1 Corinthiens 8, 1-13 comme reflet de la pratique pastorale de saint Paul
Le texte qui suit constitue un travail de recherche complété à lInstitut Catholique de Paris en 1982 pour lobtention du Diplôme supérieur détude biblique. Il vise à découvrir, à travers laction de saint Paul face aux communautés quil a fondé, les traits dun véritable pasteur. La première lettre adressée aux Corinthiens nous donne loccasion de bien analyser le pasteur quil est, car il doit gérer une série de problèmes qui se posent dans la communauté. Celui qui nous analysons ici est celui des viandes offertes aux idoles : tout comme on le voit un peu aujourdhui avec la viande kasher ou halal, la boucherie et certains banquets revêtaient à lépoque un caractère sacré, une forme de communion aux divinités de la cité, doù la question morale pour un chrétien dy participer ou non. Quand Paul écrit sa réponse, nous sommes vers lan 55 de notre ère. Sommaire On soumet à Paul une question concernant la participation des chrétiens à des banquets festifs où on consommait de la viande provenant de labattage danimaux dans le cadre de rites sacrés païens. Plusieurs chrétiens issus du milieu hellénistique ny voyaient aucun problème, puisque la connaissance apportée par la foi révélée en Jésus Christ leur montrait que les idoles, auxquelles avaient été offertes ces viandes, nexistaient pas. De plus, la participation à ces repas festifs lors de mariage ou de funérailles ou de célébration dévénements spéciaux était un geste social important. Paul leur répondra en opposant connaissance et amour, dabord sur le plan de la relation aux autres. Leur nouveau savoir sur le fait que les idoles nexistent pas les a enfermé dans une bulle abstraite qui les empêche de se rendre compte que dautres membres de la communauté ont une conscience beaucoup plus fragile queux, et que ceux-ci, en retournant dans leurs vieilles habitudes autour de ces repas sacrés qui donnaient parfois lieu à des séances de débauche, revivent leurs anciens liens et ils quittent alors la communauté chrétienne. Paul oppose également connaissance et amour dans les rapports avec Dieu. Ce nest pas la connaissance qui définit le véritable rapport avec Dieu, mais lamour : car celui qui aime témoigne de laction de Dieu en lui. Et cest cet amour quest venue révéler laction salvifique du Christ qui rejoint tout être humain là où il est, y compris dans sa situation de faiblesse. La réponse de Paul à la question posée est claire : il vaut mieux sabstenir de ces repas si cela doit occasionner la rechute de frères dans leur passé païen. Une analyse serrée de la réponse de Paul à la communauté de Corinthe nous amène à dégager cinq traits dun véritable pasteur :
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Table des matières
Introduction IntroductionLorsquon étudie saint Paul, plusieurs pistes peuvent se présenter. Certaines dentre elles nous orientent vers Paul le théologien, car elles tentent de systématiser ce quil a dit sur le Christ, lÉglise, le salut, la vie chrétienne. Il en existe pourtant dautres qui nous conduisent cette fois vers Paul le pasteur, le fondateur de communautés qui a dû par la suite veiller comme un père à leur consolidation et à leur édification, à qui on sest adressé pour résoudre un certain nombre de problèmes. Ce sont ces dernières pistes qui nous ont intéressés. Pour approfondir le visage pastoral de Paul, on ne peut recourir avec un égal bonheur aux différentes épîtres. Par exemple, si lépître aux Romains offre une synthèse magistrale de la théologie paulinienne, elle déçoit cependant celui qui chercherait à travers elle les traits dune communauté, sa situation, ses problèmes; Paul navait sans doute quune connaissance assez sommaire des chrétiens de Rome au moment denvoyer sa lettre. En revanche, les épîtres adressées aux Corinthiens sont nées de cette interaction vive et dynamique entre Paul et cette communauté quil avait lui-même fondée (Ac 18, 1-18). La situation de lÉglise, les traits de ses membres, ses problèmes transparaissent à travers les coups de plume de lapôtre. Nous pouvons alors observer le pasteur à loeuvre. Dans ses lettres aux Corinthiens Paul affronte les problèmes concrets concernant la vie de la communauté. Il doit alors non seulement faire preuve dun bon jugement pratique, mais également rappeler les valeurs fondamentales de la vie chrétienne. Dans cette première lettre aux Corinthiens1 Paul est aux prises avec plusieurs problèmes que lui soumettent les Corinthiens eux-mêmes (7, 1.25; 8, 1; 12, 1). Nous avons choisi la question des idolothytes parce quelle ne se pose plus aujourdhui; elle permet donc une analyse sereine et posée, exempte de prise de position a priori comme pourrait lêtre la question du mariage (chap. 7); elle permet entre autre une présentation des traits toujours actuels du pasteur. Comme lécrit J. Murphy-OConnor, "The specific problem is no longer of ours, yet the principles that Paul develops remain relevant to critical areas of our Christian lives"2. Notre projet est donc de dégager à travers cette question des idolothytes quelques traits de Paul comme pasteur. La démarche sarticule de manière assez simple en deux temps. Il nous faut dabord regarder le texte de près pour repérer son contexte et sa structure, situer le problème, faire le portrait des protagonistes et saisir la "pointe" de la réponse de Paul. Par la suite, nous pourrons esquisser un certain nombre de facettes de cette intervention pastorale qui seront en fait autant de qualités que lon veut retrouver encore aujourdhui chez le pasteur. Notons enfin que la bibliographie concernant lanalyse exégétique de 1 Co 8, 1-13 est assez abondante. Quand on relève dabord les articles traitant soit des v. 1-13, soit de lensemble constitué par les chap. 8-10, on constate que les exégètes se sont intéressés dune manière particulière à cette question au cours de ces dernières années. En effet, si le travail de Max Rauer date de 1923, il faut attendre les années 60, et plus particulièrement 1965, pour voir apparaître régulièrement des études consacrées à ce sujet. Depuis 1975 seulement, la bibliographie sest enrichie dune douzaine darticles. Du côté des commentaires on connaît les ouvrages classiques de Lietzmann, Weiss, Allo. Mais lannée 1965 semble marquer un regain dintérêt pour la première épître aux Corinthiens avec la parution de plusieurs commentaires ou travaux (Godet, Hurd, Thrall, Grosheide), auxquels feront suite ceux de Barrett et Conzelmann (1968), De Boor (1973), Orr-Walther (1976), et tout récemment Senft (1979). 1.0 Analyse du texte1.1 Le contexte et la structure1.11 Le contexteLa délimitation du contexte général ne pose pas beaucoup de difficultés. Paul répond aux diverses questions dune lettre que lui ont adressée les Corinthiens, et le problème des idolothytes, annoncé au tout début du chap. 8, reçoit une conclusion finale par lexhortation du v. 1 au chap. 11. Avec 11, 2 est amorcé le thème du repas chrétien. Cependant les difficultés apparaissent quand on regarde de près certains éléments de lensemble que nous venons de délimiter. Quel rôle joue exactement le chap. 9, 1-10 (Paul insiste sur ses droits auxquels il a renoncé) dans ce bloc thématique? Comment concilier lhomélie du chap. 10, 1-13 ainsi que son application pratique aux v. 14-22 (fuyez lidolâtrie) avec 8, 1-13 quelles semblent contredire? Que vient ajouter au thème des idolothytes linvitation de 9, 24-27 à la discipline personnelle? Le problème de lunité littéraire est donc posé. Nous ne voulons cependant pas débattre cette question. Notre intérêt se limite à vérifier si le texte que nous voulons analyser peut recevoir un éclairage vraiment différent selon les positions que lon adopte dans la question de lunité littéraire. Weiss, Schmithals, Goguel, Dinkler, Héring et Senft affirment que 8, 1-13 et 10, 1-22 ne faisaient pas partie à lorigine dune même lettre3. De même, selon eux 9, 24-27 renverraient à une autre lettre que celle contenant 8, 1-13. Ainsi donc, lensemble 9, 24 - 10, 22 se voit exclu du contexte de 8, 1-13. Par contre, et cela nest pas une surprise, tous unissent sans difficulté 8, 1-13 et 10, 23 - 11, 1. Enfin, selon tous ces exégètes, à lexception de Héring, le passage 9, 24 à 10, 22 aurait appartenu à une lettre antérieure à celle où lon trouve 8, 1-13: la prise de position sévère aurait précédé celle où Paul se montre plus conciliant. Comment expliquer ce revirement? Selon Senft par exemple4, Paul aurait dabord été informé du conflit selon le point de vue des Faibles que les Forts heurtaient par leur conduite, et quelque temps après il aurait reçut le point de vue des Forts. Devant cette hypothèse nous formulons deux difficultés. En premier lieu, si le point de vue de 10, 14-22 représente celui des Faibles, comment comprendre que Paul admette déjà à ce moment le fait que les idoles ne sont rien (10, 19), ce qui sera repris comme point de vue des Forts (8, 4)? En second lieu? Paul refuse en 8, 1-13 lune des prétentions des Forts, celle dinfluencer le Faible (v. 10), en limitant beaucoup sa participation aux repas sacrés: il ne dit oui quaux invitations privées (10, 27) et aux repas pris hors de la vue des Faibles (8, 9; 10, 28). La grande limite des diverses hypothèses tentant dexpliquer certains heurts de la première aux Corinthiens est de manquer de données convaincantes, et donc dêtre incapables de franchir létape de la pure conjecture. De plus, ces hypothèses napportent pas déclairage déterminant sur le mouvement de la pensée paulinienne, en tous cas pas plus que le fait certain dune composition sétendant sur une certaine période de temps. « The existing breaks, écrit Conzelmann, can be explained from the circumstances of its composition »5. De même Barrett, après avoir pris connaissance des reconstructions très différentes de Héring et Weiss, conclut non sans une pointe dhumour: « The fact that each reconstruction makes good sense is an argument against both, for they cannot both be right, and the sense that one makes, and quite possibly the sense that both make, must be due to the scholar making the reconstruction »6. Comment comprendre alors les solutions différentes proposées par 8, 1-13 et 10, 14-22? E.-B. Allo ny voit pas de contradiction mais au contraire admire chez Paul sa « stratégie habile et pleine de charité par laquelle il a préparé les Corinthiens à entendre ses décisions »7; la force de ses arguments irait « crescendo, à mesure quil a préparé les esprits à pénétrer au fond des choses »8. Pour Barrett 10, 14-22 serait une reprise de la question des idolothytes, mais avec la lumière neuve fournie par ses digressions sur la nature de lévangile pour lequel il a renoncé à ses droits (chap. 9) et sur la folie de ceux qui se croient préservés du péché et du jugement par les sacrements9 : la particule dioper (10, 14) affirme ce lien. Conzelmann se voit forcé de noter un changement de perspective: dans le premier cas il sagirait du comportement social quest lacte de manger des idolothytes, dans lautre de "nourriture". Laccent de 8, 1-13 porterait non pas sur la nourriture qui possède en soi un caractère neutre, mais sur lacte de manger, i.e. sur ce quil exprime et limpact quil produit sur les autres, tandis que 10, 14-22 abandonne la perspective des autres pour se concentrer sur la nourriture en tant quelle est communion avec les démons. Dans le premier cas la question demeure ouverte et on est renvoyé à une décision personnelle, dans le second, la question est liée au culte des idoles et ne se pose plus10. Pour notre part, il nous semble essentiel de reconnaître un changement de perspective. Au chap. 8 Paul adopte une approche plus particulièrement pastorale et met à lavant le souci des Faibles dans la communauté ainsi que les conséquences sur eux de la manière dagir des Forts, tandis que cette perspective disparaît au chap. 10 et Paul ne considère plus que le Fort et son appartenance au Christ. Il ne peut pas tout dire en même temps. Cest lhomme qui réfléchit et aborde différents aspects de la réalité11. Que lon songe par exemple que la question de la débauche a été abordée au chap. 6, v. 12-20, alors quelle était probablement liée a celle de la participation aux fêtes païennes et des idolothytes12. Ainsi donc 8, 1-13 et 10, 14-22 appartiennent à deux contextes différents tant en ce qui concerne la communauté quen ce qui concerne laspect de la fête païenne visée. 1.12 La structureUne lettre ne constitue pas un traité systématique et nimplique pas nécessairement un développement logique et rigoureux. Néanmoins, mettre en lumière une certaine structure peut avoir une valeur euristique et aider à visualiser les étapes de largumentation. Voici ce que nous proposons.Introduction: la question des idolothytes (1a) A- 1/ LE FAIT de la connaissance (1b) B- LE CONTENU de cette connaissance: -une première nuance apportée par Paul sur les idoles: -une deuxième nuance de Paul sur Dieu: C- Lexistence du Faible chez qui on ne retrouve pas cette connaissance et les conséquences pour sa conscience D- Les conséquences devant Dieu 2/ Mise en garde de Paul aux Forts Conclusion: Paul propose sa propre attitude: devant les conséquences possibles il préfère sabstenir de viande. Ce schéma appelle quelques commentaires. Pour les six premiers versets nous avons repris une distinction proposée par G.D. Fee entre le fait et le contenu de la connaissance13. Car aux v. 1b-3 Paul parle de la connaissance à quoi il oppose lamour sans expliciter le contenu qui ne sera révélé quaux v.4-6. Les v. 1b-3 sont polarisés autour de deux mots-clés: connaissance et amour. Paul montre la supériorité de lamour à la fois dans la relation aux autres, car elle édifie, et dans la relation à Dieu, car elle est le signe de linitiative bienveillante de Dieu. Aux v. 4-6 nous avons distingué trois moments. Tout dabord Paul reprend au v. 4 une affirmation des Corinthiens14. Ensuite il introduit une première nuance concernant la première partie de laffirmation, les idoles, puis une deuxième nuance concernant la deuxième partie de laffirmation, Dieu. On a montré avec suffisamment de clarté que la perspective est sotériologique et fonctionnelle, et donc corrige selon nous la perspective hors de lhistoire du v.415. Le v. 7 introduit une nouvelle donnée, lexistence des Faibles dans la communauté. Tous les commentateurs ont souligné que Paul attaque ici largument des Corinthiens exprimé au v. 1b (1b oidamen hoti pantes gnōsis echomen, 7 All ouk en pasin hē gnōsis). Nous croyons que samorce avec le v. 8 un nouveau développement. Car les v. 8-12 nous semblent commandés par la question des conséquences devant Dieu: cet ensemble commence avec brōma de hēmas ou parastēsei tō Theō et se termine avec eis Christon hamartanate (v.12). Nous traduisons parastēsei par "comparaître"16. De plus, nous optons pour une origine corinthienne de largument constitué par ce v. 817. J. Murphy-OConnor représente lun des plus récents défenseurs de cette option. Nous ne voulons pas répéter les arguments traditionnels18, mais insister premièrement sur le fait quon peut difficilement attribuer à Paul lintention de convaincre les Forts de lindifférence de la nourriture dans la relation à Dieu (« ce nest pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu », selon la traduction de la TOB), car les Corinthiens sont eux-mêmes les plus convaincus (cf. 1 Co 6, 13). Au contraire, Paul entend prendre le contre-pied de cette indifférence en montrant au v. 12 quelle peut faire périr et conduire au péché. En second lieu, linsistance chez Paul sur lindifférence à la nourriture présupposerait que les Forts attendaient quelque bénéfice spirituel de cette participation au repas païen, ce qui est tout à fait invraisemblable, puisquils affirment que les idoles ne sont rien. Ainsi, nous constatons sur le plan structural que le v. 8 introduit une perspective centrée sur la relation à Dieu et exprimée par la question du jugement, perspective qui sera poursuivie ensuite avec le danger dune chute (proskoma) pour le Faible. Dans ce cas le Fort affirmerait que la participation au repas païen ne le condamne pas, et ne met donc pas en jeu sa relation à Dieu (v. 8). Paul au contraire attirerait lattention sur le Faible qui, lui, risque de périr, et donc dêtre coupé de Dieu; par là même le Fort pèche, met en cause sa relation à Dieu. Dès lors, tout comme le v. 7 était une objection au v. 1b, ainsi les v. 9ss (blepete de) seraient une objection au v. 8 (brōma de hēmas ou parastēsei). 1.2 Le problème des idolothytesLe terme "idolothyte" était surtout utilisé dans les milieux juifs, puisque les païens parlaient de hierothyton. De quoi sagit-il? Labattage danimaux revêtait souvent dans lantiquité un caractère religieux. Une partie de la viande était consumée par le feu, et lautre partie revenait aux participants de la fête19. Ces festins pouvaient avoir lieu dans les dépendances du temple20. Ce qui restait était vendu au marché. G. Theissen, après avoir montré la rareté de la viande et son caractère de festivité, répertorie les diverses occasions qui se présentaient pour manger ainsi de la viande21. Il y avait dabord les occasions extraordinaires comme la célébration dune victoire, des funérailles, ou dun mariage à laquelle tous les citoyens pouvaient participer. Il existait ensuite des repas sacrificiels institués certains jours de lannée et auxquels pouvaient prendre part tantôt un cercle restreint de gens, tantôt tous les citoyens ou habitants dune ville. Il y avait aussi les grandes fêtes religieuses qui rassemblaient tous les citoyens. Notons enfin les repas offerts au sein dune corporation de marchands ou dartisans, dune confrérie ou encore lors dune invitation personnelle22. Ainsi les occasions de prendre part à de tels repas devaient se présenter régulièrement, au point que tout abattage danimaux en vint à être considéré, à certaines exceptions près, comme un sacrifice23. C.K. Barrett met en valeur un autre aspect de ces repas, celui de son lien traditionnel avec la débauche. Analysant les textes tirés de lApocalypse (2, 6.14.16.20. 24; 9, 20ss), de Jude (7) et de la deuxième lettre de Pierre (2, 6ss), il conclut: « If for the moment we set aside the Pauline material, it appears that the eating of eidōlothyta reprobated in the strongest possible terms, and that it was coupled with fornication »24. Cette attitude sévère a persisté dans lÉglise primitive pendant plusieurs siècles, comme on le voit reflété dans la Didachè (6, 3), chez Justin (Tryphon 34), dans les pseudoclémentines (1, 6; 3,1 ). Au 4o siècle s. Augustin doit rejeter le rapprochement fait par les manichéens entre les repas chrétiens offerts au profit des pauvres, des déshérités et des veuves avec les sacrifices païens. « Il faut reconnaître, écrit A.-G. Hamman, que les repas religieux avaient mauvaise réputation, parce quils dégénéraient souvent en beuveries et en orgies »25. Nous croyons quil ne devait pas en être autrement à Corinthe. Un indice nous est fourni sur la question de la débauche au chap. 6, 12-2026. De même lhomélie du chap. 10 nous montre un Paul associant Ex. 32, 6 et Nb 25, 9, lidolâtrie et la débauche (10, 7-8). Quelle signification pouvait prendre la participation des chrétiens à ces repas païens? Quest-ce qui les attirait dans ces temples didoles? Certains exégètes comme Allo27 ont souligné le besoin des Forts de se pavaner devant leurs frères, dafficher orgueilleusement la liberté et lautorité conférées par leur science; ils iraient donc au temple par esprit de bravade. De fait, Paul reproche souvent aux Corinthiens dêtre enflés dorgueil (4, 6.18.19; 5, 2; 8, 1; 13, 4), comme dans le cas dune inconduite notoire mentionnée au chap. 5. De plus, il est probable que le terme "édifier" du v. 10 ait été repris de la lettre des Corinthiens: ceux-ci auraient voulu faire accéder les Faibles à leur science et à leur liberté28. Mais il nous semble quune autre motivation peut-être plus forte encore a pu jouer: la signification sociale quavaient ces banquets païens. « Familien, Vereine und Städte, écrit Theissen, fanden sich hier zusammen und stellten ihre Zusammengehörigkeit" »29. On mesure ainsi limportance pour un citoyen de participer à ces fêtes pour se retrouver en famille et entre amis, pour exprimer son appartenance et son identité, pour nourrir sa vie sociale et assurer même son avancement30. Une présence à ces fêtes populaires nétait-elle pas réclamée avec une insistance particulière chez les notables? Certains de ceux-ci étaient chrétiens, comme Chrispus, Caius ou Héraste. « Mit ihnen, écrit encore Theissen, war das Problem des Verhëltnisses der Christen zur antiken Gesellschaft aufgeworfen »31. Que la question elle-même soit posée peut étonner. Car na-t-elle pas reçu une réponse à lassemblée de Jérusalem (48/49) qui demandait aux frères dorigine païenne de sabstenir des viandes des sacrifices païens, de limmoralité, du sang, des animaux étouffés (Ac 15, 29)? Selon Murphy-OConnor Paul aurait délibérément ignoré ce décret, de la même façon dont il a usé dune certaine liberté face à quelques préceptes de Jésus comme celui de vivre de lévangile (1 Co 9, 14) ou de ne pas séparer la femme de son mari (1 Co 7, 10-11)32. Si les décisions de lassemblée de Jérusalem, qui visaient à donner le statut de peuple associé aux helléno-chrétiens (Ac 15, 14), sont bien en place dans le contexte historique décrit par les Actes des Apôtres33, il sensuit que Paul a pris linitiative de militer en faveur dune autre solution face au problème des païens convertis au christianisme; cette solution fait également appartenir ceux-ci au peuple de la promesse, reflétée par Ep 2, 19 (Vous nêtes plus des étrangers, ni des émigrés, vous êtes concitoyens des saints), et dès lors les règles du Lévitique (chap. 17-19) dont se faisaient lécho des décisions de lassemblée de Jérusalem navaient plus cours et Paul devait trouver dautres bases pour trancher la question des idolothytes. Au reste, lévangélisation des incirconcis navait-elle pas été confiée à Paul? Cependant la solution proposée par lassemblée de Jérusalem devait simposer au 1ier et 2o siècle de lÉglise et prendre un caractère moral34. 1.3 Les FortsQui sont ces Forts de Corinthe?35 Sont-ils des helléno-chrétiens ou des judéo-chrétiens? Se rattachent-ils à la pensée philosophique grecque populaire, tel le stoïcisme, ou plutôt au judaïsme hellénistique tel quexprimé par Philo dAlexandrie? Nous les connaissons à travers ce que nous en dit Paul. Dans le texte que nous étudions, il ressort clairement quils privilégient la connaissance (gnōsis) (8, 1.2.4.7.10.11) et que cette connaissance leur confère une liberté (exousia) (8, 9). Considérons tour à tour ces deux réalités. Comment expliquer cette place centrale donnée à la connaissance et à la connaissance de Dieu à Corinthe? On sait limpact qua connu Bultmann en rattachant le vocabulaire corinthien au mysticisme hellénistique et en développant sa théorie sur le mouvement gnostique. On doit aujourdhui beaucoup nuancer cette position et même apporter des rectificatifs. J. Dupont nous présente dans son ouvrage Gnosis une analyse sérieuse et approfondie de la question36. Son étude le conduit à conclure que le terme gnosis na pas dans le stoïcisme de relief particulier, quil est utilisé concurremment avec dautres termes pour désigner la « science à laquelle tend la philosophie; la connaissance de Dieu ne constitue quune part de cette science et senracine dans une démarche rationnelle et intellectuelle »37. Pour obtenir une explication de limportance de la notion de gnose dans lÉglise de Corinthe ainsi que de sa portée religieuse, il faut se tourner vers le judaïsme alexandrin, car « cest là quapparaît dans le paganisme lidéal religieux dune connaissance de Dieu obtenue par révélation »38. Dupont semploie à montrer que Philon utilise ce mot en sinspirant de lÉcriture (Quod det., 142ss; cf. Nb 20, 17 et Dt 28, 14; Leg. all. 3, 126; cf. Ex 28, 26; De fuga et inv. 164-165; cf. Ex 33, 13-23)39. Quant au Livre de la Sagesse, même sil sapproprie quantité de thèmes stoïciens, il le fait en dépendance de la tradition juive40. Enfin, la gnose corinthienne apparaît orientée vers des applications pratiques; elle est connaissance de la manière sur laquelle il faut agir, et par là sharmonise mieux avec la gnose juive41. Bultmann avait auparavant remarqué que le terme gnosis avait dans lAncien Testament une signification avant tout religieuse et désignait une connaissance révélée au sage ou au juste; il traduit alors souvent lhébreu dahat 42(Cf. par exemple Pr 2, 6; Ps 94, 10 (LXX 93, 10); Ps 119, 66 (LXX 118, 66). R.A. Horsley sest fait récemment le plus ardent défenseur dune origine dans le judaïsme alexandrin des idées corinthiennes43. Pour lui, le Livre de la Sagesse et Philon enseignent que la sagesse consiste précisément dans la connaissance de Dieu (Sg 15, 2-3; Quod Deus 143)44, et cette connaissance de Dieu sexprime dans la reconnaissance de lUn (Leg. All, 3, 48.126)45. De même, la polémique contre les idoles est dorigine juive (Dt 4, 19; 29, 25; Jer 16, 19); on la retrouve dans le judaïsme hellénistique (Sg 13-15; Decal, 53-65; Vit. Cont. 3-5), La philosophie grecque avait au contraire une opinion positive des images46. Cette insistance sur le monothéisme et la vanité des idoles sexpliquerait dans le contexte missionnaire du christianisme primitif où des Gentils devenaient des prosélytes au sein dun mouvement qui devait apparaître comme une branche du judaïsme47. Nous croyons donc quil faut reconnaître lorigine avant tout juive, et plus précisément dans le judaïsme hellénistique, des notions de connaissance de Dieu et de monothéisme que lon trouve en 1 Co 8, 1-1348. Cela nétonne pas, car on retrouve dans lensemble de cette épître un vocabulaire et des idées (sage, pneumatique, psychique, petit enfant-nèpios, homme parfait-teleion, phronimos, etc) dont les meilleures comparaisons sont offertes par loeuvre de Philon dAlexandrie. Une fois reconnus ces rapprochements, que peut-on conclure? La gnose à Corinthe ainsi que lensemble des idées corinthiennes sexpliqueraient totalement, si lon en croit Horsley, par le judaïsme alexandrin dont elles seraient une partie49. Nous ne pouvons pas souscrire à une idée aussi radicale. Dune part, une telle affirmation fait mal la part de ce qui appartient en propre aux Corinthiens et de ce qui est issu de la prédication de Paul50. Dautre part, certaines idées des Corinthiens ne peuvent sexpliquer simplement par le recours à Philon dAlexandrie, comme nous le verrons pour la notion de liberté et son rapport à la gnose. Dupont, quant à lui, après avoir affirmé que limportance prise dans la communauté corinthienne par le terme gnosis se rattacherait concrètement à lactivité missionnaire survenue à Corinthe après le départ de Paul, conclut que ces Forts étaient des Judéo-chrétiens51. Mais nous ne voyons pas pourquoi il faille rattacher le judaïsme hellénistique aux Judéo-chrétiens. Les craignant Dieu ne constituaient-ils pas une partie, sinon la plus grande partie, des convertis au christianisme, et ne peuvent-ils pas expliquer la présence des idées tirées du judaïsme hellénistique (cf. Ac 18, 4.7)? Ne fréquentaient-ils pas les synagogues? De plus, le caractère social du problème des idolothytes nous conduit à présupposer que les Forts étaient bien insérés dans la vie courante, avaient des amis païens (cf. 1 Co 10, 27), ce que lon conçoit difficilement pour quelquun issu du milieu juif. Le deuxième thème associé aux Corinthiens est celui de la liberté (1 Co 6, 12; 8, 9; 10, 23). Lidée dexousia (8, 9), selon Dupont, fait partie intégrante de la définition classique de la liberté (eleutheria) dans la philosophie hellénistique52. Cet exousia est le pouvoir de faire tout ce que lon veut, sans ressentir de contrainte53. Cependant comme il nest pas permis (ou hexesti) de faire des choses mauvaises et nuisibles, mais seulement ce qui est juste, utile (sumperonta) et bon, cette liberté est possédée uniquement par le sage; son exousia est illimité, car il guide sa vie selon la raison54. Les stoïciens affirment également que « tout appartient au sage »55 (cf. 1 Co 3, 21-22; 4, 8). Cette doctrine recevra des applications diverses, dont la théorie de lindifférence morale absolue face aux satisfactions sexuelles et la possibilité de manger quoi que ce soit qui vienne dun sacrifice56. Conzelmann sappuiera sur le travail de Dupont pour affirmer que des termes comme exestin et sumpherein nont de points de comparaison que dans la philosophie cynico-stoïcienne57. Horsley répliquera à Conzelmann quon retrouve les mêmes idées chez Philon dAlexandrie, en particulier dans son traité Quod omnis probus liber, où il affirme que le sage est libre et peut faire ce quil veut (cf. 59)58. Mais cela prouve- t-il autre chose que Philon avait assimilé certaines idées des Stoïciens? Dupont conclut donc que, « dans la conception quils se font de leur liberté (exousia), les gnostiques de Corinthe sont tributaires des thèmes popularisés par la philosophie morale cynico-stoïcienne »59. Cependant Conzelmann soutient que le terme exestin (1 Co 6, 12) na pas chez les Corinthiens le sens de "cest possible" comme cest le cas chez les Stoïciens, mais le sens de "cest permis", ce qui dériverait de la doctrine paulinienne de la liberté; le stoïcisme aurait fourni le vocabulaire, non la signification que le mot prît à Corinthe60. Comment passe-t-on enfin de la connaissance à la liberté? Dupont remarque quelques parallèles dans la philosophie hellénistique, en particulier chez Épictète (4, 7, 16) où la liberté est dépendante dune connaissance des commandements divins61. Mais il doit avouer que les attestations dune connexion entre les notions de gnosis et de "liberté" sont peu nombreuses et peu caractéristiques, et quelles ne suffisent pas à établir lexistence dun thème précis qui serait de nature à éclairer 1 Co 8, 1-1362. Car « lorsquils fondent leur exousia sur leur gnosis, les Corinthiens qui mangent des viandes immolées aux idoles se réclament dune prérogative de charismatiques »63. Horsley, pour sa part, attire lattention sur certains textes de Philon dAlexandrie, en particulier Legum Allegoriae 3, 44-48, où on affirme que celui qui a reçu de Dieu la sagesse devient inébranlable; dès lors sa conscience ne peut plus rien lui reprocher (cf. Fug. 117-118; Praem. 162-163). Mais nous ne voyons pas comment cela nous rapproche davantage de la grande permissivité quaffichaient les Corinthiens? Au contraire, la valorisation de la science de Dieu chez Philon conduisait à exercer une grande maîtrise sur le plaisir charnel et les réalités terrestres (Quod Deus, 143-146). Que conclure? La position des Corinthiens ne peut sexpliquer totalement ni par la recours à la philosophie grecque ni par le recours au judaïsme hellénistique, ou pour utiliser les termes de Conzelmann, elle ne peut pas être reconstituée sur les bases offertes par lhistoire religieuse générale64. Dupont avait déjà remarqué que « la gnosis des Corinthiens apparaît essentiellement orientée vers les applications pratiques »65. Quels sont les traits de cette position? Barrett a tenté de les résumer ainsi: 1/ une gnose qui est essentiellement pratique; 2/ une gnose qui enseigne un monothéisme strict sur une base rationnelle; 3/ une gnose strictement dualiste; 4/ une gnose qui conduit à lindifférentisme moral66. Les Corinthiens ont pu utiliser de manière éclectique des idées provenant de la philosophie grecque ou du judaïsme hellénistique, ou encore des religions à mystère, car toutes ces idées étaient répandues dans le milieu cosmopolite de Corinthe. Dailleurs les chrétiens nétaient-ils pas dorigine diverse et la communauté un lieu où les idées devaient sentrechoquer? A ce sujet Collange note « quune part essentielle du temps de lassemblée devait être consacrée à des débats sur lattitude à tenir dans la multiplicité des problèmes de la vie de tous les jours »67. Malgré tout il est possible que certaines de ces idées connaîtront une évolution si bien que Conzelmann croit déceler des traces isolées de ce qui deviendra plus tard le courant gnostique; nous serions en présence dun gnosticisme statu nascendi, et les Corinthiens seraient des Proto-gnostiques68. Mais il y a plus. Il est probable que la prédication paulinienne a exercé une influence dans lattitude quon retrouve chez les Forts: ceux-ci auraient repris certaines formules de Paul auxquelles ils auraient donné une application propre. Cest probablement le cas pour la formule panta exestin (1 Co 6, 12) qui se fait lécho de la prédication de lApôtre sur la liberté malgré son vocabulaire stoïcien, et conduira au libertinage69. Cest probablement aussi le cas pour la formule monothéiste de 1 Co 8, 4. Selon Horsley Paul naurait pas employé le mot idole dans sa prédication70. Mais comment peut-on négliger certains textes comme 1 Th 1, 9? Au contraire, il semble, comme le croit Murphy-OConnor, que laffirmation de lunicité de Dieu était non seulement un élément fondamental du kérygme, mais « the opposition between the one true God and idols was a key element in Pauls preaching (1 Th 1, 9; Ga 4, 8; cf. Ac 14, 15)71. De même, le thème de lédification joue un rôle important dans sa parénèse (cf. 1 Co 8, 1; 10, 23; 14, 4.17; 1 Th 5, 11). Or, si lon se fie à lutilisation ironique du terme en 1 Co 8, 10, les Forts auraient repris cette idée pour justifier leur comportement72. Selon cette perspective, des chrétiens récemment convertis auraient assimilé la prédication paulinienne privilégiant et même biaisant certains éléments: la foi au Christ ressuscité devient un mouvement dascension spirituelle avec le rédempteur73, un mouvement confirmé par les diverses expériences spirituelles dans la communauté74, lexpérience de lEsprit devient une expérience de soi; la liberté quapporte la foi se transforme en principe spéculatif visant à libérer le pneumatique des attaches terrestres75. Qui sont donc ces Forts? Dupont croit quil faut les chercher du coté des Juifs auxquels se seraient joints des Grecs amenés à prendre position dans le débat76. Nous ne partageons pas cette opinion. Étant donné le caractère éclectique de leurs idées, la facilité avec laquelle ils glissent vers le libertinage et la dimension sociale des repas païens, il est beaucoup plus probable que les Forts étaient majoritairement des helléno-chrétiens77. 1.4 Les FaiblesQui sont ces Faibles? En quoi consiste leur faiblesse? Quel péril les guette? Telles sont les questions que nous voulons maintenant aborder. Lidentification des Faibles est habituellement liée au v.7 du chap. 8 78: allouk en pasin hē gnōsis. Tines de tē synētheia heōs arti tou eidōlou hōs eidōlothyton esthiousin, kai hē syneidēsis autōn asthenēs ousa molynetai. Il se pose tout dabord un problème de critique textuelle. Quelle est la meilleure leçon, syneitheia (habitude : ﬡ*, A, B, P, syr., cop.) ou syneidēsei (conscience : ﬡc, D, G, it)? Un consensus sest établi parmi les exégètes pour préférer la leçon syneitheia; on comprend assez facilement quun copiste ait écrit par erreur syneidēsei à la place de syneitheia, en raison de la présence de ce mot en fin de verset. Par contre, lintroduction du mot syneitheia employé une seule autre fois par Paul semble plus incertaine79. Coune a essayé de défendre la leçon syneidēsei qui serait selon lui la leçon difficilior : elle nous confronterait à deux sens différents de syneidēsis au sein dun même verset; le copiste aurait voulu aplanir la difficulté en remplaçant le premier syneidēsis par synētheia80. La thèse de Coune na pas réussi à simposer81. Il voulait fournir un appui supplémentaire à la thèse de Dupont soutenant que les Faibles ne sont pas des helléno-chrétiens, mais des Judéo-chrétiens82. Cependant la thèse de Dupont na pas besoin de bouleverser le texte reçu pour défendre son point de vue. Car le mot "habitude" (synētheia) naurait pas le sens limité de "fréquentation des idoles", mais serait plutôt « une certaine manière de considérer les idoles et leur culte »83. A cette souplesse dinterprétation du mot "habitude" Dupont joint dautres arguments: comment peut-on dire que cette habitude persiste jusquà maintenant (heōs harti), alors quil sagit de chrétiens? De plus, lattitude des Faibles manifeste une certaine peur des idoles: 10, 20 (on redoute une présence démoniaque) et 8, 7 (crainte de se souiller), ce qui pourrait caractériser un Juif craignant la contamination. En fait, le coeur de largumentation de Dupont repose sur le contexte de pureté que lon rencontre au chap. 14 et 15 de lépître aux Romains (en kyrio Iēso hoti ouden koinon; panta men kathara) (v. 14 et 20) et en 1 Co 8, 7 (molynetai)84; et lidée du "pur et de limpur" se rattacherait sans contredit à un milieu littéraire juif85. Lanalyse philologique de Dupont est sérieuse et approfondie. Nous osons cependant critiquer la façon dont il juxtapose les textes. Comment peut-on faire intervenir 1 Co 10, 20 pour décrire lattitude des Faibles, alors quil sagit de Paul présentant sa façon de voir les choses? De même, il faut distinguer le contexte des chap. 14 et 15 de Romains et celui du chap. 8 de Corinthiens qui ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas nous sommes devant une synthèse où sont rassemblés divers problèmes dont celui de la nourriture et du calendrier (cf. 14, 6), dans le deuxième cas il sagit de la fréquentation de temples didoles et de participation aux repas sacrés. Dupont le reconnaît dans un article publié plus tard: « La situation à Rome ne correspond pas exactement à celle de Corinthe. Il nest pas question didolothytes à propos des Faibles de la chrétienté romaine »86. Murphy-OConnor soutient la thèse opposée que les Faibles sont des convertis du paganisme87. Selon lui, le verbe molynein ne peut pas être invoqué pour identifier les Faibles, car Paul recourt au verbe typtein (8, 12) pour exprimer la même réalité88. À lappui de cette position nous pouvons faire remarquer que le mot molysmos en 2 Co 7, 1 a pour antonyme "sanctification" (hagiōsunis) dans le contexte des relations croyants-incroyants (v. 15), et donc revêt un sens non pas rituel, mais moral. Largument décisif qui tranche le débat se situe au niveau de ce qui pousse le Faible à agir comme le Fort: le facteur social89. Nous avons vu le rôle que jouaient les repas sacrés dans la société. Le fait que le Fort fréquentait ces repas mettait le Faible dans une position difficile devant sa famille et ses amis: comment expliquer son refus. Ce refus, le Faible ne pouvait le justifier par des convictions religieuses, puisque les idoles étaient tenues pour rien. Apparaît alors le risque dinsulter gravement parents et amis. Selon Murphy-OConnor on voit mal comment un Judéo-chrétien aurait pu connaître ce dilemme, puisque sa famille et ses amis ne fréquentaient certainement pas les lieux païens. Ainsi il conclut: « It is more probable therefore that the Weak were Gentile Christians whose intellectual conviction that there was only one God had not been fully assimilated emotionally90. Pour notre part, nous croyons que cette dimension sociale du problème constitue ce qui explique le mieux la tentation du Faible de céder devant lexemple du Fort. De plus, la crainte de Paul de voir périr le Faible se comprend très bien face à quelquun qui risque de revenir en arrière, de retomber dans lidolâtrie et dans la débauche; si ce danger guette le Fort (Ac 10, 1-22), à plus forte raison guette-t-il le Faible. Enfin, le principe monothéiste impliquant la vanité des idoles sert dargument aux Forts pour convaincre les Faibles dagir comme eux, et ainsi sert à les "édifier" (v. 10). Mais Paul doit leur rappeler que ces Faibles nont pas cette connaissance. Comment pourrait-il parler ainsi si ceux-ci étaient des Judéo-chrétiens, donc des gens ayant au centre de leur foi le monothéisme et la vanité des idoles?91 En quoi consiste leur faiblesse? Il sagirait de faiblesse de la conscience daprès 8,7 et 8, 12. Lexpression "conscience faible" fait difficulté, car on ne la retrouve pas comme telle dans la littérature grecque ou juive. Considérons dabord la notion de conscience. Absente des évangiles synoptiques, elle apparaît pour la première fois chez s. Paul, précisément dans ce chapitre 8 de la première aux Corinthiens. Sur 14 emplois dans les lettres authentiques, 8 se retrouvent dans la question des idolothytes. Dans les six autres emplois domine le vocabulaire judiciaire où la conscience a pour fonction de rendre témoignage à soi-même (Rm 2, 15; 9, 1; 1 Co 1, 12; cf. aussi Rm 13, 5), ou de juger laction dautrui, ce qui signifie pour Paul le jugement des autres sur son ministère (1 Co 4, 2; 5, 11). Philon dAlexandrie offre des parallèles très intéressants avec ses notions synonymes syneidos et elegchos qui sont à la fois témoins, juges et accusateurs (cf. Dec. 87; Quod Deus 126-134). Aussi Senft se permet de conclure que le sens paulinien du mot « est conforme à son emploi dans le judaïsme hellénistique et chez les moralistes païens de lépoque: la conscience est le témoin quil faut craindre autant que Dieu, le juge qui réprimande et avertit, linstance devant laquelle il nest ni possible de mentir ni permis de biaiser »92. Cependant lapparition soudaine du mot "conscience" chez Paul, précisément avec la question des idolothytes, rend probable lidée que ce mot fut emprunté à la communauté de Corinthe93. C.A. Pierce94 a mené une enquête approfondie sur la notion de conscience pour arriver à la conclusion quelle constitue un terme de la vie courante dans les milieux grecs et non pas un terme technique de la philosophie95 : elle se définit comme la peine ressentie devant une action à lencontre des limites de sa nature96. Cette définition ressemble à la notion de remords et expliquerait le rôle de juge et daccusateur quon attribue à la conscience. Nexpliquerait-elle pas la phrase de Paul : "blesser" (typtein) la conscience (cf. Rm 14, 15: "attrister" le frère)? Paradoxalement, lavertissement de lapôtre sous-entendrait que les Forts ont une conscience faible, puisquils néprouvent pas de remords à blesser ou à faire périr le Faible. Murphy-OConnor prenant pour acquis cette vision "douloureuse" de la conscience croit déceler aux v. 29-30 du chap. 10 la réaction des Faibles: le jugement et le blasphème décrivent laccusation des Faibles à lendroit des Forts; ils présupposeraient que ces derniers ont agi tout en ressentant comme eux les reproches de la conscience97. Quoi quil en soit, on peut supposer que les Faibles ont souffert au niveau de leur conscience, et si le débat fut tel dans la communauté de Corinthe quon ait senti le besoin de demander lavis de Paul, il faut croire que les Faibles ne furent pas totalement passifs. Comment donc interpréter alors lidée de faiblesse de la conscience? Tout comme le mot "conscience" est probablement repris par Paul de la lettre ou du milieu des Corinthiens, il est également probable que lexpression "conscience faible" ait été utilisée par les Forts98. Pour comprendre cette expression et lattitude des Forts, suggère Jewett, il faut supposer que ceux-ci identifiaient syneidēsis et nous99. Ainsi se comprendrait le rapprochement opéré entre conscience faible et absence de connaissance au v. 7: les Forts simagineraient quun esprit en possession dune connaissance juste ne ressentirait pas les remords de la conscience, et donc quune conscience faible serait un esprit qui naurait pas tiré toutes les implications pratiques de ce quil sait100. Horsley sest efforcé de trouver plusieurs textes de Philon dAlexandrie affirmant que celui qui possède la connaissance de Dieu, le sage, na rien à craindre de la part de sa conscience (cf Fug. 117-118; Leg. All, 3, 44-48)101. De même, dans les milieux grecs on reconnaissait le statut privilégié du sage qui nest troublé par rien (cf. Sénèque, De la constance du sage, 7, 2). Ainsi, le Faible nayant pas tiré les conclusions de sa foi nouvelle102, ne les ayant pas assimilées effectivement103, serait lobjet de craintes scrupuleuses104, la proie de sa conscience. Il est intéressant de remarquer que Paul ne parlera plus de conscience faible dans lépître aux Romains, mais de faiblesse de la foi, reprenant dune manière chrétienne la dimension noétique du problème. Cependant tout nest pas dit sur la faiblesse des Faibles. Les commentateurs ont fait remarquer que Paul passe doucement de la "conscience qui est faible" (v. 7 et 12) à "ceux qui sont faibles" (v. 9 et 11). Dupont a travaillé la notion de faiblesse dans lAncien Testament. Il fait observer que la racine hébraïque ksl est traduite en grec tantôt par astheneia, tantôt par skandalon105. Par exemple on lit dans Jérémie 6, 21: « Voici, je vais dresser devant ce peuple des obstacles (miksolîm) où ils trébucheront (wekâselu). Père et fils, tous ensemble, voisin et ami, ils périront (apolountai) ». Lidée dachoppement et de faiblesse sest chargée dune dimension religieuse comme le montrent plusieurs textes (cf. Is 8, 14; Ez 7, 19; Os 5, 5, etc.). Aussi Dupont peut conclure: « La notion biblique est au point de départ de la notion paulinienne »106. De fait, on peut ainsi expliquer le lien entre asthenein (v. 9 et 11), proskomma ( v . 9 ), skandalizei (v.13), apollytai (v. 11) et hamartanein (v. 12). Cependant Dupont sappuie sur cette conclusion pour évacuer la perspective grecque de 8, 1-13107. A notre avis les deux perspectives coexistent: lexpression "conscience qui est faible" est à comprendre dans le contexte des Forts de Corinthe, et lexpression "ceux qui sont faibles" dans le contexte paulinien et hébraïque. Ce point, croyons-nous, na pas été assez souligné par les commentateurs. Cela nous aide à comprendre le v. 12 qui peut paraître étrange à première vue: pourquoi cette juxtaposition de "pécher contre les frères" et "blesser sa conscience qui est faible"? Pourquoi ce deuxième membre, alors que "blesser" est beaucoup moins fort que "pécher" lié au verbe "périr" du v. 11? Naurait-il pas été plus simple décrire: En péchant ainsi contre vos frères, cest contre Christ que vous péchez? Il nous semble donc que Paul reprend au v.12, sous forme dinclusion, la double perspective sur la faiblesse : 12a reprend sa propre perspective qui est juive, exprimée au v. 9 à 11; 12b reprend la perspective des Forts de Corinthe exprimée au v. 7. Terminons avec la question: quel péril guette le Faible? Ce péril est mentionné au v. 11: apollytai. La signification du terme "périr" est claire chez Paul, elle est lantithèse du salut (cf. 1 Co 1, 18; 1 Co 2, 15); il y a ceux qui se perdent et ceux qui sont sauvés. Cest le sort de lincrédule (2 Co 4, 3-4) ou de celui qui demeure dans ses péchés (1 Co 15,18). Rm 15, 18 offre un terme synonyme: être condamné (katakekritai). II sagit donc de la perte du salut, de la rupture avec Dieu, Cest lavis de Conzelmann qui fait remarquer quil ne faut pas prendre apollytai au sens affaibli de ruine morale, mais au sens fort de damnation éternelle108. Nous manquons de données pour nous représenter la gravité de la situation du Faible. Si la damnation est liée chez Paul à lincrédulité, cela signifie-t-il que le Faible "perdait la foi"109? Simaginant sous la sphère dinfluence des dieux, perdait-il de vue la puissance de Dieu en Jésus Christ? Ou encore, retrouvant ses parents et amis païens, abandonnait-il la communauté chrétienne? Murphy-OConnor a explicité la dimension communautaire du problème, dont les indices sont fournis par une expression quon ne rencontre quici chez Paul: "pécher contre Christ" (v.12)110. Nous croyons quil a raison lorsquil lie "pécher" à faire "périr" (v.11), et donne au mot Christ le sens de "corps du Christ", représenté par la communauté (1 Co 6, 15; 12, 12). Dès lors, on peut sexpliquer pourquoi Paul passe du singulier (ce frère, v. 11) au pluriel (vos frères, v. 12): toute lÉglise est affectée par ce qui touche un seul (1 Co 6, 6; 2 Co 2, 5). Ainsi, « to destroy a brother is to destroy the community »111. 1.5 La réponse de PaulTout le chapitre 8 fait, bien sûr, partie de la réponse de Paul. Mais nous voulons dans cette section isoler les principes qui commandent largumentation et qui serviront à résoudre le problème. Ces principes sont contenus aux v. 1c-3 où intervient la dialectique: connaissance-amour. Les Forts mettent en avant la connaissance, Paul répond en leur opposant lamour tant au niveau des relations avec les autres, quau niveau des relations avec Dieu. Cette préférence donnée à lamour ne paraît pas dans le vocabulaire, puisque le terme "amour" ne se rencontre quà deux reprises (v. 1: agapē; v. 3: agapein), alors que les termes liés à la connaissance (gnōsis, ginōskein, oida) se présentent 11 fois. Cependant la solution proposée ne se comprend quen référence à lamour. "La connaissance enfle, lamour édifie" (v. 1c). Lopposition entre connaissance et amour concerne deux niveaux de réalité. Il ne sagit pas seulement de mettre en contraste une réalité dordre cognitif et une réalité dordre affectif, mais aussi de montrer comment poser correctement le problème: les Corinthiens présentent un comportement face aux idolothytes quils justifient par des arguments rationnels. Paul élargit les perspectives et reporte le centre de la question sur le frère et limpact qua sur lui le comportement des Forts112. On passe de labstrait au domaine concret113, dune question théologique à une question éthique. Quand on parle damour, on parle de relations entre individus et de situation concrète. Aussi le principe invoqué par Paul demandera dêtre prolongé par une présentation de la situation des Faibles (cf. v. 7-12). Connaissance et amour sont définis à travers deux rôles différents: lun enfle, lautre édifie. Lopposition est très marquée. Que lon songe aux deux images quévoquent physiō et oikodomeō. Le premier nous renvoie au "vent", à la "bulle dair"114. Le second vise une bâtisse, une construction. Cest lopposition entre ce qui est inefficace, sans solidité, et ce qui est fécond et durable115. Mais cest aussi et surtout lopposition entre lattitude individualiste, voire égoïste, et le souci des autres, la recherche des intérêts dune communauté. Les Forts peuvent dire: "Tous, nous possédons la connaissance", parce quils ignorent lexistence des autres. Seule lattention portée aux autres permet de prendre conscience que tous ne sont pas dans la même situation. Dans lhymne à lamour du chap. 13 on peut lire: « Lamour prend patience, lamour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne senfle pas dorgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt » (v.4-5). Cest une autre façon dexprimer le travail dédification de lamour. Dailleurs Paul utilise le verbe sympherein comme synonyme de oikodomein116. De même que la recherche dédification sert de critère dans le problème des idolothytes, de même la recherche de "ce qui convient" aux autres sert de critère au chap. 6 dans lusage que chacun fait de sa liberté. Lapôtre aura à coeur de mettre en pratique ce principe: « Ne cherchant pas mon avantage personnel (symphoron) , mais celui du plus grand nombre » (1 Co 10, 33; cf. 1 Co 7, 35; 1 Co 8, 10). Quest-ce donc qui convient au Faible et lédifie? Cest dabord prendre conscience quil existe, cest laccueillir, lui et la situation qui est la sienne: ouk en pasin è gnōsis. Ceux qui nont pas la connaissance nen possèdent pas moins des droits dans la communauté117. Lamour fait naître la solidarité envers ceux qui sont fragiles:118 « Jai partagé la faiblesse des faibles, pour gagner les faibles » (1 Co 9, 22; cf. 2 Co 11, 29). Cette tâche peut devenir lourde car il sagit « de prendre sincèrement en charge, donc de le supporter lui, avec toutes ses déficiences de caractère et ses péchés, et de porter une part de ses fardeaux pour len alléger dautant »119. Cela conduit à une attitude de patience ou lon doit sattendre les uns les autres: lamour prend patience (1 Co 13, 4; cf. Rm 6, 23). Lamour veut que le Faible vive, et non pas quil meure. Cette dialectique "édifier-détruire" est tout à fait paulinienne. Au chap. 3 de cette première lettre aux Corinthiens, après avoir présenté son apostolat comme posant les fondements de la maison de Dieu (v. 10), Paul écrit: « Si quelquun détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira » (v. 17). De même, dans sa deuxième lettre parle-t-il du pouvoir que le Seigneur lui a donné "pour édifier et non pour détruire" (13, 10). Car édifier signifie aussi solidifier. Que lon pense aux synonymes utilisés comme exhorter, encourager (1 Co 14, 3). Devant la fragilité du Faible, la communauté offrira le milieu qui le soutiendra, qui contribuera à ce quil fasse sans cesse de nouveaux progrès (1 Th 4,1 0; cf. 4, 1), qui laidera à trouver la place qui est la sienne120. Cette dialectique "édifier-détruire" vaut également pour la question des idolothytes (cf. v.10-11). La connaissance dont se vante le Fort, loin de conduire celui-ci à accueillir et soutenir le Faible, devient tentation dexercer une certaine violence sur ce dernier121 : loin de le respecter, il blesse sa conscience. La connaissance devient un moyen démancipation122, un moyen dexercer une autorité (exousia v. 9), mais en écrasant le Faible, en agrandissant le fossé qui le sépare de lui. Celui-ci, aliéné de lui-même et des normes de sa conscience, périt (v. 11). Cette destruction affecte non seulement lindividu, mais aussi la communauté. Le Fort, en éloignant les Faibles de lÉglise, en ébranlant la communauté, se coupe également delle: « si quelquun détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira » (1 Co 2, 17). Paul utilise deux fois au v. 12 le mot: péché. Il y a dune part perversion et rupture de la relation avec le frère123, et dautre part perversion et rupture de la relation avec Dieu. Lexousia du Fort, est devenu une caricature et une perversion de lamour. Pourtant le Christ exerce une seigneurie sur les hommes (Rm 14, 4), mais cet exousia senracine dans le don de sa propre vie (Rm 14, 9); un prix a été payé pour ce rachat (1 Co 6, 20; 7, 23)124. Lexousia et lédification dans le Christ ont été pervertis par le Fort (cf. v. 10 et lutilisation ironique du terme: édifier). Il peut sembler étonnant que les exigences de la véritable édification sexpriment dune manière négative: ne pas être une occasion de chute (v. 9), ne pas scandaliser (v. 13). Car limage de lédification est aussi associée à limage de la croissance125. Or que demande Paul aux Forts? Sabstenir dutiliser leurs droits, limiter leur liberté, ne pas troubler la conscience des Faibles. Comment cela contribue-t-il à édifier ces derniers, à les faire grandir? Murphy-OConnor suggère lidée que la conscience ne peut être contrainte, même par son possesseur, à changer, quelle ne peut être éduquée par une injection de science126. Les réactions instinctives ne peuvent être vaincues de manière directe, mais seulement de manière indirecte comme conséquence dune lente croissance vers la maturité chrétienne où le converti prend possession graduellement de son nouveau mode dêtre127. Paul sest contenté damorcer le processus dédification, den présenter la première étape, alors que lamour se fait souci respectueux du Faible. À notre avis, une telle attitude correspond à celui qui se dit père de la communauté de Corinthe. Na-t-il pas écrit sur sa façon de procéder: « Cest du lait que je vous ai fait boire, non de la nourriture solide : vous ne lauriez pas supportée » (1 Co 3, 2). Dès lors, pour utiliser les mots de Spicq, « labstention est considérée comme un bien moral (kalon) »128. Et la croissance nest pas niée, mais elle est conçue dans le temps avec un certain nombre détapes. De plus, elle se fait en Église, car cest le rôle de cette dernière dêtre communauté de formation129. De même, la liberté nest pas niée. Bien sûr, Paul refuse une liberté absolue conçue à la manière stoïcienne130 où laccent est mis sur la maîtrise de soi, lautonomie complète, la distance face aux opinions des autres et laffranchissement de ses propres passions. Cette liberté repose fondamentalement sur leffort personnel131. Par contre, la liberté paulinienne est dabord un don, et elle est constituée avant tout par laffranchissement du péché (Rm 6, 17-18), pour rendre lhomme capable de pratiquer la justice; elle est liberté pour le bien132. Les Corinthiens menaçaient cette liberté dune double façon. Dune part, leur "tout est permis" les conduisait à retomber dans lesclavage (6, 12). Dautre part, en ébranlant la communauté, ils ébranlaient le lieu même de la liberté. Murphy-OConnor soutient que chez Paul lhomme est libéré du péché quant il appartient à cette communauté eschatologique où le péché na plus de prise, cette communauté qui larrache à un environnement mauvais133. Par linauthenticité dun seul « les tentacules du Péché peuvent sinsinuer en des lieux pourtant protégés contre son influence »134. En éloignant le Faible de la communauté, le Fort le livrait à Satan (cf. 1 Co 5, 5). Au terme, il en arrive à détruire la liberté135. Ainsi lamour, en formant la communauté et en constituant ce qui lunit, devient la norme suprême. Cest lamour qui rend libre pour lautre et garde lhomme délié même sil se fait "esclave" du frère et de Dieu (Rm 6, 18. 22)136. Cest lamour qui critique la liberté, quand celle-ci suscite un agir "non profitable"137, et peut la limiter138. Lamour devient ce qui opère un jugement moral139, ou pour utiliser les termes de Spicq, il fournit à la prudence ses lumières140. Nous connaissons limportance du mot "discerner" (dokimazein) chez Paul par lequel il invite ses lecteurs à repérer lessentiel ou la volonté de Dieu (Rm 2, 17; 12, 2; 14, 22). Ainsi écrit-il aux Philippiens : « Que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et en parfaite sensibilité pour discerner ce qui convient le mieux » (1, 9-10). Lamour permet de discerner les vraies valeurs et constitue un principe de choix moral141. « Si quelquun simagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faudrait. Mais si quelquun aime Dieu, il est connu de lui » (v. 2-3). Après la relation au frère (v. 1c) vient maintenant la relation à Dieu142. Paul va également critiquer ici lattitude des Forts. Tout dabord, il oppose deux façons de connaître exprimées par le temps des verbes: le parfait (egnōkenai) et laoriste (egnō et gnōnai). Dans le premier cas on a lidée de quelque chose dachevé et de définitif, dans lautre lidée dune action indéterminée, devant se poursuivre sans que la durée soit précisée143. Dans un cas on a une relation à lobjet, figée dans le passé, dans lautre elle est dynamique. En fait, Paul soppose à un type dattitude face à Dieu manifestée par les Corinthiens : ceux-ci simaginent quen ayant acquis une conception de Dieu, en possédant des idées sur lui, ils ont acquis lattitude juste144. On retrouve ici le même comportement affiché en présence des frères : la tentative dune appropriation égocentrique145. Paul réagit en affirmant: « Mais si quelquun aime Dieu, il est connu de lui ». Cette réaction comporte deux volets. Dune part, il précise que cest lamour et non la connaissance qui spécifie la relation juste avec Dieu, tout comme cest lamour et non la connaissance qui spécifie la relation juste avec le frère. Dautre part, il renverse les perspectives et passe de la connaissance de Dieu dont se vantaient les Forts au fait dêtre connu de Dieu (cf. 1 Co 13, 12; Ga 4, 9). À première vue lexpression paulinienne paraît étrange et les commentateurs ont senti le besoin dapporter des éclaircissements. On la rapproche des motifs religieux dans le milieu grec et surtout de la notion hébraïque yd dans son contexte religieux (Ex 33, 12.17; Am 3, 2; Jer 1, 5, etc.)146. Dupont conclut pourtant son analyse de yd en affirmant quil na pas le sens technique délection divine en faveur de ceux qui sont connus, mais celui de faire lobjet de la bienveillante sollicitude de Dieu auquel se joint lidée dune appartenance particulière147. Quoi quil en soit, il sagit de toute façon de linitiative première et gratuite de Dieu en faveur de lhomme, une initiative qui se situe dans lhistoire. Si quelquun aime Dieu, cest là le signe dune oeuvre accomplie par Dieu148. En insistant ainsi sur lintervention de Dieu dans lhistoire, Paul rappelle le kérygme. En soulignant la gratuité de ce don, il repousse la tentation de sappuyer sur ses connaissances acquises pour le salut. Dailleurs nous savons que pour lui « lamour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par lEsprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Nous comprenons maintenant la "pointe" de lintervention de Paul devant le problème des idolothytes. Il ne répond ni par oui ni par non à la question posée, mais il replace celle-ci dans le contexte qui doit être le sien pour un chrétien : ce contexte tient compte du frère et des conséquences sur lui de la liberté du Fort. Cest à lintérieur dun contexte communautaire semblable quon jugera également la valeur de lexercice de certains charismes comme celui de parler en langues et de prophétiser (1 Co 14) : cela édifie-t-il? Un tel contexte ne peut exister que si lamour existe. Le Fort aura lui-même à déterminer quand il est bien de manger ces viandes sacrifiées aux idoles, et quand cest mal. Par les choix quil fera, il exprimera où il en est dans lamour du frère et de la communauté. Au lieu de dire : tout est permis, il pourra faire sienne cette phrase de saint Augustin: Aime, et fais ce que tu veux. 2.0 Les traits de la pratique pastorale de PaulNous avons analysé les thèmes dominants de la réponse à la question des idolothytes. Tentons maintenant de considérer ce que cette réponse et la façon dont elle est proposée révèlent de la pratique pastorale de Paul. À travers les caractéristiques de son intervention nous arrivons à dégager les traits dun véritable pasteur. Ces traits sont regroupés autour de cinq thèmes : lhomme attentif à la dimension concrète et historique de lexistence, lhomme de la communauté, lhomme de lenseignement, lhomme centré sur lenjeu quest le salut et la vérité de lÉvangile, lhomme qui se propose comme modèle. 2.1 Lhomme attentif à la dimension concrète et historique de lexistenceSous ce titre un peu énigmatique, nous voulons éclairer deux directions de leffort de Paul, celui de faire ressortir la dimension subjective du problème, et celui douvrir les yeux des Forts aux conséquences de leur action. Le pasteur de Corinthe na pas voulu laisser ses auditeurs à leur vérité abstraite, mais il leur fait prendre conscience de la dimension subjective du problème. Cette vérité abstraite est formulée au v. 4: il ny a aucune idole dans le monde et il ny a dautre dieu que le dieu unique. Que fait Paul? Il répond dabord: « Bien quil y ait de prétendus dieux au ciel et sur la terre - et il y a de fait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs »(v. 5). Ainsi, les dieux existent dans la mesure où certaines personnes croient en eux. Le terme kurioi souligne le rôle quexercent ces nombreux dieux vis-à-vis des hommes. Il exprime lacclamation provenant dun certain nombre dhommes qui se soumettent à leur puissance149. Les Forts, en se situant uniquement au niveau dune vérité objective, faisaient abstraction de ce fait humain. Par son intervention Paul les ramène à la dimension subjective de la question et, à ce niveau, prime non pas la logique et les vérités abstraites, mais ce que croient de fait les gens150; il ne peut confondre théorie et réalité151. En introduisant au v. 6 son acclamation baptismale avec all hēmin, Paul poursuit son approche subjective152. Il met en opposition deux groupes de gens ayant leurs convictions religieuses propres: eux (v. 5) et nous (v. 6). Cela montre lenracinement de la foi dans une décision personnelle, un choix existentiel, et ce choix peut varier selon les individus153. Il ne sagit pas de laffirmation dun fait brut, mais dune acclamation qui confesse lengagement et lorientation dune vie. Le refus de la logique abstraite au profit de lattention aux personnes se remarque encore au v. 7: « Mais tous nont pas la connaissance ». La situation concrète simpose brutalement et ne suit pas nécessairement la voie de la raison. Le souci pastoral de Paul lamène à tenir compte de ce qui peut faire figure dexception. Il ne rejette pas le contenu de laffirmation des Forts, mais oriente leur attention sur la vie quotidienne154. Selon Murphy-OConnor les Forts présupposaient que le monde subjectif de tous les croyants était le même parce que tous adhéraient à la même vérité objective, alors quen fait les Faibles navaient pas encore eu le temps dassimiler sur le plan de leurs sentiments ce quils avaient accueilli sur le plan intellectuel155. Il nous semble difficile de déterminer ce qui relève de la sensibilité et ce qui relève de lintelligence dans lattitude des Faibles. Le fait demeure cependant que celle-ci est attribuée à une longue habitude des idoles (heos arti). Ces réflexes face aux idoles ont pénétré sans aucun doute au plus profond de la sensibilité, si bien que la conscience en est encore affectée (molynein, typtein)156, Paul donne une place à cette dimension affective du problème. Il accepte le fait que ladhésion au même Évangile nentraîne pas pour tous le même comportement (cf Rm 14, 2: « La foi de lun lui permet de manger de tout, tandis que lautre par faiblesse, ne mange que des légumes »). Daprès Senft, « les circonstances corinthiennes ont conduit Paul à une découverte importante: la contingence des injonctions de la conscience»157. De fait, lapôtre se porte à la défense de ces Faibles affligés par une conscience scrupuleuse, tout en reconnaissant que la fréquentation des temples païens nest pas en soi péché : le péché consiste pour le Fort à amener le Faible à agir contre sa conscience; pour le Faible il consiste à manger des viandes sacrifiées aux idoles, alors que sa conscience le lui interdit (v. 11; cf. Rm 14, 23). Peut-on affirmer davantage le fait que la conscience, la vie morale, le comportement issu de la foi, sinsèrent dans un contexte particulier, quils portent nécessairement la marque dune histoire collective et individuelle? Cette caractéristique de la réponse de Paul se manifeste également aux v. 9-11, alors quil ne parle pas de conscience faible, mais de la conscience de celui qui est faible, ou encore parle simplement de Faibles. On perçoit aisément le changement daccent. Lexpression "conscience faible" désigne une réalité abstraite, et devait peut-être se retrouver dans la bouche des Forts. Par contre, lexpression utilisée par Paul met au centre la personne, car cest bien elle qui est lenjeu : « In a series of carefully calculated steps, écrit Murphy-OConnor, he has shifted the emphasis from an abstract interpersonal weak conscience to a highly concrete weak brother who possesses a conscience »158. Au v. 28 du chap. 10 on aurait le même procédé : Paul insère lexpression "celui qui vous a averti" à coté du mot "conscience" utilisé par les Corinthiens pour bien faire sentir que cest la personne qui compte159. Lattention de Paul, comme pasteur, à laspect concret et historique de la vie ne lamène pas seulement à mettre en valeur la dimension subjective des convictions religieuses et de la conscience, mais aussi à prêter une grande attention aux conséquences réelles du comportement des Forts et à les intégrer dans lappréciation morale: « Mais prenez garde que cette liberté même, qui est la votre, ne devienne une occasion de chute pour les Faibles ». Cette attention aux conséquences de la liberté démarque Paul de la position des philosophes grecs160. Ceux-ci la définissaient comme la possibilité de vivre comme on lentend161. Paul ne propose pas ici une définition de la liberté, mais lui donne un cadre historique, et par là, la limite. Car les Forts, en basant leur conduite uniquement sur laffirmation monothéiste et ses conséquences logiques, proposaient une liberté hors du temps et de lespace, hors de toute situation concrète. Paul naffirme pas que fréquenter le temple païen affecte le Fort, ce qui serait pour lui un péché, mais il montre les répercussions possibles de leur conduite sur le Faible et sur la façon dont celui-ci interprète cette liberté (v. 10: « ce spectacle édifiant ne poussera-t-il pas celui dont la conscience est faible... »)162. Et ces répercussions ne se déduisent pas abstraitement, mais sont liées à lhistoire des individus et des communautés. Nous comprenons ainsi pourquoi Paul privilégia dans sa réponse lamour aux dépens de la connaissance. Sur le plan de la connaissance, il ne pouvait que donner en partie raison aux Forts. Seul lamour permet de quitter des vérités abstraites pour devenir sensible à la dimension subjective du problème. La connaissance nest pas niée, mais intégrée dans un contexte plus large. Cest là lun des accents de leffort pastoral163. 2.2 Lhomme de la communautéPar définition le pasteur est responsable dune communauté. Paul, nous le savons, fut à lorigine de plusieurs Églises, dont celle de Corinthe. Même sil préférait quitter une Église bien établie, où les dirigeants étaient choisis (cf. 1 Th 5, 12-13), et partir vers dautres milieux pour annoncer Jésus Christ là où il ne létait pas encore (cf. Rm 15, 20), il a poursuivi par lettres son travail de consolidation auprès de ces Églises quil avait fondées. Lhomme de la communauté se révèle de multiples façons dans le passage que nous étudions. Quand Paul dit au v. 2 que lamour édifie, il pose le principe qui constitue la communauté. Collange avait déjà noté que « lamour paulinien est avant tout communautaire »164; quand lapôtre parle damour - souvent sans en préciser les destinataires - le contexte indique quil sagit de ce lien parfait (ho sundesmos tes teleiotètos : Col 3, 14) qui unit les communautés chrétiennes165 (Rm 12, 9; 2 Co 6, 6; 1 Co 13, 1.2.3.4.8.13; 14, 1; 16, 14; 1 Co 8, 7.8.24; Ga 5, 6.22; Ph 1, 9.16; 2, 1.2; 1 Th 1, 3; 5, 8; Phm 9; Col 1, 8; 2, 2; 3, 14). Même si lamour chez Paul sétend aussi à lensemble des hommes (eis pantas, 1 Th 3, 12), nous sentons bien que son souci concerne dabord la communauté où la réciprocité dans lamour peut exister. A ce sujet les chap. 12 et 13 de lépître aux Romains offrent un exemple intéressant. En 12, 3-16 lexhortation concerne surtout les rapports fraternels dans la communauté et lamour y joue un rôle central : « Que lamour fraternel vous lie dune mutuelle affection » (v. 10; cf. v. 7). Par contre 12, 17-21 concerne les rapports avec tous les hommes, et à ce moment cest "faire le bien" qui joue un rôle-clé. Ce rapport avec tous les hommes se poursuit avec 13, 1-7 où il sagit dobéir à lautorité civile et de lui rendre ce qui lui est dû. Mais 13, 8-10 reprend le thème des relations fraternelles, de même que celui de lamour mutuel. Ainsi Paul réserve la plupart du temps le thème de lamour aux rapports communautaires. Cette référence à la communauté ne vient pas seulement du terme "amour", mais aussi de lactivité qui lui est attribuée: édifier (v. 1c). En effet, lobjet de cette édification est lÉglise (cf. 1 Co 14, 12). Le mot véhicule limage dun édifice. Paul utilise cette image pour désigner entre autres la communauté de Corinthe (1 Co 3, 1); il sagit, bien sûr, dun édifice spirituel (1 Co 3, 16); cet édifice est essentiellement loeuvre de Dieu (1 Co 3, 9). Mais cette tâche dédification saccomplit à travers le travail des hommes. Elle dénote dabord lactivité de lapôtre lui-même (2 Co 10, 8; 13, 10; 12,19166. Les membres de la communauté y sont également associés (1 Th 5, 11). Cette tâche est tellement importante quelle devient un critère dappréciation de lagir chrétien : cest le cas dans le problème du "parler en langues" (1 Co 14, 4.17) comme dans la question de lusage de la liberté face aux idolothytes (8, 9-10). Il est un peu paradoxal que dans le premier cas cest lintelligence (nous) qui édifie (1 Co 14, 15), dans lautre lamour (1 Co 8, 1). Mais en fait dans le premier cas le souci communautaire conduit à instruire les autres (katèchèsô: 1 Co 14, 19), dans lautre à se rendre solidaire des plus Faibles (cf. 1 Co 9, 22; 2 Co 11, 29; 1 Th 5, 14). Murphy-OConnor a développé lhypothèse que 1 Co 8, 6 constitue la reprise par Paul dune acclamation baptismale167. En effet, le v. 6 relève comme 1 Tm 2, 5 dun genre littéraire précis, celui de lacclamation168. Lacclamation se présente habituellement en face dun acte de puissance de Dieu, comme on le remarque dans lacclamation devant Sérapis169. Pour le chrétien lacte de puissance de Dieu est expérimenté de manière privilégiée au baptême, car il passe de la mort à la vie170. Que fait donc Paul? Si lhypothèse de Murphy-OConnor est juste, lapôtre mentionnerait une acclamation baptismale pour rappeler aux Forts ce moment où ils sont entrés dans une communauté de frères; leur baptême les a intégrés à un tout organique quest le corps du Christ171. Cette dimension communautaire est aussi mentionnée par la double utilisation du mot "frère" (v. 11-12) et par lexpression : pécher contre Christ (v. 12). En faisant périr le Faible, le Fort porte atteinte au corps du Christ qui est lÉglise: il détruit loeuvre de Dieu (cf Rm 14, 20). Certains Faibles risquaient peut-être de quitter la communauté chrétienne. Lintervention de Paul comme pasteur veut sauvegarder lintégrité du troupeau. Pour lui même les Faibles ont leur place. Na-t-il pas écrit, quoique dans un autre contexte: « Même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires, et ceux que nous tenons pour les moins honorables, cest à eux que nous faisons le plus dhonneur » (1 Co 12, 22-23). Nous croyons possible que le v. 8 reflète la position des Corinthiens : « Ce nest pas un aliment qui nous fera comparaître devant Dieu; si nous nen mangeons pas nous ne sommes pas dans labondance, si nous en mangeons nous ne sommes privés de rien » (selon la leçon A2 et 17)172. En dautres mots, selon cette hypothèse, les Forts constatent que la consommation des idolothytes ne les prive en rien des dons spirituels173, et donc nimplique aucun jugement de la part de Dieu. Si cette hypothèse est juste, Paul déplace les perspectives en quittant le rapport "moi-Dieu" (v. 8) du Fort pour proposer celui "moi-le corps du Christ" (v. 12) quest lÉglise. Face aux idolothytes la vraie question nest pas : est-ce que mon action nentraîne aucune condamnation de la part de Dieu?, mais plutôt : est-ce que mon action peut être cause de chute pour les autres, est-ce quelle brise la communauté? Cest donc comme pasteur dune communauté que Paul a abordé la question des idolothytes. II a voulu que chacun assume aussi ce souci de la communauté. 2.3 Lhomme de lenseignementLes Corinthiens ont posé une question dordre éthique. La réponse qui sétend sur 13 versets nndique pas simplement le comportement à suivre, mais présente un enseignement qui rappelle lessentiel de la foi chrétienne et sert dhorizon à léthique. On reconnaît couramment que les exhortations pauliniennes sont issues de sa présentation du kérygme et peuvent prendre cette forme-ci : Deviens ce que tu es. « The imperative, écrit R. Bultmann, walk according to the Spirit, not only does not contradict the indicative of justification (the believer is rightwised) but results from it »174. On peut ne pas remarquer immédiatement que Paul rappelle le kérygme chrétien en 1 Co 3, 1-13. Nous avons souligné le fait quil reprenait plusieurs affirmations des Corinthiens avec lesquelles il semblait daccord. Mais il est arrivé souvent à lapôtre de louer la foi et lamour de ses lecteurs dans un premier temps (cf. 1 Th 1, 3.7; 2, 13; 3, 6), dadmirer la richesse de leurs dons (cf. 1 Co 1, 5), puis de suggérer finement dans un deuxième temps quils doivent faire de nouveaux progrès (1 Th 4, 10.13), quils ont encore beaucoup à recevoir (cf. 1 Co 4, 8). Notre passage ne fait pas exception à la règle. Dune part, le pasteur des Corinthiens assume lune de leurs affirmations: « Tous, cest entendu, nous possédons la connaissance » (v. 1). Mais dautre part, il apporte aussitôt une rectification: « Si quelquun simagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore (oupô) comme il faudrait connaître (v. 2). Il existe un "pas encore". « Their illusion of having reached the goal, écrit Conzelmann, is destroyed, as in 4, 8, but with new arguments »175. Comment cet enseignement est-il complété? Nous avons eu loccasion danalyser le v. 3 (cf. section 1.5). Paul apporte un premier correctif à la position des Forts en affirmant que lattitude juste dans la relation à Dieu nest pas la possession dune connaissance sur lui, mais une vie damour. Il va plus loin et précise que cet amour est un don, quil résulte de la bienveillance de Dieu. Ainsi les Forts se vantent de leur situation privilégiée procurée par leur connaissance, mais Paul renverse les perspective et rappelle une constante du témoignage de lÉcriture et de sa propre prédication : cette relation à Dieu est un don gratuit: « Qui te distingue en effet? Quas-tu que tu naies reçu? Et si tu las reçu, pourquoi ten enorgueillir comme si tu ne lavis pas reçu? » (1 Co 4, 7). Selon le même procédé lapôtre reprend au v. 5 une affirmation des Corinthiens pour aussitôt en ajouter dautres qui la complètent, même sil ne parle pas explicitement daffirmation déficiente : la conjonction gar (car) qui prolonge le v. 4 ne doit pas nous tromper. Le v. 5 apporte une première nuance tirée de la vie concrète à Corinthe et dans le monde païen. Mais cest au v. 6 que Paul rappelle le coeur du kérygme chrétien et rectifie le plus les perspectives. Nous devons nous y arrêter. On reconnaît généralement aujourdhui quil sagit dune formule pré-paulinienne176. Mais la discussion se poursuit sur le contexte dans lequel Paul la situe et dans lequel il faut linterpréter. Plusieurs exégètes ont entrepris de démontrer que ce contexte est sotériologique et non pas cosmologique. On ne sentend pas toujours sur la part à attribuer aux deux perspectives. Pour Conzelmann, par exemple, « the soteriological significance is not contained in a direct statement, but is expressed indirectly by the confessional style and the hint that revelation is new creation »177. Selon lui, la dimension sotériologique se devine surtout à travers lexpression "mais pour nous" (all hēmin) qui amorce une confession de foi chrétienne; les expressions "ta panta" tirées du panthéisme, "Père", présentant Dieu comme créateur, et "dia ou" présupposant la préexistence du Christ et employant une christologie du type logos-eikōn-sophia nous situent dans une dimension cosmologique. Feuillet fait coexister à part égale les deux perspectives, si bien quil peut écrire : « La version que nous proposons fait également du Christ un médiateur dans lordre du salut : non seulement tout a été créé par lui, mais cest en passant par lui que les chrétiens vont à la rencontre du Père »178. Cet auteur sent très bien que le "nous" (hēmeis eis auton, hēmeis diautou) désigne lensemble des croyants, et nous renvoie donc à lhistoire du salut. Mais Giblin179 et Murphy-OConnor180 vont plus loin en affirmant que, si lexpression ta panta plonge ses racines dans le panthéisme stoïcien, elle revêt dans le contexte de 1 Co 8, 1-13 une signification sotériologique. Ce dernier cite les diverses utilisations chez Paul de ta panta (1 Co 2, 10-15; 12, 4-6; 1 Co 4, 14-15; 5, 18; Rm 8, 28.31-32) qui sont les plus rapprochées dans le temps de 1 Co 8, 6 et note que leur signification est sotériologique (ex. en Rm 8, 31-32: « Lui (Dieu) qui na pas épargné son propre Fils mais la livré pour nous tous, comment avec son Fils, ne nous donnera-t-il pas tout (ta panta)? » Ainsi « in both the panta which are ek tou Theou and dia Christou are the realities which found and maintain that new mode of existence »181. Plutôt que de voir deux perspectives juxtaposées, Murphy-OConnor croit que nous sommes devant un seul mouvement dont le point de départ est marqué par ek, le point darrivée par eis, et lendroit où il passe par dia; et ce mouvement reçoit la signification de son terme : la nouvelle création182. Giblin fut le premier à interpréter ce texte dans le cadre des v. 7-13 où Paul insiste sur lamour et la mort du Christ pour le frère, si bien que ta panta "would seem at least to comprise Gods gracious gifts to the community, among which, of course, is the gift of gnōsis (cf. 1 Co 1, 5) »183. Dès lors, tenant compte de ce contexte, on peut affirmer que « Paul himself decidedly subordinates the notions of creating and mediating creative activity to that of interpersonal relationships, notably among a plurality of believers »184. Il faut aussi situer ce verset dans le contexte plus large des écrits pauliniens, par exemple ce texte de 2 Co 5, 15.19 : « Et il est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes... Si quelquun est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici quune réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu (ta de panta ek tou Theou) qui nous a réconciliés avec lui par (dia) le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Dans cette perspective nous comprenons comment la formule du v. 6 a pu servir à exhorter les Forts à enraciner leur vie dans lamour de ce frère pour lequel Christ est mort. Quenseigne donc Paul en utilisant cette formule du v. 6? En premier lieu, il rappelle la dimension historique de la foi chrétienne : ce que savent les Forts ne provient pas de leurs spéculations philosophiques, mais de la révélation de Dieu; "pour nous" les croyants, "toutes choses" viennent de Dieu "par" (dia) Jésus Christ. En deuxième lieu, cette révélation concerne notre situation de sauvés, cette création nouvelle, qui nous permet daller vers Dieu (eis auton) par Jésus Christ (dia autou). En troisième lieu, on souligne le rôle historique du Christ, et donc de la croix, comme léclairera la suite, quand Paul écrira: "ce frère, pour lequel Christ est mort" (v. 11). En quatrième lieu, le Père et le Fils exercent des fonctions différentes mais coordonnées au sein dun même projet de salut. Ainsi, Paul donne sa propre compréhension, plus profonde, du monothéisme chrétien; celui-ci affirme laction historique de personnes différentes en vue dun unique projet de salut en faveur des croyants. Face à la formule par trop théiste des Forts, lapôtre parle du Christ, et de sa médiation historique qui prendra le visage dune croix. Cette christologisation des perspectives se remarque aussi par la suite, quand on passe de laffirmation du v. 8 que nous avons attribuée aux Forts (ce nest pas un aliment qui nous fera comparaître devant Dieu) à la remarque de Paul au v. 12 (vous péchez contre Christ). Face à linsistance des Forts sur la connaissance, Paul parle du don du salut qui recrée et nous fait marcher vers Dieu. Il sagissait de régler un problème particulier, de donner un avis sur un comportement pratique, et, comme le note Conzelmann, « it is with the doctrinal teachings that Pauls criticism begins »185. 2.4 Lhomme centré sur lenjeu quest le salut et la vérité de lÉvangilePourquoi Paul a-t-il pris position en faveur du Faible? Nous avons déjà abordé la question du péril qui le menaçait: celui-ci risquait de perdre le salut en quittant la communauté, en retournant à la pratique de lidolâtrie, en devenant incroyant. Dès lors Christ serait mort en vain pour lui. Il ne sagit pas simplement de gens choqués par lexemple des autres, ou encore de heurts entre groupes différents qui se jugent ou se méprisent (Rm 14,1-12). Mais Paul sémeut devant une question de vie ou de mort pour des individus et une communauté. Ne peut-on pas sétonner de la façon dintervenir de Paul? Pourquoi nessaie-t-il pas de libérer les Faibles de leurs scrupules, mais préfère-t-il au contraire limiter la liberté des Forts? Ne se trouve-t-il pas à refuser une liberté conférée par lÉvangile, et en cela ne contredit-il pas son attitude dans la question galate où il défend la liberté: « À ces gens-là, écrit-il, nous ne nous sommes pas soumis, mené pour une question momentanée, afin que la vérité de lÉvangile fut maintenue pour nous » (Ga 2, 5). Il est tout dabord important de remarquer que dans la question des idolothytes Paul ne nie pas lexistence dune liberté : ces viandes sont en elles-mêmes moralement neutres (cf. 10, 25-27) et peuvent être mangées. Cest en raison même de cette possibilité que la question est née. Pour un Juif non libéré de la loi, ou encore pour un chrétien suivant les décisions de lassemblée de Jérusalem, cette possibilité nexistait pas. Quand Paul suggère sa propre conduite dans la circonstance (8, 13) et parle ensuite de ses droits auxquels il a renoncé, il entend bien présenter cette renonciation comme un acte de liberté au service du frère et du Christ186. Mais il y a plus. Lépître aux Galates constitue un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté conférée par lÉvangile. Mais de quelle liberté sagit-il? Aux Galates qui veulent se soumettre à la pratique de la loi et acceptent la circoncision sous linfluence de "faux frères", Paul les exhorte ainsi: « Cest pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sous le joug de lesclavage » (Ga 5, 1). Celui qui a mis sa foi en Christ nest plus soumis à la loi. Il existe comme une incompatibilité entre le régime de la loi et celui de la foi (Ga 3, 12), si bien que celui qui se fait circoncire a rompu avec le Christ (5, 4); la mort de celui-ci ne sert à rien. Pour lapôtre, le non-Juif qui se soumet à la loi proclame quil a besoin de la loi pour être justifié, et ainsi contredit lÉvangile de la justification par le Christ (Ga 5, 5). Cest le coeur du témoignage chrétien qui est en jeu. On comprend la réaction de lapôtre qui défend cette liberté face à la loi; nier cette liberté, cétait nier lÉvangile187. Mais tel nest pas le cas dans la question des idolothytes : restreindre la liberté que se donnaient les Forts naffectait pas la vérité de lÉvangile. « As a personal right, écrit Bultmann, it (la liberté) would no longer be Christian freedom but a legal claim »188. Pour Murphy-OConnor lerreur fondamentale des Corinthiens était de confondre la "liberté de" conférée par la foi au Christ, et la "liberté pour", et de transférer le caractère absolu du premier sur le second en proclamant: "Tout est permis"189. En effet, celui qui croit en Christ est libéré des contraintes de la loi. On comprend que les règles du Lévitique (chap. 17-19), qui pouvaient être utilisées en tant que normes dans la question des idolothytes comme ce fut le cas à lassemblée de Jérusalem, nont plus de valeur. Il en est de même de la conscience dautrui à laquelle je nai pas à me soumettre (1 Co 10, 29). Quels seront alors les points de repère éthiques? « Ne vous conformez pas au monde présent, écrit Paul aux Romains, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait (12, 2) »190. Cette recherche de la volonté de Dieu pouvait être lobjet de rencontres régulières dans lÉglise de Corinthe et a probablement conduit à poser à son fondateur la question des idolothytes. Cette volonté de Dieu, même si elle ne peut être déterminée a priori, comporte du moins une direction: « Vous, frères, cest à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair! Mais, par lamour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 13-14). Paul fera intervenir cette règle de lamour dans la question des idolothytes. Ainsi, le chrétien est vraiment libéré de la loi, mais pourtant cette liberté et la fidélité à lEsprit le conduisent à se soumettre à la loi de lamour. Lapôtre semble aimer le paradoxe. Il utilise le mot "loi" en un sens négatif, en liant cette notion à la mort (Ga 2, 19) et au péché (Ga 3, 10); il lutilise aussi en un sens positif, en disant quelle se résume au commandement de lamour et en parlant de "loi du Christ"; il exhorte ainsi les Galates: « Portez les fardeaux les uns des autres; accomplissez ainsi la loi du Christ » (Ga 5, 14). Il en est de même de la servitude: « Oui, libre à légard de tous, je me suis fait lesclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre » 1 Co 9, 19. De même écrira-t-il aux Romains: « Nayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres » (13, 8). Le paradoxe concerne aussi la question du scandale. Paul demande aux Forts de ne pas scandaliser les Faibles, mais na-t-il pas proclamé tout haut le scandale de la croix qui fut une cause de chute pour plusieurs (1 Co 1, 18-25)? Ne risquait-il pas dêtre une cause de scandale pour les Judéo-chrétiens? En fait, pour lui lunique vérité est Jésus Christ mort et ressuscité, et le salut moyennant la foi en lui. Tout ce qui rapproche du Christ prend une valeur positive: il donne sens à tout. Il ny a de scandale que ce qui éloigne du Christ. La liberté est fausse, quand elle fait emprunter un autre chemin que celui du Christ aimant jusquà donner sa vie. La loi est mauvaise, quand elle fait espérer un autre salut que celui offert par le Christ. Ce souci de la vérité de lÉvangile avait enfin un autre aspect quon ne peut négliger de souligner. Après avoir remarqué que Paul ne donne aucune indication sur la façon de renforcer la conscience du Faible, Conzelmann écrit dans une note: « This is an example of the Christian humanity which allows our brother to stand as the man he is, not as the man he ought to be according to some ideal standard »191. Cette note touche un point important du message évangélique : lhomme, quil soit faible ou fort, est rejoint par Dieu là où il est, accueilli au coeur même de la condition qui est la sienne. « Que celui qui mange, écrira plus tard Paul aux Romains, ne méprise pas celui qui ne mange pas, car Dieu la accueilli » (14, 3). Cest une autre façon de proclamer la justification par la foi au Christ. Si la loi napporte pas le salut, la connaissance ne lapporte pas davantage. On sait combien Paul a insisté au début de sa lettre aux Corinthiens sur léchec de la sagesse humaine (cf. 1 Co 1, 21). De même, le Faible est un homme rejoint par lappel, lamour, le salut du Christ, indépendamment du niveau atteint par sa connaissance, indépendamment de sa faiblesse. Senft a bien mis en relief ce point : « Lappel quil a reçu lui permet - lui donne la liberté - dappartenir au Christ et de le servir avec cette caractéristique humaine, la faiblesse, qui est la sienne »192. Blesser sa conscience, cétait lui masquer le fait quil est accueilli avec sa conscience faible devant Dieu. Pour Paul, la condition originelle a peu dimportance: « Par ailleurs, que chacun vive selon la condition que le Seigneur lui a donnée en partage, et dans laquelle il se trouvait quand Dieu la appelé » (1 Co 7, 17). En raison de cette diversité des conditions originelles, la réponse à lappel de Dieu prendra des visages différents. Aussi Senft peut-il écrire: « La conscience, faible ou forte, assigne à la liberté de chacun ses limites, limites qui seront aussi celles de sa foi, en ce sens quelles définissent lespace à lintérieur duquel il peut et doit vivre sa vie dhomme justifié »193. Le respect et lamour du Faible mettent en jeu la vérité même de lÉvangile, de cette justification offerte à tous indépendamment des oeuvres. 2.5 Lhomme qui se propose comme modèleAu v. 13 Paul propose ainsi sa solution au problème des idolothytes: « Voilà pourquoi, si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande plutôt que de faire tomber mon frère » (1 Co 8, 13). Alors quil a utilisé la 2o et la 3o personne du singulier, ainsi que la 1ière, 2o et 3o personne du pluriel dans les 12 premiers versets, dans la conclusion il a recours au "je". Plutôt que démettre un avis contraignant, il se contente de dire : voici ce que je ferais personnellement dans cette situation. Et en proposant son propre comportement, Paul se présente comme un modèle à imiter. Que ce soit là la pensée de Paul, nous en avons la confirmation à la fin du chap. 10, quand se termine toute cette section consacrée aux idolothytes: « Cest ainsi que moi-même je mefforce de plaire à tous en toutes choses, en ne cherchant pas mon avantage personnel mais celui du plus grand nombre, afin quils soient sauvés. Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ » (1 Co 10, 33 -11, 1). On a noté que ce thème de limitation, emprunté à lhellénisme, ne se trouve guère dans le Nouveau Testament que dans les épîtres pauliniennes194. Lobjet de cette imitation est avant tout lapôtre lui-même (1 Co 4, 16; 11, 1; 1 Th 1, 6). Celui-ci ne se propose pas à limitation parce quil serait un modèle de perfection. Il indique plutôt son travail missionnaire, la façon dont il a accueilli lÉvangile (1 Th 1, 6) et la façon dont il lannonce (1 Co 4, 9-13)195. « Limitation paulinienne, écrit Collange, est toujours kérygmatique »196. Ce quil propose dimiter, concerne un comportement qui ne vise quun but, lÉvangile du salut (1 Co 10,3 3). Sil sest fait lesclave de tous, sil a été Grec avec les Grecs et Juif avec les Juifs, sil a partagé la faiblesse des faibles, cest "à cause de lÉvangile" (1 Co 9, 19-23). Voilà pourquoi il a renoncé à ses droits et propose-t-il aux Corinthiens: imitez-moi! Cest selon cette perspective quil faut lire également 1 Co 8, 13, même si on parle non pas de salut, mais au contraire de pierre dachoppement. Tout comme lapôtre a renoncé au droit dêtre pris en charge par la communauté, "pour ne créer aucun obstacle à lÉvangile du Christ" (1 Co 9, 12), de même propose- t-il aux Forts de ne pas utiliser le droit que leur confère leur connaissance pour ne pas être un obstacle pour les Faibles. La motivation est évangélique : tout comme Paul, les Forts ont a témoigner de lÉvangile du Christ, premièrement en nétant pas une cause de scandale pour leurs frères; secondement en accueillant et respectant les Faibles qui ont été appelés comme eux par Dieu. De même que Paul par sa parole et par lensemble de sa vie missionnaire est un modèle pour les croyants, de même le croyant en suivant ce chemin quil a tracé, non seulement imite ce missionnaire, mais aussi devient à son tour modèle pour les autres (cf. 1 Th 1, 7). Voilà ce que propose aux membres de la communauté le pasteur de Corinthe : prolonger son action au service de lÉvangile. Quand on regarde le contexte dans lequel intervient lexhortation à limitation, on note une situation où existe la "détresse" (1 Th 1, 6), la "condamnation à mort" (1 Co 4, 9), le renoncement à son propre "avantage" (1 Co 10, 33), la "croix du Christ" (Ph 3,1 8). 1 Co 8, 13 ne fait pas exception à la règle, puisquil sagit pour les Forts de limiter leur liberté. Le chap. 9 prolonge ce contexte, alors que Paul insiste sur les droits auxquels il a renoncé. Lapôtre est un modèle dans la mesure où il sest dépouillé de lui-même197. Sil en est ainsi, cest quil sest fait limitateur du Christ (1 Co 10, 33), il la rendu présent198. Imiter Paul, cest aussi imiter le Christ (1 Th 1, 6). En effet, celui-ci sest dépouillé prenant la condition de serviteur, sabaissant jusquà la mort sur une croix (Ph 2, 6-11); « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ qui, pour vous, de riche quil était, sest fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté » (1 Co 8, 9). Quand Paul propose aux Forts son propre comportement (v. 13), quand il leur propose de limiter lexercice de leur liberté, il présente en définitive le comportement du Christ à reproduire. Ainsi le Fort, loin dêtre cause de chute pour le Faible, collaborera tout comme Paul à ce salut offert par le Christ199. À Corinthe, lapôtre appuis son exhortation à limiter sur la paternité spirituelle: « Vous navez pas plusieurs pères. Cest moi qui, par lÉvangile, vous ai engendrés en Jésus Christ » (1 Co 4, 15). En se situant niveau de la relation au Christ, Paul revendique une autorité, non seulement parce quil est à lorigine de leur être nouveau, quil les a engendrés à la vie en Christ, mais aussi parce quil peut leur montrer la route à suivre, quil a le devoir de les éduquer200. Cette image de la paternité se retrouve également dans la lettre adressée aux Thessaloniciens, à lintérieur dun contexte de travail pastoral et dimitation: « Traitant chacun de vous comme un père ses enfants, nous vous avons exhortés, encouragés et adjurés de vous conduire dune manière digne de Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire » (1 Th 2, 11-12). Cette paternité spirituelle relève de la relation du converti avec le prédicateur responsable de sa conversion201. Elle définit bien le cadre dans lequel il faut lire 1 Co 8,13. Quand Paul exprime ce quil ferait dans la question des idolothytes, il ne se définit pas comme quelquun donnant un conseil dami, mais affiche sa qualité de père spirituel qui peut rappeler les "principes de vie en Christ" (1 Co 4, 17). Et pourtant cette autorité ne comporte pas un caractère contraignant : les chemins proposés incluent un élément de motivation (1 Co 8, 1.3.6) et essaient de respecter la liberté du croyant : voici ce que moi je ferais. Cette autorité paternelle ne ressemble pas à lautorité dun maître202. La lettre à Philémon fournit un autre exemple. Paul écrit : « Aussi bien que jaie, en Christ, toute liberté de te prescrire ton devoir, cest de préférence au nom de lamour que je tadresse une requête... Je nai rien voulu faire sans ton accord, afin que ce bienfait nait pas lair forcé, mais quil vienne de ton bon gré » (8.14). Paul ne veut pas exercer tous les droits que lui confère sa paternité spirituelle : « Et je ne te rappelle pas que toi, tu as aussi une dette envers moi, et cest toi-même! » (19)203. La façon dont il peut exercer son autorité sans émettre davis contraignant est de se proposer comme modèle. ConclusionComment résumer les résultats de cette analyse?Dans lantiquité, manger de la viande était peu fréquent, et donc constituait un événement festif. Comme labattage danimaux revêtait un caractère sacré, une partie étant consumée par le feu, le reste vendu au marché, la question se posait pour un chrétien den consommer. La question se posait dautant plus que la consommation de viande était avant tout une activité sociale puisquelle survenait à loccasion de funérailles ou dun mariage, ou lors de festivités religieuses de la cité ou de repas offerts part des corporations professionnelles. De plus, ces festivités pouvaient donner lieu à des séances de débauche. Quelle devait être lattitude des chrétiens? On peut être surpris de cette question, car navait-elle pas été réglée au concile de Jérusalem vers lan 48/49 alors quon demandait aux chrétiens de sabstenir? Il faut croire que Paul avait une position beaucoup plus libre. Des chrétiens qui se targuaient de posséder la connaissance de Dieu ne voyaient aucun problème à participer à ces repas. On les appelle des « forts », par opposition à ceux quils considéraient comme des « faibles » en raison de leur scrupule de conscience face à ces repas. Qui sont-ils? Ce sont probablement des Grecs, dabord convertis au Judaïsme, et ensuite devenu chrétiens. On peut alors comprendre leur dilemme, puisquils étaient probablement bien insérés dans la vie courante de Corinthe et avaient des amis païens qui fréquentaient ces banquets. Leurs idées ressemblent en partie à ceux de Philo dAlexandrie, un Juif immergé dans la culture hellénistique. On comprend alors le sens de leur insistance sur la connaissance qui nest que le reflet de lidéal religieux dune connaissance de Dieu obtenue par révélation et par laquelle on sait que les idoles ne sont rien. De plus, leur insistance sur la liberté issue de cette connaissance pourrait sexpliquer en partie par la prédication même de Paul parlant de la liberté chrétienne. À lopposé, des chrétiens appelés des « faibles » selon la première épitre aux Corinthiens craignaient dêtre contaminés par ces viandes. Ces chrétiens étaient probablement issus du monde païen, car les Juifs sétaient totalement isolés de ces fêtes sociales. Au contraire, ceux quon appelle « faibles » subissaient la pression de la famille et des amis. Nayant pas totalement assimilé lunicité de Dieu, ils risquaient de retomber dans leurs vieilles habitudes. Et alors ils ressentent le reproche de leur conscience, du remord, et voient lattitude des « forts » comme un véritable blasphème. Ces derniers répliquaient en leur reprochant davoir une conscience faible, car lorsquon a une connaissance juste des idoles on ne ressent aucun remord. Quand Paul interviendra, il parlera, non pas de conscience faible, mais de ceux qui sont faibles, faisant appel à la notion biblique de faiblesse ou scandale : en retrouvant leurs amis dans ces fêtes sociales, ces gens risquaient de quitter la communauté chrétienne, et par là de perdre la foi. La réponse de Paul tourne autour de deux mots clés, connaissance et amour. Tout dabord, cest lamour qui spécifie la relation juste avec les autres : la connaissance enfle, lamour édifie. Cela laide à élargir la perspective pour reporter le centre de la question sur le frère et limpact qua sur lui le comportement des Forts. Et seul lamour permet de sortir dune perspective abstraite et individualiste et de se soucier des autres. Le premier résultat de lamour, cest de prendre conscience que ceux qui nont pas la connaissance nen possèdent pas moins des droits dans la communauté, et dexprimer alors sa solidarité à leur égard. Quand Paul parle de lamour qui édifie, il entend décrire la tâche de soutenir le Faible et laider à trouver la place qui est la sienne dans la communauté. À lopposé, la connaissance dont se vante le Fort, loin de conduire celui-ci à accueillir et soutenir le Faible, devient tentation dexercer une certaine violence sur ce dernier : loin de le respecter, il blesse sa conscience, provoque son éloignement de la communauté, et par là sa mort spirituelle. Aussi, Paul demande au Fort ne pas être occasion de chute, de ne pas scandaliser, car une conscience ne peut être éduquée par une injection de science. Cela nest pas pour autant une négation de la liberté. Pour Paul, la liberté est avant tout un affranchissement de lesclavage du péché, la capacité de pratiquer le bien. Ultimement, cest lamour qui rend libre pour lautre et garde lhomme délié même sil se fait "esclave" du frère. Après avoir parlé de la relation aux autres, Paul discute ensuite de la relation à Dieu : « Si quelquun simagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faudrait. Mais si quelquun aime Dieu, il est connu de lui » (v. 2-3). En dautres mots, les Forts sillusionnent en simaginant quen ayant acquis une conception de Dieu, en possédant des idées sur lui, ils ont acquis lattitude juste. Au contraire, cest lamour qui spécifie la relation juste avec Dieu, car celui qui aime est le signe vivant de loeuvre que Dieu est en train daccomplir. On aura remarqué que Paul ne répond ni par oui ni par non à la question posée, mais il replace celle-ci dans le contexte qui doit être le sien pour un chrétien : ce contexte tient compte du frère et des conséquences sur lui de la liberté du Fort. Lanalyse de la réponse de Paul permet de dégager cinq traits du pasteur quest Paul. Le premier trait est celui dune personne attentive à la dimension concrète et historique de lexistence. Elle ramène la discussion sur la vérité abstraite de linexistence des idoles au niveau subjectif de limpact de la fréquentation des banquets païens sur des membres de la communauté, soulignant par là la dimension affective et contingente des injonctions de la conscience. Toute discussion sur la connaissance et la liberté doivent se situer dans un cadre historique qui peut leur imposer une limite. Le deuxième trait est celui dune personne responsable dune communauté. Pour elle, la tâche centrale est de construire cette communauté. Celle-ci est dabord loeuvre de Dieu, mais chaque chrétien y est associé. Elle est si importante quelle devient le critère dappréciation de lagir chrétien. Voilà pourquoi Paul rappelle aux Forts la gravité de leur geste, car ils risquent de détruire la communauté. Le troisième trait du pasteur est celui dune personne qui prend le temps denseigner. Paul donne sa propre compréhension, plus profonde, du monothéisme chrétien; il affirme laction historique de personnes divines différentes en vue dun unique projet de salut en faveur des croyants. Face à la formule par trop théiste des Forts, lapôtre parle du Christ, et de sa médiation historique qui prendra le visage dune croix. Le quatrième trait du pasteur est celui dune personne centrée sur lenjeu quest le salut et la vérité de lÉvangile. Si Paul intervient avec une telle vigueur, cest que la position des forts se trouve à biaiser le coeur de lÉvangile : la véritable libération provient de la mort et la résurrection de Jésus Christ, et non pas de la connaissance, et celle libération nous permet daimer comme Lui jusquà donner sa vie. Il y a plus. Cette libération rejoint tout être humain dans la condition qui est la sienne, dans sa conscience faible ou forte. En attaquant la conscience du Faible, le Fort se trouvait à masquer le fait quil est accueilli avec sa conscience faible devant Dieu, et donc à attaquer le coeur de lévangile. Enfin, le cinquième trait du pasteur est celui dune personne qui peut se proposer comme modèle. « Voilà pourquoi, si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande plutôt que de faire tomber mon frère » (1 Co 8, 13). Ce quil propose dimiter, concerne un comportement qui ne vise quun but, lÉvangile du salut. De fait, Paul ne cesse répéter que lui-même sest fait limitateur du Christ. Enfin, sil ose demander quon limite, cest quil se considère comme le « père » de la communauté quil a engendrée, en la créant. Le problème des idolothytes ne se pose plus aujourdhui. Il a pourtant représenté un défi pour lÉglise primitive qui senracinait dans un monde culturel nouveau. Paul a relevé ce défi, non pas en rappelant les normes juives traditionnelles, non pas en exploitant les ouvertures sur les étrangers offertes par la tradition juive, comme on le fit à lassemblée de Jérusalem, mais en se montrant original et audacieux. Ses points de repère éthiques ne sont pas des normes abstraites, mais des personnes et leur situation concrète. Il fera appel à lamour. Et pourtant ce quil propose ne se réduit pas à un appel à la bonté ou à la bonne entente. Lhorizon demeure le fait que Christ est mort pour le frère, que celui-ci est appelé à vivre le don de Dieu dans la situation de faiblesse qui peut être la sienne; lÉvangile rejoint la personne là où elle est actuellement. Comme pasteur il a cherché à protéger les plus faibles de la communauté. Il la fait en complétant ce qui manquait à la science chrétienne des Forts et en montrant le péril qui les guettait, afin que tous, Faibles ou Forts, soient sauvés et quaucun ne se perde. Comme un père, il a veillé sur chacun deux, il leur a consacré sa vie. Par lui le Christ, le véritable pasteur, demeurait vivant et agissait.
-André Gilbert, 1982 Sur 1 Co 8, 1-13ARAI, S., « Die Gegner des Paulus in I Korintherbrief und das Problem der Gnosis », NTS, 19(1973)430-437. Sur 1 CorinthiensALLO, E.-B., La première épître aux Corinthiens. Paris: Gabalda, 1934 (Études Bibliques).
1 Nous désignons, bien sûr, ici la première lettre canonique écrite avant la Pentecôte 55, sachant quelle suivait une autre lettre. Cf. C. Perrot, Nouvelle introduction à la Bible, t. 3, vol. 3, p. 20-27. 2 J. Murphy-OConnor, « Freedom or Ghetto (1 Cor., VIII, 1-13; X, 23-XI, 1) », RB, 85(1978)543. 3 Voir par exemple J. Héring, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, Neuchâtel-Paris: Delachaux & Niestlé, 1949, p. 11; M. Goguel, Introduction au Nouveau Testament, vol. 4. Paris: Leroux, 1926, p. 86; C. Senft, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, Neuchâtel-Paris: Delachaux & Niestlé, 1979 (Commentaire du Nouveau Testament 2o série, VII), p. 17-19; H. Conzelmann, 3 Corinthians, Philadelphia: Fortress Press, 1975, p. 3-4. 4 Senft, op. cit., p. 108. Sed contra, J. Murphy-OConnor, art. cit., p. 543. 6 C.K. Barrett, The First Epistle to the Corinthians, New York and Evanston, Harper & Row, 1968, p. 14. 7 E.-B. Allo, Saint Paul. Première épître aux Corinthiens. Paris: J. Gabalda, 1934 (études Bibliques), p. 236. 8 Idem. 9 C.K. Barrett, op. cit., p. 16. 10 Conzelmann, op. cit., p. 170. Cf. p. 148, v.8 et 10. 11 Nous ne pouvons pas reconnaître comme Allo une stratégie préparée par Paul, un mouvement allant crescendo. Cela présupposerait que Paul connaissait parfaitement la solution et, tel un bon enseignant, lexpose en plusieurs étapes. Il nous semble préférable de voir Paul en plein effort de réflexion. Cf. 1 Co 1, 16 qui donne une certaine idée de latmosphère dans laquelle a été composée la lettre. 12 Cf. Barrett, « Things sacrificed to Idols », NTS, 11(1965) 139-141. 13 G.D. Fee, « Eidolothyta Once Again: An Interpretation of 1 Co 8-10", Biblica, 61(1980)188. 14 Sur ce point un consensus sest établi chez les exégètes (Conzelmann, Senft, Barrett, Horsley, Murphy-OConnor). 15 Cf. par exemple Giblin, « Three Monotheistic Texts in Paul », CBQ, 37(1975)527-547; A. Feuillet, Le Christ Sagesse de Dieu daprès les épîtres pauliniennes, Paris: J. Gabalda (études Bibliques), 1966, p. 59-85; Murphy-OConnor, « 1 Co 8, 6: Cosmology or Soteriology », RB, 85(1978)253-267. 16 Cest bien lidée du jugement qui est signifiée ici avec le futur. Ont opté dans ce sens Senft, Héring, Murphy- OConnor. 17 Conzelmann, Fee, Jeremias (8a seulement), Barrett (8a seulement), Murphy-OConnor considèrent ce verset comme un slogan des Corinthiens. 18Par exemple, le pronom personnel "nous" est utilisé quand Paul reprend un slogan corinthien (v. 1 et 4), ou encore, quand Paul et les Corinthiens sont daccord sur un point (v. 6). De même, le blepete de du v. 9 jouerait le même rôle que le alla ouk du v. 7. Cf. Murphy-OConnor, « Food and Spiritual Gifts in 1 Co 8, 8 », CBQ, 41(1979) 292-298. En ce qui concerne le v. 8b, celui-ci propose la leçon A2 et 17. Largumentation sappuie sur peu de manuscrits, mais elle demeure plausible. 19 Cf. F. Poland, «Geschichte des griechische Wereinwesens », Leipzig: Teubner, 1909, p. 274.503-513. 20 Cf. A. Faux, « Idolothytes », S.D.B.,, col. 187-195. 21 G. Theissen, « Die Starken und Schwachen in Korinth. Soziologische Analyse eines theologischen Streites », ET,35(1975)160-161. 22 On cite souvent cette invitation personnelle conservée dans un papyrus édité par Grenfell et Hunt (Oxyrhynchus papyri. Londres: 1898-1904, I, 110): « Chérémon tinvite à diner à la table du Seigneur Sérapis, demain, qui est le 15o (jour du mois), à 9 heures ». (III, 523, du 2o siècle ap. J.C.): « Antoine, fils de Ptolémée, tinvite à diner avec lui à la table du Seigneur Sérapis, dans la maison de Claude, fils de Sérapis, le 10o (jour du mois), à 9 heures » (daprès la traduction de Prat, Théologie de saint Paul, t.1. Paris: 1930, p. 138). 23 Cf. H. Lietzmann, An die Korinther. Tübingen: J.C.B. Mohr, 1949, p. 49. 24 Barrett, art. cit., p. 141. 25 A.-G. Harnman, La vie quotidienne en Afrique du Nord au temps de s. Augustin. Paris: Hachette, 1979, p. 75. 26 Cf. Murphy-OConnor, « Corinthian Slogans in 1 Cor, 6: 12-22 », CBQ, 40(1978)391-396. 27 ALLO, op. cit. , p. 196. Cf. R.A. Horsley, « Gnosis in Corinth: 1 Corinthians 8, 1-6 », NTS, 27(1980)48.27 28 La question posée par les Corinthiens aurait pu revêtir cette forme: ouchi hē syneidēsis autou asthenès oikodomèthèsetai? Cest une hypothèse de Jewett que Murphy-OConnor juge "worthy of respect" (Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 548). 29 Theissen, o.p. cit., p. 162. 30 Cf. lutilisation politique de ces fêtes, mentionnée par Theissen. Sur ce point Barrett fait observer que beaucoup de Grecs ne voyaient plus son caractère religieux et y participaient pour des raisons sociales (op. cit., p. 196). 31 Theissen, art. cit., p. 163. 32 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 558. 33 Cest le point de vue de C. Perrot, « Les décisions de lassemblée de Jérusalem », RSR, 69(1981)195-208. 34 Cf. E. Mangenot, "idolothytes", D. T. C., col. 683-684. 35 On les qualifie tantôt de "gnostiques", tantôt de "pneumatiques", ou encore de "libertins", d"enthousiastes". Le terme "Fort" est utilisé par opposition à "Faible". 36 J. Dupont, Gnosis. La connaissanrce religieuse dans les épîtres de saint Paul. Louvain-Paris, Nauwelaerts- Gabalda, 1949, p. 367. 42 R. Bultmann, Theological Dictionary of the New Testament, p. 701-702. 43 Horsley, art. cit., p. 32-51. 48 Cf. Horsley, « Pneumatikos vs Psychikos », HTR, 69(1976) 269-288. 50 Au chap. 10 cest Paul lui-même qui puise dans un thème du judaïsme alexandrin. 51 Dupont, op. cit., p. 374-375. 57 Conzelmann, op. cit. , p. 108; voir aussi Feuillet, op. cit., p. 60. 58 Horsley, Gnosis..., p. 580-581. 60 Conzelmann, op. cit., p. 109. 61 Dupont, op. cit., p. 355-356. 64 Conzelmann, op. cit., p. 15. Horsley a tenté de contredire ce point de vue (Gnosis..., p. 48.) en rapportant les positions de Philon dAlexandrie, mais laffirmation de Conzelmann nous semble toujours valable. 66 Barrett, art. cit., p. 151-152. 67 J.-F. Collange, De Jésus à Paul. Léthique du N.T. Genève: Labor et Fides, 1980, p. 224. 68 Conzelmann, op. cit., p. 15. 69 Ibid., p. 109; cf. Barrett, op. cit., p. 145. 71 Murphy-OConnor , Freedom or. . . , p. 545. 72 Cf. note 28. 73 Conzelman, op. cit., p. 15. 75 Idem. 77 Cest dailleurs lavis de la majorité des exégètes. Nous navons pas présenté le travail de Theissen sur le sujet, car il se situe dans une toute autre perspective, une perspective sociologique et économique. Les Forts appartiennent à une couche sociale supérieure, ils sont plus éduqués que la moyenne, doù la possibilité de manger régulièrement de la viande; ils jouissent dune certaine influence, doù leur tentative dinfluencer les Faibles. Ils avaient beaucoup de contacts avec le milieu païen et tenaient à les conserver. « Wer reich werden will un reich ist, muss den Kontact mit Heiden suchen und pflegen" (p. 164). Bref, cest une élite. De plus, Theissen lie très fort leurs positions avec le système gnostique (p. 166-167). Nous ne pouvons faire ici la critique de ce travail, mais noter cependant que sil apparaît ouvrir des perspectives neuves et intéressantes, il séloigne beaucoup des données fournies par le texte et apporte parfois des conclusions douteuses ou invérifiables. 78 Cf. Conzelmann, op. cit., p. 147, note 19. 79 . Cf. Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 551. 80 M. Coune, « Le problème des Idolothytes et léducation de la Syneidesis », RSR, 51(1963)497-534. 81 Ont opté pour syneitheia Murphy-OConnor, Conzelmann, Orr-Walther, Collange, Barrett, Héring, Jewett, Giblin, Senft. Par contre, nous avons un écho favorable de la position de Coune chez E. Cothenet, "Pureté et impureté", S.D.B.,, col. 548-549. 86 J. Dupont, « Appel aux Faibles et aux Forts dans la communauté romaine (Rom. 14, 1 - 15, 13) », Studiorum paulinorum congressus internationalis catholicus, 1961. Romae: E. Pontificio Instituto biblico, 1963 (Analecta Biblica, 17), p. 358. 87 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 551-556. 88 Cf. C.A. Pierce, Conscience in the New Testament. Londres: SCM Press, 1955 (Studies in Biblical Theology, 15), p. 81. 89 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 553-554. 91 Parmi ceux qui voient dans les Faibles des helléno-chrétiens citons Henrici, Conzelmann, Murphy-OConnor et Senft. 93 Ce point de vue est très peu contesté chez les exégètes; cf. Feuillet, op. cit., p. 60. 94 Pierce, op. cit., p. 13-53. 97 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 555-556. 98 Cf. Dupont, op. cit., p. 266. 99 Jewett, Pauls Anthropological Terms. A study of their Use in Conflict Settings. Leiden: 1971, p. 425. 100 Cf. Barrett, op. cit., p. 194-195. 101 Horsley, « Consciousness and Freedom among the Corinthians: 1 Co 8-10 », CBQ, 40(1978)583-584. 102 Barrett, op. cit., p. 194-195. 103 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 554. 105 Dupont, op. cit., p. 277-279. 106 Ibid., p. 279. 107 Idem. 108 Conzelmann, op. cit., p. 149, note 38. 109 Barrett, op. cit., p. 196. Senft, op. cit., p. 116. 110 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 563-565. 111 Ibid., p. 564. 112 « The argument for his qualification begins not by criticizing the content, but by pointing to the concrete common life, that is to say, the historic character of existence, which is disturbed by the theoretical principals of the strong » (Conzelman, op. cit., p. 146). 113 « Concrétisée ainsi dans lamour et le détachement, la vie chrétienne échappe à cette dangereuse abstraction, à cet oubli de la situation concrète de lhomme, où vivaient les partisans exaltés de la vie pneumatique" (H. Schlier, Le temps de léglise. Recherches dexégèse. Tournai: Casterrnan, 1961, p. 167). 114 C. Spicq, Agapē dans le Nouveau Testament, t.2. Paris: Gabalda, 1959, p. 47. 115 C. Spicq, Théologie morale du Nouveau Testament, t.2. Paris: Gabalda, 1965, p. 527, note 2. 116 Spicq, Agapē..., p. 53, note 1. 117 Barrett, op. cit., p. 109. 118 J.-F. Collange, De Jésus à Paul. Léthique du Nouveau Testament. Genève: Labor et Fides, 1980, p. 158. 119 Spicq, Théologie morale..., p. 663-664. 121 Conzelmann, op. cit., p. 140; Murphy-OConnor, Lexistence chrétienne selon saint Paul, Paris: Cerf, 1974, p. 142. 122 Conzelmann, op. cit., p. 140. 123 Collange, op. cit., p. 140. 124 « Il va de soi que cette immolation confère au Seigneur un droit de propriété sur ceux quil aime et rachète » (Spicq, Charité et liberté selon le Nouveau Testament. Paris: Cerf, 1964, p. 45). 125 Cf. 1 Co 3, 6-10 où oikodomè et auxanô sont unis; Spicq, Agapē..., p. 51. 126 Murphy-OConnor, op. cit., p. 165. R. Schnackenburg, Le message moral du Nouveau Testament. Le Puy-Lyon: Xavier Mappus, 1963, p. 266. 127 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 569; Lexistence chrétienne..., p. 166. 128 Spicq, Théologie Morale..., p. 663. 129 « Sa conception (de Paul) de la communauté chrétienne doit beaucoup au concept juif de communauté eschatologique, laquelle, bien sûr, sera une communauté de parfaits, mais il ne fait jamais lerreur de croire que les nouveaux convertis étaient, de fait, parfaits; il répudie même explicitement cette idée pour ce qui le concerne (Ph 3, 12). Lentrée dans la communauté chrétienne nétait rien de plus quune occasion privilégiée doeuvrer vers la plénitude humaine » (Murphy-OConnor, op. cit., p. 136). 130 Cf. J. Cambier, « La liberté du chrétien selon saint Paul », LV, 61(1963)10; G. Friedrich, « Freiheit und Liebe im ersten Korintherbrief », Theol.Z., 26(1970)89-90; Schnackenburg, op. cit., p. 251. 131 « Cest dans le spiritualisme, quil porte à lascèse ou au libertinage, à lenthousiasme individualiste ou à la gnose orgueilleuse - autant de procédés par lesquels lhomme se procure lui-même libération et liberté - que lui (Paul) apparaît le grand péril » (Senft, op. cit., p. 22). 132 Spicq, Théologie morale..., p. 662. Schnackenburg, op. cit., p. 250. 133 Murphy-OConnor, op. cit., p. 92-98. 134 Ibid., p. 95. 135 Ibid., p. 136. 136 Schanckenburg, op. cit., p. 267-268; Schlier, op. cit., p. 167. 138 Friedrich, art. cit., p. 81. 139 Murphy-OConnor, op. cit., p. 142. 140 Spicq, Théologie morale..., p. 662, note 1. 141 Ibid., p. 600; « Depuis Jésus Christ, la morale nest que du théologal pratiquement vécu » (Spicq, Agapē..., p. 235). 142 Certains manuscrits (P46, C1) ont simplement: ei de tis agapa, sans ton Theon. Mais le contexte établit clairement quil sagit de lamour de Dieu. 143 M. Carrez, Grammaire grecque du Nouveau Testament. Neuchâtel: Delachaux et Niestle, 1966, p. 142; Héring, op. cit., 64; Collange, art. cit., p. 526. 144 Conzelmann, op. cit., p. 141. 145 Collange, op. cit., p. 159. 146 Lexpression a aussi un sens acceptable dans le milieu grec où elle signifie "jouir de la faveur de Dieu"; cf. Dupont, op. cit., p. 81. 147 Idem; Murphy-OConnor fait siennes les conclusions de Dupont: Freedom or..., p, 559. 148 Barrett, op. cit., p. 190. 149 « It appears as though Paul is highlighting polytheistic acclamations and diverse confessions that entail acknowledgement or multiple, relatively unrelated subjects of divine activity in the world" (Giblin, op. cit., p. 533). 150 Conzelmann, op. cit., p. 145: « The gods become gods by being believed in ». 151 Murphy-OConnor, Freedom or... , p. 561. 152 Idem. 153 « Here, too, Paul, makes clear that it is not a question of metaphysical or ontological judgment, but of anthropological judgments which as such include the adopting of an attitude » (Conzelmann, op. cit. , p. 145). 154 Ibid., p. 146. 155 -OConnor, Freedom or..., p. 561. 157 Ibid., p. 115. 158 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 567. 159 Cf. Idem. 160 Ce point est souligné par Conzelmann, op. cit., p. 148. 161 Cf. épictète, Diss. 4.1.1 .: eleutheros estin ho zôn hôs bouletai. 162 Conzelmann, op. cit., p. 148-149. 163 « In 8, 3 Paul shifts the Corinthians viewpoint from a static cognitive and epistemological stance to a dynamic affectional relationship" (Horsley, Gnosis..., p. 49). 164 Collange, op. cit., p. 153. 165 Idem. 166 O. Michel, « oikodorneō », T.D.N.T., p. 140. 167 Murphy-OConnor, « Cosmology or Soteriology », RB, 85(1978)153-267. 169 Ibid., p. 257. 170 Ibid., p. 259. 171 Murphy-OConnor, Freedom or..., p. 563. 172 Murphy-OConnor, « Food and Spiritual Gifts in 1 Cor 8:8 », CBQ, 41(1979)292-298. 173 Sur le sens de perisseuô et de hystereô, cf. Ibid., p. 298. 174 R. Bultmann, Theoloqy of the New Testament, 1. Londres: SCM Press LTD, 1952, p. 332. 175 Conzelrnann, op. cit., p. 141. 176 Cf. H. Lietzmann, « Symbolstudien XI », ZNW, 22(1923)268- 271; O. Cullmann, Les premières confessions de foi chrétienne, Paris: 1933. Giblin, art. cit., p. 530; Murphy-OConnor, Cosmology or..., p. 254-255. Cette structure grammaticale sans verbe avec un rythme bien cadencé apparaît soudainement au milieu dun développement en prose. Lexamen du style avec les expressions heis theos ho pater, heis kurios confirme son caractère non-paulinien (Murphy-OConnor, p. 254). Giblin a montré que la juxtaposition dexpressions comme oidamen hoti et kai hoti se produit quand Paul amène une citation (cf. 1 Co 15, 3b-4) (p. 530). 177 Conzelrnann, op. cit., p. 145. 178 Feuillet, op. cit., p. 65. 179 Giblin, art. cit., p. 536-537. 180 Murphy-OConnor, Cosmology or..., p. 264-267. 181 Ibid., p. 267. 183 Giblin, art. cit., p. 535-536. 184 Ibid., p. 535. 185 Conzelmann, op. cit., p. 140. 186 Cf. Ibid., p. 150. Bultmann, op. cit., p. 343. 187 On ne peut donner raison à Héring qui écrit à propos de cette crise galate (2, 11ss): « Cest que les Jérusalémites accusaient la fâcheuse tendance de vouloir imposer leur faible foi aux forts; ils les jugeaient, ce qui daprès Rrn 14, 3 est expressément condamné. Dès ce moment une question de principe se posait sur laquelle il ne fallait pas céder » (op. cit., p. 68). Car lenjeu nest pas le "jugement de lautre", mais "la justification par la foi au Christ". 188 Bultmann, op. cit., p. 343. 189 Murphy-OConnor, op. cit., p. 138. 190 Cf. Cambier: « Saint Paul tient aussi, nous le verrons, à ce que chacun cherche lui-même à discerner la volonté de Dieu et juge par lui-même des valeurs chrétiennes sans être lié à la conscience du voisin » (« La liberté du chrétien selon saint Paul », LV, 61(1963)11). 191 Conzelrnann, op. cit., p. 147. 193 Ibid. , p. 115. 194 Seuls He 6, 12; 13 ,7 et 3 Jn 11 font exception à la règle. Voir Collange, op. cit., p. 197-204; Spicq, Théologie morale..., 2, p. 220-230; Conzelmann, op. cit., p. 92. 195 Idem: « The summons cannot be separated from Pauls missionary work ». 196 Collange, op. cit., p. 199. 197 Conzelmann, op. cit., p. 92. 199 "The argument is accordingly soteriological" (Conzelmann, op. cit., p. 92.). 200 Spicq, Théologie morale..., 2, p. 721-722. 201 Barrett, op. cit., p. 115. 203 Pierce (op. cit., p. 78) a soumis lidée que lattitude libérale de Paul qui ne défend pas catégoriquement de manger des idolothytes proviendrait de son désir de ne pas perdre la moitié de ses convertis. Cest une hypothèse difficile à vérifier. Nous y voyons plutôt la répétition dune attitude habituelle chez lapôtre, par laquelle il tranche rarement dautorité une question, mais veut amener le lecteur à découvrir par lui-même le bien fondé de ce quil dit (cf. 1 Co 10, 15). |