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- Analyse verset par verset
v. 11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
Littéralement: Je suis (Egō eimi) le berger (poimēn) le bon. Le berger le bon dépose sa vie (psychēn) en faveur des brebis
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Egō eimi (Je suis) |
Cette expression est typique du quatrième évangile et il lemploie fréquemment tout au long de son évangile. Relevons ces passages en dehors de notre péricope.
- Jean 4, 25-26 : La femme (samaritaine) lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui quon appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout." Jésus lui dit: "Je le suis (egō eimi), moi qui te parle."
- Jean 6, 20 : Mais il leur dit: "Cest moi (egō eimi). Nayez pas peur." (marche sur la mer)
- Jean 6, 35 : Jésus leur dit: "Je suis (egō eimi) le pain de vie. Qui vient à moi naura jamais faim; qui croit en moi naura jamais soif.
- Jean 6, 48 : Je suis (egō eimi) le pain de vie.
- Jean 8, 12 : De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit: "Je suis (egō eimi) la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie."
- Jean 8, 18 : Je suis (egō eimi) à moi-même mon propre témoin, et pour moi témoigne le Père qui ma envoyé."
- Jean 8, 24 : Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis (egō eimi), vous mourrez dans vos péchés."
- Jean 8, 28 : Jésus leur dit donc: "Quand vous aurez élevé le Fils de lhomme, alors vous saurez que Je Suis (egō eimi) et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père ma enseigné
- Jean 10, 7 : Alors Jésus dit à nouveau: "En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis (egō eimi) la porte des brebis.
- Jean 10, 9 : Je suis (egō eimi) la porte. Si quelquun entre par moi, il sera sauvé; il entrera et sortira, et trouvera un pâturage.
- Jean 11, 25 : Jésus lui dit: "Je suis (egō eimi) la résurrection. Qui croit en moi, même sil meurt, vivra;
- Jean 13, 19 : Je vous le dis, dès à présent, avant que la chose narrive, pour quune fois celle-ci arrivée, vous croyiez que Je Suis (egō eimi).
- Jean 14, 6 : Jésus lui dit: "Je suis (egō eimi) le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi.
- Jean 15, 1 : "Je suis (egō eimi) la vigne véritable et mon Père est le vigneron.
- Jean 15, 5 : Je suis (egō eimi) la vigne; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit; car hors de moi vous ne pouvez rien faire.
- Jean 18, 5-8 : Ils lui répondirent: "Jésus le Nazôréen." Il leur dit: "Cest moi (egō eimi)." Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux. Quand Jésus leur eut dit: "Cest moi (egō eimi)", ils reculèrent et tombèrent à terre. De nouveau il leur demanda: "Qui cherchez-vous?" Ils dirent: "Jésus le Nazôréen." Jésus répondit: "Je vous ai dit que cest moi (egō eimi). Si donc cest moi que vous cherchez, laissez ceux-là sen aller"
Lexpression elle-même pointe vers lidentité de Jésus. Qui est Jésus?
- Le messie
- Celui qui domine les eaux (le mal)
- Le pain de vie
- La lumière du monde
- La porte des brebis
- Le bon berger
- Le vrai témoin
- La résurrection
- Le chemin, la vérité et la vie
- La vigne véritable
Mais parfois lexpression est utilisée sans attribut : je suis. Dans ce dernier cas, cest la plupart du temps en référence à sa mort. Jean na pas inventé cette expression, car elle est connue dans lAncien Testament (version de la Septante) :
- Exode 3, 14 : Dieu répondit à Moïse : Je suis (egō eimi) celui qui est ; et Dieu ajouta : Tu parleras en ces termes aux fils dIsraël : celui qui est ma envoyé près de vous.
- Deutéronome 32, 39 : Voyez, voyez que moi, je suis (egō eimi); et il ny a point de Dieu excepté moi ; je donne la mort et la vie, je frappe et je guéris, et nul ne peut délivrer de mes mains.
- Isaïe 41, 4 : Qui a opéré, qui a fait ces choses ? Cest celui qui a appelé la justice, qui la appelée dès le commencement des générations. Je suis Dieu, le premier, et pour tous les siècles à venir je suis (egō eimi).
- Isaïe 43, 10 : Soyez pour moi des témoins, et moi-même je porterai témoignage, dit le Seigneur Dieu ; et aussi mon serviteur, celui que jai élu, afin que vous sachiez, que vous croyiez et compreniez que je suis (egō eimi). Avant moi il ny a pas eu dautre Dieu, et il nen sera point après moi.
- Isaïe 46, 4 : Jusquà la vieillesse. Je suis (egō eimi), et jusquà ce que vous soyez parvenus à lextrême vieillesse, je suis (egō eimi); je vous porte, cest moi qui vous ai créés, cest moi qui vous soutiendrai ; je vous porterai et je vous sauverai.
- Isaïe 48, 12 : Écoute-moi donc, Jacob ; écoute-moi, Israël, que jappelle à moi : Je suis (egō eimi) le premier, et je suis (egō eimi) pour léternité.
Dieu est lêtre par excellence, voilà pourquoi il simplement celui qui est. On comprend lintention de lévangéliste en utilisant la même expression pour décrire Jésus : il est limage même de Dieu, si bien que le voir, cest voir Dieu même. Et à travers sa mort, il rejoint celui-là même dont il est limage. Voilà pourquoi il est également le messie, la lumière par excellence, la véritable source de toute connaissance et de toute vie, le seul en mesure dêtre notre guide et de nous indiquer le chemin, la seule personne à qui nous devons appartenir. Voilà le message de lévangéliste, car croire que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu permettra au croyant de trouver en lui vie.
Aujourdhui, nous pourrions poser la question : pourquoi accueillir Jésus comme limage la plus parfaite de Dieu est-il source de la véritable vie? En sortant de lornière étroite de toute religion organisée, y a-t-il ici une vérité profonde et universelle? Sa façon de voir la vie comme une source jaillissante damour que nous sommes appelés à suivre jusquà y laisser notre vie, sa foi que la vie est ultimement une communion profonde avec Dieu et quelle débouche sur une réalité qui naura pas de fin, sa présence promise pour nous accompagner, tout cela nest-il pas une question de vie ou de mort pour lensemble de lhumanité? Car, ne loublions pas, tous les chemins ne construisent pas la personne humaine, et certains sont destructeurs.
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Le glossaire sur egō eimi Textes de Jean avec egō eimi |
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poimēn (berger) |
Lutilisation de la figure du berger laisse deviner une culture agraire où il était habituel de voir un troupeau de mouton sous la direction dun berger. Cétait le rôle de ce dernier de protéger son troupeau des prédateurs, en particulier le loup, et de le guider vers de bons pâturages où il pourra se nourrir. Dans son récit de lenfance, Luc parle de bergers dans le voisinage de Bethléem et qui veillent de nuit sur leur troupeau. La figure du berger est appliquée à Jésus par les évangélistes. À deux reprises, Marc lutilise pour nous éclairer sur laction de Jésus :
- Marc 6, 34 || Mt 9, 36 : En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié, parce quils étaient comme des brebis qui nont pas de berger (poimēn), et il se mit à les enseigner longuement.
- Marc 14, 27 || Mt 26, 31 : Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur (poimēn) et les brebis seront dispersées.
Ainsi, Jésus est celui qui nourrit les gens par son enseignement, il est celui qui les guide pour les garder ensemble. Pour sa part, lévangéliste Jean concentre dans ce chapitre 10 (v. 2-16) ses idées sur Jésus pasteur ou bon berger. Encore une fois, il se trouve à reprendre une image très connue de lAncien Testament (version de la Septante). Cette image est dabord appliquée à Dieu.
- Isaïe 40, 11 : Il (Yahvé) fera paître son troupeau comme un pasteur (poimēn); il rassemblera les agneaux, et il encouragera les brebis pleines.
- Ezéchiel 34, 12 : Tel le pâtre (poimēn) cherche ses troupeaux le jour où il y a des nuages et des ténèbres, au milieu des brebis dispersées, tel je (Yahvé) chercherai mes brebis, et je les ramènerai de tous les lieux où elles auront été dispersées dans les jours de ténèbres et de nuages.
- Psaume 23, 1 (LXX : 22, 1) : Psaume de David. Le Seigneur est mon pasteur (poimainō), et je ne manquerai de rien.
Mais elle aussi appliquée au messie de Yahvé, au descendant de David, ainsi quaux responsables dIsraël.
- Psaume 78, 70-71 (LXX : 77, 70-71) : Et il choisit David son serviteur, et il le tira de la garde des troupeaux ; il le prit tandis quil surveillait les brebis mères, pour quil fût le pasteur (poimainō) de Jacob, son serviteur, et dIsraël, son héritage.
- Jérémie 3, 15 : Je vous donnerai des pasteurs (poimēn) selon mon coeur, qui vous paîtront (poimainō) avec intelligence et prudence.
- Jérémie 23, 4 : Et je susciterai pour eux des pasteurs (poimēn) qui les mèneront paître (poimainō), et ils nauront plus peur, et ils ne trembleront plus, dit le Seigneur.
- Ezéchiel 34, 23 : Et je susciterai pour eux un seul pasteur (poimēn), et il les fera paître (poimainō); je susciterai mon serviteur David, et il sera leur pasteur (poimēn).
Pour lévangéliste, ce berger ou pasteur promis, cest Jésus lui-même. Ce berger est qualifié de bon (kalos), parce que tous ne sont pas bons. À plusieurs reprises, les prophètes ont dénoncé les mauvais pasteurs :
- Jérémie 2, 8 : Les prêtres nont pas dit : Où est le Seigneur ? Et les dépositaires de la loi ne mont point connu ; et les pasteurs (poimēn) ont péché contre moi, et les prophètes ont prophétisé pour Baal, et ils ont marché après des vanités.
- Jérémie 10, 21 : Parce que mes pasteurs (poimēn) ont été insensés et nont point cherché le Seigneur, à cause de cela le troupeau a été sans intelligence et les agneaux dispersés.
- Jérémie 23, 1-2 : Maudits soient les pasteurs (poimēn) qui perdent et dispersent les brebis de leur pâturage ! A cause de cela, voici ce que dit le Seigneur sur les pasteurs (poimainō) de mon peuple : Vous avez dispersé et repoussé mes brebis, et vous ne les avez pas visitées. Et moi je vous punirai de vos méchantes oeuvres.
- Ézéchiel 34, 2 : Fils de lhomme, prophétise contre les pasteurs (poimēn) dIsraël ; prophétise, et dis aux pasteurs (poimēn) : Voici ce que dit le Seigneur Maître : Malheur aux pasteurs (poimēn) dIsraël ! Est-ce que les pasteurs (poimēn) se paissent eux-mêmes ? Est-ce que les pasteurs (poimēn) ne doivent pas paître les brebis ?
Ainsi, lévangéliste insiste pour dire que Jésus nest pas comme ces mauvais pasteurs, il est le bon pasteur. Notons que lévangéliste utilise rarement ladjectif « bon » (kalos). À part son utilisation dans notre péricope, on le retrouve seulement à Cana à propos du bon vin quon doit servir en premier (Jn 2, 10) et dans la discussion de Jésus avec les Juifs à propos de ses bonnes oeuvres (Jn 10, 32-33).
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psychēn (vie) |
Le mot grec psychē, (doù dérive le mot français : psychique) traduit le mot hébreu nepeš, quon traduit habituellement par âme, force vitale dune personne qui sexprime par la respiration. Quand une personne meurt, cest cette force vitale qui le quitte. À lépoque de la Grèce classique, la psychē représente également le siège des pensées, des émotions et des désirs. À part notre péricope, regardons lusage du mot psychē dans la tradition johannique, donc incluant les lettres de Jean.
- Jean 12, 27 : Maintenant mon âme (psychē) est troublée. Et que dire? Père, sauve-moi de cette heure! Mais cest pour cela que je suis venu à cette heure.
- Jean 13, 37-38 : Pierre lui dit: "Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent? Je donnerai ma vie (psychē) pour toi." Jésus répond: "Tu donneras ta vie (psychē) pour moi? En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne maies renié trois fois.
- Jean 15, 13 : Nul na plus grand amour que celui-ci: donner sa vie (psychē) pour ses amis.
- 1 Jean 3, 16 : A ceci nous avons connu lAmour: celui-là a donné sa vie (psychē) pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie (psychē) pour nos frères.
- 3 Jean 1, 2 : Très cher, je souhaite que tu te portes bien sous tous les rapports et que ton corps soit en aussi bonne santé que ton âme (psychē).
Comme on le voit, psychē désigne à la fois le siège des pensées, des émotions et des désirs (Jn 12, 27; 3 Jn 1, 2) et ce souffle de vie quon remet lorsquon meurt (Jn 13, 37; 15, 13, 1 Jn 3, 16).
Ce qui est une constante dans la tradition johannique, cest que lamour se mesure dans cette capacité de donner sa vie pour ceux quon aime. Ainsi, le véritable pasteur est capable daimer au point de donner sa vie pour ceux dont il est responsable. Avec une telle mesure, il faut probablement éliminer tous ceux qui en sont incapables, donc une grande partie de ceux qui se disent pasteurs.
Il vaut la peine de noter lexpression littérale : psychēn autou tithēsin (littéralement : déposer sa vie). Cela signifie quon ne considère plus sa vie comme une possession jalouse, mais comme une réalité dont on peut disposer comme un don : elle fut reçue comme un don, et on peut en disposer comme dun don.
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v. 12 La personne salariée, qui nest pas le berger et à qui les brebis nappartiennent pas, abandonne les brebis et senfuit, lorsquil voit venir le loup et le loup sen empare et les disperse,
Littéralement : La personne salariée (misthōtos), nétant pas le berger, de qui ne sont pas les brebis les siens propres, il voit le loup venant et il abandonne (aphiēsin) les brebis et senfuit (pheugei) et le loup sen empare (harpazei) et les disperse (skorpizei),
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misthōtos (personne salariée) |
Ce verset nous donne un écho du monde socio-économique du premier siècle. Tout dabord, il arrivait quun enclos servait à plusieurs bergers différents. Cétait à chacun de reconnaître ses brebis, ou plutôt, les brebis savaient reconnaître leur maître. Ensuite, il arrivait que des bergers confient leur troupeau à des gens moyennant un salaire. Le mot misthōtos (personne salariée) est extrêmement rare dans le Nouveau Testament : on le retrouve seulement ici dans notre péricope et en Marc 1, 20 ( et aussitôt Jésus les (Jacques et Jean) appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés (misthōtos), ils partirent à sa suite). Mais la réalité de gens qui travaillent pour un salaire est bien répandue :
- Matthieu 9, 37 || Lc 10, 2 : Alors il dit à ses disciples: "La moisson est abondante, mais les ouvriers (ergatēs) peu nombreux
- Matthieu 20, 8 : Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: Appelle les ouvriers (ergatēs) et remets à chacun son salaire (misthos), en remontant des derniers aux premiers.
- Luc 10, 7 || Mt 10, 10 : Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce quil y aura chez eux; car louvrier (ergatēs) mérite son salaire (misthos). Ne passez pas de maison en maison.
- Luc 15, 17-19 : Rentrant alors en lui-même, il (enfant prodigue) se dit: Combien de mercenaires (misthios) de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim! Je veux partir, aller vers mon père et lui dire: Père, jai péché contre le Ciel et envers toi; je ne mérite plus dêtre appelé ton fils, traite-moi comme lun de tes mercenaires (misthios).
- Jean 4, 36 : le moissonneur reçoit son salaire (misthos) et récolte du fruit pour la vie éternelle, en sorte que le semeur se réjouit avec le moissonneur.
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aphiēsin... pheugei (il abandonne... il s'enfuit) |
La personne salariée est lantithèse du bon pasteur. Alors que ce dernier donne sa vie pour ses brebis, et donc, dans le cas présent, affronterait le loup, la personne salariée abandonne le troupeau. Dans lAncien Testament, on trouve des reproches adressés aux pasteurs qui font la même chose :
- Jérémie 23, 1 : Maudits soient les pasteurs qui dispersent (diaskorpizō) et perdent les brebis de leur pâturage!
- Zacharie 11, 17 : Malheur au pasteur des idoles, à celui qui délaisse (kataleipō) les brebis ! Le glaive est levé sur son bras et sur son oeil droit ; son bras sera desséché, et son oeil droit ne verra plus.
On peut abandonner le troupeau pour un bref instant lorsquil sagit den retrouver une qui est perdue (Luc 15, 4 : "Lequel dentre vous, sil a cent brebis et vient à en perdre une, nabandonne (kataleipō) les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour sen aller après celle qui est perdue, jusquà ce quil lait retrouvée? ). Mais cet abandon temporaire ne fait que mettre en valeur limportance de chacun pour le pasteur.
On pourrait se demander : lévangéliste avait-il en tête des personnes précises en parlant de ces salariés. Nous navons aucun indice. Aussi jincline à penser quil ne vise ici quà mettre en valeur le bon pasteur, et à insister sur le fait que Jésus saura aimer jusquà donner sa vie.
Le loup semble être perçu comme la pire menace pour le troupeau de brebis.
- Ecclésiastique 13, 17 : Comment pourraient sentendre le loup et lagneau? Ainsi en est-il du pécheur et de lhomme pieux.
- Matthieu 10, 16 || Lc 10, 3 : Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes
- Actes 20, 29 : "Je sais, moi, quaprès mon départ il sintroduira parmi vous des loups redoutables qui ne ménageront pas le troupeau
Que représente donc le loup? De manière simple, on pourrait dire que ce sont tous les adversaires de la communauté chrétienne. Mais chez Jean, le grand adversaire apparaît sous le vocable de : Prince de ce monde, qui semble personnifier toutes les forces du mal.
- Jean 12, 31 : Cest maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors
- Jean 14, 30 : Je ne mentretiendrai plus beaucoup avec vous, car il vient, le Prince de ce monde; sur moi il na aucun pouvoir
- Jean 16, 11 : (une fois venu, lEsprit établira la culpabilité du monde en fait) de jugement, parce que le Prince de ce monde est jugé.
Jésus, bon pasteur, donnera sa vie dans sa lutte contre les forces du mal. Pour lévangéliste, tous ceux qui ont contribué à la mort de Jésus, incluant Judas, font partie de ces forces du mal. Par la suite, dans la tradition johannique, ceux qui refuseront la foi chrétienne et labandonneront appartiendront également aux forces du mal sous la figure de lAntichrist.
- 1 Jean 2, 18-19.22 : Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï dire que lAntichrist doit venir; et déjà maintenant beaucoup dAntichrists sont survenus: à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là. Ils sont sortis de chez nous, mais ils nétaient pas des nôtres. Sils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous. Mais il fallait que fût démontré que tous nétaient pas des nôtres... Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ? Le voilà lAntichrist! Il nie le Père et le Fils.
- 1 Jean 4, 3 : et tout esprit qui ne confesse pas Jésus nest pas de Dieu; cest là lesprit de lAntichrist. Vous avez entendu dire quil allait venir; eh bien! maintenant, il est déjà dans le monde.
- 2 Jean 7 : Cest que beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus Christ venu dans la chair. Voilà bien le Séducteur, lAntichrist.
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harpazei... skorpizei (il s'empare... il disperse) |
Tout dabord, le verbe semparer décrit une action violente et adverse dans les évangiles.
- Matthieu 11, 12 : Depuis les jours de Jean le Baptiste jusquà présent le Royaume des Cieux souffre violence, et des violents sen emparent (harpazō).
- Matthieu 12, 29 : "Ou encore, comment quelquun peut-il pénétrer dans la maison dun homme fort et semparer (harpazō) de ses affaires, sil na dabord ligoté cet homme fort? Et alors il pillera sa maison.
- Matthieu 13, 19 : Quelquun entend-il la Parole du Royaume sans la comprendre, arrive le Mauvais qui sempare (harpazō) de ce qui a été semé dans le coeur de cet homme: tel est celui qui a été semé au bord du chemin.
- Jean 6, 15 : Alors Jésus, se rendant compte quils allaient venir semparer (harpazō) de lui pour le faire roi, senfuit à nouveau dans la montagne, tout seul.
Ensuite, laction de disperser constitue un désastre : cest ainsi que les disciples abandonneront Jésus lors de son arrestation. Aussi, loeuvre de Jésus ressuscité est de rétablir lunité du troupeau. Il semble que garder uni le troupeau est vital.
- Marc 14, 27 || M 26, 31 : Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées (diaskorpizō)
- Jean 11, 51-52 : Or cela, il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans lunité les enfants de Dieu dispersés (diaskorpizō).
- Jean 16, 32 : Voici venir lheure - et elle est venue - où vous serez dispersés (skorpizō) chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul: le Père est avec moi.
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v. 13 car il nest quune personne salariée et na pas le souci des brebis.
Littéralement : car une personne salariée il est, et il ny a pas de souci (melei) chez lui au sujet des brebis.
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Il y a peu de choses à dire de ce verset qui est une explication du verset précédent : pourquoi la personne salariée abandonne le troupeau et senfuit. Nous ne sommes pas surpris dapprendre quelle na pas réellement souci du troupeau, puisque seul son salaire lintéresse. Jean a recours à un mot assez rare pour décrire la situation : melō, qui signifie « ce qui est important pour quelquun, avoir du souci pour quelque chose ». Voici quelques exemples dans les évangiles.
- Marc 4, 38 : Et lui était à la poupe, dormant sur le coussin. Ils le réveillent et lui disent: "Maître, tu ne te soucies (melō) pas de ce que nous périssons?"
- Luc 10, 40 : Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit: "Seigneur, cela ne te fait rien (melō) que ma soeur me laisse servir toute seule? Dis-lui donc de maider."
- Jean 12, 6 : Mais il dit cela non par souci (melō) des pauvres, mais parce quil était voleur et que, tenant la bourse, il dérobait ce quon y mettait.
Pour se soucier de quelquun, il faut dabord laimer. Le bon pasteur aime, la personne salariée naime pas; elle fait le travail pour lequel elle est payée.
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v. 14 Moi, je suis le bon berger et je connais celles qui mappartiennent, et celles-ci me connaissent,
Littéralement : Moi, je suis le berger le bon et je connais (ginōskō) les miennes (ema) et me connaissent (ginōskousi) les miennes (ema)
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ginōskō (je connais) |
Voilà un verbe que le quatrième évangile utilise abondamment, il est même celui qui lutilise le plus (Mt = 19; Mc = 11; Lc = 26; Jn = 57). Certains biblistes trouvent chez lui des tendances gnostiques, i.e. des accents qui ressemblent à ce quon trouve dans la Gnose, cette secte qui prône le salut par la connaissance. Cest ainsi que la première épitre selon Jean sent le besoin de rectifier les choses : « Qui dit : "Je le connais", alors quil ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité nest pas en lui. » (1 Jean 2, 4). Il ne suffit pas de connaître, il faut que les actes reflètent notre connaissance. Mais en fait, chez Jean, le mot ginōskō est extrêmement polyvalent, et il sen sert à toutes les sauces, tout comme son synonyme : oida (savoir). Prenons un échantillon représentatif pour comprendre ce quil entend ainsi exprimer.
Expérience ou connaissance profonde de la personne
- Jean 2, 24-25 : Mais Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce quil les connaissait (ginōskō) tous et quil navait pas besoin dun témoignage sur lhomme: car lui-même connaissait (ginōskō) ce quil y avait dans lhomme.
- Jean 5, 42 : mais je vous connais (ginōskō): vous navez pas en vous lamour de Dieu
- Jean 10, 27 : Mes brebis écoutent ma voix, je les connais (ginōskō) et elles me suivent
- Jean 8, 52 : Les Juifs lui dirent: "Maintenant nous savons (ginōskō) que tu as un démon
- Jean 13, 35 : A ceci tous reconnaîtront (ginōskō) que vous êtes mes disciples: si vous avez de lamour les uns pour les autres."
- Jean 14, 7-9 : Si vous me connaissez (ginōskō), vous connaîtrez (ginōskō) aussi mon Père; dès à présent vous le connaissez (ginōskō) et vous lavez vu." Philippe lui dit: "Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit." Jésus lui dit: "Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas (ginōskō), Philippe? Qui ma vu a vu le Père. Comment peux-tu dire: Montre-nous le Père?
Connaissance factuelle des choses, prise de conscience de ce qui se passe
- Jean 6, 15 : Alors Jésus, se rendant compte (ginōskō) quils allaient venir semparer de lui pour le faire roi, senfuit à nouveau dans la montagne, tout seul.
- Jean 11, 57 : Les grands prêtres et les Pharisiens avaient donné des ordres: si quelquun savait (ginōskō) où il était, il devait lindiquer, afin quon le saisît
- Jean 7, 51 : "Notre Loi juge-t-elle un homme sans dabord lentendre et savoir (ginōskō) ce quil fait!"
- Jean 12, 9 : La grande foule des Juifs apprit (ginōskō) quil était là et ils vinrent, pas seulement pour Jésus, mais aussi pour voir Lazare, quil avait ressuscité dentre les morts
- Jean 16, 19 : Jésus comprit (ginōskō) quils voulaient le questionner
- Jean 15, 18 : Si le monde vous hait, sachez (ginōskō) que moi, il ma pris en haine avant vous
Connaissance intellectuelle, savoir
- Jean 3, 10 : Jésus lui répondit: "Tu es Maître en Israël, et ces choses-là (il vous faut naître den haut), tu ne les saisis (ginōskō) pas?
- Jean 7, 49 : Mais cette foule qui ne connaît (ginōskō) pas la Loi, ce sont des maudits!
Comprendre la parole de quelquun, saisir le sens des événements, bien interpréter
- Jean 10, 6 : Jésus leur tint ce discours mystérieux mais eux ne comprirent (ginōskō) pas ce dont il leur parlait.
- Jean 8, 27 : Ils ne comprirent (ginōskō) pas quil leur parlait du Père.
- Jean 12, 16 : Cela, ses disciples ne le comprirent (ginōskō) pas tout dabord; mais quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit de lui et que cétait ce quon lui avait fait.
- Jean 13, 7 : Jésus lui répondit: "Ce que je fais, tu ne le sais pas à présent; par la suite tu comprendras (ginōskō)."
- Jean 13, 28 : Mais cela, aucun parmi les convives ne comprit (ginōskō) pourquoi il le lui disait
Connaissance provenant des yeux de la foi, léquivalent de croire
- Jean 6, 69 : Nous, nous croyons, et nous avons reconnu (ginōskō) que tu es le Saint de Dieu
- Jean 8, 28 : Jésus leur dit donc: "Quand vous aurez élevé le Fils de lhomme, alors vous saurez (ginōskō) que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père ma enseigné
- Jean 10, 38 : mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin de reconnaître (ginōskō) une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père.
- Jean 14, 17 : lEsprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce quil ne le voit pas ni ne le reconnaît (ginōskō). Vous, vous le connaissez (ginōskō), parce quil demeure auprès de vous.
- Jean 14, 20 : Ce jour-là, vous reconnaîtrez (ginōskō) que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous.
- Jean 16, 3 : Et cela, ils le feront pour navoir reconnu (ginōskō) ni le Père ni moi.
- Jean 17, 3 : Or, la vie éternelle, cest quils te connaissent (ginōskō), toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
- Jean 17, 7-8 : Maintenant ils ont reconnu (ginōskō) que tout ce que tu mas donné vient de toi; car les paroles que tu mas données, je les leur ai données, et ils les ont accueillies et ils ont vraiment reconnu (ginōskō) que je suis sorti dauprès de toi, et ils ont cru que tu mas envoyé
- Jean 17, 25 : Père juste, le monde ne ta pas connu (ginōskō), mais moi je tai connu (ginōskō) et ceux-ci ont reconnu (ginōskō) que tu mas envoyé.
Le mot « connaître » (ginōskō) nest donc pas un terme technique avec une signification spécifique. Tout dépend du contexte. Dans le verset qui nous occupe, il sert à décrire la relation intime qui existe entre Jésus et le croyant, et donc la connaissance réciproque qui est possible, ce que nous avons regroupé dans la catégorie : expérience ou connaissance profonde de la personne. Sur le plan animal, cela renvoie à la relation qui sétablit avec le temps entre le maître et son animal, que ce soit la brebis, le chien ou le cheval. Mais plus profondément, sur le plan humain, cela renvoie aux relations de grands amis ou de conjoints ou parents-enfant où lintimité permet une grande connaissance mutuelle. En un mot, il sagit dune connaissance née de lamour.
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ema (les miennes) |
Avec emos (un adjectif ou pronom possessif qui se traduit par : mon, ma, mien, mienne, moi, me), nous sommes devant un autre mot quutilise abondamment le quatrième évangile, plus que tous les autres (Mt = 38; Mc = 17; Lc = 37; Jn = 133). Lexplication de cette utilisation abondante est simple : le quatrième évangile se démarque des autres en étant avant tout un long discours de Jésus; bien sûr, il y a des scènes daction où Jésus pose un certain nombre de gestes, mais elles sont largement dépassées par celles où Jésus parle. Pour être plus précis, 424 des 877 versets de lévangile, soit 48%, nous présentent un Jésus qui parle. Alors il ne faut pas se surprendre du nombre de « mon, ma, mien, mienne, moi, me ».
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ginōskousi me ta ema (elles me connaissent les miennes) |
Nous avons éclairci précédemment la signification de « connaître » ( ginōskō) et nous avons fait référence aux relations de grands amis ou de conjoints ou parents-enfant où lintimité permet une grande connaissance mutuelle. Il nous faut quand même préciser comment les brebis, donc nous les croyants, connaissent le maître ou pasteur. Dans le monde animal, cest la longue fréquentation du pasteur et les soins quil a prodigués qui permet à la brebis de reconnaître le berger parmi tant dautres. Mais quand est-il de nous, les humains? Pour lévangéliste, « celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3, 21), et donc accueille Jésus comme pasteur. Mais plus fondamentalement, lévangéliste dira que celui qui est de Dieu reconnaît en Jésus celui qui vient de Dieu (Jn 8, 47), et que cest donc Dieu qui amène les gens à sattacher à Jésus et à accueillir sa parole (Jn 10, 28).
Mais aujourdhui, dans le monde qui est le nôtre, comment quelquun peut-il reconnaître en Jésus le véritable pasteur? Cest ici que les choses deviennent plus complexes. Bien sûr, si on vous posait la question : qui est votre pasteur véritable? Vous répondriez sans hésiter : Jésus. Mais posez la question à un Musulman, et vous aurez une réponse différente. Les réponses seront également différentes pour un Indou, un Bouddhiste, un agnostique, un athée, etc. Cette reconnaissance serait-elle seulement une affaire de culture ou déducation? Je ne le crois pas. Reprenons la logique de Jean. Lune des scènes finales de lévangéliste est celui de Jésus qui souffle sur ses disciples en leur donnant son Esprit, ce que Paul dans son épitre aux Romains exprimera ainsi : « lamour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint
Esprit qui nous fut donné » (Romains 5, 5). Quiconque souvre à cet Esprit, même sans pouvoir le nommer, reconnaîtra dans les paroles de Jésus, sil y est exposé, ou des paroles de quelque témoin authentique, peu importe la religion, les paroles du véritable pasteur. Quelquun comme Etty Hillesum ne parlera pas dEsprit, mais plutôt de vie au plus profond delle-même, et cest ainsi que, toute Juive quelle était, elle a reconnu dans les paroles du Nouveau Testament une lumière qui la guidait, sans vraiment nommer Jésus.
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v. 15 comme le Père me connaît et que, moi, je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis.
Littéralement : Comme me connaît (ginōskei) le Père (patēr) et que moi je connais (ginōskō) le Père, et ma vie (psychēn) je la dépose en faveur de mes brebis.
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patēr (Père) |
Appeler Dieu « Père » est un autre point caractéristique du quatrième évangile (Mt = 41; Mc = 4; Lc = 13; Jn = 75). Dans lensemble des évangiles, cest Jésus seul qui appelle Dieu : Père. Cela définit sa relation avec Dieu, i.e. celui dun fils vis-à-vis de son père. Ici, cette relation lui permet de parler du degré dintimité et de connaissance mutuelle.
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ginōskei me ho patēr kagō ginōskō ton patera (me connaît le Père et que moi je connais le Père) |
Ce qui est étonnant ici, cest que la relation entre le berger et ses brebis, et donc entre Jésus et nous, est comparée à celle de Jésus et son Père. Ainsi, pour Jean, notre relation à Jésus est sur le même pied que celle quil entretient avec Dieu. Cest dire toute sa profondeur.
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tēn psychēn mou tithēmi (ma vie je la donne) |
On peut sétonner de lintroduction du thème du don de la vie, alors quon parlait précédemment de la connaissance mutuelle entre Jésus et ses brebis, à lexemple de la connaissance mutuelle de Jésus et son Père : cela apparaît comme un appendice. En fait, cet ajout permet à lauteur de faire inclusion avec le v. 11 où on donnait la description du bon berger, i.e. celui qui est prêt à donner sa vie pour ses brebis. Nous avons donc une forme de conclusion, et on peut assumer que ce qui suivra amorce un autre sujet.
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v. 16 Cependant, jai des brebis qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là, je dois les conduire et elles écouteront ma voix, et elles deviendront un seul troupeau, et il y aura un seul berger.
Littéralement : et cependant des brebis je possède lesquelles ne sont pas de cet enclos (aulēs). Celles-là il me faut (dei) mener (agagein) et ma voix (phōnēs) ils entendront (akousousin), et ils deviendront un seul (mia) troupeau, (heis) un berger
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aulēs (enclos) |
Relevons dabord que le mot aulē est très peu usité dans les évangiles (Mt = 3; Mc = 3; Lc = 2; Jn = 3) et signifie : enclos, bercail, cour intérieure, parvis du temple, maison, palais. Jean est le seul à lutiliser au sens de « enclos » (10, 1 et ici). Tous les autres cas font référence au palais ou la cour du grand prêtre ou le palais de Pilate, là où Jésus a subi son procès, à lexception de Luc 11, 21 qui fait partie dune parabole de Jésus sur un homme qui possède un palais. Pour Jean, cet enclos possède un portier sur laquelle veille un portier (voir 10, 1). Derrière cette image, on devine facilement la communauté chrétienne.
Qui sont ces brebis qui ne sont pas de cet enclos? Lévangéliste nous a habitués à centrer notre attention sur les membres de la communauté quil invite à cultiver lamour fraternel. On trouve chez lui très peu de référence à un monde extérieur à la communauté, sauf aux opposants quil appelle souvent « le monde ». Pourtant, il existe quelques références à des gens susceptibles de se joindre un jour à la communauté.
- Jean 11, 51-52 : Or cela, il (Caïphe) ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans lunité les enfants de Dieu dispersés.
- Jean 17, 20-21 : Je ne prie pas pour eux (ceux que Dieu a donnés à Jésus) seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, queux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu mas envoyé.
Ainsi, grâce à la prédication missionnaire, dautres croyants se joindront à la communauté. Mais ces autres semblent restreints aux enfants de Dieu, i.e. au peuple de lalliance. Lauteur du v. 16 semble sinspirer de ce passage dÉzéchiel où le prophète annonce la réunification du royaume du Nord et du Sud pour former le grand Israël.
Ezéchiel 37, 21-24 : Et tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur Maître : Voilà que je vais retirer toute la maison dIsraël du milieu des nations où elle est entrée ; je les rassemblerai (synagō) dentre toutes les contrées dalentour, et je les ramènerai (eisagō) en la terre dIsraël. Et jen ferai une (heis) nation dans la terre qui mappartient et sur les montagnes dIsraël. Et il y aura pour eux un seul (heis) prince, et ils ne formeront plus deux nations, et ils ne seront plus jamais divisés en deux royaumes, Afin de ne plus se souiller de leurs idoles ; et je les préserverai de tous les dérèglements où ils sont tombés, et je les purifierai ; et ils seront mon peuple, et moi, le Seigneur, je serai leur Dieu. Et mon serviteur David sera prince au milieu deux ; y aura pour eux tous un seul (heis) pasteur, parce quils marcheront dans la voie de mes ordonnances et quils garderont mes commandements et les pratiqueront.
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Celles-là il me faut mener... |
Notons dabord quavec le v. 16 nous avons changé de thème. Il ne sagit plus de lopposition entre lemployée salarié et le bon pasteur capable de donner sa vie, ainsi que de la relation dintimité entre le berger et son troupeau. Le berger rassemble son troupeau pour le conduire vers de bons pâturages. Nous sommes devant le guide.
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dei (il faut) |
Lexpression peut surprendre : pourquoi est-ce une obligation? Chez Jean, le verbe deō sert surtout à exprimer le chemin nécessaire pour atteindre un but (sur son utilisation dans les évangiles : Mt = 14; Mc = 12; Lc = 18; Jn = 11; tout cela reflète le fait que Jean lutilise moins que les autres). Si on élimine les cas où le mot est utilisé au sens très physique de « être lié », on obtient ceci :
- Jean 3, 7 : Ne tétonne pas, si je tai dit: Il vous faut (deō) naître den haut.
- Jean 3, 14 : Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il (deō) que soit élevé le Fils de lhomme
- Jean 3, 30 : Il faut (deō) que lui grandisse et que moi je décroisse
- Jean 4, 24 : Dieu est esprit, et ceux qui adorent, cest dans lesprit et la vérité quils doivent (deō) adorer
- Jean 9, 4 : Tant quil fait jour, il nous faut (deō) travailler aux oeuvres de celui qui ma envoyé; la nuit vient, où nul ne peut travailler
- Jean 12, 34 : La foule alors lui répondit: "Nous avons appris de la Loi que le Christ demeure à jamais. Comment peux-tu dire: Il faut (deō) que soit élevé le Fils de lhomme? Qui est ce Fils de lhomme?"
- Jean 20, 9 : En effet, ils ne savaient pas encore que, daprès lÉcriture, il devait (deō) ressusciter dentre les morts
Ainsi, naître den haut, mourir (être élevé), sesquiver (lui grandisse... moi je décroisse), travailler tant quil fait jour, entrer en relation avec Dieu de manière spirituelle, et non à travers un temple physique, ressusciter, tout cela est le chemin nécessaire pour que se réalise ce que Dieu a voulu. Pour notre verset, Dieu veut rapatrier lhumanité entière, et pour atteindre ce but, il faut un pasteur qui guide son troupeau; cest absolument nécessaire.
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agagein (mener) |
Le mot agō (Mt = 7; Mc = 3; Lc = 15; Jn = 14) a la signification banale damener quelquun. Cela implique soit lexercice de lautorité, soit avoir une influence sur quelquun. Nous ne pouvons donc préciser davantage ce que comporte laction de conduire.
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akousousin (ils entendront) |
Le mot akouō (Mt = 57; Mc = 41; Lc = 57; Jn = 54) a souvent chez Jean le sens courant de « entendre », « apprendre ». Mais, de manière fréquente, il se réfère à la prédication de Jésus, et de manière indirecte, à lévangile de Jean qui veut transmettre cette parole. Cette parole sadresse donc aux contemporains de Jésus et aux lecteurs de lévangile, et, de manière surprenante, à ceux qui sont décédés. En souvrant à cette parole, la personne « est passé de la mort à la vie », ne subit pas le jugement mais connaît une vie éternelle. Par contre, il faut se rendre compte que cette parole est dure, et que beaucoup sont incapables de laccueillir, car seuls ceux qui sont de Dieu, ou de la vérité, ou encore, aiment Jésus, en sont capables. Donnons quelques exemples.
- Jean 5, 24 : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute (akouō) ma parole et croit à celui qui ma envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
- Jean 5, 25 : En vérité, en vérité, je vous le dis, lheure vient - et cest maintenant - où les morts entendront (akouō) la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront.
- Jean 5, 28 : Nen soyez pas étonnés, car elle vient, lheure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront (akouō) sa (le Fils de lhomme) voix
- Jean 6, 45 : Il est écrit dans les prophètes: Ils seront tous enseignés par Dieu. Quiconque sest mis à lécoute (akouō) du Père et à son école vient à moi.
- Jean 6, 60 : Après lavoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent: "Elle est dure, cette parole! Qui peut lécouter (akouō)?"
- Jean 8, 43 : Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? Cest que vous ne pouvez pas entendre (akouō) ma parole.
- Jean 8, 47 : Qui est de Dieu entend (akouō) les paroles de Dieu; si vous nentendez (akouō) pas, cest que vous nêtes pas de Dieu."
- Jean 12, 47 : Si quelquun entend (akouō) mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde.
- Jean 14, 24 : Celui qui ne maime pas ne garde pas mes paroles; et la parole que vous entendez (akouō) nest pas de moi, mais du Père qui ma envoyé.
- Jean 18, 37 : Pilate lui dit: "Donc tu es roi?" Jésus répondit: "Tu le dis: je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute (akouō) ma voix."
Tout au long du quatrième évangile, Jésus répète que ce quil proclame ne vient pas de lui, mais quil ne fait que reproduire ce quil a entendu du Père. De la même manière, lEsprit quil enverra reproduira également ce quil a entendu du Père. Ainsi, se dégage limage que le Père est la source de toute parole, et que Jésus et lEsprit ne sont que des médiateurs. Mais le corollaire est quil ny pas daccès direct à Dieu, sinon par Jésus et lEsprit. Exemples.
- Jean 5, 30 : Je ne puis rien faire de moi-même. Je juge selon ce que jentends (akouō): et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui ma envoyé.
- Jean 5, 37 : Et le Père qui ma envoyé, lui, me rend témoignage. Vous navez jamais entendu (akouō) sa voix (phōnē), vous navez jamais vu sa face
- Jean 8, 26 : Jai sur vous beaucoup à dire et à juger; mais celui qui ma envoyé est véridique et je dis au monde ce que jai entendu (akouō) de lui."
- Jean 8, 40 : Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que jai entendue (akouō) de Dieu. Cela, Abraham ne la pas fait!
- Jean 14, 24 : Celui qui ne maime pas ne garde pas mes paroles; et la parole que vous entendez (akouō) nest pas de moi, mais du Père qui ma envoyé.
- Jean 15, 15 : Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que jai entendu (akouō) de mon Père, je vous lai fait connaître.
- Jean 16, 13 : Mais quand il viendra, lui, lEsprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce quil entendra (akouō), il le dira et il vous dévoilera les choses à venir.
Dans la parabole du berger et de ses brebis, lévangéliste représente à travers la brebis celui qui a accueilli cette parole. Ainsi, on peut assumer que cette personne est de Dieu et de la vérité, quelle est capable de distinguer ce qui est de Dieu et de la vérité, et ce qui ne lest pas. Dans la parabole du berger et de ses brebis, cest à travers limage de la voix quon fait référence à la parole de Jésus, cette parole qui les guide.
- Jean 10, 3 : Le portier lui ouvre et les brebis écoutent (akouō) sa voix (phōnē), et ses brebis à lui, il les appelle une à une et il les mène dehors.
- Jean 10, 4 : Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce quelles connaissent sa voix (phōnē).
- Jean 10, 5 : Elles ne suivront pas un étranger; elles le fuiront au contraire, parce quelles ne connaissent pas la voix (phōnē) des étrangers."
- Jean 10, 8 : Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont pas écoutés (akouō).
- Jean 10, 27 : Mes brebis écoutent (akouō) ma voix (phōnē), je les connais et elles me suivent;
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Le verbe akouō chez Jean |
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mia poimnē, heis poimēn (un seul troupeau, un berger) |
Le quatrième évangile est le seul à promouvoir explicitement lunité de la communauté (même si, de manière différente, les Actes des Apôtres insisteront que la première communauté chrétienne « navait quun coeur et quune âme » pour expliquer quils mettaient leurs biens en commun : Actes 4, 32). Et surtout, il est le seul à fonder théologiquement la raison de cette unité : elle reflète lunité entre Dieu et Jésus, et celle des croyants avec Jésus et avec Dieu même. Cette unité proclame lexistence même de Dieu et de son amour pour le monde.
- Jean 10, 30 : Moi et le Père nous sommes un (heis)
- Jean 17, 11 : Je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les dans ton nom que tu mas donné, pour quils soient un (heis) comme nous.
- Jean 17, 20-23 : Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un (heis). Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, queux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu mas envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu mas donnée, pour quils soient un (heis) comme nous sommes un (heis): moi en eux et toi en moi, afin quils soient parfaits dans lunité (heis), et que le monde reconnaisse que tu mas envoyé et que tu les as aimés comme tu mas aimé.
Mais pour réaliser cette unité, il y une seule voie pour Jésus, celle de donner sa vie : « "Vous ne songez même pas quil est de votre intérêt quun seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière." Or cela, il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans lunité (heis) les enfants de Dieu dispersés. » (Jean 11, 51-52) La fin de lévangile insiste sur cette unité qui se maintien malgré la diversité des membres dans cette scène de pêche où, malgré la diversité des poissons, le filet de la communauté ne se brise pas : « Alors Simon-Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de gros poissons: 153; et quoiquil y en eût tant, le filet ne se déchira pas. » (Jean 21, 20).
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v. 17 Voilà pourquoi le Père maime, car, moi, je donne ma vie, afin de la reprendre de nouveau.
Littéralement : À cause de cela (dia touto) le Père maime (agapa) du fait que (hoti) moi je dépose ma vie, afin (hina) de nouveau je la prends (labō).
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dia touto (À cause de cela) |
Malgré le fait que lexpression semble ordinaire, elle est unique dans les évangiles et napparaît quici. Pourtant, les mots, pris individuellement, sont communs. Dia (Mt = 59; Mc = 33; Lc = 39; Jn = 59) est une préposition qui, lorsque suivie de laccusatif, a un sens causal : à cause de, en vue de, pour. touto (Mt = 30; Mc = 13; Lc = 21; Jn = 52) provient de houtos (Mt = 147; Mc = 79; Lc = 228; Jn = 187 : celui-ci, celle-là, ceci, celà), un mot qui peut être soit un pronom, soit un adjectif démonstratif, décliné ici à laccusatif neutre. On pourrait se poser la question : quel est le sens de ce « À cause de cela »? Ce « cela », ou le pronom démonstratif touto, renvoie à quoi? Renvoie-t-il à ce qui précède ou à ce qui suit? En français, lexpression sert souvent à introduire une conclusion à ce quon vient daffirmer. Mais ici on voit difficilement comment elle pourrait renvoyer à ce qui précède. Car Jésus vient dexprimer son projet de rassembler en un seul troupeau lensemble des brebis, si bien que létat final sera un seul troupeau, un seul pasteur. Tout cela est en soi une conclusion, qui nappelle pas une autre conclusion. Aussi, il est fort probable que « à cause de cela » reçoit sa signification de ce qui suit, ce que confirmera notre analyse de lamour du Père.
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agapa (il aime) |
Pour une analyse de lamour chez Jean et dans toute la Bible, voir le Glossaire. Ce qui étonne ici, cest que lamour du Père pour Jésus ait besoin de justification, puisque le verset a été introduit par : voilà pourquoi ( dia touto, littéralement : à cause de cela). Quand on examine tous les passages où Jean parle de lamour du Père pour lui, il sagit toujours dun amour inconditionné : Il la aimé avant la fondation du monde (17, 24), Il lui a donné la gloire, Il lui a tout remis entre les mains (3, 35), Il lui montre tout ce quil fait (5, 20). Pourquoi y aurait-il maintenant des conditions? Examinons la suite.
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hoti (du fait que) |
La conjonction hoti peut-être utilisée de manière complétive, consécutive ou causale. Ici, en faisant suite à dia touto (voilà pourquoi), elle est clairement une conjonction causale (parce que). Notons au passage que lévangile selon Jean est celui qui fait le abondamment usage de cette conjonction dans les récits évangéliques (271 fois, soit 40% de tous les cas). À plusieurs reprises dans son évangile, la conjonction a le sens causal. Donnons trois exemples :
- Jean 1, 15 : Jean lui rend témoignage et il clame: "Cest de lui que jai dit: Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, (hoti) parce quavant moi il était."
- Jean 1, 50 : Jésus lui répondit: "(hoti) Parce que je tai dit: Je tai vu sous le figuier, tu crois!
- Jean 3, 18 : Qui croit en lui nest pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé, (hoti) parce quil na pas cru au Nom du Fils unique de Dieu.
Pourquoi le Père aime Jésus? Parce quil donne sa vie. Doit-on alors penser que la mort de Jésus est la condition posée par le Père pour aimer Jésus, si bien que sans cette mort il ne laimerait pas? Spontanément, nous savons que cest absurde, car lamour est inconditionnel. Alors comment comprendre cette phrase ambigüe? Voici ce je propose.
Dans notre langage courant, nous donnons divers sens au mot « aimer ». Ainsi, nous disons parfois : « Jaime ce que tu fais ». Par là, nous exprimons notre appréciation et notre accord devant ce que nous observons, et même notre communion avec la personne qui pose laction. Cela nous aide à comprendre ce quentend exprimer lévangéliste. À plusieurs reprises, Jésus proclame le parfait accord entre son action et celle du Père : il fait ce que le Père lui montre (5, 20), ses oeuvres reflètent le témoignage du Père (5, 36), si bien quil y a parfaite unité entre le Père et le fils (10, 30). Alors, le fait même que Jésus donne sa vie est le reflet de tout cela : en Jésus qui donne sa vie, cest le Père qui donne sa vie en Jésus. Ainsi, nous pourrions reformuler la phrase de Jean en disant : Voilà pourquoi le Père et moi sommes uns dans lamour, car je donne ma vie comme le Père donne la sienne à travers moi; bref, à travers Jésus lamour du Père sexprime totalement.
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hina (afin de) |
Ce bout de phrase peut surprendre, car Jésus donnerait sa vie dans le but de la ravoir. Quest-ce que cest que cette histoire? Examinons le sens des mots chez lévangéliste. Notons dentrée de jeu que nous sommes devant des mots quil affectionne : hina (Mt = 39; Mc = 64; Lc = 46; Jn = 145); lambanō (Mt = 53; Mc = 20; Lc = 21; Jn = 46); palin (Mt = 17; Mc = 28; Lc = 3; Jn = 45). Commençons avec ( hina) qui peut avoir un sens final (afin que, afin de, pour), un sens consécutif (de sorte que, si bien que) et complétif (que, cest-à-dire, à savoir, en sorte que). Quand hina est suivi dun verbe qui est au subjonctif (comme dans notre verset) ou au futur en grec, il entend exprimer habituellement un but. Donnons quelques exemples :
- Jean 1, 7 : Il vint pour témoigner, pour (hina, dans le but de) rendre témoignage (martyrēsē, subjonctif) à la lumière, afin que (hina, dans le but de) tous crussent (pisteusōsin, subjonctif) par lui.
- Jean 7, 3 : Ses frères lui dirent donc: "Passe dici en Judée, que (hina, dans le but de) tes disciples aussi voient (theōrēsousin, futur) les oeuvres que tu fais
- Jean 7, 32 : Ces rumeurs de la foule à son sujet parvinrent aux oreilles des Pharisiens. Ils envoyèrent des gardes pour (hina, dans le but de) le saisir (piasōsin, subjonctif).
Ainsi, ce qui suit hina entend exprimer dans quel but Jésus donne sa vie.
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labō (je prends) |
Le mot grec signifie : prendre, recevoir, accueillir. Sur les 46 emplois du mot lambanō chez Jean, 28 peuvent être traduits par « recevoir, accueillir », et 18 par « prendre ». Il est important de préciser la signification du mot, car il y a quelque chose de surprenant à entendre que Jésus, après avoir donné sa vie, et donc après avoir connu la mort, « reprend » sa vie comme sil était en plein contrôle, ayant donc une prérogative quaucun humain ne possède. On a limpression davoir ici le vocabulaire de lancien catéchisme qui parlait de Jésus qui se ressuscite lui-même. Pourtant, lensemble du Nouveau Testament est pratiquement unanime à dire que cest Dieu qui a redonné vie à Jésus (« Dieu la ressuscité des morts: nous en sommes témoins. », Actes 3, 15). On comprend donc limportance de bien interpréter lambanō.
Lévangéliste se sert dabord de lambanō en référence à la personne de Jésus, ou à sa parole, ou au témoignage sur lui, ou à celui quil envoie, quil faut accueillir (1, 12; 3, 11; 5, 43; 12, 48; etc.). Il fait aussi référence à lEsprit que nous sommes appelés à accueillir (20, 22). Nous sommes donc devant une réalité qui nous est donnée et quil sagit daccueillir. Il y a cependant trois cas où cest Jésus qui est le sujet du verbe :
- Jean 5, 34 : Non que je reçoive (lambanō ) le témoignage dun homme; si jen parle, cest pour votre salut
- Jean 5, 41 : De la gloire, je nen reçois (lambanō ) pas qui vienne des hommes
- Jean 10, 18 : tel est le commandement que jai reçu (lambanō ) de mon Père
Ainsi, Jésus reçoit de son Père le témoignage, la gloire et le commandement.
Pourtant, le même mot est utilisé dans le sens de « prendre ». Examinons ces différentes utilisations en dehors des versets 17 et 18 de notre péricope.
- Jésus est sujet de laction : il prend du pain (6, 11; 21, 13), il prend une bouchée (13, 26), il prend du vinaigre (19, 30), il prend un linge ou son vêtement (13, 4.12)
- Les disciples veulent le prendre dans le bateau alors quil marche sur leau (6, 21)
- Judas prend une bouchée (13, 30), puis il prend une cohorte et des gardes pour arrêter Jésus (18, 3)
- Pilate prend Jésus pour le flageller (19, 1), il dit aux Juifs de le prendre (18 31; 19, 6), les soldats lui prennent ses vêtements (19, 23), ou prennent son corps pour lui faire une sépulture (19, 40).
- Enfin, Marie prend une livre de parfum de nard très pur pour oindre les pieds de Jésus (12, 3) et les gens de Jérusalem prennent des rameaux de palmier pour accueillir Jésus (12, 13).
On constate donc que lévangéliste utilise ce terme au sens de « manipuler » un objet ou une personne (une livre de parfum, des rameaux de palmier, linge, pain, bouchées, une cohorte et des gardes, Jésus lui-même), mais aussi au sens de consommer (vinaigre), et de recevoir (dans le bateau). « Prendre » ou « Prendre de nouveau / reprendre » na pas ainsi le sens de « être fort, dominer, semparer de, se saisir de, être maître de » qui est exprimé en grec par krateō. Il na pas non plus de sens de « tenir, prendre, saisir, arrêter, capturer » qui est exprimé en grec par piazō. Pourquoi insister sur ce point? Il serait facile de traduire laffirmation de Jean sur Jésus qui reprend sa vie comme ceci : Jésus domine totalement la situation, il est le maître de la vie, et il ny a aucun problème chez lui pour en prendre de nouveau possession, si bien que sa mort est un bref intermède qui frise le théâtre, car Jésus est toujours en contrôle. Même si le langage de Jean sy prête parfois, une telle affirmation contredit le coeur de la foi chrétienne. Alors quel sens donner à lexpression « afin de la reprendre (lambanō ) de nouveau (palin) »? On pourrait rapprocher cette expression dune phrase de Jean lors de son dernier repas.
- Jean 13, 12 : Quand il leur eut lavé les pieds, quil eut repris (lambanō ) ses vêtements et se fut mis de nouveau (palin) à table
Reprendre la vie est comme remettre un vêtement : il y a un mouvement logique qui part dun vêtement quon dépose (Jean dit textuellement : Le bon berger dépose (tithēmi) sa vie pour ses brebis, v. 11), et celui où on le reprend ou remet. Saint Paul utilise la même image pour parler de résurrection, i.e. celle de revêtir un nouveau vêtement :
- 1 Corinthiens 15, 53 : Il faut, en effet, que cet être corruptible revête (endyō) lincorruptibilité, que cet être mortel revête (endyō) limmortalité.
Il nous reste un dernier problème à résoudre : dans quel sens interpréter laffirmation que Jésus donne sa vie dans le but de la reprendre? Ny a-t-il pas quelque chose de bizarre à dire : je vais perdre cet objet parce que ça va me permettre de le retrouver? Il faut entrer ici dans le langage de lévangéliste. Nous savons très bien que donner sa vie, mourir, ne peut être un but en soi. Si on donne sa vie, cest dans un but supérieur. Pour lévangéliste, le don de sa vie par Jésus est un geste damour qui lui permet de retrouver la « gloire » quil avait auprès de son Père, qui lui permet de donner lEsprit à lhumanité entière, et donc lui permet de mettre en oeuvre cette immense force qui rassemblera lhumanité en une seule communauté. Ainsi, faut-il traduire laffirmation de Jean comme ceci : je donne ma vie afin daccéder à cette vie qui transformera lhumanité.
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v. 18 Personne ne me lenlève, mais cest moi qui la donne de moi-même. Jai le pouvoir de la donner, et celui de la reprendre. Tel est le précepte que jai reçu de mon père.
Littéralement : Personne ne lenlève (airei) de moi, mais moi, je la dépose de moi-même. Le pouvoir (exousian) je possède de la déposer, et le pouvoir (exousian) je possède de nouveau de la prendre. Tel est le commandement (entolēn) que jai reçu de mon père.
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airei (il lenlève) |
Le quatrième évangile est celui qui utilise le plus le verbe airō parmi les évangélistes : Mt = 17; Mc = 17; Lc = 17; Jn = 23. Il signifie : lever, soulever, élever, dresser, porter, emporter, supprimer. On pourrait résumer ainsi ses emplois.
- Au sens de soulever : linfirme soulève son grabat (5, 8-12), Jésus soulève lâme (la tient en suspens, 10, 24)
- Au sens de lever : Jésus lève les yeux (11, 41); les gens lèvent /ramassent des pierres pour les jeter à Jésus (8, 59)
- Au sens denlever : Jésus est lagneau de Dieu qui enlève le péché du monde (1, 29); le Père enlève les sarments qui ne portent pas de fruit (15, 2); personne ne peut enlever la joie du disciple (16, 22); Jésus ne demande pas denlever les disciples du monde (17, 15); on enlève de la croix le corps des trois crucifiés (19, 31), ainsi que celui de Jésus (19, 38); Marie de Magdala constate que la pierre du tombeau est enlevée (20, 1); elle se plaint quon a enlevé le corps de Jésus (20, 2.13) et demande au jardinier où il se trouve pour pouvoir aller lenlever (20, 15)
- Enfin, au sens de supprimer : les Juifs crient à Pilate à propos de Jésus : Supprime-le! Supprime-le! (19, 15)
Encore une fois, comme on le constate, airō reçoit de multiples significations et doit être interprété selon son contexte. On peut néanmoins rapprocher notre v. 18 de 16, 22 : « Vous aussi, maintenant vous voilà tristes; mais je vous verrai de nouveau et votre coeur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous lenlèvera ». La vie, comme la joie, nest pas une réalité sur laquelle les autres peuvent avoir prise, et en ce sens, personne ne peut la voler ou lenlever. Bien sûr, nous sommes à un niveau plus profond que la vie physique. Ainsi, pour lévangéliste, la mort de Jésus a été un geste totalement libre. De là découle toute sa valeur.
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exousian (pouvoir) |
Quel est exactement le sens de exousia? Encore une fois, nous avons limpression dêtre devant limage de quelquun qui contrôle tout. Le mot lui-même signifie : permission, droit, autorité, pouvoir. Quand on regarde de près lutilisation de ce mot chez lévangéliste, on peut regrouper les textes en deux catégories :
- Quand il a le sens de capacité : selon le narrateur, le Verbe donne à ceux qui lont accueilli la capacité dêtre enfant de Dieu (1, 12) ; selon Jésus, le Père a donné au Fils de lhomme la capacité dexercer le jugement (5, 27) et il lui a donné la capacité de donner la vie éternelle au croyant (17, 2)
- Quand il a le sens dautorité : Pilate se vante davoir lautorité de relâcher ou de crucifier Jésus (19, 10), auquel Jésus réplique que cette autorité vient de Dieu (19, 11)
Ainsi, quand il sagit de Jésus, il sagit toujours de capacité, et jamais de pouvoir légal ou politique. Aussi, faut-il interpréter la phrase de Jésus comme sa capacité de donner librement sa vie et de la retrouver par la suite. Mais cela nous laisse tout de même avec la question : en quel sens Jésus a-t-il la capacité de retrouver la vie. Cest ici que vient la tentation pour certains de dire : comme il est Fils de Dieu, il peut se redonner la vie. Ce serait passer totalement à côté de ce que lévangéliste est en train de dire. En accord avec lensemble du Nouveau Testament, Jésus meurt vraiment et cest Dieu qui le ressuscite pour Jean. Mais, la vie de Jésus est tellement en accord avec la parole et lamour reçu du Père, la communion est tellement totale, que la vie même de Dieu ne le quitte jamais, et cest elle quil retrouve par delà la mort, et donc, en quelque sorte, quil « reprend ». Voilà la capacité des fils de Dieu.
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entolēn (commandement) |
Le mot entolē signifie : ordre, commandement, précepte. Le quatrième évangile est celui qui en fait le plus usage parmi les évangiles : Mt = 6; Mc = 6; Lc = 4; Jn = 10. Et si, à cela, on ajoute toute la tradition johannique, i.e. ses trois lettres, on se retrouve avec un total de 28 emplois. Aussi importe-t-il de bien comprendre sa signification. Nos Bibles traduisent habituellement entolē par commandement, ce qui lui donne une connotation un peu militaire. Dans la tradition juive ce mot est la traduction grecque de lhébreu miṣwâ , qui signifie commandement, mais un commandement qui découle des dix paroles reçues au Sinaï et inscrites sur les deux tables dalliance (Exode 34, 28) : le don de ces paroles appelle une réponse qui prend la forme dun commandement, mais un commandement qui est source de vie; cest ce que reflète clairement le Deutéronome : « Du ciel il ta fait entendre sa voix pour tinstruire, et sur la terre il ta fait voir son grand feu, et du milieu du feu tu as entendu ses paroles ... Garde ses lois et ses commandements que je te prescris aujourdhui, afin davoir, toi et tes fils après toi, bonheur et longue vie sur la terre que Yahvé ton Dieu te donne pour toujours » (Dt 4, 36.40). Examinons brièvement entolē dans la tradition johannique.
Ainsi, quand Jésus dit : Tel est le précepte que jai reçu de mon Père, il se trouve à dire : par moi se prolonge lamour du Père, en moi son amour va jusquà accepter la mort pour renaître à la vie éternelle. Cet amour est tellement fort quil prend la forme dun précepte ou dun commandement.
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- Analyse de la structure du récit
Lanalyse de la structure révèle certains heurts et incohérences. Nous allons donc tenter détablir la structure du texte actuel, avant dexaminer lhypothèse de M.-E. Boismard.
3.1 Structure du texte actuel
- Jésus comme bon berger (11-15)
- Affirmation centrale : Je suis le bon berger (11a)
- Première justification :
- Positive : Le bon berger donne sa vie pour ses brebis (12a)
- Par son contraire : La personne salariée abandonne son troupeau en danger (12b 13)
- Nouvelle affirmation centrale : Moi, je suis le bon berger (14a)
- Deuxième justification :
- Positive : et je connais celles qui mappartiennent, et celles-ci me connaissent (14b)
- Comparaison : à lexemple de la connaissance mutuelle de Jésus et de son Père (15a)
- Reprise de la première justification : et je donne ma vie pour mes brebis (15b)
- Mission de Jésus de constituer un seul troupeau (16)
- Fait : certains de ses brebis ne sont pas dans le même enclos (16a)
- Mission : le conduire au son de sa voix au même enclos (16b)
- État final: un troupeau, un berger (16c)
- Explication de lamour du Père pour Jésus (17-18)
- Jésus donne sa vie pour la reprendre de nouveau (17b)
- Il sagit dun geste libre (18a)
- Jésus a cette capacité (18b)
- Jésus accomplit ainsi la parole reçue du Père (18c)
Lanalyse de la structure actuelle fait apparaître un texte qui nest pas fluide et semble avoir connu des ajouts. On sattendrait à un texte court autour du thème du bon berger qui sait donner sa vie pour ses brebis, contrairement au mercenaire. Mais dautres thèmes viennent sy agglutiner, comme celui de lunité du troupeau, celui de la connaissance mutuelle du berger et des brebis, ainsi que celui de lamour du Père pour Jésus. De plus, dans certains cas, une phrase est prolongée alors quon sattendait à ce quelle se termine : par exemple, les v. 14-15 présentent une deuxième justification sur laffirmation du bon berger axée sur la connaissance mutuelle entre le berger et le berger, puis, de manière surprenante, on voit une reprise de la première justification au v. 15b (voir A.e).
3.2 Reconstitution de lévolution de la péricope
Selon M.-E. Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 266), cette péricope aurait dabord eu cette forme.
11b Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
12 La personne salariée abandonne les brebis et senfuit, lorsquelle voit venir le loup et le loup sen empare et les disperse
14a Moi, je suis le bon berger
15b et je donne ma vie pour mes brebis.
28 (je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main)
Dans sa forme originelle, le texte apparaît beaucoup plus fluide et est axé autour dun seul thème : celui du berger qui est prêt à donner sa vie pour ses brebis. Il commence par la description du berger qui est prêt à donner sa vie pour ses brebis, contrairement à la personne salariée. Ensuite, la parabole est appliquée à Jésus qui est ce bon berger. On aura remarqué que Boismard ajoute le v.28 au texte originel, car il aurait été déplacé plus tard à la fin de cette séquence sur le bon berger. Cette première version de la parabole du berger serait loeuvre de lauteur quil identifie à Jean II-A. Ce dernier, vivant probablement en Palestine, avec laraméen comme langue maternelle, nous aurait donné sa composition vers les années 60-65.
Ce texte originel aurait par la suite subi les transformations de Jean II-B (le même auteur que Jean II-A, mais à une date et un lieu différents) que nous marquons en bleu, et de Jean III (un auteur différent) que nous marquons en rouge.
Jean II-A | Jean II-B | Jean III |
11a | | Je suis le bon berger. |
11b Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. |
12a La personne salariée, |
12b | | qui nest pas le berger et à qui les brebis nappartiennent pas, |
12c abandonne les brebis et senfuit, lorsquelle voit venir le loup |
13 | | car elle nest quune personne salariée et na pas le souci des brebis. |
14a Moi, je suis le bon berger |
14b | et je connais celles qui mappartiennent, et celles-ci me connaissent, |
15a | comme le Père me connaît et que, moi, je connais le Père, |
15b et je donne ma vie pour mes brebis. |
16 | | Cependant, jai des brebis qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là, je dois les conduire et elles écouteront ma voix, et elles deviendront un seul troupeau, et il y aura un seul berger. |
17 | Voilà pourquoi le Père maime, car, moi, je donne ma vie, afin de la reprendre de nouveau. |
18 | Personne ne me lenlève, mais cest moi qui la donne de moi-même. Jai le pouvoir de la donner, et celui de la reprendre. Tel est le précepte que jai reçu de mon Père. |
28 (je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main) |
Ce Jean II-B serait le même que Jean II-A, en raison de lunité de vocabulaire et de style. Mais sa composition se situerait beaucoup plus tard, vers lan 95, après lexpulsion des synagogues des chrétiens dorigine juive. Et surtout, le lieu de composition est différent, probablement en Asie Mineure (la Turquie actuelle), plus précisément Éphèse. Il semble subir linfluence des lettres de Paul. Et il est probablement lauteur des épîtres johanniques. Dans notre parabole du bon berger, il introduit lun de ses thèmes favoris, celui de la relation du Jésus avec son Père. Cette relation est dabord marquée par la connaissance mutuelle qui déteint ensuite sur la relation de Jésus avec ceux qui croient en lui (14b et 15a); Jean II-B est lhomme de la vie intérieure. Cette relation est aussi marquée par lamour (il est le seul à parler de lamour de Dieu pour Jésus : 3, 35; 15, 9; 17, 23.24.26), et cet amour explique le fait que Jésus accepte librement de donner sa vie (17-18). Cette dernière idée est présentée sous forme de chiasme.
17 A Voilà pourquoi le Père maime | (Laction du Père) |
B | car, moi, je donne ma vie
Afin de la reprendre de nouveau. | (mort résurrection) |
18 C | | Personne ne me lenlève,
Jai le pouvoir de la donner | (un geste totalement libre) |
B1 | Jai le pouvoir de la donner
Et celui de la reprendre nouveau | (mort résurrection) |
A1 Tel est le précepte que jai reçu de mon Père | (Laction du Père) |
Dans un chiasme, cest la partie centrale (ici, la partie C), qui donne le sens de lensemble : le don de sa vie par Jésus fut un geste totalement libre.
Quant à Jean III, il appartenait probablement à lécole « johannique » et vivait sans doute à Éphèse. Son intervention dans la composition finale de lévangile se situerait autour de lannée 100. Selon son habitude, il aime les gloses explicatives, qui souvent alourdissent le texte. Cest ainsi quil sent le besoin dexpliquer par deux fois quune personne salariée nest pas vraiment un berger, car les brebis ne lui appartiennent pas, et donc nen a pas vraiment souci (12b et 13); Jean III craint sans doute des problèmes de compréhension du texte chez son auditoire qui a peut-être peu dexpérience pastorale. Dans la même veine, il a ajouté lintroduction : « Je suis le bon berger », pour expliquer dentrée de jeu que la parabole qui suit entend expliquer pourquoi Jésus est le bon pasteur; pour lui, il nétait pas suffisant de commencer par une parabole et ensuite lappliquer à Jésus.
- Analyse du contexte
4.1. Contexte éloigné (7, 1 10, 21)
- À qui Jésus sadresse-t-il? Où se trouve-t-il? Quelle atmosphère règne-t-il? Pour répondre à ces questions, il faut remonter jusquau début du chapitre 7 où lévangéliste nous situe géographiquement (v. 1) et dans le temps (v. 2). Dailleurs, il nous annonce un nouveau chapitre avec lexpression « Après cela » qui introduit le chapitre sept. Cet ensemble se poursuit jusquà 10, 21, puisque 10, 22 nous présente une nouvelle indication de temps qui semble amorcer un nouveau chapitre : « Il y eut alors la fête de la Dédicace à Jérusalem. Cétait lhiver. » Prenons donc 7, 1 10, 21 comme notre contexte éloigné.
- Où Jésus se trouve-t-il? À quel moment? Jean 7, 1-2 nous indique que Jésus parcourt la Galilée, évitant la Judée où des Juifs lattendent pour le tuer. Mais la fête juive des Tentes est proche. Rappelons quil sagit dune fête automnale associée aux récoltes où on campait dans des huttes de branchage, léquivalent de notre fête daction de grâce. La fête religieuse se terminait le septième jour avec le rite de libation de leau puisée à Siloé pour demander la pluie. Or, les frères de Jésus linvite à se rendre à la fête à Jérusalem. Mais Jésus refuse en prétextant que son heure nest pas venue. Mais après leur départ, il montera à Jérusalem en secret, si bien quon le retrouve au temple en train denseigner (7, 14) dès le matin (8, 2), dormant la nuit au mont des Oliviers (8, 1). Mais au moment où commence la parabole du berger, Jésus nest plus au temple, mais toujours à Jérusalem sans quon sache exactement à quel endroit.
- À qui sadresse-t-il? La parabole du berger fait suite à la guérison de laveugle-né (9, 1 39). Or, des Pharisiens ont entendu la conversation de Jésus avec laveugle-né, en particulier laffirmation que sa mission consiste à rendre la vue à ceux qui ne voient pas, et aveugles ceux qui prétendent voir. Les Pharisiens se sentent visés et posent la question à Jésus : « Sommes-nous aveugles? » La réponse de Jésus est simple : oui, parce vous prétendez voir. Et cest ici que commence la parabole du berger.
- Quelle est latmosphère? Nous sommes en pleine controverse. Le ton est donné dès le début : « il navait pas pouvoir de circuler en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer » (7, 1). Cette atmosphère se poursuivra dans les chapitres qui suivent avec des expressions comme « Pourquoi cherchez-vous à me tuer? » (7, 19); « Nest-ce pas lui quils cherchent à tuer? » (7, 25); « Ils cherchaient alors à le saisir » (7, 30); « Ils envoyèrent des gardes pour le saisir » (7, 32); « Certains dentre eux voulaient le saisir » (7, 44); « vous cherchez à me tuer, parce que ma parole ne pénètre pas en vous » (8, 37); « Maintenant nous savons que tu as un démon » (8, 52); « Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter » (8, 59). En même temps, Jésus fait un certain nombre daffirmations : « Ma doctrine nest pas de moi, mais de celui qui ma envoyé » (7, 16); « Si quelquun a soif, quil vienne à moi, et quil boive » (7, 37); « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (8, 31); « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelquun garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » (8, 51); « Cest pour un discernement que je suis venu en ce monde: pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles » (9, 39). Ainsi, dune part, alors que Jésus affirme apporter la parole même de Dieu, dêtre la lumière et leau qui apporte la vie éternelle, il reçoit dautre part lopposition croissante des Juifs qui se réclament de Moïse comme leur guide.
- Tout cela donne une couleur à la parabole du berger. Étant donné le contexte polémique, le bon berger soppose à la figure de Moïse mise de lavant par les Juifs : il opère en quelque sorte une scission. Ce contexte colore également les brebis de ce berger : comme la majorité des Juifs refusent son enseignement, les brebis deviennent un petit groupe de croyants qui se détachent de lensemble du peuple.
4.2. Contexte proche (10, 1-21)
- Voici la séquence des récits. Nous avons mis entre parenthèses des ajouts au texte originel, en caractère gras notre péricope.
- Parabole du berger et du voleur (10, 1-6)
- Le voleur nentre pas par la porte
- Le berger entre par la porte
- Les brebis entendent et connaissent sa voix, et le suivent
- Les brebis ne suivront pas un étranger
- Explication de la parabole (10, 7-10)
- Cest Jésus le berger des brebis
- Tous ceux venus avant lui étaient des voleurs
- (Jésus est la porte par laquelle il faut passer pour être sauvé)
- Le voleur apporte la mort, Jésus apporte la vie
- Le bon berger (10, 11-18)
- Le bon berger donne sa vie pour ses brebis tandis que le salarié les abandonne devant le danger
- Jésus est ce bon berger qui donne sa vie pour ses brebis
- (Jésus doit rassembler dautres brebis qui ne sont pas de cet enclos)
- (Le Père aime Jésus car il donne sa vie librement)
- Division chez les Juifs (10, 19-21)
- Scissions chez les Juifs à cause de ces paroles
- Certains disent : il a un démon, il délire
- Dautres disent : un démon ne peut ouvrir les yeux dun aveugle
- Il ressort de tout cela que les paraboles sur le berger sont bien insérées dans le contexte polémique : la finale fait référence à la guérison de laveugle-né, et les gens sont divisés à son sujet tout comme dans lensemble 7, 1 10, 21. Le voleur et la personne salariée qui na pas vraiment souci des brebis fait référence aux Pharisiens. Dans ce contexte, Jésus se présente comme le vrai berger qui ne prend pas des détours pour entrer dans lenclos et dont les brebis connaissent la voix. Il est prêt à donner sa vie pour que ses brebis trouvent la vie. Tout cela avertit lauditeur quil a un choix à faire : se laisser guider par Jésus envers ou contre tous, ou suivre la majorité des gens.
- Analyse des parallèles
- Il nexiste pas de parallèle du récit du bon berger dans les évangiles : ce récit est unique au quatrième évangile. Il arrive dans les synoptiques que le croyant soit comparé à des brebis (Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, Mt 10, 16), ou encore que la brebis soit limage de son action pastorale (il vit une foule nombreuse et il en eut pitié, parce quils étaient comme des brebis qui nont pas de berger, Mc 6, 34), ou encore, que limage du pasteur soit appliquée indirectement à Jésus (Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées, Mc 14, 27 || Mt 26, 31). Mais jamais Jésus nest présenté clairement comme le bon berger en opposition aux mauvais bergers. Néanmoins, nous allons mettre en parallèle quelques thèmes similaires. Tout cela fera ressortir la singularité du quatrième évangile.
Jean 10, 11-18 | Textes synoptiques |
11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. 12 La personne salariée, qui nest pas le berger et à qui les brebis nappartiennent pas, abandonne les brebis et senfuit, lorsquelle voit venir le loup et le loup sen empare et les disperse, 13 car elle nest quune personne salariée et na pas le souci des brebis. | (Marc 14, 27.50-52) Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées... Et, abandonnant Jésus, les disciples prirent tous la fuite. Un jeune homme le suivait, nayant pour tout vêtement quun drap, et on le saisit; mais lui, lâchant le drap, senfuit tout nu. |
14 Moi, je suis le bon berger et je connais celles qui mappartiennent, et celles-ci me connaissent, 15 comme le Père me connaît et que, moi, je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis. | (Luc 10, 22 || Matthieu 11, 27) Tout ma été remis par mon Père, et nul ne sait qui est le Fils si ce nest le Père, ni qui est le Père si ce nest le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler. |
16 Cependant, jai des brebis qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là, je dois les conduire et elles écouteront ma voix, et elles deviendront un seul troupeau, et il y aura un seul berger. | (Matthieu 15, 24) Je nai été envoyé quaux brebis perdues de la maison dIsraël (Matthieu 28, 19) Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit |
17 Voilà pourquoi le Père maime, car, moi, je donne ma vie, afin de la reprendre de nouveau. 18 Personne ne me lenlève, mais cest moi qui la donne de moi-même. Jai le pouvoir de la donner, et celui de la reprendre. Tel est le précepte que jai reçu de mon Père. | (Marc 8, 35) Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de lÉvangile la sauvera. (Marc 10, 45) Aussi bien, le Fils de lhomme lui-même nest pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. |
- La mise en parallèle de certains textes des évangiles synoptiques ne fait que mettre en relief le caractère unique de lévangile selon Jean.
- Contrairement à Jean où Jésus se présente comme le berger qui nabandonne jamais ses brebis, les synoptiques insistent sur labandon par les brebis de leur berger. Mais, dune certaine façon, ils confirment laffirmation de Jean : en labsence du berger, les brebis sont dispersés; le berger était ce ciment qui maintenait ensemble le troupeau.
- Jean tout autant que les synoptiques affirment la connaissance mutuelle du Père et du Fils. Mais, alors quil sagit là dun thème récurrent chez Jean, il apparaît très rarement chez les synoptiques. En fait, ce que nous présentent Luc et Matthieu provient de la source Q. De plus, dans ce dernier cas, la connaissance mutuelle porte moins sur la vie dintimité entre le Père et le Fils, que sur le fait quen révélant le Royaume aux touts petits, Jésus transmet la vision de son Père.
- Il y a chez Matthieu une tension entre une mission limitée au peuple juif, et celle qui souvre au monde entier : lune appartient au ministère de Jésus, lautre à lÉglise après sa résurrection. Chez Jean, les frontières ne sont pas clairement explicitées. Jean 12, 20-25 raconte larrivée des Grecs, à laquelle Jésus répond en faisant allusion à sa mort prochaine, une façon de dire que cette ouverture au monde passe par sa mort-résurrection. Mais notre passage de la parabole du berger se limite peut-être aux autres Juifs qui ne se sont pas encore joints à la communauté; mais il est difficile de trancher.
- Jean comme les synoptiques insistent pour affirmer la valeur salvifique du don de sa vie en général, et du don de sa vie par Jésus en particulier. Mais ce quil y a dunique chez Jean est son insistance sur le choix totalement libre de Jésus, et que ce don de sa vie reflète lidentité même de Dieu.
- Intention de l'auteur en écrivant ce passage
- Nous parlons dauteur, mais nous savons très bien que plus dun a pu contribuer au texte final; un ouvrage si important comme un évangile a pu connaître plusieurs éditions. Ce qui nous intéresse est le produit final.
- Notre récit sinsère dans un contexte polémique. Le dialogue avec les Juifs semble rompu. Les chrétiens dorigine juive qui avaient lhabitude de fréquenter la synagogue et de discuter avec leur coreligionnaire se voient maintenant exclus de leur lieu de prière. Ce conflit se reflète tout au long de lévangile. Qui connaît mieux Dieu: Moïse ou Jésus? Qui doit-on suivre? Qui est en mesure dindiquer le chemin vers la vie et la lumière? Quelle est la véritable communauté des enfants de Dieu? Et voilà que lévangéliste introduit cette parabole du bon berger pour ensuite mettre dans la bouche de Jésus cette affirmation : « Je suis le bon berger ». Cette affirmation nentend pas seulement opposer Jésus aux Pharisiens et à tous ceux qui se réclament de Moïse, mais en faisant référence à lexpression « Je suis », associée à Dieu dans lAncien Testament, elle fait de Jésus limage même de Dieu : en Jésus, cest Dieu même que nous voyons; en Jésus, Dieu assume son rôle de berger de son peuple.
- Pour qui nest pas convaincu de sen remettre totalement à Jésus pour le guider, surtout dans le contexte où les chefs de son milieu religieux sont en opposition à lui, lévangéliste fournit un critère : la capacité daller jusquà donner sa vie pour ses protégés; voilà ce qui distingue les vrais des faux pasteurs. Comme nous sommes plusieurs années après la mort de Jésus, lévangéliste peut sen servir pour interpréter le sens de cette mort : cest en tant que pasteur quil a accepté de mourir, comme vie donnée pour ceux et celles dont il est responsable. Cette lutte faisait partie de sa lutte contre les forces du mal sous toutes ces formes, ceux qui se servaient de la religion pour leur propre profit, ceux qui nont pas intérêt à chercher la vérité, les gens cupides ou assoiffés de pouvoir.
- Au critère de la capacité de donner sa vie, lévangéliste ajoute un deuxième critère pour distinguer le vrai berger : la connaissance mutuelle. Tout dabord, le berger à une connaissance intime de ceux et celles dont il a la garde. Lévangéliste nous a parlé abondamment de la compassion de Jésus pour les infirmes et les malades. Mais il nous a parlé également de la connaissance profonde quil avait des gens (2, 25 : car lui-même connaissait ce quil y avait dans lhomme). Tout berger qui est incapable de compassion et de connaissance profonde, est un prédateur (5, 42 : mais je vous connais: vous navez pas en vous lamour de Dieu). Ensuite, les gens ont la capacité de reconnaître leur vrai pasteur. Il y a ici comme une connaissance par connaturalité : en étant sensible à leur voix intérieure, lêtre humain à la capacité de se retrouver dans le vrai pasteur; on partage quelque chose de commun. Le quatrième évangile est un spécialiste de la vie intérieure.
- Lévangéliste va donner une dimension théologique à cette connaissance mutuelle : elle est le reflet de la connaissance mutuelle entre Jésus et son Père, si bien que cette connaissance de Jésus pour lêtre humain est également une connaissance de Dieu. Voilà ce que ne pouvait accepter la communauté juive. Mais lévangéliste se trouve à insister : vous voulez connaître Dieu, acceptez de connaître Jésus. À la suite de Jésus, cela laisse un lourd héritage à assumer à tous les pasteurs, en particuliers ceux de la communauté johannique.
- On ne surprend pas de la suite logique de tout cela : la communion entre Jésus et son Père, et la communion entre le croyant et Jésus, son berger, ne peut quentrainer lunité de tous les croyants, et pour un chrétien dorigine juive, ladhésion de tous les Juifs. On retrouve chez lévangéliste la même blessure vécue par Paul face aux Juifs demeurés incrédules et le même espoir de les voir rejoindre la communauté des croyants (voir Romains 11), si bien quil ny aura quune communauté sous un seul pasteur.
- Il y a enfin une dernière suite logique de lintimité entre Jésus et son Père : la mort de Jésus fut un geste totalement libre, une réponse à lamour qui lunit au Père, lacceptation de la croix pour renaître à la vie éternelle quil partage avec ce Père. Encore une fois, lévangile propose une interprétation chrétienne au scandale de la croix, et par là veut réhabiliter Jésus comme véritable pasteur.
- Ainsi, à partir dune simple parabole, lauteur va développer des critères pour reconnaître le bon pasteur, ainsi quune réflexion théologique sur le berger quest Jésus comme reflet même de Dieu, et sa mort qui reflète lamour même de Dieu et le souci véritable de la communauté croyante.
- Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte
- Suggestions provenant des différents symboles du récit
- « Bon berger ». Tous les grands leaders ont la prétention dêtre à leur façon le « bon berger » de leur peuple. Saddam Hussein, le raïs ou chef de son peuple, sest fait ériger une immense statue à Bagdad dont la main droite, levée, pointait vers lavant, comme pour indiquer la direction à suivre. Mao Tsé-toung, était connu sous son surnom de « Grand Timonier », ce marin qui gouverne à la barre, et donc imprime la direction au navire. Fidel Castro, appelé « Comandante », chef de la révolution cubaine, a fait du socialisme et du nationaliste les principes conducteurs de son pays, car il voyait là ce qui était bon pour son peuple. Mais si on appliquait à tous ces « bergers » les critères de Jésus pour reconnaître les bons bergers, que resterait-il? Comment Jésus se distingue-t-il de tous ces leaders?
- « Le loup ». Cest un prédateur. Il serait naïf de nier lexistence de prédateurs dans nos vies et dans ce monde. Un prédateur voit les autres comme une proie quil utilise pour se nourrir ou assouvir ses besoins. On dira dun pédophile quil est un prédateur. Ceux et celles qui se servent des autres pour promouvoir leur idéologie ou assoir leur autorité, sont des prédateurs. Or, le bon berger a pour responsabilité de protéger les gens de tous ces prédateurs. Jésus a dénoncé le comportement de beaucoup de gens dans son ministère. Qui sont pour nous ces prédateurs qui peuvent faire beaucoup de mal?
- « Donner sa vie ». Lexpression a plusieurs sens. Bien sûr, il a un sens physique, mais cela peut être très rare. Le plus souvent, donner sa vie à quelquun revient à lui consacrer son temps, son argent et son énergie. Des parents peuvent donner leur vie à leurs enfants. Un homme ou femme peuvent donner leur vie à un parent. Ce que lévangile nous rappelle, cest que nous avons ici un critère pour déterminer lucidement notre souci véritable des autres. Jésus nous en a donné le témoignage. Alors, jusquoù sommes-nous prêts à aller, et avec qui?
- « Connaissance mutuelle ». Ce critère du bon berger est plus difficile quon le croit. La connaissance mutuelle exige beaucoup douverture, beaucoup de patience, et beaucoup damour. Dans lévangile selon Jean, Jésus parle à plusieurs reprises de sa connaissance profonde des gens. Et lui-même a été totalement transparent aux autres. Il ny a pas de véritable relation pastorale sans cette connaissance mutuelle, nous dit lévangile. Qui est prêt à sengager sur ce chemin peu fréquenté. Et nous avons ici un critère pour dénoncer tous les faux pasteurs.
- « Unité du troupeau ». Il y a quelque chose dutopique dans cette quête dunité. Chez les chrétiens, il existe un mouvement oecuménique qui fait la promotion de lunité chrétienne, sans quon sache si elle se réalisera un jour. Chez les musulmans, il semble que les tensions entre sunnites et chiites de font que saccentuer. À un niveau religieux plus fondamental, peut-on penser à un oecuménisme qui réunirait bouddhistes, hindouistes, shintoïstes, chrétiens, etc.? Et si on sort du domaine religieux, peut-on envisager une harmonie mondiale entre les peuples? Pourtant, si on croit quà la source de lhumanité il ny a quun seul Dieu, et que notre bonheur est de se retrouver en lui, alors il est normal de croire que cette harmonie mondiale est possible. Et il est normal de vouloir se retrouver tous ensemble. Dans sa prière, Jésus a demandé que lui et les siens habitent la même demeure. Mais la question reste : comment concilier diversité et unité?
- Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement
- Un pilote de ligne aérienne commerciale se suicide en entraînant avec lui dans la mort 150 personnes. Un pilote a la responsabilité de tous les passagers de lavion, et en ce sens, il en est le berger. Le fait même dutiliser ce rôle pour détruire les autres est une perversion de ce rôle. Bien sûr, on peut évoquer la maladie mentale. Mais cela nenlève pas le côté pervers du geste. Cela ne fait que mettre en lumière les véritables pasteurs qui sont prêts à donner leur vie.
- On annonce 148 morts dans une université au Kenya, des gens massacrés par des militants islamistes. Il ne semble pas y avoir de limite à la barbarie et à lidéologie aveugle. À côté, lévangile selon Jean semble déconnecté de la réalité en parlant dintimité avec Dieu et de la belle relation entre le pasteur et son troupeau : la vie nest-elle pas fondamentalement violente? On oublie quil y a une forme de violence dans lamour dans le fait daller jusquà donner sa vie. Cela nest-il pas au coeur de lévangile de ce jour?
- Beaucoup de gouvernements ont adopté des politiques daustérité pour faire face à des dépenses croissantes et à un budget déficitaire. Les citoyens se plaignent, prennent la rue et manifestent leur mécontentement. Les relations avec le berger de la nation deviennent tumultueuses. Comment distinguer ce qui est souci authentique du plus grand nombre et des grandes valeurs humaines, de ce qui est égoïsme à courte vue? Où retrouver lattitude du berger qui donne sa vie par amour? Où se trouve la recherche de lunité de la grande famille?
- Dans notre coin de pays lhiver a été dur : il a fait très froid, et le printemps ne semblait pas intéressé à simposer. Un nombre impressionnant de gens sont tombés malades, incapables de se rendre au travail. On sentait la mauvaise humeur et la frustration. La maladie fait partie de la vie, quon laccepte ou non. En santé ou malade, la vie avec ses défis ne sarrête pas. On accepte dintégrer la maladie ou on la refuse. Lintégrer ne permet-t-elle pas de poursuivre lintimité avec les siens et avec le Dieu de Jésus?
- Un nouveau rapport montre que la situation des familles à faible revenu de ma région continue de se détériorer. On note que les foyers qui vivent sous le seuil de la pauvreté ont davantage recours aux services des organismes communautaires. Et la clientèle a changé. Au début, cétait plus les assistés sociaux. Maintenant, on retrouve de plus en plus de petits travailleurs, des femmes, souvent des emplois précaires. Dans ce cadre, comment relire la parabole du bon pasteur?
-André Gilbert, Gatineau, avril 2015
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