (le fils de toi, celui-là) |
Lexpression est terrible. Tout dabord, au lieu de dire « mon frère », il dit « ton fils » (ho huios sou). Dans notre monde, il arrive quun couple en querelle ne dise plus « notre fils », mais « ton fils », lune des partis accusant lautre de létat lamentable de lenfant et déniant toute responsabilité personnelle. Pour laîné, cest une façon de nier tout lien avec son frère. Mais ce faisant, il se trouve indirectement à ne plus reconnaître son père comme père; car accepter son lien avec son père serait accepter également un lien avec son frère, ce quil ne veut pas.
Ensuite, houtos peut être soit un adjectif, soit un pronom démonstratif. Ainsi il se traduit comme adjectif par : ce, cet ou cette, et comme pronom par : celui-ci, celle-ci, ou celui-là, celle-là, dépendemment si lobjet est près ou loin. Dans lexpression ho huios sou houtos (le fils de toi celui-là), il faut traduire houtos par le pronom démonstratif : celui-là. Dune part, il qualifie le mot fils, dautre part lobjet se situe au loin sur le plan relationnel. On peut être surpris que lauteur de la parabole ait senti le besoin dajouter cet pronom démonstratif, car lexpression « ton fils » était assez clair pour quon ne se trompe pas sur la personne. La présence du pronom démonstratif « celui-là » ajoute une note de mépris, un peu comme on tient un torchon nauséanbond avec ses deux petits doigts au bout de son bras en disant : ce torchon-là. Comme le signalent Henry George Liddell et Robert Scott (A Greek-English Lexicon), houtos peut être utilisé de manière emphatique pour exprimer le mépris, tandis quà lopposé ladjectif démonstratif ekeinos, qui se traduit de manière semblable (celui-là) exprime plutôt la louange. Luc nous donne un bel exemple de cette connotation négative associée à houtos dans un texte tiré de la source Q, même sil na pas à ce moment une note de mépris, mais plutôt de découragement et de tristesse : Cette (houtos) génération est une génération mauvaise (11, 29-32). Il ny pas de doute : non seulement le fils aîné a coupé toute relation avec celui qui était autrefois son frère, mais il na maintenant que du mépris pour lui; il appartient désormais dans un univers différent. |
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kataphagōn (layant dévoré) |
Le verbe katesthiō est formé de la préposition kata (qui décrit un mouvement de haut en bas, souvent traduit par : en bas, sur, dans) et par le verbe esthiō (manger). On le traduit habituellement par : dévorer, comme un animal de proie qui fonce pour dévorer. Cest un mot très rare dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 0. Malgré le fait quil apparaît trois fois dans lévangile de Luc, ce nest pas un mot qui appartient au vocabulaire lucanien : sur les trois occurrences, deux sont une reprise de Marc (une partie du grain a été foulée aux pieds et les oiseaux du ciel ont tout dévoré (katesthiō) : Lc 8, 5 || Mc 4, 4; les scribes qui dévorent (katesthiō) les biens des veuves : Lc 20, 47 || Mc 12, 40). Notons enfin que loccurrence du mot chez Jean nest quune citation du Psaume 69, 10 (Le zèle pour ta maison me dévorera : Jn 2, 17). Ainsi, katesthiō semble bien appartenir à la source que Luc utilise. On notera le caractère extrêmement péjoratif du mot « dévorer », si bien que le fils cadet est rangé au même rang que ceux qui dévorent le bien des veuves, et apparaît aux yeux de laîné comme un ogre.
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pornōn (prostituées) |
Le mot grec pornē vient probablement de pernēmi qui signifie : exporter pour vendre, car les prostituées grecques étaient des esclaves quon avait achetées (Henry George Liddell et Robert Scott, A Greek-English Lexicon). On ne retrouve que quelques occurrences dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0. Il désigne les personnes qui exercent le plus vieux métier du monde, la prostitution. Contrairement aux deux passages de Matthieu où les prostituées sont présentées sous un jour favorable (les douaniers et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu... les douaniers et les prostituées ont cru en Jean : Mt 21, 31-32), notre parabole les présente comme une horreur : en affirmant que son frère les a fréquentées, laîné entend bien décrire un comportement dégradant. Et comme la fréquentation des prostituées nest pas gratuite, cest là quil aurait épuisé son avoir, selon le fils aîné. Cest donc un tableau totalement noir de son frère que dresse laîné; ce nest pas un tableau neutre.
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tu as égorgé pour lui lengraissé veau |
Nous avons déjà vu ce vocabulaire aux v. 23 et 27. Mais il est légitime de se poser la question : au v. 23 le père demande au serviteur de préparer le veau engraissé, et au v. 27 le serviteur annonce à laîné que le veau engraissé a été tué, alors pourquoi le fils fait-il référence à la même réalité en disant : lengraissé veau (ton siteuton moschon), et non pas le veau engraissé (ton moschon ton siteuton) comme les autres? Car on peut assumer que ces récits qui circulaient aux premier siècle sétaient rodés avec le temps et les mots nétaient pas neutres. Si le récit collait à la réalité des gens, alors on peut assumer que le fait de parler de « lengraissé » en premier pointait vers lidentificateur le plus connu, si bien que la mention du veau nétait presque plus nécessaire : le fils savait que le père comprendrait à la simple mention de lengraissé.
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v. 31 Le père lui répondit : "Mon enfant, tu demeures toujours avec moi et tu sais que ce qui est à moi est aussi à toi.
Littéralement : Puis lui dit à lui : "Enfant (teknon), toi toujours (pantote) avec moi tu es (met emou ei), et toutes choses les miennes les tiennes est (panta ta ema sa estin). |
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teknon (enfant) |
Le mot tecknon est bien connu des évangélistes, à lexception de Jean : Mt = 14; Mc = 9; Lc = 14; Jn = 0; Ac = 5. Chez Luc, il désigne avant tout lenfant dune mère et dun père. Par exemple : Mais ils navaient pas denfant (teknon), parce quElisabeth était stérile et que tous deux étaient avancés en âge (Lc 1, 7). Pour parler des enfants, la langue grecque possède un autre mot que nous avons vu plus haut : pais. Y a-t-il une nuance entre les deux? Chez Luc, oui. Dans son évangile, on peut regrouper les emplois de pais en quatre catégories :
Ainsi, il peut arriver dans son évangile que lenfant par rapport au parent soit désigné par pais, mais dans la plupart des cas cest tecknon qui est utilisé, comme ici dans la parabole. Tout comme le fils cadet a interpellé son père avec le mot pater (père) au vocatif, que nous avons rendu par « papa », ici le père interpelle son fils avec le terme tecknon (enfant) au vocatif, que la plupart des Bibles rendent par « mon enfant ». Cest dailleurs ce quon fait également avec le terme philos (ami) au vocatif, quon traduit par « mon ami » (voir Lc 11, 5) (Notons quon ne trouve pas pais au vocatif dans le Nouveau Testament). Il y a dans lexpression « mon enfant » quelque chose daffectueux et dextrêmement significatif : cest la reconnaissance dun lien et dune relation. Or, le fils aîné vient juste de répudier cette relation en disant : ton fils. Le père refuse dentrer dans ce jeu, il redit sa paternité et refait les ponts avec son fils aîné. |
Sur l'enfant dans le Nouveau Testament, voir le Glossaire | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pantote (toujours) |
À part Jean, ladverbe pantote (toujours) est peu présent dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 7; Ac = 0. Il vaut la peine de faire remarquer que les deux occurrences de Marc apparaissent dans le même verset (Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous... mais moi, vous ne maurez pas toujours : 14, 7), et Matthieu les reprend tels quels. Chez Luc, il y a linvitation de Jésus à toujours prier (Lc 18, 1) et notre parabole. Or, « toujours » est lantonyme de « jamais », et le mot « jamais » est apparu dans notre parabole alors que par deux fois le fils aîné lutilise (jamais je nai enfreint ton précepte... jamais tu mas donné). Voilà que le père reprend le mot « jamais », comme une balle au rebond, mais en change la direction avec « toujours » : le « jamais » introduit une approche négative, le « toujours » une approche positive. Rappelons-nous, avec son « jamais » laîné exprimait ce qui était pour lui important : 1) ne pas enfreindre le précepte du père, et 2) recevoir une récompense pour fêter avec ses amis. Avec son « toujours », le père va exprimer ce qui est important pour lui et ce qui devrait lêtre pour son aîné.
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met emou ei (avec moi tu es) |
Voici la première chose importante pour le père : être avec lui, i.e. la relation. Alors que le fils parlait de ne jamais passer à côté de son précepte, le père rectifie le tir en ne parlant que de relation. Voilà sa réponse au premier point de ce qui est important pour laîné : ce nest pas le précepte qui importe, mais cest ton lien avec moi.
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panta ta ema sa estin (toutes choses les miennes les tiennes est) |
Voici la deuxième chose importante pour le père : le partage total des biens, car la communion dans la relation conduit à la co-propriété de tout. Alors que la deuxième chose importante pour laîné était de recevoir sa récompense pour fêter avec ses amis, le père répond : tu nas rien à recevoir de moi, tu peux tout prendre, car tu es propriétaire de tout. Dune certaine manière, laîné na jamais compris son père, il sest fait une fause perception de lui, et en cela, il sest fait une fausse image de son identité de fils.
À travers la parabole, cest bien sûr la fausse perception de Dieu qui est dénoncée, cette perception qui habite la majorité des gens que côtoient Jésus, même ceux qui semblent les plus religieux. Luc semble avoir retouché ici et là certains éléments de la parabole, mais lessentiel provient dune source à laquelle il a eu accès, et qui comporte parfois des traits johaniques, comme ici. En effet, quand on cherche dans les évangiles certaines similitudes avec cette parole du père, on ne le trouve que chez Jean, dans la bouche de Jésus, lors de son dernier repas, dans une prière adressée à Dieu : tout ce qui est à moi est à toi (ta ema panta sa estin), et tout ce qui est à toi est à moi, et je suis glorifié en eux (Jn 17, 10). Même si la séquence nest pas parfaitement identique à cause de la place de panta, on retrouve les mêmes mots. Ainsi, ce que dit le père dans la parabole, reprend les mêmes mots de Jean parlant de la relation de Jésus avec son père. |
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v. 32 Mais il fallait fêter et se réjouir que ton frère, qui était mort, quil soit revenu à la vie, qui sétait perdu, quil ait été retrouvé." »
Littéralement : Puis célébrer (euphranthēnai) et se réjouir (charēnai) il fallait (ede), car le frère de toi (ho adelphos sou) celui-là mort (nekros) était et il est devenu vivant (ezēsen), et il avait été perdu (apolōlōs), il a été retrouvé (heurethē). |
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euphranthēnai (célébrer) |
Nous avons déjà analysé euphrainō. Il a été introduit avec la demande du père (célébrons) au serviteur après larrivée du fils (v. 23). Puis la demande du père a été exécutée au v. 24 (ils commencèrent à célébrer). Le mot est réapparu au v. 29 avec la plainte de laîné qui aurait bien aimé recevoir la même faveur (afin que je célèbre avec mes amis). Enfin, la conclusion arrive (v. 32) où on justifie la demande originelle du père au v. 23. Avec euphrainō, on complète la boucle concernant la parabole du fils cadet et du fils aîné.
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charēnai (se réjouir) |
Avec chairō, on revient à la parabole au début du berger avec ses 100 moutons (v. 5 : après lavoir trouvé, il le porte sur ses épaules en se réjouissant), et maintenant on termine avec les fils cadet. Cest une forme de conclusion où on complète la boucle sur tous les être perdus qui ont été retrouvés.
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ede (il fallait) |
Le verbe deō signifie : lier, attacher, avoir besoin de, manquer de, exiger, demander. On peut être étonné de la diversité de ses significations, mais en fait on peut voir le mouvement logique qui part du fait dêtre lié à quelque chose, et donc den avoir besoin, et ainsi quil soit nécessaire et lexiger. Cest souvent sous la forme « il faut » ou « je dois » quil apparaît. Bien répandu dans les évangiles-Actes : (Mt = 17; Mc = 12; Lc = 23; Jn = 12; Ac = 35), il fait partie de ce leitmotif créé par Marc (Le Fils de lhomme doit (deō) beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter : 8, 31) et est repris par les autres évangiles (sauf Jean qui a sa propre version : Il faut que soit élevé le Fils de lhomme : 3, 14; voir aussi 12, 34). Tous les évangélistes utilisent à leur façon ce mot, il ny a pas moyen dy voir certains traits distinctifs. Quand on considère lévangile de Luc qui emploie 23 fois ce verbe, on peut regrouper toutes ces occurrences en quatre significations importantes :
Dans la parabole, le père répond à son fils aîné quil fallait célébrer et se réjouir. Ce « fallait » provient du sens commun et de la logique elle-même de la vie : comment ne pas se réjouir et fêter quand quelquun retrouve la vie? Cest une réaction vitale spontanée et une façon dexprimer nos valeurs : la vie est meilleure que la mort. |
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ho adelphos sou (le frère de toi) |
Quand le père dit : « Ton frère », il soppose au « Ton fils » de laîné. Ce dernier niait la relation à son frère. Le père lui répond : cette relation existe toujours, car il est revenu à la vie. Ces quelques mots expriment lenjeu de toute lhumanité : accepter la relation, ou la refuser.
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nekros... ezēsen (mort... il est devenu vivant) |
Ce couple mort-vie rejoint la justification du père au v. 24 pour amorcer la célébration. Il résume non seulement la parabole du fils cadet, et peut-être celle du fils aîné si celui accepte la nouvelle perspective qui lui a montrée son père au v. 31, mais le sens même de toute existence : passer de la mort à la vie.
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apolōlōs... heurethē (il avait été perdu... il a été retrouvé) |
Ce couple perdu-retrouvé nous ramène aux deux premières paraboles où on parlait de « retrouver ce qui était perdu » (v. 4 et v. 9), puis sest poursuivit avec la parabole du fils cadet quand le père a parlé du couple perdu-retrouvé et qui se termine par une dernière mention du couple perdu-retrouvé, une forme dinclusion à lensemble des paraboles. On a ici tout le sens de laction de Jésus et celle du disciple.
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-André Gilbert, Gatineau, septembre 2016 |