Analyse biblique Marc 10, 17-30 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.
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hodon (chemin) |
Lévocation du fait que Jésus reprend la route peut sembler banale, mais elle a une grande valeur symbolique. Tout le ministère de Jésus a été une longue route où il sest promené de village en village. Contrairement à certains grands spirituels qui se sont isolés et vers lesquels allaient les gens pour entendre une parole de sagesse, Jésus est allé vers les gens, il a sillonné les routes de Palestine. Et il a demandé à ses disciples de faire la même chose (Mc 6, 8). Car cest sur la route que Jésus fera des rencontres (par exemple, il rencontre laveugle Bartimée sur le bord de la route, Mc 10, 46), cest en route quil demande à ses disciples dexprimer leur foi à son sujet. Quand on voudra par la suite décrire la réalité des chrétiens se disant disciples de Jésus, on parlera des adeptes de la Voie ou Chemin (Actes 9, 2;18, 25) : la foi chrétienne est une manière de voir les choses et une manière dagir, donc est une direction au coeur de ce monde.
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Le nom hodos dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prosdramōn (étant accouru) |
Prostrechō signifie : courir vers, accourir. Dans les évangiles, Marc (Mt = 0; Mc = 2; Lc = 0; Jn = 0) est le seul à utiliser ce mot, ici, et dans la scène précédente (9, 15) où la foule accourt vers Jésus après la scène de la Transfiguration. Le seul autre emploi dans tout le Nouveau Testament appartient à cette scène où Philippe accourt pour rejoindre leunuque sur son char en train de lire le prophète Isaïe dans les Actes des Apôtres (8, 30). Le verbe décrit lintensité dune action, le désir profond de rejoindre une personne. Notre personne anonyme est tendue de tout son être vers Jésus, et sa quête est urgente.
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heis (quelqu'un) |
Le mot heis (un) est un adjectif numéral utilisé ici comme substantif et que pourrait traduire littéralement : une personne. Marc entend parler dune personne indéfinie, une personne quelconque. Mais en faisant cela, on devine quil est en train dopérer une généralisation : à travers ce visage, il faut voir beaucoup de gens qui veulent suivre Jésus.
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gonypetēsas (sétant mis à genoux) |
Voici un mot très rare (Mt = 2; Mc = 2; Lc = 0; Jn = 0) qui apparaît seulement deux fois chez Marc, ici, et dans la scène du lépreux qui supplie Jésus en sagenouillant (1, 40), et deux fois chez Matthieu, dabord dans la scène du père dun enfant lunatique qui supplie Jésus en sagenouillant, après la scène de la Transfiguration (17, 14), puis dans la scène où les soldats romains sagenouillent devant Jésus portant une couronne dépines, par dérision. Le geste de sagenouiller en est un de déférence devant le roi ou une autorité. Le fait de sagenouiller devant Jésus chez cet homme anonyme exprime lintensité de sa foi en Jésus et la haute estime quil lui porte. Cette scène nest pas sans rappeler cette autre scène où Abraham accourt vers trois messagers du Seigneur et se prosternent deux eux (LXX : Genèse 18, 2) :
Comme il levait les yeux, il aperçut trois hommes placés au-dessus de lui ; et les ayant vus, il courut (prostrechō) de la porte de sa tente à leur rencontre, et il se prosterna (proskyneō) jusquà terre.On retrouve le même mot prostrechō, et si on parle de se prosterner (proskyneō) plutôt que de sagenouiller (gonypeteō), la même idée se dégage, celle dexprimer un geste profond de foi. |
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didaskale (maître) |
Le mot didaskalos (maître) est beaucoup plus fréquent (Mt = 12; Mc = 11; Lc = 17; Jn = 8). Cela semble le titre quon a habituellement utilisé pour aborder le Jésus historique : il est dans la bouche des disciples (4, 38; 9, 38; 10, 35; 13, 1; 14, 14), il est dans la bouche des Pharisiens et des Sadducéens (12, 14; 12, 19), il est dans la bouche des gens qui sapprochent de lui (9, 17; 10, 17.20). Nous sommes loin dun titre christologique, et donc nous rapproche du Jésus historique.
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agathe (bon) |
Le mot agathos (Mt = 16; Mc = 4; Lc = 16; Jn = 3) est également très rare chez Marc et napparaît quici (trois fois dans notre scène) et dans la réplique de Jésus aux Pharisiens (3, 4) leur demandant sil est permis de faire le bien/bon ou le mal le jour du sabbat. Nous ne sommes donc pas devant un vocabulaire familier de Marc. Tout cela donne limpression quil na pas créé ce texte, mais puise à une tradition, même si le rôle quil lui fait jouer, comme nous le verrons plus loin, porte la marque de son travail éditorial.
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zōēn (vie) |
Le mot zōē (vie) est également rare chez Marc (Mt = 7; Mc = 4; Lc = 6; Jn = 36) et napparaît que dans deux passages, ici, et dans le discours de Jésus sur le scandale où il vaut mieux entrer manchot dans la vie (zōē) que de sen aller avec ses deux mains dans la géhenne. Dans tous ces cas, le sens du mot est clair : il sagit de la vie après la mort, ce monde ou ce royaume que Dieu offre à ses élus (il faut le distinguer de psychē , également traduit par vie, qui désigne plutôt la personne dans sa vie consciente).
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aiōnion (éternelle) |
Enfin, aiōnios (éternel, sans commencement) est également très rare chez Marc (Mt = 6; Mc = 3; Lc = 7; Jn = 10); la seule autre utilisation se trouve dans le discours de Jésus concernant celui qui blasphème contre lEsprit Saint et qui se rend coupable dune faute éternelle (3, 29). Et donc lexpression « vie sans fin » ne se trouve quici. Il faut donc reconnaître que nous ne sommes pas devant le vocabulaire habituel de Marc, ce qui laisse soupçonner quil emprunte ici à une tradition dont il a hérité. Par contre, le sens de la phrase est très clair : la question concerne cette vie après la mort à laquelle croyait une certaine tradition juive, une vie offerte par Dieu à ses élus après avoir opéré le jugement final (par contraste, lexpression « vie éternelle » est très fréquente chez Jean, mais pour ce dernier, la vie après la mort est déjà commencée chez le croyant). Cette question ressemble à celle quon retrouvait jadis dans notre petit catéchisme : que faut-il faire pour aller au Ciel?
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L'expression zōē aiōnios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
klēronomēsō (jhérite) |
Encore une fois, nous nous retrouvons devant des mots très rares chez Marc. Le mot klēronomeō (recevoir en héritage, hériter) apparaît seulement ici (Mt = 3; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0). Chez Mt et Lc, on le retrouve également dans les passages parallèles à cette scène ainsi que dans des contextes semblables, i.e. il sagit de lhéritage de la vie éternelle (Mc 10, 17; Lc 10, 25; 18, 18; Mt 19, 29) ou du royaume (Mt 25, 34). La seule exception est cette proclamation des béatitudes où les doux hériteront de la terre (Mt 5, 4).
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v. 18 Mais Jésus lui répondit : « Pourquoi dis-tu que je suis bon? Personne nest bon, si ce nest seulement Dieu.
Littéralement : Puis le Jésus dit à lui: « Pourquoi moi dis-tu bon (agathon)? Personne est bon (agathos), si ce nest lunique le Dieu. |
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Ce verset est étonnant à plus dun titre. Tout dabord, lidée développée ici apparaît comme un météorite sorti de nulle part : on cherchera en vain dans tout le Nouveau Testament une discussion semblable comparant la bonté de Dieu et la bonté des hommes. Linterpellation de Jésus et sa réponse ne reviendra plus jamais : il sagit dun thème tout à fait isolé. De plus, on comprend mal pourquoi Marc a tenu à garder ce verset qui, non seulement ne joue pas de rôle dans la suite du récit, mais se trouve à distancer Jésus de Dieu, car il ne peut être appelé bon comme Dieu. Matthieu à bien vu ce dernier point et a transformé la question de lhomme : « Maître, que dois-je faire de bon (agathos) pour obtenir la vie éternelle?». Que conclure? Si un tel verset ne sert pas du tout au propos catéchétique de Marc, il na pu être créé par lui et provient probablement de sa source. Sil est un écho du Jésus historique, il nous montre sa vision de la transcendance de Dieu et de la dépendance humaine, incluant la sienne, vis-à-vis de Dieu pour produire des actes bons.
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agathon (bon) |
Quand on analyse lutilisation de agathos dans lensemble des évangiles, en faisant exception de notre passage et de ses parallèles, on peut les grouper dans quatre grandes catégories :
Cette brève analyse ne fait que souligner lanomalie de notre verset qui interdit de qualifier Jésus de bon, et appuie lidée quil nest pas une création de Marc lévangéliste. |
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v. 19 Tu connais les commandements : ne tue pas, ne commets pas dadultère, ne vole pas, ne fais de faux témoignage, ne commets pas descroquerie, traite avec honneur ton père et ta mère. »
Littéralement : Les commandements (entolas) tu connais: ne tue pas, ne commets pas dadultère, ne vole pas, ne fais pas de faux témoignage, ne commets pas descroquerie, traite avec honneur le père de toi et la mère |
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entolas (commandements) |
Le mot entolē (ordre, commandement, précepte) est peu fréquent dans les Synoptiques (Mt = 6; Mc = 6; Lc = 4; Jn = 10). Chez Marc, il se réfère avant tout à des demandes ou des exigences provenant de Dieu, lexception étant une prescription établie par Moïse balisant les procédures de divorce (10, 4). Mais ces exigences ne se limitent pas à ce quon appelle les dix paroles de Yahvé au Sinaï (Exode 20, 1-17). Bien sûr, les six exigences de notre verset y font référence, de même de que le reproche de Jésus aux Pharisiens et aux scribes qui annulent lexigence dhonorer son père et sa mère avec leur tradition du kôrban (7, 8-9). Mais dans sa discussion avec le légiste sur le plus grand commandement (12, 28-31), Jésus se réfère à la prière traditionnelle juive, appelé Shema, qui est un amalgame de Deutéronome 6, 4-9; 11, 13-21; Nombres 15, 37-41 (pour parler du commandement de lamour de Dieu), puis à Lévitique 19, 18 (pour parler du commandement daimer son prochain). Ainsi, lensemble des cinq premiers livres de la Bible ou Pentateuque représentent la Loi ou les commandements de Dieu, si bien que le Talmud (traité Makot 23b) nous enseigne quil y a 613 commandements dans la Torah ; 248 commandements positifs (« fais ») et 365 commandements négatifs (« ne fais pas »).
Lesprit observateur aura noté que la seule véritable différence entre la version de lExode et celle du Deutéronome concerne lexigence du sabbat : lExode parle de se souvenir du jour du sabbat, tandis que le Deutéronome parle dobserver le jour du sabbat. La tradition juive a résolu cette difficulté en affirmant que les mots ont été prononcés en même temps par Dieu. Parmi les dix paroles, sept sont négatives (ne... pas), et trois sont positives (Je suis ton Dieu, observe le sabbat, honore ton père et ta mère). Le Jésus de Marc a retenu six commandements parmi ces dix, commençant par les commandements négatifs, terminant avec un commandement positif. Quels sont donc ceux quil a laissés tomber dans la liste présentée à lhomme désirant connaître le chemin pour avoir la vie en héritage? Les quatre premiers : Je suis ton Dieu, tu nauras pas dautres dieux, tu ne prononceras pas le nom de Dieu à faux, tu observeras le sabbat. Pourquoi? On peut émettre lhypothèse que les quatre premiers étaient imbriqués dans la culture et quil était impensable quils ne soient pas observés. Et donc Jésus ne se concentre que sur ce qui nest pas garanti dans le Judaïsme du 1ier siècle. En même temps, on pourrait ajouter ceci : il ny a rien dans les six commandements retenus par le Jésus de Marc qui ne soient pas universels, i.e. applicables aux païens ou à quiconque, peu importe sa religion ou son absence de religion. Autrement dit, les quatre commandements que le Jésus de Marc a laissé tomber sont typiquement juifs. Un mot sur le Petit catéchisme de Québec. On note une adaptation culturelle. Tout dabord, lévocation de la sortie dÉgypte est inutile et oubliée. Le sabbat qui commençait le vendredi soir, au coucher du soleil, et se terminait le samedi soir, au coucher du soleil, devient le dimanche. Le commandement sur ladultère devient un commandement sur la pudeur, ce qui couvre énormément plus (daprès le Petit Robert : « Sentiment de honte, de gêne quune personne éprouve à faire, à envisager des choses de nature sexuelles; gêne quéprouve une personne délicate devant ce que sa dignité semble lui interdire). Le commandement sur le faux témoignage est étendu pour couvrir aussi le mensonge. Comme le dixièmement commandement de la Bible couvre la convoitise à la fois des biens et de la femme du prochain (la femme étant vu comme un une possession de lhomme au même titre que son boeuf et son âne), le Petit catéchisme sépare les deux aspects : la convoitise de la femme devient un commandement sur linterdiction des relations sexuelles hors mariage, tandis que la convoitise de tous les autres biens devient le désir de se les approprier de manière injuste. On peut parler dactualisation, mais en même temps de révélation de traits culturels, comme cet accent sur les règles entourant la sexualité. |
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v. 20 Mais, lui, faisait remarquer à Jésus : « Maître, tout cela, je lai observé depuis ma jeunesse. »
Littéralement : Puis lui déclarait (ephē) à lui: maître, ces choses toutes je les ai observées (ephylaxamēn) de la jeunesse (neotētos) de moi |
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ephē (il déclarait) |
Deux points à noter. Tout dabord, nous avons un verbe à limparfait, ce qui signifie une action continue et non terminée. Le récit suggère donc quà mesure que Jésus énumère les commandements, pour chacun deux lhomme lui signifie quil lobserve depuis toujours. Ensuite, le fait même que Jésus aie besoin dénumérer des commandements laisse entendre quil ne connaît vraiment pas cet homme.
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ephylaxamēn (j'ai observé) |
Cest la seule fois où on a le mot phylassō (garder quelquun, surveiller, monter la garde, défendre, protéger, garder, observer) chez Marc (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 6; Jn = 3). Voilà encore un autre indice dun vocabulaire non familier de Marc et qui nous oriente vers une source à laquelle il puise.
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Le verbe phylassō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
neotētos (jeunesse) |
Il faut dire la même chose de neotēs (jeunesse) qui est tout à fait unique dans les évangiles (Mt = 0; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0), car Luc ne fait que reprendre le texte de Marc.
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v. 21 Alors Jésus, après avoir fixé son regard sur lui, se mit à laimer et lui dit : « Une chose te manque, va, vends toutes ces choses que tu possèdes, donne les aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel, viens ici et suis-moi. »
Littéralement : Puis le Jésus, ayant fixé son regard (emblepsas) sur lui, aima (ēgapēsen) lui et dit à lui: un te manque (hysterei) : va (hypage), la quantité de choses que tu as vends (pōlēson) et donne (dos) aux pauvres (ptōchois), et tu auras un trésor (thēsauron) dans le ciel, et ici (deuro) suis-moi (akolouthei). |
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emblepsas (ayant fixé son regard) |
Le mot emblepō (regarder, fixer son regard sur) est très peu fréquent dans les évangiles (Mt = 2; Mc = 4; Lc = 2; Jn = 2). On aurait tort de penser que cest un mot propre à Marc en voyant quil est celui qui lutilise le plus. Tout dabord, deux des quatre emplois se situent dans notre récit. Les deux autres emplois, où il ne sagit plus dun geste de Jésus, proviennent du récit de la guérison de laveugle de Bethsaïde qui se met à voir distinctement (emblepō, 8, 25), et quon considère comme provenant dune source ancienne (voir Meier), et du récit de la passion alors quune des servantes du grand prêtre dévisage (emblepō, 14, 67) Pierre qui essaie de demeurer incognito; dans ce dernier cas, Marc emprunte probablement à une source antérieure et rien ne laisse paraître un travail éditorial. Chez Matthieu, on peut faire une observation semblable : à part ce passage quil emprunte à notre récit (Mt 19, 26), la seule autre référence à emblepō provient à ce qui est convenu dappeler la source Q (Mt 6, 26). Seuls Luc et Jean donnent limpression de puiser à leur propre vocabulaire, les mots se retrouvant dans des passages qui montrent un travail éditorial (Lc 20,17; 22, 61; Jn 1, 36.42). Peu importe lorigine du mot dans notre récit, sa signification ne laisse pas de doute : le fait de fixer lhomme du regard entend exprimer une forme de choix ou délection, comme dans le cas dun disciple.
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ēgapēsen (il aima) |
De tous les évangélistes, Marc est celui qui parle le moins damour, soit à travers le mot agapaō (Mt = 8; Mc = 5; Lc = 13; Jn = 37), soit à travers le mot phileō (Mt = 5; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 13). Il faut même ajouter : notre passage est le seul dans tous les évangiles synoptiques où on mentionne que Jésus aime (voir Glossaire). Les quatre autres références à lamour chez Marc concerne lamour de Dieu et de son prochain (12, 30-33). Encore une fois, nous navons pas ici un vocabulaire particulier de Marc, et il faut encore reconnaître quil puise probablement à une source. Ce que cette source dit : Jésus sest pris daffection pour lhomme anonyme et veut quil devienne son disciple.
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hysterei (il manque) |
Le mot hystereō est très rare (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 1) et napparaît que dans ce seul passage chez Marc, auquel fait écho Matthieu. À part de noter quil ne provient pas du vocabulaire habituel de Marc, peut-on dire autre chose? Plus tôt, Jésus a présenté les éléments dune éthique universelle qui ouvre la porte au royaume de Dieu. Soudainement, nous avons la surprise dentendre que cette éthique universelle nest pas complète. Quest-ce à dire? Pour linstant, on peut seulement dire que ce manque concerne uniquement cet individu. Car la phrase « une chose te manque » ne vient quaprès Jésus eut fixé son regard sur lui et laie aimé.
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Textes avec le verbe hystereō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hypage (va) |
Le verbe est ici à limpératif et se retrouve ainsi huit fois sous la plume de Marc. À chaque fois, il apparaît dans la bouche de Jésus et, à lexception dun reproche à Pierre, il fait toujours suite à un geste de guérison, alors que Jésus invite son interlocuteur à donner suite à ce quil vient de vivre.
Ainsi, linterpellation de Jésus vise à donner suite au fait quil la choisi et aimé. Ce choix coûte quelque chose, car lhomme doit modifier sa vie pour vivre en conséquence. |
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pōlēson (vends) |
De nouveau, voilà un mot que Marc emploie rarement (Mt = 6; Mc = 3; Lc = 6; Jn = 2). La seule autre utilisation se situe dans la scène des vendeurs du temple (11, 15). Et cest le seul exemple dans tout le Nouveau Testament où le verbe est à limpératif dans la bouche de Jésus : vends (Lc 18, 22 et Mt 19, 21 ne font que reprendre Marc), à lexception de Luc de 12, 33 (Vendez vos biens, et donnez-les en aumône. Faites-vous des bourses qui ne susent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où ni voleur napproche ni mite ne détruit) où on trouve un thème cher à Luc. Nous navons pas ici une catéchèse typique de Marc.
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dos (donne) |
Le verbe didōmi à limpératif est très rare chez Marc (Mt = 10; Mc = 3; Lc =11; Jn = 5). Et il y a deux seuls cas où il sort de la bouche de Jésus, ici, et dans la scène de la multiplication des pains (6, 37 : Il leur (disciples) répondit: "Donnez-leur (didōmi) vous-mêmes à manger." ). Lidée de donner aux pauvres est plutôt un thème de Luc (Lc 6, 30 : A quiconque te demande, donne (didōmi), et à qui tenlève ton bien ne le réclame pas; Lc 6, 38 : Donnez (didōmi), et lon vous donnera; cest une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, quon versera dans votre sein; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour; Lc 11, 41 : Donnez (didōmi) plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous; Lc 12, 33 : "Vendez vos biens, et donnez-les (didōmi) en aumône. Faites-vous des bourses qui ne susent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où ni voleur napproche ni mite ne détruit).
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ptōchois (pauvres) |
Même si Marc emploie cinq fois le mot ptōchos (mendient, pauvre) (Mt = 5; Mc = 5; Lc =10; Jn = 4), ce nest jamais pour inviter ses disciples à soccuper des pauvres (Mc 12, 42-43 : Jésus valorise simplement le geste dune pauvre veuve; Mc 14, 5-7 : des gens sindignent du parfum répandu sur Jésus dont largent aurait pu être donné aux pauvres, mais Jésus répond quil y aura toujours des pauvres, et que lui ne sera pas toujours là). Quand à notre scène, Jésus ninvite pas explicitement à soccuper des pauvres, mais demande à lhomme de se libérer de ses possessions afin de le suivre.
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Textes avec l'adjectif ptōchos dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
thēsauron (trésor) |
Le mot thēsauron (Mt = 9; Mc = 1; Lc =4; Jn = 0) (trésor, coffret, objet précieux, de valeur, somme dargent) napparaît quici.
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Le nom thēsauros dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
deuro (ici) |
Il faut dire la même chose de deuro (Mt = 1; Mc = 1; Lc =1; Jn = 1) (ici, jusquà maintenant); Matthieu et Luc ne font que reprendre lexpression du récit de Marc.
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akolouthei (suis) |
Seul le verbe akoloutheō (Mt = 25; Mc = 18; Lc =17; Jn = 19) (suivre quelquun, être disciple) apparaît régulièrement dans son évangile. Ici, le verbe est à limpératif, et dans tous les évangiles, lorsque ce verbe est à limpératif et a Jésus comme complément dobjet direct, il désigne toujours un appel à devenir disciples (Mt = 4; Mc = 3; Lc =4; Jn = 4) :
Jai tenu à présenter cette longue liste de quinze références où Jésus donne quasiment lordre de le suivre. Ce ton autoritaire est présent dans toute la tradition évangélique, que ce soit la tradition issue de Marc (2, 14 || Mt 9, 9 || Lc 5, 27; 8, 34 || Mt 16, 24 || Lc 9, 23; 10, 21 || Mt 19, 21 || Lc 18, 22), soit celle issue de la source Q (Mt 8, 22 || Lc 9, 60), et soit celle issue de la tradition johannique (1, 43; 21, 19.22). Ce large consensus nous donne fort probablement un écho du Jésus historique et accentue le côté urgent et pressant de la mission quil propose. Il se dégage de tout cela une image de force qui nous éloigne de limage mièvre de la figure de Jésus que propose une certaine iconographie chrétienne. On pourrait, en terminant, poser la question : pourquoi lhomme doit-il se dépouiller pour être disciple de Jésus? Notre récit ne donne pas dexplication. Il ne dit pas que les richesses sont mauvaises en soi? Un indice nous est donné par le fait quêtre disciple consiste à marcher à sa suite, à se déplacer sans cesse, et donc à voyager léger (Mc 6, 8-9 : il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route quun bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture... pas deux tuniques). Un autre indice nous est donné par la parabole de la semence en terre (Mc 4, 19 : les soucis du monde, la séduction de la richesse et les autres convoitises les pénètrent et étouffent la Parole, qui demeure sans fruit) : lattachement à Jésus doit être sans partage et entier. |
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v. 22 Mais ce dernier, devenu triste à ces mots, séloigna tout malheureux. Car il possédait beaucoup de biens.
Littéralement : Puis celui-ci étant devenu triste (stygnasas) sur la parole (epi tō logō), il séloigna étant chagriné (lypoumenos). Car il était ayant beaucoup de possessions (ktēmata) |
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stygnasas (étant devenu triste) |
Le verbe stygnazō (être triste, devenir triste) est extrêmement rare dans toute la Bible (Mt = 1; Mc = 1; Lc =0; Jn = 0). Dans le Nouveau Testament, la seule autre présence est chez Matthieu (13, 3 : et à laurore: Mauvais temps aujourdhui, car le ciel devient rouge en sassombrissant (stygnazō). Ainsi, le visage du ciel vous savez linterpréter, et pour les signes des temps vous nen êtes pas capables! ). Dans la version grecque de lAncien Testament, on ne le trouve que chez Ézéchiel à loccasion de trois complaintes de Yahvé, dabord sur Tyr, un peuple de marins, puis sur lÉgypte :
Si les passages dÉzéchiel sont indicatifs du sens de ce verbe, on ne peut parler dune douce tristesse, car le verbe se rapproche plus de laffliction et du gémissement. Nous sommes plus près du bouleversement et de la stupeur. Quoi quil en soit, ce vocabulaire nest pas marcien et pointe vers une tradition dont il hérite. |
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epi tō logō (sur la parole) |
Cest la même chose pour lexpression (epi tō logō), littéralement : sur la parole (Mt = 0; Mc = 1; Lc =0; Jn = 0; Actes = 1), seul exemple de Marc ici, et qui nest utilisé ailleurs que par Luc (Lc 1, 29; Actes 20, 38). Quelques versets plus loin, on aura la même expression, mais au pluriel cette fois (epi tois logois) : sur les paroles (Mt = 0; Mc = 1; Lc =1; Jn = 0; Actes = 0) que seul Luc (4, 22) connaît par ailleurs.
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lypoumenos (étant chagriné) |
Le verbe lypeō (chagriner, affliger, attrister, être attristé, être triste), utilisé ici au participe présent passif (littéralement : étant affligé), est un autre mot très rare (Mt = 6; Mc = 2; Lc =0; Jn = 1) chez Marc; la seule autre présence se trouve au dernier repas quand les disciples entendent Jésus que lun deux les trahira (Marc 14, 19 : Ils devinrent tout tristes (lypeō) et se mirent à lui dire lun après lautre: "Serait-ce moi?" ). On peut facilement imaginer quil faisait partie du récit originel que Marc a repris tel quel. Ce quil faut en retenir : le fait de ne pas pouvoir suivre Jésus lafflige au plus haut point et devient pour lui une catastrophe.
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ktēmata (possessions) |
Le mot ktēma (possession, avoir) apparaît seulement ici dans les évangiles (Mt = 1; Mc = 1; Lc =0; Jn = 0; Actes = 2), Matthieu se contentant de reprendre le récit de Marc. Seul Luc, dans les Actes des apôtres, lutilise pour raconter que les premiers chrétiens vendaient leurs possessions (2, 45) et raconter lhistoire dAnanie et Saphire qui vendirent leur propriété (5, 1), mais en détournèrent une partie du prix. Si on se fie à Luc, on peut imaginer que nous sommes devant un vocabulaire connu des premières communautés chrétiennes.
Avec ce verset se termine le récit de lhomme riche qui veut suivre Jésus, puisque par la suite samorce un dialogue de Jésus avec ses disciples sur les richesses. Après avoir examiné le vocabulaire de ce récit, on peut conclure avec un haut degré de probabilité que Marc na pas inventé de toute pièce ce récit, mais quil la reçu dune tradition, et cela pour plusieurs raisons : 1) nous sommes devant des mots qui ne font pas partie de son vocabulaire familier; 2) le récit nappartient pas, en lui-même, à ses grands thèmes catéchétiques, comme la souffrance ou le secret messianique. Sur le plan historique, il est vraisemblable que Jésus aie essuyé des refus dans ses appels à le suivre. Dans le récit, on perçoit une grande tension entre le début où un homme exprime un désir si grand de la vie éternelle offerte par Dieu (il court vers Jésus, il sagenouille), et la fin où il est affligé et assomé dêtre incapable daller jusquau bout. |
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v. 23 Et se retournant pour jeter un regard sur ces disciples, Jésus leur dit: « Comme il sera difficile pour ceux qui possèdent des biens dentrer dans le domaine de Dieu. »
Littéralement : Et regardant tout autour (periblepsamenos) le Jésus dit aux disciples de lui : combien difficilement (dyskolōs) ceux des possessions (chrēmata) ayant dans le royaume de Dieu (tēn basileian tou theou) ils entreront (eiseleusontai) |
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periblepsamenos (regardant tout autour) |
Latmosphère change puisque nous tombons dans un dialogue entre Jésus avec ses disciples. Et le premier verbe de ce nouveau récit, periblepō (regarder à la ronde, considérer), formé de deux mots, peri (autour, comme dans périphérique), blepō (regarder) est un mot tout à fait marcien (Mt = 0; Mc = 5; Lc =1; Jn = 1), car il le seul à lutiliser, Luc (6, 10) se contentant de reprendre lun de ses récits. Laction de promener un regard autour de soi entend exprimer lattention portée à chaque personne avant une parole importante (voir 3, 5 où Jésus promène son regard sur les scribes et les Pharisiens, navrés de lendurcissement de leur coeur, et 3, 34 où Jésus promène son regard tout autour de lui sur son auditoire pour dire qui sont vraiment sa mère et ses frères), ou encore, lorsquil sagit de choses, elle entend exprimer une attention aux détails (voir 9, 8 où Pierre, Jacques et Jean scrute le paysage pour essayer de retrouver Moïse et Élie à la fin de la scène de la transfiguration de Jésus, et 11, 11 où Jésus examine le temple pour revenir le lendemain pour culbuter les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes). Il faut donc sattendre ici à une parole importante.
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dyskolōs (difficilement) |
Avec le mot dyskolōs (difficile, malaisé), on revient à un mot rare (Mt = 1; Mc = 1; Lc =1; Jn = 0) qui ne se trouve que chez Marc dans toute la Bible, Matthieu et Luc se contentant de reprendre le récit de Marc. On peut imaginer quil faisait partie du récit originel.
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chrēmata (possessions) |
Il en est de même de chrēma (biens, avoir, richesse, argent) qui, à part ce passage repris par Luc, napparaît que dans les Actes des apôtres (Mt = 0; Mc = 1; Lc =1; Jn = 0; Actes = 4). Cette phrase devait constituer la conclusion du récit originel.
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eis tēn basileian tou theou eiseleusontai (dans le royaume de Dieu ils entreront) |
Bien sûr, le verbe eiserchomai (entrer, pénétrer) est un mot très fréquent (Mt = 33; Mc = 30; Lc =50; Jn = 15). Chez Marc, Jésus entre à la synagogue, à la maison, au temple, dans une ville. Mais la question quil faut poser est celle-ci : lexpression « entrer dans le royaume de Dieu » est-elle présente ailleurs dans lévangile de Marc? La réponse est : oui. Il y a dabord lensemble des paroles de Jésus autour du scandale : il vaut mieux entrer manchot ou estropié ou borgne dans le royaume de Dieu ou dans la vie, quavec tous ses membres intacts (voir 9, 43.45.47). Puis, il y a ce passage où Jésus avertit son auditoire que quiconque naccueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, ny entrera pas (10, 15). Ce dernier verset joue un peu le rôle dintroduction à notre récit. Aussi, il faut admettre que nous avons ici une expression marcienne.
Dans ce verset, nous avons donc un mélange de mots familiers à Marc et de mots rares qui semblent provenir du récit originel. Il faut donc admettre que Marc a légèrement modifié la conclusion du récit originel pour y mettre une touche personnelle qui permet une intégration à lensemble de son évangile. |
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v. 24 Alors, en entendant ces paroles, les disciples étaient abasourdis. Mais Jésus prit la parole de nouveau pour leur dire : « Mes enfants, comme cest difficile dentrer dans le domaine de Dieu.
Littéralement : Puis les disciples étaient abasourdis (ethambounto) sur les paroles de lui. Puis le Jésus de nouveau ayant répondu dit à eux : enfants (tekna), comme il est difficile dans le royaume de Dieu dentrer. |
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ethambounto (ils étaient abasourdis) |
Le verbe thambeō (frapper deffroi, être saisi de crainte, être étonné), même sil est peu fréquent, apparaît tout à fait marcien (Mt = 0; Mc = 3; Lc =0; Jn = 0). On le rencontre dabord dans la scène où Jésus guérit un homme avec un esprit impur le jour du sabbat à la synagogue de Capharnaüm et où les gens étaient tous stupéfiés (thambeō), de sorte quils se demandaient entre eux: "Quest cela? Un enseignement nouveau, donné dautorité! Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent!" (1, 27). Marc lutilise également au moment où les disciples montent à Jérusalem derrière Jésus, et quils sont stupéfiés (thambeō) et effrayés, alors que Jésus est sur le point dannoncer ce qui lattend (10, 32). Le verbe traduit donc le fait que les disciples sont décontenancés, déstabilisés, et même effrayés devant la vision de la vie que Jésus leur présente.
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tekna (enfants) |
Ce verset reprend essentiellement ce que Jésus a déjà dit et que notre analyse a révélé comme contenant un mélange de mots marciens et de mots provenant sans doute de la source quil utilise. Le seul élément nouveau est le mot teknon (enfant, fils ou fille), ici au vocatif pluriel, donc littéralement « enfants! », que nous avons rendu par « mes enfants » pour tenir compte de linterpellation. Le mot teknon est très fréquent (Mt = 14; Mc = 9; Lc =14; Jn = 0). Les enfants sont présents dans les évangiles, en particulier chez Marc. Mais ce que nous voulons savoir, est-ce que Marc nous présente ailleurs une interpellation de quelquun, en particulier un adulte, avec le mot « enfant »? Oui, cest ce que nous avons dans cette scène à Capharnaüm où on amène à Jésus un paralytique en passant par le toit, et à qui Jésus dit : « Mon enfant (teknon), tes péchés sont remis » (2, 5). Bref, il faut conclure que le mot fait partie du vocabulaire habituel de Marc. Il véhicule probablement un sentiment de tendresse et daffection, comme un maître vis-à-vis-de ses disciples.
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Textes avec le nom teknon dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou dune aiguille quà un riche dentrer dans le domaine de Dieu. »
Littéralement : Plus facile (eukopōteron) est un chameau (kamēlon) le trou dune aiguille ([tēs] trymalias [tēs] rhaphidos) passer à travers (dielthein) quun riche (plousion) dans le royaume de Dieu dentrer. |
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eukopōteron (plus facile) |
Ladjectif eukopos (facile à faire), est toujours utilisé comme comparatif (plus facile que) dans les évangiles (Mt = 2; Mc = 2; Lc =3; Jn = 0). Cest Marc qui semble lintroduire dans les évangiles, ici dans le notre récit et plus tôt dans la scène de guérison dun paralytique (Quel est le plus facile, de dire au paralytique: Tes péchés sont remis, ou de dire: Lève-toi, prends ton grabat et marche? , 2, 9) que reprennent Matthieu et Luc. Seul Luc a recours à cet adjectif comparatif dans un autre contexte : Il est plus facile que le ciel et la terre passent que ne tombe un seul menu trait de la Loi, 16, 17).
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kamēlon (chameau) |
On rencontre peu fréquemment kamēlos dans les évangiles (Mt = 3; Mc = 2; Lc =1; Jn = 0). Marc la introduit avec la mention de lhabillement de Jean Baptiste, fait de peau de chameau (1, 6), avant dy faire référence comme moyen de transport dans limage de notre scène. Matthieu reprendra ces deux références (3, 4; 19, 24) et y ajoutera une troisième dans linvective de Jésus adressée aux scribes et aux Pharisiens (Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau, 23, 24). Quant à Luc, il reprend seulement la scène de Marc sur lhomme riche (18, 25).
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[tēs] trymalias [tēs] rhaphidos (le trou dune aiguille) |
Les mots trymalia (trou, chas, crevasse de rocher) (Mt = 0; Mc = 1; Lc =0; Jn = 0) et rhaphis (aiguille, pic, éperon) (Mt = 1; Mc = 1; Lc =0; Jn = 0) sont uniques au récit de Marc, seul Matthieu reprenant le rhaphis de Marc dans la scène parallèle. On a longuement débattu le sens à donner à cette image difficile. Certains ont proposé lidée que laiguille était une petite porte arrière donnant accès à la ville de Jérusalem, et donc obligeait le chameau à être déchargé de sa charge avant de franchir la porte, mais une telle porte na jamais pu être confirmée. Dautres se sont tournés vers laiguille dun éperon rocheux, et donc exprimaient la difficulté pour un chameau de sinsérer dans ce trou creusé dans le roc. Tous ces efforts visent à corriger labsurdité de limage. Mais sachant que le chameau était considéré comme le plus gros animal, et le trou dune aiguille comme la plus petite chose, ne vaut-il pas mieux accepter limage telle quelle et dy voir une façon tout à fait orientale de caricaturer la réalité et daffirmer avec un brin dexagération la quasi impossibilité dune chose?
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dielthein (passer à travers) |
Dierchomai (aller à travers, traverser, passer au milieu, parcourir), même sil est très fréquent chez Luc (Mt = 2; Mc = 2; Lc = 10; Jn = 2 Actes = 20), est très peu utilisé chez les autres évangélistes. Les deux utilisations de Matthieu, par exemple, proviennent de Marc, dans le parallèle à notre récit, et de la source Q lorsquil parle de lesprit qui parcourt les lieux arides en quête de repos (12, 43). Quest-ce à dire? Nous navons pas ici le vocabulaire familier de Marc, et donc on peut assumer que lensemble de cette image vient dune source ancienne.
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plousion (riche) |
Seul Luc utilise fréquemment le mot plousios (Mt = 2; Mc = 2; Lc =11; Jn = 0). Comme nous lavons fait remarquer, Marc ne fait pas de la question de la richesse un thème de son évangile : le seul autre emploi apparaît lorsque Jésus est au temple et observent les riches mettre de largent dans le trésor du temple. Par contre, nous avons fait remarquer que lexpression « entrer dans le domaine/royaume de Dieu » peut provenir de la plume de Marc.
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Textes avec l'adjectif plousios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 26 Ceux-ci étaient extrêmement éberlués se disant les uns aux autres : « Mais qui peut être sauvé? »
Littéralement : Puis ceux-ci abondamment (perissōs) étaient étonnés (exeplēssonto) disant les uns vers les autres : et qui est capable dêtre sauvé (sōthēnai)? |
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perissōs exeplēssonto (abondamment ils étaient étonnés) |
Les mots perissōs (avec excès, abondamment, violemment) (Mt = 1; Mc = 2; Lc = 0; Jn = 0) et ekplēssō (être frappé, être étonné) (Mt = 4; Mc = 5; Lc = 3; Jn = 0), même sils sont peu fréquents, semblent bien appartenir au vocabulaire de Marc. À part notre récit, perissōs apparaît plus loin au procès de Jésus devant Pilate quand la foule crie avec plus de violence (perissōs) de le crucifier, une scène reprise par Matthieu 27, 23. On peut faire la même observation pour ekplēssō quemploie Marc dans différentes scènes:
On aura remarqué que toutes les références à ekplēssō dans les évangiles en dehors de Marc peuvent se rattacher à lun ou lautre passage de Marc, à lexception dun passage du récit de lenfance chez Luc quand les parents de Jésus sont bouleversés en retrouvant leur enfant de douze ans au temple. Nous sommes bien dans le monde de Marc. |
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sōthēnai (être sauvé) |
Le verbe sōzō est très répandu dans les évangiles (Mt = 15; Mc = 15; Lc = 17; Jn = 6). Il reprend le mot hébreu yasha‛ qui signifie : sauver, délivrer, secourir. Quand on regarde les quinze utilisations du verbe chez Marc, on peut les regrouper en deux grandes catégories :
À peu près toutes les scènes de Marc ont été reprises soit par Matthieu (Mt 9, 21; 14, 36; 24, 22; 27, 40.41) soit par Luc (Lc 6, 9; 18, 42), soit par les deux à la fois (Mt 9, 22 || Lc 8, 48; Mt 16, 25 || Lc 9, 24; Mt 19, 25 || Lc 18, 26; Mt 10, 22 || Mt 24, 13). Le mot sōzō précède la rédaction des évangiles. Chez Jean, nous passons à un autre registre, car la vie par delà la mort est déjà commencée. Car la foi est lacceptation de la parole de Jésus (5, 34), et par là lacceptation de linitiative de Dieu, et permet déchapper à la condamnation (3, 17; 12, 47) dans cet immense procès entre Dieu et le monde. La foi donne accès dès maintenant à la vie sans fin (10, 9). La question des disciples exprime une grande surprise dans le contexte du Judaïsme où la richesse est vue comme un signe de la bénédiction de Dieu. Cest un renversement de la vision des choses. Il y a de quoi déstabiliser les disciples. Marc nous donne peu dindice sur le problème des richesses, sinon quils peuvent devenir une prison empêchant de suivre Jésus sur un chemin où il faut marcher léger. |
Le verbe sōzō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 27 Après avoir fixé son regard sur eux, Jésus dit : « Pour les hommes, cest impossible, mais pas pour Dieu. Car pour Dieu tout est possible. »
Littéralement : Ayant fixé son regard (emblepsas) sur eux, le Jésus dit: de la part des hommes impossible (adynaton), mais non pas de la part de Dieu. Car toutes choses sont possibles (dynata) de la part de Dieu. |
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emblepsas (ayant fixé son regard) |
Nous avons déjà analysé plus haut cette expression pour conclure quelle nest pas typique de Marc. Jésus a fixé auparavant son regard sur lhomme pour linviter à le suivre, mais il fixe maintenant son regard sur ses disciples. Nous sommes devant une parole importante.
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adynaton... dynata (impossible... possibles) |
Cest le seul cas du mot adynatos (impotent, faible, impossible) dans les évangiles (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0), Matthieu et Luc se contentant de reprendre le mot dans leur scène parallèle. Quant à dynatos (puissant, capable, possible), il est à peine plus fréquent (Mt = 3; Mc = 4; Lc = 4; Jn = 0). Chez Marc, à part notre scène, il se retrouve dans le discours apocalyptique (13, 22), que Marc a probablement reçu de la tradition, et à Gethsémani (14, 35.36) où, selon Raymond E. Brown, Marc a mis sur les lèvres de Jésus une formule connue de prière chrétienne hellénistique. Bref, toute cette phrase ne semble pas une création de Marc. Toutes les références de Matthieu (19, 26; 24, 24; 26, 39) à ce mot sont un emprunt à Marc. Quant à Luc, à part son parallèle à notre scène (18, 27), il apparaît dans des passages qui lui sont propres (1, 49; 14, 31; 24, 19).
On chercherait en vain chez Marc un développement sur les conditions pour entrer dans le royaume de Dieu. Les passages qui y font un peu référence concernent la nécessité daccueillir le royaume de Dieu en petit enfant (10, 15), i.e. ce royaume est un don de Dieu quon accueille quen sabandonnant à ce don.
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v. 28 Pierre se mit à lui dire: « Voici, nous, nous avons tout laissé pour te suivre ».
Littéralement : Commença à (Ērxato) dire le Pierre à lui: voici (idou) nous-mêmes avons laissé (aphēkamen) toutes choses et avons suivi (ēkolouthēkamen) toi. |
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Ērxato (il commença) |
Avec archō (commander, commencer, se mettre à), nous tombons ici dans le vocabulaire fréquemment utilisé par Marc (Mt = 13; Mc = 27; Lc = 31; Jn = 2). Le verbe est utilisé à limparfait, signifiant un dialogue qui se poursuit dans le temps.
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Verbe archō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
idou (voici) |
Marc nutilise pas lexpression autant que les autres (Mt = 62; Mc = 7; Lc = 57; Jn = 4), mais il semble bien faire partie de son vocabulaire.
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L'expression idou dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
aphēkamen panta kai ēkolouthēkamen soi (nous avons laissé toutes choses et avons suivi toi) |
Les deux termes, aphiēmi (faire sortir, renvoyer, congédier, laisser de côté, négliger, omettre, remettre, laisser, quitter, abandonner) (Mt = 48; Mc = 34; Lc = 36; Jn = 15) et akoloutheō (suivre, être disciple) (Mt = 25; Mc = 18; Lc = 17; Jn = 19) relèvent du vocabulaire familier de Marc.
Il est facile de remarquer que la question de Pierre nappartient plus au récit originel. Car, à ce que lon sache, les disciples nappartiennent pas au groupe des riches et nont rien vendu pour se joindre à Jésus. En notant ici son vocabulaire habituel, nous pouvons affirmer que nous sommes devant un travail rédactionnel où Marc rattache au récit de lhomme riche un thème semblable, celui du disciple qui doit quitter son monde pour suivre Jésus. Et comme il le fait un certain nombre de fois, Marc fait jouer à Pierre le rôle de représentant de lensemble des disciples (cest Pierre qui exprime la foi des disciples en Jésus, et en même temps soppose au nom de tous à son destin de souffrance, 8, 29-32; cest lui qui au nom de Jacques et Jean propose de construire trois tentes pour rester sur les lieux de la transfiguration, 9, 5; cest lui qui sengage à ne jamais abandonner Jésus au nom des autres disciples, 14, 29; en même temps, Jésus sadresse à Pierre comme représentant des disciples quand il lui reproche de refuser son destin tragique, 8, 33; à Gethsémani, cest en sadressant à lui que Jésus reproche aux disciples de dormir, 14, 37). |
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v. 29 Jésus déclarait: « Vraiment, je vous lassure, personne naura laissé maison ou frères ou soeurs ou mère ou père ou enfants ou champs à cause de moi et à cause de lÉvangile,
Littéralement : Déclarait le Jésus: amen je dis à vous (amēn legō hymin), personne est qui aura laissé maison (oikian) ou frères (adelphous) ou soeurs (adelphas) ou mère (mētera) ou père (patera) ou enfants (tekna) ou champs (agrous) à cause (heneken) de moi et à cause de lÉvangile (euangeliou), |
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amēn legō hymin (amen je dis à vous) |
Le mot amēn est la translittération du mot hébreu : ʾāmēn, qui signifie : cest solide, cest vrai. On le retrouve fréquemment dans la bouche de Jésus dans lensemble des évangiles (Mt = 31; Mc = 13; Lc = 5; Jn = 50). Le mot donne une certaine solennité à ce qui est affirmé. Lexpression amēn legō hymin (littéralement, amen je vous le dis, que nous avons traduit par : vraiment, je vous lassure) apparaît huit fois sous la plume de Marc.
Jésus semble sadresser avant tout à ses disciples, ou à ceux qui laccueillent dans la foi, pour leur faire découvrir une dimension de la vie qui nest pas évidente : il ne peut y avoir de signe pour qui ne croit pas, le royaume est tout près et certains y auront bientôt accès, toute action pour suivre Jésus aura sa récompense, le royaume saccueille à la manière dun petit enfant, le don ne sévalue pas seulement au montant dargent, quelquun proche de Jésus le trahira. |
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oikian adelphous adelphas mētera patera tekna agrous (maison frères soeurs mère père enfants champs) |
Nous nageons dans le vocabulaire marcien :
Bien sûr, les termes maison, frère, soeur, mère, père, enfant, champ font partie du vocabulaire habituel de tous. |
Textes sur les noms oikia et oikos chez Marc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
heneken (à cause de) |
On remarquera que lexpression heneken (à cause de), à lexception de deux versets des Béatitudes de Matthieu (5, 10-11), est unique à Marc, puisque dans leurs passages parallèles Matthieu et Luc ne font que reprendre Marc.
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euangeliou (Évangile) |
Enfin, le mot eu (bonne) angelion (nouvelle) ou évangile est loeuvre de Marc. Son ouvrage commence par la phrase : « Commencement de lÉvangile de Jésus Christ, Fils de Dieu » 1, 1). Lévangile devient une réalité en soi, au même titre que la personne de Jésus, si bien quil peut parler de manière équivalente de donner sa vie pour Jésus ou pour lÉvangile. Ailleurs, dans les récits évangéliques, seul Matthieu utilise le mot euangelion, mais non pas comme une réalité en soi, mais simplement comme un qualificatif du royaume (bonne nouvelle du royaume, 4, 23; 9, 35; 24, 14); son seul emploi du mot comme réalité en soi est une reprise de Marc (Mt 26, 13).
Quoi quil en soit du vocabulaire, Marc entend nommer tout ce qui appartient à la réalité dune personne, son champ et sa maison, ainsi que sa famille. Abandonner cela signifie : tout abandonner. |
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v. 30 quil ne reçoive cent fois plus dès maintenant comme maisons, frères et soeurs, mères et enfants, et champs, avec des persécutions, et pour la période à venir, une vie sans fin ».
Littéralement : quil ne reçoive (labē) des choses multipliées par cent (hekatontaplasiona) maintenant en ce temps-ci (nyn en tō kairō) maisons et frères et soeurs et mères et enfants et champs avec des persécutions (diōgmōn), et dans lépoque à venir (en tō aiōni tō erchomenō) une vie sans fin (zōēn aiōnion). |
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labē (quil ne reçoive) |
Le mot lambanō (prendre, recevoir, accueillir) est très répandu dans les quatre évangiles (Mt = 53; Mc = 20; Lc = 21; Jn = 46).
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Textes sur le verbe lambanō chez Marc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hekatontaplasiona (des choses multipliées par cent) |
Par contre, hekatontaplasiōn (multiplié par cent, centuple) napparaît quici, repris par Matthieu (19, 29) dans le passage parallèle, et chez Luc (8, 8) où il reprend un passage parallèle de Marc sur la semence en terre, mais préfère hekatontaplasiōn au hekaton de Marc (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0).
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nyn en tō kairō (maintenant en ce temps-ci) |
Enfin, lexpression nyn en tō kairō (littéralement : maintenant en ce temps) est unique, même si les mots individuels nyn (maintenant, à présent, désormais) est plus fréquent (Mt = 4; Mc = 3; Lc = 13; Jn = 28) ainsi que kairos (temps, instant, moment, époque) (Mt = 4; Mc = 5; Lc = 13; Jn = 3). Chez Marc kairos fait référence à deux types de temps : 1) celui qua voulu Dieu avec la création et qui est sur le point de se terminer avec lapproche du règne de Dieu, et laisser la place à une nouvelle époque (Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche, 1, 15; veillez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment/temps (la venue du fils de lhomme), 13, 33); 2) celui des saisons de la nature (car ce nétait pas la saison des figues, 11, 13; il envoya un serviteur aux vignerons, le moment venu, 12, 2). Le mot nyn (maintenant) a également deux significations : 1) lépoque actuelle qui a commencé avec la création (Car en ces jours-là il y aura une tribulation telle quil ny en a pas eu de pareille depuis le commencement de la création qua créée Dieu jusquà maintenant, 13, 19); 2) « tout de suite » (Que le Christ, le Roi dIsraël, descende maintenant de la croix, 15, 32).
Que conclure? La promesse dune récompense débordante avec des expressions comme « centuple » et « temps présent » ne mapparaît pas relever du vocabulaire familier de Marc et pourrait venir dune source ancienne. Bien sûr, il est impossible de reconstituer les paroles historiques de Jésus, mais cette promesse semble cohérente avec ce quon peut deviner de celui qui a annoncé la venue prochaine du règne de Dieu, pour qui le temps présent était unique et qui a invité des gens à le suivre, avec la promesse quils accéderont à un monde nouveau. |
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diōgmōn (persécutions) |
Voilà une insertion de Marc. Comment peut-on dire cela? Le mot diōgmos (poursuite, persécution) est pourtant très rare (Mt = 1; Mc = 2; Lc = 0; Jn = 0), et napparaît que 7 fois ailleurs dans le Nouveau Testament (Actes 8, 1; 13, 50; 2 Thess 1, 4; Rm 8, 35; 2 Co 12, 10; 2 Tm3, 11), avant tout en référence aux persécutions qua subi Paul de Tarse. Mais nous pensons que le mot a été ajouté ici par Marc à la tradition reçue pour les raisons suivantes.
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en tō aiōni tō erchomenō (dans lépoque à venir) |
Lexpression en tō aiōni tō erchomenō est unique à Marc et ne se retrouve quici, et que reprend Luc (18, 30) dans son passage parallèle. Pourtant, le verbe erchomai (venir, arriver, aller, paraître) est très commun dans évangiles (Mt = 113; Mc = 85; Lc = 99; Jn = 156), mais cest aiōn (siècle, époque, temps, ère) qui est peu fréquent (Mt = 7; Mc = 4; Lc = 7; Jn = 10). Dune certaine façon, aiōn est synonyme de kairos. Mais laccent est différent. Kairos renvoie plus au temps que balise lhorloge et au moment présent. Aiōn renvoie à un cycle plus large : il y a les siècles passés, il y a le siècle actuel, et il y a le siècle du monde à venir. Quoi quil en soit, kairos et aiōn forment une structure symétrique, introduite par la préposition en (dans, en) dans les deux cas :
- en tō aiōni tō erchomenō (dans la période à venir) Une telle structure avec en est unique dans les évangiles et laisse croire quelle provient dune tradition plus ancienne que lévangile de Marc lui-même et ne relève pas du vocabulaire de ce dernier. |
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zōēn aiōnion (vie sans fin) |
Lexpression zōēn aiōnion est répandue dans tout le Nouveau Testament (Mt = 3; Mc = 2; Lc 3; Jn = 17; Actes = 2; Épitres pauliniennes = 9; 1 Jn = 6; Jude = 1). Chez Paul, elle est apparue dans sa lettre aux Galates : qui sème dans sa chair, récoltera de la chair la corruption; qui sème dans lesprit, récoltera de lesprit la vie éternelle (6, 8). Lexpression nest pas loeuvre des évangélistes. Elle napparaît chez Marc quici, dans ce récit de lhomme qui cherchait la route de la vie éternelle, et ne fait vraiment pas partie de son vocabulaire. Cest Jean qui en a fait un des grands thèmes de son évangile, un thème reprise par les épitres johanniques. On peut affirmer que lexpression remonte à une tradition ancienne, et peut-être même à Jésus lui-même. Pourtant, Jésus na pas créé cette expression qui semble née avec la conviction à partir du 2e siècle av. J.-C. de lexistence de la vie après la mort, et donc dune résurrection générale. Nous avons deux textes :
Il est probable que nous sommes ici devant une des convictions de Jésus quil partageait avec une partie du Judaïsme de son époque qui affirmait lexistence par delà la mort dune résurrection des morts opérée par Dieu. Mais cette résurrection suivait le jugement de Dieu sur lexistence humaine, et était offerte à ceux qui avaient suivi un chemin de justice. Voilà le cadre dans lequel il faut situer la question de lhomme qui amorce ce récit. Pour conclure cette analyse verset par verset où nous avons essayé de repérer ce que Marc a reçu dune tradition antérieure et ce quil a ajouté à cette tradition, essayons de dégager le contenu de cette tradition qui pourrait ressembler à ceci : Quelquun, après être accouru vers lui et sêtre mis à genoux, lui demandait : « Bon maître, que dois-je faire pour recevoir en héritage la vie sans fin ». 18 Mais Jésus lui répondit : « Pourquoi dis-tu que je suis bon? Personne nest bon, si ce nest seulement Dieu. 19 Tu connais les commandements : ne tue pas, ne commets pas dadultère, ne vole pas, ne fais de faux témoignage, ne commets pas descroquerie, traite avec honneur ton père et ta mère. » 20 Mais, lui, faisait remarquer à Jésus : « Maître, tout cela, je lai observé depuis ma jeunesse. » 21 Alors Jésus, après avoir fixé son regard sur lui, se mit à laimer et lui dit : « Une chose te manque, va, vends toutes ces choses que tu possèdes, donne les aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel, viens ici et suis-moi. » 22 Mais ce dernier, devenu triste à ces mots, séloigna tout malheureux. Car il possédait beaucoup de biens. 23 Jésus dit à ses disciples : « Comme il sera difficile pour ceux qui possèdent des biens dentrer dans le domaine de Dieu. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou dune aiguille quà un riche dentrer dans le domaine de Dieu. » Les disciples se dirent les uns aux autres : « Mais qui peut-être sauvé? » 27 Après avoir fixé son regard sur eux, Jésus dit : « Pour les hommes, cest impossible, mais pas pour Dieu. Car pour Dieu tout est possible. » Pour la suite de son récit, Marc a probablement intégré un autre récit ancien provenant du contexte de la promesse de Jésus à ceux qui lont suivi : Jésus dit à ceux qui lavaient suivi : 29 « Vraiment, je vous lassure, personne ne maura suivi sans 30 quil ne reçoive cent fois plus dès maintenant dans ce temps et, pour la période à venir, une vie sans fin ». |
L'expression zōē aiōnios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-André Gilbert, Gatineau, octobre 2015 |