Luc 10, 1-20 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: d'abord un regard sur le texte grec qui comporte parfois des variantes, avant de procéder à une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation. Sommaire Le récit en lui-même Après le choix des Douze pour les envoyer en mission auprès des Juifs, Jésus se choisit 72 disciples, représentant les nations connues sur terre, pour les envoyer en mission, car la moisson est tellement grande qu’il faut des ouvriers supplémentaires, en particulier pour les villes. Mais la condition du missionnaire n’est pas de tout repos, car il est comme un agneau au milieu de loups, i.e. il sera sans défense contre des attaque violentes des ennemis de l’évangile. Jésus présente donc ses instructions pour le missionnaire, d’abord sur la façon de voyager qui doit être celle d’un pauvre, sans argent, sans provision et sans chaussure, et sans saluer qui que ce soit, pour ne pas perdre de temps, car la mission est urgente. Ensuite, les instructions concernent ce qu’il faut faire à la maison, qui est le lieu principal de la vie chrétienne. Comme la bonne nouvelle est un don, ainsi la première action est d’offrir la paix messianique qui est l’Esprit Saint, qui peut être acceptée ou refusée. Et si ce don est accepté, en retour le missionnaire doit accepter intégralement l’hospitalité de son hôte, sans discuter et avec l’assurance que c’est bien mérité. Suivent ensuite les instructions pour la mission à la ville, semblables à celles de la maison, sauf qu’on ajoute les guérisons, signes du règne de Dieu. Comme pour le cas d’une maison, une ville peut refuser le message évangélique : alors il faut sortir de la ville, et par le geste où on essuie la poussière de la ville collée aux pieds, indiquer qu’on n’a plus de relation avec elle. Malgré ce refus, la mission évangélique se poursuivra, mais les villes qui ont refusé cette mission pourront connaître un sort pire que Sodome qui a subi le jugement du feu. C’est le temps de mentionner les villes comme Chorazin et Bethsaïda qui n’ont aucune excuse d’avoir refusé la mission, car si les villes païennes de Tyr et Sidon avaient été témoins de toutes les guérisons, il y a longtemps qu’elles auraient changé d’idée. Il en est de même de Capharnaüm, premier lieu de la mission de Jésus, qui est maintenant destiné au séjour des morts. Pour conclure, la position face au missionnaire est un reflet de la position face à Dieu. Revenant de mission, les Soixante-Douze se réjouissent devant leur pouvoir face à la maladie, symbole du mal dans le monde. C’est pour Jésus le signe que la source du mal, Satan, sera bientôt vaincue. Puis il leur dit que la source de leur succès est qu’ils ont reçu par délégation la capacité de vaincre le mal, mais que leur joie ne devrait pas provenir de cette capacité, mais d'avoir reçu la révélation du mystère du royaume. Le vocabulaire Le vocabulaire varie entre celui de Marc, de la source Q et celui propre à Luc. Au v. 1 notons des mots du vocabulaire lucanien : « après ces choses » (meta tauta), « Seigneur » (kyrios) qu’il utilise plus que les autres, « désigner » (anadeiknymi) dont il se sert pour le choix de Mathias dans les Actes et pour le choix des Soixante-Douze, l’adjectif « autres » qu’il emploie souvent, le verbe « envoyer » (apostellō) pour faire des Soixante-Douze des « envoyés » ou « apôtres », le nom « face » (prosopon), le nom « ville » (polis), reflet que l’univers de Luc est urbain, « lieu » (topos) qui désigne probablement dans la tête de Luc la Macédoine et l’Achaïe, « venir » (erchomai) qui lui permet que souligner qu’à travers le missionnaire, c’est la visite de Dieu qui survient. Aux v. 2 et 3, c’est surtout le vocabulaire de la source Q qui apparaît : moisson (therismos), ouvrier (ergatēs), agneau (arēn), loup (lykos) que Luc introduit par une expression qui lui est propre : il disait en direction d’eux (legō pros). Aux v. 4 et 5, nous avons un mélange du vocabulaire de Marc, la source Q et Luc. Chez Marc, il emprunte le sac ou besace pour les victuailles (pēra) que ne doit pas avoir le missionnaire pour la route, et le fait qu’il entre (eiserchomai) dans une maison (oikia). De la source Q, il reprend la mention des chaussures (hypodēma) qu’il faut délaisser pour la route, l’expression « le cas échéant dans n’importe laquelle » (eis hēn dʼan). Luc coud ensemble Marc et la source Q avec son vocabulaire : « porter » (bastazō), bourse (balantion), ne pas saluer (aspazomai) personne (mēdeis) sur la route (hodos), offrir la paix (eirēnē). Aux v. 6 et 7, Luc reprend un texte de la source Q avec ses expressions « fils de la paix » (huios eirēnēs), « reposer » (epanapauō), « retourner » (anakamptō), « digne » (axios), « ouvrier » (ergatēs), « salaire » (misthos), et d’une autre tradition ancienne, si elle n’est pas de la source Q « déplacer » (metabainō) et « de maison en maison » (ex oikias eis oikia) auquel il ajoute l’idée de Marc de demeurer (menō) dans cette maison, et complète avec son vocabulaire sur « manger » (esthiō) et « boire » (pinō). Les v. 8 et 9 sont une composition de Luc avec son vocabulaire : « ville » (polis), « entrer » (eiserchomai), « manger » (esthiō), « boire » (pinō), « présenter » (paratithēmi), « guérir » (therapeuō), « approcher » (engizō). Aux v. 10 à 12 Luc fusionne ce qu’il reçoit de Marc avec un texte de la source Q. De Marc, il reprend l’idée de « recevoir » (dechomai) le missionnaire et d’enlever ce qui est sous les « pieds » (pous). De la source Q, il reprend l’ensemble de son vocabulaire : « sortir » (exerchomai), « grand-rue » (plateia), « poussière » (koniortos), « coller » (kollaō), « essuyer » (apomassō), « je vous dis » (egō hymin), « Sodome » (Sodoma), « ces jours-là » (tē hēmera ekeinē), « tolérable » (anektos), « cette ville-là » (tē polei ekeinē). Pour réunir ensemble ces deux traditions, il compose une courte introduction autour du verbe « entrer » (eiserchomai), et insère un paragraphe avec « toutefois » (plēn), « savoir » (ginōskō), « approcher » (engizō), « royaume de Dieu » (basileia tou theou). Les v. 13 à 15 représentent un texte provenant de la source Q : « malheur » (ouai), « Chorazin » (Chorazin), « Bethsaïda » (Bēthsaida), « Tyr » (Tyros), « Sidon » (Sidōn), « advenir » (ginomai), « acte de puissance » (dynamis), « depuis longtemps » (palai), « sac » (sakkos), « cendre » (spodos), « être assis » (kathēmai), « changer d’idée » (metanoeō), « toutefois » (plēn), « tolérable » (anektos), « jugement » (krisis). Le v. 16 représente un autre texte de la source Q : « écouter » (akouō), « rejeter » (atheteō), « envoyer » (apostellō). Les v. 17 à 20 sont largement une composition de Luc avec probablement certains éléments assez anciens. Parmi les mots typiquement lucaniens notons : « Soixante-Douze », (hebdomēkonta dyo) « retourner » (hypostrephō), « joie » (chara), « Seigneur » (kyrios), « démon » (daimonion), « se soumettre » (hypotassō), « nom » (onoma), « observer » (theōreō), « fouler » (pateō), « au-dessus » (epanō), « faire du tort » (adikeō), « toutefois » (plēn), « se réjouir » (chairō), « esprit » (pneuma). Il est possible qu’il reprenne d’une tradition ancienne le vocabulaire de « Satan » (satanas), « éclair » (astrapē), « tomber » (piptō), « serpent » (ophis), « scorpion » (skorpios), « ennemi » (echthros), « vos noms inscrits dans les cieux » (ta onomata hymōn engegraptai en tois ouranois). Mais quelques expressions sont copiées de la tradition marcienne comme « donner autorité » (didōmi tēn exousian). Structure et composition Cette péricope comprend trois moments : le choix et l’envoi des Soixante-Douze avec ses instructions pour la mission (1-16), leur retour de mission (17) et la réaction de Jésus (18-20). Les instructions missionnaires couvrent deux lieux, la maison (5-7) et la ville (8-15). Et pour chacun des lieux, les instructions abordent deux situations, l’acceptation et le refus. Par la place qu’occupe chacune de ces instructions, il est clair que l’intérêt est la ville, et non la maison. Pour composer ce récit, Luc réutilise des éléments de l’envoi des Douze chez Marc auxquelles il ajoute un certain nombre de textes de la source Q. Dans la section sur les instructions missionnaires, Luc insère au début une longue introduction (2-3) provenant de deux textes de la source Q, une justification de cette nouvelle mission après celle des Douze en raison de l’abondance de la mission (2), et des conditions hostiles de cette mission (3). Puis, après les instructions sur la façon de voyager (4), ce sont celles pour la mission à la maison (5-7) où Luc reprend la tradition de Marc qu’il enrichit avec ce qui lui offre la source Q. Pour la mission à la ville (8-15), Luc ne dispose que de la source Q, et celle-ci ne présente qu’une vision négative. Aussi, pour respecter un certain équilibre entre l’acceptation et le refus de la mission, Luc doit composer un texte (8-9) sur les instructions pour une ville qui s’ouvre à la mission où il reprend en partie de ce qu’il a dit de la mission la maison (8 : manger et boire ce qui est offert) auquel il ajoute ce qui est un sommaire du ministère de Jésus (9 : guérisons signe du royaume). Puis viennent les instructions sur le refus de la mission chez une ville où après avoir intégré quelques éléments du refus d’une maison chez Marc (10 : partir et enlever de ses pieds les traces du lieu), il ajoute ce que lui offre un premier texte de la source Q (11-12 : sortir, aller sur la place publique, enlever la poussière des chaussures), auquel il joint un autre texte (13-15) de la source Q appartenant à un tout autre contexte (malédictions adressées à Chorazin, Bethsaïda, Capharnaüm), mais qu’il juge bon d’inclure dans ses instructions, au risque d’avoir un passage hétéroclite mal structuré avec le contexte (on ne s’adresse plus aux Douze, mais à des villes). Enfin, pour conclure les instructions de Jésus (16), Luc trouve un texte de la source Q qui fait de la parole du missionnaire la parole même de Dieu. Pour garder l’unité de lieu et de temps, Luc fait en sorte que, si tôt le discours de Jésus terminé, les Soixante-Douze reviennent déjà de mission (17). Ce rapport de mission est une composition de Luc où on retrouve son langage : retourner, joie, Seigneur, démons, soumission. La péricope se termine avec la réaction de Jésus face au rapport des Soixante-Douze. Cette réaction de Jésus est largement une composition de Luc auquel il intègre des éléments qui semblent très anciens autour de Satan qui tombe du ciel, l’autorité sur les serpents et les scorpions, ou encore les noms inscrits dans les cieux. La réaction de Jésus comprend trois moments : un enseignement sur la signification des guérisons opérées lors de la mission des Soixante-Douze qui est une anticipation de la disparition définitive du mal représentée par la chute de Satan (18), le rappel que les guérisons ne proviennent pas d’un pouvoir personnel, mais de la délégation de Jésus ressuscité (19), enfin, un appel à reconnaître que le véritable don reçu est celui de la révélation du mystère de Dieu et de son royaume (20). Intention de l'auteur Pourquoi Luc a-t-il composé cette péricope, où après l’envoi des Douze, il présente un deuxième envoi missionnaire, Soixante-Douze disciples, ce qu’il est seul à faire? Rappelons que l’évangéliste s’adresse à des chrétiens de culture grecque, dont une grande part est d’origine païenne, sur un territoire évangélisé par Paul où se détachent des villes comme Thessalonique, Philippes, Athènes, Corinthe, Éphèse, l’évangile lui-même ayant peut-être été composé à Corinthe. Or, les Douze, des Juifs, ont été envoyés par Jésus dans les bourgs et les villages juifs. Au temps de l’Église, surtout après la mort des apôtres, une nouvelle génération de missionnaires a évangélisé les villes du monde gréco-romain, dont Paul, Barnabas, Timothée, Silas. Pour Luc, ces nouveaux missionnaires ne sont pas différents des Douze, et fondamentalement leur envoi par l’Église est un envoi par Jésus ressuscité, de la même manière que le Jésus historique a envoyé Douze apôtres. Son intention est d’autant plus claire que dans son récit sur les Soixante-Douze, il désigne Jésus avec son titre de Seigneur, une allusion à Jésus ressuscité. C’est une autre façon pour Luc d’atteindre le but qu’il s’est fixé au début de son évangile et qu’il partage avec un certain Théophile : « reconnaître la solidité des enseignements que tu as reçus » (Lc 1, 4). Avec 10, 1-20, il s’agit avant tout de la validité des pratiques missionnaires dans l’église gréco-romaine des années 80. Tout ce qui se fait alors remonte fondamentalement au Jésus historique et est couvert de son autorité. Ainsi, même si le milieu n’est plus la Palestine du temps de Jésus, il n’y pas de différence réelle. Voilà ce qui semble l’intention de Luc. Pour y arriver, il transforme les Douze en Soixante-Douze, ce qui constitue dans l’Antiquité biblique l’ensemble des nations dans le monde. Et ces Soixante-Douze sont avant tout envoyés dans les villes, lieux où sont nées les communautés chrétiennes dans le monde gréco-romain. De plus, pour justifier ce second envoi, Luc évoque l’abondance de la moisson. Beaucoup des traits de la mission à la ville proviennent de ce qui est révélé de la mission de Paul dans les Actes, en particulier l’hospitalité reçue, les guérisons opérées, et les attaques d’adversaires. Le fait d’inclure dans le discours de Jésus les malédictions s’adressant à Chorazin, Bethsaïda et Carphanaüm n’est pas innocent, car elles concernent des villes juives ayant été témoins des guérisons, une façon de renforcir le message de Luc pour son auditoire grec des années 80 : le fait d’avoir connu le Jésus historique et ses guérisons ne procure aucun avantage pour croire. De même, la mention de Tyr et Sidon, des villes païennes qui se seraient converties si elles avaient été témoins des guérisons de Jésus, permet à l'auditoire de Luc de s'y identifier. En terminant le discours de Jésus avec la véritable source de la joie du disciple, Luc entend rappeler aux missionnaires de son temps la véritable perspective qu’ils doivent avoir, non pas celle d’une autorité quelconque dans la communauté, mais celle de faire partie de ces petits à qui a été révélé le mystère du royaume.
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meta tauta (après ces choses) |
L’expression meta tauta est formée de la préposition meta (avec, après) et du pronom démonstratif houtos (cela) à l’accusatif neutre pluriel, l’accusatif étant requis par meta. Il signifie littéralement : après ces choses, et il est habituellement traduit par : après cela, après quoi. Dans les évangiles-Actes, l’expression n’apparaît que sous la plume de Luc et Jean : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 7; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Notons que l’expression apparaît également en Mc 16, 12, mais cette section est un appendice à l’évangile de Marc, écrit par un scribe qui s’est inspiré de l’évangile de Luc, et absent des deux codex les plus importants, le Vaticanus et le Sinaïticus.
Pourquoi nous arrêter à cette expression? Elle porte la signature du vocabulaire typique de Luc, et en même temps nous donne un exemple de la parenté entre Luc et Jean qu’on rencontre tout au long de leurs évangiles respectifs. Il est possible que les deux évangélistes aient vécu dans un milieu assez proche, même s’ils sont totalement indépendants et ne se sont pas connus. Qu’entend-on par « ces choses »? Les « choses » peuvent désigner des événements spécifiques survenues dans le temps, comme une guérison ou un discours de Jésus, où ceux qui entourent sa mort et ses apparitions aux disciples, ou encore des événements qui font partie de l’histoire d’Israël; alors l’expression « après ces choses » entend situer le lecteur dans le temps dans une séquence d’événements. Par exemple : « Après ces choses (guérison d’un paralysé) Jésus sortit, remarqua un publicain du nom de Lévi assis au bureau de la douane, et il lui dit: "Suis-moi." » (Lc 5, 27). Mais quelque fois, les « choses » ne renvoient pas à des événements, mais à des actions pour établir une séquence et un ordre de priorité; par exemple : « Ne dira-t-il pas au contraire à son serviteur : "Prépare-moi de quoi dîner, ceins-toi pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu; après ces choses, tu mangeras et boiras à ton tour"? » (Lc 17, 8). Ici, au v. 1, les « choses » renvoient à l’événement où Jésus, alors qu’il est en route, reçoit des demandes pour devenir disciples, auxquelles Jésus répond en posant ses exigences. Ainsi, « après ces choses » entend non seulement situer le lecteur dans le temps dans une séquence d’événement, mais permet d’établir un lien entre la réponse de Jésus sur les exigences d’être disciple et l’envoi des 72 disciples avec toutes ses recommandations. |
L'expression meta tauta dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anedeixen (il désigna) |
Anedeixen est le verbe anadeiknymi à l’aoriste indicatif actif, 3e personne du singulier. Il est formé de la préposition ana (décrivant un mouvement de bas vers le haut) et du verbe deiknymi (montrer, indiquer), et signifie : indiquer au grand jour, et donc désigner, avec une saveur de promotion. Dans tout le Nouveau Testament, il n’apparaît que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans l’ensemble de la Bible, ce verbe sert surtout à indiquer le choix et l’investiture de personnes pour un poste d’autorité : les juges, les sages, un roi, un chef militaire, un stratège. En quelques rares occasions, il signifie : manifester, rendre visible, permettre de voir (cf 2 M 2, 8). Dans tous les cas, même si bien souvent le sujet de l’action est un être humain, il est assumé que le véritable sujet de l’action est Dieu lui-même. Les deux occurrences de Luc concernent d’abord le choix du remplaçant de Judas pour former le groupe des douze (Ac 1, 24), puis ici, au v. 1, le choix de missionnaires. Pour Luc, personne ne peut décider de lui-même d’être missionnaire. Aussi, c’est Jésus seul qui opère ce choix et assigne une mission à la personne choisie. |
Le verbe anadeiknymi dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kyrios (Seigneur) |
Kyrios est le nominatif masculin singulier de kyrios, le mot étant au nominatif car il joue le rôle de sujet du verbe « désigner ». Le mot désigne en grec classique « celui qui est maître de, qui a autorité », c'est-à-dire le maître, le maître de maison, le représentant légal, le tuteur (voir notre
Glossaire). Dans une société hiérarchique, c'est donc un terme générique pour décrire la relation d'un supérieur face à un subordonné : un supérieur exerce une seigneurie sur le subordonné.
C'est la Septante, cette traduction grecque de la Bible hébraïque qui a popularisé ce terme pour désigner Dieu : en effet, comme dans le monde Juif le nom propre de Yahvé est imprononçable et est remplacé par אֲדֹנָי (Adonai), pour exprimer son rôle de maître de l'univers, alors les auteurs de la Septante ont choisi de traduire Adonai par kyrios (seigneur). On comprendra que le terme kyrios est extrêmement fréquent dans le Nouveau Testament, et plus particulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 80; Mc = 18; Lc = 104; Jn = 52; Ac = 107. Comme on peut le constater, c’est Luc qui l’utilise le plus; s’adressant à une culture grecque, il devenait un véhicule bien adapté à son milieu. À l’inverse, Marc y recourt beaucoup moins souvent alors qu’il écrit pour la communauté de Rome.Le mot lui-même possède une grande flexibilité dans la mesure il couvre tout ce qui exerce une autorité et demande respect et honneur.
On peut faire ce tableau sur les occurrences et la signification de kyrios (on a exclu de ce tableau les additions ultérieures à l’évangile de Marc).
Faisons quelques remarques :
Concentrons-nous sur Luc. Non seulement kyrios désigne Jésus à 40 reprises, mais parmi toutes ces occurrences 32 lui sont propres (ne sont pas une copie de Marc ou de la source Q). Mais il y plus. Un trait particulier de son évangile est que le terme se retrouve 13 fois sous la plume du narrateur pour faire référence à Jésus. Par exemple : « En la voyant, le Seigneur (kyrios) eut pitié d’elle et lui dit: "Ne pleure pas." » (7, 13). C’est le signe que nous sommes vers l’an 85, que Luc s’adresse à une communauté croyante, et il parle de Jésus avec respect et déférence, utilisant le terme même employé par les croyants. Le seul évangile où le narrateur fait référence à Jésus sous le nom de « Seigneur » est Jean, mais beaucoup moins souvent : seulement quatre fois. Nous aurions ici un autre exemple de parenté entre le milieu des deux évangélistes. Une autre particularité de Luc est d’utiliser l’expression : le Seigneur Jésus (une fois dans l’évangile, 16 fois dans les Actes), une expression qui était sans doute utilisée dans les milieux grecs chrétiens. Chez les évangélistes, seul Luc emploie cette expression (cette expression en Marc 16 appartient à une addition d’un scribe qui s’est inspiré de la finale de l’évangile selon Luc). Autrement, elle se retrouve surtout dans les épitres dites pauliniennes, souvent avec l’addition du mot « Christ ». Ici, au v. 1, nous observons cette particularité de Luc où le narrateur désigne Jésus sous le titre de « Seigneur », expression habituelle pour faire référence à Jésus dans la communauté chrétienne. C'est l'indice d'une scène écrite après Pâques. |
Le nom kyrios dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
heterous (autres) |
Heterous est l’adjectif heteros à l’accusatif pluriel, l’accusatif étant requis car heteros joue le rôle d’un substantif complément d’objet direct du verbe « désigner ». Voilà un mot particulièrement lucanien : Mt = 10; Mc = 0; Lc = 32; Jn = 1; Ac = 17; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; sur le total de 60 occurrences, 49 proviennent de la plume de Luc. On pourrait également ajouter Marc 16, 12, car cette section est une addition par un scribe qui s’est inspiré de la finale de l’évangile de Luc. Il signifie : autre.
« Autre » est un adjectif, et donc il qualifie un nom. Ainsi, quand on parcourt les évangiles-Actes, on note qu’il qualifie une très grande varité de noms : maître, disciple, ville, gamin, esprit, fils, etc. Parfois, on l’utilise comme un nom; par exemple : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre (heteros)? ». Habituellement, le contexte est assez clair pour connaître le nom qui est sous-entendu, i.e. de quel « autre » il s’agit. Mais ici, au v. 1, « autres » est utilisé comme un nom : « Le Seigneur désigna d’autres ». Ainsi, « autres » qualifie un nom sous-entendu? Qui au juste? Trois réponses sont possibles :
Que conclure? Notre v. 1 appartient à une section (Lc 9, 51 – 18, 14) où, après avoir suivi le récit de Marc jusqu’au moment où Jésus arrivera bientôt à Jéricho et Jérusalem, Luc insère une section de huit chapitres dont les éléments sont puisés dans la source Q et dans ses sources personnelles. C’est donc un assemblage d’une multitude sources. Or, dans un tel travail d’édition, beaucoup de documents sont placés dans un nouveau contexte, et donc perdent parfois leur contexte originel qui permettait de comprendre aisément de qui ou de quoi il s’agissait. Un exemple typique est le réaménagement du récit du reniement de Pierre par Luc (22, 56-62): alors que Marc a découpé le drame en trois épisodes, Luc a préféré les réunir en un seul long épisode, mais quand il fait le raccord par la suite avec les moqueries des Juifs, après la scène où Pierre pleure amèrement, il écrit simplement : « Les hommes qui le gardaient se moquaient de lui » (Lc 22, 63); grammaticalement les pronoms « le » et « lui » qui désignent la personne captive dont on se moque renvoie à Pierre, qui est le sujet de la phrase précédente, alors que le lecteur sait bien que la personne dont on se moque est bel et bien Jésus. Ainsi, dans son remaniement, Luc a oublié de bien faire le raccord avec la séquence de Marc, une petite « étourderie ». Or, nous avons quelque chose de semblable ici au v. 1 avec le mot « autres », qui probablement à l’origine faisait référence aux Douze, mais a perdu son contexte originel en étant inséré au début du chap. 10; Luc a négligé d’apporter les ajustement requis. Autant Luc est un auteur grec dont le vocabulaire est très riche et dont le style harmonieux et raffiné montre une grande maîtrise de la langue, autant il peut parfois négliger certains détails. |
L'adjectif heteros dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hebdomēkonta dyo (soixante-douze) |
Hebdomēkonta dyo désignent deux nombres : soixante-dix ou septante (selon certains milieux francophones) et deux, et donc le nombre 72. Dans tout le Nouveau Testament, seul Luc emploie le nombre hebdomēkonta (soixante-dix): Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans notre section sur l’établissement du texte au tout début, nous avons mentionné que les manuscrits sont divisés sur ce nombre, certains affichant 70 et d’autres 72, et il est très difficile de déterminer quel était le nombre originel sous la plume de Luc; dans le texte grec proposé par Aland, le chiffre « deux » accolé à « soixante-dix » a été mis entre parenthèse. Nous avons également proposé que le nombre 70 ou 72 provenait de Genèse 10 qui raconte comment l’ensemble des nations du monde, après la destruction de toute l’humanité lors du déluge, ont été engendrées par les fils de Noé : Sem, Cham et Japhet; même si le récit ne donne aucun chiffre, il suffit de faire le compte des diverses nations nommées. Or, la liste des nations varient selon qu’on lit Gn 10 dans la version hébraïque ou dans celle de la Septante : selon le texte hébraïque, Sem a engendré 27 nations, Cham 11, Japhet 32, ce qui nous donne un total de 70; mais selon le texte grec, Sem a engendré 27 nations, Cham 30, et Japhet 15, ce qui nous donne un total de 72. Mais que ce soit 70 ou 72, tout cela ne change pas l’idée que nous sommes devant le nombre total des nations du monde, et donc des nations païennes, selon la culture juive. Dans la Bible, le chiffre 70 revêt parfois une valeur symbolique. Il est le résultat du chiffre sept (symbole de plénitude) multiplié par le chiffre 10 (symbole de multitude), et renvoit à diverses réalités.
Ici, au v. 1, le nombre 72 ou 70 entend désigner un nombre précis, celui du nombre de nations païennes dans le monde. Alors, pour Luc, en plus de l’envoi des Douze comme missionnaires auprès de chacune des tribus juives, le Seigneur envoi également un missionnaire pour chacune des nations païennes dans le monde. Bien sûr, cet envoi a une valeur hautement symbolique, car elle n’aura vraiment lieu qu’après la résurrection de Jésus. Mais au moment où Luc publie son évangile vers l’an 85, la foi chrétienne s’est déjà répandue dans le monde. Et pour Luc, c’est l’œuvre du Seigneur Jésus ressuscité, un envoi qui était déjà anticipé dans sa vie publique. |
Le nombre hebdomēkonta dans la bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
apesteilen (il envoya) |
Apesteilen est le verbe apostellō à l’aoriste de l’indicatif actif, 3e personne du singulier. Le verbe apostellō est formé de la préposition apo (à partir de, loin de) et du verbe stellō (équiper, préparer pour un voyage), et donc signifie : envoyer à quelqu’un, envoyer dans un lieu, envoyer en mission. On devine bien qu’il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 22; Mc = 20; Lc = 26; Jn = 28; Ac = 24. Habituellement, c’est un supérieur qui envoie un subordonné accomplir une mission ou faire un travail : Dieu envoie ses prophètes ou ses messagers, les anges, Jésus envoie ses disciples, un maître envoie ses serviteurs.
Dans le cadre d’une mission, le verbe apostellō traduit l’idée qu’on ne s’envoie pas soi-même. Comme l’écrit Paul : « Et comment prêcher sans être d'abord envoyé (apostellō)? » (Rom 10, 15). Ainsi, l’envoi n’est pas une simple action comme on envoi quelqu’un faire un course, c’est un geste officiel où quelqu’un devient un ambassadeur ou un représentant, donc reçoit une mission dont il aura à rendre compte. Chez Luc, il y a trois phases dans l’envoi:
Pour compléter notre analyse de apostellō, jetons un regard sur le nom apostolos (l’envoyé, le messager, l’apôtre), dont Luc est le plus grand utilisateur, surtout dans les Actes des Apôtres : Mt = 1; Mc = 2; Lc = 6; Jn = 1; Ac = 28; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Pour Luc, apostolos désigne avant tout les Douze (« il appela ses disciples et il en choisit douze, qu'il nomma apôtres [apostolos]) », si bien que lors du dernier repas, il remplace le nom « Douze » de Marc par le nom « apôtre » :
Ici, au v. 1, il ne s’agit pas de l’envoi des Apôtres que Luc restreint aux Douze, mais de l’envoi d’une nouvelle génération de missionnaires qui succéderont aux Apôtres (dont la mission est surtout restreinte à Jérusalem dans les Actes) et dont le territoire couvrira l’ensemble des nations. |
Le verbe apostellō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
dyo (deux) |
Dyo est l’adjectif numéral dyo à l’accusatif neutre pluriel, l’accusatif étant requis par la préposition ana. Comme il s’agit d’un adjectif, le mot « personne » est sous-entendu, et l’adjectif est utilisé comme un substantif. C’est un mot assez fréquent dans les évangiles : Mt = 40; Mc = 18; Lc = 29; Jn = 13; Ac = 13. Il signifie : deux.
Les nombres dans la Bible peuvent avoir une valeur symbolique. Qu’en est-il du nombre : deux? Sans nécessairement toujours prendre une valeur symbolique, ce nombre entend désigner certaines réalités particulières.
Ici, au v. 1, pourquoi envoie-t-on deux par deux? Même si c’est Jésus qui envoie, les envoyés représentent la communauté des croyants, et au moment où Luc écrit son évangile, c’est cette communauté qui envoie. À cette signification se juxtapose probablement une autre signification : dans le monde du témoignage auquel appartiennent les envoyés, il faut au minimum deux personnes pour que le témoignage soit valide, l’un confirmant ce que dit l’autre. |
L'adjectif dyo dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ana (par) |
Ana est une préposition qui est très rare dans le Nouveau Testament et dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il fait partie de certaines expressions, comme ana meson (litt. parmi milieu, i.e. au milieu de), ou encore ana meros (litt. chacun sa part, i.e. chacun son tour). Quand il est associé à un nombre, il a une dynamique distributive, comme dans l’expression « recevoir un denier chacun » (voir Mt 20, 9). L’objet désigné est toujours à l’accusatif.
Nous avons tenu à nous arrêter brièvement à cette proposition même si elle est rare, car elle fait partie du vocabulaire de Luc. Sur les trois occurrences dans son évangile, toutes les trois lui sont propres. Il lui arrive même d’ajouter (souligné) la préposition à sa source marcienne.
Ici, au v. 1, la préposition associée au nombre « deux » traduit l’idée d’une distribution : les missionnaires sont distribués par groupes de deux, et donc sont envoyés deux par deux. |
La préposition ana dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pro (avant) |
Pro est une préposition qu’on rencontre 29 fois dans les évangiles-Actes : Mt = 5; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 9; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Elle signifie littéralement : avant. Dans la majorité des cas, la préposition se situe dans un cadre temporel, et donc fait référence à ce qui précède dans le temps (par exemple : « Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l'ange avant (pro) sa conception » (Lc 2, 21); mais la préposition se situe parfois dans un cadre spatial, et donc sert à désigner ce qui est devant quelque chose d’autre (par exemple : « Elle reconnut la voix de Pierre et, dans sa joie, au lieu d'ouvrir la porte, elle courut à l'intérieur annoncer que Pierre était là, devant (pro) le portail » (Ac 12, 14).
La préposition pro appartient au vocabulaire lucanien, car non seulement il apparaît 14 fois dans les évangiles-Actes, mais parmi les les sept occurrences dans son évangile, six lui sont propres. Luc aime en particulier l’expression pro toutōn (tōn hēmerōn), qu’on traduit par : avant cela (ou ces jours-là). C’est ainsi qu’il l’ajoute à un texte de Marc :
Ici, au v. 1, pro comporte d’abord un sens temporel : les envoyés précèdent dans le temps l’arrivée de Jésus. Mais il peut y avoir aussi une connotation spatiale, car en précédent Jésus sur un chemin que Jésus suivra également plus tard, les envoyés sont devant Jésus dans l’espace. Quoi qu’il en soit, la question se pose : pourquoi un tel envoi missionnaire avant la visite de Jésus? Quelques versets plutôt (Lc 9, 52), Jésus avait envoyé des messagers avant lui (pro prosōpou autou, litt. : avant sa face) chez les Samaritains pour « préparer » (etoimazō) sa venue. C’est le même langage utilisé pour décrire la mission de Jean-Baptiste (Lc 7, 27 || Mc 1, 2 || Mt 11, 10). Mais paradoxalement, jamais Luc ne décrit le travail de ces messagers en territoire samaritain (Lc 9, 52); au contraire, au verset suivant (v. 53), on dit simplement qu’on n’accueillit pas Jésus, comme si tout le monde était parti en même temps. Quant à l’envoi des 72 avant la venue de Jésus, on apprend simplement un peu plus loin (v. 17) que les démons leur étaient soumis. Mais en quoi cela prépare-t-il la venue de Jésus, d’autant plus qu’il sera en route jusqu’au chap. 18 quand il atteindra Jérusalem? En fait, l’envoi qui précède la venue de Jésus doit être probablement compris dans le cadre de la communauté chrétienne des années 85 : la mission du chrétien est d’ouvrir le chemin de la foi par son témoignage, et par là de préparer la venue de Jésus; quand Luc parle des messagers et des 72, il parle de nous. On peut voir toute l’importance de l’expression pro prosōpou autou (litt. avant la face de lui), car elle met en valeur le rôle de médiateur du croyant dans la venue de Jésus. |
La préposition pro dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prosōpou (face) |
Prosōpou est le nom prosōpon au génitif neutre singulier, le génitif étant requis par la préposition pro (avant). Il signifie : visage, face, et apparaît 38 fois dans les évangiles-Actes : Mt = 10; Mc = 3; Lc = 13; Jn = 0; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C’est un mot tout à fait lucanien, car sur les 38 occurrences dans les évangiles-Actes, 25 proviennent de la plume de Luc. Et dans son évangile, sur les 13 occurrences, neuf lui sont uniques. Il lui arrive même de l’ajouter (souligné) à sa source marcienne :
Comme on peut le noter, Luc a remplacé le verbe « s’agenouiller » de Marc par « tomber sur la face », un geste de plus grande humilité et de plus grande révérence. Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut observer que le mot « face » peut avoir cinq significations différentes.
Ici, au v. 1, le mot « face » désigne toute la personne, sa présence, si bien que l’expression grecque pro prosōpou (avant face), doit être traduite « avant lui » ou « avant sa présence », avec l’idée que les envoyés doivent précéder Jésus. |
Le nom prosōpon dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
polin (ville) |
Polin est l’accusatif féminin singulier du nom polis, l’accusatif étant requis par la préposition eis (vers, dans). Il signifie : ville. On le rencontre partout chez les quatre évangélistes, surtout chez Luc : Mt = 27; Mc = 8; Lc = 39; Jn = 8; Ac = 43; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C’est un mot tout à fait lucanien, car sur les 125 occurrences du mot dans les évangiles-Actes, 82 apparaissent sous la plume de Luc. Il ne faut pas s’en surprendre, car Luc s’adresse aux communautés chrétiennes fondées par Paul, et ces communautés ont été fondées dans des villes, comme Corinthe. Il est significatif qu’il nous présente une parabole comme celle des mines où la récompense que reçoivent ceux qui ont fait des intérêts avec cette monnaie est de recevoir la responsabilité de plusieurs villes (voir Lc 19, 17.19).
Qu'est-ce qu'une ville? Selon nos standards modernes, une ville est une agglomération comprenant au minimum environ 2 000 personnes, sous la gouvernance d'un maire et d'un conseil municipal. Qu'en était-il dans l'Antiquité, et plus précisément dans la Palestine du temps de Jésus? Les évangiles nous donnent peu d'indices. Trois entités différentes sont nommées : la plus petite étant la ferme (agros), suivie du village ou bourg (kōmē), et finalement la ville (polis). Et en tout lieu où Jésus pénétrait, villages (kōmē), villes (polis) ou fermes (agros), on mettait les malades sur les places et on le priait de les laisser toucher ne fût-ce que la frange de son manteau, et tous ceux qui le touchaient étaient sauvés (Mc 6, 56) S'il est facile de distinguer le village de la ferme, il l'est moins de distinguer la ville du village. Par exemple, Luc, Matthieu et Jean considèrent Bethsaïde comme une ville, mais Marc comme un village.
La même constatation peut être faite à propos de Bethléem, appelée ville par Luc 2, 4, mais village par Jean 7, 42. On peut deviner que le nombre d'habitants, sans être plus précis, était un critère pour distinguer une ville d'un village. Mais il y a probablement surtout le fait qu'une ville était habituellement fortifiée pour se protéger, et on y entrait par une porte. C'est ainsi que dans l'Ancien Testament, par exemple, on parle de la "porte de la ville" : Gn 19, 1 (Sodome); Jos 2, 5 (Jéricho); Jos 8, 29 (Aï); Jg 9, 35 (Sichem); Jg 16, 2 (Gaza); 2 R 23, 8 (Jérusalem); Jdt 8, 3 (Béthulie). Dans les évangiles, Luc mentionne la porte de la ville de Naïn : "Quand il fut près de la porte de la ville (de Naïn), voilà qu'on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville" (7, 12). Et nous savons que la ville de Jérusalem était une ville fortifiée. Quelles sont les villes nommées par les évangélistes? i.e. où un nom précis est associé explicitement au mot polis. Chacun y va de sa propre liste.
Le seul consensus chez tous est la ville de Jérusalem. Luc est celui qui a la plus longue liste, mais sa connaissance de la Palestine, où il n'a probablement jamais mis les pieds, est plutôt pauvre, et on peut imaginer qu'il a pu projeter son univers grec sur la géographie de la Palestine. Quant aux villages, on y fait référence sans les nommer, sauf quelques rares exceptions : Bethsaïde (Mc 8, 23), Bethphagé (Mc 11, 2), Emmaüs (Lc 24, 13), Bethléem (Jn 7, 42), Béthanie (Jn 11, 1). Au v. 1, Luc nous présente un Jésus qui envoie d’abord des missionnaires dans les villes, là où se trouve le public à qui il veut s’adresser, et où se constitueront les premières communautés chrétiennes dans le monde grec; nous sommes dans un monde urbain. Cependant, cette affirmation doit être nuancée par le mot qui suit : topon (lieu), qu’il nous faut maintenant analyser. |
Le nom polis dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
topon (lieu) |
Topon est le nom topos à l’accusatif masculin singulier, l’accusatif étant requis à cause de la préposition heis (vers, dans). Il signifie : lieu, place, et apparaît 64 fois dans les évangiles-Actes. C’est un mot très lucanien, car sur ses 64 occurrences dans les évangiles-Actes, 34 proviennent de la plume de Luc, et dans son évangile, sur les 17 occurrences 13 lui sont uniques : Mt = 9; Mc = 10; Lc = 17; Jn = 11; Ac = 17; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Le mot topos (lieu, place) peut désigner dans les évangiles-Actes diverses réalités.
Ici, au v. 1, topos entend désigner une région géographique en général. Ainsi, le mot « lieu » dans l’expression « toute ville ou lieu » est probablement une façon d’inclure des lieux où les missionnaires et Jésus iront, mais qui, soit ne sont pas des villes, soit constituent toute une région incluant plusieurs villes. Ainsi, en 1 Th 1, 8 Paul peut écrire : « De chez vous, en effet, la parole du Seigneur a retenti non seulement en Macédoine et en Achaïe, mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue en tout lieu (topos) que nous n’avons pas besoin d’en parler »; ainsi topos peut être considéré dans ce verset comme synonyme de la Macédoine ou de l’Achaïe. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre le mot « lieu » qui désignerait ainsi toute une région. |
Le nom topos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ēmellen (il était sur le point de) |
Ēmellen est le verbe mellō à l’indicatif imparfait actif, 3e personne du singulier; le sujet du verbe est Jésus. Il signifie littéralement : être sur le point de (faire quelque chose), et il apparaît 69 fois dans les évangiles-actes : Mt = 9; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 12; Ac = 34; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Comme on peut le constater, c’est un verbe tout à fait lucanien : sur le total de 69 occurrences, 46 proviennent de la plume de Luc. Dans son évangile, sur les 12 occurrences, 11 lui sont uniques. Et il ajoute (souligné) parfois ce verbe à sa source marcienne :
Quel est la signification de ce verbe?
Ici, au v. 1, en utilisant le verbe mellō, Luc semble lui donner une triple signification. Tout d’abord, selon le sens habituel du mot, Jésus est sur le point de se rendre dans un avenir rapproché dans toute ville et région où il envoie ses missionnaires. Mais en même temps, le verbe exprime une intention ou un plan de Jésus, si bien que la phrase pourrait être traduite : « toute ville et région où il avait lui-même l'intention d’aller », comme l’ont fait la plupart des bibles anglophones. Enfin, comme nous l’avons dit, mellō exprime avec un haut degré de certitude ce qui doit se passer. Et comme l’intention de Jésus est de faire la volonté de Dieu, et que Luc nous a dit en 9, 51 que Jésus a pris résolument la route de Jérusalem, mellō exprime non seulement ce que Jésus a l’intention de faire, mais ce qu’il doit faire, et ainsi on pourrait traduire comme l’ont fait la plupart des bibles francophones : « toute ville et région où il devait aller lui-même ». |
Le verbe mellō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
erchesthai (venir) |
Erchesthai est le verbe erchomai à l’infinitif présent, forme moyenne; la forme moyenne traduit l’idée d’un verbe réflexif, i.e. Jésus se rend lui-même quelque part; l’infinitif est commandé par le fait que ce verbe suit un autre verbe, mellō (être sur le point de). Le mot signifie : venir. Comme on peut l’imaginer, c’est un verbe extrêmement fréquent; en fait, après legō (dire) et eimi (être), erchomai est le verbe le plus fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 114; Mc = 85; Lc = 101; Jn = 157; Ac = 50; 1Jn = 4; 2Jn = 2; 3Jn = 2. Comme on peut le constater, c’est dans la tradition johannique qu’il apparaît le plus souvent, reflet du vocabulaire limité de l’évangéliste qui s’en tient aux mots de base.
Même si Luc n’est pas celui qui utilise le plus fréquemment erchomai, ce verbe fait bel et bien partie de son voculaire. Sur les 101 occurrences dans son évangile, 56 lui sont uniques. Et il lui arrive même de l’ajouter (souligné) à sa source marcienne.
Ce que nous voulons surtout souligner, c’est que Luc fait une distinction entre deux verbes qui semblent synonymes, erchomai (venir) et poreuō (aller) quand il s’agit de Jésus. En effet, le verbe « venir » (erchomai) traduit l’idée d’une mission, d’une réponse au plan ou à la volonté ou un appel de Dieu.
Luc utilise également le verbe « venir » pour exprimer la foi du croyant : « Quiconque vient (erchomai) à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il est comparable », Lc 6, 47. C’est ce verbe qui est utilisé également pour décrire la mission de Jean-Baptiste : « Jean le Baptiste est venu (erchomai) en effet, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin, et vous dites: Il est possédé! », 7, 33. Par contre, quand il s’agit simplement de traduire l’idée de se rendre d’un point A à un point B, Luc préfère utiliser le verbe poreuō (aller, se rendre).
Ici, au v. 1, Luc écrit : « et il les envoya deux par deux… où lui-même il était sur le point de venir (erchomai) ». Le verbe « venir » vient renforcer l’idée d’une mission, d’une réponse à l’appel de Dieu. Et du point du croyant et de la communauté chrétienne, la venue de Jésus décrit la visite de Dieu, i.e. leur baptême et leur accueil de Jésus dans la foi. Aussi peut-on déplorer certaines traductions de nos bibles qui escamotent cette distinction entre erchomai et poreuō, et donc traduisent le v. 1 par : « où lui-même devait aller ». Nous ne sommes pas devant un simple déplacement, mais devant une mission. |
Le verbe erchomai dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 2 Et il leur disait: « Vraiment, la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le responsable de la moisson de trouver des ouvriers pour la moisson.
Littéralement : Puis, il disait (elegen) en direction (pros) d'eux: certes (men) la moisson (therismos) nombreuse (polys), mais les ouvriers (ergatai) peu (oligoi). Priez (deēthēte) donc (oun) le seigneur de la moisson, de sorte que (hopōs) des ouvriers il extraie (ekbalē) vers la moisson de lui. |
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elegen (il disait) |
Elegen est le verbe legō à l’indicatif imparfait actif, 3e personne du singulier. Il signifie : dire. C’est le verbe le plus utilisé dans les évangiles-Actes : Mt = 505; Mc = 290; Lc = 531; Jn = 480; Ac = 234; 1Jn = 5; 2Jn = 2; 3Jn = 0, soit un total de 2 047 occurrences. Luc, plus que tous les autres, y a recours. On pourrait être surpris du nombre d’occurrences. Mais cela tient au fait de la façon dont on présentait le dialogue dans l’antiquité. Aujourd’hui, lorsqu’on veut signifier qu’il s’agit des paroles d’un interlocuteur, on met des guillemets (par ex. « »), ou encore dans un roman on utilisera des traits longs (par ex. — ) suivis du contenu du dialogue. Mais cette ponctuation n’existait pas à l’époque du Nouveau Testament (les mots étaient écrits sans espace pour utiliser le moins de papyrus ou de cuir possible). Alors la façon simple d’indiquer au lecteur que ce qui suit est le contenu du dialogue, c’est d’écrire : disant. Par exemple :
Aujourd’hui, nous aurions simplement écrit : Jean répondit à tous : « Pour moi… ». Ici, au v. 2 le verbe est à l’imparfait, donc exprime une action continue. Qu’est-ce à dire? Quand Luc utilise l’imparfait pour exprimer l’action de « dire » de Jésus, il s’agit habituellement d’un enseignement, donc d’une parole qui est appelé à durer dans le temps. Par exemple :
C’est également le cas pour l’enseignement sur la parabole du neuf et du vieux (5, 36), sur le fait que le fils de l’homme est maître du sabbat (6, 5), sur les béatitudes (6, 30), sur la nécessité de porter sa croix pour le suivre (9, 23), sur les signes des temps (12, 54), sur la parabole du figuier stérile (13, 6), sur le royaume de Dieu (13, 18), sur le choix de la dernière place (14, 7), sur l’invitation des pauvres à sa table (14, 12), sur la parabole du gérant habile (16, 1), sur les temps eschatologiques (21, 10); tous ces récits sont introduits par la formule : « Jésus disait ». C’est le cas ici au v. 2 où le Jésus de Luc propose un enseignement sur la mission. Cet enseignement qui suit immédiatement est tiré de la source Q, un enseignement que copie également Matthieu dans un autre contexte. Mais alors que Matthieu introduit cet enseignement en Mt 9, 37 avec « il dit », Luc a choisi l’imparfait : « il disait », pour insister sur le fait qu’il s’agit d’un enseignement qui se poursuit dans le temps. |
Le verbe legō dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pros (en direction de) |
Pros est une préposition qui signifie littéralement : en direction de. Il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 42; Mc = 65; Lc = 166; Jn = 102; Ac = 133; 1Jn = 8; 2Jn = 3; 3Jn = 1. Comme on peut l’observer, Luc est le plus grand utilisateur de ce mot avec 299 occurrences sur le total de 520, soit 58% des cas.
Précisons sa signification. Dans la majorité des cas (515 occurrences sur 520) dans les évangiles-Actes, pros demande un complément d’objet direct (accusatif) : car il décrit une action avec un mouvement vers une personne ou quelque chose. On le traduit par des prépositions comme « à » ou « vers ». L’exemple le plus fréquent est celui où il accompagne le verbe « dire » (legō). Cela peut surprendre, car dans le langage courant la personne à qui on s’adresse est un complément d’objet indirect : « dire à quelqu’un ». Mais en grec on recourt très souvent à la préposition pros avec l’accusatif, car le verbe « dire » décrit un mouvement où la parole part de la personne qui parle pour se rendre jusqu’à la personne à qui on s’adresse. Par exemple :
Dans les évangiles-Actes, Luc est le plus grand utilisateur de l’expression legō + pros (dire à) avec l’accusatif: Mt = 1; Mc = 4; Lc = 89; Jn = 19; Ac = 26; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, soit 125 occurrences sur le total de 139, i.e. 90%. Nous sommes ici devant un exemple du style de Luc. Nous aurions encore un plus grand nombre de cas dans la même ligne si nous ajoutions au dossier les verbes « répondre » (apokrinomai) et « parler » (laleō). La préposition pros avec l’accusatif, qui exprime la direction d’un mouvement, est parfois traduit par la préposition « vers », surtout avec un verbe comme « envoyer ». Par exemple :
On la traduira aussi parfois par la préposition « pour » qui sert à indiquer à qui s’adresse une action, ou encore tout simplement par l’expression : « à l’adresse de ». Par exemples :
Enfin, il arrive que la préposition pros avec l’accusatif soit utilisée pour introduire le but ou le motif d’une action, et dans ce cas nous avons la construction : pros + article (accusatif) + verbe (infinitif). Par exemple :
Dans les évangiles-Actes, on trouve quatre cas où pros demande le datif, i.e. un complément d’objet indirect. Dans ces cas, la préposition entend exprimer la proximité d’un objet. Par exemple,
Enfin, nous avons un seul cas où pros demande le génitif, i.e. un complément de nom. Dans ce cas, la préposition entend exprimer l’intention d’une action.
Ici, au v. 2, nous avons une expression typique du style de Luc avec legō + pros + accusatif (dire à) : c’est une parole qui part de la bouche de Jésus pour se rendre jusqu’à ceux qui sont envoyés en mission. |
La préposition pros dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
men (certes) |
Men est une particule assez fréquente dans l’ensemble du Nouveau Testament, en particulier dans les Actes des Apôtres : Mt = 20; Mc = 6; Lc = 10; Jn = 8; Ac = 48; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Cette particule comporte trois grandes significations.
La particule men fait partie du vocabulaire de Luc. On peut facilement l’observer avec les Actes des Apôtres avec 48 occurrences. Mais même si dans son évangile, Luc ne l’emploie que 10 fois, sur ce total sept proviennent de la plume de Luc. On trouve même un cas où il l’ajoute (souligné) à un verset qu’il copie de Marc.
Mais ici, au v. 2, la particule provient ce que copie Luc de la source Q, car la même phrase avec cette particule se trouve également en Mt 9, 37. Elle sert à insister sur le fait que, en effet, tout le monde peut constater que la moisson est abondante, mais que les ouvriers sont peu nombreux. |
La particule men dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
therismos (moisson) |
Therismos est le nom therismos au nominatif masculin singulier, le nominatif désignant ce mot comme le sujet du verbe « être ». Il signifie : moisson, et peu fréquent dans le Nouveau Testament. En fait, à part une occurrence dans l’Apocalypse, il n’apparaît que dans les évangiles : Mt = 6; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 2; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
La moisson fait référence à l’agriculture palestinienne. La moisson de l’orge se fait au début d’avril, tandis que celle du blé se fait sept semaines plus tard, donc à la fin de mai ou au début de juin; dans les deux cas, les premières gerbes devaient être offertes au sanctuaire et donnait l’occasion d’une célébration, d’abord la fête de la Première Gerbe à l’occasion de la Pâque, puis celle de la Moisson ou Pentecôte (50 jours après) ou des Semaines. Quand on parcourt les occurrences du mot « moisson » dans l’Ancien Testament, on note qu’il est utilisé pour faire références à deux réalités :
Avec le Nouveau Testament, l’atmosphère change. Car la moisson apparaît souvent dans un contexte eschatologique, celui de la fin des temps et du jugement final comme on le voit chez Matthieu : « l'ennemi qui la sème, c'est le Diable; la moisson (therismos), c'est la fin du monde; et les moissonneurs, ce sont les anges » (Mt 13, 39). Cette atmosphère se retrouve également dans l’Apocalypse où un ange demande au fils d’homme de lancer sa faucille tranchante sur la terre car la moisson de la terre est mûre (Ap 14, 15). Dans un tel contexte, l’accent est sur les activités du moissonneur. Ainsi, on coupe les gerbes de blé avec la faucille (Mc 4, 29), puis on utilise la pelle à vanner pour séparer le blé de la bale, avant d’engranger le blé et de jeter la bale au feu (voir Lc 3, 17; Mt 13, 30). Cette activité fournit une image saisissante pour faire référence au jugement final. Mais comment interpréter cette parole attribuée à Jésus sur la moisson et le besoin d’ouvriers? La moisson fait référence à quoi? Le contexte de la phrase est celui de l’envoi en mission, et donc on peut présumer que la moisson concerne les gens qui font l’objet de la mission. Malheureusement, Luc nous offre peu d’indices pour comprendre plus précisément le sens de la phrase; il se contente ici de copier la source Q. Et Matthieu, qui copie également la phrase, s’en sert comme introduction à l’envoi des Douze. Il nous reste donc Jean avec son récit sur la Samaritaine Relisons Jn 4, 35-39 : Ne dites-vous pas vous-mêmes : “Encore quatre mois et viendra la moisson” ? Mais moi je vous dis : levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson ! Déjà le moissonneur reçoit son salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, si bien que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble. Car en ceci le proverbe est vrai, qui dit : “L’un sème, l’autre moissonne.” Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucune peine ; d’autres ont peiné et vous avez pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine. » Beaucoup de Samaritains de cette ville avaient cru en lui à cause de la parole de la femme qui attestait : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Ce texte de Jean identifie la moisson avec les Samaritains devenus croyants, et le moissonneur avec les disciples envoyés en mission. La moisson est présentée comme l’œuvre de Dieu probablement à travers les prophètes et l’action de Jésus lui-même, ce qui amène des gens à croire. Quel est maintenant le rôle du moissonneur? « Il amasse (synagei) du fruit pour la vie éternelle », écrit l’évangéliste. Le verbe synagō, qui nous a donné le mot « synagogue », traduit ici par « amasser » désigne d’abord le fait de ramasser la récolte (voir Lc 3, 17 « amasser le blé »; 12, 17 « amasser ma récolte »; Jn 15, 6 « amasser les sarments desséchés »), mais il désigne aussi l’action de rassembler des gens pour former communauté, comme l’écrit clairement Jean : « mais encore afin de rassembler (synagō) dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » (11, 52). Voilà le rôle du moissonneur. Si contexte de ramasser la récolte se situe en général dans un contexte eschatologique dans le NT, chez Jean cette eschatologie est déjà dans le présent : c’est maintenant le temps de la récolte. Il est probable que l’auteur de la source Q avait une compréhension semblable de l’image de la moisson et du moissonneur. La moisson est l’œuvre de Dieu dans le cœur de la personne, et le moissonneur est le missionnaire qui doit achever ce travail avec sa pelle à vanner et l’identification de ce qui doit être agrangé. Pour sa part, Luc fera allusion au travail des missionnaires lorsqu’ils reviendront de mission et évoqueront leur travail de guérison auprès de ceux chez qui ils ont été envoyés et qui ont accepté de les recevoir, une façon d’identifier le blé qu’il faut engranger et la force transformatrice de la foi. |
Le nom therismos dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
polys (nombreuse) |
Polys est l’adjectif polys au nominatif masculin singulier et s’accorde avec le nom therismos (moisson). Il signifie : beaucoup, nombreux, plusieurs, et il est très fréquent chez tous les évangélistes : Mt = 51; Mc = 59; Lc = 51; Jn = 36; Ac = 46; 1Jn = 2; 2Jn = 2; 3Jn = 1.
On peut regrouper les contextes où il apparaît en trois catégories.
Polys appartient au vocabulaire lucanien et on le retrouve régulièrement tant dans son évangile que dans les Actes des Apôtres. Dans son évangile, même si cet adjectif apparaît dans ce qu’il copie de Marc ou de la source Q, les trois quarts du temps il provient de sa propre plume. Mais ici, au v. 2 cet adjectif provient de la source Q. Que signifie une moisson « nombreuse » ou « abondante »? Tout d’abord, notons que l’adjectif appartient à la première catégorie identifiée plus tôt, celle d’une grande quantité d’objets qu’on peut compter. Les évangiles l’utilisent régulièrement pour décrire les foules « nombreuses » qui suivent Jésus. Mais il est impossible de se représenter un nombre précis derrière ce mot. Car en fait, le nombre est relatif au contexte. Par exemple, quand Luc écrit : « Cependant beaucoup (polys) de ceux qui avaient entendu la parole embrassèrent la foi, et le nombre des fidèles, en ne comptant que les hommes, fut d'environ 5 000 » (Ac 4, 4), le « beaucoup » est relatif à ceux qui ont entendu la parole. Combien ont entendu la parole? On ne le sait pas. Et par rapport à ceux-ci, combien ont embrassé la foi? On ne le sait pas. Tout ce qu’on sait c’est que leur ajout a contribué à atteindre le nombre de 5 000 fidèles. Ici, au v. 2 polys (nombreux) est relatif à oligos (peu) qui suit. Tout cela signifie simplement qu’en comparant la moisson et les moissonneurs, il y a plus gens dans le groupe de la moisson que dans le groupe des moissoneurs, aussi petit que soit leur nombre. |
L'adjectif polys dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ergatai (ouvriers) |
Ergateis est le nom ergatēs au nominatif masculin pluriel, car il joue le rôle de sujet du verbe sous-entendu : être. C’est un mot peu fréquent dans toute la Bible, en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 6; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il désigne un ouvrier salarié. Ce mot est très bien décrit par Matthieu avec la parabole des ouvriers de la onzième heure alors qu’un propriétaire embauche des ouvriers pour sa vigne et s’entend sur un salaire d’un denier pour la journée. Le Siracide 40, 18 le met en contraste avec l’homme auto-suffisant, i.e. qui ne dépend pas d’un autre pour son salaire. Notons aussi que l’ouvrier se distingue aussi de l’artisan, technitēs en grec, qui est en fait à son propre compte.
Il est surprenant de voir apparaître soudainement le terme d’ouvrier alors qu’on vient de parler de la moisson. On se serait attendu au terme de moissonneur (theristēs) comme on le voit en Mt 13, 30 : « Laissez l'un et l'autre croître ensemble jusqu'à la moisson; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs (theristēs) : Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes que l'on fera brûler; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier." » Tout au moins, on aurait pu parler d’un agriculteur (geōrgos). Pourquoi parler d’un ouvrier salarié? Une première explication pourrait être le fait qu’on vient de sortir de la symbolique de la moisson pour faire référence à la réalité profonde de la vie : c’est Dieu qui est l’agriculteur, le seul propriétaire de la moisson que sont les gens qui se sont ouverts à la parole évangélique, et que la récolte se fait par la médiation des humains, et non par le propriétaire lui-même; avoir utilisé le mot « moissonneur » dans ce contexte aurait peut-être été une source de confusion sur son identité (pourtant l’épitre de Jacques [5, 4] ne se gêne pas d’utiliser le terme « moissonneur » en référence aux ouvriers qui font la récolte). Mais l’explication la plus probable viendrait du fait que le terme « ouvrier » désignait dans les premières communautés chrétiennes ceux qui exerçaient certaines responsabilités, comme celle d’être missionnaire au service de la parole évangélique ou au service de la communauté. Regardons d’un peu plus près. Dans la première lettre à Timothée, on peu lire que des anciens ou presbytres présitaient sur la communauté chrétienne : Les anciens qui exercent bien la présidence méritent double honneur (ou double salaire), surtout ceux qui peinent au ministère de la parole et à l’enseignement. L’Écriture dit en effet : Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain, et encore : L’ouvrier (ergatēs) mérite son salaire (Tm 5, 17-18) Ainsi, on considérait comme normal que le ministère de la parole évangélique et de l’enseignement soit rémunéré, en s’appuyant sur Dt 25, 4 (« Tu ne muselleras pas le bœuf quand il foule le blé »), i.e. il faut subvenir aux besoins de ceux qui se donnent de la peine. Dans ses lettres, Paul a introduit le sujet de rémunération des apôtres qui étaient envoyés pour prêcher l’évangile en évoquant une parole de Jésus : Ne savez-vous pas que ceux qui assurent le service du culte sont nourris par le temple, que ceux qui servent à l’autel ont part à ce qui est offert sur l’autel ? De même, le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile (1 Co 9, 13-14) Paul fait probablement écho à une parole à laquelle Matthieu fait également écho dans ses consignes donnés aux missionnaires : « N’emportez ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton: car l'ouvrier (ergatēs) mérite sa nourriture » (Mt 10, 10), ainsi que Luc : « Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu'il y aura chez eux; car l'ouvrier (ergatēs) mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison » (Lc 10, 7). En 2 Tm 2, 15, le collaborateur de Paul se fait appeler « ouvrier » pour son travail d’évangélisation : « Efforce-toi de te présenter à Dieu comme un homme éprouvé, un ouvrier (ergatēs) qui n'a pas à rougir, un fidèle dispensateur de la parole de vérité ». Malheureusement, il semble que certains profitaient de cette situation d’être rémunérés pour détruire le travail de Paul : « Car ces gens-là sont de faux apôtres, des ouvriers (ergatēs) trompeurs, qui se déguisent en apôtres du Christ » (2 Co 11, 13); il s’agissait probablement avant tout de chrétiens juifs conservateurs qui voulaient la circoncisions pour tous (Ph 3, 2 : « Prenez garde aux chiens! Prenez garde aux mauvais ouvriers (ergatēs)! Prenez garde aux faux circoncis! »). Ainsi, l’ouvrier au service de la moisson c’est à la foi le missionnaire sur la route pour proclamer l’évangile, et le presbytre ou ancien dans son rôle pastoral de compléter l’éducation chrétienne des membres de la communauté et de maintenir l’unité. C’est un salarié, dont les besoins sont comblés par ceux qu’il sert. |
Le nom ergatēs dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
oligoi (peu) |
Oligoi est l’adjectif oligos au nominatif masculin pluriel, et joue le rôle d’attribut de « ouvriers ». On ne le rencontre que 26 fois dans les évangiles-Actes : Mt = 6; Mc = 4; Lc = 6; Jn = 0; Ac = 10; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie fondamentalement : petit, et quand il est l’attribut de certaines réalités comme l’espace et le temps, il est traduit par : peu.
Quand on parcourt les évangiles-Actes, on observe qu’il fait parfois référence au nombre de personnes (peu qui trouvent de chemin de la vie, peu d’élus ou de gens sauvés, peu d’infirmes qui sont guéris), à la taille des poissons (petits), à l’intensité des émotions (peu d’amour, peu d’émoi, petite discussion ou petit tumulte), à une mesure de l’espace-temps (s’avancer ou s’éloigner un peu, un peu de temps), à une mesure de l’action (se reposer un peu, être fidèle en peu de choses, remettre un peu les dettes, un travail non petit). C’est un mot tout à fait lucanien. Tout d’abord, on trouve 10 occurrences dans les Actes, et sur les six occurrences de son évangile, cinq proviennent de sa plume, la seule exception étant notre v. 2 copié de la source Q. Que signifie ce nombre « petit » d’ouvriers? Tout d’abord, dans notre analyse de l’adjectif « nombreux » dans le cas de la moisson, nous avons dit que le texte ne faisait référence à aucun nombre précis, mais comparait seulement la grandeur de la moisson avec le nombre d’ouvriers. Il en est de même de « petit » : on ne fait référence à aucun nombre précis, mais on dit simplement que le nombre d’ouvriers est en-deça des besoins de la moisson. Ainsi, l’accent est sur la surabondance de la moisson, œuvre de la force créatrice de Dieu, que l’action humaine peine à suivre. Rappelons que le chiffre 72 du v. 1 représente toutes les nations de la terre, et donne une idée de la moisson. Devant un tel défi, le contingent des ouvriers de l’évangile est insuffisant. Voilà ce que semble dire l’auteur de la source Q et que Luc reprend à son compte. |
L'adjectif oligos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
deēthēte (priez) |
Deēthēte est le verbe deomai à l’impératif aoriste passif, 2e personne du pluriel. Il a pour racine le verbe deō, qui, à la voix active, signifie : lier, avoir besoin de, falloir, et à la voix passive comme ici, signifie : demander, prier, supplier. On ne trouve que 22 occurrences de deomai (voix passive) dans tout le Nouveau Testament, et dans les évangiles-Actes il n’apparaît que sous la plume de Luc, à l’exception de cette occurrence dans la source Q à propos de la moisson que copient à la fois Matthieu et Luc : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 8; Jn = 0; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Deomai est donc un verbe tout à fait lucanien. Dans son évangile, toutes les occurrences lui sont propres, à l’exception de notre verset qui est une copie de la source Q. Il est significatif de constater que Luc ajoute (souligné) parfois deomai à sa source marcienne.
Le verbe deomai apparaît surtout dans deux contextes : il y a d’abord le contexte d’une demande insistante, voire d’une supplication, de quelqu’un qui demande par exemple une guérison. Et quand la demande est adressée a Dieu, le verbe est traduit alors par : prier. Notons qu’en grec le verbe habituel pour « prier » est proseuchomai. Quelle distinction peut-on établir entre proseuchomai et deomai en relation avec la prière? Proseuchomai fait référence à l’action spirituelle et religieuse d’être en prière d’une manière générale. Par exemple : « Et toute la multitude du peuple était priant (proseuchomai), dehors, à l'heure de l'encens » (Lc 1, 10). Par contre, deomai fait référence à une demande spécifique adressée à travers la prière, i.e. une prière de demande ou de supplication : « mais moi j'ai prié (deomai) pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22, 32). Quel est donc la signification de la phrase : « Priez donc le Seigneur de la moisson d’envoyer des ouvriers »? La phrase est tout à fait incongrue quand elle est mise dans la bouche de Jésus, car il se trouve à dire : « Priez donc le Seigneur de la moisson, que je suis, d’envoyer des ouvriers… ». N’oublions pas qu’au v. 1 le mot « Seigneur » désignait Jésus, et il n’y a aucune raison de penser qu’ici au v. 2 le mot désigne quelqu’un d’autre. Comment Jésus peut-il demander qu’on le prie d’envoyer des ouvriers? Lui-même ne sait-il pas qu’il faut envoyer des ouvriers, sans qu’on le lui rappelle? Pour comprendre cette phrase, il faut se placer dans le contexte où la source Q a pu être composée, peut-être dans les années 50 ou 60. Les premiers chrétiens sont conscients que Dieu seul peut transformer les cœurs afin qu’ils accueillent la parole évangélique, et donc que la moisson est son œuvre; c’est lui le propriétaire de la moisson. Il a délégué à certaines personnes choisies, appelées apôtres ou « envoyés », la responsabilité de faire la récolte de cette moisson. Les premières communautés chrétiennes exprimaient le fait que cet envoi n’est pas une initiative humaine en imposant les mains sur ceux qu’elles envoyaient en mission : « Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission » (Ac 13, 3). Ainsi, l’auteur ne la source Q, qui connaît bien la culture ecclésiale, ne demande certainement pas à son auditoire de prier pour que le Christ ressuscité « se réveille » et fasse son travail de déléguer des gens pour la mission. C’est beaucoup plus une exhortation adressée d’abord aux membres de la communauté de s’ouvrir à l’importance d’aller à l’extérieur de la communauté et d’être prêt pour la mission, et à la communauté chrétienne de soutenir l’envoi de missionnaires. Ainsi, « priez le Seigneur » est une demande adressée aux membres et aux responsables de la communauté chrétienne. |
Le verbe deomai dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
oun (donc) |
Oun est une particule très fréquente dans tout le Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 56; Mc = 6; Lc = 33; Jn = 200; Ac = 61. Elle est très souvent traduite par : donc, en conséquence; elle exprime alors le lien avec ce qui précède pour préciser la conséquence d’une action ou d’un fait. Comme on peut l’observer, c’est Jean qui utilise le plus cette particule, si bien qu’elle apparaît en moyenne à tous les cinq versets; c’est un écho de son style bâti sur un vocabulaire assez restreint où les mêmes mots reviennent sans cesse comme une mélopée.
Chez Luc, même si le nombre d’occurrences ne peut concurrencer Jean ou Matthieu, cette particule fait néamoins partie de son vocabulaire. Car non seulement elle apparaît 61 fois les Actes, mais dans son évangile, parmi le total de 33 occurrences, 25 proviennent de sa plume. Et il se permet même de l’ajouter à plusieurs reprises à sa source marcienne. Voici quelques exemples où nous avons souligné l’ajout de oun.
Ici, au v. 2, la particule oun provient de la source Q. De fait, dans l’évangile de Luc, cinq occurrences proviennent de la source Q, ce qui nous donne un indice que le terme faisait également partie du vocabulaire de son auteur. Quel rôle joue cette particule dans la signification de la phrase? On vient d’affirmer que la moisson est abondante, et les ouvriers peu nombreux. Le fait d’ajouter la conjonction « donc » (oun) à la phrase suivante vient exprimer les conséquences de cette situation, ou plutôt ce qu’elle exige : envoyer plus d’ouvrier à la moisson. On a donc l’explication pourquoi il faut envoyer plus de missionnaires: l'abondance de la moisson qui est l'oeuvre de Dieu. |
La particule oun dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hopōs (de sorte que) |
Hopōs est soit un adverbe interrogatif, soit une conjonction. Comme adverbe interrogatif, il signifie : comment. Nous n'avons qu'un seul exemple dans les évangiles.
Comme conjonction, il joue deux rôles. Il peut introduire une proposition subordonnée finale, et il signifie alors : de façon que, dans le but de, de sorte que. Par exemples :
Hopōs peut aussi introduire une proposition subordonnée complétive avec des verbes de demande, et donc introduit le contenu de la demande, et il est habituellement traduit par : que. Par exemples :
Dans les évangiles-Actes, l’emploi de hopōs se concentre chez Matthieu et Luc qui sont responsables de 38 occurrences sur le total de 40 : Mt = 17; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 1; Ac = 14; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans l’évangile de Luc, sur le total de 7 occurrences, six lui sont propres, la seule exception étant notre v. 2 qui est une copie de la source Q. Quel rôle joue hopōs dans la phrase? Il introduit une proposition subordonnée finale, et il signifie alors : de façon que, de sorte que, dans le but de; ainsi, le but de la prière est de pouvoir envoyer plus d’ouvriers à la moisson. |
La conjonction hopōs dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ekbalē (qu'il extraie) |
Ekbalō est le verbe ekballō au subjonctif aoriste actif à la 3e personne du singulier, le subjonctif étant requis car le verbe exprime un souhait ou désir, plutôt qu’une réalité. Le verbe est formé de la préposition ek (hors de) et du verbe ballō (jeter), et donc signifie : expulser ou chasser, jeter dehors ou rejeter, extraire ou obtenir. Il est assez fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 28; Mc = 18; Lc = 18; Jn = 3; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 1.
Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut regrouper les diverses utilisations de ekballō en trois catégories.
Notons que sur les 18 occurrences de ekballō chez Luc, neuf proviennent de la source Q, cinq de la source marcienne, quatre sont de sa propre plume. Dans la majorité des cas, le verbe signifie soit chasser les démons, soit jeter une réalité mauvaise. Les deux seules exceptions apparaissent ici au v. 2 et en 10, 35 avec le récit du bon Samaritain qui « extrait » deux deniers de sa bourse. Quel est le sens de ekballō ici au v. 2? Notons que le verbe entend décrire une action qu’on attend de Dieu, et on se serait attendu à une phrase comme : qu’il « envoie » des ouvriers à sa moisson. Pourquoi utiliser un verbe qui signifie littéralement : jeter dehors? D’où doit-on jeter dehors? D’autres passages évangéliques peuvent nous aider à comprendre de quoi il s’agit. Tout d’abord ce passage de la parabole du bon berger : « Quand il a extrait (ekballō) celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix. » (Jn 10, 4). Dans cette parabole, le bon berger fait sortir les brebis « hors » de l’enclos, en quelque sorte il « expulse » les brebis de l’enclos. En d’autres mots, il les fait sortir du milieu confortable de l’enclos, i.e. de la communauté. On retrouve la même idée en Mc 1, 12 : « Et aussitôt, l'Esprit Jésus chasse (ekballō) au désert »; l’Esprit pousse Jésus hors du confort de son milieu familial et de son quotidien pour sa retraite au désert et pour le préparer à sa mission. Tout cela éclaire notre v. 2. La prière adressée au Seigneur demande de sortir les chrétiens hors du confort de la communauté pour partir en mission : c’est en quelque sorte une demande d’expulsion de la communauté pour la bonne cause. Voilà ce que l’auteur de la source Q demande et qu’entérine Luc. |
Le verbe ekballō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 3 Allez! Je vous envoie comme des agneaux parmi les loups.
Littéralement : Allez (hypagete)! Voici (idou) que je vous envoie comme des agneaux (arnas) au milieu (mesō) des loups (lykōn). |
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hypagete (allez) |
Hypagete est le verbe hypagō à l’impératif présent actif, 2e personne du pluriel. On le rencontre presqu’exclusivement dans les quatre évangiles, surtout chez Jean : Mt = 19; Mc = 15; Lc = 5; Jn = 32; Ac = 0; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie partir d’un point A pour se rendre au point B, et donc est habituellement traduit par : aller. Sa signification est très proche du verbe poreuō, qui a plus le sens : être en route. Alors que Luc emploie cinq fois le verbe hypagō dans son évangile, il emploie par contre 52 fois le verbe poreuō, à l’image de sa vision chrétienne qui est pour lui un long cheminement.
Ici, au v. 3, Luc reprend une phrase de la source Q (« Voici que je vous envoie comme … ») qu’on retrouve également chez Mt 10, 16a. Mais le verbe « allez » (hypagete) est absent de Matthieu, et donc on peut se demander : est-ce Matthieu qui aurait retranché ce verbe de la source Q, ou ce verbe n’apparaissait pas dans la source Q et c’est Luc qui l’aurait ajouté. Comme le verbe hypagō apparaît régulièrement chez Matthieu, on comprendrait mal qu’il l’ait retranché de la source Q, s’il s’y trouvait. Il est donc plus probable que c’est Luc qui a pris l’initiative d’ajouter ce verbe. Pourquoi? Une réponse possible vient du contexte. Alors que Matthieu a placé la phrase de la source Q au milieu des recommandations sur la vie du missionnaire, Luc place cette phrase au moment où Jésus répond à la situation du manque de missionnaires, et donc doit envoyer des gens en mission. Alors il faut dire aux chrétiens : sortez du milieu confortable de la communauté chrétienne, et osez affronter la mission. Dès lors, l’impératif « allez » est une façon d’exiger que les croyants partent de la communauté pour aller à la rencontre des gens qui attendent la bonne nouvelle. Voilà ce que semble être l’intention de Luc en insérant ce verbe. |
Le verbe hypagō dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
idou (voici) |
Idou est une particule démonstrative formée à partir du verbe horaō (voir, regarder) à l’impératif aoriste moyen, 2e personne du singulier. Elle vise à attirer l’attention et est habituellement traduite par : voici; elle est l’équivalent de l’expression : « Écoutez! ». Ce procédé est beaucoup utilisé par Luc, Matthieu et la source Q : Mt = 62; Mc = 7; Lc = 57; Jn = 4; Ac = 23; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C’est l’équivalent de l’hébreu hinnê (regardez, voyez, si) qui vise à attirer l’attention sur un point ou un événement précis.
Luc a recours volontiers à cette particule démonstrative. Sur le total de 57 occurrences dans son évangile, 47 proviennent de sa plume. Mais ici, au v. 3, Luc se contente de reprendre un mot qui se trouvait dans la source Q. D’ailleurs, six occurrences de idou dans son évangile sont une copie de la source Q, ce qui nous indique que l’auteur de cette source aimait utiliser ce mot. La présence de idou au v. 3 entend attirer l’attention de l’auditeur sur ce qui suit, i.e. la difficulté de l’environnement du missionaire. |
L'expression idou dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
arnas (agneaux) |
Arnas est le nom arēn à l’accusatif masculin pluriel, l’accusatif étant requis car le mot est en apposition à « vous », qui est un complément d’objet direct du verbe « envoyer ». Ce nom signifie « agneau ». Sa présence ici est sa seule présence dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Autrement, il apparaît 34 fois dans la Septante.
Parler d’agneau fait référence à une culture pastorale où l’agneau faisait partie de la vie quotidienne, comme on peut l’imaginer en Galilée et dans l’ensemble de la Palestine. On peut donc être surpris qu’on ne le mentionne pas plus souvent dans les évangiles. Mais n’oublions pas que les évangiles ont été écrits et publiés dans les milieux urbains. Quoi qu’il en soit, l’animal apparaît sous plusieurs vocables en grec. En plus du terme arēn, il y a aussi le terme : arnion (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) qu’on trouve chez Jean, et le terme amnos : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 2; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On peut aussi mentionner le terme amnas qui n’apparaît que dans la Septante quand elle traduit le livre des Nombres. Enfin, il y a le terme générique probaton qui désigne habituellement la brebis, mais peut inclure à l’occasion les agneaux. Cette diversité des termes grecs reflète aussi la diversité qu’on trouve dans le monde hébreu. Le terme le plus fréquent pour désigner l’agneau est : kebeś, avec 107 occurrences. Un autre terme est keśeb, dont les deux dernières consonnes ont été inversées par rapport au terme précédent (un cas de dyslexie?) qui apparaît tout de même 13 fois. On trouve aussi kar, qui peut désigner le bât sur l’animal ou le pâturage, mais est aussi utilisé à quelques reprises pour désigner l’agneau. Dans quelques rares cas, on a recours à ṭāle ou à ṭĕlāʾ (inversion des voyelles du terme précédent), ou encore à ʾimmar (uniquement dans le livre d’Esdras). De plus, certains termes génériques sont utilisés pour faire implicitement référence aux agneaux comme śe (unité de petit bétail) ou ṣʾōn (troupeau de petit bétail). Tout cela indique que nous ne sommes pas dans un univers technique avec des termes très spécialisés. L’agneau apparaît dans l’AT dans trois grands contextes : celui du pasteur qui fait paître son troupeau, celui de la cuisine où il est désigné parmi les aliments qu’on peut manger et dont l’égorgement suit certaines règles, comme à la pâque, et enfin celui de l’offrande et de l’holocauste au temple de Jérusalem, soit dans le cadre des deux offrandes quotidiennes, soit celle de la purification ou du pardon des péchés. Excursus sur la traduction de la Septante Quand on examine comment la Septante a traduit tous ces termes hébreux, on note une absence de standard. Par exemple, kebeś est traduit la plupart du temps par amnios, mais aussi par amnias (seulement dans le livre des Nombres), ou encore par arēn, ou encore par arnion et même par probaton (désignant habituellement la brebis). Quant au terme keśeb, il est habituellement traduit par probaton, mais aussi par arēn et amnios. Mentionnons le terme kar qui, lorsqu’il désigne l’agneau, est surtout traduit par arēn, mais parfois par amnos. Quand aux termes ṭāle et ṭĕlāʾ, ils sont toujours traduits par arēn. Enfin, ʾimmar est toujours traduit par amnos. Ainsi, il ne faut pas chercher une signification spécifique devant un terme particulier. Cela est d’autant plus vrai que nous ne connaissons pas la version de la Bible hébraïque qu’avait en main le traducteur de la Septante. Par exemple, Gn 33, 19 du texte hébreu de la Massorète de nos bibles courantes nous présente le texte : « Pour cent pièces d’argent, Jacob acquit de la main des fils de Hamor, père de Sichem, une parcelle du champ où il avait planté sa tente ». Dans la Septante, on trouve plutôt : « Pour cent agneaux (amnios), Jacob acheta la portion du champ où il avait dressé sa tente, à Emmor, père de Sychem ». On a l’impression que la Septante avait en main une version plus ancienne du texte où régnait le troc, alors que le texte massorétique utilisé aujourd’hui présuppose l’existence de la monnaie. Et comme tout traducteur, celui de la Septante doit interpréter à sa façon des termes génériques. Par exemple, dans le récit de 2 Samuel 6, 13 où David amène tout joyeux l’arche à Jérusalem, on peut lire dans le texte hébreu : « Or donc, lorsque les porteurs de l’arche du Seigneur eurent fait six pas, David offrit en sacrifice un taureau et un veau gras (mĕrîʾ) ». Le terme mĕrîʾ signifie littéralement : l’engraissé, sans spécifier la bête. Toutes nos bibles traduisent ce terme par « veau gras », car c’était habituellement l’animal qu’on engraissait pour une grande fête. La Septante a plutôt traduit ce terme par arēn (agneau), jugeant probablement l’agneau plus approprié pour les sacrifices du temple. Un autre exemple nous vient du Psaume 114, 4 traduit ainsi par la TOB : « Les montagnes bondirent comme des béliers, les collines comme des cabris (ṣʾōn) ». Or, ṣʾōn désigne un troupeau de petites bêtes. La TOB y a vu des chevreaux ou cabris, alors que la Septante y a vu des agneaux : « Les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux (arnion) ». Enfin, notons que si certains traducteurs de la Septante ont opté pour une traduction assez littérale, d’autres ne se gènent pas de faire une traduction assez libre, et même se permettent des gloses. Par exemple, en 1 Samuel 15, 9 on peut lire : « Mais Saül et le peuple épargnèrent Agag et le meilleur du petit bétail, du gros bétail et des secondes portées, les agneaux (kar) et tout ce qu’il y avait de bon, et ils ne consentirent pas à les vouer par interdit (ḥāram). Mais toute la marchandise sans valeur et de mauvaise qualité, ils la vouèrent, elle, par interdit ». La Septante nous offre cette traduction : « Saül et tout le peuple sauvèrent Agag vivant, ainsi que les meilleurs des troupeaux (poimnion), des bœufs, des fruits des vignes (ampelōn) et de toutes les bonnes choses ; ils ne voulurent pas les détruire (exolethreuō), mais ils détruisirent toutes les choses sans valeur et sans valeur ». Que remarque-t-on? Tout d’abord, la Septante a éliminé la référence au petit bétail et aux agneaux pour la remplacer par « troupeau », a remplacé le gros bétail par la mention des bœufs, et enfin, a ajouté la mention des vignes, jugeant sans doute que cela devait être inclus dans le patrimoine familial qu’il ne fallait pas détruire. De plus, il a traduit le terme technique et religieux ḥāram (rendre maudit aux yeux de Dieu, traduit habituellement par « vouer à l’interdit ») par un terme plus approprié au monde civil : exolethreuō (détruire complètement). Dans le Nouveau Testament, peut-on déceler des nuances entre ces quatre termes : arēn, arnion, amnios, et même probaton? Un cas intéressant nous est fourni par Jean 21, 15 où Jésus dit à Pierre, après que ce dernier lui eut assuré qu’il l’aimait par-dessus tout : « Pais mes agneaux (arnion) ». Après la réponse de Pierre à la deuxième question, Jésus dit : « Sois le berger de mes brebis (probaton) ». Enfin, après la réponse de Pierre à la troisième question, Jésus dit : « Pais mes brebis (probaton) ». On chercherait en vain une différence de signification entre « agneaux » de la première réponse et « brebis » des deux autres réponses. Au terme de son analyse, R. E. Brown (Gospel according to John) doit conclure que les différents termes pour désigner l’agneau ou la brebis n’a pas plus de significations que les trois termes pour désigner les poissons : prosphagion, ichthys, opsarion. Reconnaissons néanmoins qu’on peut difficilement appeler « agneau » une vieille brebis. Cependant, le contexte où apparaissent ces différents termes dans le NT est tout de même révélateur. Commençons avec amnios. Ce passage d’Isaïe 53, 7 a influencé sa compréhension de la mort de Jésus : « Et lui, à cause de son malheur, n'ouvre pas la bouche ; il a été conduit comme une brebis (gr. probaton, hébr. śe = unité d’un petit troupeau) à l'abattoir, et comme un agneau (gr. amnos, hébr. rāḥēl = brebis) devant le tondeur, il est muet ; ainsi il n'ouvre pas la bouche ». Alors, amnos a été identifié à Jésus et à sa mort sacrificielle. Dès lors, on retrouve dans la bouche de Jean-Baptiste cette parole à l’égard de Jésus : « Voici l'agneau (amnos) de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29; voir aussi 1, 36). Actes 8, 32 fait également référence à ce passage d’Isaïe. La première lettre de Pierre évoque également ce terme : « mais par un sang précieux, comme d'un agneau (amnos) sans reproche et sans tache, le Christ » (1 P 1, 19). Le terme arnion, un diminutif de arēn, appartient à un contexte davantage apocalyptique, comme on le constate dans le livre de l’Apocalypses avec 29 occurrences. Dans l’écrit apocalyptique qu’est 1 Hénoch on parle d’agneaux blancs qui désignent la secte à laquelle appartient l’auteur, des agneaux blancs et clairvoyants qui appellent leurs frères à la conversion (voir 1 Hénoch, 90, 6). Ces agneaux sortiront victorieux dans leur combat contre le mal dans le monde. C’est la même image qui apparait dans un autre écrit apocalyptique, Le Testament de Joseph (19, 8). Dans le livre de l’Apocalypse, le Christ représenté sous la forme de l’agneau apparaît sur un trône devant lequel on se prosterne, et qui conduit les siens vers les sources de la vie, mais détruit la Bête et les forces du mal lors du jugement final. Enfin, il y a le terme arēn, que nous avons ici au v. 3, le seul exemple dans tout le NT et qui provient de la source Q copié par Luc (En copiant ce passage de la source Q, Matthieu a remplacé « agneau » par brebis [probaton], préférant sans doute le terme habituel pour désigner la bête, que le terme rare de arēn). Dans l’AT, ce mot est d’abord associé au milieu pastoral comme on le voit dans l’histoire de Jacob qui s’occupe du troupeau de Laban composé d’agneaux (arēn) et de chèvres. Le livre du prophète Isaïe nous présente les troupeaux d’agneaux dans leur pâturage, un troupeau dont Dieu s’occupe personnellement. En particulier, deux passages (Is 11, 6 et Is 65, 25) décrivent une scène où le loup et l’agneau mangent ensemble, symbole d’une monde pacifique en harmonie parfaite. En effet, le loup a la réputation de s’attaquer aux agneaux sans défense. C’est la même image d’un être sans défense qu’on égorge chez Jérémie (51, 5). Pour le prophète Michée (« Alors le reste de Jacob sera, parmi les nations, au milieu de peuples nombreux, comme un lion parmi les bêtes de la forêt, comme un lionceau parmi les troupeaux de moutons ; qu’il passe, il écrase et déchire, et personne ne peut en délivrer » 5, 8), l’agneau représente l’animal sans défense qu’on peut facilement écraser et déchirer. Alors quand l’auteur de la source Q présente le missionnaire comme un agneau au milieu des loups, il le présente comme un être sans défense qu’on peut facilement écraser. Pourquoi est-il sans défense? Luc ne nous donne pas d’indice, car il s’est contenté de piger cette phrase dans ce grand cartable de feuilles volantes qu’est la source Q; Matthieu copie également cette phrase pour l’insérer dans un autre contexte (Mt 10, 16), une phrase qui est suivie de la phrase : « Soyez donc avisés comme les serpents et candides comme les colombes ». Il est possible que dans la source Q cette deuxième phrase accompagnait la première et Luc l’aurait laissée tomber, ne gardant que la première. Quoiqu’il en soit, si Matthieu a raison dans son interprétation de la situation de l’agneau, on peut conclure que le travail du missionnaire se déroule dans un milieu extrêmement hostile où il sera l’objet d’attaques violentes dont il lui sera difficile de se protéger. Saint Paul nous en donne un écho : moi [ministre du Christ] bien plus ! Dans les fatigues – bien davantage, dans les prisons – bien davantage, sous les coups – infiniment plus, dans les dangers de mort – bien des fois ! Des Juifs, j’ai reçu cinq fois les trente-neuf coups, trois fois, j’ai été flagellé, une fois, lapidé, trois fois, j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit sur l’abîme. Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands, dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers des faux frères ! Fatigues et peine, veilles souvent ; faim et soif, jeûne souvent ; froid et dénuement (2 Co 11, 23-27)
Dans la bouche de Jésus, le v. 3 entend préparer le missionnaire à ce qui l’attend, afin de ne pas être surpris et d’être prêt à y faire face. |
Le nom arēn dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mesō (milieu) |
Mesō est l’adjectif mesos au datif neutre singulier, le datif étant commandé par la préposition en (dans, au). Mais dans cette phrase, mesos joue le rôle d’un nom neutre, et il signifie : milieu. Ce mot apparaît 58 fois dans le NT, et plus particulièrement 42 fois dans les évangiles-Actes : Mt = 7; Mc = 5; Lc = 14; Jn = 6; Ac = 10; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Même si mesos est un adjectif, et devrait donc être l’attribut d’un mot, c’est rarement le cas. Ainsi Jn 19, 18 est un cas rare : « ils crucifièrent avec lui deux autres, (un) de-ci, (un) de-là, et Jésus au milieu » alors que mesos est l’attribut de Jésus. Mais habituellement, mesos joue le rôle d’un substantif. Et dans plusieurs cas, on ne spécifie même pas de quel milieu on parle; par exemple, on dit simplement qu’on plaça quelqu’un « au milieu » sans plus de précision (l’expression est introduite par la préposition heis [vers] s’il y a du mouvement, ou la préposition en [en, dans] s’il n’y a pas de mouvement), ou encore on déplace quelqu’un « du milieu » sans plus de précision (l’expression est introduite par la préposition ek [hors de]). Bien sûr, dans tous ces cas, quand on place quelqu’un « au milieu » ou on le déplace « du milieu » on sous-entend : « au milieu » de ce lieu ou de cette place, ou « du milieu » de ce groupe.
Quand on examine les cas où on spécifie le milieu dont on parle, on observe différents groupes.
Chez Luc, comme l’indiquent les statistiques, mesos apparaît plus souvent dans ses deux oeuvres que chez les autres évangélistes. Et dans son évangile, sur les 14 occurrences, 12 lui sont propres, et il l’ajoute (souligné) parfois à sa source marcienne.
Ainsi, mesos appartient bel et bien dans son vocabulaire. Cependant, ici au v. 3, Luc se contente de copier la source Q. Et cette source entend signifier que le missionnaire apparaît comme un agneau en plein milieu d’une meute de loups. Qui sont ces loups? C’est ce qu’il nous faut maintenant analyser. |
L'adjectif mesos dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
lykōn (loups) |
Lykōn est le nom masculin lykos au génitif pluriel, le génitif est commandé par le fait que le mot joue le rôle de complément de nom de mesos (milieu). Il signifie : loup, et est très peu fréquent dans toute la Bible, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 2; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Quand on parle de loup, on fait évidemment d’abord référence à l’animal. Mais cet animal a une valeur symbolique dans l’Ancien Testament. Cette symbolique est bâtie sur ce qu’on connaît du loup : c’est un prédateur féroce. C’est l’image que nous présente la Genèse quand elle écrit : « Benjamin, loup (lykos) rapace (harpax) ; le matin il mange encore, et au soir on lui donne de la nourriture » (49, 27). On fait ici allusion au massacre des Gabaonites par Saül, un Benjaminite. Le terme harpax (rapace, prédateur) sera également associé au loup chez Ézéchiel quand il écrit : « Ses princes au milieu d'elle sont comme des loups (lykos) exerçant la prédation (harpazō) sur leur proie, prêts à verser le sang pour s'emparer du bien d'autrui » (22, 27). Sur ce point, le loup est associé au lion et à la panthère chez Jérémie : « C'est pourquoi, le lion sortant de la forêt les a blessés, et le loup (lykos) les a détruits jusque dans leurs demeures, et la panthère s'est élevée contre leurs cités » (Jr 5, 6; voir aussi Pr 28, 15). En toute logique, le loup est associé au mal : « Quelle union peut-il y avoir entre le loup (lykos) et l'agneau ? Il en est de même entre le pécheur et l'homme pieux » (Si 13, 17). Qu’en est-il dans le Nouveau Testament? Nous avons la parabole du bon pasteur chez Jean : « Le mercenaire, qui n'est pas le pasteur et à qui n'appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup (lykos), il laisse les brebis et s'enfuit, et le loup (lykos) s'en empare et les disperse » (Jn 10, 12). L’action du loup consiste à détruire l’unité de la communauté, à semer la zizanie et contribue alors à disperser les membres. Le loup les égare donc. Chez Jean, la parabole apparaît dans le contexte de controverses avec les Pharisiens. Mais à l’époque de l’évangéliste, les prédateurs étaient à la fois les Juifs de la synagogue, et à la fois des enthousiastes pour qui la chair n’avait aucune importance puisque le baptisé était comme un ange ressuscité; toutes ces pressions idéologiques détruisaient l’unité de la communauté. Le livre des Actes des Apôtres nous présente un discours d’adieu de Paul à Milet alors qu’il en route vers Jérusalem où il sera fait prisonnier : « Je sais bien qu’après mon départ s’introduiront parmi vous des loups (lykos) féroces qui n’épargneront pas le troupeau ; de vos propres rangs surgiront des hommes aux paroles perverses qui entraîneront les disciples à leur suite » (20, 29). Ce passage suggère deux types d’ennemis : des gens de l’extérieur qui s’introduisent dans la communauté pour la détruire, et des gens de l’intérieur de la communauté qui sèment la bisbille et construisent leurs propres chapelles. Enfin, un texte de Matthieu jettent aussi un peu de lumière sur la symbolique du loup : « Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups (lykos) rapaces (harpax) » (7, 15). On aura reconnu la réapparition du mot harpax (rapace, prédateur). Il faut rappeler que la fonction de prophète était un rôle bien défini dans les premières communautés chrétiennes, celui de la prédication, de l’enseignement et du commentaire évangélique; ils avaient donc une fonction de guide spirituel. Or, certains étaient de mauvais guides dont le travail, loin d’édifier, égaraient les gens et détruisait la communauté. Dans ses lettres, Paul fait référence à ces gens, en particulier à ceux qui voulaient imposer les règles juives aux baptisés non juifs. Voilà le contexte dans lequel il faut lire le v. 3 et sa référence aux loups. N'oublions pas que le missionnaire exerçait un rôle prophétique. Or, dans l'exercice de son rôle, il rencontrera l’opposition féroce de gens comparés à des loups, une opposition qui viendra de toutes parts, y compris d'autres missionnaires qui voudront détruire son oeuvre. Peut-on être surpris de la difficulté de recruter des ouvriers? |
Le nom lykos dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 4 N'emportez avec vous ni bourse ni bagage ni sandales, et en route ne vous attardez pas pour saluer qui que ce soit.
Littéralement : N'emportez (bastazete) ni bourse (ballantion) ni sac (pēran) ni chaussures (hypodēmata) et personne (mēdena) le long de la route (hodon) que vous saluiez (aspasēsthe) |
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(bastazete) (portez) |
Bastazete est l’impératif présent du verbe bastazō, qui signifie littéralement : porter. Peu présent dans l’ensemble de la Bible grecque, on le trouve surtout dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 5; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Ce qu’on porte appartient à deux niveaux, i.e. la réalité physique et la réalité symbolique.
Ainsi, sur le plan physique, on porte un objet ou une personne, et sur le plan spirituelle il s’agit avant tout d’assumer une réalité soit difficile, soit exigeante. Même si le verbe bastazō n’est pas fréquent, il appartient au vocabulaire de Luc. Il apparaît dans les Actes des Apôtres avec sa signification tant physique que spirituelle. Sur les cinq occurrences de son évangiles, quatre sont de sa plume. Et ici, au v. 4 alors qu’il a sous les yeux le texte de Marc qui parle ne ne pas « emporter (airō) de monnaie », Luc transforme l’expression pour parler de ne pas « porter (bastazō) de bourse ». Le résultat est de centrer notre attention sur l’accoutrement du missionnaire, et de visualiser cette bourse à la ceinture, ou plutôt de visualiser que la bourse manquera à la ceinture. Pour un voyageur, c’est une forme de dénuement, car il est laissé à la bonne volonté des autres pour sa subsistance. |
Le verbe bastazō dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ballantion (bourse) |
Ballantion est le nom neutre balantion à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct du verbe « porter ». C’est un mot rare dans toute la Bible, et il n’apparaît que chez Luc dans tout le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On le traduit habituellement par : bourse, cette pochette qu’à l’époque du NT on attachait à la ceinture et dans laquelle on mettait des pièces de monnaie.
La Septante ne nous donne que quelques exemples de balantion, et le terme semble désigner des choses différentes. En Pr 1, 14, on parle de « bourse » commune. Or, la Septante traduit par balantion le terme hébreu kîs, un terme générique qui peut désigner une bourse comme ici en Pr 1, 14 ou Is 46, 6 (traduit par marsippion [petit sac, bourse] par la Septante), mais peut aussi désigner un sac dans lequel un marchant pouvait transporter sa balance et ses poids à mesurer (Dt 25, 13 et Mi 6, 11, traduit dans les deux cas par marsippion dans la Septante ; Pr 16, 11, traduit par une périphrase par la Septante). Quant à Jb 14, 17, balantion semble désigner un sac pour emballer quelque chose afin qu’elle échappe à la vue des autres. Ici, la Septante a traduit ainsi le terme hébreu ṣĕrōr (paquet, colis, pochette, sac [pour emballer], et caillou). De fait, il arrive que le terme ṣĕrōr fasse référence à la monnaie qu’on transporte (voir Gn 42, 35 qui parle d’un « sac » d’argent, traduit par desmos [paquet] par la Septante; voir aussi Pr 7, 20 qui parle d’un « sac » d’argent, traduit par endesmos [paquet] par la Septante; voir Aggée 1, 6 qui parle d’un « sac » d’argent troué, traduit par la Septante par desmos. Autrement ṣĕrōr désigne tout ce qu’on a attaché ensemble ou on a emballé, quand il ne désigne par des caillous ou des pierres ou des grains écrasés. Bref, il n’y pas de terme technique pour désigner la bourse qu’on portait à la ceinture, et les traducteurs de la Septante ont utilisé différents termes grecs. C’est Luc qui semble avoir rationalisé le langage et a fait de balantion un terme pour désigner de manière spécifique la bourse qu’on portait le voyageur à la ceinture. En cela, il fait œuvre d’innovation, car les quatre occurrences dans son évangile lui sont propres, et aucun autre auteur du Nouveau Testament n’utilise ce terme. Marc, pour sa part, dit simplement : « pas de monnaie bronze à la ceinture ». Qu’est-ce qui est affirmé au v. 4? Pour le comprendre, il suffit de le traduire en termes modernes : « Partez sans porte-monnaie (ni carte de crédit) ». L’image est saisissante. Bien sûr, la société palestinienne était différente de la nôtre. Mais il reste néanmoins qu’on demande de partir en mission sans ressources économiques. On fait une confiance totale en Dieu et à l’accueil des gens. Voilà une forme de pauvreté. |
Le nom balantion dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pēran (sac) |
Pēran est le mot féminin pēra à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct du verbe « porter ». C’est un mot rare dans toute la Bible, et dans le NT il n’apparaît que chez les évangélistes : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C’est Marc qui semble avoir introduit le mot pour la première fois dans le contexte de l’envoi des Douze, repris par Matthieu et Luc. Mais ce dernier reprendra le terme dans le contexte de l’envoi des 72, puis dans deux versets au ch. 22 où il fait écho à l’envoi des Douze.
H.G. Liddell et R. Scott (A Greek-English Lexicon) nous donne cette définition de pēra : pochette en cuir pour les victuailles. Les évangiles nous donnent peu de détail sur cette pochette, sinon qu’elle accompagnait normalement le voyageur. Mais heureusement le livre de Judith est plus explicite quand il écrit : « elle remplit une besace (pēra) avec de la farine d’orge, un gâteau de fruits secs, des pains et du fromage ; elle empaqueta soigneusement tous ses récipients et en chargea sa suivante » (Jdt 10: 5). Ainsi, il s’agit d’un sac ou d’une besace pour les victuailles du voyageur qui lui permettait de se nourrir en chemin. Ainsi, demander au missionnaire de partir sans sac ou besace, c’est lui demander de voyage sans emporter de nourriture, comptant sur la bonne volonté des gens pour se nourrir. Cette demande, après celle de voyager sans monnaie, oblige le missionnaire à vivre comme un indigent. Sur le plan symbolique, cela signifie ne compter que sur Dieu seul. |
Le nom pēra dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hypodēmata (chaussures) |
Hypodēmata est le nom neutre hypodēma à l’accusatif pluriel, l’accusatif étant requis car le mot joue le rôle de complément d’objet direct du verbe « porter ». Ce n’est pas un mot fréquent dans la Bible, et dans le NT il ne se rencontre que dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ce mot grec est traduit parfois par chaussure, parfois par sandale. Dans notre traduction, nous avons préféré opter pour « chaussure », afin de le distinguer d’un autre mot grec : sandalion (sandale).
La Septante traduit presque toujours par hypodēma le mot hébreu : naʿălâ. Ce mot hébreu a comme racine le verbe nāʿal qui signifie « verrouiller », et donc traduit l’idée d’une semelle verrouillée autour du pied. Mais il y a deux cas où la Septante traduit naʿălâ par le mot grec sandalion. Il y a d’abord Is 20, 2 (« Le Seigneur parla à Isaïe, fils d'Amos, disant : Pars, et ôte le cilice de tes reins ; dénoue les sandales [gr. sandalion, hébr. : naʿălâ] de tes pieds, et fais comme je te dis ; voyage nu et déchaussé ». Et il y a Jos 9, 5 (« Le tour [koilos] de leurs chaussures [hypodēma] ainsi que leurs sandales [sandalion] étaient usés et rapiécés ; leurs vêtements montraient la corde, et le pain de leur approvisionnement était desséché, moisi, rongé ». Ce dernier cas est surprenant, car le texte hébreu dit simplement : « ils avaient aux pieds de vieilles sandales (naʿălâ), usées et recousues, et ils portaient de vieux vêtements usés ; tout le pain de leurs provisions était sec et en miettes ». Ainsi, le traducteur de la Septante a senti le besoin d’employer deux mots grecs pour traduire naʿălâ, d’abord hypodēma avec l’attribut koilos (creux), comme si la chaussure avait un « bord », comme un bottillon, puis sandalion. Ainsi, il semblerait qu’on pouvait être chaussé soit de simples sandales, soit d’une chaussure un peu plus « habillée » qui pouvait couvrir davantage le pied. Mais cet exemple semble un cas exceptionnel, et en général, l’hébreu a toujours le même mot naʿălâ pour parler de la chaussure aux pieds, et la Septante traduit presque toujours par hypodēma, ce que nos bibles traduisent le plus souvent par « sandale ». Que sait-on sur hypodēma? À quelques reprises on mentionne les lanières de cette chaussure : Jean-Baptiste se dit indigne de dénouer les lanières des chaussures de Jésus (Mc 1, 7; Lc 3, 16; Jn 1, 27). Ainsi, quand on parle d’enlever ses chaussures, on dit « dénouer les lanières de sa chaussure » (Is 5, 27), ou simplement « dénouer sa chaussure » avec le verbe grec lyō ou hypolyō (Ac 7, 33; 13, 25; Ex 3, 5; Dt 25, 9.10; Jos 5, 15; Rt 4, 7.8). Comme on peut l’imaginer, la chaussure, qu’on ne portait pas lorsqu’on demeurait à la maison, servait à la marche. C’est ainsi que les Israélites ont marché en « sandales / chaussures » pendant quarante ans dans les déserts, et grâce à Dieu, leurs sandales ne se sont pas usées (Dt 29, 4). Par contre, les Gabaonistes partis à la rencontre de Josué et de son peuple se plaignent en disant : LXX « nos vêtements et nos chaussures se sont usés durant notre bien long voyage » (Jos 9, 13). Quand Isaïe évoquera cette période de l’Exode où les Israélites ont pu franchir la mer, afin d’annoncer le retour d’exil au temps présent, il dira : LXX « Le Seigneur fera tomber son bras sur le fleuve, et il en frappera les sept bouches, de sorte qu'on les traversera avec des sandales » (Is 11, 15). Et si lors de la célébration de la pâque, on demandait d’avoir les sandales aux pieds (« Vous mangerez ainsi : les reins ceints, les sandales aux pieds, le bâton à la main, et vous mangerez à la hâte : c'est la pâque du Seigneur », Ex 12, 11), c’est qu’il fallait partir rapidement pour le voyage de la transhumance. Mais au-delà de son côté utilitaire, la chaussure/sandale avait une valeur symbolique. Et tout d’abord, elle symbolisait ce qui avait peu de valeur. Le prophète Amos dénonce ceux qui exploitent les pauvres et les indigents, et les achètent avec des cadeaux à prix dérisoire, comme une paire de sandales (Am 2, 6; 8, 6). Et quand on fait un plaidoyer de son honnêteté, on affirme qu’on n’a même pas pris une paire de sandales, pas même la lanière d’une paire de sandales (Gn 14, 23; 1 S 12, 3; Si 46, 19). Puisqu’on prend possession d’un territoire en le parcourant, la chaussure devient le symbole de prendre possession d’une chose et d’exercer ses droits. C’est ainsi qu’on peut lire au Ps 60, 10 : LXX « Et Moab, le vase de mon espérance ; je poserai ma sandale sur l'Idumée ; les étrangers me sont soumis » (voir aussi Ps 108, 10). C’est ainsi que pour exprimer le fait qu’on cédait un droit de possession, on dénouait la chaussure de son pied droit et on le remettait à la personne qui devenait acquéreur. C’est ce que décrit le livre de Ruth : LXX « Or, dès longtemps en Israël cette règle existait concernant les rachats, et les marchés : pour confirmer toute parole, l'homme, détachait sa chaussure et la donnait à son proche, qui reprenait son droit de rachat. Tel était le témoignage en Israël » (4, 7; voir aussi 4, 8). On retrouve cette pratique dans la gestion du lévirat, si bien que lorsqu’un proche ne voulait pas épouser la veuve de son frère mort sans enfant, ce proche devait délier sa sandale de l’un de ses pieds pour exprimer le fait qu’il n’exerçait pas son droit du lévirat, tandis que la veuve lui crachait au visage (Dt 25, 9); et le texte du Deutéronome conclut : « Et la maison de cet homme sera appelée en Israël : maison de celui qui a délié sa sandale » (25, 10). Les chaussures sont donc un symbole non seulement de possession, mais également d’autorité et de domination. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre ce passage du Psaume de Salomon : « À ton autel sont montées des nations étrangères, qui, par orgueil, l'ont foulé de leurs chaussures » (2, 2). Elles sont aussi un symbole de dignité et de noblesse : « Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! Les contours de tes cuisses sont comme des colliers, œuvre des mains d'un artiste » (Ct 7, 2). À l’inverse, marcher pied nu était un symbole de perte de pouvoir et de deuil. Quand Job dit : « Le Seigneur fait aller nu-pieds les prêtres ; il renverse les autorités les plus stables », il renvoie à l’humiliation des prêtres. Pour annoncer à l’Égypte sa défaite et son humiliation, Dieu dit ceci à Isaïe : « Va, détache le sac de tes reins et ôte tes sandales de tes pieds; Isaïe fit ainsi, il marcha nu et déchaussé » (Is 20, 2). Dans la cérémonie des funérailles, pour exprimer le deuil, on marchait pied nu. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la parole de Dieu adressée à Ézéchiel qui, annonçant sa mort prochaine, demande de ne pas faire de rite funéraire : « Tu auras un soupir de sang, une douleur de reins ; tes cheveux sur la tête ne seront point tressés, et tes sandales seront à tes pieds ; nulle lèvre ne te consolera, et tu ne mangeras pas le pain des hommes » (Ez 24, 17); comme on ne portait pas de sandales aux funérailles, garder ses sandales était une façon de ne pas faire de rite funéraire. Tout cela nous aide à comprendre la scène du buisson ardent quand Dieu dit à Moïse : « N'approche pas d'ici ; ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sacrée » (Ex 3, 5). Pourquoi demander d’enlever les sandales? Il y a une première réponse qui vient de l’affirmation que la terre est sacrée, et donc de la nécessité de séparer le sacré et le profane, les sandales représentant le profane, elles qui ont sillonnées les routes et ramassé la poussière; enlever les sandales est l’équivalent du rite d’ablution d’eau avant la prière et les gestes religieux. Mais il y a plus. Les sandales sont un symbole de possession, de pouvoir et d’autorité. Les enlever, c’est renoncer à son autorité pour se soumettre à celle de Dieu, c’est s’humilier par respect pour Dieu. Après ce long détour, nous pouvons revenir au v. 4 et à la demande de Jésus à l’égard du missionnaire de voyager sans chaussure/sandale. Cette demande est tout à fait inusitée, car la chaussure était pensée en fonction de la marche. Mais, comme nous l’avons vu, marcher sans sandale était signe de pauvreté et d’humilité, l’expression de l’absence de droit et de pouvoir. Voilà l’atmosphère dans laquelle devait se faire la mission. Notons en terminant que Luc, plutôt que de reprendre le terme sandalion de Marc a opté pour hypodēma de la source Q, tout comme Mt 10, 10b d’ailleurs. Cela est d’autant plus surprenant qu’il l’utilise pourtant en Ac 12, 8 dans cette scène où Pierre est libéré de prison : « L'ange lui dit : Mets ta ceinture et attache tes sandales (sandalion) ». Il est possible que Luc ait voulu refléter le milieu de culture grecque et la Septante, où hypodēma est largement utilisé pour désigner la chaussure, comme on le voit chez Matthieu et dans la tradition ancienne partagée par Marc et Jean sur l’indignité de Jean-Baptiste de dénouer la sandale de Jésus. En utilisant sandalion en référence avec l’envoi des Douze en mission, Marc aurait-il voulu s’inspirer du texte grec de Is 20, 2 où le prophète est envoyé déchaussé (sans sandalion) et nu en mission? Quoi qu’il en soit, Luc et Matthieu n’ont pas voulu le suivre dans cette voie. |
Le nom hypodēma dans la Bible | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mēdena (personne) |
Mēdena est l’adjectif mēdeis à l’accusatif singulier, l’accusatif étant commandé par le fait qu’il joue le rôle de complément d’objet direct du verbe « saluer ». On le rencontre chez tous les évangélistes, sauf Jean : Mt = 5; Mc = 9; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 19; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Il signifie littéralement : aucun; et donc quand il est l’attribut d’une personne, il signifie : aucune personne, et est traduit habituellement par : personne; quand il est l’attribut d’une chose, il signifie : aucune chose, et est traduit par : rien. Très souvent, l’adjectif joue le rôle d’un substantif ou nom, si bien que le nom « personne » ou « chose » est sous-entendu.
Dans les évangiles synoptiques, sur les 23 occurrences du mot, 13 sont utilisées dans le contexte où Jésus demande à ses disciples de ne rien dire de ce qui est arrivé ou de dire qu’il est le Messie. C’est ce que les biblistes appellent le « secret messianique », une notion introduite par Marc et reprise par Matthieu et Luc. Pour Marc, on ne peut comprendre l’identité de Jésus et la signification de ce qu’il a dit et fait qu’après sa mort en croix; d’où l’idée de se taire tant qu’on n’a pas compris tout cela. Le mot est tout à fait lucanien. Il apparaît 19 fois dans les Actes des Apôtres, et dans son évangile, sur les neuf occurrences, cinq proviennent de sa plume. Et ici, au v. 4, c’est lui qui ajoute ce mot à la tradition marcienne qu’il reprend à propos des conditions de la mission. Pourquoi ne parler à personne? C’est l’urgence de la mission. On ne peut s’attarder en route, ce qui serait le cas si on prenait le temps d’entrer en relation avec les autres. L’important est d’aller directement au but, au lieu de la mission. |
L'adjectif mēdeis dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hodon (route) |
Hodon est le nom féminin hodos à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis par la préposition kata, quand elle signifie : sur l'étendue de, le long de. Il signifie : route, chemin, voie. C’est ce mot grec qui nous a donné : odomètre (pour mesurer la vitesse sur la route). C’est un mot fréquent dans les évangiles-Actes, sauf chez Jean : Mt = 22; Mc = 16; Lc = 20; Jn = 4; Ac = 20; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Jésus a été un prédicateur itinérant, il ne faut donc pas se surprendre que beaucoup d’événements racontés dans les évangiles se passent sur la route. C’est en route que Jésus fait un certain nombre de rencontres, comme ces deux aveugles sur le bord du chemin (Mt 20, 30), l’aveugle Bartimée également au bord du chemin (Mc 10, 46), un jeune homme riche qui s’enquiert de la vie éternelle et qu’il appelle à tout laisser pour le suivre (Mc 10, 17), un homme qui s’engage à le suivre jusqu’au bout (Lc 9, 57). C’est en route que Jésus forme ses disciples en posant la question de son identité (« Qui suis-je? », Mc 8, 27), qu’il leur annonce qu’il doit souffrir et mourir à Jérusalem, avant de ressusciter (Mt 20, 17; Mc 10, 32), qu’il donne son enseignement sur l’observation du sabbat alors que ses disciples ramassent des épis en chemin (Mc 2, 23). Et chez Luc, c'est pendant que Jésus fait route vers Jérusalem pendant presque dix chapitres (9, 51 – 18, 14) qu'il livre la majeure partie de son enseignement aux disciples. Et c’est alors que Jésus est en route qu’il reçoit un accueil triomphal à Jérusalem (Mc 11, 8 || Mt 21, 8 || Lc 19, 36). Si tel est le maître, tel sera le disciple. C’est surtout très clair chez Luc. Alors qu’ils marchent sur la route, les disciples d’Emmaüs font la rencontre de Jésus qui leur explique les Écritures (Lc 24, 32). Sur la route de Gaza, Philippe rejoint l’eunuque éthiopien pour lui expliquer un passage du prophète Isaïe, ce qui l’amène à demander le baptême (Ac 8, 26.36.39). C’est en route vers Damas que Paul fait l’expérience du Christ ressuscité, ce qui le conduit à sa conversion à la foi chrétienne (Ac 9, 2-6; 22, 4ss; 26, 9ss). L’image de la route, c’est l’image du cheminement, de l’apprentissage, du développement, c’est l’image de la vie. Aussi, sur les 82 occurrences du mot hodos dans les évangiles-Actes, 31 ne font pas référence à la route physique, mais à sa portée symbolique. Et l’une des premières à signaler concerne le vocable utilisé pour désigner la foi chrétienne : la Voie. Dans les Actes des Apôtres, l’expression est utilisée huit fois; par exemple : « Apollos se mit donc à parler avec assurance dans la synagogue. Priscille et Aquila, qui l'avaient entendu, le prirent avec eux et lui exposèrent plus exactement la Voie » (Ac 18, 26; voir aussi 9, 2; 18, 25; 19, 9.23; 22, 4; 24, 14.22). Ainsi, la foi chrétienne n’est pas présentée comme un savoir ou une doctrine, mais comme une direction donnée à sa vie, une marche dans les pas de Jésus; c’est une réalité dynamique. Dans les évangiles, plusieurs expressions expriment la signification symbolique de la route : « le chemin de vie, le chemin de perdition » (Mt 7, 13-14), « la voie de justice » (Mt 21, 32), « la voie de Dieu » (Mc 12, 14 || Mt 22, 16 || 20, 21), le « chemin de la paix » (Lc 1, 79), « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), « chemin de vie » (Ac 2, 28), la « voie des nations » (Ac 14, 16), la « voie du salut » (Ac 16, 17). Toutes ces expressions traduisent la même idée : l’action humaine n’est pas neutre, il y a des actions qui conduisent vers l’authenticité et développent l’être humain pour qu’il soit vraiment lui-même et l’image de Dieu, et il a des actions qui le détruisent et où il n’est plus l’image de Dieu. Et Jésus est venu montrer ce chemin par toute sa vie, incluant sa mort par amour. Un exemple intéressant de la valeur symbolique du chemin provient de tous ces passages en référence au rôle de Jean-Baptiste : « Voici, j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer ton chemin. Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » (Mc 1, 2 || Mt 3, 3 || Lc 3, 4 || Jn 1, 23). Cette idée, que la vie du Messie sera comme une route où il ne faut pas mettre d’obstacles pour qu’il puisse exercer sa mission, a été reprise par les quatre évangélistes. L’image de la route est importante, car l’action du Messie s’inscrit dans le temps, et il ne faut pas l’empêcher de nous rejoindre progressivement; il n’y a rien d’instantané. Au v. 4, hodos désigne bien sûr la route physique sur laquelle doit marcher le missionnaire. Mais elle a aussi une portée symbolique. Car se mettre en route oblige à quitter sa maison pour partir au loin, à se laisser dépayser, à vivre une forme d’exode pour aller à la rencontre de l’autre. C’est la condition du missionnaire. Et ici au v. 4 Luc nous présente un nouveau visage de la mission. En effet, dans l’envoi en mission des Douze, Matthieu écrit ceci sur la consigne de Jésus : « Ces Douze, Jésus les envoya en mission avec les prescriptions suivantes: "Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains" ». Le Jésus de Luc ne limite pas les chemins que peut prendre le missionnaire. De fait, cet envoi de 72 missionnaires entend rejoindre toutes les nations de la terre, et donc entend parcourir tous les chemins du monde. |
Le nom hodos dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
aspasēsthe (que vous saluiez) |
Aspasēsthe est le verbe aspazomai au subjonctif aoriste actif, 2e personne du pluriel. Le subjonctif est une façon d’exprimer ici un impératif, sous forme d’un souhait. Il signifie « saluer » et est peu fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 2.
Quand on parle de saluer quelqu’un, de quoi parle-t-on exactement? On devine que l’exigence de Jésus n’est pas d’éviter de dire « Bonjour » aux gens qu’on rencontre sur la route. L’hébreu n’a pas de terme générique pour dire « saluer quelqu’un ». Prenons l’exemple d’Ex 18, 7 tel que traduit par la TOB : « Moïse sortit à la rencontre de son beau-père, se prosterna et l'embrassa. Ils se demandèrent l'un à l'autre comment ils allaient (héb. : šālôm [paix], gr. aspazomai [saluer]), puis ils entrèrent sous la tente ». Littéralement, en hébreu, Moïse et son beau-père s’enquirent mutuellement sur leur paix (šālôm). Car se souhaiter le šālôm (paix) était une façon de se saluer, comme aujourd’hui se souhaiter le « bonjour ». La Septante a traduit ici šālôm par le verbe aspazomai, si bien que la phrase devient : « ils se saluèrent mutuellement » (voir aussi Jg 18, 15). On aura remarqué le geste de Moïse pour saluer son beau-père : il se prosterne, il l’embrasse. L’AT nous donne quelques exemples de gestes pour exprimer la salutation. Voici le témoignage de Job sur une autre époque de sa vie : « Quand je sortais pour aller à la porte de la ville et que je me faisais préparer un siège sur la place. Les jeunes gens me voyaient et se cachaient, les vieillards se levaient et se tenaient debout. Les princes arrêtaient leurs propos et mettaient la main sur leur bouche » (Jb 29, 7-9). Ainsi, le geste de se lever et de se tenir debout était une façon de saluer quelqu’un. Si on était sur une monture, on en descendait : « Lorsque Abigaïl aperçut David, elle s'empressa de descendre de l'âne ; puis elle tomba face contre terre, prosternée, devant David » (1 S 25, 23). Pour les intimes, les embrasser était une façon de les saluer : « Elisée abandonna ses bœufs, courut après Elie et dit : Laisse-moi, je te prie, embrasser mon père et ma mère, et je te suis » (1 R 19, 20). Et il y avait ce geste inusité de se prendre la barbe : « Joab dit à Amasa : Comment vas-tu (šālôm ʾattâ, litt. : paix à toi), mon frère ? Et de la main droite il saisit la barbe d'Amasa, pour l'embrasser » (2 S 20, 9). Dans le Nouveau Testament, nous avons un amalgame de deux cultures, la culture hébraïque et la culture grecque. C’est ainsi que se souhaiter le šālôm (paix) est devenu littéralement : se souhaiter la eirēnē (paix); par exemple : « Que la paix (eirēnē) soit avec toi! Tes amis te saluent. Salue les nôtres, chacun par son nom » (3 Jn 1, 15). Mais dans le monde grec, la façon habituelle de se saluer était de dire : Chaire. Chaire est le verbe chairō à l’impératif présent, et signifie littéralement : réjouis-toi. Mais dans la vie courante du monde grec, il signifie : salut, bonjour, allô, et a été traduit en latin par ave. C’est par ce terme que l’ange Gabriel salue Marie (Lc 1, 28), que Judas salue Jésus à Gethsémani (Mt 26, 49), que les soldats romains saluent Jésus avec sa couronne d’épines (Mc 18, 18 || Mt 27, 29 || Jn 19, 3). Or le verbe chairō a la même racine que le nom chara (joie). Il est donc révélateur que Paul combine la manière hébraïque et grecque d’exprimer ses souhaits avec les mots « paix » (šālôm) et joie (chara) : « Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie (chara) et de toute paix (eirēnē) dans la foi, pour que vous abondiez en espérance par la puissance de l'Esprit saint ! » (Rom 15, 13). Mais c’est surtout le mot appenté charis (grâce) combiné à eirēnē (paix) qui sera signature comme salutation dans l’introduction de ses lettres; par exemple : « à vous grâce (charis) et paix (eirēnē) de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ » (Rom 1, 7; voir aussi 1 Co 1, 3; 2 Co 1, 2; Ga 1, 3; Ep 1, 2; Ph 1, 2; Col 1, 3; 1 Th 1, 2; 2 Th 1, 2; Tt 1, 4; Phlm 1, 4). Comment présente-t-on l’attitude de Jésus face aux salutations? On peut imaginer que Jésus a eu l’occasion de beaucoup saluer les gens au cours de sa vie. Mais les évangiles n’ont rien retenu. Ce qu’ils ont retenu, c’est la dénonciation par Jésus du comportement de scribes et des Pharisiens qui aiment à recevoir les salutations sur la place publique (Mc 12, 38 || Mt 23, 7 || Lc 20, 46; 11, 43); cette salutation pouvait impliquer des courbettes et différents gestes pour reconnaître leur importance. Jésus dénonce ce comportement qui est une recherche de gloire et d’intérêt personnel et ne fait qu’accentuer leur hypocrisie sous un vernis religieux. Par contre, Matthieu nous présente cette phrase de Jésus dans son sermon sur la montagne : « Et si vous saluez (aspazomai) seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant? » (Mt 5, 47). La salutation est un signe d’accueil et l’établissement d’une relation. D’ailleurs, la première chose que devra faire le missionnaire en arrivant dans une maison est de saluer les occupants : « En entrant dans la maison, saluez-la » (Mt 10, 12). L’accueil du croyant est le plus large possible (« Vous serez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait », Mt 5, 48). Aussi peut-on être surpris de cette phrase qu’on trouve seulement en Luc où Jésus demande au missionnaire de ne saluer personne en chemin. Cette demande est en contraste avec ce qu’on trouve dans le Siracide : « Aie honte… de garder le silence devant ceux qui te saluent (aspazomai) » (Si 41, 20). Doit-on prendre cette demande de Jésus au sens littéral? En fait, il est probable que la formulation de Luc reprend ce qu’on trouve dans le récit d’Élisée et de la Shounamite. Rappelons qu’Élisée avait promis un enfant à cette femme dont le mari était vieux, et elle enfanta un fils, mais un jour qu’il allait rejoindre son père aux champs, ce fils mourut soudainement. Toute éplorée, la Shounamite se rend auprès d’Élisée. Ce dernier veut intervenir immédiatent en envoyant d’abord son serviteur Guéhavi auprès de l’enfant, et lui dit donc : Elisée dit à Guéhazi : Passe une ceinture à tes reins, prends mon bâton et va. Si tu rencontres quelqu'un, ne le bénis (bārak) pas ; et si quelqu'un te bénit (bārak), ne lui réponds pas. Tu mettras mon bâton sur le visage du garçon (2 R 4, 29). Bénir quelqu’un était une autre façon de saluer quelqu’un, en plus de lui dire šālôm (paix). Or, Élisée demande à son serviteur de ne bénir personne en chemin, et donc de ne saluer personne. Pourquoi? En raison de l’urgence de la situation : il fallait intervenir au plus vite auprès de l’enfant décédé. Saluer les gens aurait impliqué prendre le temps d’entrer en relation, de s’enquérir de la situation des gens, ce qui aurait retardé énormément l’intervention auprès de l’enfant décédé. Luc connaissait probablement ce passage sur l’intervention du prophète Élisée à travers la version de la Septante. Et on est en droit de penser qu’il l’a influencé dans sa rédaction de la condition du missionnaire. Marc et la source Q semblent ignorer cette consigne. Il est possible que nous soyons devant un ajout de Luc. Quoi qu’il en soit, tous les évangélistes ont laissé entendre que, pour Jésus, la mission était urgente. |
Le verbe aspazomai dans le Nouveau Testament | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 5 De plus, dans quelque maison que vous entriez, offrez d'abord la paix évangélique.
Littéralement : Puis, le cas échéant, dans n'importe quelle maison (oikian) que vous entriez (eiselthēte), d'abord (prōton) dites paix (eirēnē) à cette maison. |
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oikian (maison) |
Oikian est l’accusatif singulier du nom féminin oikia, l’accusatif étant commandé par le verbe transitif eiserchomai (entrer dans) pour lequel il est complément d’objet direct; il signifie : maison. Deux mots désignent en grec la maison, le nom masculin oikos, et le nom féminin oikia. Tous les évangélistes utilisent les deux termes : oikos (Mt = 10; Mc = 13; Lc = 33; Jn = 5; Ac = 25; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) et oikia (Mt = 25; Mc = 18; Lc = 24; Jn = 5; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0). Comme on peut le constater, Matthieu et Marc préfèrent oikia à oikos, alors que Luc préfère oikos à oikia, tandis que Jean les utilise de manière équivalente. Il ne semble pas y avoir de nuance entre les deux termes. Un exemple typique provient de Jean où la maison de Marthe et Marie est appelée d'abord oikos, puis oikia :
Quand on parcourt l'utilisation de oikia par les évangélistes, on note quatre significations possibles.
La maison orientale n’a que peu évolué au cours des âges : murs de pierres brutes et de briques crues, charpentes légères ne dépassant guère les 3 m, couvertures de roseaux et de terre battue. La maison la plus simple est une case d’une ou deux pièces, appuyée à une paroi rocheuse si le site le comporte. En ville, une pièce donne sur la rue par son petit côté, et une autre, en arrière, est éclairée par une fenêtre haute. Les noms oikia et oikos font partie du vocabulaire de Luc, alors qu’ils apparaissent à la fois dans les Actes et dans son évangile. Mais Luc établit-il une nuance entre les deux termes? Considérons d’abord les Actes des Apôtres. Le terme oikia n’est utilisé uniquement en référence à une maison d’un particulier : la maison de Judas, de Simon le corroyeur, de Simon Pierre, de Marie, du geôlier, de Justus. Quant au terme oikos, il couvre un éventail plus large de significations : le plus fréquemment, le terme désigne un clan ou toute une famille (par exemple, la maison d’Israël), mais il désigne aussi une maison en général, sans qu’on puisse l’associer à un individu en particulier (par exemple, les chrétiens rompaient le pain dans leurs maisons) ou encore, le temple (« quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur », Ac 7, 49); bien sûr, à quelques reprises, il peut aussi désigner la maison d’un particulier (la maison de Corneille, de Lydie, du geôlier). Ce dernier cas illustre le fait que Luc peut utiliser à la fois oikia et oikos dans la même scène pour désigner la même maison : Ils (Paul et Silas) annoncèrent alors la parole du Seigneur, à lui (le geolier) et à tous ceux qui vivaient dans sa maison (oikia). A l’heure même, en pleine nuit, le geôlier les emmena pour laver leurs plaies ; puis, sans plus attendre, il reçut le baptême, lui et tous les siens. Il fit ensuite monter Paul et Silas dans sa maison (oikos), leur offrit un repas et se réjouit en famille d’avoir cru en Dieu (Ac 16, 31-34) Qu’en est-il de l’évangile de Luc? L’évangile reflète ce que nous avons dit à propos des Actes. Le nom oikia ne désigne pas que la maison physique, surtout celle d’un particulier bien identifié, mais aussi la maison en général, la seule exception étant un passage copié de Marc où oikia désigne les biens d’une personne. Par contre, le domaine de signification de oikos est plus vaste : il désigne à plusieurs reprises la famille ou le clan (par ex. la maison de David), ou encore le temple (« Voici que votre maison va vous être laissée », Lc 13, 35), en plus de faire référence à la maison d’une personne particulière (la maison de Zacharie, de Marie, du paralytique, du centurion, du Pharisien, du possédé aux pays des Gergéséniens, de Jaïre, de l’homme à l’esprit impur, du maître de maison qui s’est fait voler, du maître qui avait organisé un grand festin, du berger qui avait perdu une brebis, du publicain et du pharisien, de Zachée). Bref, oikia et oikos sont synonymes chez Luc, la seule nuance étant que seulement oikos est utilisé pour désigner le clan ou la famille, ou encore le temple. Ici, au v. 5, Luc reprend un passage de Marc 6, 10 où Jésus fait ses recommandations aux missionnaires qui entrent dans une maison, et donc copie de cette source le mot oikia. Pourquoi la maison est-elle le lieu de la mission? Pourtant, d’après l’évangile de Marc, il semble que ce soit avant tout dans les synagogues que Jésus soit intervenu (Mc 1, 21.39; 3, 1; 6, 2). Jésus a aussi enseigné dans le parvis du temple (Mc 12, 35). La place publique aurait pu être un lieu normal de la mission. Pourquoi envoyer les Douze dans les maisons? En fait, au moment où les évangiles commencent être mises par écrits, les chrétiens ne sont plus les bienvenus dans les synagogues et le temple sera détruit en l’an 70. L’envoi des Douze est donc situé dans un contexte chrétien où l’évangélisation se fera avant tout dans les maisons, comme l’écrit Luc : « Et ils lui (le geôlier) annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu'à tous ceux qui étaient dans sa maison (oikia) » (Ac 16, 32). Et la maison deviendra le centre de la vie chrétienne : « Et s'étant reconnu, il se rendit à la maison de Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où une assemblée assez nombreuse s'était réunie et priait » (Ac 12, 12). |
Le nom oikia dans les évangiles-Actes | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
eiselthēte (que vous entriez) |
Eiselthēte est le verbe eiserchomai au subjonctif aoriste actif, 2e personne du pluriel, le subjonction étant commandé par la particule an (si, le cas échéant) qui introduit une situation hypothétique. Le verbe eiserchomai, composé de la préposition eis (vers, dans) et du verbe erchomai (venir), signifie : entrer, pénétrer. On le trouve régulièrement dans les évangiles-Actes, surtout dans la tradition lucanienne : Mt = 36 ; Mc = 30; Lc = 50; Jn = 15; Ac = 34. Mais on peut affirmer que le verbe est aussi fréquent, sinon plus fréquent chez Marc que chez les autres évangélistes, en sachant que sur les 33 occurrences de Matthieu, seulement 14 lui sont propres, et chez Luc, sur ses 50 occurrences, 28 lui sont propres, les autres provenant soit de Marc, soit de la source Q.
Quand on parle d’entrer, on fait référence à une situation où on entre dans un lieu. Et de fait, sur le total des 165 occurrences du verbe dans les évangiles-Actes, 24 renvoient à l’entrée dans une ville ou une localité, et 85 à l’entrée dans une maison, une synagogue, un temple ou un tombeau, soit tout près de 70% des cas. Ce lieu peut ne pas être géographique, et alors il s’agit par exemple d’entrer dans la communauté chrétienne (l’accès se fait par la porte qu’est Jésus, Jn 10, 9; des loups peuvent y entrer, Ac 20, 29). Et il y a certaines expressions hébraïques comme « entrer et sortir » qui désignent l’activité de toute une vie (Jn 10, 9; Ac 1, 21), ou encore « entrer dans le labeur des autres », une façon d’exprimer que la mission chrétienne hérite de ce qu’a semé Jésus (Jn 3, 5) Mais il arrive que le lieu où on entre soit plus inhabituelle avec une valeur symbolique. C’est le cas quand on entre dans un être animé.
Enfin, il y a des cas où le lieu appartient au monde spirituel. Sur ce point, chaque évangéliste a sa touche particulière. Marc :
Matthieu :
Luc – évangile :
Jean :
Luc – Actes :
Ici, au v. 5, Luc copie une phrase qui lui vient de Marc sur l’entrée dans une maison pour le missionnaire. L’expression eiserchomai eis ton oikon / eis tēn oikian (entrer dans la maison) chez Marc est tout à fait courante : Mc 2, 26; 3, 27; 6, 10; 7, 17.24; 9, 28. Mais l’expression appartient aussi au vocabulaire de Luc, et il se permet même d’ajouter (souligné) le verbe « entrer » (eiserchomai) à la source marcienne :
Le fait d’entrer dans une maison présuppose que le maître de maison est prêt à accueillir le missionnaire, qu’il est disposé à l’écouter. Ainsi, la prédication missionnaire ne s’adresse qu’aux gens de bonne volonté, ouverts à la parole. Le verbe eiserchomai dans les évangiles-Actes |
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| prōton (d'abord) |
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Prōton est un adverbe qui a la même racine que le mot prōtos (premier), et donc signifie : d’abord; il permet d’établir un ordre de priorité. Il apparaît régulièrement dans le Nouveau Testament et dans les évangiles : Mt = 9; Mc = 7; Lc = 10; Jn = 5; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On peut le constater, il est bien présent chez Luc où, sur les dix occurrences, huit lui sont propres.
L’adverbe prōton sert à établir les priorités. Ces priorités peuvent être d’ordre religieux. Par exemple :
Les priorités peuvent être d’ordre moral. Par exemple :
Les priorités peuvent être d’ordre rituel. Par exemple :
Les priorités peuvent être d’ordre pratique. Par exemple :
Ici, au v. 5, de quel ordre est la priorité de dire d’abord aux résidents de la maison : « Paix »? Pourquoi d’abord prononcer cette parole? On pourrait penser à un geste de politesse, comme aujourd’hui la première chose qu’on dit en entrant chez quelqu’un c’est « Bonjour ». Mais pourquoi Luc se serait donné la peine de transmettre une tradition catéchétique sur l’envoi missionnaire avec une recommandation de Jésus centrée sur l’étiquette et le savoir-vivre? On devine bien qu’il s’agit ici d’autre chose que d’étiquette ou de savoir-vivre. Et le verbe « dire » qui suit doit être interprété comme une proclamation. Nous avons ici un modèle qu’on retrouve aussi dans l’Ancien Testament : c’est Dieu qui prend « d’abord » l’initiative de sauver son peuple d’Égypte, et les commandements de Sinaï ne sont qu’une réponse à cette initiative. Ainsi, il faut d’abord annoncer ce que Dieu a fait, avant de demander quel qu’action que ce soit. C’est la signification de prōton au v. 5. L'adverbe prōton dans les évangiles-Actes |
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| eirēnē (paix) |
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Eirēnē est le nom féminin eirēnē au nominatif singulier; il est le sujet du verbe sous-entendu « soit ». Il signifie : paix, et il est surtout présent dans le Nouveau Testament dans les épitres pauliniennes et chez Luc : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 14; Jn = 6; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 1.
On ne peut entrer dans la signification du mot « paix » sans tenir compte du contexte de l’Ancien Testament. Car dans le monde juif, dire à quelqu’un šālôm (paix) était la façon habituelle de le saluer, comme on le voit dans ce passage de Jg 19, 20 où un vieillard accueille un lévite qui a besoin de se loger pour la nuit : Le vieillard répondit : « Que la paix (šālôm) [soit] avec toi ! Bien sûr, tous tes besoins seront à ma charge, mais ne passe pas la nuit sur la place ! » Comme dans la salutation d’aujourd’hui avec « bonjour » où on souhaite que la journée soit bonne, le fait de souhaiter la paix impliquait le souhait que tous les besoins soient comblés; car la racine du mot exprime l’achèvement, la plénitude, la perfection (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel). Pour avoir une idée de ce qui est inclus dans cette paix, il suffit de lire Lv 26, 3-6 : Si vous suivez mes lois, si vous gardez mes commandements et les mettez en pratique, je vous donnerai les pluies en leur saison ; la terre donnera ses produits et les arbres des champs donneront leurs fruits ; chez vous, le battage durera jusqu’à la vendange, et la vendange durera jusqu’aux semailles ; vous mangerez de votre pain à satiété et vous habiterez en sûreté dans votre pays ; je mettrai la paix (šālôm) dans le pays ; vous vous coucherez sans que rien vienne vous troubler ; je ferai disparaître du pays les animaux malfaisants ; l’épée ne passera plus dans votre pays La paix fait partie d’un ensemble où non seulement on vit en sécurité, mais également dans une certaine prospérité. Mais, dans la mentalité antique, tout cela dépend de Dieu qui l’accorde à qui il veut. C’est ainsi que le Psalmiste peut chanter : J’écoute ce que dit Dieu, le Seigneur ; Mais avec les prophètes, en particulier Isaïe, la paix apparaît dans un contexte nouveau : elle sera octroyée par la médiation du messie. C’est ainsi qu’Isaïe (9, 5-6) peut écrire : Car un enfant nous est né, Et l’annonce de la paix équivaut à l’annonce de la bonne nouvelle et est l’équivalent de l’annonce du salut et du règne de Dieu : « Comme ils sont les bienvenus, au sommet des montagnes, les pas du messager qui nous met à l’écoute de la paix (šālôm), qui porte un message de bonté, qui nous met à l’écoute du salut, qui dit à Sion : " Ton Dieu règne !" » (Is 52, 7). C’est le contexte dans lequel il faut lire le cantique de Zacharie présenté par Luc 1, 79 : « Il (l’astre d’en haut) est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas sur la route de la paix (eirēnē) ». Avec le Nouveau Testament, la paix de Dieu est identifiée à Jésus, le messie ressuscité. Quand on parcourt l’ensemble du Nouveau Testament, on observe que le mot « paix » peut prendre différentes significations.
Luc, comme nous l’avons déjà fait remarquer, est celui qui fait le plus référence à la paix, et dans plus de la moitié des cas, il s’agit d’une référence à la paix messianique. Ici, au v. 5, le fait de dire « paix » en entrant dans une maison est bien sûr une façon de saluer les occupants, mais n’oublions pas qu’il s’agit de missionnaire qui apporte la bonne nouvelle de l’évangile de paix, et donc cette salutation fait référence à la bonne nouvelle de la paix messianique qui est proposée à la liberté de chacun; voilà pourquoi chacun est libre d’accepter. On peut s’étonner en remarquant que les recommandations de Jésus ne fournissent aucun détail sur le contenu de la prédication missionnaire. Il faut donc comprendre que la simple mention de la paix est suffisante pour faire référence à tout le contenu de l’évangile, et que l’accent de notre péricope est avant tout sur les « méthodes missionnaires », i.e. sur le comment de la mission. Le nom eirēnē dans le Nouveau Testament |
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| v. 6 Et s'il s'y trouve quelqu'un d'ouvert à cette paix, elle l'habitera. Autrement, elle ne demeurera qu'avec vous.
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Littéralement : Et si là (ekei) qu'il soit un fils (huios) de paix, elle se reposera (epanapaēsetai) sur lui la paix de vous. Puis, sinon, certes (ge) sur vous elle retournera (anakampsei)
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| ekei (là) |
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Ekei est un adverbe de lieu qui signifie : là. Il apparaît régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 28; Mc = 11; Lc = 16; Jn = 22; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, surtout chez Matthieu et Jean.
L’adverbe ekei désigne habituellement un lieu géographique, que ce soit une maison, une grange, une synagogue, une ville, une région ou tout un pays (85% des cas dans les évangiles-Actes). Mais il arrive aussi que l’adverbe fasse référence
Ekei appartient au vocabulaire lucanien, car sur les 16 occurrences dans son évangiles, neuf lui sont propres. Et il se permet parfois de l’ajouter (souligné) dans il copie sa source marcienne, une façon d’être plus précis sur le plan géographique. Par exemple :
Au v. 6, l’adverbe ekei est introduit par Luc et entend désigner la maison, mais la maison dans sa double signification : le lieu géographique, puisque les missionnaires sont entrés dans une maison, mais également la famille étendue qui l’habite. L’adverbe nous permet de centrer notre attention sur ce lieu. L'adverbe ekei dans les évangiles-Actes
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| huios (fils) |
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Huios est le nom masculin huios au nominatif singulier, le nominatif étant requis car le mot est le sujet du verbe « être » (littéralement : si un fils de paix est là). Il signifie : fils, et est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 89; Mc = 35; Lc = 77; Jn = 55; Ac = 21; 1Jn = 22; 2Jn = 2; 3Jn = 0. Mais de ces 301 occurrences au total, 176 servent à désigner Jésus comme fils de Dieu ou fils de lhomme, soit plus de la moitié (58%). Néanmoins, si on enlève ce dernier cas de léquation, nous nous retrouvons quand même avec 125 occurrences du mot « fils », à comparer aux 26 occurrences du mot « fille ». Il ne faut pas sen surprendre dans une société patriarcale où seul lhomme a un statut social et où avoir un fils a une plus grande valeur que davoir une fille. Prenons toutefois conscience que dans les évangiles-Actes le terme huios peut revêtir plusieurs significations que jai regroupées en cinq catégories.
Signification biologique : il sagit de lenfant mâle engendré par des parents (71 fois : Mt = 18; Mc = 7; Lc = 26; Jn = 12; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
Signification spirituelle pour désigner lêtre de Jésus : Jésus est le fils de Dieu ou il est le fils de lhomme (175 fois, dont 82 fois « fils de lhomme » : Mt = 49 (30 fois « fils de lhomme »); Mc = 22 (14 fois « fils de lhomme »); Lc = 37 (25 fois « fils de lhomme »); Jn = 40 (12 fois « fils de lhomme »); Ac = 3 (1 fois « fils de lhomme »); 1Jn = 22 (0 fois « fils de lhomme »); 2Jn = 2 (0 fois « fils de lhomme »); 3Jn = 0). Exemples :
Appartenance à une lignée généalogique : on est fils dun ancêtre selon larbre généalogique (19 fois : Mt = 10; Mc = 3; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0 ; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
(Note : on a léquivalent du côté féminin avec « fille » pouvant désigner une lignée généalogique : Lc 1, 5 « il (Zacharie) avait pour femme une fille (thygatēr) dAaron, dont le nom était Élisabeth ») Appartenance à un groupe selon la race : cest ainsi quon est fils dun pays ou fils de lhumanité (14 fois : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
(Note : on a léquivalent du côté féminin avec « fille » pouvant désigner lappartenance à un groupe racial : Lc 23, 28 « Mais, se retournant vers elles, Jésus dit: " Filles (thygatēr) de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants! " ») Appartenance à quelquun, à un groupe, ou adhésion à des valeurs : être fils désigne le fait dêtre disciple dun maître ou ami de quelquun ou dune valeur qui identifie une personne ou un groupe (22 fois : Mt = 9; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 3; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Exemples :
Au v. 6, le mot « fils » dans l’expression « fils de paix » appartient à un sémitisme pour désigner quelqu’un qui est disciple de la paix, qui est prêt à accueillir la bonne nouvelle de l’évangile et à devenir chrétien. Le fait même d’employer le mot « fils » nous laisse comprendre que, pour accueillir le message évangélique, il faut déjà au préalable une certaine connivence, si bien que l’intervention missionnaire ne fait que révéler l’auditeur à lui-même. Le nom huios dans les évangiles-Actes |
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| epanapaēsetai (elle se reposera) |
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Epanapaēsetai est le verbe epanapauomai à l’indicatif futur passif, 3e personne du singulier (litt. : elle sera reposée). Le verbe epanapauomai est formé de l’adverbe epanō (au-dessus de) et du verbe pauō (cesser) et signifie « terminer une action au-dessus de quelqu’un ou quelque chose ». Le verbe traduit deux grandes idées : d’une part, venir sur quelqu’un pour y demeurer ou s’y reposer, d’autre part, s’appuyer sur quelqu’un.
Dans tout le Nouveau Testament, on ne retrouve que deux occurrences de ce verbe, Lc 10, 6 dans les évangiles, Rom 2, 17 pour le reste du Nouveau Testament. La signification du verbe chez Paul est assez claire : en s’adressant au Juif, Paul remarque que la Loi est pour lui un appui, la base de sa confiance dans la prétention à connaître Dieu et sa volonté, si bien que nos bibles ont traduit la phrase par « toi qui te reposes sur la loi ». Mais quel est la signification du verbe epanapauomai en Lc 10, 6, alors que le sujet est « la paix », et le verbe est suivi de « sur vous »; contrairement à la signification du verbe dans la lettre aux Romains, le verbe ne peut avoir ici les sens de « s’appuyer sur ». Nous avons plutôt l’idée que la paix « se reposera » sur la personne qui a accueilli le missionnaire qui lui a offert la paix, i.e. elle viendra prendre demeure chez lui. Il est possible qu’ici au v. 6 nous ayons un écho du cycle des prophètes Élie et Élisée. Les fils des prophètes qui étaient à Jéricho, sur la rive opposée, le virent alors arriver, et dirent : L'esprit d'Elie s'est reposé (epanapauomai) sur Élisée. Et ils allèrent à sa rencontre, et se prosternèrent devant lui la face contre terre (2 R 2, 15) Si cette perception est juste, cette scène évoque transmission de l’Esprit. D’ailleurs, n’avons-nous pas vu plus tôt que la paix est le fruit de l’Esprit Saint (Ga 5, 22; Rom 15, 13); transmettre l’Esprit et transmettre la paix sont synonymes. Ainsi, la famille qui accueille la paix du missionnaire voit l’Esprit venir habiter chez elle, et c’est le début d’une vie dans l’Esprit. Le verbe epanapauomai dans la Bible |
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| ge (en effet) |
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Ge est une particule grecque peu présente dans les évangiles-Actes, sinon chez Luc : Mt = 4; Mc = 0; Lc = 8; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Elle n’a pas d’équivalent dans nos langues modernes. Elle vise à souligner le mot qui précède pour lui donner une certaine force. Quand on veut souligner le minimum qui peut être fait, ge sera souvent traduit par « du moins ».
je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera à cause du moins (ge) de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin (Lc 11, 8) Quand au contraire on veut souligner le maximum qui peut être fait, ge sera souvent traduit par « même ». Lui qui n'a pas même (ge) épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur? (Rom 8, 32) La particule ge peut être jointe à d’autres particules, et dans ce cas elle vient les renforcir. Par exemple, elle peut être jointe à alla (mais, par contre), ou encore à ara (donc, ainsi, est-ce que), ou encore à kai (et), ou encore à ei (si), elle sera alors souvent traduite par « en effet ». Ainsi (ara) en effet (ge), c'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez (Mt 7, 20) Dans une proposition négative introduite par « si » (ei), ge accentue le contraste entre deux situations et est souvent traduite par « sinon en effet ». Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d'eux; sinon en effet (ei mē ge), vous n'aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux (Mt 6, 1) Et il y a le cas spécial où la particule ge est jointe à la particule interrogative mēti (est-ce que?) pour accentuer le contraste dans la question. Nous n’avons qu’un seul cas dans le NT. On traduira soit par « encore plus » ou « encore moins » selon le contexte. Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? N’est-ce pas encore plus (ge) les choses de cette vie! (1 Co 6, 3) Pourquoi nous être arrêté sur cette particule? Tout d’abord pour faire remarquer qu’elle appartient au vocabulaire et au style de Luc. Il est non seulement celui qui l’utilise le plus (8 occurrences dans son évangile et 4 dans ses Actes), mais sur les 8 occurrences dans son évangile, 7 lui sont propres. De plus, il ajoute (souligné) à l’occasion cette particule à sa source marcienne.
Ici, au v. 6, nous avons une phrase qui provient bel et bien de la plume de Luc. Ensuite, cette analyse nous permet de saisir l’intention de Luc d’accentuer le contraste entre les deux situations, celle de celui qui accueille la paix, et celle de celui qui ne l’accueille pas. Car, n’oublions pas, Luc aurait pu simplement écrire : « S’il y a dans la maison un fils de la paix, cette paix reposera sur lui », sans dire plus. Pourquoi insister sur le « sinon en effet »? C’est ce que nous devons maintenant analyser. La particule ge dans le Nouveau Testament |
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| anakampsei (elle reviendra) |
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Anakampsei est le verbe anakamptō à l'indicatif futur actif, 3e personne du singulier, le sujet étant « la paix ». Il est formé de la préposition ana qui décrit un mouvement de bas en haut, et du verbe kamptō (se pencher, plier), et donc pencher vers le haut, i.e. revenir, retourner. C'est un verbe très rare dans les évangiles-Actes (Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et peu fréquent dans la Septante avec 15 occurrences.
Ce verbe est très peu présent dans le NT, et il est donc difficile de bien saisir sa signification. Il apparaît dans le récit de l'enfance chez Matthieu où les mages reçoivent l'avertissement divin de ne pas « revenir » chez Hérode comme entendu, après leur visite à l'enfant de Bethléem (Mt 2, 12). Dans les Actes, il apparaît dans un contexte où Paul fait ses adieux à la communauté d'Éphèse et promet d'y « revenir » (Ac 18, 21). L'auteur de l'épître aux Hébreux nous parlent des ancêtres (d'Abel jusqu'à Abraham et Sara), qui sont morts dans la foi sans avoir vu la réalisation des promesses, mais étaient à la recherche d'une patrie meilleure, et ne voulait donc pas « revenir » à leur patrie d'origine (He 11, 15). Dans ces trois situations, il s'agit de revenir à son point d'origine. Si on accepte cette signification, comment interpréter notre v. 6 où c'est la paix qui revient sur le missionnaire? Tout d'abord, c'est l'idée de revenir à son point d'origine. La paix a son origine chez le missionnaire qui a salué les habitants de la maison et a offert la paix évangélique. S'il y a refus et que la paix ne peut entrer dans la famille, alors elle revient à son point d'origine, le missionnaire. Tout est présenté comme si la paix était une personne, qu'elle pouvait aller quelque part et revenir. En fait, la clé pour comprendre ce passage est d'identifier paix et Esprit, comme nous l'avons déjà fait remarquer. Cela est confirmé par l'expression « elle reviendra sur vous » (epanapaēsetai epʼ auton). Pourquoi « sur (epi) vous »? C'est l'expression qu'on utilise toujours pour parler de l'Esprit. Quelques exemples :
On peut être déconcerté devant cette idée que si l'Esprit n'est pas accueilli dans une famille, elle doit revenir à son point d'origine. On a probablement un écho de la vision du monde spirituelle dans l'Antiquité. Rappelons-nous de ce récit à propos de l'esprit impur qui nous vient de la source Q : « Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il parcourt les régions arides en quête de repos ; comme il n'en trouve pas, il se dit : "Je vais retourner (hypostrephō) dans mon logis, d'où je suis sorti" » (Lc 11, 24; voir aussi Lc 8, 28-33 et paral., le récit de l'homme habité par une légion de démons qui, expulsés par Jésus, demandent d'entrer dans des porcs). L'Esprit doit faire sa demeure quelque part, il ne peut exister sans point d'ancrage. S'il ne peut habiter dans une famille, il doit retourner à son point d'origine où il a déjà sa demeure. En fait, cette idée présente une facette intéressante sur l'Esprit : l'Esprit, c'est l'Esprit de quelqu'un ou d'un groupe, ce n'est pas un esprit désincarné; quand on offre l'Esprit, c'est l'Esprit de quelqu'un ou d'un groupe, tout comme nous l'avons vu à propos d'Élisée et d'Élie : « L'esprit d'Elie s'est reposé (epanapauomai) sur Élisée » (2 R 2, 15). Habité par l'Esprit de Jésus, le missionnaire l'offre à une famille, et si l'a famille n'en veut pas, l'Esprit revient sur le missionnaire, tout comme tout esprit. Au-delà de cette perception de l'esprit venue de l'Antiquité, la phrase insiste sur un point important : refuser la paix-Esprit est comme un cadeau qu'on retourne à l'expéditeur : elle entend signifier une rupture et crée un fossé entre deux communautés. Nous avons ici la même idée qui sera reprise plus tard avec la poussière d'une ville incroyante qu'il faut enlever de soi, pour marquer la rupture. On peut refuser un don, mais cela a des conséquences. Il nous reste la question : d'où vient le choix de ce verbe rare anakamptō qui n'apparaît qu'ici dans tout l'évangile? Ce verbe pourrait appartenir à la source Q qu'utilise ici Luc. C'est d'autant plus probable que ce verbe fait pendant à un autre verbe qui n'apparaît qu'ici chez Luc : epanapauomai (se reposer). De plus, le verbe habituel chez Luc pour exprimer l'action de revenir ou retourner est hypostrephō (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 21; Jn = 0; Ac = 11; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Ainsi, Luc aurait repris l'ancienne tradition de la source Q sur l'offre de paix messianique de l'apôtre qui prend la forme de l'Esprit du ressuscité venant habiter ceux qui l'accueille, mais revenant sur l'apôtre lors d'un refus, signe que l'Esprit du ressuscité ne sera pas partagé et signe d'une forme de rupture. Une telle tradition ancienne a-t-elle pu s'inspirer de l'AT? Où a-t-on puisé le verbe epanapauomai? Quand on parcourt la Septante qui a été la référence principale des premiers chrétiens dont le grec était la langue première, on constate à peine 15 occurrences de ce verbe, et la plupart du temps il traduit l'hébreu šûb (revenir, rebrousser chemin). Mais le mot hébreu šûb apparaît plus de mille fois dans la bible hébraïque, et la plupart du temps il est traduit par différents termes grecs comme epanastrephō (revenir), apostrephō (retourner), hypostrephō (revenir), epistrephō (retourner), etc. Il ne faut pas chercher une grande cohérence chez les différents traducteurs de la Septante. Mais il reste que la traduction de šûb par anakamptō est rare. Et quand on parcourt les différences occurrences, il s'agit de revenir chez soi ou à son point d'origine : la fille de Jephté qui revient chez son père (Jg 11, 39), David qui revient chez lui à Jérusalem (2 S 8, 13), Jéroboam qui revient à Jérusalem (1 R 12, 20), les soldats de David qui reviennent à Jérusalem (1 Chr 19, 5), la femme répudiée qui revient à son premier mari (Jr 3, 1), quelqu'un qui revient à Jérusalem pour la défendre (Jr 15, 5), un rampart empêche de revenir au temple (Za 9, 8), les petits de la biche ne reviennent plus dans le giron familial (Jb 39, 4), on revient à ses habitudes de pécher (1 Esd 8, 84), ce qui vient des eaux revient à la mer (Si 40, 11). Malgré les différentes situations, il y a un thème commun : revenir à sa source ou à son origine. Sans doute, le passage le plus représentatif de ce que nous venons de dire est Si 40, 11 : « tout ce qui vient de la terre retourne à la terre, comme ce qui vient des eaux revient (anakamptō) à la mer ». L'analogie de l'Esprit et de l'eau est de toujours. Aussi, il n'est pas impossible que ce passage du Siracide a été l'inspiration de l'auteur de cette tradition ancienne sur la paix-Esprit qui, lorsque refusée, revient à sa source.
Le verbe anakamptō dans la Bible |
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| v. 7 Ensuite, demeurez dans cette maison en mangeant et buvant ce qu'ils vous offrent, car un ouvrier mérite son salaire. Évitez de faire du porte à porte.
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Littéralement : Puis, dans cette maison demeurez (menete), mangeant (esthiontes) et buvant (pinontes) les choses de leur part; car [est] convenable (axios) à l'ouvrier du salaire (misthou) de lui. Ne vous déplacez (metabainete) pas hors d'une maison vers une maison (ex oikias eis oikian).
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| menete (demeurez) |
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Menete est le verbe menō à l'impératif présent actif, 2e personne du pluriel. Il signifie : demeurer, et apparaît surtout dans la tradition johannique : Mt = 3; Mc = 2; Lc = 6; Jn = 40; Ac = 11; 1Jn = 23; 2Jn = 3; 3Jn = 0.
Quand on parcourt les évangiles-Actes, on observe que ce verbe prend diverses significations.
Chez Luc, les six occurrences de menō renvoient toutes au fait de se loger dans une maison : c'est Marie qui vient demeurer chez Élisabeth (1, 56), ce sont les missionnaires qui reçoivent l'hospitalité d'une maison (9, 4; 10, 7), c'est Zachée qui reçoit Jésus chez lui, ce sont les disciples d'Emmaüs qui demandent à Jésus de loger chez eux. Bien sûr, à travers le geste physique d'habiter une maison, il y a la signification symbolique d'une forme de communion : accueillir quelqu'un dans sa maison, c'est aussi l'accueillir dans son coeur. Ainsi, ouvrant la porte au missionnaire, une famille ne fait pas seulement un geste d'hospitalité, mais elle accueille ce qu'il représente et est prête à l'écouter. Nous avons ici un écho de la pratique courante chez les premières générations de missionnaires. Paul lui-même a vécu cette pratique, et ses lettres parlent aussi de beaucoup d'autres prédicateurs itinérants, si ce n'est parfois que pour les dénoncer comme de faux apôtres. Le verbe menō dans les évangiles-Actes |
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| esthiontes (mangeant) |
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Esthiontes est le verbe esthiō au participe présent actif, au nominatif masculin pluriel, le nombre et le genre s'accordant avec « vous », sous-entendu (i.e. les missionnaires). Il signifie : manger, et il est assez fréquent dans les évangiles-Actes, en particulier chez Luc : Mt = 24; Mc = 27; Lc = 33; Jn = 15; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Le verbe « manger » appartient à différentes scènes selon les auteurs évangéliques.
Dans tout le contexte des évangiles-Actes, la référence à l'action de manger de notre v. 7 a quelque chose d'unique : c'est la seule fois où on s'intéresse au disciple-missionnaire qui doit manger, sans que cela soit l'évocation symbolique d'autre chose. Nous sommes devant un petit manuel du parfait missionnaire dans une approche pragmatique : lui aussi doit se nourrir. Alors il dépendra de son hôte pour se nourrir, et ce n'est pas lui qui fixera le menu, et il ne sera pas question de nourriture pure ou impure, ou des règles rituelles juives autour du repas; le contexte est universel. Le verbe esthiō dans les évangiles-Actes |
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| pinontes (buvant) |
Le verbe pinontes est le verbe pinō au participe présent actif, au nominatif masculin pluriel, le nombre et le genre s’accordant avec « vous », sous-entendu (i.e. les missionnaires). Il signifie : boire, et il apparaît assez régulièrement dans les évangiles-Actes, même s’il est moins fréquent que manger : Mt = 15; Mc = 8; Lc = 17; Jn = 11; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans la moitié des 54 occurrences du verbe « boire » dans les évangiles-Actes, il apparaît en couple avec le verbe « manger ». Ainsi, tout ce que nous avons dit sur l’action de « manger » s’applique aussi à l’action de boire ». Jetons un regard sur les cas où le verbe « boire » apparaît seul.
Que conclure? À part la référence de boire la sagesse personnifiée qu’est Jésus chez Jean, la majorité des cas dans les évangiles, où le mot « boire » apparaît seul, font référence au geste de boire à la coupe, un geste de communion au destin tragique de Jésus. Qu’en est-il chez Luc? Cette référence à la coupe amère est presque totalement absente chez lui. Il a éliminé notre premier cas (la demande de Jacques et Jean), ainsi que notre quatrième cas (on offre à boire à Jésus en croix); le troisième cas (Jésus qui a une coupe à boire) est totalement absent. Même scène du dernier repas de Jésus atténue l’accent sur la coupe du sang versé, car, pour la première coupe, il dit simplement : « Prenez ceci et partagez entre vous », puis ajoute immédiatement la référence au partage du fruit de la vigne dans le Royaume, mettant l’accent sur la communion dans la communauté réunie; et quand il fait référence au sang répandu lors de la deuxième coupe, il accentue le fait qu’il s’agit de la coupe de la nouvelle alliance. Luc n’a pas d’intérêt pour l’aspect sacrificiel de la mort de Jésus. Ici, au v. 7, le geste de boire apparaît avec celui de manger, et il ne s’agit pas d’un geste symbolique : les missionnaires ont besoin de ce qui est nécessaire pour leur vie physique. Le verbe pinō dans les évangiles-Actes |
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| axios (convenable) |
Axios est l’adjectif axios au nominatif masculin singulier, et il est l’attribut du nom « ouvrier » (ergatēs). Il n’apparaît qu’à quelques reprises dans l’ensemble du Nouveau Testament et en particulier dans les évangiles-Actes, à l’exception de l’évangile de Marc où il est totalement absent : Mt = 9; Mc = 0; Lc = 8; Jn = 1; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. À la base, c’est un adjectif qui sert à comparer deux choses que l’on placerait sur une balance, donc à évaluer leur poids ou leur valeur. Nos bibles offrent diverses traductions selon le contexte : une chose est « digne » d’une autre chose, ou « mérite » cette autre chose, i.e. elles ont le même poids sur la balance; on peut aussi traduire avec l’adjectif « convenable » : il y a une adéquation entre deux réalités, qui ont le même poids sur la balance.
L’adjectif axios peut prendre diverses nuances selon les différents contextes. Prenons le temps de jeter un bref regard sur l’ensemble du Nouveau Testament.
Notons que axios n’est pas tellement présent dans la Septante et est concentré dans la tradition sapientielle, surtout le livre de la Sagesse. Quand on considère la bible hébraïque, on note que c’est souvent le verbe šāwâ (s'accorder avec, être ou devenir semblable, égaler, ressembler) qui a été traduit par axios. Mais on retrouve les mêmes grandes idées que nous avons soulignées, par exemple Jb 33, 27 : « Je n'ai point été puni comme le méritaient (gr. axios, litt. il était convenable pour; hébr. šāwâ ) mes péchés »; ou encore Pr 8, 11 : « Car la sagesse a plus de prix que les pierres précieuses, et rien de ce que l'on estime est digne (gr. axios; hébr. šāwâ) d’elle ». Le livre de la Sagesse où apparaissent huit occurrences de l’adjectif nous offre presque toute la panoplie des significations que nous avons identifiées dans le NT : identification de deux réalités pour déterminer si elle appartient à la même réalité (3, 5 : « car Dieu les a mis à l'épreuve, et les a trouvés dignes de Lui »); la récompense d’une action (9, 12 : « et je serai digne des trônes de mon père »); une réalité expression de l’autre (13, 15 : « Ensuite il a fait dans son mur une niche digne de son œuvre »; l’adéquation d’une action avec une situation (19, 4 : « La nécessité, il convient (axios), les poussait vers cet extrême et provoquait l’oubli du passé »). Ici, au v. 7 l’adjectif axios compare l’ouvrier avec son salaire. Le salaire apparaît comme la « récompense » normale de son travail, la conséquence de son action. Même si axios appartient au vocabulaire lucanien, l’expression « car digne (est) l'ouvrier de son salaire » n’est pas de lui, car il l’a copié de source Q, puisqu’on la retrouve également chez Matthieu avec une légère variante (« car digne [est] l’ouvrier de sa nourriture »). L’expression reflète une tradition très ancienne puisqu’on la retrouve également dans la première lettre de Timothée : « car digne (est) l'ouvrier de son salaire » (1 Tm 5, 18b). Et selon Paul, cela reflète ce que Jésus a proposé : « Le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile » (1 Co 9, 14). Ainsi, Luc reprend ici une ancienne tradition qui remonterait à Jésus lui-même où il était normal que le missionnaire vive de son travail, et donc soit soutenu par la communauté chrétienne. Mais cela n’était pas une obligation, puisque Paul a souvent opté de ne rien exiger pour son travail, mais de subvenir à ses propres besoins avec son métier de fabricant de tentes (1 Co 9, 15-18). L'adjectif axios dans le Nouveau Testament |
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| misthou (salaire) |
Misthou est le nom masculin misthos au génitif singulier, le génitif étant requis par l’adjectif « digne ». Il n’est pas très fréquent dans le Nouveau Testament et plus spécifiquement dans les évangiles-Actes : Mt = 10; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Il signifie littéralement : ce qui est dû, et donc selon le contexte il est traduit soit par « récompense », soit par « salaire ».
On peut regrouper les différentes occurrences du mot en deux ensembles.
Le mot misthos n’appartient pas vraiment au vocabulaire de Luc. Dans son évangile, les trois occurrences peuvent être attribuées à la source Q, et sa mention dans les Actes des Apôtres provient d’une ancienne tradition sur le sort de Judas après sa trahison. Notons qu’ici au v. 7, Luc nous offre la phrase : « car digne (est) l'ouvrier de son salaire », alors que Matthieu 10, 10c écrit plutôt : « car digne (est) l'ouvrier de sa nourriture ». Quelle est la version originelle de la source Q, celle de Luc ou celle de Matthieu? Nous optons pour celle de Luc pour les raisons suivantes :
Mais Luc introduit cette phrase sur la rémunération avec la conjonction « car » (gar), en guise d’explication de ce qui précède. Or, Jésus vient de recommander de manger et boire ce que l’hôte leur offrira. Ainsi, Luc semble nous dire que la rémunération du missionnaire consiste dans la nourriture et la boisson qu’on leur offre, et en cela il rejoint Matthieu qui parle de l’ouvrier qui est digne de sa nourriture. On peut imaginer que la rémunération pouvait prendre diverses formes. Luc nous présente donc au v. 7 la pratique concernant les prédicateurs itinérants ainsi que ceux qu’on appelait prophètes ou enseignants dans les communautés gréco-romaines et qui recevaient une certaine rémunération de la part des communauté chrétiennes qui les déléguaient à cette tâche. Son évangile a probablement été publié vers l’année 85, mais cette pratique de la rémunération était peut-être déjà en place en l’an 46 quand Paul entreprend son premier voyage missionnaire, « commandité » par l’église d’Antioche. En tout cas, vers les années 55 la pratique semble généralisée. Dans sa lettre aux Philippiens (4, 10-20), Paul les remercie de leurs dons généreux. Dans sa lettre aux Corinthiens il dit avoir opté consciemment de ne pas rémunéré par les Corinthiens mais de travailler de son métier de fabricant de tente pour subvenir à ses besoins, tout en déplorant le travail des faux apôtres qui sont rémunérés et sape son propre travail (voir 1 Co 9, 14-18; 2 Co 11, 7-11). Le nom misthos dans le Nouveau Testament |
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| metabainete (déplacez) |
Metabainete est le verbe metabainō à l’impératif présent actif, 2e personne du pluriel. Voilà un verbe très rare dans toute la Bible : il n’apparaît que dans les évangiles-Actes dans tout le Nouveau Testament: Mt = 6; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 3; Ac = 1; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il est formé de la préposition meta (après) et du verbe bainō (marcher, avancer), et il signifie donc : se déplacer, passer d’une place à l’autre.
Quand on parcourt les 17 occurrences du verbe dans la Bible, on note que sa signification varie selon que l’accent est sur le lieu que l’on quitte, où le lieu vers lequel on se déplace.
Ici, au v. 7, metabainō décrit le passage d'un lieu qu'on quitte à celui d'un autre lieu. Ce mot n’appartient pas au vocabulaire lucanien. Sa présence au v. 7 s’explique fort probablement par le fait que l’évangéliste reprend une ancienne tradition sur le code pratique de la vie missionnaire. Ni Marc ni Matthieu ne semblent connaître cette tradition. Quelle est sa signification? Dans le verbe metabainō il y a deux aspects, celui de quitter un lieu et celui d’aller vers un autre lieu. Pourquoi le missionnaire quitterait-il une maison? Bien sûr, le texte évangélique ne le dit pas. Mais le contexte est celui d’un hôte qui a accueilli le missionnaire, et la recommandation est d’accepter ce qu’il entend offrir comme rémunération, i.e. la nourriture et la boisson. Aussi, une explication possible de quitter la maison est de ne pas accepter ce que l’hôte veut offrir, et dès lors aller à la maison suivante serait motivé par le désir d’une rémunération plus satisfaisante. En interdisant cette attitude, Jésus entend dénoncer la recherche de ses propres intérêts et demander que la seule préoccupation soit la mission. Le verbe metabainō dans la Bible |
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| ex oikias eis oikian (d'une maison vers une maison) |
Il vaut la peine de mentionner l’expression ex oikias eis oikian (d’une maison vers l’autre), car c’est le seul cas dans tout le Nouveau Testament, ce qui confirme le fait que nous ne sommes pas devant une expression lucanienne. On ne la retrouve qu’en Si 29, 24 quand l’auteur déplore le sort de l’étranger :
Mieux vaut une existence de pauvre à l’abri de son propre toit, Il y a une autre expression presque synonyme, celle d’aller de porte à porte.
Bref, l’expression est rare, mais elle n’est pas inconnue de l’AT.
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| v. 8 Si vous allez dans une ville et qu'on vous accueille, mangez ce qu'on vous offre.
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Littéralement : Et vers n'importe quelle ville le cas échéant vous entriez et qu'ils vous reçoivent (dechōntai), mangez les choses vous étant présentées (paratithemena)
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| dechōntai (qu'ils vous reçoivent) |
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Dexētai est le verbe dechomai au subjonctif aoriste moyen, 3e personne du pluriel, le subjonctif étant requis par la particule an (le cas échéant) qui a introduit une situation hypothétique, donc irréelle pour l’instant. Il signifie : recevoir. Il apparaît occasionnellement dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 10; Mc = 6; Lc = 16; Jn = 1; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Le verbe « recevoir » peut prendre diverses nuances. Car recevoir peut avoir une connotation passive dans les sens où on ouvre simplement les bras à ce qu’on veut nous offrir, et alors il est souvent traduit par « accueillir ». Par contre, l’accent peut être sur le fait qu’on saisit ce qu’on nous donne, et alors il est traduit par « prendre ». Quand on parcourt le Nouveau Testament, on observe que le verbe « recevoir » concerne quatre réalités différentes.
Le verbe dechomai appartient au vocabulaire lucanien. C’est lui qui l’utilise le plus, et il lui arrive même de l’ajouter à sa source marcienne :
Ici, au v. 8 le verbe dechomai concerne des personnes, i.e. les missionnaires, et donc est habituellement traduit par « accueillir ». Le sujet du verbe est « ils », sous-entendus les habitants de la ville. Nous observons quelque chose d’étonnant dans le récit de Luc. Alors que le récit de Marc, qu’il reprend en bonne part, raconte l’entrée dans une maison du missionnaire, puis aborde le cas échéant où il n’est pas reçu, Luc, après avoir raconté l’entrée dans une maison du missionnaire, aborde maintenant le cas de l’entrée dans une ville. Pourquoi parler maintenant de la ville après avoir parlé de la maison : n’est-ce pas illogique, puisqu’il faut d’abord entrer dans la ville avant d’atteindre la maison? On a l’impression qu’en plus de la source marcienne, Luc avait une autre tradition liée à la mission vers la ville, et qu’il tenait à inclure dans son récit. Mais il y a probablement surtout le fait que la source Q qu’il utilise également dans ce récit rapporte des malédictions sur les villes qui n’ont pas accueilli l’évangile, et qu’il doit trouver le moyen de faire une transition vers cette source. Pour sa part, Matthieu (10, 11-12), parle également de l’entrée dans une ville, mais il procède par étapes logiques : l’entrée dans une ville (v. 11), puis l’entrée dans une maison (12b). Avec l’insertion de l’entrée dans une ville après l’entrée dans une maison, Luc est obligé de se répéter (souligné) :
Il est difficile de se faire une idée des gens inclus dans ce « ils » liés à la ville : une foule de citoyens? Des fonctionnaires? Pour Luc, cela n’est probablement pas important. Ce qui lui importe sans doute, c’est que la ville comme ville peut prendre position face l’annonce de l’évangile : elle peut l’accueillir comme ici au v. 8, comme elle peut le rejeter comme au v. 10. Le verbe dechomai dans le Nouveau Testament |
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| paratithemena (étant présentées) |
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Paratithemena est le verbe paratithēmi au participe présent passif, à l’accusatif neutre pluriel, le verbe s’accordant avec l’article grec ta (les choses) qui joue le rôle de substantif et est complément d’objet direct du verbe « manger ». Le verbe est composé de la préposition para (auprès de) et du verbe tithemi (mettre, poser, placer), donc « mettre auprès de », d’où : présenter. Ce verbe est peu fréquent dans tout le Nouveau Testament, et la moitié des occurrences se retrouvent sous la plume de Luc : Mt = 2; Mc = 4; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans le Nouveau Testament, le verbe paratithēmi peut avoir comme objet trois réalités différentes.
Ici, au v. 8, l’objet est évidemment la nourriture, car Jésus demande de manger la nourriture « servie » ou « présentée » par l’hôte. Or, c’est la deuxième fois qu’il revient sur le sujet, car au verset précédent (v. 7) il avait déjà dit : mangeant et buvant les choses de leur part, i.e. les choses présentées par l’hôte. Le v. 8 est-il totalement redondant? Pas vraiment, car l’accent est différent. Au v. 7, l’idée de manger ce qui est offert par l’hôte illustrait l’idée que l’ouvrier a droit à être rémunéré, et donc on doit subvenir à ses besoins. Quel est maintenant l’accent propre du v. 8? L’indice nous est donné par 1 Co 10, 27 : Si quelque infidèle vous invite et que vous acceptiez d'y aller, mangez tout ce qu'on vous sert (paratithēmi, litt. présente), sans poser de question par motif de conscience. La première épitre aux Corinthiens (ch. 8 et 10) aborde le problème des viandes offertes aux idoles. Car dans le monde antique la boucherie était souvent un geste sacré, car elle pouvait se faire dans un cadre religieux païen, et les viandes qui se retrouvaient au marché était souvent passées par ces rituels. Beaucoup de chrétiens, par motifs de conscience, se refusaient de manger ces viandes. Or, les 72 missionnaires envoyés vers les nations de la terre se retrouveront nécessairement en milieu païens où il était normal de consommer ces viandes. Que dit Paul? Mangez ce qu’on vous servira sans poser de question par motif de conscience. Que dit Jésus? Mangez ce qu’on vous servira. Ainsi, l’invitation à manger ce qu’on servira au missionnaire n’a pas la même signification au v. 7 et au v. 8 : dans le premier cas, l’invitation pourrait être paraphraser ainsi : n’ayez pas peur de manger, vous y avez droit; dans le deuxième cas, la paraphrase pourrait être ainsi : n’ayez pas peur de manger, même si c’est de la nourriture probablement issue d’un culte païen. Le verbe paratithēmi dans le Nouveau Testament |
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| v. 9 Et guérissez les malades en leur disant que le monde de Dieu a commencé à les rejoindre.
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Littéralement : Et soignez (therapeuete) les faibles (astheneis) en elle et dites-leur: il s'est approché (ēngiken) sur vous le royaume du Dieu (basileia tou theou).
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| therapeuete (soignez) |
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Therapeuete est le verbe therapeuō à l’impératif présent, 2e personne du pluriel. Le terme grec nous a donné les mots : thérapie, thérapeute, thérapeutique. Il signifie : soigner, servir. Dans le Nouveau Testament, il n’apparaît presqu’exclusivement que dans les évangiles, surtout chez Matthieu et Luc : Mt = 16; Mc = 5; Lc = 14; Jn = 1; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On ne peut faire l’analyse de therapeuō sans mentionner un verbe pratiquement synonyme : iaomai, qui signifie : guérir. Ce verbe est encore moins fréquent et n’apparaît également presqu’exclusivement que dans les évangiles, surtout chez Luc : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 11; Jn = 3; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Y a-t-il une nuance entre les deux verbes? Notons d’abord les scènes où un évangéliste utilise les deux verbes de manière pratiquement synonyme.
Bref, les deux verbes semblent parfaitement synonymes, et la seule observation que nous pouvons faire est que, lorsqu’ils sont utilisés en pairs, therapeuō vient la plupart du temps en premier, suivi de iaomai. Notons que Marc échappe à notre analyse, car il utilise presqu’exclusivement therapeuō, iaomai n’étant utilisé que pour le récit de la femme avec des pertes de sang, un récit qu’il reçoit sans doute d’une tradition quelconque. Dans l’ensemble, quand on parcourt les évangiles-Actes, on note que non seulement therapeuō (41 fois) est plus utilisé que iaomai (24 fois), mais la liste des problèmes qu’il couvre est plus vaste. En voici la liste:
Bien sûr, il arrive que les deux verbes soit utilisés de manière générale, sans mention d’une maladie quelconque (par ex. « A coup sûr, vous allez me citer ce dicton: Médecin, guéris [therapeuō]-toi toi-même », Lc 4, 23). Mais ce qu’il a d’unique avec iaomai et qu’on ne trouve pas avec therapeuō est une signification symbolique ou spirituelle. Par exemple, Mt 13, 15, Jn 12, 40 et Ac 28, 27 citent Is 6, 40 : LXX « Car le cœur de ce peuple s'est endurci ; et ils ont fait la sourde oreille, et ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leur cœur ne comprenne, qu'ils ne se convertissent à moi, et que je ne les guérisse (iaomai) ». C’est aussi dans un contexte spirituel qu’il faut lire He 12, 13 où l’auteur invite le chrétien à redresser le chemin de sa vie personnelle afin de ne pas être un estropié, mais un être guéri (iaomai). L’auteur de la lettre de Jacques (5, 16) invite le croyant à confesser ses péchés afin d’être guéri (iaomai). Enfin, la première lettre à Pierre (2, 24) fait référence à la mort de Jésus en croix, dont les meurtrissures nous ont guéri (iaomai). En combinant les deux verbes, Luc est celui qui fait le plus référence à la guérison (34 fois), même en nous limitant à son évangile (25 fois, dont 17 lui sont uniques). Ici, au v. 9, Luc reprend en partie ce qu’il a dit de l’envoi des Douze : « Il donna à eux puissance et autorité sur tous les démons et de soigner maladies et d’envoyer eux proclamer le royaume de Dieu » (Lc 9, 1b-2), un texte qu’il copiait en partie de l’envoi des Douze chez Marc 6, 7b (« Et il commença d’envoyer eux deux deux et il donnait à eux autorité envers les esprits les impurs »). Mais le récit de Marc ne parlait pas explicitement de soigner les gens. Luc le fait. Et ce qui est étonnant, Matthieu (10, 1b) le fait également (« il donna à eux autorité envers esprits impurs de façon à les expulser et de soigner toute maladie et toute langueur »). Qu’est-ce à dire? On peut présupposer que la source Q associait l’envoi des missionnaires à un ministère de guérison. Quelque soit la source de Luc, l’important est de souligner que le travail missionnaire ne consiste pas seulement dans la proclamation d’une parole, mais dans un travail de transformation, où les blessures sont guéries, où les gens diminués retrouvent leur pleine santé. Le verbe therapeuō dans le Nouveau Testament
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| astheneis (faibles) |
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Astheneis est l’adjectif asthenēs à l’accusatif masculin pluriel, l’accusatif étant requis car l’adjectif joue ici le rôle d’un substantif, i.e. les gens faibles, complément d’objet direct du verbe « soignez ». C’est un mot peu fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 4; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie littéralement : faible.
Être faible peut avoir diverses significations selon le contexte. Quand on parcourt le Nouveau Testament, on peut identifier quatre significations que peut prendre cet adjectif souvent utilisé comme substantif.
Ici, au v. 9, asthenēs renvoit aux gens malades et infirmes. Quand Luc écrit son évangile, il connaît l’histoire des apôtres, les premiers missionnaires, en particulier Jacques, Jean et Paul dont il racontera la mission dans les Actes des Apôtres. Et ces missionnaires ont guéri les malades et les infirmes. Ce mandat qui cible les « faibles » dit quelque chose de la mission : le but est que chacun retrouve son intégrité physique. C’est un appel à transformer le monde pour qu’il retrouve la « santé ». Pour Luc, Dieu ne veut pas un monde malade, mais en santé. L'adjectif asthenēs dans la Bible |
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| ēngiken (il s'est approché) |
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Ēngiken est le verbe engizō à l’indicatif parfait actif, 3e personne du singulier. Le parfait est utilisé pour indiquer que l’action est terminée. Il apparaît surtout chez Luc dans les évangiles-Actes : Mt = 7; Mc = 3; Lc = 18; Jn = 0; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il signifie « approcher » ou « s’approcher » : c’est l’idée que la distance soit spatiale soit temporelle entre deux réalités a été réduite.
Quand on examine les différentes utilisations de engizō dans le Nouveau Testament, on peut répartir les différents contextes en cinq catégories.
Le verbe engizō est tout à fait lucanien. Non seulement il est celui qui l’utilise le plus, mais sur les 18 occurrences de son évangile, 17 lui sont propres. On note même que, lorsqu’il copie des passages de Marc, il ajoute (souligné) parfois le verbe engizō dans son travail d’édition.
Dans son évangile, à deux reprises (10, 9.11), dans le cadre de l’envoi des 72, Luc nous dit à travers la bouche de Jésus que le « royaume de Dieu s’est approché ». Pourquoi? Cela semble lié au début de la phrase : « guérissez les malades », puisque la proclamation du royaume fait suite à l’envoi pour opérer des guérisons : guérir et proclamer le royaume vont ensemble; l’un est signe de l’autre. Ainsi, pour Luc, a commencé en Jésus un temps nouveau où Dieu visite son peuple, et donc exerce sa force de salut, une force transformatrice : Jésus opère des guérisons, ses envoyés opèrent des guérisons. Une réalité nouvelle a commencé à s’installer, et alors on peut dire que le royaume de Dieu s’est approché, i.e. a commencé à agir. Le verbe engizō dans le Nouveau Testament |
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| basileia tou theou (le royaume de Dieu) |
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L’expression basileia tou theou revient régulièrement dans les évangiles synoptiques: Mt = 36; Mc = 14; Lc = 32; Jn = 2; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Notons que chez Matthieu elle prend la forme de basileia tōn ouranōn (Royaume des Cieux), car dans les milieux juifs on évitait de prononcer le mot « Dieu », qui est ici remplacé par « Cieux », le lieu considéré comme la résidence de Dieu : le pluriel était requis, car ce monde au-dessus du firmament avait plusieurs étages, Dieu occupant le dernier étage (sur le ciel, voir le glossaire).
Il vaut la peine de bien comprendre l’expression « Royaume de Dieu », car Jésus en fait le thème central de sa prédication (sur le sujet, voir Meier). En premier lieu, il faut faire remarque que l’expression est absente de la Bible hébraïque et qu’on la rencontre pour la première fois dans la Bible grecque à travers Sg 10, 10 : « Ainsi le juste qui fuyait la colère de son frère, elle le guida par de droits sentiers, elle lui montra le royaume de Dieu et lui donna la connaissance des choses saintes ». L’Ancien Testament parle plutôt de Dieu comme roi qui règne en sauvant son peuple. Un prophète comme Jérémie évoque la promesse d’un nouveau David qui règnera sur le royaume d’Israël, après que Dieu aie réuni les douze tribus d’un peuple démoli. Ceci étant dit, il reste que cette royauté de Dieu n’est pas un thème dominant de l’Ancien Testament, et même de toute la littérature intertestamentaire. Qu’est-ce-à dire? Jésus semble avoir saisi une image et un langage qui n’était pas centrale dans le Judaïsme et a consciemment décidé d’en faire son message central. Qu’est-ce qui caractérise ce règne ou ce royaume de Dieu? Tout d’abord, c’est une réalité future qu’on souhaite voir advenir, comme l’exprime la demande du Notre Père : « Que vienne ton règne ». C’est l’attente de la venue de Dieu venant libérer son peuple, comme on le trouve partout dans l’AT. Et lors de son dernier repas, Jésus proclame ainsi son espérance : « En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu’à ce jour-là où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu » (Mc 14, 25) : malgré l’échec de son projet de vie que confirmera sa mort violente, la Règne de Dieu viendra. Lors de ce règne, des gens viendront de partout dans le monde pour se joindre à la communauté juive dans le royaume de Dieu (Mt 8, 11-12 || Lc 13, 28-29). Et on assistera à un renversement de situation pour les défavorisés de la vie, comme l’exprime les béatitudes : « Heureux les pauvres car le royaume des Cieux est à eux, heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés, heureux ceux qui ont faim car ils seront rassasiés » (Mt 5, 3-13 || Lc 6, 20-23). En même temps, Jésus prétend que le règne de Dieu est en quelque sorte déjà arrivé, du moins partiellement et symboliquement. Selon Meier, les passages suivant remontent probablement au Jésus historique.
Ainsi, ce règne de Dieu se manifeste déjà dans la personne de Jésus, même s’il est incomplet. Un tel royaume n’est pas un état d’esprit, mais un événement dynamique de Dieu venant avec puissance régner sur son peuple Israël à la fin des temps, un drame eschatologique déjà commencé partiellement à travers le ministère de Jésus. Chez Luc, l’expression « royaume de Dieu » occupe une place importante : 32 occurrences, dont 16 lui sont propres.
Ici, au v. 9 annoncer que le royaume de Dieu s’est approché pourrait être paraphrasé ainsi : les guérisons que vous pouvez observer sont la manifestation de cette force de Dieu en train de transformer le monde, une transformation qui ne s’achevera qu’à la fin des temps, mais qui a déjà commencé à vous rejoindre. Une question demeure : pourquoi est-ce si urgent de proclamer de royaume et de le faire connaître? Il semble que cette force ne peut agir sans la coopération libre de l’être humain. L'expression basileian tou theou ou basileian tōn ouranōn dans les évangiles-Actes |
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| v. 10 Par contre, si vous allez dans une ville et qu'on ne vous accueille pas, après être partis, dites:
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Littéralement : Puis, vers quelque ville si le cas échéant vous entriez, et qu'elle ne vous reçoive pas, étant sortis (exelthontes) vers les grand-rues (plateias) d'elle, dites:
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| exelthontes (étant sortis) |
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Exelthontes est le verbe exerchomai au participe aoriste actif, au nominatif masculin pluriel, le participe s’accordant en genre et en nombre avec « vous », i.e. les missionnaires. Il est formé de la préposition ek (hors de) et du verbe erchomai (venir), et donc signifie : venir hors de, i.e. sortir, et est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 43; Mc = 39; Lc = 44; Jn = 30; Ac = 30; 1Jn = 2; 2Jn = 1; 3Jn = 1.
Dans le monde sémitique, entrer et sortir sont deux activités fondamentales, qui peuvent résumer l’ensemble des activités d’une vie. C’est ainsi que dans l’AT on a l’expression hébraïque bôʾ (entrer) et yāṣāʾ (sortir) qui est synonyme d’agir. Par exemples :
L’expression « entrer et sortir » se retrouve également chez Luc qui se plaît souvent à imiter le style de la Septante : « Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus est entré (eiserchomai) et sorti (exerchomai) au milieu de nous » (Ac 1, 21). Notons que la Bible de Jérusalem a traduit l’expression par « tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous », la TOB par « tout le temps où le Seigneur Jésus a marché à notre tête ». Le verbe exerchomai est tout à fait lucanien, avec 74 occurrences, en incluant les Actes des Apôtres. Et dans les évangiles, sur les 44 occurrences du verbe, 23 lui sont propres. Le verbe sert à décrire diverses réalités dans l’évangile lucanien qu’on peut regrouper ainsi.
Ici, au v. 10, le verbe « sortir » se situe dans le contexte d’une ville (« Puis, dans quelque ville le cas échéant vous entriez, et qu'elle ne vous reçoive pas »), et donc « sortir » signifie : sortir de la ville, et le reste du verset nous situe sur la place publique qui se situait habituellement à la porte d'entrée de la ville. Luc modifie ainsi le contexte de Marc 6, 11 où il s'agit de sortir de la maison. Il a donc tenu à avoir une scène qui s’adresse à la ville, jugeant important que son auditoire se sache concerné comme ville qui a une responsabilité dans l’accueil de l’évangile, et a donc dédoublé l’envoi des missionnaires à la fois vers la maison, à la fois vers la ville. Quoi qu’il en soit, le message est le même : en cas de refus, il ne s’agit pas d’utiliser la force, mais de respecter le choix et de quitter. Le verbe exerchomai dans les évangiles-Actes |
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| plateias (grand-rues) |
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Plateias est le nom féminin plateia à l’accusatif pluriel, l’accusatif étant requis par la préposition eis (vers). C’est un mot rare dans l’ensemble du Nouveau Testament, en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il est formé d’une racine qui signifie : mesure, largeur, et traduit l’idée d’un large espace, i.e. une large voie, une esplanade, un carrefour. Nos bibles ont traduit le terme soit par « place publique », soit par « rue ». Nous optons pour la traduction littérale : grand-rue, ce qui nous permet d’avoir un seul terme tant pour le singulier que pour le pluriel, et de garder l’idée de quelque chose de « large ».
Comme le nombre d’occurrences dans le NT est très limité, élargissons notre regard pour inclure la Septante. Le terme plateia a surtout servi à traduire le terme hébreu rĕḥôb (place large et ouverte). Mais à l’occasion, il traduit également le terme hébreu ḥuṣ (l’extérieur de la maison, i.e. la rue). Dans les deux cas, on fait référence à un espace public. À quoi sert cet espace public?
Bref, dans un monde où dans les villes les maisons étaient tassées les unes sur les autres, et les rues étaient étroites, les lieux par excellence pour se rassembler, communiquer, faire des transactions, discuter était ces espaces plus larges, souvent situés à l’entrée de la ville d’où partait les routes en diverses directions et où devaient passer tout voyageur. Ce cadre éclaire les quelques occurrences de plateia dans le NT. Par exemple, les hypocrites aiment prier dans ces lieux pour se faire voir (Mt 6, 5). C’est là qu’on recrute au hasard des gens pour remplir la salle du banquet (Lc 14, 21). C’était lieu idéal pour trouver un espace pour enseigner, ce qu’a probablement fait Jésus (Lc 13, 26). Selon Luc, il y aurait eu à Jérusalem quelques larges avenues où on pouvait se rassembler au passage de Pierre pour obtenir une guérison (Ac 5, 15). Ici, au v. 10, une des recommandations de Jésus (provenant probablement de la source Q) en cas de refus est de se rendre dans la grand-rue ou place publique. Pourquoi? Rappelons-nous que c’est le lieu des proclamations, soit pour annoncer quelque chose, soit pour dénoncer quelque chose. Cette scène peut surprendre, car on aurait pu s’attendre à que le missionnaire, devant le refus, s’en aille tout doucement, bien humblement, sans faire d’éclat. Il semble que la dénonciation qui suit fasse partie du message évangélique. Le nom plateia dans la Bible |
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| v. 11 Nous essuyons sur vous même la poussière de votre ville qui nous colle au pied (pour ne rien garder de vous), pourtant il faut que vous sachiez que le monde de Dieu est sur le point de vous rejoindre.
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Littéralement : Et la poussière (koniorton) celle qui ayant été collée (kollēthenta) à nous, en provenance de la ville de vous vers les pieds (podas), nous essuyons (apomassometha) sur vous vous; toutefois (plēn) cela sachez (ginōskete) que s'est approché le royaume de Dieu.
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| koniorton (poussière) |
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Koniorton est le nom masculin koniortos à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis car le mot est complément d’objet direct du verbe « essuyer ». Il signifie : poussière, et il n’apparaît que dans les évangiles-Actes dans tout le NT : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Quand on parcourt la Septante pour analyser ce qui a été traduit par koniortos, on rencontre une certaine déception, dans la mesure où ne trouve pas de vrai standard dans la traduction. Il existe six occurrences où le mot a traduit l’hébreu ʾābāq (poussière du sol) :
Ainsi, la poussière apparaît toujours dans un contexte négatif et est associé à une forme de punition. Un autre mot hébreu traduit par koniortos est ʿāpār (terre sèche, poudre) en Dt 9, 21 où Moïse affirme qu’il a réduit en poussière / poudre le veau que le peuple s’était fabriqué comme idole. Mais notons que la Septante a opté pour gē (terre) dans des passages où on se serait attentendu à lire koniortos, comme Gn 3, 19 (« Oui, tu es poussière [héb. ʿāpār, gr. gē] et à la poussière [héb. ʿāpār, gr. gē] tu retourneras »), ou Jb 10, 9 (« Rappelle-toi : tu m’as façonné comme une argile, et c’est à la poussière [[héb. ʿāpār, gr. gē] que tu me ramènes »), ou Jb 16, 15 (« J’ai cousu un sac sur mes cicatrices et enfoncé mon front dans la poussière [héb. ʿāpār, gr. gē] »), ou Mi 1, 10 (« Dans Gath, ne faites pas de proclamation.…, pleurez. Dans Beth-Léafra, roule-toi dans la poussière [héb. ʿāpār, gr. gē] ». Tout cela est révélateur de la compréhension qu’avait le traducteur du mot koniortos : car pour lui, ce terme n’est pas avant tout un élément du sol, mais ce qui est réduit en grains fins comme de la poudre. En Is 3, 24, le prophète attaque le luxe des filles de Sion et annonce que leurs suaves parfums seront remplacés par de la pourriture (héb. maq), ce que la Septante a traduit par koniortos (poussière). Et Ct 3, 6 parle de poudre (ăbāqâ) dont se composent les parfums, que la Septante a traduit par koniortos (poussière). Autrement, la Septante a traduit par ces mots différents termes qui désignent par exemple la balle. Comme on ne connaît pas le texte hébreu que les traducteurs avaient en main, il est difficile de déterminer si nous sommes devant la liberté du traducteur ou un texte hébreu différent. Bref, la Septante nous laisse avec l’impression que la « poussière » est moins un élément du sol que ce qui reste de la décomposition des éléments et apparaît souvent dans un contexte associé à un désastre. Dans le NT, sur les cinq occurrences de koniortos quatre font écho à la tradition où le missionnaire secoue la poussière de ses pieds devant le refus de recevoir son message, ce qui nous laisse avec le cas unique de Ac 22, 23 où les Juifs de Jérusalem dans l’enceinte du temple, exaspérés devant le discours de Paul, jettent leur manteau et lancent en l’air de la poussière en criant : « Qu’on débarrasse la terre d’un tel individu ». Dans ce dernier cas, nous sommes dans un contexte de rejet, et si la poussière est associée à la décomposition des éléments, le fait de lancer en l’air la poussière, signifierait qu’on veut débarrasser le sol du temple de cette pourriture qu’est Paul. Abordons maintenant la question de la signification du geste du missionnaire qui secoue la poussière de ses pieds. Tout d’abord, il faut noter qu’elle apparaît à la fois chez Matthieu et Luc, ce qui nous indique la présence de la source Q, une source assez ancienne. Ensuite, la formulation qu’on trouve ici au v. 11 donne une indication de sa signification : « Et la poussière, celle provenant de votre ville et qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons sur vous ». C’est un signe de rupture totale : même la poussière, associée à ce qu’il y a de plus petit, un élément de la décomposition des choses, on veut la remettre à la ville d’où elle vient, pour ne rien garder sur soi. Le message est clair : nous n’avons rien en commun. Le nom koniortos dans la Bible |
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| kollēthenta (ayant été collée) |
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Kollēthenta est le verbe kollaō au participe aoriste passif, à l’accusatif masculin singulier, et s’accorde en cas, en genre et en nombre avec koniorton (poussière). Il est peu fréquent dans tout le Nouveau Testament, et dans les évangiles-Actes il n’apparaît presqu’exclusivement sous la plume de Luc, à l’exception d’un passage de Matthieu qui est un écho du livre de la Genèse : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Littéralement, il signifie : coller, et peut être traduit de diverses façons selon le contexte : s’attacher à, se joindre à, s’unir à.
Il a pour synonyme le verbe proskollaō, un verbe formé de la préposition pros (vers, envers) et du verbe kollaō (coller), et donc signifie « coller vers », donc s’attacher à. Ce verbe n’apparaît dans tout le NT que dans la citation de Gn 2, 24 (LXX « À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s’attachera [proskollaō] à sa femme, et ils seront deux en une seule chair ») en Mc 10, 7 et Ep 5, 31. Notons que Matthieu, qui fait également référence à Gn 2, 24 quand il copie Mc 10, 7, a préféré pour des raisons que lui seul connaît le verbe kollaō au verbe proskollaō. Chez Luc, kollaō est souvent utilisé dans un contexte de relation interpersonnelle où on se joint ou s’attache à d’autres personnes : l’enfant prodigue se joint à un fermier qui l’envoie nourrir les cochons (Lc 15, 15), Paul essaie de se joindre à la communauté des disciples (Ac 9, 26), à Athènes quelques personnes s’attachent à Paul (Ac 17, 34), les gens n’osent pas se joindre à la communauté chrétienne (Ac 5, 13), les Juifs ne peuvent entrer en relation avec les non-Juifs (Ac 10, 28). Les deux seules exceptions à ce contexte sont Ac 8, 29 où il s’agit de rejoindre le char de l’eunuque éthiopien, et Lc 10, 11 où la poussière est collée aux pieds. Chez Paul, kollaō apparaît dans un contexte d’union : union à la prostituée (1 Co 6, 16), union au Seigneur (1 Co 6, 17), union avec le bien (Rom 12, 9). Mentionnons enfin l’Apocalypse où les péchés sont présentés comme quelque chose qui se colle à la peau, et donc deviennent avec le temps comme des couches qui se superposent. Ce qu’il y a de commun avec toutes ces instances du verbe « coller » est qu’elles traduisent toutes l’idée d’un lien quelconque : parler de « colle », c’est parler de deux réalités qui sont liées. C’est clair lorsqu’il s’agit d’une personne qui se joint à un groupe, ou d’une personne qui se joint à une autre personne comme la prostituée, ou encore de l’union avec le Seigneur, ou à l’inverse, de l’union avec le péché. Mais on peut facilement le comprendre dans la scène où on demande à Philippe de « s’arrimer » au char de l’eunuque, i.e. d’établir un lien avec l’eunuque. Cela s’applique également à l’image de la poussière collée aux pieds : la poussière représente les « restes » de la ville, et donc le lien avec elle. Comment tout cela éclaire notre v. 11? La recommandation mise dans la bouche de Jésus est de couper tous les liens possibles avec la ville qui refuse le message, puisque la poussière collée aux pieds représente ce lien. Cependant une question demeure : le verbe kollaō chez Luc est toujours suivi du datif (complément d’objet indirect d’attribution), sauf ici au v. 11 où il est accompagné de la préposition eis (vers, dans) suivi d’un nom à l’accusatif : podous (pieds); c’est comme si la poussière bougeait pour aller se coller aux pieds. Il n’y pas de précédent de cette tournure de phrase dans le NT. La Septante nous offre cinq cas où le verbe est accompagné de la préposition eis :
Notons qu’en 1 R 11, 2 et Ps 24, 25 kollaō traduit l’hébreu dābaq, le même verbe qu’utilise Gn 2, 24 pour affirmer que l’homme doit quitter son père et sa mère pour « se coller » à sa femme; l’accent est sur l’union de deux personnes. Notons également que dans ces cinq références, on peut déceler un mouvement, soit le cœur qui s’attache par amour à une femme (1 R 11, 2; Tb 6, 19), soit l’action de Dieu qui fait en sorte que les malheurs se collent à son peuple (Ba 1, 2), ou son action qui colle au sol les forteresses de la fille de Juda (Lm 2, 2), ou encore, qui amène le ventre à se coller au sol (Ps 24, 25). Que conclure? L’expression kollaō eis est rare, mais elle n’est pas inusitée. De plus, elle ne semble pas appartenir au vocabulaire régulier de Luc. Il est donc possible que Luc puise ici à une tradition quelconque, peut-être la source Q. Le verbe kollaō dans le Nouveau Testament
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| podas (pieds) |
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Podas est le nom masculin pous à l’accusatif pluriel, l’accusatif étant requis par la préposition eis (vers, dans). Il apparaît régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 10; Mc = 6; Lc = 19; Jn = 14; Ac = 19; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, et il signifie : pied.
Cette partie du corps prend diverses significations selon les contextes.
Au v. 11, le mot « pied » apparaît dans un contexte où il désigne ce qui est en contact avec le sol d’une ville. Rappelons que les missionnaires ont été envoyés sans chaussures ou sandales aux pieds. Et donc les pieds gardent les vestiges de la ville. Il faut donc les nettoyer pour ne rien garder de la ville pour que la rupture soit complète. Le nom pous dans les évangiles-Actes |
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| apomassometha (nous essuyons) |
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Apomassometha est le verbe apomassō à l’indicatif présent moyen, 1ière personne du pluriel. Il est formé de la préposition apo (à partir de) et du verbe massō (manipuler ou travailler avec les mains), et signifie : essuyer. On ne trouve que deux occurrences de ce verbe dans toute la Bible, chez Luc et dans la version du Sinaïticus de Tobit dans la Septante.
Utilisons le texte que nous offre le récit de Tobit selon la version du Sinaïticus de la Septante pour saisir sa signification. Le contexte est celui où Tobias veut que Ragouël lui donne sa fille Sara en mariage. Ragouël y consent, mais avertit Tobias que les sept hommes précédents à qui il avait donné sa fille en mariage sont morts au moment d’aller dans la chambre nuptiale, mais émet le vœu que cette fois le Seigneur interviendra en sa faveur. C’est ainsi que le contrat de mariage est signé, et Ragouël demande à sa femme Edna de préparer la chambre nuptiale. Edna s’exécute : « Elle alla donc faire le lit dans la chambre comme il le lui avait dit, et elle l'y conduisit. Et elle la pleura. Puis elle essuya (apomassō) les larmes et lui dit : "Prends courage, ma fille ; que le Seigneur du ciel te donne la joie à la place de ta peine. Prends courage, ma fille." Puis elle sortit. » La signification de apomassō dans ce récit est très claire : il s’agit d’essuyer ses larmes. Ici, au v. 11, nous avons le même verbe, non pas en relation avec les larmes, mais avec la poussière collée aux pieds. On peut imaginer le geste de passer la main sur la plante des pieds pour essuyer la poussière. Mais le verbe est suivi du pronom personnel « vous » (hymin) au datif, où il joue le rôle de complément d’objet indirect d’attribution. Il faudrait donc traduire par « essuyer la poussière sur vous ». L’idée est donc que les missionnaires essuient la poussière en passent la main sous leur pieds pour ensuite la laisser tomber sur le sol de la ville, une façon de leur remettre ce qui leur appartient. Le verbe apomassō dans la Bible |
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| plēn (toutefois) |
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Plēn est un adverbe dérivé de l’adjectif comparatif pleiōn (plus, davantage). Il entend donc amplifier ou mettre en relief ce qui vient d’être dit, mais sa façon de le faire varie selon le contexte : quand il amplifie de manière positive, on le traduit alors par : aussi, de plus, en outre; quand il le met en relief de manière négative, alors on traduit par : toutefois, néanmoins, cependant, sauf que, excepté, sinon. Il est peu fréquent dans l’ensemble du NT, en particulier dans les évangiles-Actes, sauf chez Luc : Mt = 5; Mc = 1; Lc = 15; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Cet adverbe appartient au vocabulaire lucanien. Sur les 15 occurrences dans son évangile, 12 lui sont propres. Ici, au v. 11, il lui sert à mettre en contraste le refus de la ville de recevoir les messionnaires et la rupture que cela entraîne d’une part, et le fait que le royaume de Dieu a commencé à se manifester, d’autre part. Pourquoi insister sur ce contraste? La raison est simple : le refus d’un certain nombre de villes ne met pas en cause le progrès de ce royaume. C’est comme si on affirmait : le train passe de toute façon, dommage que vous n’y montiez pas! L'adverbe plēn dans le Nouveau Testament |
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| ginōskete (sachez) |
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Ginōskete est le verbe ginōskō à l'impératif présent actif, 2e personne du pluriel. Il signifie : connaître, et est très fréquent dans les évangiles-Actes, plus particulièrement dans la tradition johannique : Mt = 20; Mc = 12; Lc = 28; Jn = 57; Ac = 16; 1Jn = 25; 2Jn = 1; 3Jn = 0.
Dans le monde biblique, et plus particulièrement dans les évangiles, le verbe « connaître » entend désigner différentes réalités, dont les principales pourraient être résumées ainsi.
Notons que chez Luc c’est la connaissance factuelle qui domine, tant dans son évangile (en particulier les passages qui lui sont propres) que dans les Actes, suivie de la connaissance comme saisie d’une situation de vie à partir de certains indices. Même si la connaissance comme regard de foi existe, elle n’est pas aussi présente que ce qu’on trouve dans la tradition johannique. Ici, au v. 11, le verbe « connaître » à l’impératif s’adresse aux villes qui ont refusé le message évangélique. Alors il ne peut renvoyer qu’à une connaissance factuelle. En effet, Luc a établi un lien entre les guérisons et le royaume de Dieu. Les gens de la ville peuvent observer les guérisons, sans faire de lien dans la foi avec la présence du royaume de Dieu : les guérisons demeurent un simple élément d’information. Mais pourquoi insister sur ce que ces « incroyants » sachent que le royaume s’est approché, puisque cela n’entraîne aucune réception? La réponse nous sera donnée plus loin : cela fera partie de la pièce à conviction pour leur condamnation, car ils ont su, mais n’ont rien fait. Le verbe ginōskō dans les évangiles-Actes |
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| v. 12 Je vous annonce que Sodome au jour du jugement aura un sort plus enviable que cette ville.
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Littéralement : Je dis à vous (legō hymin) que Sodome (Sodomois) au jour celui-là (hēmera ekeinē) plus tolérable (anektoteron) elle sera que cette ville-là.
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| legō hymin (je vous dis) |
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Il vaut la peine de s’arrêter brièvement à l’expression legō hymin (je vous dis) ou legō soi (je te dis) dans la bouche de Jésus quand elle est suivie d’une affirmation, car elle confère à ce qui est affirmé une certaine solennité et autorité. Elle apparaît dans les quatre évangiles (Mt=59; Mc=18; Lc = 47; Jn=26) et semble très ancienne, un écho peut-être du ton employé parfois par Jésus. Puisque les quatre évangiles ont voulu donner une certaine importance à ce qui est affirmé par Jésus, considérons son contenu selon chaque tradition, traitant de manière séparée la source Q, commune à Matthieu et Luc, et rapatriant en Marc ce que lui ont copié Matthieu et Luc (ce qui nous donne la répartition suivante : Mc=18; Q=14; Mt=30; Lc=26; Jn=26).
Ici, au v. 12 l’expression solennelle « Je vous dis » provient de la source Q que copie également Mt 10, 15. Ce dernier a rehaussé sa solennité en la faisant précéder du mot « Amen » qui donne encore plus d’assurance à l’affirmation. L’auteur de la source Q a voulu donner une dimension prophétique à un avertissement adressé à ceux qui refusent le message évangélique. Ainsi, il ne s’agit pas d’une simple remarque anodine, mais d’une déclaration solennelle sur le sort qui attend les villes qui se ferment à l’évangile. On pourrait y voir une exagération toute sémitique. Mais à la base d’une telle affirmation il y a la perception que refuser l’évangile a des conséquences néfastes pour l’humanité. L'expression legō hymin / soi dans les évangiles |
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| Sodomois (Sodome) |
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Sodomois est le nom neutre Sodoma au datif pluriel, le datif étant commandé par son rôle de complément d’objet indirect d’attribution au verbe « être » : « il sera pour Sodome ». Il désigne la ville de Sodome et, dans le Nouveau Testament, il est très peu fréquent, en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Cette ville est aussi appelée la « ville de Lot », et donc il faut inclure ce personnage dans notre analyse.
C’est la Genèse qui nous raconte le sort de cette ville. Elle était située au sud-est de la mer Morte et délimitait en quelque sorte sa frontière sud (Gn 10, 19); elle était la principale ville d’un ensemble de cinq villes : Sodome, Gomorrhe, Adma, Cevoïm, Bèla. Le récit commence avec le retour d’Abram d’Égypte où il s’était réfugié pour fuir une famine, et où il était devenu riche grâce aux faveurs du Pharaon qui avait inclus sa femme, qu’il croyait être sa sœur, dans son harem; mais découvrant la supercherie, le Pharaon expulse Abram et sa famille (Gn 12, 16-20). Dans la famille d’Abram il faut inclure son neveu Lot, i.e. le fils de son frère Harân; malheureusement, Harân mourut avant son père Tèrah, et ce dernier confia le jeune Lot à Abram (Gn 11, 27-32). Or, Abram et Loth possédant tous les deux des troupeaux de petits et de gros bétails, un conflit éclata entre les bergers de chacun, et pour solutionner ce conflit, Abram décida qu’il fallait se séparer et offrit à Lot de choisir en premier le nouveau territoire où il voulait s’installer; Lot choisit la partie est du Jourdain, une terre bien irriguée, et alla résider à Sodome. À Abram revint alors la partie ouest du Jourdain, et ce dernier alla résider aux chênes de Mamré, tout près d’Hébron (Gn 13, 1-18). Ce qui nous intéresse commence au ch. 18 de la Genèse aux chênes de Mamré quand Abram, maintenant appelé Abraham depuis l’alliance conclue avec Dieu lui promettant une grande descendance (ch. 17), aperçoit trois hommes devant sa tente, qui sont en fait le Seigneur accompagné de deux anges. Abraham s’empresse de leur offrir l’hospitalité. Alors le Seigneur lui annonce que, lorsqu’Il reviendra, sa femme Sara, âgée et stérile, aura un fils. Puis, puis regardant en direction de Sodome, annonce que les plaintes contre cette ville et son péché sont si grands qu’il se doit d’aller vérifier sur place la situation, avant de procéder à sa destruction. C’est alors qu’intervient Abraham, plaidant la cause de Sodome, et obtenant de suspendre sa condamnation s’il s’y trouve 50 justes, puis 45 justes, jusqu’à 10 justes. Au ch. 19 la scène se transporte à Sodome alors que les deux anges sont accueillis à la porte de Sodome par Lot qui leur offre l’hospitalité et les héberge. Mais lorsque vient le soir, la maison de Lot est cernée par les gens de Sodome, du plus jeune au plus vieux, qui demandent à Lot de faire sortir les deux hommes, car ils veulent les « connaître » (yādaʿ). Or, dans la langue sémitique, « connaître » est aussi utilisé pour désigner les relations sexuelles, comme on le voit par exemple en Gn 4, 1 : « L’homme connut (yādaʿ) Eve sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn ». C’est en ce sens que la tradition juive et chrétienne a compris ce passage, et cela nous a donné les mots : sodomie, sodomiser, sodomite, en référence aux relations homosexuelles masculines. Lot, pour protéger ses invités, leur offre ses deux filles vierges de sa maison pour qu’ils fassent ce que bon leur semble avec elles. Mais les gens de Sodome repoussent Lot avec violence et s’apprêtent à enfoncer la porte de la maison. Heureusement, les deux anges ont juste eu le temps de saisir Lot pour le faire entrer, avant de frapper de cécité les gens devant la porte. Le reste du récit est une course contre la montre, alors que les anges pressent Lot de quitter au plus vite la ville avec sa famille, avant que ne vienne sa destruction. Quand vint l’aurore, les deux anges tirèrent par la main Lot, sa femme et ses deux filles en disant : « Sauve-toi, il y va de ta vie. Ne regarde pas derrière toi, ne t’arrête nulle part ». Quand Lot entra dans la ville de Çoar pour s’y réfugier, le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu, qui bouleversa non seulement ces villes et ses habitants, mais aussi toute la végétation. Malheureusement, la femme de Loth regarda en arrière et elle devint une colonne de sel. Quant à Abraham, de sa demeure, en regardant en direction de Sodome et Gomorrhe, « il vit que les flammes sortaient de terre comme la vapeur d'une fournaise » (Gn 19, 28). Voilà le récit de la Genèse. Ce récit a frappé l’imaginaire juif et on en voit un écho à travers les livres bibliques. Sodome est devenue le symbole du mal et de l’intervention punitive de Dieu. C’est ainsi que le Deutéronome menace le peuple qui se détache de l’alliance de voir ses terres devenir comme celles de Sodome, où les champs ne produiront plus rien, et les plantes ne pousseront plus (Dt 29, 22). Le prophète Isaïe, en dénonçant la révolte des habitants de Jérusalem contre leur Dieu, associe Jérusalem à Sodome en disant : « ils proclament leur péché comme le fit Sodome, ils ne le cachent pas. Malheureux qui font leur propre malheur » (Is 3, 9). Il fait la même chose avec la ville de Babylone : « Babylone, la perle des royaumes, la fière parure des Chaldéens, sera, comme Sodome et Gomorrhe, renversée par Dieu. Plus jamais elle ne sera peuplée, d’âge en âge elle restera inhabitée. Même l’homme des steppes n’y dressera pas sa tente et les bergers ne s’y arrêteront pas » (Is 13, 19-20). L’association du sort de Babylone à Sodome apparaît également chez Jérémie (Jr 49, 18; 50, 40). Amos, pour sa part, associe le sort des habitants de Samarie à ceux de Sodome : « Je vous avais bouleversés autant qu’au bouleversement divin de Sodome et de Gomorrhe, et vous étiez comme un tison arraché de l’incendie, mais vous n’êtes pas revenus jusqu’à moi » (Am 4, 11). Enfin, c’est le sort des Moabites et des Ammonites qui est comparé à celui des habitants de Sodome chez le prophète Sophonie (So 2, 9). Mais Sodome n’est pas seulement une référence comme intervention punitive de Dieu, mais également pour son degré de méchanceté. Le prophète Jérémie nous donne une liste de fautes commises par les faux prophètes de Jérusalem, des fautes qu’il associe à ceux de Sodome : ils s’adonnent à l’adultère et ils vivent dans la fausseté, ils prêtent main forte aux malfaiteurs (Jr 23, 14). Ézéchiel nous donne sa propre interprétation des fautes commises par les habitants de Sodome : « Voilà ce que fut la faute de ta sœur Sodome : orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante, elle et ses filles ; mais la main du malheureux et du pauvre, elle ne la raffermissait pas » (Ez 16, 49). Le Siracide pose un jugement semblable à celui d’Ézéchiel : « Il n’a pas épargné la ville de Loth, dont il avait l’orgueil en abomination » (Si 16, 8). Quelles que soient les fautes commises par Sodome, elles expriment le sommet de la perversité. Alors accuser quelqu’un de faire pire que Sodome, c’est l’accuser de dépasser les bornes, comme le fait le livre des Lamentations : « Et la perversité de cette belle qu’est mon peuple est plus grande que la faute de Sodome, qui fut chavirée en un instant sans que des mains s’y soient démenées » (Lm 4, 6). Qu’en est-il du Nouveau Testament? L’intérêt de la 2e lettre de Pierre (2, 6-7) et celle de Jude (1, 7) concerne la nature de la faute des gens de Sodome : celle des relations sexuelles contre nature avec des anges qu’on a pris pour des êtres humains. Paul, pour sa part, y fait une référence négative : tout le peuple aurait pu disparaître comme Sodome si Dieu n’avait pas pris la précaution de s’assurer qu’il y ait un petit reste pour avoir une descendance (Rom 9, 29). Dans les évangiles, seuls Matthieu et Luc font référence à Sodome, et sur ce point ils sont très dépendants de la source Q. Sodome sert surtout de point de comparaison dans l’intervention punitive de Dieu, alors que la faute des villes de Galilée qui ont refusé le message évangélique sera plus grave que celle de Sodome (Mt 10, 15; 11, 23-24; Lc 10, 12). De manière unique, Luc présente la catastrophe de Sodome comme une image du jour de la venue du Fils de l’homme : ce sera un événement imprévisible (17, 28), personne n’y échappera (17, 29), il faut s’enfuir sans regarder en arrière comme le fit Lot (17, 32). Comme on peut le constater, l’événement raconté par la Genèse sur Sodome est devenu hautement symbolique et chacun y a pigé un élément différent de la symbolique selon les besoins de la catéchèse. Disons un mot sur les recherches archéologiques dans la région sud-est de la mer Morte. Entre 1975 et 1980, il y a eu des fouilles sur quatre sites qui portent les traces d'une destruction brutale due à un tremblement de terre accompagné d'un violent incendie vers le milieu de l’Ancien Bronze, soit vers 2 500 av. JC; le sol de la région étant riche en hydrocarbures, du bitume contenu en sous-sol aurait jailli pendant le séisme et se serait enflammé (L'historien juif Josèphe [Antiquités judaïques, I, ch. 9] identifie la mer Morte comme étant géographiquement proche de l'ancienne ville biblique de Sodome. Il désigne le lac par son nom grec, Asphaltites, sans doute en raison de la présence du bitume). « Il n’est pas impossible qu’un souvenir local, ou une réflexion sur les ruines encore visibles, ait été incorporé à la tradition des patriarches venus plus tard » (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 707). Notons que la région sud de la mer Morte est peu profonde et, en raison de sa salinité, favorise les bassins salins; on y trouve donc des colonnes de sel que les voyageurs peuvent encore observer aujourd’hui. C’est probablement à partir de ces colonnes de sel que s'est développée la légende autour de la femme de Lot. Cette région porte aujourd’hui le nom de Har Sedom ou Djebel Usdum. Ici, au v. 12 Luc reprend un passage de la source Q qui situe l’auditeur au temps du grand jugement, à la fin des temps, où Dieu évalue tous les peuples : malgré la gravité des péchés commis par Sodome, la sentence de cette ville sera plus légère que celle des villes qui ont refusé le message évangélique. Ce verset sous-entend deux choses :
Bien sûr, il faut situer toutes ces affirmations dans le contexte de la cosmologie et la théologie juive où la maladie et les catastrophes étaient vues comme une intervention punitive de Dieu, et l’histoire humaine devait se terminer par une catastrophe finale et le jugement de Dieu. Jésus semble avoir pris ses distances face à une telle vision :
Néanmoins, notre verset 12 qui provient de la source Q, donc d’une source ancienne, pourrait remonter au Jésus historique. Alors nous sommes devant une rhétorique avec une visée pédagogique qui accentue les contrastes dans la responsabilité humaine : qui fait un choix en pleine lumière porte une plus grande responsabilité que celui qui fait un choix en l’absence de connaissance; c’est le cas des habitants des villes du nord de la Galilée qui ont eu la chance d’être en présence de la lumière évangélique, ce qui n’est pas le cas des habitants de Sodome. Le nom Sodoma dans la Bible
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| tē hēmera ekeinē (au jour celui-là) |
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Hēmera est le nom féminin hēmera (jour) au datif singulier qui s’accorde avec la préposition en (dans, à). Ce mot est très commun dans les évangiles-Actes : Mt = 42; Mc = 25; Lc = 80; Jn = 30; Ac = 88; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0, en particulier chez Luc qui l’emploie abondamment.
Comme dans beaucoup de langues, le mot grec hēmera est utilisé pour traduire diverses réalités.
Ici, au v. 12, nous avons l’expression « le jour celui-là » (tē hēmera ekeinē). Le pronom démonstratif « celui-là » nous renvoie à un événement futur qui semble désigner le jour de la fin des temps. Considérons ce que les traditions évangéliques disent à propos de ce jour-là.
Que conclure? De manière unanime, « ce jour-là » désigne la fin de l’histoire humaine et la dernière intervention de Jésus ressuscité. Cet événement sera soudain et imprévisible. Et la dernière intervention de Jésus ressuscité prend diverses formes : « rassembler les élus », « ressusciter le croyant », « faire entrer dans le royaume », « exclure du royaume »; il semble y avoir une forme d’évaluation de l’humanité, si bien que les gestes posés ont des conséquences. Mais l’ensemble des termes utilisés demeurent vagues, et appartiennent en général à l’apocalypse juive qui parle de résurrection des morts et de punition des méchants. Au v. 12, affirmer que le sort de Sodome sera moins grave au jour du Jugement que celui des villes du nord de la Galilée dévoile peu de chose sur ce jour du Jugement; nous apprenons seulement que refuser la lumière de l’évangile comporte une responsabilité plus grande que celle des gens de Sodome qui furent accusés d’être immoraux. Le nom hēmera dans les évangiles-Actes |
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| anektoteron (tolérable) |
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Anektoteron est l’adjectif anektos à la forme comparative, jouant le rôle d’attribut du mot « Sodome ». Il signifie : tolérable, supportable, et à la forme comparative : plus tolérable ou supportable que. Il apparaît seulement dans la source Q dans toute la Bible, et nous le connaissons par Matthieu et Luc : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
La source Q peut être comparée à des feuilles détachées de récits et de paroles de Jésus rassemblés dans un cartable. Luc et Matthieu y puisent de manière indépendante selon les besoins de leur catéchèse. Luc y copie un passage concernant la réaction de Jésus devant le refus des villes du Nord de la Galilée (Chorazin, Bethsaïda, Capharnaüm) d’entendre son message et fait référence aux villes païennes (Tyr, Sidon) et pécheresses (Sodome et Gomorrhe) qui seront jugées moins durement que les villes de son milieu. Ce passage est inséré dans le 2e envoi de missionnaires (les 72), alors que Jésus évoque la possibilité de ne pas être accueilli. Matthieu, pour sa part, copie d’abord le début du passage qui fait allusion à Sodome et l’insère dans le discours entourant l’envoi en mission par Jésus des Douze, quand il évoque la possibilité de ne pas être accueilli (Mt 10, 15); ensuite, dans un chapitre où il présente la réaction de différents groupes (Galiléens, Pharisiens) à l’enseignement de Jésus, il copie tout le passage de la source Q dans une section introduite ainsi : « Alors il se mit à invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas converties » (Mt 11, 20). En faisant cela, il se trouve à copier deux fois la phrase sur Sodome (10, 15 et 11, 24). Peu importe l’utilisation que font Matthieu et Luc de la source Q, le message est le même : ceux qui ont été exposés à la lumière évangélique auront plus de compte à rendre que ceux qui ne l’ont pas été. On pourrait se poser la question : que signifie exactement « plus tolérable que ». La phrase grecque est très concise et laisse deviner peu de chose. Comme le contexte est celui du jour du Jugement, on peut seulement imaginer qu’il y aura des degrés de sévérité dans la sentence. Mais que signifie un plus grand degré de sévérité? On nous ne le dit pas, et probablement ça n’intéressait pas l’auteur de la source Q : son intérêt était seulement d’insister sur la gravité du refus des concitoyens de Jésus, pour peut-être les « secouer » un peu. L'adjectif comparatif anektoteron dans la Bible |
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| v. 13 Je te plains, Chorazin, je te plains Bethsaïda, car si les mêmes actions merveilleuses s'étaient produites dans les villes païennes de Tyr et Sidon, il y a longtemps qu'ils auraient pris l'habit de deuil et auraient réorienté leur vie.
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Littéralement : Malheur (Ouai) à toi, Chorazin (Chorazin), malheur à toi Bethsaïda (Bēthsaida), car si à Tyr (Tyrō) et Sidon (Sidōni) étaient advenus (egenēthēsan) les actes de puissance (dynameis) ceux étant advenus chez toi, depuis longtemps (palai) le cas échéant dans un sac (sakkō) et cendre (spodō) étant assis (kathēmenoi), ils auraient changé d'idée (metenoēsan).
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| Ouai (malheur) |
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Ouai est le terme grec choisi par la Septante pour traduire différents mots hébreux qui ont tous en commun de traduire un cri intense de douleur ou de désespoir. Ces mots hébreux sont d’abord hôy, puis 'ôy, et parfois hô, hîy, ou 'îy. Ils sont habituellement traduits dans nos bibles par « malheur » ou « hélas ». Mais en fait ils sont des onomatopées qui pourraient être traduits par : « Aie! Aie! Aie! », ou « beurk », « ouach » (au Québec) ou « Quelle horreur! » (en France), « Oh non! », « Catastrophe », « Mon Dieu ».
Dans l’AT ces mots sont assez présents, en particulier dans la tradition prophétique, surtout dans la première partie du livre d’Isaïe. La Septante les a tous traduit la plupart du temps par le même mot grec ouai. Mais les contextes où ces mots sont utilisés peuvent varier grandement.
Dans le NT, on retrouve une partie de ces contextes. C’est l’Apocalypse qui utilise le plus ouai pour exprimer l’horreur devant la catastrophe imminente qui attend les habitants de la terre et Rome (sous le nom de Babylone) grâce à l’intervention des anges du jugement à cause des œuvres mauvaises. Chez Jude on retrouve le langage prophétique de l’AT qui exprime son dégoût devant ceux qui insultent les anges du ciel et annonce l’intervention de Dieu. Attardons-nous maintenant aux évangiles avec l’aide de la structure suivante : à qui le cri est adressé? Pour quelle raison? Quelle est la conséquence de cette situation?
Ainsi, dans les évangiles ouai exprime en général une forme de « haut le cœur » devant le comportement de certains individus, un sentiment qui contraste avec la perception de la société en général. Ici, au v. 13 nous avons un extrait de la source Q que nous offre la source Q et qui reprend les dénonciations typiques qu’on trouve chez un Isaïe, un Jérémie, un Ézéchiel, un Amos ou un Osée. L'interjection ouai dans la Bible |
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| Chorazin (Chorazin) |
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Chorazin est un nom féminin désignant une ville située sur la pente du lac Tibériade (ou de Galilée) à 3 km au nord de Capharnaüm (voir la carte). Ce nom grec aurait une étymologique hébraïque qui signifie : les deux cerises (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 117). C’est aujourd’hui le Khirbet Kerazeh, où se voient les restes d’une grande synagogue des 3e et 4e s. de notre ère.
La source Q, citée par Matthieu et Luc, est la seule à mentionner cette ville dans toute la Bible et semble affirmer que Jésus y a exercé son ministère et y a fait des guérisons. Pourquoi n’est-ce pas mentionné ailleurs dans les évangiles? Rappelons que Matthieu et Luc sont dépendants de Marc dans l’itinéraire de Jésus, et ce dernier n’a pas inclus Chorazin pour la période de Jésus en Galilée, soit qu’elle ne cadrait pas avec son plan, soit qu’il ne possédait aucune source s’y référant. Quant à Jean, il limite l’intervention de Jésus à un nombre très limité de lieux auquel il donne une grande valeur symbolique : dès lors ou bien Chorazin ne représentait pas un lieu de grande valeur pour son récit, ou bien il ne disposait d’aucune source s’y référant. Quoi qu’il en soit, sa mention dans la source Q ne surprend pas, car elle fait partie de tous ces villages et ces villes de Galilée que parcourait Jésus « enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie (Mt 9, 35 || Lc 8, 1) ». Le nom Chorazin dans la Bible |
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| Bēthsaida (Bethsaïda) |
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Bēthsaida est un nom féminin désignant ce village situé au nord-est du lac de Tibériade, sur la rive ouest du Jourdain qui se déverse dans le lac (voir la carte). Il est mentionné par la source Q (Mt 11, 21 || Lc 10, 13), Marc (6, 45; 8, 22), Luc (9, 10) et Jean (1, 44; 12, 21). Le nom grec proviendrait du terme araméen : beth (maison) – tsaida (approvisionnement ou pêcherie). Les fouilles archéologiques de Et-Tell, le site probable, ont révélé des engins de pêche, notamment des poids en plomb utilisés pour les filets de pêche, ainsi que des aiguilles à coudre servant à réparer les filets de pêche. Ces découvertes indiquent que la majeure partie de l'économie de la ville reposait sur la pêche dans la mer de Galilée.
D’après Jn 1, 44, Bethsaïda était la patrie de Pierre, son frère André et de Philippe. Sur le plan politique, Bethsaïda appartient à la Gaulanitide (le Golan d’aujourd’hui), sous la gouverne du tétrarque Philippe (de 4 av. JC à l’an 34) qui fit ériger ce village en ville sous le nom de Bethsaïda-Julias vers l’an 30. Notons que cette partie orientale de la rive du lac de Galilée était la plus grecque de la Palestine, en particulier avec la région de la Décapole (les dix villes) plus au sud. Quand quelques Grecs veulent voir Jésus, l’évangéliste Jean nous dit qu’ils s’adressent d’abord à Philippe; et l’évangéliste prend la peine de préciser : Philippe était de Bethsaïda. Pourquoi? Probablement parce qu’étant d’un milieu où on trouvait un large groupe de gens parlant grec, Philippe comprenait le grec. C’était probablement le cas aussi d’André, un nom très grec (homme mâle), à qui s’adresse par la suite Philippe. Quels événements a-t-on relié à Bethsaïda? Commençons par Marc où le village est mentionné deux fois. Le contexte de la première mention (6, 45) est celui de la première multiplication des pains qui se passe « à l’écart », dans un endroit inhabité, sans doute non loin de Capharnaüm d’après ce qui suit. Au terme de ce repas mémorable, Jésus oblige ses disciples « à remonter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, vers Bethsaïda ». Suit alors le récit de la marche de Jésus sur les eaux (6, 46-52). Au terme de cette traversée, on s’attendrait à arriver à Bethsaïda. Mais non, Marc écrit plutôt : « Après la traversée, ils touchèrent terre à Gennésareth (ville sur la côte occidentale du lac) ». Qu’est-ce à dire? De toute évidence, Marc coud ensemble deux récits indépendants. Perçoit-il l’incohérence géographique? C’est possible, mais probablement cela n’a pas beaucoup d’importance pour lui. Matthieu, pour sa part, semble bien percevoir cette incohérence et, au moment où il copie ce passage de Marc (voir Mt 14, 22), il supprime simplement la mention de Bethsaïda et écrit : « Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder de l’autre côté ». Remarquons que l’incohérence n’est pas complètement supprimée, puisqu'en gardant la mention de Gennésaret, il fait référence à une ville qui est située sur la même rive (occidentale) que Capharnaüm et du lieu probable de la première multiplication des pains. Mais Matthieu ne semble pas avoir de bonnes connaissances de la Palestine, et dans son esprit Gennésaret était probablement sur une rive opposée. Quoi qu’il en soit, à part la mention de se rendre à Bethsaïda, Marc ne nous dira rien de plus sur ce village Le contexte de la deuxième mention de Bethsaïda chez Marc (8, 22) est celui du ministère de Jésus en territoire grec ou païen. Dans la région de Tyr, il guérit la fille d’une syro-phénicienne (7, 24-30), puis se rend sur le territoire de la Décapole (partie orientale du lac de Galilée et du Jourdain) et en un lieu non identifié sur la rive du lac, il guérit un sourd-muet; suit ensuite la scène de la deuxième multiplication des pains, au terme de laquelle Jésus se rend à Dalmanoutha, une localité totalement inconnue, avant de repartir « pour l’autre rive » (8, 13) et d’arriver à Bethsaïda où il guérit un aveugle. Par la suite, Jésus repartira vers le nord, vers la région de Césarée de Philippe. Ainsi, tout ce que Marc nous révèle de Bethsaïda est que c’est un « village » (8, 26) situé dans le secteur oriental de la Palestine, en territoire identifié au monde grec ou païen. Nous avons chez Marc une géographie symbolique : la rive occidentale du lac de Galilée appartient au monde juif, et la rive orientale au monde grec ou païen. Détaillons cette affirmation. Avant de partir pour la région païenne de Tyr selon Marc, Jésus doit faire face à de vives discussions avec les Pharisiens et quelques scribes sur le rituel des ablutions juives dans la partie occidentale du lac de Galilée. Auparavant, c’est près de Capharnaüm qu’a lieu la première multiplication des pains, avec sa symbolique très juive : faisant référence à 2 Rois 4, 42-44 où le prophète Élisée nourrit 100 personnes avec 20 pains, donc multiplie par cinq fois le pain, le récit montre un Jésus plus puissant qu’Élie en multipliant mille fois le pain, et les douze corbeilles qui restent doivent être conservées pour nourrir les douze tribus d’Israël. Marc nous présente une deuxième multiplication des pains qui a lieu alors que Jésus fait du ministère dans la partie orientale de la Palestine. Il y a un consensus chez les biblistes (voir Meier) pour reconnaître qu’à l’origine il n’y avait qu’un récit de la multiplication des pains, mais que ce récit a pris des couleurs différentes selon qu’il circulait dans le milieu chrétien juif ou grec. Dans le milieu grec, il ne s’agissait plus de 5 000 personnes, mais de 4 000 (les quatre points cardinaux multipliés mille), non pas cinq pains, mais sept (un nombre symbolique important dans le milieu grec, comme le montre l’institution des Sept (Ac 6, 1-6) de langue grecque pour appuyer le travail des Douze auprès des Hellénistes; et bien sûr, ce sont sept corbeilles de pain qui restent, et non pas douze. Qu’en est-il de Luc? Rappelons le contexte. Luc reprend le récit de Marc sur l’envoi en mission des Douze (Lc 9, 1-6) et sur leur retour alors que les apôtres racontent ce qu’ils ont fait (Lc 9, 10). Mais alors que Marc écrit : « Et ils s’en allèrent dans la barque vers un lieu désert à l’écart » (Mc 6, 32), Luc écrit plutôt : « Et, les prenant avec lui, il se retira à l’écart, vers une ville appelée Bethsaïda » (Lc 9, 10b). Suit alors la scène de la multiplication des pains. Mais la question se pose : alors que Luc dépend de Marc pour son récit, comment peut-il préciser que le lieu de la scène est Bethsaïda? Une réponse possible provient d’un certain nombre de constatations :
C’est ainsi que Luc est en mesure de nous présenter un récit cohérent d’une seule multiplication des pains dans la région marquée par l’hellénisme de Bethsaïda, tout en conservant un récit ancien avec sa couleur juive (5 000 hommes, douze corbeilles de pain), suivi du moment crucial de la confession de Pierre sur l’identité de Jésus. Il est temps de revenir à notre v. 13. Au terme de cette analyse, nous pouvons proposer une réponse à la questions suivante : Pourquoi les villes de Chorazin et Bethsaïda sont-elles ciblées dans cette invective contre les gens qui ont refusé le message de Jésus? Si on en croit Marc, ne serait-ce pas avant tout Nazareth qu’il faudrait nommer (voir Mc 6, 4-6)? On peut deviner que ces villes ont une valeur symbolique. Et d’après la symbolique géographique que nous avons identifiée, on peut avancer que Chorazin est évoquée comme chef-lieu du milieu juif, et Bethsaïda comme chef-lieu du milieu grec. Par là, c’est l’ensemble des milieux juifs et grecs qui est ciblé par cette plainte de Jésus. Le nom Bēthsaida dans la Bible |
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| Tyrō (Tyr) |
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Tyrō est le nom féminin Tyros, au datif singulier, le datif étant requis par la préposition en (à, dans). Il désigne la ville de Tyr, en hébreu Tsor, qui vient du nom tsûr qui signifie : roc ou rocher; c’est ainsi que dans quelques passages d’Ézéchiel (LXX : 26, 2.3.4.7.15; 27, 2.3.8) et de Jérémie (LXX : 21, 13) dans la Septante, le nom de la ville est translittéré en grec par : Sor. Dans le NT, seuls les évangiles synoptiques et les Actes y font référence : Mt = 3; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; dans les évangiles, comme deux références à la fois chez Matthieu et Luc proviennent de la source Q (Mt 11, 21-22 || Lc 10, 13-14), et que la troisième référence chez Matthieu (15, 21) et Luc (6, 17) est une reprise de Marc (7, 24), on peut affirmer que seuls Marc et la source Q mentionnent cette ville. Dans la Actes, les deux occurrences du mot apparaissent dans le voyage de Paul de Milet pour se rendre à Jérusalem afin de rapporter la collecte pour les pauvres, alors qu’il doit s’arrêter à Tyr (21, 3-7).
Tyr était située primitivement sur un îlot en face de la côte, d’où l’épithète de « rocher », et c’était une ville fortifiée d’après Jos 19, 35. Elle est connue depuis le début du 2e millénaire avant notre ère et faisait partie pendant la période de l’AT du territoire des Philistins, un des « peuples de la mer ». Elle est alors la métropole commerciale et culturelle de tout Canaan (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 751). Quand on parcourt l’AT concernant la façon dont Tyr était perçue, on note deux périodes. Il y a d’abord la période des rois David et Salomon où les relations sont très cordiales. Hiram, roi de Tyr, envoya à David du bois de cèdre, des charpentiers, des tailleurs de pierre pour bâtir son palais (2 S 5, 11). De même, ce même roi fourni à Salomon du bois de cèdre et de genévrier et de l’or à discrétion (1 R 9, 11) et, en retour, Salomon lui donne 20 villes de Galilée. Tout cela nous donne une idée non seulement de la richesse de Tyr, mais de son expertise technique en ébénisterie, en maçonnerie et en métallurgie. Mais le ton change drastiquement avec les prophètes.
On peut glaner d’autres éléments d’information dans le reste de l’AT :
Sur le plan historique, on sait que Tyr a réussi à garder son autonomie face aux différents empires du Proche-Orient : Assyrie, Babylonie, Perse, grâce surtout à l’appui de l’Égypte. Mais Alexandre le Grand s’empara de la ville, après sept mois de siège, en faisant remblayer une chaussée depuis la côte jusqu’à l’île, pour faire approcher ses machines de guerre; avec ce remblai Tyr n’était plus une île, mais l’isthme que nous connaissons aujourd’hui. La ville est devenue une ville gréco-romaine typique. ![]() Voilà le contexte qui nous permet d’entrer dans le NT. Selon Marc (3, 1), des gens étaient venus de Tyr (environ 55 km) et de Sidon (environ 80 km) pour entendre Jésus prêcher sur le bord du lac de Galilée. Comme la ville elle-même de Tyr était fortement hellénisée, on peut assumer que ce sont des paysans juifs des alentours qui ont fait le trajet de quelques jours pour écouter le « rabbi ». Ce fait serait confirmé par un autre passage de Marc (7, 24) qui raconte que Jésus se rendit dans le territoire de Tyr pour une forme de retraite et alla loger dans une maison; on peut deviner qu’il s’agit d’une maison d’un paysan juif, puisque Marc raconte ainsi l’arrivée contrastée d’une femme qu’il décrit ainsi : « la femme était grecque (donc non juive), de race Syro-phénicienne »; ce récit de Marc appartient au cycle (7, 24 – 8, 26) où les interventions de Jésus sont auprès de gens dans le milieu grec. Marc souligne donc la force du rayonnement du ministère de Jésus, alors que, pour Jean-Baptiste, il écrit qu’on venait seulement de « tout le pays de Judée » et de Jérusalem (1, 5). Luc dans les Actes (Ac 21, 1-7) nous révèle quelques détails sur Tyr. Le port semble encore très actif, si bien que Paul peut embarquer sur un navire marchant à Patara en Lycie (sud de la Turquie actuelle : voir la carte) qui doit décharger sa cargaison à Tyr. Luc nous apprend également qu’il existait dans cette ville une petite communauté chrétienne, due sans aucun doute à la dispersion de Juifs de langue grecque provoquée par une violente persécution à Jérusalem, et dont a été victime Étienne (voir Ac 11, 19 : « Cependant ceux qu’avait dispersés la tourmente survenue à propos d’Etienne étaient passés jusqu’en Phénicie, à Chypre et à Antioche, sans annoncer la Parole à nul autre qu’aux Juifs »). Paul y passera sept jours, et au terme de son séjour, toute la communauté se rend à l’extérieur de la ville, et à genoux sur la plage, se met à prier, avant de faire ses adieux à Paul et à son compagnon. Il nous reste à aborder le texte de la source Q que reprend notre v. 13. Ce texte met en contraste deux villes juives (Chorazin et Bethsaïda) avec deux villes « païennes » (Tyr et Sidon). C’est seulement en lisant la mention de Tyr et Sidon dans le contexte des prophètes de l’AT qu’on peut comprendre la signification de notre passage. En effet, les prophètes sont unanimes à prédire un châtiment pour les villes païennes de Tyr et Sidon qu’on considère comme des villes orgueilleuses, riches, arrogantes, qui se croient l’égal de Dieu, en plus d’avoir un culte à Melquart. La source Q reprend l’idée que ces villes seront châtiées par Dieu au jour du jugement. Mais le fait d’affirmer que deux villes juives seront châtiées plus durement encore démontre la gravité de la faute des juifs qui ont refusé de s’ouvrir au message de Jésus. Le nom Tyros dans la Bible |
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| Sidōni (Sidon) |
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Sidōni est le nom féminin Sidōn au datif singulier, le datif étant requis par la préposition en (à, dans). Il désigne la ville de Sidon, en hébreu ṣîḏôn, qui signifie : chasse ou pêcherie. La ville de Sidon, appelée aussi Saïda, est située à 35 kilomètres au nord de Tyr, et comme Tyr, c’est un port de mer et une ville fortifiée (Is 23, 4). Dans les évangiles, Sidon est toujours associée à Tyr : Mt = 3; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Sidon apparaît comme une ville plus ancienne que Tyr, car elle est nommée bien avant Tyr, en particulier à la suite du déluge : « Canaan engendra Sidon son premier-né et Heth » (Gn 10, 15). Et quand on parlera de la délimitation du territoire des Cananéens, seule Sidon sera nommée : « Le territoire cananéen s’étendit de Sidon vers Guérar jusqu’à Gaza, vers Sodome et Gomorrhe, Adma et Cevoïm jusqu’à Lèsha » (Gn 10, 19). De même, en parlant de la délimitation du territoire de Zabulon sur la côte nord-ouest, seule Sidon est nommée : « Zabulon aura sa demeure au bord des mers. Il a, lui, des bateaux au rivage, et ses confins dominent Sidon » (Gn 49, 13). La première fois que l’AT parle de Tyr est lors du règne de David et Salomon au 10e siècle av. JC, et c’est son roi Hiram qui semble avoir donné un essor considérable à la ville au point qu’elle mit dans l’ombre Sidon (voir 2 S 5, 11). S’il faut en croire Ez 27, 8, Tyr exerça sur Sidon une certaine hégémonie : « Tu (Tyr) as eu pour rameurs les habitants de Sidon et d’Arvad, tu avais pris à ton bord des sages, ô Tyr ; ils étaient tes matelots ». Il reste que le livre de Josué donne toujours à Sidon l’attribut : la grande (Jos 11, 2.8; 19, 28) ![]() Il est difficile de se faire une idée de la particularité des relations entre Sidon et Israël, tant Sidon est souvent associée à Tyr. D’une part, Sidon apparaît comme une cité pacifique (« lorsque nous sommes allés explorer le territoire jusqu'à Laisa, nous avons vu un peuple habitant en sécurité, à la façon des Sidoniens, paisible dans sa confiance », Jg 18, 9) et quand Alexandre le Grand s’empara de Tyr après un siège de 7 mois, la ville de Sidon se rendit pacifiquement. D’autre part, le premier livre des Maccabées parle clairement d’une coalition des villes maritimes de Ptolémaïs, Tyr et Sidon contre Israël (1 M 5, 15). Les reproches des prophètes contre Sidon se font par son association à Tyr. Seul Ézéchiel a une prophétie exclusive contre Sidon (28, 20-23), mais on chercherait en vain la raison pour laquelle le Seigneur châtie la ville; et ce qu’il y a de remarquable, autant le prophète dénonce la richesse et l’arrogance de Tyr, autant il n’y a rien de tel pour Sidon. De même chez le prophète Zacharie (9, 2), même s’il annonce un châtiment pour Tyr et Sidon, il mentionne seulement la richesse de Tyr. Aussi, le seul véritable reproche adressée à Sidon est d’être une citée païenne, comme on peut le lire au livre des Juges : « Les fils d’Israël recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur. Ils servirent les Baals et les Astartés, les dieux d’Aram, les dieux de Sidon, les dieux de Moab, les dieux des fils d’Ammon et les dieux des Philistins. Ils abandonnèrent le Seigneur et ne le servirent plus » (Jg 10, 6). Dans le NT, seuls les évangiles-Actes mentionnent Sidon, mais comme nous l’avons fait remarquer, Sidon n’est jamais séparé de Tyr, à l’exception de ce passage de Ac 27, 3 où le navire marchand sur lequel est embarqué Paul, alors prisonnier, après avoir quitté Césarée maritime, fait une escale à Sidon avant de se rendre au port de Myre en Lycie. Pourquoi Myre? C’était l’escale habituel des navires remplis de blé qui arrivaient d’Alexandrie, en ligne droite du sud, avant de prendre la direction de l’Italie. Pourquoi l’escale de Sidon? C’était l’escale habituel avant d’affronter la grande mer pour aller à Myre en contournant Chypre par le sud. Mais l’auteur des Actes nous informe que les vents contraires de l’ouest ont forcé le navire à contourner Chypre par le nord. Quoi qu’il en soit, ce passage nous apprend qu’il existait également à Sidon une petite communauté chrétienne, comme on l’a vu pour Tyr. Et l’existence de cette communauté peut s’expliquer pour les mêmes raisons que pour celle de Tyr. Pour notre v. 13, on ne peut que répéter ce que nous avons dit lors de notre analyse précédente de Tyr. Sidon est le symbole de la citée païenne, mais n’ayant pas été confrontée à la lumière de l’évangile, sa responsabilité sera moins grande lors du jugement. Le nom Sidōn dans la Bible |
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| egenēthēsan (étaient advenus) |
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Egenēthēsan est le verbe ginomai à l’indicatif aoriste passif, 3e personne de pluriel, et il a pour sujet dynameis (actes de puissance). Il signifie fondamentalement : venir à l’existence, d’où advenir, se produire, devenir. Il extrêmement fréquent dans les évangiles-Actes; il figure même au 4e rang des verbes les plus utilisés dans les évangiles-Actes après legō (dire), eimi (être) et erchomai (aller) : Mt = 75; Mc = 55; Lc = 131; Jn = 51; Ac = 125; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 1. Comme on peut le constater, c’est Luc qui l’utilise le plus fréquemment : quand on combine son évangile et les Actes on a un total de 256 occurrences. Et dans son évangile, sur le total de 131 occurrences, 111 lui sont propres. Son usage majeur est celui d’introduire un événement avec l’expression egeneto (Il advint que…), 61 fois sur le total des 131 occurrences du verbe dans son évangile.
Le contexte est différent ici au v. 13, car Luc copie une phrase de la source Q concernant les « actes de puissance » ou « miracles »; six des occurrences de ginomai chez Luc proviennent de la source Q. Ce qu’il faut noter au v. 13 est que le verbe ginomai est au passif : étaient advenus. Qu’est-ce à dire? Jésus ne parle pas des actes de puissance qu’il aurait pu opérer, mais d’actes de puissance qui auraient pu être opérés ou advenir. Et quand le verbe est au passif dans les évangiles, bien souvent le sujet est Dieu lui-même. Ainsi, les actes de puissance sont attribués à Dieu seul, et non à Jésus. Le même verbe ginomai revient quelques mots plus loin dans l’expression : « ceux étant advenus chez toi ». Nous avons ici un participe passé passif. Ainsi, les « miracles » dont ont été témoins les gens de Chorazin et Bethsaïda sont l’œuvre de Dieu. Si vraiment Jésus était l’auteur des miracles, l’auteur de la source Q aurait utilisé le verbe poien (faire) et aurait écrit : « ceux que j’ai faits chez toi ». Le verbe ginomai dans les évangiles-Actes |
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| dynameis (actes de puissance) |
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Dynameis est le nom féminin dynamis au nominatif pluriel, le nom étant le sujet du verbe « étaient advenus ». Il signifie : puissance, force, et nous a donné les noms : dynamisme, dynamite, dynamo. Il apparaît régulièrement dans l’ensemble du Nouveau Testament et dans les évangiles-Actes, sauf chez Jean : Mt = 12; Mc = 10; Lc = 15; Jn = 0; Ac = 10; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans le glossaire on trouvera une présentation de dynamis. Rappelons que dans la Grèce classique, dynamis désigne la faculté de réaliser une action. Dans la Septante, dynamis a beaucoup servi à traduire l'hébreu yhwh ṣěbāʾôt (Jérémie 33, 12 LXX: « Ainsi parle Yahvé Sabaot » [kyrios tōn dynameōn, le Seigneur des armées]). Il traduit également le mot hébreu ʿōz : force, qui est considéré comme une qualité de Dieu (Psaume 89, 11 : « c'est toi qui fendis Rahab comme un cadavre, dispersas tes adversaires par ton bras de puissance [dynamis] »); c’est par cette puissance que Dieu intervient auprès de son peuple. Pour le NT, considérons d’abord les écrits non-évangéliques. Le mot dynamis au pluriel a souvent le sens d’actes de puissance ou d’éclat que nos bibles traduisent par « miracles » et qui correspondent aux prodiges de l’AT. Paul reconnaît que certains membres de la communauté chrétienne ont ce charisme, qu'il distingue du charisme de guérison (1 Co 12, 10.28-29). Au pluriel, dynamis désigne également ces forces supraterrestres qui appartiennent au cosmos et semblent avoir une influence négative sur le cours de l'histoire (voir Rom 8, 38) et que Jésus, par sa résurrection, a finalement amenées à la soumission (1 Pierre 3, 22). Au singulier, dynamis revêt une gamme de significations :
Attardons-nous maintenant aux évangiles-Actes. Dynamis signifie fondamentalement une puissance transformatrice. Mais selon le contexte, cette puissance revêt différents visages.
Luc est le plus grand utilisateur de ce mot dans les évangiles : non seulement le mot apparaît 15 fois, de ce nombre 11 occurrences lui sont propres. Mais parmi les passages qui lui sont propres, une seule fois (19, 37) dynamis désigne ce que nos bibles appellent « miracle », même s’il se plaît à insister que les Douze ont reçu une puissance qui leur permet de guérir; Luc préfère parler de « miracle » dans ses sommaires : sommaire de l’activité de Jésus (Lc 19, 37; Ac 2, 22), l’activité de Philippe (8, 38), l’activité de Paul (Ac 19, 11). Au v. 13, dynamis apparaît dans une phrase tirée de la source Q. C’est d’ailleurs le seul exemple que nous ayons. Le mot renvoie clairement à ce que nous avons appelé « actes de puissance » et qui est habituellement traduit par « miracles ». Mais on ne parle d’aucun acte de puissance en particulier. L’accent est plutôt sur le rôle qu’aurait dû jouer l’ensemble de ces actes de puissance : celui d’être le signe de la présence de Dieu en Jésus, et par là aurait dû susciter une ouverture du cœur. C’est cette signification qu’exprime Luc en Ac 2, 2 : « Jésus le Nazôréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les actes de puissance (dynamis), prodiges et signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous ». L’évangéliste Jean fait la même chose en n’employant jamais le mot dynamis, mais seulement le mot « signe » (sēmeion). En d’autres mots, les « actes de puissance » auraient dû être interprétés comme une parole de Dieu, mais ne l’ont pas été. Pourquoi? La référence à Sidon et Tyr qui auraient accueilli cette parole de Dieu nous donne quelques indices :
Le nom dynamis dans les évangiles-Actes |
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| palai (depuis longtemps) |
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Palai est un adverbe qui signifie : depuis longtemps, autrefois. Il est extrêmement rare dans toute la Bible, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
L’adverbe entend exprimer une durée de temps. Par exemple, dans le NT, il fait référence au temps écoulé depuis la mort de Jésus (Mc 15, 44), la longueur de temps où Paul est intervenu à Corinthe (2 Co 12, 19), la longueur de temps où Dieu a parlé par l’intermédiaire des prophètes (He 1, 1), la longueur de temps depuis que le chrétien a été purifié par son baptême (2 P 1, 9), la longueur de temps que Dieu connaît les impies qui corrompent la communauté (Jude 1, 4). Au v. 13, l’auteur de la source Q affirme que si les païens de Tyr et Sidon avaient été témoins des « actes de puissance » advenus par l’intermédiaire de Jésus, leur cœur se serait ouvert « depuis longtemps ». Qu’est-ce-dire? La notion de temps est ici relative : car d’une part, il n’y pas eu d’actes de puissance à Tyr et Sidon, et d’autre part, s’il y en avait eu, on ne sait pas combien de temps se serait écoulé entre ces actes et la conversion des gens de Tyr et Sidon. En fait, le point de référence que suggère le récit est le moment où Jésus énonce sa plainte : en présupposant que les actes de puissance étaient advenus depuis longtemps en même temps à Tyr et à Sidon qu’à Chorazin et Bethsaïda, ces païens de Phénicie seraient aujourd’hui, au moment où Jésus énonce sa plainte, des disciples. Cela signifie que les gens de Tyr et Sidon auraient accueilli immédiatement sa parole, sans hésiter. Ainsi, l’accent du v. 13 est sur le fait que les « actes de puissance » advenus à Chorazin et Bethsaïda étaient si convaincants et déterminants que même les païens de Tyr et Sidon auraient immédiatement ouvert leur cœur au message de Jésus, sans hésiter. Cela accentue la responsabilité des gens de Galilée et leur fermeture d'esprit. L'adverbe palai dans la Bible |
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| sakkō (sac) |
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Sakkō est le nom masculin sakkos au datif singulier, le datif étant requis par la préposition en (dans). Il signifie : sac, et n’apparaît dans tout le NT que dans cette citation de la source Q (Mt 11, 21 || Lc 10, 13) et dans l’Apocalypse (6, 12; 11, 3).
Le mot sakkos est plus fréquent dans la Septante, car ce fut le choix des traducteurs pour traduire l’hébreu saq, qui désigne d’abord une étoffe grossière, faite de poil de chèvre ou de chameau. Comme l’étoffe était grossière, elle pouvait apparaître très sombre.
Cette étoffe pouvait servir à fabriquer des sacs à grain ou à victuailles, comme le montre la scène de Gn 42, 27 quand l’un des frères de Joseph, lors de son retour d’Égypte, dans une halte, ouvre son sac (saq) pour donner du fourrage à son âne et voit l’argent que Joseph y avait mis. Mais dans la même phrase l’auteur du récit utilise un synonyme, 'amtaḥat (sac, contenant flexible pour le grain), que la Septante a traduit en grec par : marsippos. Le Lévitique (11, 32) nous donne les règles de purification quand des bestioles s’y trouvent. Ces sacs faisaient partie de l’équipement habituel lors des voyages, tant pour les bagages personnels que pour la nourriture d’un animal.
Le plus souvent, saq désigne ce pagne ou cette tunique faits avec cette étoffe grossière qui recouvrait le corps du cou aux cheville en signe de deuil et de pénitence. Il semble qu’on le portait directement sur la peau (voir Job 16, 15 où son état de deuil est si long que le « sac » apparaît cousu sur sa peau), et on pouvait le ceindre autour des reins avec une corde.
Enfin, on présente parfois cette étoffe comme faisant partie du vêtement du prophète (par ex. en Is 20, 2, Isaïe portait le « sac » avant de partir nu en mission)
Porter le sac était un des éléments du rite pénitentielle et de deuil qui se manifestait de plusieurs façons :
Voilà le contexte dans lequel il faut lire le mot « sac » de notre v. 13. Qu’est-ce qui est affirmé? Si les gens de Tyr et Sidon avaient été témoins des actions de Dieu advenues par Jésus, ils seraient entrés dans un rite pénitentiel dont le fait de se vêtir d’une tunique d’étoffe grossière à même la peau est l’élément le plus typique. Dans ce rite on reconnaît avoir erré par sa faute, on se dépouille du vieil homme dans l’espoir de recevoir le pardon de Dieu. L’évocation de ce rite pénitentiel dis une chose sur le message de Jésus : on ne peut le recevoir sans un changement de vie. Le nom sakkos dans la Bible |
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| spodō (cendre) |
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Spodō est le nom féminin spodos au datif singulier, le datif étant requis par la préposition en (dans). Il signifie : cendre, et n’apparaît dans tout le NT que dans cette citation de la source Q (Mt 11, 21 || Lc 10, 13) et dans l’épitre aux Hébreux (9, 13).
Le mot est plus fréquent dans la Septante et traduit l’hébreu : 'ēper (la seule exception étant Lv 1, 16 où l’hébreu utilise dešen pour désigner ces cendres grasses provenant des holocaustes du temple, et que la Septante a traduit par le même mot spodos). On peut identifier trois contextes où apparaît le mot « cendre ».
C’est dans ce dernier contexte qu’il faut lire le v. 13 qui assume que les gens de Tyr et Sidon se seraient assis sur le sac et la cendre en étant témoins des actes de puissance opérés par Dieu en Jésus : ils se seraient humiliés, auraient reconnus leur faute, auraient demandé pardon à Dieu et se seraient engagés dans une voie nouvelle. Le nom spodos dans la Bible |
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| kathēmenoi (étant assis) |
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Kathēmenoi est le verbe kathēmai au participe présent moyen, au nominatif masculin pluriel, s’accordant en genre et en nombre avec « les gens de Tyr et Sidon » qui sont sous-entendus. Il est synonyme de kathizō (assoir), qui est son équivalent à la forme active, et signifie s’asseoir. On le rencontre régulièrement dans les évangiles-Actes : Mt = 19; Mc = 11; Lc = 13; Jn = 4; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Selon les divers contextes, le verbe kathēmai peut revêtir diverses significations.
Au v. 13, quelle serait la signification de s’assoir dans la cendre pour les gens de Tyr et Sidon? On peut associer ce geste à celui du mendient qui prend une pose d’abaissement et d’humilité. Mais il signifie également habiter ce lieu de saleté pour exprimer cet aspect de soi avec lequel on a vécu et qu’on veut maintenant quitter. Une question demeure : ce v. 13 appartient à la source Q qu’on retrouve également chez Mt 11, 27, mais les versions de Luc et Matthieu sont identiques, sauf qu’il y a chez Luc l’expression : étant assis; s’agit-il d’un ajout de Luc à la source Q, ou d’une omission de Matthieu? Il n’y a aucun moyen de répondre avec assurance à une telle question, mais on peut penser qu’il est plus probable que l’expression « étant assis » faisait partie de la source Q. Car Luc a l’habitude de respecter plus scrupuleusement la source Q qu’il copie (voir la prière du Notre Père), et l’auteur de la source Q semble être inspiré par le récit de Jonas où on retrouve l’expression « être assis dans la cendre » et qui emploie également dans la version de la Septante le verbe metanoeō (changer d’idée). « Et la parole de Jonas arriva au roi de Ninive, et il se leva de son trône, et il ôta sa robe, et il se ceignit d'un sac, et il s'assit (kathizō) sur la cendre » (Jon 3, 6) La présence ou non du verbe « être assis » n’est pas très importante, car la préposition grecque en (dans) sous-entend que les gens sont assis dans la cendre, et Matthieu a peut-être trouvé le verbe « être assis » redondant. Le verbe kathēmai dans les évangiles-Actes |
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| metenoēsan (ils auraient changé d'idée) |
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Metenoēsan est le verbe metanoeō à l’indicatif aoriste actif, 3e personne du pluriel. C’est un verbe formé de la préposition meta (après, au-delà) et du verbe noeō (percevoir par la pensée, se rendre compte de, saisir), et donc signifie littéralement : se rendre compte après coup, d’où changer d’idée ou d’avis, que nos bibles traduisent par : se repentir, se convertir. Il n’est pas très fréquent dans les évangiles-Actes, et est totalement absent de Jean : Mt = 5; Mc = 2; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; ailleurs, dans le NT, il n’apparaît presqu’exclusivement que dans l’Apocalypse.
Pour nous aider à saisir la signification du verbe, parcourons la Septante. Les traducteurs de la bible hébraïque se sont servis de metanoeō pour traduire le verbe hébreu nāḥam dont l’une des significations est : regretter. Mais si le fait de regretter est parfois traduit par la Septante par le terme grec metamelomai, le choix de metanoeō intervient habituellement dans un contexte où on regrette une décision et on s’engage à changer la direction de son action, si bien que nāḥam est très souvent accompagné par le verbe šûḇ (revenir, retourner) et que la Septante a traduit par epistrephō ou apostrephō. Voici deux exemples :
On aura remarqué que les deux exemples ont Dieu pour sujet : de fait le sujet du verbe metanoeō est plus souvent Dieu que l’être humain dans la Septante, car bien souvent Dieu a dû intervenir pour corriger son peuple, et quand ce peuple revient à son Dieu, alors ce dernier change d’idée dans sa décision de le punir. Il est aisé de comprendre pourquoi les verbes nāḥam (regretter) et šûḇ (revenir) vont de pair, car ils sont deux aspects de la même réalité : le regret concerne une décision prise, et le détournement est une nouvelle décision pour revenir sur ses pas. Il est intéressant de noter que le traducteur de la Septante s’attendait tellement à toujours trouver ce couple dans la tradition prophétique qu’il l’a ajouté à sa traduction d’Is 46, 8; comparons les deux versions.
Notons que dans la tradition sapientielle (Job, Qohélet, Psaumes) où une version hébraïque est disponible, le verbe nāḥam n’est jamais traduit par metanoeō. Dans le livre des Proverbes, metanoeō traduit des verbes hébreux comme bāqar (réfléchir) et šîṯ (considérer, placer, établir). Qu’en est-il dans le NT? Tout d’abord, metanoeō ne s’applique jamais à Dieu, mais seulement à l’être humain. C’est le livre de l’Apocalypse qui emploie le plus ce verbe dans un contexte d’abord d’églises locales à qui il reproche des éléments de sa conduite, et ensuite celui du grand jugement de l’humanité qui est accusée d’être tombée dans l’idolâtrie et de ne pas revenir à Dieu malgré le message des fléaux. Nous retrouvons ici quelque peu la tradition prophétique : il y a un appel à quitter la mauvaise conduite. L’atmosphère dans les évangiles est un peu différente.
Que conclure? Il n’y pas de définition unique de metanoeō. Néanmoins, cette réalité est présentée de manière positive dans toute la Bible. Elle assume que l’être humain, dans sa liberté, peut errer. Mais il a également la possibilité de reconnaître cette erreur, et de revenir sur le chemin de la vérité; tout n’est pas fixé dans une forme de déterminisme. Dans le NT, ce changement d’idée concerne surtout le regard porté sur Jésus : en raison de ce qu’il a dit et fait, et du visage de Dieu qu’il transmet, on ne peut vraiment l’accueillir qu’en renonçant à tout un monde qu’on a reçu et qu’on s’est forgé. Pour un Juif, c’est le monde de la Loi et de la transcendance de Dieu, pour un païen, c’est la sécurité des multiples idoles et de son univers moral. Pour le chrétien, le changement d’idée passe d’abord par la prise de conscience de tout ce qui en soi s’écarte de ce que Jésus a dit et fait. Au v. 13, cet extrait de la source Q nous situe devant l’auditoire juif de Galilée et se plaint de l’absence de changement d’idée chez ceux qui ont refusé de voir dans un compatriote une parole provenant de Dieu. Cet extrait nous laisse avec le mystère de la liberté humaine, mais on peut deviner que ces gens n’étaient pas des chercheurs de vérité, une condition essentielle pour changer d’idée. Le verbe metanoeō dans la Bible |
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| v. 14 Aussi le sort de Tyr et Sidon au jour du jugement sera plus tolérable que le vôtre.
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Littéralement : Toutefois pour Tyr et Sidon plus tolérable il sera au jugement (krisei) que pour vous.
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| krisei (jugement) |
Krisei est le nom féminin krisis au datif féminin singulier; il nous a donné le mot « crise », originellement utilisé dans le monde médical pour décrire une expression forte d’une maladie quelconque, étendu ensuite à diverses situations difficiles. Il est peu fréquent dans les évangiles-Actes, sauf chez Matthieu et dans la tradition johannique : Mt = 12; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 11; Ac = 1; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il désigne d’abord l’action de séparer, discriminer, discerner, ce qui peut survenir lors d’un procès. Le résultat de cette action est le jugement, le prononcé d’une sentence. Enfin, le mot peut désigner le bon jugement et l’action équitable, i.e. la justice. Il existe un synonyme, krima, moins fréquent (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), dont l’accent est sur le prononcé de la sentence, le décret, mais qui est souvent utilisé comme un synonyme.
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Krisis traduit surtout le terme hébreu mišpāṭ (jugement, justice, ordonnance). Il s’agit d’un thème qui parcourt tout l’AT. Car l’histoire humaine est marquée par les conflits, et pour régler les conflits, il faut une tierce partie. Dans le monde civil, c’est la responsabilité du roi, et de ceux à qui il délègue l’autorité, de régler les conflits et de « faire justice ». Mais dans l’Antiquité, cette autorité est reçue de Dieu qui seul ultimement peut juger. Dans l’histoire d’Israël, la nécessité de juges se fait sentir dès que les tribus qui ont quitté l’Égypte s’installent en Canaan. Dans ce système tribal, il n’y pas encore de rois, mais des leaders guerriers se signalent et « le Seigneur suscita des juges (kritai) qui les délivrèrent de ceux qui les pillaient » Jg 2, 16. Par la suite, avec la réunification des tribus et l’instauration de la royauté, c’est le roi qui sera investi de cette fonction; l’un d’eux, Salomon, sera réputé dans sa capacité de bien discerner et juger (voir 1 Rois 3, 16-28 et le jugement de Salomon sur le conflit entre deux mères sur la maternité d’un bébé). Quand le psalmiste célèbre l’intronisation d’un roi, il fait allusion à ce privilège divin dont est investi le roi : « Oracle du Seigneur à mon seigneur : "Siège à ma droite, que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds !" » (Ps 110, 1); l’acte de siéger est une fonction judiciaire. Dans l’AT, c’est surtout à Dieu qu’on fait référence quand on parle de jugement. Ce rôle s’exerce d’abord dans son intervention dans l’histoire humaine : LXX « La colère du Seigneur s’enflamma contre Israël. Il dit : "Puisque cette nation a transgressé mon alliance, celle que j’avais prescrite à leurs pères, et qu’elle n’a pas écouté ma voix, moi non plus, je ne continuerai plus à déposséder devant elle aucune de ces nations que Josué a laissées en place avant de mourir" » (Jg 2, 21-22). Ainsi, l’alliance, qui s’était concrétisée sous la forme de la Loi, devenait le critère pour évaluer le peuple. Dans la tradition prophétique, Dieu apparaît souvent en procès contre son peuple : LXX « Et je prononcerai mon jugement (krisis) sur mon peuple au sujet de toutes les iniquités ; car ils m'ont abandonné, ils ont sacrifié à des dieux étrangers, et ils ont adoré les œuvres de leurs mains » (Jr 1, 16; voir aussi Is 3, 13 : LXX « Mais maintenant le Seigneur va siéger pour juger, et il entrera en jugement avec son peuple »). Pour les justes, leur consolation est d’espérer une telle intervention de Dieu : LXX « Et j'ai dit : En vain je me suis fatigué ; j'ai vainement et sans fruit déployé ma force ; c'est pourquoi j'attends mon jugement (krisis) du Seigneur, et mon labeur est devant moi » (Is 49, 4); et bien sûr, on s’attend à ce que Dieu soit juste : LXX « Car tu as jugé ma cause sur ton trône, ô toi qui juges selon la justice » (Ps 9, 5). Et comme Dieu est le créateur de l’univers, c’est sur toutes les nations que s’exerce son jugement : LXX « Et même aux extrémités du monde ; car le Seigneur entre en jugement (krisis) contre toutes les nations ; il plaide avec toute chair ; et les impies ont été livrés au glaive, dit le Seigneur » (Jr 32, 31). Mais l’idée s’est développée, sans doute devant la constatation que le mal et l’injustice continuaient à se répandre dans le monde, qu’il y aurait un jour une intervention définitive et finale de Dieu pour mettre fin à l’histoire humaine et procéder à un jugement de l’ensemble de l’humanité. Ce moment a été appelé de diverses façons : jour du jugement (Is 34, 8; Jdt 16, 17), jour de sa colère (Ps 110, 5), jour de Yahvé (Is 13, 6.9; Ez 30, 3; Am 1, 15; Ab 0, 15; So 1, 7; Za 14, 1; Ml 3, 23). Dans le NT, ce moment sera nommé « Jour du Seigneur » (Ac 2, 20; 1 Co 5, 5; 1 Th 5, 2; 2 Th 2, 2; 2 P 3, 10) avec la perception que c’est Jésus resuscité qui exercera la fonction de juge ultime. Dans la tradition prophétique, il y a une unanimité pour dire que ce jour est proche. La tradition chrétienne reprendra cette perception, d’où l’urgence de la mission avant que ne vienne ce grand jour; d’ailleurs ce grand jour n’était-il pas commencé avec la résurrection de Jésus, si on prend au sérieux le psalmiste : LXX « C'est pourquoi les impies ne ressusciteront pas dans le jugement (krisis), ni les pécheurs dans l'assemblée des justes » (Ps 1, 5). Voilà le contexte dans lequel il faut lire le NT. Comme nous l’avons fait remarquer au tout début, le mot krisis peut revêtir trois significations différentes.
L’intérêt des évangélistes pour la notion de krisis varie beaucoup. Elle est totalement absente de l’évangile de Marc, et même le mot apparenté krima (jugement) n’apparaît qu’une fois (12, 40) en référence avec les scribes hypocrites qui se montrent très religieux mais dévorent le bien des veuves, et donc subiront une condamnation plus sévère. De même, Luc démontre peu d’intérêt pour krisis, car les quatre occurrences de son évangile sont toutes des copies de la source Q et celle des Actes est une citation d’Is 53, 7-8. Par contre, l’auteur de la source Q et Matthieu, fidèles à la tradition juive, expriment un grand intérêt pour le grand jour du jugement de la fin des temps. Malgré tout, le critère du jugement ne sera plus la fidélité à l’alliance, mais la relation à la personne de Jésus et à son message. Et Matthieu explicite ce message concernant les relations avec les autres (se fâcher contre son frère; voir aussi la scène du jugement final au ch. 25 : j’ai eu faim, vous m’avez donné à manger…). Quant à Jean, il présente son évangile comme un grand procès avec divers témoins, et ce procès se termine avec la condamnation de ceux qui ont refusé les divers témoignages, car ils ne recherchaient pas la vérité, et ont préféré l’obscurité à la lumière. Notre v. 14, qui est une copie de la source Q, affirme clairement qu’il y aura un jugement final à la fin des temps, auquel personne n’échappera. Ce jugement impliquera diverses sentences, certaines plus sévères que d’autres. En cela, il prolonge la tradition de l’AT et reflète un milieu juif. Toutefois, le critère d’évaluation n’est plus la Loi juive, mais l’attitude face à la personne même de Jésus. Le nom krisis dans le Nouveau Testament |
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| v. 15 Et toi, Capharnaüm, penses-tu que connaîtra les grands honneurs? Tu seras précipitée dans le monde des morts.
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Littéralement : Et toi Capharnaüm (Kapharnaoum) jusqu'au ciel (ouranou) tu ne seras pas élevée (hypsōthēsē); jusqu'à l'Hadès (hadou) on te fera descendre (katabibasthēsē).
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| Kapharnaoum (Capharnaüm) |
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Kapharnaoum est le nom Kapernaoum ou Kapharnaoum au vocatif féminin singulier. C’est un nom d’origine araméenne : Kephar nâḥûm (village de Nahum). Ce village est situé à 4 km de l’embouchure du fleuve Jourdain quand il se jette à partir du nord dans le lac de Galilée (ou Gennésaret ou Kinneret ou Tibériade). Comme le Jourdain était la frontière entre la Galilée et la Gaulanitide (aujourd’hui le plateau du Golan, voir la carte), entre l’autorité d’Hérode Antipas et de Philippe, Capharnaüm était la principale ville frontière, et donc avait un bureau de douane et une garnison royale pour faire la police. Le village connut un grand développement aux 3e et 4e siècle. De cette époque date la grande synagogue découverte en 1905, bâtie en style gréco-syrien. Non loin de là ont été dégagés, plus récemment, les restes d’une église byzantine en octogone, bâtie autour d’une maison plus ancienne, vénérée comme la Maison de Pierre par les anciens pèlerins. Aujourd’hui, le lieu est appelé Tell Hum (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 106).
Mais notre intérêt principal est la place qu’occupe Capharnaüm dans le récit évangélique et le ministère de Jésus. Sur ce point, on doit considérer de manière individuelle les évangélistes tant leur perspective est différente. Pour y voir plus clair, considérons chaque évangéliste avec le tableau suivant. La géographie du ministère de Jésus Légende des couleurs: Marc
Remarques :
Matthieu
Remarques :
Luc
Remarques :
Jean
Remarques :
Que retenir de ce tableau sur Capharnaüm? Seuls Marc et Matthieu donnent une certaine importance à Capharnaüm. Pour Marc, c’est de lieu de résidence de Pierre et André, et deviendra celui de Jésus pendant son ministère; Jésus y enseigne à la synagogue et y opère de nombreuses guérisons. C’est chez Matthieu que la ville acquiert sa très grande importante et la vision qu’en aura les communautés chrétiennes par la suite; de manière claire, il nous indique que Jésus quitte son milieu familial de Nazareth pour s’installer à Capharnaüm chez Pierre et André et en faire son quartier général pendant son ministère. Beaucoup d’événements qui apparaissent éparpillés en Galilée sont rapatriés à Capharnaüm chez Matthieu. Et surtout, il a fait de cette résidence de Capharnaüm le prototype de la communauté chrétienne : c’est ainsi que les explications privées de son enseignement ont lieu dans cette résidence et tout le discours sur les règles de la vie communautaire s’y déroule. Qu’en est-il de Luc et Jean? Pour eux, c’est une ville sans intérêt particulier, et jamais n’est mentionné le fait que Pierre et André y auraient résidé ainsi que Jésus, encore moins qu’elle aurait été le quartier général de Jésus pendant son ministère. Tout au plus, Jean y situe le discours sur le pain de vie dans la synagogue et Luc nous présente le récit de la source Q sur la guérison de l’esclave du centurion. Qu’est-ce à dire? Aucun des rédacteurs de la version finale des évangiles n’a été témoin oculaire du ministère de Jésus, et donc tous doivent avoir recours à diverses sources ou traditions. Or, l’auteur de la source principale dont se sert le rédacteur final du 4e évangile était probablement un résident de Jérusalem, ce qui explique la richesse des détails sur la ville, et les connaissances plutôt sommaires sur la Galilée. Luc, pour sa part, a dû juger que la référence à Capharnaüm était sans intérêt pour son auditoire grec. D’ailleurs, la première fois qu’il mentionne la ville en reprenant le texte de Marc 1, 21-22, il doit ajouter « ville de Galilée », assumant que cet auditoire ignorait où pouvait se situer cette ville. De plus, comme sa perspective théologique est de présenter Jésus comme le sauveur universel, il est possible qu’il ait voulu enlever de Jésus ses attaches trop « locales ».
Ici, au v. 15, Capharnaüm apparaît dans un passage de la source Q où la ville est associée à Chorazin et Bethsaïda. Si Marc et Matthieu y placent un certain nombre de guérisons de Jésus, et que la source Q y place la guérison du serviteur du Centurion, on chercherait en vain un passage qui raconte l’incrédulité des gens de Capharnaüm. Alors pourquoi une telle invective contre cette ville? On peut sans doute imaginer que l’auteur de la source Q entend faire tomber de son piédestal cette ville, associée à Jésus, Pierre et André, et dénoncer son incroyance, puisque c’était une ville de Juifs, ces Juifs qui, dans leur ensemble, ont refusé le message de Jésus. Le nom Kapernaoum dans la Bible |
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| ouranou (ciel) |
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Ouranou est le nom masculin ouranos au génitif singulier, le génitif étant requis par la conjonction heōs (jusqu’à). Il signifie: ciel. C'est un mot très fréquent, en particulier chez Matthieu : Mt = 82; Mc = 18; Lc = 35; Jn = 18; Ac = 26; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. On pourra se référer au glossaire où nous avons analysé la cosmologie du monde juif. Résumons les éléments principaux.
Dans la cosmologie des anciens, l'univers est divisé en deux grandes parties (Gn 1, 1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ») : le monde d'en bas est celui de la terre, un terre plate soutenue par d'immenses colonnes ou de hautes montagnes; au-dessus de la terre, très haut, il y a une voute solide, demi-sphérique, qui repose au bord de l'horizon, le firmament, qui sépare le monde d'en bas du monde d'en haut, un monde inaccessible. Dans le monde d'en haut, au-dessus du firmament, il y a d'abord les astres, puis les eaux supérieures d'où vient la pluie, et au-dessus de ces eaux il y a le monde invisible de Dieu qui peut être composé de plusieurs étages pour faire place aux êtres célestes, Dieu bien sûr trônant au-dessus de tout. Dans l'Ancien Testament, le « ciel » est appelé du mot hébreu šāmayim (cieux). Notons que c'est un mot masculin pluriel, si bien qu'un André Chouraqui le traduit en français par le mot pluriel « ciels ». Les traducteurs de la Septante ont traduit šāmayim par le mot grec ouranos, mais dans 90% avec le singulier, et non par le pluriel comme l'exigeait le mot hébreu. Et nos bibles ont suivi avec une traduction surtout au singulier. Et quand on regarde l'ensemble de la Septante, on note une certaine logique dans le choix entre le pluriel « cieux » et le singulier « ciel ».
Intéressons-nous maintenant aux évangélistes. Que désigne-t-on exactement par le mot « cieux » ou « ciel ». En fait, on note que ce mot désigne trois réalités différentes : 1) Dieu lui-même désigné sous le vocable de « ciel » pour éviter de prononcer son nom; 2) cette partie au-dessus du firmament où se trouvent les astres, les eaux supérieures, les êtres spirituels comme les anges, et enfin Dieu-lui-même; 3) l'atmosphère sous le firmament où se déploient par exemple les oiseaux. On peut ainsi établir le tableau suivant selon les réalités désignées par ouranos par chaque évangéliste.
Qu’en est-il plus précisément de Luc? Notons tout d’abord que sur les 35 occurrences du mot chez lui, huit sont une copie de la source Q, et neuf une copie de Marc, ce qui laissent 18 occurrences qui lui sont propres. Dans l’ensemble, on retrouve chez lui les trois significations habituelles du ciel.
Ici, au v. 15, nous sommes devant une copie de la source Q. Notons que, sur les huit occurrences de la source Q, six font référence au monde divin (la résidence des justes et celle de Dieu, le lieu du grand livre où sont comptabilisées les actions humaines, l’élément qui, avec la terre, compose tout l’univers), et deux désignent l’espace sous le firmament, i.e. l’environnement des oiseaux (Mt 8, 20 || Lc 9, 58) et les phénomènes météorologiques (Mt 16, 3 || Lc 12, 56). Le ciel dont il s’agit au v. 15 est le lieu destiné aux justes, ceux dont les noms ont été inscrits au livre de vie. Ainsi, le verset nie aux gens de Capharnaüm la possibilité d’accéder à la demeure des justes dans le monde divin. Le glossaire sur ciel / cieux
Le nom ouranos dans les évangiles-Actes |
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| hypsōthēsē (tu sera élevée) |
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Hypsōthēsē est le verbe hypsoō à l’indicatif futur passif, 2e personne du singulier. Il signifie : élever, et n’est pas très fréquent dans le NT, et dans les évangiles-Actes il est même totalement absent de Marc : Mt = 3; Mc = 0; Lc = 6; Jn = 5; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans l’ensemble de la Bible, le verbe « élever » est rarement pris au sens littéral : on parlera alors d’élever la main ou d’élever la voix : LXX « Faites flotter l'étendard sur la montagne de la plaine ; élevez (gr. upsoō; héb. rûm) la voix vers eux, appelez-les de la main ; princes, ouvrez vos portes (Is 13, 2), ou encore, de la grandeur d’une chose : « Sur ce point, sa grandeur s’élevait (gr. upsoō; héb. gāḇah) au-dessus de tous les arbres des champs, et ses rameaux s'étaient déployés, grâce à l'abondance des eaux » (Ez 31, 5). Très souvent, le verbe « élever » est utilisé dans un sens symbolique. Quand le sujet du verbe est l’être humain et l’action s’adresse à l’être humain, il décrit son orgueil : LXX « Et toi, fils de l'homme, dis au roi de Tyr : Voici ce que dit le Seigneur : Parce que ton cœur s’est élevé (gr. upsoō; héb. gāḇah) et que tu as dit : Je suis Dieu, j'habite au cœur de la mer une demeure de Dieu ; tu verras que tu es un homme et non un Dieu ; et tu as rendu ton cœur, comme s'il eût été le cœur de Dieu » (Ez 28, 2). Mais quand cette action est appliquée à Dieu, il décrit le désir de l’être humain d’exalter son Dieu, de le louer et de le glorifier : LXX (Ps 56, 12) « Dieu, sois élevé (gr. upsoō; héb. rûm) au-dessus des cieux, et que ta gloire soit sur toute la terre ! » (Ps 57, 11). De même, quand le sujet du verbe est Dieu, il décrit son intention de sauver l’être humain : LXX « Car le Seigneur se complaît en son peuple, et il élèvera (gr. upsoō; héb. pā'ar) les doux par le salut » (149, 4). Dans le NT, la signification du verbe est très marquée par l’événement Jésus. Ainsi, dans les Actes des Apôtres, le verbe sert à décrire la résurrection de Jésus avec l’idée qu’il a été « élevé » dans le monde de Dieu, une idée que nos bibles traduisent en parlant d’exaltation (Ac 2, 33; 5, 31). Chez Jean, le verbe sert à décrire à la fois la croix, qui est un poteau élevé sur lequel on a cloué Jésus, et sa résurrection, qui est une élévation alors que Jésus retourne vers son Père, et donc devient synonyme de sa glorification (8, 28; 12, 32). Qu’en est-il chez Matthieu et Luc? Notons d’abord que les trois occurrences chez Matthieu, et cinq des six occurrences de Luc sont une copie de la source Q. Il s’agit en premier lieu (« qui s'élève sera abaissé, et qui s'abaisse sera élevé ») d’une forme de proverbe où le verbe « élever » est à la forme active, puis passive : à la forme active, on rejoint une des significations soulignées dans l’AT, celle liée à l’orgueil et l’exaltation personnelle; à la forme passive, l'agent est Dieu, et lui seul peut vraiment élever quelqu’un, i.e. le sauver. Cette action de Dieu apparaît également dans un passage propre à Luc en Lc 1, 52 (« Le Seigneur a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles »), une prière provenant probablement de chrétiens d’origine juive que Luc a intégré dans son récit d’enfance. En deuxième lieu, nous avons cet autre passage de la source Q en référence à Capharnaüm : « Et toi Capharnaüm jusqu'au ciel tu ne seras pas élevée? ». Quelle est la signification de : être élevée? Le fait même que le verbe est au passif nous indique que l'agent est Dieu. Et quand Dieu « élève » quelqu’un, c’est pour le sauver. Cette élévation est similaire à l’exaltation de Jésus qui est entré dans le monde de Dieu. Mais ici le verbe est au futur, et il est donc probable que l’auteur de la source Q désigne la fin des temps, lors du jugement final. Ce salut est donc relié au sort des justes dont les noms sont inscrits au livre de vie et qui résideront à la fin des temps dans la demeure de Dieu. Or, ce qui est affirmé ici, les gens de Capharnaüm n’y aura pas part. Le verbe hypsoō dans le Nouveau Testament |
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| hadou (Hadès) |
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Hadou est le nom masculin Hadēs au génitif singulier, le génitif étant commandé par la conjonction heōs (jusqu’à). C’est un mot peu fréquent dans les évangiles-Actes et n’apparaît que chez Matthieu et Luc : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ailleurs, dans le NT, il n’est utilisé que par le livre de l’Apocalypse. Ce mot grec est traduit par nos bibles soit par « Hadès », soit par « séjour des morts », soit par « enfers », soit par « Shéol ».
Le terme Hadès, dont l’étymologie populaire serait a-eidēs, « sans vue » ou « invisible », renvoie à un dieu de la mythologique grecque qui est fils de Cronos et de Rhéa. Après la victoire des dieux sur les Titans, il reçut en partage l’empire souterrain des morts, appelé aussi « les enfers », tandis que son frère Zeus obtenait le ciel et son autre frère Poséidon la mer. Par extension, le terme Hadès en est venu à désigner la demeure du dieu, i.e. le royaume des morts (Monloubou-Du Buit, Dictionnaire biblique universel, p. 304). Quand on se tourne vers l’AT, on note que les traducteurs de la Septante l’ont utilisé une centaine de fois. La plupart du temps, il sert à traduire le terme hébreu šĕ'ôl qui désigne le séjour des morts. Mais il arrive quelque fois qu’il traduit d’autres termes hébreux, comme
Inversement, le mot hébreu šĕ'ôl est toujours traduit dans la Septante par le terme grec Hadēs à l’exception des cas suivants où il est traduit par :
Que conclure? Dans l’ensemble, le NT est le reflet des idées de l’apocalypse juive du 1ier siècle de notre ère.
Le nom Hadēs dans la Bible |
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| katabibasthēsē (on te fera descendre) |
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Katabibasthēsē est le verbe katabibazō à l’indicatif futur passif, 2e personne du singulier. Il est composé de la préposition kata (qui décrit un mouvement du haut vers le bas), et du verbe bibazō (s’étendre, s’allonger), et il signifie : faire descendre, précipiter, et donc il faudrait traduire littéralement par : tu seras précipitée ou tu seras descendue; pour traduire l’idée que c’est Dieu qui fait descendre, nous avons opté pour la traduction : on te fera descendre. C’est un mot très rare dans toute la Bible, sauf chez Ézéchiel. Dans le NT il n’apparaît que chez Luc, si on accepte la critique textuelle que nous avons proposée (voir notre analyse).
Katabibazō est le mot grec choisi par la Septante pour traduire le terme hébreu yāraḏ, qui signifie : descendre, décliner, marcher vers le bas, couler vers le bas. Quand on parcourt la Septante, on note que le mot appartient à deux grands contextes.
Comme nous l’avons proposé (voir la critique textuelle), le verbe katabibazō serait le verbe qui apparaissait dans la source Q : jusqu'à l'Hadès on te fera descendre (katabibasthēsē). De plus, l’auteur de cette source aurait été influencé par ce passage d’Ézéchiel 31, 15-16 où le prophète annonce à travers la parabole d’un grand cèdre qui est l’image de la puissance d’Égypte, dont le sommet atteint le ciel, et sous ses branches la multitude des peuples habitent. LXX 15 Voici ce que dit le Seigneur : Le jour où il (le grand cèdre) est descendu dans le séjour des morts, l'abîme s'est lamenté sur lui ; j'ai arrêté ses fleuves et bloqué l'abondance de l'eau ; le Liban s'est obscurci à cause de lui ; tous les arbres de la plaine se sont évanouis à cause de lui. 16 Au bruit de sa chute, les nations ont été ébranlées, quand je le faisais descendre dans l’Hadès (katebibazon auton eis hadou) avec ceux qui descendent dans un trou. Et tous les arbres de délices, les meilleurs du Liban, tous ceux qui boivent de l'eau, le consolaient sur la terre. Cette parabole d’Ézéchiel rejoint une vision traditionnelle chez les prophètes : face aux puissances qui se croient invincibles, Dieu intervient pour leur faire connaître le destin des êtres mortels, et donc les fait descendre au séjour des morts, i.e. amène leur destruction. Bien sûr, au v. 15, Capharnaüm n’est pas une puissance politique. Mais les habitants de cette ville pouvaient se vanter qu’elle ait été une scène importante des activités du prophète de Nazareth. Le fait même que beaucoup plus tard on y a construit une église au-dessus d’une maison, sans doute celle de Pierre et André, et la résidence de Jésus, témoigne qu’aux yeux des pèlerins la ville avait une grande importance. Mais cette importance ne vaut rien si elle n’est pas accompagnée par une foi profonde. Le verbe katabibazō dans la Bible |
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| v. 16 La personne qui accueille vos paroles accueille également mes paroles, et celle qui les rejette, rejette également les miennes. Et la personne qui me rejette, rejette également Celui dont je suis l'émissaire ».
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Littéralement : Celui écoutant (akouon) vous, moi il écoute, et celui rejetant (atheton) vous, il me rejette. Puis, celui me rejetant, il rejette celui ayant envoyé moi.
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| akouon (écoutant) |
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Akouon est le verbe akouō au participe présent actif, nominatif masculin singulier, et s’accorde avec l'article ho (le) qui joue le rôle d'un subtantif « celui » et sujet du verbe. Il signifie : écouter, entendre, et il est très fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 63; Mc = 44; Lc = 65; Jn = 59; Ac = 89; 1Jn = 14; 2Jn = 1; 3Jn = 1. En français, entendre ou écouter a plusieurs significations. Il a bien sûr d’abord la signification d’entendre des bruits, mais aussi peut signifier un accord (« c’est entendu »), ou le fait de s’exprimer (« se faire entendre »), ou d’être informé (« entendre parler »), ou désigner l’activité d’un juge (« entendre une cause »), ou signifier mal comprendre une chose (« entendre de travers »), ou renvoyer à une compréhension générale (« étant entendu que »), ou exprimer le fait qu’une prière a été exaucée (« Dieu m’a entendu »), ou exprimer une intention (« j'entend me rendre en Pologne »), etc. On pourrait faire une longue liste des diverses significations du verbe « écouter ». Il en de même dans les évangiles avec le verbe akouō.
Ici, au v. 16 l’expression « qui vous écoute, m’écoute » signifie clairement : qui accueille votre parole, accueille ma parole. Malgré le fait que cette signification pourrait bien cadrer avec la pensée de Luc, la question se pose : ce v. 16 est-il de la plume de Luc ou provient-il de la source Q? La question se pose, puisque Matthieu propose également une phrase semblable dans le contexte de son discours missionnaire (nous avons souligné les mots ou parties de mot semblables).
Comme on peut le constater, nous sommes devant une structure similaire avec des verbes au participe présent sur le sujet de l’accueil du missionnaire. Et dans les deux cas, le contexte est celui de l’envoi missionnaire. Dans la première partie du verset, il n’y a qu’une seule différence : Matthieu emploie le verbe « recevoir » (dechomai), et Luc utilise « écouter » (akouō). Quel est le verbe originel de la source Q? Répondre à cette question comporte un élément très hypothétique, car il n’existe aucun document ancien sur une telle source qui est purement basée sur les similitudes entre Matthieu et Luc. Une première observation est que cette structure grammaticale de akouō au participe présent et suivi d’un pronom personnel se rencontre quelques fois chez Luc : « (Jésus) écoutant eux (les docteurs) », Lc 2, 46; « ceux écoutant lui (Jésus) », Lc 2, 47; « tout le peuple était suspendu, écoutant lui », Lc 19, 48; « ayant écouté lui (Apollos) », Ac 18, 26; « (tous ceux qui sont) écoutant moi aujourd’hui », Ac 26, 29. Toutefois, dans chacune de ces références le contexte est celui de l’écoute de paroles prononcées, et non celui d’écoute générale comme expression d’accueil comme ici au v. 16. De fait, le seul véritable autre cas est celui de Marc 6, 11, repris par Matthieu et Luc à leur façon (nous avons souligné les mots ou parties de mot identiques) :
Qu’observe-t-on? Marc utilise de manière synonyme « recevoir » (dechomai) et « écouter » (akouō). Matthieu, pour sa part, en copiant le texte de Marc, sent le besoin de compléter « écouter » en ajoutant : « les paroles de vous », sans doute gêné par le verbe sans complément d’objet direct. Quant à Luc, considérant sans doute le verbe « écouter » comme redondant après « recevoir », et comme il l’a fait pour plusieurs doublets de Marc, il l’a simplement éliminé (par exemple, il n’y a qu’une seule multiplication des pains chez Luc). Qu’est-ce à dire? Ni pour Matthieu, ni pour Luc, l’expression « écouter vous » ne semble habituel, et donc n’appartient pas à leur vocabulaire. Comment expliquer la présence de « écoutant vous » au v. 16, une expression qui n’appartient pas au vocabulaire de Luc, sinon par le fait qu’il copie ici simplement la source Q? Alors, il faut expliquer pourquoi Matthieu, qui copie également cette source Q, aurait remplacé « écouter » par le verbe « recevoir » (dechomai). La réponse semble assez simple. En effet, Matthieu a décidé d’insérer ce verset de la source Q dans sa conclusion au grand discours missionnaire (Mt 10, 40-42) où il insiste sur l’accueil et le soutien du missionnaire; plus précisément, il l’insère juste avant cette parole de Jésus : « Qui reçoit (dechomai) un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui reçoit (dechomai) un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste ». Il était donc tout à fait normal, par souci d’unifier sa conclusion sous le thème de l’accueil du missionnaire, de modifier ainsi le verbe de la source Q. Ces arguments peuvent sembler légers. Mais ils seront appuyés par notre analyse du mot suivant. Le verbe akouō dans les évangiles-Actes |
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| atheton (rejetant) |
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Athetōn est le verbe atheteō au participe présent actif, au nominatif masculin singulier. Dans ce verset on retrouve également le mot athetei, qui est le verbe atheteō à l’indicatif présent actif, 3e personne du singulier. Il est très rare dans tout le NT, et en particulier dans les évangiles-Actes : Mt = 0; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Ce verbe signifie fondamentalement : briser une relation de confiance en posant certains gestes; face à une personne cela peut signifier qu’on ne tient pas parole, qu’on la trahit, qu’on prend ses distances par rapport à cette personne et qu’on la repousse; face à une règle ou à un engagement, cela peut signifier qu’on le considère maintenant comme nul. C’est un verbe difficile à traduire, car elle couvre un large éventail des réalités qui s’expriment dans les autres langues par des mots différents.
Dans la Septante, le même verbe atheteō a servi à traduire treize mots hébreux différents.
Qu’y a-t-il de commun entre tous ces mots hébreux traduits par atheteō? Une relation de confiance existait, ou du moins était espérée, et cette relation a été brisée par une trahison, une tromperie, une révolte, une transgression, un geste de mépris, un mensonge, l’abandon de sa parole. Ainsi, la perte de la relation n’est pas seulement une prise de distance, mais elle s’accompagne d’une forme d’agression. Examinons maintenant les occurrences de atheteō dans le NT. Les quinze occurrences peuvent être regroupés en 3 catégories selon l’objet visé. En effet, dans le NT ce verbe est toujours un verbe transitif, et donc exige un complément d’objet direct. Quel est ce complément d’objet direct?
Pour notre v. 16, la plupart de nos bibles ont traduit atheteō par « rejeter » ou « repousser » exprimant avec raison qu’il ne s’agit pas simplement de prendre ses distances par rapport à Jésus, mais il y a une forme active de rejet. Et on peut le comprendre. Car le contexte est celui de la prédication missionnaire et de l’évangélisation, et donc nous sommes devant un auditoire qui devait faire un choix. Le verbe atheteō exprime clairement le refus de cette parole. Et en rejetant cette parole, c’est Dieu lui-même qu’on refuse, car cette parole est de Dieu. Bien sûr, ceux qui refusent la parole missionnaire n’ont probablement pas le sentiment de rejeter Dieu, car leur vision de Dieu ne correspond pas au Dieu véritable. Notons que dans la Septante, lorsque atheteō a pour objet les personnes, il signifie : se révolter, se rebeller; on peut voir la même chose face à Jésus et son message qui pourrait apparaître trop difficile à accepter. Il reste une dernière question. Luc semble citer la source Q au v. 16, comme nous l’avons souligné dans l’analyse de akouō. Revoyons le parallèle Mt || Lc.
Comme on peut le constater, Matthieu n’a qu’une partie positive, celui de l’accueil, tandis que Luc présente à la fois la partie positive et négative, et le lien avec Dieu se fait seulement dans la partie négative chez Luc. La question est donc : quelle est la version originelle de la source Q, et quelles sont les modifications apportées soit par Matthieu, soit par Luc? La partie négative est-elle de la source Q ou de Luc? Une première observation s’impose. Cette structure binaire accueillir la parole / la rejeter se retrouve également chez Jean 12, 48 (« Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles ») où on retrouve également le verbe atheteō. Qu’est-ce à dire? Luc et Jean partagent une ancienne tradition sur les différentes attitudes face à la parole, ce qui est l’indice que Luc n’a probablement pas créé cette partie négative du v. 16 avec le verbe atheteō. De plus, quand on parcourt les différents textes attribués à la source Q, on note qu’il est habituel de présenter ensemble les deux attitudes possibles face à Jésus et son message. Par exemples :
Ainsi, le fait de mettre en contraste celui qui écoute le missionnaire et celui qui le rejette reflète le style typique de la source Q. Aussi pensons-nous qu’il est probable que Luc reflète mieux au v. 16 la source Q que ne le fait Matthieu. Alors pourquoi Matthieu n’aurait-il pas retenu la partie négative? Il est probable qu’en insérant ce verset à la fin de son discours missionnaire (Mt 10, 40) et l’associant aux diverses façons d’accueillir les missionnaires (comme prophète et comme disciple, et veillant à ses besoins) dans sa conclusion, Matthieu ne pouvait plus mentionner le rejet sans paraître dissonant et hors propos. Le verbe atheteō dans la Bible |
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| v. 17 Par la suite, à leur retour, les soixante-douze exprimèrent leur joie: « Même les démons se soumettent à nous quand on invoque ton nom ».
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Littéralement : Puis, ils retournèrent (hypestrepsan) les soixante-douze avec joie (charas), disant: Seigneur, même les démons (daimonia) sont soumis (hypotassetai) à nous au nom (onomati) de toi.
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| hypestrepsan (ils retournèrent) |
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Hypestrepsan est le verbe hypostrephō à l’indicatif aoriste actif, 3e personne du pluriel. Dans les évangiles-Actes, il ne se retrouve que sous la plume de Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 21; Jn = 0; Ac = 11; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il est formé de la préposition hypo (sous) et du verbe strephō (tourner), et il signifie : retourner.
Le verbe « retourner » faire référence à un déplacement physique. Mais les différents contextes apportent diverses nuances à sa signification.
Ici, au v. 17, nous sommes dans un contexte de retour de mission des 72 apôtres, et donc Luc entend signifier que la mission a été complétée. Le fait que nous sommes devant un vocabulaire tout à fait lucanien est une indication que ce verset est une composition lucanienne. Quel est le but? Luc semble cloner le retour des Douze de mission qu’il a présenté au ch. 9. Un retour de mission est une façon de méditer sur ce qu’a été cette mission. C’est ce que la suite nous révèlera. Le verbe hypostrephō dans le Nouveau Testament |
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| charas (joie) |
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Charas est le nom féminin chara au génitif singulier, le génitif étant requis par la préposition meta (avec). Il signifie : joie, et est surtout utilisé par Luc et la tradition johannique : Mt = 6; Mc = 1; Lc = 8; Jn = 9; Ac = 4; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 1. On ne peut faire l’étude du mot « joie » sans mentionner le verbe « se réjouir » (chairō), mais son analyse sera faite avec l’analyse du v. 20.
Qu’est-ce qui est source de joie dans les évangiles? Jetons un regard par évangile.
Dans les lettres pauliniennes, la joie apparaît avant tout dans deux contextes : celui du missionnaire comme Paul qui se réjouit de constater le progrès dans la foi chez ceux qu’il a évangélisés (1 Th 2, 19-20; 3, 9; Ph 1, 4; 2, 2; 4, 1; 2 Co 2, 3; 7, 4.13; Phm 1, 7), et celui de la vie dans la foi, souvent associée à la paix (Ph 1, 25; 2 Co 1, 24; 8, 2; Ga 5, 22; Rom 14, 17; 15, 13.32). Revenons au v. 17. De quelle joie s’agit-il? Nous avons souligné chez Luc la place de la joie messianique. Mais ici, les motifs sont moins nobles : les soixante-douze se réjouissent de ce que les démons leur sont soumis. En d’autres mots, ils se réjouissent de leur pouvoir. Ce n’est pas un sujet unique chez Luc puisqu’il aborde dans ses Actes (8, 13-24) la question du pouvoir avec la figure de Simon le magicien qui demande à Pierre : « Donnez-moi, dit-il, ce pouvoir à moi aussi: que celui à qui j'imposerai les mains reçoive l'Esprit Saint », et se fait répondre de se repentir de son mauvais dessein. La réponse de Jésus dans les v. 18-20 sera moins rude, néanmoins elle rectifiera ce que devrait être la source de la joie.
Le nom chara dans le Nouveau Testament |
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| daimonia (démons) |
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Daimonia est le nom neutre daimonion au nominatif pluriel, le nominatif étant requis car le mot joue le rôle de sujet du verbe qui suit : se soumettre. Il signifie : démon, et il apparaît dans les quatre évangiles, mais c’est sous la plume de Luc qu’il est le plus fréquent : Mt = 11; Mc = 13; Lc = 23; Jn = 6; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Pour une analyse approfondie du terme « démon », on se réfèrera au Glossaire. Résumons les points principaux.
Ce sont les Grecs qui ont introduit la notion de démon (daimonion), ces demi-dieux qui exercent une influence soit positive soit négative sur l’humanité. Mais le monde Juif, fort de sa foi en un Dieu unique et transcendant, a porté un regard négatif sur cette notion, l’associant soit aux divinités païennes, appelées idoles et ne représentant que le néant, soit aux forces obscures qui rôdent au milieu de la désolation et sont à la source des infortunes de la vie. Dans la Septante, daimonion traduit différents mots hébreux : šēḏ (un dieu étranger), 'ĕlîl (terme pour désigner la vanité des idoles), śāʿîr (bouc poilu et démoniaque qui rôde dans les espaces dévastées). Mais avec le temps, comme l’angéologie, la démonologie, son antithèse, s’est développée, surtout dans le contexte apocalyptique à partir du 2e siècle avant notre ère comme en témoigne 1 Hénoch : le combat était amorcé entre les forces du bien et les forces du mal. C’est Marc, comme premier évangéliste, qui a introduit l’image de Jésus comme exorciste, i.e. comme chasseur de démons, une image que copieront Matthieu et Luc. Cette image est totalement absente de l’évangile selon Jean. Ce travail d’exorciste de Jésus chez Marc est si important qu’il lui permet de résumer l’activité de Jésus : « Et il s'en alla à travers toute la Galilée, prêchant dans leurs synagogues et chassant les démons (daimonion) » (Mc 1, 39). Et quand Jésus envoie ses disciples en mission, c’est « avec pouvoir de chasser les démons (daimonion) ». Notons que les évangiles distinguent les exorcismes des guérisons (« il guérit beaucoup de malades atteints de divers maux, et il chassa beaucoup de démons », Mc 1, 34). À propos des guérisons, on apprend parfois le nom de la maladie : la fièvre, la lèpre, la paralysie, les hémorragies, certaines maladies qui entraînent la mort, la surdité, la cécité, le mutisme, le fait d’être estropié ou boiteux, ou encore d’être hydropique. Mais c’est moins clair lorsqu’on affirme que quelqu’un est possédé par le démon (daimonizomai). Deux cas de possession sont clairs : celui du possédé de Gérasa (Mc 5, 1-20 || Mt 8, 28-34 || Lc 8, 26-39) qui brise ses chaînes, crie et se blesse sur des pierres, probablement un cas de maladie mentale, et celui d’un enfant épileptique (Mc 9, 14-29 || Mt 17, 14-21 || Lc 9, 37-43) qui se roule par terre et écume. Mais les évangiles nomment d’autres cas qu’ils attribuent au démon : la maladie de la fille d’une cananéenne qui est alitée (Mc 7, 24-30; Mt 15, 21-28), la femme courbée depuis 18 ans et incapables de se relever (13, 10-17), un homme muet (Mt 9, 32; 12, 22; Lc 11, 14), et un homme aveugle (Mt 12, 22). Qu’est-ce qui permet de distinguer une maladie d’un cas de possession par le démon? Il est donc probable qu’en l’absence de connaissances étendues et scientifiques sur les maladies, on les attribuait toutes à des forces obscures, qu’on appelait démons, mais que certaines maladies plus spectaculaires comme la maladie mentale ou l’épilepsie, ou encore des maladies qui troublaient l’ordre social, évoquaient plus facilement une possession diabolique. Faisons remarquer que Jean-Baptiste a été accusé d’être possédé par un démon (Mt 11, 18 || Lc 7, 33), car son comportement ne correspondait pas au modèle habituel, et donc pouvait apparaître menaçant. Dans l’évangile de Jean, Jésus se fait accuser également d’avoir un démon (Jn 10, 20), car les gens trouvent qu’il est fou (mainomai). Dans les évangiles synoptiques, Jésus ne se fait pas dire directement qu’il est possédé d’un démon, mais on l’accuse de faire des exorcismes au nom de Béelzéboul, le chef des démons (Mc 3, 20-30 || Mt 12, 24-32 || Lc 11, 15-23; 12, 10), car son succès auprès des foules fait croire qu’il se passe quelque d’anormal. Que sont donc ces démons? Ils appartiennent au monde des esprits, et des esprits impurs, et donc en opposition avec l’ordre voulu par Dieu. Parce qu’ils sont des esprits, ils sont supérieurs aux humains, et possèdent des connaissances particulières : selon Marc (1, 34), repris par Luc (4, 41) ils connaissent l’identité de Jésus. Ils ne semblent pas très hauts dans la hiérarchie céleste, assurément pas aussi hauts que les anges, car ils ont besoins des humains et des animaux pour trouver une demeure, sinon ils sont condamnés à errer dans les régions arides (voir Lc 11, 24-26). Ils apparaissent comme un groupe organisé sous un chef, Béelzéboul (Mt 10, 25; 12, 24.27; Mc 3, 22; Lc 11, 15.18-19), un nom qui pourrait remonter au dieu cananéen Baal. Bref, Béelzéboul et sa troupe de démons s’opposent à l’intégrité humaine et au monde voulu par Dieu. Jésus, en guérissant et en chassant les démons, veut rétablir l’humanité dans son intégrité, dans toute sa grandeur; il ne s’agit pas de rétablir l’ordre social, mais l’ordre voulu par Dieu. Sa mission, et celle qu’il a confiée à ses disciples, permet d’anticiper ce qu'est le royaume de Dieu. Le nom daimonion dans la Bible
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| hypotassetai (ils se soumettent) |
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Hypotassetai est le verbe hypotassō à l’indicatif présent, forme passive, 3e personne du singulier. Le sujet est « démons » au pluriel. Alors pourquoi a-t-on le verbe au singulier? Le sujet doit être considéré comme un groupe : c’est le groupe des démons qui est le sujet. C’est un verbe qui n’apparaît que chez Luc dans les évangiles : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il est formé de la préposition hypo (sous), et du verbe tassō (ordonner, mettre en ordre), d’où : subordonner, soumettre.
Le mot apparaît dans divers contextes. Il est bon de les répertorier pour situer celui de notre v. 17.
Ici, au v. 17, quelle est la signification de « soumettre »? Rappelons que le sujet du verbe au passif est le groupe des démons, donc des forces mauvaises. Soumettre signifie : dominer, subordonner, rendre impuissant, vaincre. Tout au long des évangiles le verbe le plus fréquent dans l’action de Jésus contre les démons est celui d’expulser ou chasser (ekballō). La soumission des démons signifie qu’ils ont put être expulsés des individus par les Soixante-Douze. Et comme les démons sont rattachés à un certain nombre de maladies, cela signifie que ces Soixante-Douze ont pu faire un certain nombre de guérisons. Le verbe hypotassō dans le Nouveau Testament |
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| onomati (nom) |
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Onomati est le nom neutre onoma au datif singulier, le datif étant requis à cause de la préposition en (dans). Il signifie : nom, et est très fréquent dans les évangiles-Actes, en particulier chez Luc : Mt = 22; Mc = 15; Lc = 34; Jn = 25; Ac = 60; 1Jn = 3; 2Jn = 0; 3Jn = 2.
Il est important de faire remarquer que dans l’Antiquité, le mot « nom » a une plus grande signification que celle d’étiquette pour énumérer les réalités comme aujourd’hui. Tout d’abord, le nom de la personne dit quelque chose de son identité et de sa mission, si bien qu’en Ph 2, 9 qui décrit la résurrection de Jésus on peut lire : « C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom ». De plus, le terme « nom » est souvent synonyme de la personne elle-même, si bien que dans l’AT on fait parfois référence à Dieu avec simplement le terme « Nom » : « le fils de la femme israélite blasphéma le Nom et l’insulta ; aussi l’amena-t-on vers Moïse », Lv 24, 11. Quelle est la fonction du terme « nom » dans les évangiles-Actes?
Ici, au v. 17, l’expressions « (le groupe) des démons est soumis en ton nom (en tō onomati sou) » entend exprimer l’idée que c’est Jésus qui se soumet vraiment les démons, et que les disciples ne sont que des médiateurs qui représentent Jésus; ils ne sont que le conduit d’une force qui prend sa source en Jésus. Étant donné la signification du terme « nom » dans le NT, ce serait une erreur de penser que la phrase met l’accent sur l’invocation du nom « Jésus », ce qui suggèrerait le fait de prononcer ce nom a un effet magique. L’affirmation de Luc est sans ambiguïté : les Soixante-Douze ont fait l’expérience de la force de Jésus contre le groupe des démons. Le terme « nom » reviendra aux v. 20 : « réjouissez-vous que vos noms (cela) a été inscrit dans les cieux ». Nous rejoignons ici la signification de nom qui est synonyme de la personne elle-même. Car l’idée n’est pas que quelqu’un a pris une plume pour inscrire le nom complet de la personne dans un livre du bureau céleste, mais que la personne appartient au royaume de Dieu. Le nom onoma dans les évangiles-Actes |
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| v. 18 Jésus leur répliqua : « Je me suis mis à contempler Satan tombant du ciel comme un éclair.
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Littéralement : Puis il dit à eux: j'observais (etheōroun) le Satan (satanan) comme un éclair (astrapēn) hors du ciel étant tombé (pesonta).
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| etheōroun (j'observais) |
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Etheōroun est le verbe theōreō à l’indicatif imparfait actif, 1ière personne du singulier. L’utilisation de l’imparfait désigne une action continue, non terminée, et donc qui se poursuit dans le temps. Le verbe exprime l’idée de regarder quelque chose qui attire l’attention, comme un spectacle, donc on le traduit par : observer, contempler.
Dans le texte grec des évangiles, il existe surtout trois verbes pour exprimer l’action de voir. Le plus fréquent est le verbe horaō, habituellement traduit par : voir, apercevoir; notons qu’on l’utilise souvent à l’impératif moyen sous la forme idou (voici) pour attirer l’attention sur un événement. Mais en excluant ce cas, on obtient la statistique suivante : Mt = 76; Mc = 60; Lc = 81; Jn = 82; Ac = 72; 1Jn = 9; 2Jn = 0; 3Jn = 2. L’autre verbe utilisé est blepō, habituellement traduit par : regarder, constater : Mt = 20; Mc = 15; Lc = 16; Jn = 17; Ac = 13; 1Jn = 0; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Enfin, il y a notre verbe theōreō, qui signifie : observer, contempler : Mt = 2; Mc = 7; Lc = 7; Jn = 24; Ac = 14; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Comme on peut le constater, theōreō est le moins utilisé des trois, sauf chez Jean. Chez Mt, les deux occurrences apparaissent dans le récit du tombeau vide et sont une simple reprise du texte de Marc. Ainsi, seuls Marc, Luc et Jean font vraiment usage de theōreō. Mais il faut noter que cet usage ne suit pas systématiquement la définition du verbe. Par exemple, chez Marc, si theōreō traduit parfois l’idée d’observer (les femmes observent où on a déposé le corps de Jésus, Mc 15, 40.47; Jésus observe les gens déposer leur monnaie dans le trésor du temple, Mc 12, 41), il traduit parfois la même idée que blepō, i.e. constater (les femmes constatent que la pierre a été roulée de côté, Mc 16, 4; Jésus constate le tumulte en arrivant chez le chef de synagogue, Mc 5, 38; les gens constatent que le démoniaque est maintenant vêtu, dans son bon sens, Mc 5, 15), tout comme il traduit parfois la même idée que horaō, i.e. voir, apercevoir (les esprits impurs, dès qu’ils aperçoivent Jésus, se jettent à ses pieds, Mc 3, 11). On découvre la même flexibilité chez Jean si bien qu’en Jn 16, 16 on peut lire : « Encore un peu, et vous ne verrez (theōreō) plus, et puis un peu encore, et vous me verrez (horaō) »; malgré notre définition technique de theōreō et horaō, Jean les utilise de manière synonyme. Mais ce qu’il a de particulier chez Jean, que ce soit horaō, blepō, theōreō, qu’il utilise abondamment, ces verbes renvoient tous dans l’un ou l’autre des versets de son évangile au regard de foi : « Jésus lui répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir (horaō) le Royaume de Dieu" », Jn 3, 3; « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit (blepō) faire au Père : car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement », Jn 5, 19; « Telle est en effet la volonté de mon Père : que quiconque voit (theōreō) le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». Qu’en est-il de Luc? On sent chez lui une plus grande discipline dans l’emploi du verbe, si bien que traduire theōreō par « observer » est tout à fait justifié (« De peur que, s'il pose les fondations et ne peut achever, tous ceux qui l’observeront ne se mettent à se moquer de lui », Lc 14, 29; « De ce que vous observez, viendront des jours où il ne restera pas pierre sur pierre », Lc 21, 6; « Le peuple se tenait là, à observer », Lc 23, 35; « Et toutes les foules qui s'étaient rassemblées pour ce spectacle, observant ce qui était arrivé », Lc 23, 48; etc.). Un bon test est celui de Lc 24, 39, qui pourrait être traduit ainsi : « Regardez (horaō) mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi, regardez (horaō) ; un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous observez (theōreō) que j’en ai ». Ainsi, il est justifié de traduire différemment horaō et theōreō. Quel est maintenant la signification de theōreō au v. 17 : « J’observais (theōreō) Satan tomber du ciel comme l'éclair! » ? Employer le verbe « observer » a quelque chose d’incongru, car Satan n’est pas un réalité qu’on peut voir de ses yeux physiques. En quel sens Jésus pouvait-il voir Satan? La réponse nous est donnée par la Septante qu’utilisait Luc pour lire l’AT, et c’est particulièrement le livre de Daniel qui nous éclaire. On y trouve 14 occurrences de theōreō, et de ce nombre 13 font référence à une vision ou un rêve. Par exemple : LXX : Je contemplais (theōreō) cette vision (horama) de la nuit ; et voilà qu'avec les nuées du ciel vint comme le Fils de l'homme, et il s'avança jusqu'à l'Ancien des jours, et il se présenta devant lui (Dn 7, 13) On a quelque chose de semblable dans le livre de Tobit : LXX « Tous ces jours-ci, je vous suis apparu, mais je n'ai ni mangé ni bu, et vous, vous avez contemplé (theōreō) une vision (horasis) » (Tb 12, 19). Luc fait donc référence à un vision de Jésus, voilà pourquoi pour notre traduction en langage courant nous avons opté pour le verbe : contempler. Luc lie cette vision au rapport des soixante-douze témoignant que les démons leur était soumis. Cette vision est donc une extrapolation à grande échelle de ce qui s’est passé à petite échelle avec l’expulsion des démons lors de la mission des soixante-douze. C’est le propre d’une vision de comprendre la signification profonde d’un événement qui semblait limité. Les démons représentent le mal à travers la maladie physique. Jésus entrevoit la fin du mal en général. Le verbe theōreō dans le Nouveau Testament |
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| satanan (Satan) |
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Satanan est le nom masculin satanas à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis, car le nom est complément d’objet direct du verbe observer/contempler. Il signifie : satan, et est peu fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 4; Mc = 6; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans notre glossaire, nous avons présenté une analyse de « Satan » et on s’y réfèrera. Qu’il nous suffise d’en résumer les grandes lignes.
Le terme « satan » provient du mot hébreu śāṭān, qui signifie : adversaire, ennemi. Il apparaît 27 fois dans les livres de l’Ancien Testament dont nous possédons une copie du texte hébraïque. La plupart du temps, le terme hébreu a été traduit en grec par diabolos (diable) dans la Septante. Mais parfois on l’a translittéré tel quel en grec : satan ou satanas. Dans le Nouveau Testament, les deux termes, diabolos et satanas, sont utilisés pour désigner la même réalité. Dans l’Ancien Testament, le terme « satan » peut simplement signifier l’opposition à une action quelconque ou à une personne, tout comme il peut être personnifié et alors désigner ce personnage de la cour céleste qui exerce le rôle de procureur chargé de mettre à l’épreuve les humains et de porter des accusations (voir les deux premiers chapitres du livre de Job), tout comme c’est lui qui introduit de mauvais desseins en opposition à Dieu. La traduction grecque de la Septante a opté pour différents mots dans le cas d’une opposition à une action ou à une personne, mais a toujours opté pour « diable » quand il s’agit du personnage céleste. Comme la Septante a toujours traduit l’hébreu śāṭān par diabolos (diable) quand il désigne ce personnage céleste, accusateur et source du mal, on se serait attendu à ce que les évangélistes fassent de même. De fait, ils le font à peu près une fois sur deux, sauf Marc qui n’utilise jamais « diable », mais seulement « Satan ». Chez lui, Satan présente les mêmes traits que le Diable : c’est le tentateur et l’accusateur (récit de la tentation de Jésus), il est responsable des maux sur cette terre (associé aux démons et à Béelzéboul), en particulier du refus de la parole évangélique (récit du semeur), c’est l’adversaire de Dieu (Pierre est accusé d’être un Satan) qui semble exercer un certain contrôle sur l’humanité. De plus, le fait qu’il utilise Satan plutôt que Diable pourrait s’expliquer sa tendance à donner une couleur « exotique » à ses récits, comme il l’a fait avec des termes araméens. Chez Matthieu et Jean, le terme « Satan » n’apparaît qu’une seule fois. En Mt 4, 10 (« Retire-toi, Satan ») à la fin du récit de la tentation, la présence de ce terme dans la bouche de Jésus s’explique probablement par le fait que, pour Matthieu, Jésus, un Juif parlant araméen, ne pouvait avoir utilisé le terme grec « diable », mais le terme hébreu « Satan ». En Jn 13, 27 (« C’est à ce moment, alors qu’il lui avait offert cette bouchée, que Satan entra [eisēlthen satanas eis] en Judas », Jean a probablement recours à une tradition ancienne que connait également Luc 22, 3 (« Or Satan entra en [eisēlthen satanas eis] Judas, appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze »). Ainsi, même si Jean utilise habituellement diable en référence à Judas (Jn 6, 70; 13, 2), dans un cas particulier il se contente de reproduire une tradition ancienne. On trouve chez Luc cinq occurrences du terme « Satan », mais seulement trois lui sont propres, car l’une est une copie de Marc (Mc 3, 26 || Lc 11, 18) et l’autre est une tradition ancienne connue également de Jean (Jn 13, 27 || Lc 22, 3). Que constate-t-on? Commençons avec Lc 22, 31 (« Simon, Simon, Satan vous [les apôtres] a réclamés pour vous secouer dans un crible comme on fait pour le blé »). Rappelons que le terme « Satan » appartient au vocabulaire juif, et il est probable qu’il se soit retrouvé dans la bouche de Jésus, et donc Luc fait probablement écho à une tradition très ancienne. Cela est confirmé par l’utilisation du nom « Simon » pour faire référence à Pierre. Quant au rôle de Satan, il est très clair à travers l’image du tamis qui sépare le blé de la paille : c’est le responsable des épreuves pour vérifier la qualité de l’engagement du disciple (voir le récit de la tentation de Jésus) et, le cas échéant, pouvoir formuler des accusations comme le procureur dans un procès. On peut regrouper Lc 10, 18 (« Je contemplais Satan tomber du ciel comme l'éclair! ») et Lc 13, 16 (« Et cette fille d'Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans »), car le contexte présente beaucoup de similitudes. En effet, le contexte est celui d’expulsion de démons : en Lc 10, 18, les Soixante-Douze rapportent leur victoire sur les démons, et en Lc 13, 16 le handicap de la femme courbé est attribué à un esprit (impur) (13, 11). Ceci dit, placer Satan dans ce contexte pose problème, car il y a confusion entre le rôle des démons et celui de Satan, deux rôles différents si l’on se fit à l’ensemble de la Bible. Dans les évangiles en particulier, il y a une constante où les maladies, du moins une partie d’eux (comme l’épilepsie, la maladie mentale, parfois la cécité et le mutisme), sont causées par une possession diabolique, tandis que Satan/le diable est présenté comme 1) procureur, responsable des épreuves (voir le récit des tentations), pour vérifier la fidélité de l’être humain et pouvoir l’accuser, 2) et il est celui qui introduit le mal moral en lutte contre l’évangile et contre le royaume de Dieu, et par là source de la mort; habituellement, jamais Satan n’est associé à la maladie, ce qui est la spécialité des démons. De plus, les démons appartiennent à des esprits inférieurs qui habitent les personnes ou les animaux (les porcs), ou encore errent dans des endroits désolés (voir Lc 11, 24-26), alors que Satan appartient aux esprits célestes, à l’égal des anges (voir Jb 1, 6 où Satan participe aux audiences du Seigneur). D’où vient donc cette confusion chez Luc d’associer Satan au handicap de la femme courbée? Luc fusionne probablement deux sources, dont l’une, peut-être orale, serait très ancienne autour d’une parole de Jésus qui ne parlait que de Satan, et jamais de diable ou de démon. Et Luc a habituellement tendance à respecter le vocabulaire de ses sources. Ainsi, la distinction habituelle entre démons et Satan proviendrait des évangélistes, alors que dans le monde de Jésus n’existait probablement que Satan responsable de tous les maux, tant moraux que physiques; d’ailleurs, le terme « démon » provient du grec daimonion qui n’a pas vraiment d’équivalent en hébreu. Bref, nous aurions ici au v. 18 la reprise par Luc d’une ancienne tradition où Jésus fait allusion à sa victoire sur le mal représenté par l’ange responsable de l’avoir introduit sur terre, Satan. Le nom satanas dans la Bible
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| astrapēn (éclair) |
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Astrapēn est le nom féminin astrapē à l’accusatif singulier, l’accusatif étant requis car le mot est en apposition à « Satan » qui est à l’accusatif. Il signifie : éclair, et n’apparaît que chez Matthieu et Luc dans les évangiles-Actes : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Si le terme « éclair » est peu présent dans le NT, il apparaît toutefois dans plusieurs livres de la Septante. Il fait toujours référence à ce phénomène naturel qui accompagne l’orage. Mais il le fait de différentes façons.
Qu’en est-il du Nouveau Testament? L’Apocalypse a retenu avant tout l’image de l’orage avec le tonnerre et les éclairs comme symbole de la présence et de l’intervention de Dieu. En revanche, les évangiles se sont intéressés plutôt aux différents attributs de l’éclair. Regardons de plus près.
Le nom astrapē dans la Bible |
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| pesonta (étant tombé) |
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Pesonta est le verbe piptō au participe aoriste actif, à l’accusatif masculin singulier, s’accordant avec le nom « Satan ». Il signifie : tomber, et est surtout présent chez Matthieu et Luc : Mt = 19; Mc = 8; Lc = 17; Jn = 3; Ac = 9; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans le Nouveau Testament, il apparaît dans quatre différents contextes qui marquent sa signification.
Ici, au v. 18, le verbe « tomber » se situe dans un contexte négatif : à travers l’image de Satan qui tombe de sa demeure du ciel comme l’éclair, c’est la réalité de la destruction de la source du mal qui est exprimée. Le verbe piptō dans le Nouveau Testament |
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| v. 19 Je vous ai en effet donné la capacité de dominer les serpents et les scorpions, bref sur ce grand ennemi qu'est le mal, si bien que rien ne pourra vous nuire.
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Littéralement : Voici j'ai donné (dedōka) à vous l'autorité (exousian) de fouler (patein) aux pieds au-dessus (epanō) de serpents (opheōn) et de scorpions (skorpiōn) et sur toute la puissance de l'ennemi (echthrou), et que rien ne vous fasse du tort (adikēsē).
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| dedōka (j'ai donné) |
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Dedōka est le verbe didōmi à l’indicatif parfait actif, 1ière personne du singulier. Il signifie : donner, et est le 9e mot le plus fréquent dans les évangiles-Actes : Mt = 56; Mc = 39; Lc = 60; Jn = 75; Ac = 35; 1Jn = 7; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Un point d’intérêt de ce verbe est de savoir qui donne quoi dans les évangiles-Actes. Nous proposons le tableau suivant.
Bref, le grand nombre d’occurrences du verbe « donner » s’explique par le fait qu’il fait partie de la vie courante : on donne de l’argent, on donne des tâches ou des responsabilités ou une forme d’autorité, on donne à manger et à boire, on donne des cadeaux, on donne des connaissances; tout cela appartient à la vie interrelationnelle. Sur le plan théologique, Dieu est source de tout : lui seul peut donner son Esprit qui permet de s’ouvrir au royaume et il donne ce royaume à qui il veut, c’est lui qui transforme les cœurs pour le repentir, c’est lui qui donne son fils pour qu’il soit lumière et vie de l’humanité, c’est lui qui soutient les missionnaires par des signes et des prodiges, c’est lui qui a ressuscité Jésus; dans une perspective chrétienne, le don de Dieu se fait par la médiation de Jésus ressuscité, si bien que la connaissance de Dieu est donnée par lui, s’attacher à Dieu, c’est s’attacher à lui, et l’autorité de Dieu est donnée aux missionnaires par lui. Ici, au v. 19, c’est Jésus qui donne autorité sur les forces adverses. Luc reprend alors une affirmation de Mc 6, 7 qui concernait les Douze : « Il appela les douze disciples et se mit à les envoyer deux par deux. Il leur donna autorité sur les esprits impurs ». L’idée est la même : on ne peut envoyer quelqu’un en mission contre le mal sans donner une forme d’autorité sur le mal. Et le mot « donner » exprime la délégation : l’autorité de Jésus sur le mal est maintenant déléguée au missionnaire. Tout cela nous situe au temps de l’Église. Car, au cours de sa vie publique, Jésus attribue à Dieu son autorité sur le mal : « Mais si c'est par le doigt de Dieu que j'expulse les démons, c'est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à vous » (Lc 3, 26). Ce n’est qu’après sa résurrection que la communauté chrétienne comprendra que cette autorité de Dieu passe par la médiation de Jésus, si bien qu’un évangéliste comme Matthieu peut mettre dans la bouche de Jésus cette phrase : « Toute autorité m'a été donnée dans le ciel et sur la terre » (Mt 28, 18). C’est cette autorité qui est maintenant déléguée au missionnaire. Le verbe didōmi dans les évangiles-Actes |
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| exousian (autorité) |
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Exousian est le nom féminin exousia à l’accusatif singulier. Il apparaît quelque fois dans les évangiles-Actes, surtout chez Luc : Mt = 10; Mc = 10; Lc = 16; Jn = 8; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il a la même racine que exestin (il est permis, il est possible) et signifie : autorité, pouvoir. Chez Platon, dans la Grèce classique, exousia est la faculté de faire une chose; chez Démosthène, le mot renvoie à la « licence », la forme négative de la liberté; chez Aristote, le mot fait référence aux autorités de la magistrature romaine (André Myre, Nouveau vocabulaire biblique, p. 305).
Si exousia désigne l’autorité d’accomplir une chose ou l’autorité sur une réalité, la question demeure : de quelle action ou de quelle réalité parle-t-on? Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut distinguer différents contextes.
Ici, au v. 19, l’autorité fait référence à la capacité de vaincre le mal symbolisé par le serpent, le scorpion et l’ennemi. Le mal est perçu comme une force dans le monde. Et donc l’autorité sur les forces du mal est la capacité de l’affronter et de l’éliminer. Notons que, fondamentalement, seul Dieu possède cette capacité. Mais cette capacité est maintenant déléguée aux missionnaires. Le nom exousia dans les évangiles-Actes |
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| patein (fouler) |
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Patein est le verbe pateō à l’infinitif présent actif. L’infinitif est commandé par le fait que le verbe explicite la définition de l’autorité. Ce verbe n’apparaît que dans l’évangile de Luc (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), et ailleurs dans le NT, seulement dans l’Apocalypse. Il signifie : fouler (aux pieds).
En raison du peu d’occurrences dans le NT, tournons-nous vers la Septante pour obtenir une meilleure idée de sa signification. Les traducteurs de la version grecque ont utilisé pateō pour traduire différents mots hébreux, avant tout : dāraḵ (fouler, marcher), source du mot dereḵ (chemin, route), mais aussi : rāmas (piétiner, fouler au pied), dûš (fouler, battre, être écraser), bûs (piétiner, rejeter, fouler aux pieds), hālaḵ (aller, marcher, venir), et yāraḏ (descendre, marcher vers le bas, couler vers le bas). Pateō n’est donc pas un mot technique avec une définition unique. Même s’il implique toujours un mouvement des pieds, il prend diverses significations selon les contextes qu’on peut regrouper ainsi :
Dans le NT, le texte de l’Apocalypse nous offre à la fois le contexte du pressoir pour le vin (Ap 14, 20; 19, 15) et celui où, même si on semble évoquer le fait fouler le sol, il s’agit d’une conquête des païens du lieu saint (Ap 11, 2). Qu’en est-il de Luc? Le texte de Lc 21, 24 (« et Jérusalem sera foulée [aux pieds] sous [hypo] des païens jusqu'à ce que soient accomplis les temps des païens ») est semblable à celui de Ap 11, 2 (« car on l'a donné [parvis extérieur du Temple] aux païens: ils fouleront la Ville Sainte durant 42 mois »). C’est une référence à la chute de Jérusalem aux mains des Romains où les révoltés juifs ont été écrasés. Le texte de Lc 10, 19 présente un contexte semblable, mais cette fois les rôles sont inversés : l’accent n’est plus sur le vaincu, mais sur le vainqueur. Alors qu’en Lc 21, 24, le verbe pateō était au passif (être foulé, piétiné), suivi de la préposition hypo (sous), en Lc 10, 19 le verbe est à l’actif (fouler) suivi de la préposition epanō (au-dessus, sur). Ainsi, Luc situe le missionnaire du côté des vainqueurs, une victoire sur le mal. Et donc pateō peut revêtir le sens d’écraser, comme on écrase un ennemi. Notons qu’il est difficile de déterminer l’origine de l’image utilisée par Luc. La signification de pateō comme action victorieuse se retrouve en Is 25, 10 et 26, 6, mais on n’y écrase aucun animal. Écartons la scène de Gn 3, 15 qui dans sa version hébraïque se traduit : « Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira (šûp̅) à la tête et toi, tu la meurtriras (šûp̅) au talon », et dans sa version grecque : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance ; il surveillera (tēreō) ta tête, et tu surveilleras (tēreō) son talon »; il est impossible de faire un rapprochement au niveau du vocabulaire. Il est probable que l’image de Luc provienne de l’observation de la vie courante. Le verbe pateō dans la Bible |
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| epanō (au-dessus de) |
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Epanō est un adverbe qui signifie : au-dessus, sur. Les évangélistes ne lutilisent que rarement, sauf Luc, et surtout Matthieu : Mt = 8; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 2; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
On le retrouve dans trois contextes différents.
Chez Luc on trouve cinq occurrences de epanō. Commençons avec Lc 19, 17.19 où le bon serviteur qui a fait fructifier l’avoir du maître reçoit autorité respectivement sur (epanō) dix et cinq villes : la signification de « sur » est symbolique, car l’adverbe désigne l’étendue de pouvoir du serviteur. La signification de l’adverbe en Lc 11, 44 (« Malheur à vous, qui êtes comme les tombeaux que rien ne signale et sur [epanō] lesquels on marche sans le savoir! ») est clairement physique. Le cas de Lc 4, 39 est intéressant, car Luc écrit : « Se penchant au-dessus (epanō) elle, il menaça la fièvre » : pourquoi Jésus a-t-il besoin d’être au-dessus de la belle-mère de Pierre? La réponse est donnée par ce qui suit : Jésus traite la fièvre comme une possession diabolique, et donc pour expulser le démon, il le « menace ». Être au-dessus de la malade symbolise qu’il domine la force du mal. Tout cela est semblable à ce que nous offre Lc 10, 19 où Jésus donne pouvoir aux Soixante-Douze de fouler/marcher lourdement sur (epanō) les serpents, scorpions, et toute la puissance de l’Ennemi. La signification de epanō est d’ordre physique, car on y décrit le pied au-dessus du serpent, du scorpion et de l’ennemi (couché par terre). Tout comme dans le récit de la guérison de la belle-mère de Pierre, être au-dessus d’un objet a également une portée symbolique, car il signifie: le dominer, et donc annonce la victoire sur le mal. L'adverbe epanō dans le Nouveau Testament |
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| opheōn (serpents) |
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Opheōn est le nom masculin ophis au génitif pluriel, le génitif étant requis par la préposition epanō (au-dessus, sur). Il signifie : serpent, et est peu présent dans les évangiles-Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
En hébreu, le serpent apparaît avant tout sous le terme nāḥāš, mais quelques rares fois sous śārāp̅ et peṯen, tous traduit dans la Septante par ophis. Dans l’ensemble de l’AT, trois scènes ont donné une certaine notoriété au serpent. Il y a d’abord celle du jardin d’Eden (Gn 3, 1-15) où le serpent est présenté comme un être astucieux (en hébreu ʿārûm, traduit par la Septante par phronimos [astucieux, sagace]). Être astucieux (ʿārûm) est une qualité, c’est même une qualité de Dieu face à ces ennemis (Jb 5, 12), c’est une qualité du sage face au fou (Pr 12, 16). Mais cette qualité sert à tromper Ève pour faire un mauvais choix qui sera non seulement désobéissance à Dieu, mais cause de mort. De là vient la réputation du serpent d’être trompeur, père du mensonge. La fin du récit attribue à cet événement le fait que le serpent rampe maintenant sur le sol (comme si avant il avait des jambes) et qu’il est en conflit constant avec l’être humain représenté par la femme. C’est un récit étiologique, i.e. à partir d’observations contemporaines (le serpent rampe, et il est en conflit avec l’humain qui veut le détruire), on essaie d’en déduire la cause à partir d’un passé mythique. Cette scène reçoit un écho en 4 M 18, 8 qui parle du serpent destructeur et menteur. Ensuite, il y a le récit du peuple d’Israël, en route vers la terre promise (Nb 21), qui perd courage et se plaint du manque d’eau et de pain, et se met à critiquer Dieu. Alors « le Seigneur envoya contre le peuple des serpents brûlants qui le mordirent, et il mourut un grand nombre de gens en Israël » (Nb 21, 6). Le peuple s’étant repenti, Moïse intercède pour le peuple auprès de Dieu, qui lui demande de faire un serpent d’airain et de le fixer à une tige, de telle sorte que si un serpent mord un homme, celui-ci n’aura qu’à regarder le serpent d’airain pour avoir la vie sauve (Nb 21, 9). Cette scène était bien connue en Israël si bien que les gens de Juda à la fin du 8e s. av. JC vénérait une réplique du serpent de bronze qu’on croyait être celui de Moïse, ce qui força le roi Ézékias à le détruire devant le danger d’idolâtrie (2 R 18, 4). Enfin, il y a la scène où Moïse doit influencer le Pharaon, et dans un cadre où les magiciens avec une place importante en Égypte, Dieu apprend à Moïse ce tour de magie : transformer un bâton en serpent, puis le serpent en bâton (Ex 4, 3-4). Et c’est un serpent transformé en bâton qui servira à frapper le Nil pour qu’il se change en sang (Ex 7, 14-22). Le serpent fait partie de la faune d’Israël : il y aurait une trentaine d’espèces (Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, p. 492). Contrairement au monde hellénistique où le serpent est associé à Esculape (ou Asclépios), dieu guérisseur (ce serpent symbolique apparaît aujourd’hui sur certaines ambulances ou pharmacies) ou à l’Égypte où le cobra femelle, l’uraeus, a pour fonction de protéger le pharaon contre ses ennemis; c’est également une puissante déesse, principalement incarnée par Ouadjet. Les pharaons en portaient une réplique sur la tête comme symbole de protection. En Israël le serpent était craint et est associé à un fléau. En Jr 8, 17, pour punir son peuple, Dieu envoie des serpents qui mordent. En Am 15, 9 la menace du serpent est du même niveau que le lion et l’ours. Quand Çofar dans le livre de Job souhaite que le méchant soit un jour éliminé, il dit : « puisse la langue des serpents le faire périr » (Jb 20, 16). Le serpent fait tellement peur que le Siracide peut écrire : « Fuis devant le péché comme devant un serpent; car, si tu en approches, il te mordra ». Mais à part la crainte du serpent, ce sont certains traits de son anatomie et de son comportement qu’on retient et qui sert d’élément de comparaison. Le serpent se déplace sans faire de bruit, alors on parle de l’Égypte qui s’enfuit en douce comme le serpent (Jr 46, 2; LXX : comme un serpent sur le sable) devant l’envahisseur babylonien. Le serpent se déplace la tête dans la poussière, et cela sert d’image pour décrire l’ennemi vaincu qui lèche la terre comme les serpents qui rampent dans la poussière (Mi 7, 17). Le serpent est sournois : il sait se cacher et frapper sans avertissement, comme le découvre soudainement celui qui abat un mur (Qo 10, 8 : une haie dans la Septante). Le déplacement d’un serpent est impossible à prévoir et est en quelque sorte irrationnel, et sert de comparaison à la démarche de l’homme vers la jeune femme (Pr 30, 19). Pour exprimer les conséquences des paroles du menteur ou des gestes de l’homme violent, on les compare au venin du serpent (Ps 58, 5; 140, 4). Le serpent observe longuement sa proie avant d’attaquer, c’est ce que font les Sadducéens qui veulent s’approprier la maison d’autrui (Ps de Salomon 4, 9). Si la majorité des références au serpent se situe dans un cadre négatif, il existe quelques rares cas où il n’en pas ainsi. Par exemple, selon Jacob la tribu de Dan est appelée à jouer le rôle de protecteur de ses frères juifs comme un serpent sur le chemin (Gn 49, 17), tandis qu’Isaïe rêve au jour où le serpent mangera la terre comme du pain, à côté du lion mangeant de la paille comme le bœuf et à côté des loups et des agneaux paissant ensemble (Is 65, 25). Voilà le cadre qui nous permet d’entrer dans le NT. En dehors des évangiles, les références au serpent sont limitées. Il y a d’abord Paul qui fait allusion à la morsure des serpents au désert dans l’épisode qui amena le serpent d’airain (1 Co 10, 9), une invitation à ne pas jouer avec le feu avec la participation aux banquets païens, puis au récit d’Ève et du serpent (2 Co 11, 3), une invitation à ne se pas se laisser enjôler par les gens qui prêchent un évangile différent du sien. Puis, il y a le livre de l’Apocalypse où le serpent représente Satan / le diable et porte les nombreux traits du serpent de l’AT : il fait du tort (Ap 9, 19), comme avec Ève, il séduit le monde (Ap 12, 9) et est en conflit avec l’Église représentée par une femme (Ap 12, 14-15). Le fait qu’il soit aussi appelé « Dragon » permet d’évoquer Is 27, 1 : LXX « En ce jour-là Dieu tirera son épée sainte, sa grande et forte épée, contre le dragon, un serpent fuyant, contre le dragon, un serpent tortueux, et il tuera le dragon ». Ce serpent fuyant, c’est Léviathan, d’après le texte hébreu, animal marin qui fait partie du mythe du combat primordial entre le Créateur et les forces marines personnifiant le Chaos. Pour l’Apocalypse, comme le créateur a vaincu le chaos, ainsi Dieu vaincra le dragon / diable / serpent. Qu’en est-il dans les évangiles? Dans l’évangile de Jean, la référence au serpent d’airain dans le désert, qui avait guéri ceux qui avaient été mordus par des serpents (Nb 21, 9), permet d’évoquer l’élévation de Jésus en croix pour le salut de tous (Jn 3, 14 : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme »). Dans la source Q (Mt 7, 10 || Lc 11, 11 : « Quel est d'entre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent ») le serpent représente le danger mortel et est mis en contraste avec le poisson, élément de base pour la survie en Palestine : jamais un parent donnerait à son enfant ce qui fait mourir à la place de ce qui fait vivre. Chez Matthieu, on trouve deux références au serpent qui lui sont propres. Il y a d’abord Mt 10, 16 (« montrez-vous donc sagaces comme les serpents et candides comme les colombes ») qui souligne l’une des qualités du serpent, sa sagacité (phronimos), la même qualité soulignée par Gn 3 pour le serpent dans sa rencontre avec Éve, une qualité que devrait avoir le missionnaire. Puis, il y a Mt 23, 33 (« Serpents, engeance de vipères! comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ») dont la signification n’est pas évidente : pourquoi les scribes et les Pharisiens sont-ils associées aux serpents? Dans les versets qui précèdent, ils sont continuellement accusés d’être des hypocrites. Mais jamais dans la Bible on ne considère les serpents comme des hypocrites; ils peuvent être sournois, mais pas hypocrites. La réponse vient probablement de ce qui suit : « voici que moi, j’envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes. Vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et vous les pourchasserez de ville en ville »; en d’autres mots, ils sont des tueurs comme le serpent. Le texte de Mc 16, 18 n’appartient pas à l’évangile originel de Marc (l’évangile se termine avec Mc 16, 8) et a probablement été rédigé soit par Luc soit par quelqu’un de son école. Il appartient à l’ensemble Mc 16, 9-20 qui résume les récits d’apparition de Jésus ressuscité et donne les signes qui accompagneront les missionnaires, et l’un de ces signes est de pouvoir prendre un serpent dans ses mains sans danger. C’est l’idée que les forces de mort n’auront pas de prise sur le missionnaire. C’est aussi un écho de Ac 28, 3-6 où une vipère s’accroche à la main de Paul, alors qu’il mettait du bois sur le feu, sans que cela lui fasse de mal. Lc 10, 19 doit être compris de la même façon que Mc 16, 18, peut-être du même auteur : le serpent est présenté avec d’autres forces adverses et dangereuses comme le scorpion et l’ennemi, et la même affirmation revient : les forces adverses n’auront pas de prise sur le missionnaire. Le nom ophis dans la Bible |
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| skorpiōn (scorpions) |
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Skorpiōn est le nom masculin skorpios au génitif pluriel, le génitif étant requis par la préposition epanō (au-dessus, sur). Il signifie : scorpion, et n’apparait dans le NT que dans l’Apocalypse et chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
En hébreu, le scorpion se nomme ʿaqrāḇ. Il est abondant en Palestine où existerait une dizaine d’espèces (Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, p. 487). Contrairement à beaucoup de serpents, sa piqure est rarement mortelle, mais elle est très douloureuse. C’est d’ailleurs ce qu’on retient de cet animal qui n’apparaît seulement que dans quelques textes de l’AT. Dt 8, 15 reprend l’épisode des serpents mordants qui décimaient une partie du peuple au désert et qui a amené la création du serpent d’airain (voir Nb 21), mais aux serpents mordants il ajoute les scorpions pour donner plus d’impact à la punition de Dieu. Les récits de 1 R 12, 11.14.24r et 2 Ch 11.14 font référence au même événement de la rencontre entre Roboam, fils et successeur de Salomon, et Jéroboam, et qui entraîna un schisme en Israël au 10e s. av. JC : alors que Jéroboam revient d’exil à la suite de sa révolte contre Salomon, il demande à Roboam d’alléger le joug qu’on lui avait imposé ainsi qu’au peuple, pour se faire répondre : « Mon père vous a châtiés à coups de fouet, moi je vous châtierai avec des scorpions »; ici, les scorpions sont des fouets terminés par de petits crochets de métal pareils à des hameçons. Chez Ézéchiel (2, 6), le mot « scorpion » apparaît dans une parole du Seigneur qui avertit le prophète qu’il aura à proclamer la parole à une engeance rebelle, et donc il sera au milieu de scorpions. L’animal est associé à une force adverse, et on peut imaginer que les rebelles déclencheront par leur parole des flèches à l’endroit du prophète qui feront mal comme le dard du scorpion. Chez le Siracide, le scorpion apparaît dans deux contextes différents, d’abord (26, 7) celui d’une relation conjugale où la femme est méchante, et qu’essayer de la maîtriser est aussi délicat et dangereux que de manipuler un scorpion, puis (39, 30) celui d’une liste de châtiments de Dieu à l’égard des impies, et les scorpions, apparaissent dans cette liste avec les bêtes féroces, les vipères et les guerres (l’épée). Bref, les références au scorpion sont très peu nombreuses et apparaissent tous dans un cadre négatif : c’est un animal dangereux, qui fait mal et qu’on veut éviter. Qu’en est-il du NT. Commençons avec le livre de l’Apocalypse. Dans les trois références au scorpion (Ap 9, 3.5.10), l’animal n’est mentionné que comme image de ce qui blesse sans faire mourir : les sauterelles relâchées du puits de l’abîme ont reçu le pouvoir de faire mal à ceux qui ne porte pas sur le front le sceau de Dieu sans toutefois les faire mourir, comme le scorpion; leurs queues ressemblaient à celles des scorpions, armées de dards, afin de faire du tort aux hommes. Luc nous présente deux références aux scorpions. En Lc 11, 12 (« Ou encore s'il demande un oeuf, lui remettra-t-il un scorpion »), on peut être surpris de voir le scorpion comparé à un œuf; de fait, un scorpion immobile peut avoir une couleur blanchâtre qui pourrait le confondre à un œuf. Mais l’idée est la même que le verset précédent avec le poisson et le serpent : jamais un parent donnerait à son enfant ce qui fait du tort à la place de ce qui nourrit. Enfin, avec 10, 19, Luc insère le scorpion dans la liste des forces adverses avec le serpent et l’ennemi. Il est possible que c’est la mention du serpent qui ait entraîné l’idée du scorpion, peut-être suggéré par Dt 8, 15. Quoi qu’il en soit, c’est une image forte pour évoquer l’opposition qui attend le missionnaire. Le nom skorpios dans la Bible |
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| echthrou (ennemi) |
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Echthrou est l’adjectif echthros au génitif masculin singulier, le génitif étant requis par la préposition epanō (au-dessus, sur). Il signifie : ennemi, hostile, et apparaît sporadiquement dans les évangiles-Actes, surtout chez Matthieu et Luc : Mt = 7; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans le NT, que désigne-t-on exactement par ennemi? La réponse varie énormément.
Ici, au v. 19, il y a peu d’indices pour identifier l’ennemi dont il s’agit; on parle simplement de « puissance de l'ennemi ». Mais le fait que le mot soit au singulier et qu’il soit associé à une puissance, après la mention du serpent et du scorpion, surtout après que Jésus ait interprété les exorcismes des Soixante-Douze comme le début de la chute de Satan, nous oriente vers les forces qui s’opposent à l’évangile, le diable ou Satan, l’ennemi par excellence. L'adjectif echthros dans le Nouveau Testament |
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| adikēsē (qu'il fasse du tort) |
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Adikēsē est le verbe adikeō au subjonctif aoriste actif, 3e personne du singulier, le subjonctif indiquant que nous somme seulement devant une possibilité. Le verbe signifie littéralement : être sans justice; il est formé de la racine dikaios (juste), qui, avec le « a » privatif, devient adikos (injuste). Mais être injuste vis-à-vis quelqu’un c’est lui faire du tort, d’où la traduction que nous avons adoptée. Il est très souvent traduit par « maltraiter quelqu’un ». C’est un verbe très rare dans les évangiles : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Dans les évangiles-Actes, le verbe est toujours dans une forme négative, à l’exception de la référence à cette scène de l’exode (Ex 2, 11-14) dans le discours d’Étienne où un Égyptien maltraite un Hébreu, et que deux Hébreux se maltraitent l’un l’autre (Ac 7, 24-27) : le propriétaire d’une vigne n’a pas fait de tort à son ouvrier en donnant la somme convenue (Mt 20, 13), les force du mal ne pourront faire du tort au missionnaire (Lc 10, 19), Paul affirme qu’il n’a fait aucun tort à qui que soit (Ac 25, 10-11). Dans les lettres pauliniennes considérées comme authentiques par la majorité des biblistes, c’est également la formule négative qui domine :
Dans la lettre aux Colossiens et la deuxième de Pierre, la situation est différente. Dans le premier cas (Col 3, 25), on parle des relations maîtres-esclaves et le verbe adikeō appartient à la conclusion (« qui est injuste sera certes payé de ce qu’il a été injuste ») est d’ordre très général, sans qu’on sache de quelle injustice ou de de quel tort en particulier de la part du maître. Dans le deuxième cas (2P 2, 13), on parle des faux enseignants qui font du tort à la communauté chrétienne), et adikeō (être injuste, faire du tort) résume ce que constitue leur travail et explique pourquoi leur sort sera de pourrir comme pourrissent les bêtes, ce qui est typique du salaire de l’injustice; on sait au moins que le tort causé est d’ordre doctrinal. L’Apocalypse appartient à une classe à part, ne serait-ce qu’en raison du nombre d’occurrences (11). Mais l’une des particularités de ce livre est de mettre la capacité de faire du tort entre les mains des personnages au service de Dieu, un scénario des temps de la fin : quatre anges font du tort à la terre et à la mer (Ap 7, 2), mais pas à la verdure et aux arbres (Ap 9, 4), et ces quatre anges ont des chevaux dont la queue ressemble à des serpents et par là peuvent faire du tort (Ap 9, 19). Une telle utilisation est surprenante quand on sait que le verbe signifie littéralement : être injuste. Mais il faut noter que l’auteur de l’Apocalypse, un chrétien juif, ne semble pas maîtriser tout à fait la langue grecque (sur le sujet, voir R.E. Brown qui affirme : « Le grec de l'œuvre, qui est le plus pauvre du NT au point d'être non grammatical, reflète probablement un auteur dont la langue maternelle était l'araméen ou l'hébreu »). Mais à l’inverse, des sauterelles, venues des entrailles de la terre, ont la capacité de faire du tort aux hommes par leur queue (Ap 9, 10). Ainsi, les anges du jugement et les forces du mal peuvent faire du tort, tandis que personne ne peut faire du tort aux deux témoins de la communauté chrétienne (Ap 11, 5). Encore une fois, l’expression « faire du tort » demeure très vague sans qu’on sache de quoi il s’agit, sauf en Ap 2, 11 qui fait référence à la « seconde mort », dans un contexte où la mort corporelle est suivie du jugement qui envoie les uns à la vie éternelle, et les autres à la mort définitive : ceux qui ont gardé la foi au milieu des persécutions ne seront pas affectés par la seconde mort. Que conclure? Le verbe « faire du tort » demeure un verbe général qui ne désigne pas de tort spécifique. Il est révélateur de constater que Luc, dans les Actes des Apôtres, alors qu’il reprend le récit de Ex 2, 11-14, où un Égyptien maltraite un Hébreu, et que deux Hébreux se maltraitent l’un l’autre, ne reprend pas tel quel le mot typtō (frapper) de la Septante, mais lui préfère adikeō (faire du tort), qui est beaucoup plus générique que « frapper ». C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre son choix de adikeō en Lc 10, 19 dans le contexte des missionnaires et des forces du mal. Comme l’affirme l’ensemble des évangiles, les missionnaires connaîtront les persécutions, les procès, la prison et même la mort. Mais les forces du mal ne réussiront pas à les rallier à leur camp, leur foi demeurera indéfectible; en ce sens, elles ne peuvent pas leur faire de tort, ou pour utiliser la signification littérale du verbe : ne pourront pas les rendre injustes, i.e. embrasser le monde de l’injustice. Le verbe adikeō dans le Nouvau Testament |
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| v. 20 Toutefois, ne vous réjouissez-pas que les esprits vous soient soumis, réjouissez-vous plutôt que vous êtes inscrits pour vivre dans le monde de Dieu ».
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Littéralement : Toutefois, en cela ne vous réjouissez-pas (chairete) que les esprits (pneumata) à vous sont soumis; puis, réjouissez-vous que les noms de vous (cela) a été inscrit (engegraptai) dans les cieux.
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| chairete (réjouissez-vous) |
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Chairete est le verbe chairō à l’impératif présent actif, 2e personne du pluriel. Il signifie : se réjouir. Comme nous l’avons noté pour nom « joie » (chara), le verbe est surtout présent chez Luc et Jean qui sont responsables de plus de 80% des occurrences : Mt = 6; Mc = 2; Lc = 12; Jn = 9; Ac = 7; 1Jn = 0; 2Jn = 3; 3Jn = 1.
Notons d’abord que le verbe est aussi utilisé pour exprimer la salutation en grec, i.e. « réjouis-toi » qu’on traduit habituellement par « salut », l’équivalent au šālôm (paix) hébreu. Par exemple : « Et aussitôt il s'approcha de Jésus en disant: "Salut (chairō) (litt. réjouis-toi), Rabbi", et il lui donna un baiser. » (Mt 26, 49). De quoi se réjouit-on dans la tradition évangélique? Il faut distinguer deux groupes, ceux pour Jésus, et ceux contre lui : Ceux qui sont du côté de Jésus
Ceux qui s'opposent à Jésus
Comme on peut l’observer, pour le disciple les motifs de se réjouir varient beaucoup, mais se concentrent autour de la personne de Jésus, de sa venue, de la fécondité de sa mission, des merveilles de ce qu’il a réalisé, de sa présence continuelle par sa résurrection, et la possibilité d’avoir part au Royaume. Pour la communauté croyante, c’est la perspective du pardon et de retrouver ce qui était perdu, de l’ouverture universelle de la bonne nouvelle et de l’allègement des règles religieuses. À la base de toute cette joie, il y a partout le don de Dieu, dans la mesure où on s’y ouvre. Comme nous l’avons mentionné dans l’analyse du mot « joie », le thème de la joie est un thème majeur chez Luc : son évangile commence dans la joie avec la naissance de Jean-Baptiste et Jésus, et se termine dans la joie avec l’apparition de Jésus ressuscité et son ascension. Sur les huit occurrences de chara (joie), sept lui sont propres, et sur les 12 occurrences de chairō (se réjouir), neuf lui sont propres. Dans notre péricope, le thème de la joie a été introduit au v. 17 alors que les disciples annoncent avec joie que les démons leur sont soumis. Une telle source de joie est inusitée chez Luc, car chez lui les motifs de la joie sont la naissance de Jean-Baptiste et Jésus, les choses merveilleuses qui se font par Jésus, le pécheur repenti, et jamais de posséder un certain pouvoir. Alors c’est sans surprise qu’on voit Jésus au v. 20 corriger ce qui devrait être la source de la joie : que leurs noms sont inscrits dans les cieux. Qu’est-ce-à-dire? Nous rejoignons ici une affirmation de la source Q dans le contexte de la persécution rencontrée par les disciples : « car voici, votre récompense est grande dans le ciel » (Mt 5, 12 || Lc 6, 23). En d’autres mots, la source de la joie n’est pas ce qu’on possède, mais ce qu’on reçoit de la part de Dieu, la seule véritable source de joie. Le verbe chairō dans le Nouveau Testament |
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| pneumata (esprits) |
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Pneumata est le nom neutre pneuma au nominatif pluriel, le nominatif étant requis parce qu’il joue le rôle de sujet du verbe « être soumis ». Il signifie : esprit ou souffle, et il est très fréquent dans les évangiles-Actes, en particulier chez Luc : Mt = 19; Mc = 23; Lc = 36; Jn = 24; Ac = 70; 1Jn = 12; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Pour une présentation de pneuma, on consultera le Glossaire. Résumons-en les points principaux. Le mot est dérivé du verbe pneō qui signifie : souffler, exhaler une odeur, respirer. Chez les auteurs grecs classiques, le substantif neutre pneuma renvoie d'abord au souffle du vent, ensuite à la respiration, à l'haleine ou à l'odeur du parfum. Dans la traduction grecque de la Bible hébraïque, appelée la Septante, pneuma traduit le mot hébreu rûaḥ qui désigne
Dans ce dernier cas, si on se fie au livre de la Sagesse, les êtres humains sont en mesure de saisir les intentions de Dieu, parce qu'ils ont reçus de lui cette réalité immatérielle et dynamique : « Et ton souffle (pneuma) incorruptible est en tous les êtres » (12, 1). Quand on parcourt les évangiles-Actes, le mot pneuma sert à désigner trois réalités différentes.
Chez Luc, c’est la référence à l’Esprit Saint qui domine dans le terme pneuma (17 occurrences sur le total de 36). Mais il reste que la référence à pneuma comme une force spirituelle extérieure à la personne est assez fréquente (14 occurrences), d’autant plus que la moitié lui est propre. Qu’est-ce qu’un tel esprit? Commençons avec le récit d’apparition de Jésus ressuscité (Lc 24, 36-43) : « Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit ». C’est une signification de pneuma propre à Luc dans les évangiles. Car il ne s’agit pas d’esprit mauvais ou impur comme c’est le cas habituellement, puisqu’on fait référence à Jésus ressuscité, mais d’une sorte de spectre. Il est surprenant que Luc n’ait pas utilisé un mot comme phantasma (apparition, fantôme). C’est ce mot qu’a utilisé Marc (Mc 6, 49 || Mt 14, 26) dans son récit de la marche de Jésus sur les eaux pour décrire ce que voyaient les disciples, un mot repris par Matthieu; Luc a préféré ignorer totalement ce récit. Il n’est pas toujours facile de comprendre les choix de Luc. Une explication possible est que pour Luc le mot pneuma couvre un éventail plus large de significations que celui des autres évangélistes. Ainsi, dans ses Actes, on apprend qu’à Philippes il y avait une jeune servante qui avait un esprit de divination qui procuraient de gros gains à ses maîtres (Ac 16, 16). Ou encore, les Sadducéens s’opposaient aux Pharisiens qui croyaient à la possibilité de la résurrection, d’ange, et d’esprit (Ac 23, 8-9); dans ce cas, l’esprit fait partie du même monde que les anges. Une autre explication est que le terme phantasma a chez lui une connotation négative, peut-être du niveau d’une hallucination, ce qui enlèverait toute crédibilité à la scène d’apparition de Jésus ressuscité. Dans la majorité des cas, Luc rejoint Marc où l’esprit désigne une force spirituelle mauvaise, appelée « esprit impur », i.e. une force qui menace l’intégrité et la santé des individus et de la société dans le monde juif. Mais comme Luc s’adresse à un auditoire grec chez qui la notion juive du pur et de l’impur est sans doute moins familière, il remplace à plusieurs reprises le mot « impur » par « mauvais » (Lc 7, 21; 8, 2; Ac 19, 12.13.15.16). De plus, comme la culture grecque est familière avec la notion de démon, il s’assure de bien identifier l’esprit impur avec le démon, si bien qu’il modifie en conséquence la tradition qu’il reçoit de Marc. Des exemples :
C’est la même association entre esprit ou esprit impur et le démon qu’on retrouve ici en 10, 20; en effet, au v. 17 nous avons la phrase « même les démons se soumettent à nous », et maintenant au v. 20 où Jésus revient sur cette affirmation, nous avons plutôt la phrase : « ne vous réjouissez-pas que les esprits vous sont soumis ». Ainsi, « démon » et « esprit impur/mauvais » sont équivalents chez Luc. Que ce soit dans le monde juif ou le monde grec, l’Antiquité partageait l’idée que notre univers était habité par certaines forces spirituelles qui intervenaient dans la vie des gens, et cela fournissait une explication au problème du mal et d’événements funestes. La bonne nouvelle est que Dieu intervient par l’intermédiaire de ses envoyés pour mettre en échec ces forces mauvaises. Le nom pneuma dans les évangiles-Actes |
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| engegraptai (il a été inscrit) |
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Engegraptai est le verbe engraphō à l’indicatif parfait passif, 3e personne du singulier. Le parfait indique que l’action du passé est terminée. Le singulier peut surprendre, mais Luc considère sans doute tous les noms comme une seule entité. Le verbe est formé de la préposition en (dans) et du verbe graphō (écrire), et donc signifie : écrire dans, ou inscrire. Il est très rare dans toute la Bible, et dans les évangiles-Actes il n’apparaît que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
Quand on parcourt les quelques textes bibliques qui affichent ce verbe, on note qu’il concerne toujours des personnes : pour Paul, ce sont les membres de la communauté chrétienne qui sont inscrits dans son cœur (2 Co 3, 2); en Ex 36, 21 ce sont les membres des douze tribus d’Israël; dans le livre de Daniel (12, 1) ce sont les membres du peuple inscrits dans le grand livre céleste; dans le premier livre des Maccabées (13, 40) ce sont certains membres de la nation juive aptes à s’enrôler dans l’armée. Notre v. 20 ne fait pas exception : il s’agit des Soixante-Douze. Mais que signifie d’avoir son nom inscrit dans le ciel? Cela fait référence au fait que, dans l’imaginaire juif, il existe une comptabilité céleste où sont notées toutes les actions humaines et qui permet à Dieu de déterminer qui fera partie à la fin de sa maison. Cette comptabilité céleste se fait par l’intermédiaire d’un livre, très souvent appelé : livre de vie. Considérons un certain nombre de références :
Comme on le peut le constater, c’est un thème qui traverse toute la Bible, et est particulièrement présent dans la tradition apocalyptique (Ézéchiel, Daniel, 1 Hénoch, Apocalypse) alors qu’on évoque le jugement et la discrimination entre ceux qui entreront dans la demeure de Dieu et ceux qui en seront exclus. Et conformément à la tradition juive, le critère pour faire partie de ce livre est la conformité de ses actes à ce que demande Dieu, et c’est pourquoi ce sont les actions humaines qui sont inscrites dans ce grand livre céleste. Il y a bien sûr dans l’image du livre une forme d’anthropomorphisme, comme si Dieu n’avait pas de mémoire et avait besoin du support d’un livre où on a tout enregistré. Mais derrière tout cela il y a l’idée qu’aucune action humaine n’est oubliée devant Dieu. Pourquoi Luc fait-il référence à ce livre de vie à propos des Soixante-Douze? C’est une façon traditionnelle de parler de la vie éternelle dans le monde de Dieu. Et de manière surprenante Luc utilise le nom « cieux » au pluriel comme dans la tradition juive (le nom hébreu šāmayim pour ciel est un pluriel), alors qu’il emploie toujours le singulier pour le nom « ciel ». La seule autre exception se trouve dans le récit de l’homme riche à qui Jésus demande de tout vendre pour le suivre, un récit qu’il copie de Mc 10, 17-22 et qui se termine ainsi : « et tu auras un trésor dans les cieux » (Lc 18, 22); pourquoi le pluriel (comme chez le Juif Matthieu), alors que le texte de Marc a le singulier? Le contexte de Lc 10, 20 et celui de Lc 18, 22 est le même, car parler du trésor dans le ciel c’est parler du livre de vie, une comptabilité céleste qui affiche la richesse de chacun. Il est donc possible que Luc, ou bien nous donne un écho d’une tradition ancienne qui remonte à l’époque de Jésus, ou bien entend reproduire l’atmosphère juive du milieu de Jésus. Pourquoi Jésus fait-il référence à la vie éternelle? Le v. 20 entend réorienter la source de la joie chez les Soixante-Douze, qui ne doit pas être leur pouvoir sur les forces mauvaises, mais le fait qu’ils ont été choisis par Dieu pour être ses collaborateurs et faire partie de sa famille dans la maison de la vie éternelle. De fait, le contrôle des forces mauvaises n’a qu’un seul but : que vienne le monde de Dieu. Ainsi, il ne faut pas confondre les moyens avec la finalité. Le verbe engraphō dans la Bible |
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-André Gilbert, Gatineau, décembre 2022 |