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Sommaire
Le geste de déchirer ses vêtements de la part du grand prêtre exprime symboliquement une très grande peine, associée souvent à une offense faite à Dieu. Doù laccusation de blasphème. Il faut savoir que dans le monde juif le fait dinsulter le Dieu dIsraël de manière arrogante tout comme prononcer son nom constituait un blasphème qui méritait la peine de mort. Or, chez Marc, cest laffirmation de Jésus qui dit « Je suis » le messie, le fils du Béni, le fils de lhomme assis à la droite de la Puissance qui entraîne laccusation de blasphème. Matthieu est celui qui insiste le plus sur le blasphème en lutilisant deux fois dans le même verset : il a insulté Dieu en parlant de la destruction du temple et en affirmant être le messie, le fils de Dieu. Luc a préféré repousser cette accusation au récit de la lapidation dÉtienne dans les Actes. La séance du Sanhédrin se termine avec une sentence claire de culpabilité qui mérite la mort.
Mais on peut se poser la question si, sur le plan historique, les autorités juives sont vraiment arrivées à la conclusion que Jésus était un blasphémateur, i.e. Jésus aurait réclamé pour lui-même de manière arrogante un statut ou un privilège qui nappartient proprement quau Dieu dIsraël, et par là aurait dénigré Dieu, et pour cette raison méritait mort. Malheureusement, il faut répondre : il ny a aucune donnée convaincante permettant de conclure. Dabord, il est peu probable que Jésus ait proclamé en privé ou en public être le messie. Ensuite, on ne peut démontrer que Jésus ou ses disciples auraient utilisé le titre de fils de Dieu au cours de son ministère. Quant à laccusation sur la destruction du temple, il nexiste aucun parallèle qui pourrait justifier lidée que nous serions devant une action de blasphème. Et même laccusation dêtre un faux prophète ne peut être étayée pour lépoque de Jésus. Tout au plus peut-on dire quil est plausible que lensemble des paroles et des gestes de Jésus tout au long de son ministère aient pu être perçus par ses adversaires comme blasphématoires, sans pour autant en faire une accusation formelle par les autorités religieuses. La séance du Sanhédrin est teintée par les lunettes chrétiennes et présentent plus leur expérience dans leur conflit avec les Juifs à la fin du premier siècle.
- Traduction
- Commentaire
- Le grand prêtre déchire ses tuniques/vêtements
- Quavons-nous encore besoin de témoins ?
- Laccusation de blasphème
- Le jugement du Sanhédrin qui implique culpabilité et mort
- Analyse
- Le châtiment pour un blasphème
- Y avait-il quelque chose présumée blasphématoire ?
- La prétention messianique et le blasphème
- La prétention dêtre fils de Dieu et le blasphème
- La prétention dêtre fils de lhomme et le blasphème
- La destruction du sanctuaire et le blasphème
- Être un faux prophète et le blasphème
- Le ministère de Jésus impliquait-il quelque chose de blasphématoire ?
- Traduction (à partir de la 28e édition du texte de Nestle-Aland)
Les passages chez Matthieu, Luc ou Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. Les parenthèses carrées [] indiquent des parallèles trouvés dans une autre séquence dans les évangiles.
Marc 14 | Matthieu 26 | Luc 22 | [Jean 10] |
63 Mais le grand prêtre, déchirant ses tuniques, dit : « Quavons-nous encore besoin de témoins? 64 Vous avez entendu le blasphème! | 65 Alors le grand prêtre, déchira ses vêtements en disant : « Il a blasphémé! Quavons-nous encore besoin de témoins? Voilà, à linstant, vous avez entendu le blasphème! | 71 Mais ils dirent : « Quavons-nous encore besoin de témoignage? Car nous-mêmes avons entendu de sa bouche. » | [33 Les Juifs lui répondirent : « Pas pour une bonne oeuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que, toi qui es un homme, tu te fais Dieu. » ... 36 à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde vous dites : Tu blasphèmes, parce que jai dit : Je suis Fils de Dieu. ] |
Que vous paraît-il? » Mais eux tous décrétèrent quil était coupable, passible de mort. | 66 Que vous semble? Mais eux répondant dirent : « Il est coupable, passible de mort ». | | [Jean 11, 49 Lun deux, Caïphe, étant grand prêtre de cette année-là, leur dit : « Vous ny connaissez rien, 50 et vous ne calculez pas quil vaut mieux quun seul homme meure pour le peuple et que la nation tout entière ne périsse pas ». 51 Il ne dit pas cela de lui-même, mais, étant grand prêtre, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation, 52 et non pas pour la nation seulement, mais encore afin quil rassemblât dans lunité des enfants de Dieu qui avaient été dispersés. 53 À partir de ce jour ils décidèrent quils le tueraient.] |
- Commentaire
- Le grand prêtre déchire ses tuniques/vêtements
- Dans lantiquité, ce geste exprimait symboliquement une très grande peine. Cest ce quon voit chez Jacob quand il apprend la mort de Joseph (Gn 37, 34), ou chez David en apprenant la mort de Saül et Jonathan (2 Sam 1, 11-12), ou chez lempereur Auguste en apprenant la défaite de Varus en Allemagne (Dion Cassius, Histoire romaine, 56.23.1).
- Le geste de déchirer ses vêtements dans le récit de Marc et Luc est suscité par une offense à Dieu qui cause une peine aussi grande que celle de la mort dune personne. On a lexemple des Juifs qui considèrent blasphématoire laffirmation du roi dAssyrie que Yahvé est incapable de sauver son peuple, et donc déchirent leur vêtement, tout comme le roi Ézéchias (2 Rois 18, 37 ; 19, 1).
- Marc 14, 63 utilisent le mot grec : chitōn (tunique). Techniquement, le mot fait référence à un sous-vêtement. Mais il pouvait aussi désigner un vêtement, et même les habits liturgiques du grand prêtre (voir Ex 28, 4 ; Lv 16, 4). Ce dernier cas amène la question : le grand prêtre pouvait-il porter ce chitōn dans une séance du Sanhédrin ? Sur ce point, Ézéchiel est très clair : le vêtement liturgique doit rester dans le lieu saint et ne peut être porté au milieu du peuple (42, 14). De plus, les Romains gardaient un contrôle absolu sur les vêtements liturgiques pour des raisons politiques et leur utilisation exigeait une permission spéciale. Alors pourquoi Marc, au lieu dutiliser himation, le mot habituel pour vêtement, emploie-t-il chitōn ? Marc, sadressant à un public qui ignorait les coutumes juives, a probablement voulu avoir recours à un mot plus rare, plus coloré, comme il le fait souvent, pour mettre plus de piquant à son récit.
- Matthieu, en bon Juif, corrige le tir et remplace chitōn par himation.
- Quavons-nous encore besoin de témoins ?
- Chez Jean, il ny a ni témoins, ni témoignage. Jésus est condamné in absentia.
Chez Marc, après les faux témoins, cest Jésus qui sincrimine en disant : « Je suis », et qui ajoute quon le verra sasseoir comme fils de lhomme à la droite de la Puissance comme juge céleste.
Chez Matthieu, malgré que la même phrase sy trouve, le contexte est différent : Jésus avait auparavant invité son auditoire en prendre la responsabilité de son affirmation sur le fait que Jésus serait le messie, le fils de Dieu. Mais il reste que la prétention demeure, et à cela sajoute le témoignage légal des deux témoins sur sa capacité de détruire le sanctuaire de Dieu.
Luc reprend presque telle quelle lexpression de Marc, sauf quil ne parle pas de témoins, mais de témoignage. Car il ny a pas eu de témoins chez lui, seulement le témoignage de Jésus lui-même.
Les scribes et les grand prêtres avaient cherché auparavant à lui tendre un piège, mais en vain. Voilà quils réussissent avec des questions directes.
- Laccusation de blasphème
- Cette accusation fait partie de la tradition, car elle se retrouve à la fois chez Jean et chez Marc, deux auteurs indépendants. Pourquoi alors Luc la-t-elle omis au procès de Jésus ? Sans doute la trouva-elle inappropriée de lappliquer au fils de Dieu. Mais il y a surtout le fait quil préfère la refaçonner pour en faire un geste des adversaires qui blasphèment contre Jésus (22, 63-65), dune part, et reporter laccusation de blasphème sur Étienne (Actes 6, 11) sous prétexte quil aurait dit que Jésus aurait voulu détruire le temple et changer les lois transmises par Moïse, dautre part.
- On a beaucoup discuté dans les milieux bibliques sur la façon de comprendre le blasphème. La loi dit ceci : « Qui blasphème (nqb) le nom de Yahvé devra mourir, toute la communauté le lapidera » (Lv 24, 16). Mais que signifie blasphémer ? Insulter Dieu ou prononcer le nom YHWH ? Malheureusement, ce passage de Lévitique est la seule instance du verbe nqb et ne permet pas de trancher. La Septante a levé lambigüité en traduisant ce verbe par lexpression : prononcer le nom du Seigneur. Mais le problème est quune telle interprétation na pas rapport avec ce quon voit au procès de Jésus, et quon chercherait en vain dans les écrits en Grec dauteurs juifs de lépoque de Jésus des exemples où les différentes formes du mot « blasphēmia » comporte une telle signification. Le mot lui-même signifie : maltraiter, insulter. Sur les 89 utilisations du mot chez Flavius Josèphe et Philon, 67 (75%) signifient : maltraiter, calomnier une autre personne humaine. Les 25 autres utilisations (25%) concernent la divinité. Le mauvais traitement ou linsulte peut être en parole ou en action. Dans la Septante, 19 utilisations sur 22 renvoient à linsulte et au mauvais traitement, surtout avec un ton darrogance. Par exemple, le roi dAssyrie aurait insulté (blasphēmeō) le Dieu vivant (2 Rois 19, 4). Ainsi, il ny aurait aucun raison quil en soit différent pour les quatre évangiles. Jésus serait accusé de revendiquer de manière arrogante ce qui appartient à Dieu, et par là de linsulter. À linverse, quand les évangiles parlent des gens qui blasphèment contre Jésus, ils les accusent de lui manquer de respect. Bref, pour les Juifs du temps de Jésus, on pouvait mériter la peine de mort pour avoir insulté le Dieu dIsraël de manière arrogante tout autant quavoir prononcé son nom.
- En Jean 10, 36 on accuse de Jésus de blasphème parce quil revendique être fils de Dieu. Dans les Actes des Apôtres, on veut lapider Étienne quand il parle du fils de lhomme à la droite de Dieu. Chez Marc, cest laffirmation de Jésus qui dit « Je suis » le messie, le fils du Béni, le fils de lhomme assis à la droite de la Puissance qui entraîne laccusation de blasphème, tout autant que la remise des péchés au cours de son ministère (2, 7). Matthieu est celui qui insiste le plus sur le blasphème en lutilisant deux fois dans le même verset : il a insulté Dieu en parlant de la destruction du temple et en affirmant être le messie, le fils de Dieu.
- On pourrait résumer la vision des évangélistes autour de trois prétentions de Jésus.
- Il y a la prétention christologique dêtre fils de Dieu (Jean, Marc, Matthieu), le messie (Marc, Matthieu) et fils de Dieu exalté (Marc, Matthieu). Le lecteur chrétien considérait tous ces titres comme une référence à Jésus qui jouissait dune relation unique à Dieu. Pour les évangélistes, blasphémer est linverse de la perception des Juifs : cest se moquer de Jésus et attribuer sa puissance à celle des esprits mauvais.
- Il y a la prétention de pouvoir détruire le temple, le lieu saint (Matthieu, Actes), liée à sa prétention christologique dêtre plus grand que le temple. On trouve quelque chose de semblable dans le geste dautorité de Jésus chez Marc qui veut purifier le temple (11, 27-28). Il inverse cette image dans linsulte des gens autour de la croix qui le ridiculise davoir parlé de destruction du temple et de sa reconstruction en trois jours.
- Il y a la prétention à être capable de changer la loi mosaïque (Actes). Tout au long de son ministère, Jésus prend ses distances face à cette loi (« Vous avez appris »... « Mais je vous dit » chez Matthieu 5, ou lattitude de Jésus face au sabbat chez Luc 6 et Jean 5).
Il y a donc une perception commune chez les évangélistes dans la période 60 -100. Ils disent à leur lecteur que les Juifs les accusaient de blasphème en raison de leur foi en Jésus comme messie, fils de Dieu et fils de lhomme, et qui bénéficiait dune relation unique à Dieu. Pour lui, Jésus nétait pas un simple rabbin, mais quelquun de plus grand que Moïse. On peut comprendre que les Juifs pouvaient considérer les chrétiens comme coupables de blasphème. À linverse, les croyants en Jésus considéraient les Juifs comme blasphémateurs en se moquant de la foi chrétienne et en ne voyant pas dans la destruction du temple un jugement de Dieu.
- Le jugement du Sanhédrin qui entraîne la culpabilité et la mort
- Luc termine la séance du Sanhédrin avec ce v. 71, sans explicitement déclarer Jésus coupable et punissable de la peine de mort. Pourquoi ? Il est probable que Luc assume connu le récit de Marc où Jésus est jugé coupable et condamné à mort par le Sanhédrin, et pour poursuivre son effort davoir un récit ordonné, il réserve le dénouement autour du prononcé du jugement et de la sentence au procès devant Pilate. On voit bien dans dautres passages quil reconnaît le rôle du Sanhédrin dans sa condamnation à mort : « comment nos grands prêtres et nos chefs lont livré pour être condamné à mort et lont crucifié » (24, 20) ; « Sans trouver en lui aucun motif de mort, ils (les chefs religieux) lont condamné et ont demandé à Pilate de le faire périr » (Actes 13, 28).
- Marc, suivi par Matthieu, met dans la bouche du grand prêtre, une demande adressée à lassemblée de porter un jugement. Cest purement rhétorique. Dune part, depuis le début de la séance le grand prêtre a dit clairement ce quil en pensait. Dautre part, le lecteur avait certainement en tête des passages de lAncien Testament sur le juste condamné par le pécheur (par exemple, Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, daprès ses dires, il sera visité (Sagesse 2, 20).
- Le verbe katakrinō, utilisé par Marc, signifie : accuser de manière hostile. Certains biblistes ont voulu atténuer la portée du verbe en la réduisant à un simple avis. Cest ignorer tout le contexte où lensemble du Sanhédrin est convoqué, où on appelle des témoins et où le grand prêtre déchire ses vêtements avec le mot blasphème. Matthieu na pas atténué la portée du jugement du Sanhédrin en ne reprenant pas ce mot de Marc ; car il a voulu réserver ce mot à la scène qui suit : Judas constate que Jésus a été condamné (katakrinō) et se suicide (27, 3).
- La sentence prend la forme de lexpression : enochos thanatou, difficile à traduire. Car enochos suivi du génitif signifie à la fois « être coupable de » et « être punissable de ». Aussi, la traduction proposée a conservé les deux mots. Et il ne faut pas réduire la portée de lexpression « passible » ou « punissable » à un simple avis. Dt 21, 22 dit clairement quun blasphémateur mérite la peine capitale. Et surtout, Marc met dans la bouche de Jésus cette phrase : le Fils de lhomme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort (katakrinousin auton thanatō) et le livreront aux païens (Mc 10, 33 || Mt 20, 18). Les évangélistes ne voient donc pas de problème à parler dune ferme condamnation à mort qui serait suivie dune remise aux mains des Gentils pour lexécution de la peine.
- En conclusion, dans le dernier tiers du premier siècle, les évangélistes savaient parfaitement que Jésus avait reçu une sentence de mort et avait été crucifié par les Romains. Néanmoins, ils insistent pour dire que le Sanhédrin juif a aussi été impliqué dans cette décision, même si le motif était différent pour les deux groupes. Et pour les évangélistes, le motif religieux du Sanhédrin était plus important que le motif politique des Romains.
- Analyse
Est-il historiquement possible que vers lan 30/33 les autorités juives soient venues à la conclusion que Jésus était un blasphémateur, et pour cette raison réclamaient quil soit mis à mort ? Rappelons que le blasphème dont nous parlons ne concerne pas le fait de prononcer le nom YHWH ou même dinjurier directement Dieu, mais le fait que Jésus aurait réclamé pour lui-même de manière arrogante un statut ou un privilège qui nappartient proprement quau Dieu dIsraël, et par là aurait dénigré Dieu.
- Le châtiment pour un blasphème
- On a parfois réfuté lhistoricité de laccusation de blasphème contre Jésus sous prétexte que, si cela avait été le cas, Jésus aurait dû être lapidé, comme le demande Lv 24, 16 et comme ce fut le cas pour Étienne (Actes 6, 11.14). À ce sujet, cinq observations simposent.
- Étienne na pas été remis aux autorités romaines comme ce fut le cas pour Jésus
- Au 1ier siècle, on avait commencé à remplacer la lapidation sous linfluence pharisienne et sa croyance en la résurrection des morts qui demandait une certaine intégrité physique
- Josèphe (Antiquités judaïques, 4.8.6 ; #202) rapporte quon commence à combiner la suspension au bois de la croix ou la crucifixion avec la lapidation ; dailleurs les rouleaux de la Mer morte et Galates 3, 13 reconnaissent que cette crucifixion rencontre les exigences de la loi
- Le Rouleau du temple à Qumran (11Q Miqdaš 64, 7-13) montre que, dans leur interprétation de Dt 21, 22, la crucifixion ne suivait pas la mise à mort, mais la précédait, et cette pratique semble exister depuis toujours. Dailleurs, le grand prêtre Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.) na-t-il pas fait crucifier 800 Juifs ?
- Le texte hébreu de Dt 21, 22-23 déclare que celui qui est pendu au bois est maudit de Dieu, ce que la Septante traduit par : maudit par Dieu. Mais la Mishna, Sanhedrin 6, 4 comprend plutôt Dt 21 comme signifiant : celui qui maudit/insulte Dieu, une tradition quon retrouve également dans le Targum Onquelos et la Peshitta syriaque. Dès lors la crucifixion de Jésus comme blasphémateur serait pleinement justifiée selon la loi.
- Y avait-il quelque chose de présumément blasphématoire dans les paroles ou gestes de Jésus ?
- La prétention messianique et le blasphème
On a déjà démontré quil est peu probable que Jésus ait proclamé en privé ou en public être le messie. Par contre, il est probable que certains de ses disciples le considéraient comme le messie, et Jésus ne semble pas avoir fait deffort pour réfuter cette perception. Est-ce que lacclamation comme messie par les disciples a pu être considérée comme blasphématoire ? À ce sujet, on ne dispose daucune donnée. Il y a bien sûr Shimon bar Kokhba (mort vers lan 135 de notre ère) que certains considéraient comme le roi messie. Mais la documentation à son sujet provient de siècles ultérieurs et les réactions varient à son sujet (cette prétention est ridicule selon le Talmud de Jérusalem, il faudrait quil passe un test de messianité selon le Talmud de Babylone). Jamais on ne parle de blasphème.
- La prétention dêtre fils de Dieu et le blasphème
On a déjà répondu par la négative que Jésus ou ses disciples auraient utilisé le titre de fils de Dieu au cours de son ministère.
- La prétention dêtre fils de lhomme et le blasphème
- Des trois titres mentionnés au procès, celui de fils de lhomme est celui qui a le plus de chance davoir vraiment été utilisé par Jésus. Chez Marc, il apparaît dans la bouche de Jésus lorsquon laccuse de blasphème pour avoir pardonné les péchés (2, 7-10). Mais quelle signification pouvait-il avoir aux yeux de Jésus ou de son auditoire ? Lors du procès, Jésus fait référence à des textes bibliques pour faire comprendre ce quil veut dire.
- Lun de ces textes est le Psaume 110 qui parle de session à la droite de Dieu. Il est également dans la bouche de Jésus lors la discussion avec les scribes pour parler du messie (Mc 12, 35-37). Jésus a certainement beaucoup réfléchi sur ce psaume. Le fait de sappliquer à soi-même cette session à la droite de Dieu serait-il donc blasphématoire, i.e. Jésus prétendrait être légal de Dieu ? Tout dépend si on fait une lecture littérale ou métaphorique. Mais même une application littérale nentraînerait pas automatiquement une accusation de blasphème comme on le voit dans la discussion entre Rabbi Aquiba et Rabbi Jose à propos du messie (Talmud de Babylone, Sanhedrin 38b).
- Un autre texte est le livre de Daniel, en particulier le chapitre 7. Si Jésus sest appliqué à lui-même cette figure humaine de « quelquun comme un fils dhomme » qui est conduit en présence de lAncien et à qui est confié empire, honneur et un royaume qui ne sera jamais détruit, alors il avait une perception exaltée de sa personne. Mais encore là, est-ce que la prétention dêtre ce fils dhomme, qui reçoit de lAncien un tel privilège, pouvait être perçue comme une arrogance blasphématoire ? Noublions pas que limage pour les croyants dêtre emportés dans les nuages au ciel pour rencontrer le Seigneur est bien connue (voir 1 Thess 4, 17). Bref, il serait très imprudent de baser laccusation de blasphème seulement sur cet argument.
- La destruction du sanctuaire et le blasphème
- Chez Matthieu le témoignage contre Jésus sur sa capacité de détruire le temple (26, 61) semble inclus dans laccusation de blasphème, alors que chez Marc les injures adressées à Jésus en croix (15, 29) semblent impliquer que Jésus a fait quelque chose de blasphématoire.
- Sur le plan historique, il est plausible que Jésus ait fait des annonces prophétiques sur la destruction imminente du temple, surtout en regard de lhostilité des autorités religieuses face à sa prédication du règne de Dieu. Lhistoire montre que sattaquer au temple déclenche de violentes réactions. Nous navons quà penser à la réaction des prêtres et du peuple entier quand le prophète Jérémie annonce la destruction du temple : on veut le mettre à mort (Jr 26, 6-8). Lhistorien Josèphe rapporte une discussion en Égypte vers 150 av. J.-C. par les partisans du temple des Samaritains sen prenant au temple de Jérusalem : ces partisans furent mis à mort. Plusieurs passages de Qumran mentionnent les tentatives des Hasmonéens de Jérusalem de tuer le Maître de justice, parce quil était critique face au temple de Jérusalem. Enfin, il y a le cas de Jésus fils dAnnanie quon fit arrêter et envoyer en procès vers lan 60 après quil eut vociférer contre le temple dans le sanctuaire lui-même (voir Josèphe, La guerre juive, 6.5.3 ; #300-9).
- Il semble que sattaquer au temple pouvait également émouvoir les Romains. Jean (11, 48) laisse entendre que les autorités religieuses craignent que le dérangement occasionné par la prédication de Jésus amène les troupes romaines à intervenir et envoyer des troupes dans lenceinte du temple. Cette crainte paraît justifiée quand on connaît le bain de sang provoqué par Pilate, quand un illuminé a prétendu devant une multitude pouvoir montrer où se trouvait le vase du temple enterré par Moïse (voir Josèphe, Antiquités judaïques, 18.4.1-2 ; #85-89). Et les autorités religieuses appréhendent le pire vers 66 quand le commandant du temple, le prêtre Éléazar fait cesser les sacrifices pour lempereur (voir Josèphe, Antiquités judaïques, 20.8.5-6 ; #166-167).
- Nous avons beaucoup dexemples où la crainte de lintervention romaine a entraîné une forte antipathie à légard de tous ceux qui dune manière ou dune autre menaçait le temple. Et on peut penser que lattitude de Jésus face au temple offrait au Sanhédrin des arguments pour une sentence de mort. Mais il nexiste aucun parallèle qui pourrait justifier lidée que nous serions devant une action de blasphème.
- Être un faux prophète et le blasphème
- Chez Marc, les moqueries à légard de Jésus qui précèdent le procès devant le Sanhédrin le mettent au défi de prophétiser, tout comme ceux après le procès romain sont centrées sur le titre de roi des Juifs ; mais il y a une saveur trop théologique à ce récit autour de Jésus comme prophète et roi pour quil soit fiable sur le plan historique. Dans les accusations contre Jésus chez Jean, on chercherait en vain un thème prophétique.
- Néanmoins certains biblistes soutiennent que laccusation dêtre un faux prophète était à la base de ses opposants religieux, surtout en regard de Dt 18, 20-22 : un faux prophète, quelquun qui annonce des choses qui narrive pas, doit mourir. De fait, selon certains passages des évangiles, Jésus a semblé être considéré comme un prophète (Mt 21, 11 ; Lc 7, 116 ; 9, 8 ; 24, 19 ; Jn 7, 40). Et même les évangiles le montrent en train de faire des choses semblables aux prophètes Élie et Élisée. Par contre, aucun passage ne dit quune telle définition de sa personne est suffisante. Mais se peut-il que le fait dagir comme un prophète ait amené certains à le voir comme tel, ce qui expliquerait la réaction des autorités religieuses qui laccusent dêtre un imposteur qui trompe les gens (Jn 7, 12.47 ; Mt 27, 63-64). On en retrouve lécho dans le Talmud de Babylone, Sanhedrin 43a qui parle de Jésus comme un faux prophète qui a leurré les gens, et donc passible de la sentence de mort recommandée par Dt 18. Le problème avec tous ces arguments est quils proviennent après lan 70. Ainsi, on ne peut établir clairement que laccusation de blasphème était reliée au fait quon le percevait comme un faux prophète.
- Le ministère de Jésus impliquait-il quelque chose de blasphématoire ?
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