Analyse biblique de Luc 7, 11-17 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.
|
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
egeneto (il arriva) |
Nous avons ici le verbe grec ginomai qui signifie :
être, devenir, naître, venir à lexistence; venir à lexistence renvoie à un événement, à quelque chose qui arrive. Cest un verbe très fréquent dans les évangiles et les Actes des Apôtres, mais Luc en est particulièrement friand : Mt = 76; Mc = 54; Lc = 132; Jn = 50; Ac = 110. Ici, le verbe est à laoriste, un temps grec qui renvoie au passé. Cest un peu léquivalent de nos introductions à un récit : « Il était une fois... ». Il ne faut pas sen surprendre, car les évangiles sont des récits. Encore ici, notons lengouement de Luc pour ginomai à laoriste, i.e. egeneto : Mt 13; Mc = 18; Lc = 45; Jn = 14; Ac = 41.
|
Textes avec le verbe ginomai dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hexēs (ensuite) |
Ladverbe hexēs signifie : à la suite, après, le jour suivant, ensuite. Il sert à
décrire une séquence dévénements se suivant les uns à la suite des autres. Dans tout le Nouveau Testament, Luc est le seul à lutiliser : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 3. Dans la Septante, cette traduction grecque de lAncien Testament, ce mot apparaît rarement. Comme on le trouve trois fois dans les Actes des Apôtres, en particulier dans ce passage en « je » où Luc semble citer ses notes de voyage (Ac 27, 18), on peut y voir un trait de la plume de Luc. Il en est de même de son frère jumeau kathexēs (avec ordre, successivement, ensuite) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 3, qui lui est totalement absent de la Septante. On a traduit par « ensuite ». Mais à la suite de quoi? Dans la scène précédente, nous étions à Capharnaüm où Jésus a guéri lesclave dun centurion.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
en tō eporeuthē (il eut fait route) |
La préposition en (dans, sur, à) suivie de larticle au datif tō (le), puis dun verbe est une construction connue dans le monde grec. Elle sert à introduire le contexte dun événement en spécifiant quelle action est en cours. La plupart du temps le verbe introduit par en tō se conjugue à linfinitif; un cas typique est Luc 2, 6 : Egeneto de en tō einai autous ekei, i.e. il arriva dans (en) le(tō) être (infinitif) eux là (Joseph et Marie), quon traduit en bon français par : Or il advint (egeneto), comme (en tō) ils étaient là (à Bethléem). Quand on regarde lensemble des évangiles et les Actes des Apôtres, on constate que la construction en tō + verbe est avant tout lapanage de Luc : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 28; Jn = 0; Ac = 3. Faisons une brève revue de son utilisation par le 3e évangile.
Sur les 28 cas de la construction en tō + verbe chez Luc, 19 fois la construction est introduite par egeneto, suivie par en tō avec un verbe à linfinitif. Bien sûr, en bon français, on ne peut pas traduire telle quelle cette construction; en tō est souvent traduit par « comme », et linfinitif par un verbe à limparfait, ou encore « quand » et un verbe au passé. Regardons de près.
Comme on le remarque bien, cette construction permet à Luc détablir le contexte dun récit. Il y a sept cas chez luc où en tō est encore suivi par un verbe à linfinitif, mais pas introduit par egeneto. Laccent semble alors moins sur la présentation du contexte dun récit, mais sur la détermination du moment dune action ou lexistence dune action, si bien que en tō pourrait se traduire par quand, au moment où, du fait que.
Enfin, deux cas se détachent des autres par labsence de verbe à linfinitif. Et cela ne se rencontre que chez Luc. Pourtant ces deux cas sont introduits par egeneto. Pourquoi ne pas avoir utilisé linfinitif comme on sy serait attendu? Il est possible que linfinitif ici soit une forme trop imprécise sur le temps dune action et naurait pas traduit lidée que laction est passée et terminée (7, 11) ou quelle se poursuit encore (8, 1), à moins que Luc soit dépendant dune source quil entend respecter.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
polin (ville) |
Le mot polis (ville, cité) est courant dans les évangiles, mais Luc surpasse tous les autres par son utilisation : Mt = 27; Mc = 8; Lc = 40; Jn = 8; Ac = 43. Cela reflète probablement son effort dactualisation du message évangélique : son auditoire est probablement très urbain, alors que le ministère de Jésus se passait dans les villages et les bourgs. Un exemple typique est Lc 8, 1 qui fait écho à Mc 6, 6 (Et il parcourait les villages à lentour, en enseignant) en écrivant : il faisait route par ville et village, prêchant; Luc a sans doute tenu à ajouter ville pour que son auditoire sidentifie mieux au récit.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kaloumenēn (appelée) |
Encore une fois, avec le verbe kaleō (appeler, nommer, inviter, convoquer, inviter) nous voilà devant une expression favorite de Luc : Mt = 24; Mc = 4; Lc = 44; Jn = 2; Ac = 18. Mais il y a plus. Il est le seul à lutiliser au participe présent passif, au sens de « appelé », pour désigner une personne ou un lieu : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 6.
|
Textes avec le verbe kaleō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Nain (Naïn) |
Cest lunique mention de ce village dans toute la Bible. Ce nom est probablement la traduction de lHébreu : nāʾîn, qui signifierait un lieu de pâturage. Ce village est situé au sud de la Galilée, à environ 7 kilomètres au sud ouest du mont Tabor, et à presque 50 kilomètres au sud de Capharnaüm (voir la carte).
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
syneporeuonto (ils marchaient avec lui) |
Le verbe symporeuomai (aller avec, marcher avec, se rassembler) est formé de deux mots, le verbe poreuō (marcher, faire route, aller, se rendre) précédé de la préposition syn (avec, en compagnie de, en même temps que, avec laide de). À part un passage de Marc (10, 1), Luc est seul à utiliser ce verbe dans tout le Nouveau Testament (7, 11; 14, 25; 24, 15) : Mt = 0; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0. De plus, le verbe poreuō lui-même est demploi fréquent chez lui : Mt = 29; Mc = 3; Lc = 52; Jn = 16; Ac = 37. Le ministère de Jésus, en particulier sa dernière partie, est présentée comme une longue marche vers Jérusalem, lieu de sa mort et de sa résurrection. Cest aussi pour lui la symbolique de la vie chrétienne, i.e. un long cheminement à sa suite. Voilà pourquoi cest en marchant quil explique en Lc 14, 25 les exigences de la vie à suite, et en Lc 24, 15 que ce fait la rencontre avec les disciples dEmmaüs linterprétation des Écritures.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mathētai (disciples) |
Le mot disciple signifie être lélève dun maître. Jean Baptiste a eu des disciples ainsi que les Pharisiens (5, 33; 7, 18). À quelques reprises, Luc laisse entendre que les disciples de Jésus désigne un groupe très large de sympathisants (6, 17; 19, 37). Mais au sein de ce bassin assez large, il sen choisit douze (6, 13) quil nomme apôtres, i.e. envoyés, et plus tard soixante-douze quil enverra prêcher deux par deux (10, 1). Bien sûr, ce groupe reçoit lenseignement de Jésus (8, 9; 9, 18.43; 10, 23; 11, 1; 12, 1.22; 16, 1; 17, 22; 20, 45). Mais ils sont appelés à le suivre physiquement, à emprunter ses moeurs et à poser les mêmes gestes que lui (5, 30; 6, 1.20.40; 7, 11; 9, 40.54; 22, 39.45). Mais par dessus tout, ils doivent être capables de certains gestes sur lesquels Jésus est très clairs : prendre ses distances face à sa famille et être prêt à renoncer à sa propre vie (14, 26), porter sa croix (14, 27), renoncer à tous ses biens (14, 33). Enfin, notons que Jésus délègue au groupe des disciples lexécution de certaines tâches : le conduire en barque (8, 22), nourrir la foule (9, 14-16), de chercher un ânon pour lentrée à Jérusalem (19, 29), de préparer la salle pour le dernier repas (22, 11) (Sur le sujet, voir Meier).
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ochlos (foule) |
Une foule (ochlos) nombreuse (polys) marchait avec Jésus nous dit Luc. Sur les 41 fois où apparaît le mot foule (Mt = 50; Mc = 38; Lc = 41; Jn = 20; Ac = 22) chez Luc, 7 fois il accole ladjectif « nombreuse ». De plus, 16 fois le mot est au pluriel : les foules. Si on pose la question : Jésus a-t-il vraiment attiré de grandes foules durant son ministère? Il faut probablement répondre : oui (voir J. P. Meier). Dune certaine façon, lévangile de Luc na rien doriginal dans le rôle quil fait jouer à la foule, sauf sur un point : il est le seul à écrire que « il y avait là une foule nombreuse de ses disciples et une grande multitude de gens qui, de toute la Judée et de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon » (6, 17); il est également le seul à écrire que « que ses disciples ainsi quune foule nombreuse marchaient avec lui » (7, 11; voir aussi 14, 25). Chez lui, la frontière entre la foule des sympathisants et ses disciples est plus nébuleuse. Premièrement, en parlant de « foule nombreuse de disciples » il désigne un groupe beaucoup plus large que les douze. Ensuite, en leur attribuant la même action que celle des disciples, i.e. marcher avec lui, il leur donne une identité semblable. Pensons à des gens de cette foule, tel un Zachée, dont la vie sera changée par Jésus. Terminons par une brève analyse de la foule chez Luc qui nous permet détablir quatre catégories.
Notons que Jean Baptiste a également attiré les foules (3, 7.10) Concluons notre analyse de ce v. 1 en disant que Luc met en place un très large auditoire formé de la foule et de ses disciples qui cheminent tous sur les traces de Jésus et sapprêtent à recevoir un enseignement. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 12 Alors quil sapprocha de la porte de la ville, voici quon portait en terre le corps mort du fils unique dune mère qui était veuve, accompagnée dune foule dassez nombreuse de la ville.
Littéralement : Puis comme il sapprocha (ēngisen) de la porte (pylē) de la ville, et voici (kai idou) quétait porté en terre (exekomizeto) ayant été mort (tethnēkōs) unique engendré (monogenēs) fils (huios) de la mère (mētri) de lui et celle-ci était veuve (chēra), et une foule de la ville assez nombreuse (hikanos) était avec (syn) elle. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ēngisen (il sapprocha) |
Avec engizō (approcher, sapprocher, être proche de), nous continuons avec le vocabulaire favori de Luc : Mt = 7; Mc = 3; Lc = 18; Jn = 0; Ac = 6). Sept fois il utilise ce verbe pour décrire laction de Jésus qui sapproche dun lieu ou de quelquun : il sapproche de Naïm (7, 12), Jéricho (18, 35), de la descente du mont des Oliviers (19, 37), Bethphagé et Béthanie (19, 29), Jérusalem (19, 41), Emmaüs (24, 28), deux disciples (24, 15). Luc semble ainsi introduire un événement important en nous donnant le contexte.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pylē (porte) |
Contrairement à ce quon pourrait penser, pylē est très peu fréquent et ne se rencontre quici dans lévangile de Luc : Mt = 4; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4). Chez Matthieu, le mot a un sens symbolique (étroite est la porte qui mène à la vie, les portes de lHadès). Chez Luc, le mot renvoie à des portes physiques : ici, la porte du village de Naïm qui devait donc avoir un mur, dans les Actes des Apôtres, il y a la Belle Porte du Temple où mendiait un impotent de naissance (3, 10), il y a les portes de la ville de Damais quon gardait pour arrêter Paul (9, 24), il y a la porte de fer de la prison de Jérusalem où se trouve Pierre (12, 10), il y a enfin la porte de la ville de Philippes en Grèce que franchissaient les chrétiens pour aller prier près de la rivière (16, 13). Dans tout le reste du Nouveau Testament, seule lépitre aux Hébreux fait référence à une porte, celle de la ville de Jérusalem, pour indiquer que Jésus fut crucifié hors de la porte (13, 12). Quelle information retenir sur la porte dune ville? Dabord, cela présuppose que la ville possède un mur; il ne peut sagir dun simple hameau. Ensuite, cest un lieu obligé de passage, et donc cest là que se tenaient les mendiants. De plus, cest en dehors de la porte quon mettait en terre les morts ou, comme à Jérusalem, avait lieu les crucifixions. Bref, la présence dune procession funéraire à la porte de la vie est tout à fait logique.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kai idou (et voici) |
Lexpression idou (voici) est très fréquente chez Luc et Matthieu : Mt = 62; Mc = 7; Lc = 57; Jn = 4; Ac = 23. Et nous avons ici la variante kai idou (et voici) quon ne trouve que chez Matthieu et Luc : Mt = 28; Mc = 0; Lc = 26; Jn = 0; Ac = 8. Cette observation appelle deux commentaires : nous sommes dans le monde du récit, et cette expression convie le lecteur à prêter attention à lévénement qui vient; ensuite, il y a une parenté dans lunivers linguistique du monde grec de Matthieu et Luc, ce qui apporte une justification à la proposition que la rédaction de leur évangile appartienne à la même époque.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
exekomizeto (quétait porté en terre) |
Il y a peu de choses à dire sur ce mot, sinon quil est unique dans toute la Bible. Le mot signifie originellement : mettre en lieu sûr. Quand nous sommes devant un mot unique, deux hypothèses sont possibles : ou bien la situation unique commande un mot unique, ou bien Luc insère des éléments dun récit quil na pas composé. Nous navons pas dinformation suffisante pour trancher.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
tethnēkōs (ayant été mort) |
Le verbe est peu fréquent : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 2. Chez Matthieu, il fait référence à la mort dHérode, chez Marc à Jésus, chez Jean à Lazare et Jésus, dans les Actes à Paul et Jésus. Mais chez Luc, il sagit de la mort ici du fils dune veuve, et au chapitre suivant à la fille du chef de synagogue. Aussi vaut-il la peine de signaler deux choses à propos de ces deux examples: dans les deux cas le verbe est au parfait pour signaler une action totalement passée, i.e. la personne est réellement morte, puis nous avons dans le premier cas un homme, et dans le deuxième cas une femme, ce qui cadre avec l'effort de Luc d'avoir un juste équilibre de scènes avec un homme et celles avec une femme.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
monogenēs (unique engendré) |
Seulement deux évangélistes emploient monogenēs (unique engendré) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 4; Ac = 0). Mais nous sommes dans deux univers différents : chez Jean ce mot ne fait que référence à la situation de Jésus, unique engendré du Père (1, 14.18; 3, 16.18), alors que chez Luc il désigne soit le fils unique dun parent (7, 12; 9, 38), soit la fille unique dun père (8, 42). De plus, dans les deux récits quil reprend de Marc (8, 42; 9, 38), cest lui qui ajoute la mention que lenfant est unique. Pourquoi? Sans doute pour accentuer lélément dramatique et par là la compassion de Jésus.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
huios (fils) |
Nous ne serons pas étonnés dapprendre la place prépondérante quoccupe un fils dans la société juive, et donc dans les évangiles : Mt = 89; Mc = 35; Lc = 77; Jn = 55; Ac = 21), en comparaison de la fille : Mt = 8; Mc = 7; Lc = 9; Jn = 1; Ac = 3). Mais ces chiffres sont un peu biaisés, par le fait même que les évangiles sont centrés sur Jésus, qui est un homme. Par exemple, sur les 77 emplois de « fils » chez Luc, 47 font référence à Jésus soit comme fils de Joseph ou Marie (5), fils de David (3), fils du Dieu très Haut (14), fils de lhomme (25). Il reste que 18 fois le mot « fils » fait référence à être biologique issu dun père chez Luc. On ne connaît pas lâge de ce fils dans notre récit, et on ne sait pas si cette veuve avait des filles, mais le contexte laisse entendre quil était son seul soutien financier.
|
Textes avec le nom huios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
mētri (mère) |
Ce qui suscite laction de Jésus est une mère. La comparaison que nous venons de faire entre fils et fille sapplique également à la comparaison entre père et mère, i.e. 293 mentions de « père » dans les évangiles-Actes, pour 75 mentions de « mère », plus spécifiquement : Mt = 26; Mc = 17; Lc = 17; Jn = 11; Ac = 4. Mais encore une fois, le fait même que Dieu soit appelé « Père » biaise la comparaison (par exemple, 75 fois chez Jean). Chez Luc, en raison de la place de Marie dans son évangile, en particulier dans le récit de lenfance, sur ses 17 emplois de « mère », 7 font référence à Marie, 5 à une mère en particulier comme ici dans notre récit, et 5 à la mère en général.
|
Textes avec le nom mētēr chez Luc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
chēra (veuve) |
Luc accorde une certaine importance aux veuves : Mt = 0; Mc = 3; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 3. Sur ses 9 emplois, 3 sont une reprises de Marc, mais 6 lui sont particuliers. Et dans ses Actes des Apôtres, il soulignera la place des veuves dans la communauté chrétienne (6, 1; 9, 39.41). Étant donné le fait que la femme navait pas de statut social dans la société juive, labsence dhomme rendait sa situation encore plus précaire sur le plan financier. Cest ainsi que les premières communautés chrétiennes subvenaient aux besoins des veuves.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hikanos (nombreux) |
Le mot hikanos signifie littéralement : suffisant, au sens de capacité ou daptitude suffisante. Cest un mot quon retrouve surtout chez Luc : Mt = 3; Mc = 3; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 18. Or, ce mot comporte plusieurs nuances différentes :
Bref, il existe une nuance entre polys, le terme habituel pour nombreux, et hikanos, qui a plus le sens dun certain nombre ou un nombre important. À Naïn, il y a une foule importante, mais pas considérable. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
syn (avec) |
Le mot syn (avec) vaut la peine dêtre mentionné simplement pour souligner que cette préposition est largement utilisée par Luc et représente un trait de son style : Mt = 4; Mc = 6; Lc = 23; Jn = 3; Ac = 51.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 13 Quand il la vit, le Seigneur fut ému aux entrailles et lui dit : « Arrête de pleurer ».
Littéralement : 13 et voyant (idōn) elle, le Seigneur (kyrios) fut ému de compassion (esplanchnisthē) à son égard et dit à elle : « Ne pleure (klaie) pas ». |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
idōn (voyant) |
Le verbe « voir » est très fréquent dans les évangiles : Mt = 76; Mc = 60; Lc = 81; Jn = 83; Ac = 72. On peut le comprendre, cest le geste le plus habituel de la vie quotidienne. Cependant, notre récit précise quil sagit de Jésus qui voit, et de là on peut sattendre à un événement particulier : regarder nest pas neutre chez Jésus. Cest le cas pour Luc. Sur les 81 utilisations du mot horaō, neuf ont Jésus pour sujet. Et quand on examine les neufs cas où Jésus est le sujet de lacte de regarder, on note quil sensuit deux choses :
Ainsi, quand lévangéliste écrit que Jésus « voit », il faut sattendre à ce quune action sensuive. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
kyrios (Seigneur) |
Le terme kyrios (seigneur, maître, propriétaire, époux) nous est bien connu, et de fait on le retrouve un peu partout dans les évangiles et les Actes : Mt = 80; Mc = 18; Lc = 104; Jn = 52; Ac = 106; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, et dune manière particulière sous la plume de Luc (210 fois). Sur le sens du mot, on se réfèrera au Glossaire. Résumons ce qui y est dit en disant quà lorigine le mot signifie simplement « maître », ce qui a dailleurs donné notre mot « monsieur », qui vient de « mon seigneur ». Ce sont les Juifs qui, dans leur traduction grecque de la Bible, ont utilisé kyrios pour rendre lhébreu ădōnāy, maître, ce mot dont on se servait pour éviter de dire : Yahvé, ce nom interdit de prononcer. Après la mort-résurrection de Jésus, les communautés chrétiennes comprendront lexaltation de Jésus à la lumière du Psaume 110 qui parle du kyrios Dieu qui invite le roi-messie kyrios à siéger à sa droite. Ainsi, Dieu Père est appelé kyrios, Jésus exalté est appelé kyrios, et même lEsprit Saint sera appelé kyrios (voir 1 Co 12,4-6).
Quand on examine attentivement lévangile de Luc, on note que kyrios reçoit une multitude de significations : de ladjectif (6, 5 : Le Fils de lhomme est maître (kyrios) du sabbat) au vocable pour désigner Dieu lui-même (37 fois; par exemple 1, 16 : et il ramènera de nombreux fils dIsraël au Seigneur (kyrios), leur Dieu), en passant par les titres attribués à Jésus lui-même (40 fois; par exemple 5, 8 : "Éloigne-toi de moi, Seigneur (kyrios), car je suis un homme pécheur!" ), ou encore des titres pour indiquer un rôle social, comme propriétaire ou enseignant, et que nos Bibles traduisent par « maître » (24 fois; par exemple, 19, 33 : Et tandis quils détachaient lânon, ses maîtres (kyrios) leur dirent: "Pourquoi détachez-vous cet ânon?" ), sans oublier les cas où le mot semble plutôt désigner le messie (2 fois, lors dune référence au Psaume 110; 20, 44 : David donc lappelle Seigneur (kyrios); comment alors est-il son fils?" ). Il ne sagit donc pas dun terme technique, univoque ou spécifique. On obtient un éclairage supplémentaire sur kyrios chez Luc quand on pose la question : sur la bouche de qui apparaît le vocable? Cest ainsi quon peut établir une grille où cinq catégories peuvent regrouper la source du mot kyrios : les disciples de Jésus, lÉcriture, Jésus lui-même, Luc comme narrateur, un personnage de lévangile (comme Élizabeth ou Marie ou Zacharie). Ces cinq sources utilisent kyrios pour désigner Jésus, ou Dieu, ou maître, ou une autre réalité (comme messie ou comme adjectif). Voici les statistiques.
Quest-ce que cette grille nous dit? Luc, comme narrateur, utilise à part quasi égale le titre de kyrios pour désigner tantôt Dieu, tantôt Jésus. Il faut reconnaître ici un certain anachronisme à parler de Jésus comme Seigneur lors de son ministère, alors quil recevra ce titre après son exaltation. Mais noublions pas que nous sommes vers lan 80, donc 50 ans après la mort de Jésus, et que Luc sadresse à une communauté de croyants qui ont intégré le titre de Seigneur dans leur référence à Jésus. Dans la même veine, il y a anachronisme à avoir dans la bouche de certains personnages (12 fois), comme Élizabeth, le titre de Seigneur pour parler de Jésus, alors quil nest pas encore né, en sadressant à Marie : « Et comment mest-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur (kyrios)? » (1, 43). Nous avons la perception des choses de lan 80, et non de lépoque où cela sest produit. On peut dire la même chose du titre de Seigneur dans la bouche des disciples (11 fois). Mais le titre de Seigneur apparaît dans la bouche même de Jésus en référence à lui-même (4 fois) : « Et si quelquun vous demande: Pourquoi le détachez-vous? Vous direz ceci: Cest que le Seigneur en a besoin." » (19, 31; voir aussi 6, 46; 13, 25). De nouveau, nous sommes en lan 80, et cest une communauté de croyants qui est à lécoute de cet évangile. Autrement, le titre de kyrios apparaît dans la bouche de Jésus pour désigner avant tout le maître de maison (23 fois), surtout dans ses paraboles (par exemple, 12, 36), sauf une fois alors quil se met à prier Dieu (10, 21 : Je te bénis, Père, Seigneur (kyrios) du ciel et de la terre). Bien entendu, pour les Écritures le titre de Seigneur est réservé à Dieu seul. Ici, au v. 13, quand Luc écrit : « le Seigneur », il sadresse à nous comme croyant, nous qui croyons en Jésus exalté auprès de son Père. |
Textes avec kyrios dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
esplanchnisthē (il fut ému de compassion) |
Le terme splanchnizomai (avoir des entrailles, avoir pitié de, être ému de compassion pour) est peu fréquent dans tout le Nouveau Testament : Mt = 5; Mc = 4; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0; il napparaît que dans les évangiles de Matthieu, Marc et Luc. Dans lAncien Testament, il apparaît seulement dans le 2e livre des Maccabées (2 M 6, 8), mais à la forme active avec le sens de: manger des entrailles ou de la viande. Les trois passages où apparaît le verbe chez Luc lui sont propres et suivent la même structure : 1) la personne voit; 2) elle est émue aux entrailles; 3) elle intervient.
Bien sûr, Luc na pas inventé ce terme quil reprend de Marc qui lutilise surtout pour parler de Jésus qui a pitié de la foule. Mais sa façon de lintégrer dans trois scènes particulièrement fortes permet de le mettre en valeur et den faire un comportement type de Jésus et du chrétien : Jésus face à une veuve qui se trouve démunie socialement avec la perte de son fils, un Samaritain face à un étranger qui a été la cible de malfaiteurs, un père devant son fils qui avait coupé les liens. Pour Luc, il est clair que nous avons ici trois visages de Dieu et de Jésus, et un modèle pour le chrétien. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
klaie (pleure) |
On dit de lévangile de Luc quil est un évangile de la joie. Il faut ajouter quil est aussi lévangile des larmes avec la fréquence du verbe klaiō (pleurer) : Mt = 2; Mc = 4; Lc = 11; Jn = 8; Ac = 2. Car il existe chez lui une dichotomie entre rire et pleurer comme on le voit dans le discours des Béatitudes : « Heureux, vous qui pleurez (klaiō) maintenant, car vous rirez » (6, 21); « Malheur, vous qui riez maintenant! car vous connaîtrez le deuil et vous pleurerez (klaiō) » (6, 25). Chez aucun autre évangile ne trouve-t-on autant de scènes autour des larmes; on pourrait avoir limpression que Jean sen approche (8 mentions), mais en fait chez lui deux scènes monopolisent presque toutes les larmes, le récit de la ressuscitation de Lazare (Jn 11, 31-33) et le récit du tombeau vide (Jn 20, 11-15). Chez Luc, sur les 11 passages où klaiō apparaît, 7 lui sont propres. Il faut donc assumer quil veut lui faire jouer un rôle important, celui du reflet dune dimension de la vie.
Ainsi, le « ne pleure pas » de Luc cadre dans avec son plan théologie où tout nest pas perdu, où il faut prendre le temps daccepter de pleurer, et où le rôle de Jésus est justement de venir sécher nos larmes. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 14 Et après sêtre approché, il toucha à la civière. Les porteurs sarrêtèrent alors. Il dit : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi! »
Littéralement : Et sétant approché (proselthōn), il toucha (hēpsato) à la civière (sorou), puis ceux qui étaient portant sarrêtèrent (estēsan), et il dit : « Jeune homme (neaniske), à toi je dis (soi legō), lève (egerthēti) -toi! » |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
proselthōn (sétant approché) |
Il y a peu de choses à dire sur proserchomai (sapprocher de, venir, arriver) qui apparaît ici sous la plume de Luc, mais qui joue un rôle beaucoup moins grand que chez Matthieu : Mt = 51; Mc = 5; Lc = 10; Jn = 1; Ac = 10. Chez ce dernier, le mot exprime louverture, en particulier chez les disciples qui sapprochent de Jésus pour amorcer un dialogue. Néanmoins, il fait partie de son vocabulaire, comme en témoigne sa présence dans quatre passages qui lui sont propres : 7, 14; 10, 34; 13, 31; 23, 36. Et surtout, il y un rapprochement intéressant entre notre scène où Jésus sapproche et touche à la civière et la scène où le bon samaritain sapproche (proserchomai) de la victime et lui bande ses plaies (10, 34) : laction de sapprocher vise à exprimer la compassion.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
hēpsato (il toucha) |
Le mot haptō (attacher, allumer, toucher, atteindre) revient un certain nombre de fois dans les synoptiques : Mt = 9; Mc = 11; Lc = 13; Jn = 1; Ac = 1). Il apparaît le plus souvent dans un contexte de guérison : Jésus touche pour guérir, ou les gens cherchent à toucher Jésus dans lespoir dêtre guéri. Cest typique dans le contexte du monde gréco-romain et du Proche-Orient ancien. Luc ne fait pas exception à la règle. Dans les 13 passages où on note le verbe haptō, 6 sont simplement une reprise du texte de Marc. Mais dans trois passages qui lui sont propres, il prolonge la même approche sur Jésus qui touche pour guérir, ou qui se fait toucher :
Notons enfin quil est le seul à jouer sur lautre sens de haptō, allumer, dans lexpression « allumer une lampe » (haptō lychnon) : 8, 16; 11, 33; 15, 8; voir aussi Actes 22, 51. Quest-ce à dire pour notre verset que nous analysons. Le geste de Jésus qui touche à la civière est typique de son intervention habituelle pour guérir, comme lorsquil sagit dun lépreux. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
sorou (civière) |
Quant au mot soros (urne funéraire, civière, cercueil), il y a très peu de choses à dire, sinon que cest un mot très rare qui ne se rencontre quici dans tout le Nouveau Testament (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0) et dans seulement deux passages de lAncien Testament (LXX : Gn 50, 26; Jb 21, 32).
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
estēsan (ils sarrêtèrent) |
Le verbe histēmi (mettre debout, placer, présenter, établir, soutenir, se tenir, sarrêter, instituer, tenir ferme sur, se maintenir) est un mot tout usage quon retrouve fréquemment dans les évangiles et les Actes : Mt = 21; Mc = 10; Lc = 25; Jn = 19; Ac = 32 (et donc 57 fois dans loeuvre de Luc). Littéralement, le mot signifie : se lever, apparaître. Quand on parcourt les évangiles et les Actes, on peut regrouper en cinq catégories les diverses significations que le mot prend :
Si on fait une grille de ces diverses significations dans les évangiles et les Actes, on obtient ceci :
Dans ce contexte, notre verset 14 avec histēmi qui prend le sens de sarrêter reflète une utilisation typique de Luc. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
neaniske (jeune homme) |
Neaniskos (adolescent, jeune homme, serviteur) apparaît seulement ici dans tout lévangile de Luc et est très peu fréquent dans tout le Nouveau Testament : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 2. Chez Matthieu, le mot fait référence au jeune homme riche qui a décliné loffre de suivre Jésus (19, 20.22); chez Marc il fait référence à ce jeune homme qui suivait Jésus à Gethsémani et sest enfui nu (14, 51) ainsi quà cet être céleste au tombeau vide quont aperçu les femmes venu compléter lembaumement (16, 5); dans les Actes il fait référence entre autres au fils de la soeur de Paul (23, 18.22) ainsi quaux hommes qui avait la charge demporter les morts (5, 10); enfin dans la première épitre de Jean il désigne une catégorie de gens qui se distingue des pères et des enfants (2, 13-14). Ce que le mot laisse donc deviner dans notre récit, cest que ce fils de la veuve nétait plus un enfant, et donc était en âge de commencer à travailler (et comme le laisse entendre Matthieu, certains pouvaient être riches), et selon la tradition, à reprendre le travail de son père et à être le soutien de la famille élargie. Cest donc une tragédie que son décès.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
soi legō (à toi je dis) |
Il vaut la peine de relever lexpression grecque soi legō (à toi je dis), ou encore écrite en inversant lordre : legō soi (je te dis), ainsi que legō hymin (je vous dis), ou de manière plus emphatique: egō legō hymin (moi, je vous dis). Car elle se retrouve partout dans les quatre évangiles et nous donne un écho de lautorité des actes et des paroles de Jésus. Comme on le note dans lévangile de Marc 1, 22 : Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes. Voici un petit tableau de cette expression :
Habituellement, cette expression dautorité se réfère aux paroles de Jésus (par exemple Lc 12, 51 : Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur la terre? Non, je vous le dis, mais bien la division). Mais il y a quelque cas où cette expression dautorité constitue une action de guérison. Marc nous présente deux exemples :
Luc nous présente également deux exemples. Le premier est une reprise du récit du paralytique de Marc : Eh bien! pour que vous sachiez que le Fils de lhomme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te le dis (soi legō), dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi." (Lc 5, 24). Ce qui surprend, on se serait attendu à ce quil conserve lexpression « soi legō » lorsquil copie de texte de Marc 5, 41 sur la ressuscitation de la fillette. Non, lexpression a disparu dans sa version du récit, mais elle réapparaît dans ce récit ici du fils décédé de la veuve quil est seul à rapporter. Quoi quil en soit, Luc reconnaît la force transformatrice de la parole de Jésus. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
egerthēti (lève) |
Le verbe egeirō signifie littéralement : (se) réveiller, (se) lever et sapplique à une personne endormie ou couchée et apparaît assez souvent dans les évangiles et les Actes : Mt = 35; Mc = 19; Lc = 18; Jn = 13; Ac = 13. Mais sa signification a été étendue pour couvrir les réalités qui surgissent ou apparaissent, et enfin au fait de se réveiller de la mort, i.e. la résurrection : noublions pas, il ny pas dans la langue grecque un terme qui signifierait explicitement « ressusciter ». En regardant lusage du mot egeirō dans les évangiles et les Actes, on obtient le tableau suivant :
Quest-ce que ce tableau dit? À part les Actes des Apôtres où nous couvrons la période de lÉglise, egeirō décrit avant tout le fait de se lever : quelquun était couché, il se lève. Et chez Luc, sur les 11 fois où le mot revêt ce sens, six fois cest Jésus qui lève la personne ou lui demande de se lever ou lui-même se lève.
Bref, laccent est sur le fait dêtre debout et de redevenir actif. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 15 Et le mort se mit sur son séant et commença à parler. Jésus le remit alors à sa mère.
Littéralement : Et il se dressa pour sasseoir (anekathisen) le mort (nekros) et commença (ērxato) à parler (lalein), et il donna (edōken) lui à la mère de lui. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
anekathisen (il se dressa pour sasseoir) |
Anakathizō (se redresser et sasseoir) est un mot très rare quon ne trouve que sous la plume de Luc dans toute la Bible grecque, dabord ici, puis en Actes 9, 40 : Pierre mit tout le monde dehors, puis, à genoux, pria. Se tournant ensuite vers le corps, il dit: "Tabitha, lève-toi." Elle ouvrit les yeux et, voyant Pierre, se mit sur son séant (anakathizō) . Luc tient à établir un parallèle entre Pierre et Jésus : ce que Jésus a fait, Pierre le fera au temps de lÉglise. Le mot est formé de deux parties, ana, qui exprime un mouvement ascendant de bas en haut, et traduit donc lidée de se dresser, et kathizō, sasseoir : tout cela renvoie à limage de se dresser pour ensuite sasseoir.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
nekros (le mort) |
Le mot nekros nous renvoie à un événement de la vie courante, celui de mourir, et bien entendu les évangiles et les Actes y font écho : Mt = 12; Mc = 7; Lc = 14; Jn = 8; Ac = 17. Mais la plupart du temps, ce sont des morts en général dont on parle, surtout lorsquon utilise lexpression « résurrection des morts ». Aussi est-il extrêmement rare davoir le mot au singulier comme ici. Voici les seuls cas.
Que conclure? Il ne faut pas sattendre à la même définition de la mort à lépoque de Jésus quavec celle de notre époque où on parle dencéphalogramme plat. Quand Luc parle dEutyque qui est mort, et qui finalement peut remonter les escaliers, on est dans le monde des perceptions. Quoi quil en soit, limportant est quil veut que nous percevions le fils de la veuve comme mort, avec tout ce que cela implique pour sa mère veuve. De plus, nous sommes dans un monde grec où il existe des ressuscitations par des humains, comme en témoigne la légende autour dApollonios de Tyane (16-97). Il nest pas surprenant que Luc octroie cette capacité à un humain comme Pierre dans les Actes des Apôtres. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
ērxato (il commença) |
Le verbe archō (commander, commencer, se mettre à) est assez fréquent dans les évangiles et les Actes : Mt = 13; Mc = 26; Lc = 31; Jn = 2; Ac = 6. Il décrit le début dune action ou dune situation, très souvent traduit par : il se mit à. Quand on se penche sur lévangile de Luc, on note que cest un verbe quil affectionne particulièrement. Sur ses 31 emplois, 27 lui sont propres. Cest dautant plus étonnant que lors de quatre versets quil emprunte à Marc, il modifie le texte de ce dernier pour ajouter archō : 3, 8; 5, 21; 9, 12; 11, 29. Ici, au v. 15, nous sommes devant le style de Luc.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
lalein (parler) |
Le verbe laleō (parler, converser) appartient à la vie courante, et cest sans surprise quon note sa fréquence dans les évangiles et les Actes : Mt = 26; Mc = 21; Lc = 31; Jn = 59; Ac = 58. Il fait tout à fait partie du style de Luc, car les 31 occurrences dans son évangile, 25 lui sont propres, y compris deux passages copiés à Marc auxquels il ajoute laleō : 9, 11; 22, 60. Ici, au v. 15, le fait même que le jeune homme se mette à parler indique quil est bien vivant.
|
Textes avec le verbe laleō dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
edōken (il donna) |
Le verbe didōmi (donner, confier, remettre, rendre, produire) est très commun dans les évangiles et les actes : Mt = 52; Mc = 39; Lc = 59; Jn = 72; Ac = 35. La seule remarque au sujet de Luc que nous pouvons faire est quil est très à laise avec ce verbe : sur les 59 passages où il lutilise dans son évangile, 29 lui sont propres, incluant 4 passages quil emprunte à la source Q et auquel il ajoute didōmi. Mais ce quil faut retenir ici, au v. 15, cest quen écrivant succinctement que Jésus remet le jeune homme à sa mère il se trouve à affirmer ceci : laccent est sur la mère qui retrouve son fils, et non la ressuscitation du fils. En dautres mots, le fils lui-même na pas dimportance, cest ce quil représente pour la mère qui est important. Sachant quune veuve na plus de source de revenu si elle na plus de fils, on comprend le sens de remettre un fils à sa mère : on lui remet une source de revenu. Cela semble très prosaïque, mais cest la situation sociale de lépoque.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 16 Et tout le monde fut bouleversé et on proclamait la qualité dêtre extraordinaire de Dieu avec ces mots : un grand prophète sest levé parmi nous, et Dieu a rendu visite à son peuple.
Littéralement : puis saisit (elaben) une peur (phobos) tous (pantas) et ils rendaient gloire (edoxazon) à Dieu (theon) disant quun prophète (prophētēs) grand (megas) sétait levé parmi nous (en hēmin) et que a visité (epeskepsato) le Dieu le peuple (laon) de lui. |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
elaben (il saisit) |
Le verbe lambanō (prendre, recevoir, accueillir) est tout à fait banal et fréquent dans les évangiles et les Actes : Mt = 53; Mc = 20; Lc = 21; Jn = 46; Ac = 29. Luc ne lui fait pas jouer de rôle spécial. Mais il appartient néanmoins bel et bien à son vocabulaire : sur les 21 utilisations dans son évangile, 12 lui sont propres, en particulier trois fois pour décrire le fait quaprès Pâques Jésus prend du pain au cours dun repas (24, 30.42), et lors de la dernière cène dans un verset qui lui est unique où Jésus invite ses disciples à « prendre » le pain quil leur tend (22, 17). Et en ce qui concerne notre verset, on constate que lexpression « une peur les saisit tous » a déjà été utilisée par Luc plus tôt : « Une stupeur saisit (lambanō) tous » (5, 26). Bref, nous avons bien la signature de Luc.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
phobos (peur) |
On connaît le mot phobos (peur, effroi, hésitation, crainte, respect) qui parsème les évangiles et les Actes : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 3; Ac = 5. Pourtant, le mot reçoit des significations différentes et il est important den tenir compte. On pourrait regrouper ces significations en quatre catégories.
Au v. 16, phobos désigne évidemment ce bouleversement vécu devant une intervention positive de Dieu, une action merveilleuse, un fils rendu à sa mère veuve, et entraînera par la suite un chant de louange de toute lassemblée. On aura noté que Luc est celui qui utilise le plus le mot phobos, et dans son évangile, sur les 7 occurrences, 5 renvoient à ce bouleversement à la suite dune intervention heureuse de Dieu. |
Textes avec le nom phobos dans les évangiles-Actes
Textes avec le verbe phobeō dans le Nouveau Testament | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
pantas (tous) |
Nous ne voulons pas nous attarder sur ce mot si fréquent : Mt = 129; Mc = 67; Lc = 159; Jn = 65; Ac = 172, sinon pour dire que Luc laffectionne tout particulièrement (331 fois, en incluant les Actes). Pour lui, cest une façon de souligner une forme dunanimité si importante pour lui.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
edoxazon (ils rendaient gloire) |
Nous avons déjà parlé de doxa et doxazō (glorifier, rendre gloire, honorer, vanter, louer, célébrer) lorsque nous avons analysé Jn 2, 1-11. Car cest Jean qui utilise surtout ce verbe : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 16; Ac = 5. Résumons les quatre significations que peut prendre de mot dans les évangiles et les Actes.
Chez Luc, doxazō signifie presquuniquement louanger Dieu avec un sentiment de gratitude, et cest ce que nous avons ici au v. 16. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
theon (Dieu) |
Le mot theos est si fréquent (Mt = 51; Mc = 49; Lc = 129; Jn = 83; Ac = 169) que son analyse dépasserait le cadre de ce commentaire. Notons néanmoins que Luc en est le champion avec un total de 292 occurrences. Pourquoi? Il y a chez Luc le désir dune grande harmonie entre lAncien et le Nouveau Testament, entre lhistoire juive et lhistoire chrétienne. Cest dailleurs la signification de ce parallèle quil dresse entre Jean Baptiste et Jésus, lun représentant lAncien, lautre le Nouveau Testament, dont il raconte les naissances. Et ce qui unifie tout cela, cest lunique Dieu.
|
Textes avec le nom theos dans les évangiles-Actes | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
prophētēs (prophète) |
Nous sommes familiers avec le mot prophētēs (celui qui parle au nom de Dieu et interprète sa volonté), car il désigne tous ces gens dont la parole a contribué à constituer une bonne partie de la Bible juive, si bien que cette dernière sera divisée en trois parties : la Loi, les Prophètes et les Écrits. Et comme la communauté chrétienne a relu les événements entourant Jésus à la lumière de lAncien Testament, les références aux prophètes parsèment les évangiles et les Actes : Mt = 37; Mc = 6; Lc = 30; Jn = 14; Ac = 30. Sans surprise, nous observons que cest Matthieu dont lévangile sadresse avant tout à un auditoire judéo-chrétien qui fait le plus souvent référence aux prophètes. Mais Luc avec son évangile et ses Actes nest pas en reste : comme nous lavons souligné, lintégration de lAncien et du Nouveau Testament est importante. Mais quand on regarde dun plus près, prophētēs fait référence à quatre catégories de personnes : 1) les hommes de Dieu de lAncien Testament ou leurs écrits (Mt = 29; Mc = 3; Lc = 21; Jn = 9; Ac = 23); 2) Jésus (Mt = 4; Mc = 2; Lc = 5; Jn = 5; Ac = 3); 3) Jean Baptiste que les gens considéraient comme un prophète, en commençant par Jésus lui-même (Mt = 2; Mc = 1; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0), et enfin, dautres personnes comme la prophétesse Anne ou les prophètes chrétiens (Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4). Ainsi, Jésus a été associé aux prophètes.
Chez Luc, Jésus se serait vu comme un prophète (Mais aujourdhui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas quun prophète périsse hors de Jérusalem, 13, 33), ses disciples lauraient perçu comme un prophète ("Quoi donc?" Leur dit-il. Ils lui dirent: "Ce qui concerne Jésus le Nazarénien, qui sest montré un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, 24, 19). Aussi, cest sans surprise que nous voyons la réaction des gens au v. 16 qui considère Jésus comme un prophète. Mais lintention de Luc semble aller plus loin. Car dans la tradition juive il y avait des prophètes qui se détachaient des autres, et lun deux était le prophète Élie. Or, on connaissait bien cette histoire où Élie est allé voir une veuve à Sarepta et, après que son fils fut décédé, le ressuscita et le rendit à sa mère (edōken auton tē mētri autou, 1 Rois 17, 23; LXX: 3 Rois 17, 23), la même expression quau verset 15 : edōken auton tē mētri autou. Le lien est très clair. Nous sommes donc devant un nouvel Élie. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
megas (grand) |
Il nest pas question danalyser ce mot passe-partout (Mt = 20; Mc = 15; Lc = 26; Jn = 5; Ac = 31) qui est utilisé pour qualifier une grande variété de choses : la voix, la joie ou la crainte, un désastre ou la maladie, un festin ou une pièce, ou encore la stature personnelle, sinon pour dire que la réaction de la foule ici au v. 16 semble faire écho à ce que Luc a dit plus tôt par la voix de lange Gabriel : Il sera grand (megas), et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père (1, 32).
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
en hēmin (parmi nous) |
Pourquoi prendre la peine de relever une expression aussi banale que en hēmin (en nous, parmi nous)? Cest quon y trouve la signature de Luc.
On chercherait en vain une telle expression chez les autres évangélistes, à lexception de deux passages de Jean (1, 14; 17, 21), ce qui rappelle certaines sources communes entre Jean et Luc. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
epeskepsato (il a visité) |
Avec episkeptomai (examiner, rechercher, visiter) nous sommes avec le vocabulaire lucanien : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 4. Notre verset 16 réalise en quelque sorte ce que Luc avait annoncé au début de son évangile : Béni soit le Seigneur, le Dieu dIsraël, de ce quil a visité (episkeptomai) et délivré son peuple (laos) , 1, 68; par les entrailles (splanchnon) de miséricorde de notre Dieu, dans lesquels nous a visités (episkeptomai) lAstre den haut, 1, 78. Cest un thème très clair chez Luc : toutes les guérisons de Jésus reflètent les entrailles pleines de compassion de Dieu qui, en Jésus, visite son peuple
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
laon (peuple) |
Le mot laos (peuple, foule, nation) est un terme quaffectionne Luc : Mt = 14; Mc = 2; Lc = 36; Jn = 3; Ac = 48. Pour tous les évangélistes, laos fait référence avant tout au peuple juif. Chez Matthieu, peuple apparaît dans les références à lAncien Testament, ou dans des expressions comme « scribes du peuple » ou « anciens du peuple », ou dans la crainte quont les autorités à arrêter Jésus. Cest le cas également chez Marc et chez Jean. Mais chez Luc, le terme prend une extension exceptionnelle (84 occurrences quand on met ensemble son évangile et les Actes). Il ne fait pas de doute que le terme désigne avant tout le peuple dIsraël : tant dans les évangiles et que dans les Actes le contexte immédiat fait référence à Israël ou aux structures sociales juives, quand ce nest pas une citation de lAncien Testament. Donnons quelques exemples :
On comprendra alors sans peine que, puisque le mot laos désigne avant tout le peuple dIsraël, il est toujours au singulier. Cependant, il y a trois exceptions : deux fois le mot fait référence aux nations de la terre (Lc 2, 31; Ac 4, 25), et une fois aux peuples dIsraël (Ac 4, 27), une expression étonnante. Enfin, dans les Actes des Apôtres, on trouve deux références où laos désigne la communauté chrétienne, un peuple que Dieu est en train de susciter par lentremise des apôtres : Ac 15, 14; 18, 10. On pourrait se demander pourquoi cette insistance chez Luc sur laos? Nous avons déjà mentionné limportance chez lui dune forme dharmonie et dunité entre lAncien et le Nouveau Testament. Or, dans lhistoire juive, la notion de peuple est fondamentale, puisque ce ne sont pas auprès dindividus que Dieu intervient avant tout selon les auteurs sacrés, mais auprès dun peuple tout entier. Cest auprès de ce peuple que Jésus intervient à son tour ("Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois jai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes... et vous navez pas voulu! , Lc 13, 34). Pour Luc, cest donc la même histoire sainte qui se poursuit. De plus, Luc aime la structure communautaire et le consensus : ce ne sont pas des individus qui réagissent, mais un peuple bien défini. Habituellement, ce peuple est favorable à Jésus : il lécoute avidement (Lc 19, 48; 21, 38), glorifie Dieu en voyant ce quil fait (Lc 7, 16; 18, 43), et se lamente sur lui lorsquon le conduit à son lieu dexécution (23, 27). La même attitude se retrouve dans les Actes des Apôtres alors que le peuple fait bon accueil aux paroles et aux actes des disciples (Ac 2, 47; 4, 21; 5, 13). Voilà pourquoi les autorités religieuses se méfient du peuple. Aussi, ce v.16 reflète la théologie de Luc où le Dieu de lAncien Testament qui a appelé un peuple à devenir son peuple, continue son oeuvre à travers Jésus et, à travers ce geste de compassion à légard dune veuve, manifeste de nouveau sa présence. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
v. 17 Cette nouvelle à son sujet se répandit dans toute la Judée et dans tous les environs.
Littéralement : et sortit (exēlthen) la parole (logos) celle-là dans lentière (holē) Judée au sujet de lui (peri autou) et dans toute (pasē) la région (perichōrō). |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
exēlthen (il sortit) |
Le verbe exerchomai (sortir, partir, venir de) est très courant : Mt = 43; Mc = 37; Lc = 39; Jn = 30; Ac = 29. Comme en français, il sert à décrire diverses situations : le démon sort des gens, une puissance sort de la personne de Jésus, ou encore Jésus fait des sorties pour aller à la rencontre des autres ou pour prier, etc. Par contre, lidée quune nouvelle ou rumeur ou réputation « sorte », traduite en français par « se répandre », est rare. On la trouve une seule fois chez Marc (1, 28) que reprend Luc (4, 37) et dont on trouve un écho chez Matthieu (4, 24). Jean (21, 23) présente aussi une occurence. Autrement, cest absent, sauf ici, au v. 17, un passage unique à Luc.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
logos (parole) |
Nous connaissons bien le mot logos à travers lexpression « parole de Dieu », ou encore, chez Jean, par son prologue où on traduit souvent logos par « verbe ». De fait, lexpression « Parole de Dieu » apparaît un certain nombre de fois dans les évangiles et surtout dans les Actes : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 1; Ac = 11. Et les Actes témoignent quune autre expression se développe dans les communautés chrétiennes : parole du Seigneur (9 fois). Cependant, logos a une signification beaucoup plus large pour désigner diverses réalités : parole, mot, propos, chose, affaire, ordre, compte. Aussi est-il un mot fréquent : Mt =33; Mc = 24; Lc = 32; Jn = 40; Ac = 65. Et lune des significations de logos renvoie à ce quon dit sur quelquun, quon peut traduire par nouvelle, rumeur, réputation, bruit. À part ce v. 17, nous avons dautres exemples :
Que conclure? Nous avons dabord une expression bien grecque, et surtout très lucanienne. On aura peut-être remarqué que Jean présente le couple logos exerchomai (littéralement : la parole sortit), exactement comme ici au verset 17. Cela favorise lidée que Luc et Jean ont fréquenté des milieux semblables. Cela est dautant plus vrai que ce chapitre 21 de Jean présente un récit de pêche miraculeuse semblable à celui de Luc au chapitre 5. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
holē (entière) |
holos (entier, tout entier) est aussi commun en grec que dans son équivalent français : Mt = 22; Mc = 18; Lc = 17; Jn = 6; Ac = 19. Sa présence fréquente dans les Actes confirme quil fait partie du vocabulaire de Luc. Quant à son évangile, parmi les 17 occurrences du mot, 7 lui sont propres (6 sont des emprunts à Marc, 4 à la source Q). Il vaut la peine de mentionner quil est le seul parler de « Judée entière » (Lc 1, 65; 7, 17; 23, 5; Ac 9, 31; 10, 37). Il y a chez Luc, comme tous les évangélistes dailleurs, un effort pour souligner que lévénement Jésus était largement connu.
|
Textes avec l'adjectif holos chez Luc | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
peri autou (au sujet de lui) |
Nous sommes en fait devant une expression assez banale. Pourquoi nous y arrêter? Cest quelle confirme ce que nous venons daffirmer : la phrase est très lucanienne, mais en même temps semble refléter un milieu linguistique semblable à celui de Jean. Regardons les statistiques au sujet de peri autou : Mt = 2; Mc = 3; Lc = 8; Jn = 11; Ac = 4.
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
perichōrō (région) |
Le mot perichōros est la combinaison de deux mots, la préposition peri (autour), et le mot chōra (région, contrée, territoire). Il désigne donc la région autour, les alentours ou les environs, la région voisine. Cest un mot rare qui ne se trouve pas ailleurs dans tout le Nouveau Testament, sauf dans les évangiles et les Actes : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 1. Chez Luc, cest une façon délargir le rayonnement de Jésus, sans apporter trop de précision. Et comme on nest pas sûr que Luc connaissait bien la Palestine, on devine que ce mot vague lui rendait la vie plus aisée.
Quel est le bilan de cette analyse verset par verset? Il est possible que Luc utilise une source particulière pour ce récit, mais lensemble du vocabulaire révèle un texte qui porte sa signature. |
|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
-André Gilbert, Gatineau, mai 2016 |