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Sommaire
Chez Marc/Matthieu, la scène de mauvais traitements et de moquerie intervient après la condamnation de Jésus, en lien avec laccusation de se prétendre le roi des Juifs. Chez Jean, elle a lieu au milieu du procès, et chez Luc quand Jésus est en croix. Marc la situe dans la cour intérieure du palais royal où réside Pilate, et la présente comme linitiative des soldats romains qui invitent toute une cohorte, i.e. 600 à 1 000 hommes, à jouer avec Jésus le jeu du roi : on le revêt dun vêtement royal de pourpre, que Matthieu réduit à une chlamyde écarlate, un vêtement militaire rouge, puis comme couronne, on luit met une sorte de touffe de buisson épineux, et enfin Matthieu ajoute un roseau dans la main droite en guise de sceptre. Il sensuit une scène de moquerie où on caricature le « Ave César » par lequel on acclamait un nouveau roi, ainsi que la génuflexion. À la moquerie on ajoute les mauvais traitements : coups de roseaux à la tête, crachats, et chez Jean, gifles. Cette scène burlesque se termine quand il faut rhabiller Jésus avec ses vêtements personnels pour lenvoyer au lieu de la crucifixion. Habituellement, les criminels condamnés à la crucifixion devaient porter sur leurs épaules la barre transversale de la croix liée à leurs mains, tout en étant complètement nus, et flagellés en cours de route. Mais il est possible que, pour Jésus, on ait attendu quil soit au lieu de sa crucifixion avant de le mettre nu, une concession romaine aux Juifs qui avaient horreur de la nudité publique.
Quy a-t-il dhistorique dans tout cela? Il faut dabord bien distinguer deux ensembles daction : les actions non violentes comme le vêtement pourpre, la couronne dépines et la génuflexion, et les actions violentes comme le geste de frapper ou de cracher. Notons que, à la fois à la fin du procès juif, et à la fois à la fin du procès romain, Marc, copié par Matthieu, présente ces deux ensembles de manière parallèle. Or, il est probable que les actions violentes du procès romain soient un ajout de Marc, créant un duplicata du procès juif, pour être cohérent avec la troisième annonce de la passion; et chez Jean, les gifles sont un écho du serviteur souffrant dIsaïe 50. Par contre, même sil nest pas possible de prouver la valeur historique de la scène de moquerie, elle est du moins plausible quand on connaît le milieu gré-romain où on trouve un certain nombre dexemples de scènes de moquerie autour du titre de roi, et des jeux ou des comédies dans le même sens.
- Traduction
- Commentaire
- Les soldats et le prétoire (Marc 15, 16; Matthieu 27, 27)
- Le vêtement royal et la couronne dépines (Marc 15, 17; Matthieu 27, 28-29a; Jean 19, 2)
- La salutation comme roi des Juifs et les mauvais traitements (Marc 15, 18-19; Matthieu 27, 29b-30; Jean 19, 3)
- Le déshabillage et lhabillage de Jésus après la scène de moquerie (Marc 15, 20a; Matthieu 27, 31a)
- Analyse
- Composition de la scène
- La source de limagerie autour de la scène de moquerie
- Les incidents historiques
- Les jeux de moquerie
- Les imitations théâtrales
- Les festivités lors des carnavals
- Traduction
Nous présentons une traduction la plus littérale possible, en particulier pour refléter le temps des verbes grecs, afin de permettre ainsi la comparaison entre chaque évangéliste. Les passages chez Matthieu et Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. En rouge ce qui est propre à Jean et à un autre évangéliste. Lanalyse des parallèles ne concernent ici que Marc, Matthieu et Jean. Quant à Luc et à lévangile apocryphe de Pierre, ils ne sont présents quà titre dinformation supplémentaire.
Marc 15 | Matthieu 27 | Jean 19 | Luc 23 | Évangile de Pierre 3 |
16 Puis, les soldats lemmenèrent à lintérieur de la cour, ce qui est le prétoire, et appela ensemble toute la cohorte. | 27 Alors les soldats du gouverneur, prenant avec (eux) Jésus dans le prétoire menèrent ensemble contre lui toute la cohorte. | 2a Et les soldats, | | |
17a Et ils le revêtent de pourpre, | 28 Et, layant dévêtu, ils placèrent autour de lui une chlamyde écarlate, | | 11 Puis, layant traité avec mépris et sétant moqué, Hérode avec ses troupes, après lavoir enveloppé dun habit splendide, le renvoya à Pilate. | 7 Et ils (le peuple) le vêtirent de pourpre et lassirent sur une chaire de juge, disant : « Juge avec justice, roi dIsraël! ». |
17b et ils placent autour de lui, ayant tressé, une couronne épineuse. | 29a et ayant tressé une couronne dépines, ils placèrent sur sa tête et un roseau dans sa main droite. | 2b ayant tressé une couronne dépines, ils placèrent sur sa tête et lenveloppèrent dun vêtement pourpre; | (le codex Bezae et les vieilles versions syriaques ajoutent : ayant placé sur lui aussi une couronne épineuse.) | 8 Et un lun deux, ayant apporté une couronne épineuse, la plaça sur la tête du Seigneur. |
18 Et ils commencèrent à le saluer : « Salut, roi des Juifs! » | 29b Et, sétant agenouillé devant lui, ils se moquèrent disant : « Salut, roi des Juifs! » | 3a et ils allaient vers lui et disaient : « Salut, le roi des Juifs! » | 36 (Jésus en croix) Puis, les soldats aussi se moquèrent de lui, sapprochant, lui présentant du vinaigre 37 et disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même! » | 9a Et les autres qui se tenaient là crachaient sur son visage, et les autres lui giflaient les joues. |
19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils crachaient sur lui et, fléchissant les genoux, ils se prosternaient (devant) lui. | 30 Et, ayant craché sur lui, ils prirent le roseau et frappaient sur sa tête. | 3b Et ils lui donnaient des gifles. | | 9b Dautres le frappaient avec un roseau; et quelques un le fouettaient en disant : « Avec un tel honneur, honorons le fils de Dieu » |
20a Et quand ils se furent moqués de lui, ils le dévêtirent de pourpre et le vêtirent de ses vêtements. | 31a Et quand ils se furent moqués de lui, ils le dévêtirent de la chlamyde et le vêtirent de ses vêtements. | | | |
- Commentaire
Quand on regarde lensemble des procès de Jésus devant les autorités juives et les autorités romaines, on observe ceci :
- Chez Marc/Matthieu, chaque scène de mauvais traitements et de moquerie intervient après chaque condamnation, en lien avec le thème conducteur du procès qui précède
- Chez Jean, le parallélisme est moins serré : Jésus est frappé par un garde (pas de moquerie) au milieu de linterrogatoire par le grand prêtre, et au milieu du procès romain, il reçoit des mauvais traitements et la moquerie
- Chez Luc, Jésus subit les mauvais traitements et la moquerie par les gardes avant le début de son procès juif, et lors du procès romain on nassiste à aucun mauvais traitement ou moquerie, mais cest lors de sa comparution devant Hérode que ses gardes vont de moquer de lui, et cest lors de sa mise en croix que les soldats romains feront de même
- Dans lévangile apocryphe de Pierre, on combine les moqueries lors des procès juifs et romains dans une scène qui a lieu après le procès de Jésus, où on le fait asseoir sur le siège du juge pour linviter avec dérision à juger avec justice, un tradition qui se fait lécho de Mt 27, 19 et Jn 19, 13.
- Les soldats et le prétoire (Marc 15, 16; Matthieu 27, 27)
- Lexpression « Puis » (Mc), « Alors » (Mt), fait le lien avec ce qui précède : Jésus a été remis pour être crucifié, et ici on apprend quil est remis aux soldats.
« les soldats (stratiōtēs) ». Cest ici la première mention des soldats dans le récit de la passion chez Mc/Mt, tout comme chez Jean (6 mentions, toutes au ch. 19). Luc ne les introduira que lorsque Jésus sera en croix (23, 36). Ces soldats sont à distinguer des « commandants du temple » (stratēgoi), au service des grands prêtres, mentionnés par Lc 22, 4.52, des « gardes » (hyperētēs) au service des grands prêtres et des Pharisiens mentionnés par Jn 18, 3.12.18.22) et jouant le rôle dune police, et des « troupes » (strateuma) au service dHérode qui apparaît en Lc 23, 11.
« lemmenèrent à lintérieur de la cour (aulē), ce qui est le prétoire ». Cest la première mention du prétoire dans les synoptiques. Chez Jean, tout le procès romain se déroule dans un mouvement de va et vient entre lintérieur et lextérieur du prétoire; et cest à lintérieur quaura lieu la scène de moquerie. Luc place la scène de moquerie dans un lieu à Jérusalem où réside Hérode. Quant à lévangile de Pierre, on parle de place publique où le peuple Juif peut fouetter Jésus et se moquer de lui. Tous les évangélistes utilise le mot aulē (cours / palais) pour parler de la résidence du chef des prêtres, mais seul Marc lemploie pour désigner le site du procès romain, donc la cour intérieur du palais royal où demeure Pilate, une cour assez grande pour accueillir toute une cohorte.
« appela ensemble (synkalein) toute la cohorte (speira) ». Une cohorte comprenait de 600 à 1 000 hommes. Le fait que Marc parle de « toute » la cohorte est une façon pour lui détendre la culpabilité à lensemble des soldats. Le verbe synkalein napparaît quici chez Marc, alors que Luc lutilisera entre autres pour décrire laction de Pilate qui appelle ensemble tous les adversaires de Jésus (23, 13).
- Le vêtement royal et la couronne dépines (Marc 15, 17; Matthieu 27, 28-29a; Jean 19, 2)
- En raison des similitudes entre Jean et le synoptiques, on peut imaginer une tradition déjà assez bien fixée. Chez Mc/Mt, la moquerie suivie par les coups de fouet est linitiative des soldats. Chez Jean, cest une demande de Pilate qui cherche à obtenir de la sympathie pour un homme défiguré.
- « Et ils le revêtent de pourpre ». Marc et lévangile de Pierre disent simplement : pourpre, alors que Jean préfère dire : vêtement pourpre. Il faut savoir que la teinture pourpre de Tyr était obtenue à partir de crustacées, et donc était très chère, hors des capacités financières dun soldat; nous sommes devant une tenue royale. Josèphe (Antiquités judaïques, 11, 6.10 : #256) nous présente des ministres de la cour perse revêtus de pourpre. Matthieu lui préfère la chlamyde (chlamys) écarlate, qui peut désigner le vêtement militaire rouge ordinaire, ou encore le paludamentum écarlate, porté par les dignitaires de haut niveau ou par lempereur. Le lecteur de Matthieu aura compris quil sagit dune moquerie royale, mais avec un vêtement fournit par un soldat. Chez Luc cest différent, car le vêtement splendide est probablement blanc, symbole dinnocence.
- « et ils placent autour de lui, ayant tressé, une couronne épineuse (akanthinos) ». Marc, Jean (19, 5) et lévangile de Pierre utilisent ladjectif akanthinos (épineux), tandis que Matthieu et Jean (19, 2) emploient le mot pluriel akantha (ronces). Dans limaginaire chrétien, cest devenu un symbole de peine et de souffrance. Pourtant, dans les évangiles laccent est seulement sur la moquerie royale. Les biblistes se sont penchés sur le type de ronce et sur le type de couronne. Voici un échantillon des théories.
- Le fameux botaniste Linnaeus (19e s.) a conclu quil sagissait du Ziziphus spina Christi, une plante avec de longues épines et des feuilles vertes ovales foncées; mais cela semble impossible dans la région montagneuse de Jérusalem
- Ha-Reubéni lidentifie avec le Poterium spinosam L., un buisson épineux commun de Palestine, le sîrâ de Is 34, 13. Il a de petites épines et ses touffes enchevêtrées auraient pu être mises sur la tête de Jésus pour former un chapeau, tout comme sur la fresque des catacombes de Praetextatus (2e s.).
- Hart nous renvoie à la monnaie de Rhodes dont une face semble nous présenter le visage radieux du dieu soleil, qui pourrait être celui du Christ : la divinité de la figure royale est suggérée par la couronne doù émerge dans tous les sens des rayons de soleil, un peu comme la statue de la liberté à New York. Une telle représentation dune tête radieuse (aktinōtos) est attestée pour les empereurs Auguste, Tibère et Caligula. Ne pourrais-t-on pas imaginer que Marc a voulu recourir à cette symbolique en parlant de couronne épineuse (akanthinos), faisant référence non seulement à une figure royale, mais aussi divine?
- Delbrueck, Goodenough et Wells pensent que les lecteurs des évangiles nauraient pas pensé au akantha (ronces), mais à la plante dacanthe (akanthos). Lune de ses variétés, acanthus mollis, offre des feuilles luisantes, bien connues sur les chapiteaux de style corinthien. Il y aurait aussi une variété épineuse, acanthus spinosus, dont les soldats auraient pu utiliser ses feuilles pour tisser une guirlande pour en faire une couronne simulée.
Bref, toutes les propositions pointent vers une moquerie royale, mais la meilleure doit être capable de répondre à ces questions : comment le lecteur grec du 1ier siècle a-t-il pu comprendre ce récit, et si la scène est historique, quest-ce qui était à la portée dun soldat dans une action rapide?
- « et un roseau dans sa main droite ». Il sagit dun ajout de Matthieu à tout lattirail de la moquerie.
- La salutation comme roi des Juifs et les mauvais traitements (Marc 15, 18-19; Matthieu 27, 29b-30; Jean 19, 3)
- La salutation comme moquerie
- Marc a créé une scène burlesque autour de lacclamation « Ave Caesar » adressée à lempereur, avec « Salut » (kaire) et « roi » (basileu) au vocatif, i.e. sous forme dinterpellation.
- Matthieu évite les « tics » de Marc qui utilise 26 fois lexpression « ils commencèrent » et remplace le salut par « sagenouiller » et « se moquer », ce dernier mot revenant aussi à la fin de la scène au v. 31a.
- Lévangile apocryphe de Pierre, un écrit hostile aux Juifs, préfère lexpression : roi dIsraël. En assoyant Jésus sur la chaise du juge, il met laccent sur la fonction judiciaire des rois en Israël.
- Jean utilise les verbes à limparfait « allaient », « disaient », donnant limpression dune action quon a répété plusieurs fois.
- Les mauvais traitements
- Ici, cest Marc qui utilise les verbes à limparfait « frappaient », « crachaient », « se prosternaient », avec la même idée dune action répétée. Le geste de se prosterner devient le point culminant de la moquerie. Notons le latinisme de Marc avec « fléchir le genou », une traduction littérale de ponere genua.
- Matthieu inverse lordre « frapper/cracher » de Marc, pour mettre laction la plus douloureuse à la fin. Et à cause de sens de lordre, la génuflexion devant Jésus intervient dès le début de la scène, non à la fin comme chez Marc.
- Chez Jean, on note labsence des actions de cracher ou frapper; lévangéliste préfère mentionner les gifles, sans doute un écho dIsaïe 50, 6 (« Jai abandonné mon dos aux flagellations, et mes joues aux gifles... »).
- Quand à lévangile de Pierre, il combine les crachats et les coups de roseau de Marc avec les gifles de Jean. La scène se termine avec les coups de fouet, le déshonneur physique le plus sévère. Avec cette scène de dérision qui se termine avec « honorons le fils de Dieu », on voit quel est était le véritable enjeu du procès.
- Le déshabillage et lhabillage de Jésus après la scène de moquerie (Marc 15, 20a; Matthieu 27, 31a)
- Marc et Matthieu se ressemblent dans cette scène, sauf que chacun sen tient au vêtement de la moquerie, le pourpre chez Marc, la chlamyde chez Matthieu.
- Jean, qui avait cette scène de moquerie au milieu du procès sans mention du changement de vêtement, laisse clairement entendre que, à la croix, Jésus a retrouvé ses vêtements (19, 23 : « Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et la tunique. Or la tunique était sans couture, tissée dune pièce à partir du haut »)
- Lévangile apocryphe de Pierre laisse aussi entendre que Jésus a retrouvé ses vêtements pour la crucifixion.
- Aucun évangéliste ne mentionne ce qui est arrivé à la couronne dépines. Il faut assumer quon a débarrassé Jésus de tout lattirail de la moquerie avant sa crucifixion.
- Dhabitude, les criminels condamnés à la crucifixion devaient porter sur leurs épaules la barre transversale de la croix liée à leurs mains, tout en étant complètement nus, et flagellés en cours de route. Cest ce que nous apprennent Denys dHalicarnasse (Antiquités romaines, 7.69.2) Valerius Maximus (Les faits et dits mémorables, 1.7.4), et Josèphe (Antiquités judaïques, 19.4.5 : #270). Pourquoi Marc ne mentionne-t-il la mise à nu de Jésus seulement au moment de la crucifixion (15, 24)? Il est possible quil reflète une concession romaine aux Juifs qui avaient horreur de la nudité publique.
- Analyse
Chez Mc/Mt il y a un parallèle entre la scène de moquerie au Sanhédrin et celle au palais de Pilate. Luc a placé la première scène de moquerie chez Hérode, et la deuxième en croix. La question se pose : lune des scènes est-elle le duplicata de lautre? Et la scène originelle a-t-elle été largement dramatisée pour faire écho aux thèmes de lAncien Testament?
- Composition de la scène
- Quelle relation y-a-t-il entre la scène de moquerie romaine et la flagellation/le fouettement? Chez Mc/Mt et chez Jean, la moquerie suit la scène de flagellation/fouettement. Chez Luc, la moquerie a eu lieu sans coups de fouet. Dans la troisième annonce de la passion et dans lévangile de Pierre, le fouettement suit la scène de moquerie.
- Tout dabord, il faut bien distinguer deux ensembles daction : les actions non violentes comme le vêtement pourpre, la couronne dépines et la génuflexion, et les actions violentes comme le geste de frapper ou de cracher. Marc applique le titre de moquerie à ce deuxième ensemble. Or, le parallèle qui peut être établi entre le procès romain et juifs ne concerne que ce deuxième ensemble dactions. On peut penser que ce deuxième ensemble a été ajouté par Marc dans le procès romain.
- Jean 19, 2-3a présente une version courte des actions violentes qui se résument aux gifles. Fort probablement, il a recours à une tradition préjohannique pour le premier ensemble, les actions non violentes, mais cest lui qui ajoute laction violente de gifler, se faisant lécho dIsaïe 50 qui décrit les moqueries à légard du serviteur souffrant.
- Comme la troisième annonce de la passion spécifie que le fils de lhomme sera bafoué et flagellé par les païens, et quon crachera lui, on peut penser que très tôt dans la mémoire chrétienne on a associé les gestes violents à légard de Jésus aux Romains. Cest ainsi quon retrouve ces gestes chez Marc et Jean lors du procès romain. Sur le plan historique, dans la précipitation des choses, les soldats romains nont sans doute pas eu le temps de se laisser aller à des actions violentes pour victimiser Jésus.
- La source de limagerie autour de la scène de moquerie
Ce qui a retenu limaginaire chrétien au long des siècles est le premier ensemble dactions non violentes : la scène de dérision avec le vêtement, la couronne, le sceptre et les génuflexions. Il est impossible déterminer si cest vraiment historique. Si cest historique, il faut se demander : quest-ce qui a pu inspirer les Romains à agir ainsi? Si ce nest pas historique, il faut se demander : quest-ce qui a amené les prédicateurs chrétiens à imaginer ce type daction de la part des Romains? Ce qui est sûr, linfluence nest pas venue dIsaïe 50 ou du Psaume 69 ou de Siracide 2 qui noffrent rien de semblable. Par contre, on connaissait lattirail royal même dans les milieux juifs en raison des modèles hellénistiques et romains. Examinons larrière-plan possible pour la description que nous donnent les évangiles.
- Les incidents historiques
- La moquerie de Karabas. Il sagit dun personnage dAlexandrie, en Égypte, dont parle Josèphe (Flaccus, 6, #36-39), un lunatique quon avait déguisé en roi pour sen moquer, à loccasion de la visite indésirable du roi juif Hérode Agrippa I, vers lan 38
- La mort dHérode Agrippa I en lan 44. À loccasion de son décès, les gens de Césarée maritime et de Samarie se sont moqués de ce roi, qui shabillait de vêtements splendides, en portant des guirlandes et en se parfumant
- La moquerie dun prisonnier rapporté par Plutarque (Pompée, 24.7-8). Des pirates auraient revêtu cet homme, qui revendiquait la citoyenneté romaine, avec des beaux habits, samusant de lui faire honneur, avant de le jeter par-dessus bord.
- Les jeux de moquerie
- Le milieu gréco-romain connaissait un jeu appelé basilinda, le jeu du roi. Il consistait à choisir une personne qui était promue roi et à laquelle il fallait promettre dobéir à tout ce qui était commandé. On le jouait aussi avec des dés.
- On a découvert des graffiti, dans les pièces du Domus Gelotiana, un lieu de formation pour les pages impériaux, sur la colline de Palatin à Rome, où on peut voir un personnage qui vénère un âne crucifié avec ces mots : Alexamenus adore son dieu. Cest une moquerie païenne à légard du crucifié.
- Les imitations théâtrales
Les comédies et les imitations au théâtre faisaient partie de la vie gréco-romaine. Très souvent, les Juifs étaient les souffre-douleur de ces pièces. Limitation des rois est plus difficile à trouver pour des raisons politiques, mais on peut trouver par exemple des pièces sur des rois ivres.
- Les festivités lors des carnavals
- La fête de Sakaia. Il sagit dune fête dorigine perse qui sétendait sur cinq jours, au cours desquels les maîtres étaient gouvernés par des esclaves, avec en particulier un esclave nommé le maître des autres et portant un habit royal. Cette fête donnait lieu à des orgies sexuelles. Malheureusement, il est impossible de savoir si cette fête était bien connue des soldats romains.
- Les Saturnales. Cette fête romaine se déroulait avant le solstice dhiver et donnait lieu à des célébrations joyeuses pour anticiper la période dorée du dieu Saturne, et quand un soldat était choisi pour être roi lors la fête, il se permettait de donner des ordres.
- La fête de Kronos. Pour les romains, le dieu grec Kronos correspondait au dieu Saturne. Lors de la fête en son honneur, maîtres et esclaves célébraient ensemble. Dans le Martyre de Dasius de Durostorum, des soldats romains du Danube ont choisi lun deux pour jouer le rôle du roi en lhonneur de Kronos, se promenant dans le public avec une réputation dimmoralité, avant de soffrir en sacrifice avec lépée.
- Au coeur de toutes ces fêtes il y a une forme de dérision et de débordements orgiaques. Par contre, les abus physiques et les exécutions semblent tardifs et moins certains.
- Ce serait simpliste daffirmer que les Chrétiens auraient inventé la scène de la moquerie romaine en sinspirant de toutes ces fêtes que nous venons de mentionner. Tout ce quon peut dire, cest que cette moquerie par les soldats romains nest pas impossible étant donnés tous ces précédents. Un lecteur du 1ier siècle pourrait avoir compris cette scène comme la récapitulation non seulement de lenjeu qui préoccupait les Romains, mais également de lattitude païenne envers le roi crucifié.
- En résumé, tout le Sanhédrin a condamné Jésus à mort et on commencé à se moquer de lui comme prophète, tandis que Pilate a condamné Jésus à la crucifixion et toute la cohorte a été rassemblée pour se moquer de lui comme roi.
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