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- Analyse verset par verset
v. 1 Or, un jour où Jésus était quelque part en train de prier, et lorsquil eu terminé, un de ses disciples lui dit: « Seigneur, apprend-nous à prier, comme Jean la fait avec ses disciples. »
Littéralement: Et il arriva dans lêtre lui dans un lieu quelconque priant, comme il sétait arrêté, dit quelquun des disciples de lui envers lui : seigneur (kyrie), enseigne nous à prier comme aussi Jean a enseigné aux disciples de lui.
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dans un lieu quelconque priant |
Luc est celui qui insiste le plus sur le fait que Jésus était un homme de prière, beaucoup plus que les autres évangélistes :
- Cest dans un moment de prière quil aura la révélation de sa mission : "Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel souvrit, et lEsprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel..." (Lc 3, 21-22)
- Lc 5, 16 : des foules nombreuses sassemblaient pour lentendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se tenait retiré dans les déserts et priait.
- Luc 6, 12 : Or il advint, en ces jours-là, quil sen alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à prier Dieu.
- Luc 9, 18 : Et il advint, comme il était à prier, seul, nayant avec lui que les disciples, quil les interrogea en disant: "Qui suis-je, au dire des foules?"
- Luc 9, 28-29 : Or il advint, environ huit jours après ces paroles, que, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier. Et il advint, comme il priait, que laspect de son visage devint autre, et son vêtement, dune blancheur fulgurante.
- Luc 11, 1 : le passage actuel que nous analysons
- Luc 22, 41-45 : Puis il séloigna deux denviron un jet de pierre et, fléchissant les genoux, il priait en disant: "Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe! ... Entré en agonie, il priait de façon plus instante... Se relevant de sa prière, il vint vers les disciples quil trouva endormis de tristesse
Vous aurez remarqué que Jésus prie à loccasion des moments importants et cruciaux de sa vie : à son baptême, quand sa réputation se répand, au moment de choisir ses 12 disciples, au moment de vérifier la foi de ses disciples, au moment de la transfiguration, et lors de son agonie à Gethsémani. Notre passage fait un peu exception, car loccasion de sa prière semble une façon pour Luc dintroduire lenseignement de Jésus sur la façon de prier.
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kyrie (seigneur) |
Le titre de « Seigneur » (grec : kyrios) peut surprendre, car les disciples interpellent habituellement Jésus en lappelant « Maître » (grec : didaskalos ou epistrates). Mais Luc aime beaucoup ce titre très utilisé dans les milieux grecs et qui présente Jésus sous les yeux de la foi, celui qui appartient au monde de Dieu. Comme Jésus est sur le point de donner un enseignement sur la prière, cest une façon de lui donner une certaine autorité.
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comme aussi Jean a enseigné aux disciples de lui |
Cest un témoignage unique qui nous confirme que Jean Baptiste avait enseigné à ses disciples à prier. Nous avons ici lindice que le groupe des baptistes formaient une véritable communauté avec sans doute certaines pratiques et lusage de la prière. Quel était le contenu de cette prière? Sans doute à limage de sa prédication, très axée sur la fin des temps qui approchait, mais en fait nous ne le saurons sans doute jamais. Peut-être la prière de Jésus a-t-elle été influencée par celle de Jean.
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v. 2 Il leur dit : « Quand vous priez, dites : Père, Que ta personne soit reconnue comme sainte, Que vienne ton monde.
Littéralement : Mais il dit à eux: chaque fois que vous priez dites: Père (Pater), que soit sanctifié ton nom, que vienne le règne (basileia) de toi.
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Pater (Père) |
Le terme grec pater, employé au vocatif, traduit laraméen Abba, qui signifie papa. Cela donne une idée de lintimité que vivait Jésus avec Dieu, et dans laquelle il nous invite à entrer également. Nous sommes loin de lidée de Dieu comme un juge lointain et terrifiant.
On pourrait regretter lidentification de Dieu à une figure masculine. Mais Jésus appartient à une culture juive où seul lhomme a un statut social et juridique. Est-il étonnant de constater quassocier à Dieu une figure féminine aurait été impensable? Par contre, si on reconnaît en Jésus un être qui a assumé totalement la condition humaine, et donc qui a découvert Dieu à travers les figures parentales, on devine que Joseph, son père, a contribué largement à sa découverte de Dieu comme père, à limage de celui qui la aimé à Nazareth.
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que soit sanctifié ton nom |
En français une telle phrase est presque incompréhensible : quentend-on par nom? Que veut dire « être sanctifié »? Dans le monde juif, quand on parle du « nom », on désigne la personne dans son identité. La sainteté désigne lêtre de Dieu, ce qui le caractérise : Dieu seul est saint. Dans la prière traditionnelle juive du Kaddish, on dit : Magnifié et sanctifié soit le grand Nom; ici « magnifié » et « sanctifié » sont un peu synonymes et traduisent lidée de reconnaître la grandeur et la qualité extraordinaire de Dieu. Ainsi, en traduisant « que soit sanctifié ton nom » par « que ta personne soit reconnue comme sainte » jentends traduire cette demande du Notre Père comme exprimant le désir que Dieu soit reconnu comme un être unique, extraordinaire, et non pas comme une idole que nous rapetissons à notre image. Il y a comme une tension entre laffirmation que Dieu est père et celle quil est saint : dune part, nous mettons laccent sur lintimité de Dieu qui peut être appelé papa, mais dautre part avec la sainteté nous mettons laccent sur son mystère, sur le fait quil est unique, et donc échappe à notre compréhension.
Pourquoi la première demande du Notre Père est celle de reconnaître la qualité extraordinaire de Dieu? Cest le fondement de tout le reste. Tout dabord, on ne peut faire cette demande sans être habité par un amour profond pour ce mystère unique quest Dieu. Sans cet amour, on ne peut même pas passer à la deuxième demande et désirer que vienne le monde de Dieu.
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que vienne le règne (basileia) de toi |
Le texte grec utilise le mot basileia, quon traduit habituellement par Royaume ou Règne, ce qui nous entraîne dans le monde politique. Il nest pas facile de comprendre ce quavait en tête Jésus en parlant ainsi. Selon Joseph Meier, Jésus attendait pour bientôt la venue définitive de Dieu comme roi, une venue comportant un renversement des situations présentes injustes de pauvreté, daffliction et de ventres vides, une venue qui amorcerait larrivée des Gentils, non comme esclaves conquis, mais comme invités de marque, pour partager le banquet eschatologiques avec les patriarches dIsraël. Aujourdhui, nous parlerions dun monde nouveau, un monde de justice, de paix, de compassion et damour. Mais pour être fidèle à la perception de Jésus, il faut ajouter que cest Dieu qui est maître doeuvre dun tel monde auquel il faut souvrir. Voilà le monde qui fait partie de la prière de Jésus et auquel il a consacré sa vie. Même plus, ce monde était déjà un peu présent à travers laction de Jésus.
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v. 3 Donne-nous chaque jour le pain dont nous avons besoin pour vivre jusquau lendemain,
Littéralement : le pain de nous pour le jour suivant (epiousion) donne à nous chaque jour,
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le pain de nous pour le jour suivant (epiousion) |
Lexpression grecque ton arton êmôn dit littéralement : le pain qui est nôtre, ou notre pain. Le pain représente la nourriture dont nous avons besoin. Aussi, quand Jésus invite les missionnaires à partir sans pain, il leur demande de partir sans provision et de compter sur la générosité des gens : « Il leur dit: "Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent; nayez pas non plus chacun deux tuniques." » (Lc 9, 3) Mais le pain dont nous avons besoin, nest pas simplement le pain qui nourrit le corps. Car lors de sa tentation au désert Jésus dira : « Il est écrit: Ce nest pas de pain seul que vivra lhomme. » En fait, le pain représente la nourriture dont nous avons besoin sous toutes ses formes, physique, psychologique, intellectuelle, spirituelle. Il représente la vie dans toutes ses dimensions, et probablement également la vie en plénitude annoncée pour la fin des temps. Cette prière exprime fondamentalement notre désir de vivre une vie en plénitude.
Le mot grec epiousion signifie littéralement : pour le jour suivant. On traduit habituellement par « quotidien », ce qui est juste dans la mesure où on garde lidée dun pain suffisant pour vivre jusquau lendemain. Il y a donc deux aspects à cette demande. Elle exprime le désir de vivre, puisque demander le pain, cest demander la vie, et une vie en plénitude. Mais en même temps la portée de la demande est limitée en quelque sorte à 24 heures : on désire seulement ce quil faut pour aller jusquau lendemain, pas plus. On croit entendre ici Luc 12, 24 : « Considérez les corbeaux: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils nont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux! » Tout cela accentue lidée que cette vie en plénitude ne peut être un objet quon peut posséder de manière définitive, mais elle relève dun don de Dieu.
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v. 4 et libère-nous de nos égarements, car nous-mêmes nous remettons à ceux qui ont des dettes envers nous, et ne nous entraîne pas dans lépreuve. »
Littéralement : et remets à nous les péchés de nous, car aussi nous-mêmes nous pardonnons à tous les ayant des dettes envers nous. Et nintroduis (eisenenkēs) pas nous en épreuve (peirasmon).
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aphes hēmin tas hamartias hēmōn (remets à nous les péchés de nous) |
Le verbe remettre ou abandonner dans ce contexte-ci traduit lidée dune dette quon demande en quelque sorte doublier ou de rayer. Car dans le monde juif le péché était vu comme une dette contractée vis-à-vis Dieu, et donc qui exige un remboursement. Pourquoi? Car, au point de départ, Yahvé a pris linitiative de libérer son peuple dÉgypte et leur a donné un leader en la personne de Moïse. Cette action amoureuse en faveur dIsraël a été scellée par une alliance explicitée par la Loi donnée par lintermédiaire de Moïse. Pécher, cêtre être infidèle à cette alliance, cest désobéir à cette Loi. Ainsi, tout Juif est redevable à Yahvé de ce quil a fait pour lui, et désobéir à la Loi, cest contracter une dette.
Le terme « péché » ne sapplique que dans notre relation à Dieu. Pour comprendre de quoi il sagit, rappelons-nous la parabole de lenfant prodigue de ce même Luc. Le fils le plus jeune demande sa part dhéritage, quitte la maison familiale pour disperser sa fortune; la relation est rompue avec le père. Quand le fils reviendra à la maison familiale, il dira : « Père, jai péché contre le Ciel et envers toi, je ne mérite plus dêtre appelé ton fils. » (Lc 15, 21) Et le père sécriera : « mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé! » Il est clair dans cette parabole que la figure du père représente Dieu. Couper cette relation signifie choisir le péché et la mort.
Après avoir défini le péché comme cette rupture de la relation avec Dieu, nous restons quand même avec une question fondamentale : quand rompons-nous cette relation? Pour un Juif, la réponse est assez claire : quiconque nobéit pas à ce que demande la Loi est un pécheur. Pour Jésus, cest un peu plus complexe. Par exemple, la Loi permettait à un homme de répudier sa femme, à la condition de rédiger un acte de divorce. En affirmant quun homme répudiant sa femme commet ladultère, il se trouve à dire quun homme qui suit ce que la Loi dit sur le divorce est un pécheur. Par delà la Loi, il se réfère à la volonté de Dieu qui considérait lhomme et la femme comme des êtres égaux et leur union comme un engagement de tout leur être et pour toute la vie. Or, quand on ne se réfère plus à la Loi, ou à une loi quelconque, mais plutôt au mystère infini quest Dieu, nous navons plus de point de repère fixe. Découvrir le mystère de Dieu est loeuvre dune vie. À mesure que nous progressons dans cette quête, bien des attitudes ou des gestes que nous considérions comme « normaux » autrefois deviennent maintenant des infidélités à notre condition denfant de Dieu, et donc péchés. Pour dire les choses autrement, ce qui nest pas péché pour lun lest peut-être pour lautre. Teilhard de Chardin dans Le Milieu divin disait quelque chose de semblable en comparant deux hommes à lascension dune montagne et où une cavité peut représenter un point dappui pour aller plus haut pour lun, mais un retour en arrière pour lautre.
Ce qui est bon, sanctifiant, spirituel, pour mon frère qui est au-dessous ou à côté de moi sur la montagne, est peut-être mauvais, pervertissant, matériel pour moi-même. Ce que je devais maccorder hier, je dois peut-être me le refuser aujourdhui. Et inversement, des actes qui eussent été une lourde infidélité pour un saint Louis de Gonzague ou un saint Antoine, je dois peut-être les poser, précisément pour mélever sur les traces de ces saints. Autrement [126] dit, aucune âme ne rejoint Dieu sans avoir franchi, a travers la Matière un trajet déterminé, lequel en un sens, est une distance qui sépare, mais, en un sens aussi, est un chemin qui réunit. Sans certaines possessions et certaines conquêtes, nul nexiste tel que Dieu le désire. Tous, nous avons notre échelle de Jacob, dont une série dobjets forment les échelons. Le Milieu divin, p. 99.
Comment traduire ephes êmin tas amartias êmôn (traduit habituellement par « remets-nous nos péchés » ou « pardonne-nous nos péchés »). Puisquon ne peut établir objectivement pour chacun ce quest une rupture avec Dieu ou un péché, et quil y a risque dy voir comme des objets quon peut facilement éliminer, je préfère regarder la dimension subjective du péché, i.e. lêtre humain qui prend conscience de son infidélité à lappel à devenir profondément lui-même, à marcher vers lauthenticité et lamour sans borne, et donc à devenir fils de Dieu. Personne ne veut explicitement être infidèle. Mais dans notre cheminement, nous nous égarons pour de multiples raisons. Pensons au fils le plus jeune dans la parabole de lenfant prodigue : il sest égaré dans un pays lointain avant de se réveiller et de prendre conscience de son aliénation.
Le mot « égarement » tient compte de notre liberté (cest nous qui avons choisi le mauvais chemin), et tient également compte quil y objectivement quelque chose derronée dans notre choix, que nous sommes dans un état daliénation, loin de ce que nous sommes vraiment. De plus, le mot « égarement » comporte une note temporaire : elle entrevoit la possibilité de prendre conscience de son erreur et de rectifier son chemin. Luc met dans la bouche de Jésus en croix cette parole : « Père, pardonne-leur: ils ne savent ce quils font. » (Lc 23, 34) Il ny a donc pas de gens fondamentalement mauvais, mais des êtres qui ségarent. Cest linterprétation que Luc donne au reniement de Pierre lorsquil met dans la bouche de Jésus : « Mais moi jai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22, 32) En utilisant lexpression « quand tu seras revenu », Luc parle clairement dégarement.
Je ne veux pas traduire ephes êmin par « remets-nous » ou « pardonne-nous ». Dune part, personne ne comprendrait le contexte dune dette avec le mot remettre. Dautre part, le mot pardonner est piégé : il est trop associé aujourdhui au coup déponge quasi magique du confessionnal. Quand quelquun fait une prise de conscience et regrette son égarement, comme lenfant prodigue, cest déjà Dieu qui pénètre le coeur dune personne, et donc qui prend linitiative de rétablir la relation. En dautre mot, le pardon est déjà commencé aussitôt quon regrette sa faute; le sacrement du pardon nest que le signe visible et la confirmation de ce qui est commencé depuis un certain temps. Nous sommes loin du coup déponge. Alors comment traduire ephes êmin? Je préfère lexpression « libère-nous » pour les raisons suivantes :
- Lexpression aide à comprendre que notre « égarement » est une aliénation de notre être profond, et donc de notre situation de fils de Dieu; laliénation est une véritable prison dont nous avons besoin dêtre libéré
- Lexpression met aussi laccent sur le fait que nous nen sortirons pas seul, nous avons besoin de laide de Dieu; nous nous trouvons à dire : ne nous laisse pas à nous-mêmes
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car aussi nous-mêmes nous pardonnons à tous les ayant des dettes envers nous |
Comme nous lavons vu, la faute commise envers un autre, et Dieu en particulier, est perçue dans la tradition juive comme une dette selon un modèle juridique : Dieu a libéré son peuple, et depuis ce temps, Israël a le devoir dêtre fidèle à lalliance. Ainsi toute infidélité à lalliance devient une dette contractée envers Dieu le créancier. Or, pour convaincre Dieu de nous libérer de notre dette, nous qui avons été infidèle à lalliance, nous mettons de lavant le fait que nous avons libéré les autres de leur dette envers nous.
Quel est le sens de la conjonction « car ». Ce mot traduit le terme grec : gar, qui signifie : car, en effet, cest que. Cette conjonction introduit une relation de dépendance entre ce qui précède et ce qui suit : lattitude de Dieu est dépendante de notre attitude. Ainsi, nous disons à Dieu dagir envers nous de la même manière que nous agissons envers les autres. Cela peut être dangereux, car si nous ne pardonnons pas aux autres leurs offenses envers nous et restons vindicatifs, nous acceptons que Dieu fasse la même chose envers nous. Bref, la mesure de nos relations avec les autres sera la mesure de Dieu envers nous.
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Et nintroduis (eisenenkēs) pas nous en épreuve (peirasmon) |
On traduit souvent par tentation. Le terme peirasmos a le sens dessai, examen, vérification, épreuve qui permet de vérifier la qualité dune chose ou dune personne. Luc nous raconte quaprès son baptême Jésus a subi lépreuve au désert : « Jésus, rempli dEsprit Saint, revint du Jourdain et il était mené par lEsprit à travers le désert durant 40 jours, tenté ( peirazomenos) par le diable. » (Lc 4, 1-2) Cela lui permit de démontrer la qualité de son être. Mais alors quel est le sens dune prière qui demande de ne pas être entraîné dans lépreuve, alors que Jésus a accepté de vivre lépreuve? À Gethsémani, Jésus demande à ses disciples de prier pour ne pas entrer en tentation : « Parvenu en ce lieu, il leur dit: "Priez, pour ne pas entrer ( eiselthein) en tentation ( peirasmon)." » (Lc 22, 40) En fait, la prière ne demande pas déviter lépreuve, mais de ne pas « entrer dans » lépreuve. La nuance peut paraître subtile. Mais Luc nous présente lépreuve comme une maison de séduction : on ne peut éviter de la voir, limportant est de ne pas y entrer, car on nen sortira pas. En Lc 11, 4 on a le verbe eispherô (littéralement : porter dans, doù entraîner), en Lc 22, 40 on a le verbe eiserchomai (littéralement : aller dans, doù entrer). Le préfixe grec eis a le sens de « vers » ou « dans ». Ainsi, la prière face à lépreuve est déviter le « vers » ou le « dans » : cest refuser dentrer dans la logique proposée par lépreuve.
Peut-on aller plus loin sur le sens de lépreuve? Dans la parabole de la semence, Jésus compare la semence qui est tombée sur le roc à des gens qui accueille la parole avec joie, mais ils nont pas de racine : « Ils ne croient que pour un moment, et au moment de lépreuve (peirasmon) ils font défection. » (Lc 8, 13) Ici, lépreuve entraîne la perte de la foi. Par contre, Simon-Pierre reniera Jésus lorsquon linterrogera sur ses liens avec lui, pourtant Luc ne parlera pas dentrer dans une épreuve mais écrira ceci sur cet événement : « "Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment; mais moi jai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas." » (Lc 22, 31-32) Ainsi, quand on prie ne pas être entraîné dans lépreuve, on prie de ne pas perdre la foi. Et comme Jésus attendait pour bientôt la fin des temps, sa prière concerne aussi lépreuve finale pour laquelle il demande que sa foi ne défaille pas.
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v. 5 Puis, il leur dit : « Si jamais vous aviez un ami et que vous alliez chez lui au milieu de la nuit pour lui dire : "Mon cher, prête moi trois pains,
Littéralement : Et il dit envers eux : lequel de vous aura un ami et se rendra chez lui au milieu de la nuit et dira à lui : ami, prête à moi trois pains,
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v. 6 car mon ami est arrivé de voyage chez moi et je nai rien à lui offrir",
Littéralement : puisquami de moi est arrivé du chemin chez moi et je nai pas quelque chose que je puisse offrir à lui.
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v. 7 et que ce dernier de lintérieur réponde : "Ne membête pas. La porte est déjà fermée à clé et mes enfants sont avec moi dans le lit, impossible pour moi de me lever et de les donner."
Littéralement : Celui-là de lintérieur ayant répondu quil dise : à moi de tracas napporte pas. Déjà la porte a été fermée et les enfants de moi avec moi dans le lit sont. Je ne suis pas capable, métant levé, de donner à toi.
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v. 8 Je vous lassure, sil ne se lève pas pour donner parce quil est son ami, il se réveillera à cause de son effronterie pour lui donner ce dont il a besoin.
Littéralement : Je dis à vous, et sil ne donnera pas à lui sétant levé parce que lui être ami de lui, du moins parce que labsence de pudeur de lui, sétant réveillé il donnera à lui toutes les choses dont il a besoin.
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Nous avons ici une parabole dont le sens est assez clair : même les demandes les plus inopportunes recevront une réponse, en raison même de laudace de demander. Dans la parabole, Jésus nous met dans les souliers du demandeur effronté qui finira par avoir ce quil veut. Ceci dit, nous pouvons observer que cette parole de Jésus semble hors contexte : nous avons quitté la demande posée au tout début par les disciples (apprends-nous à prier) pour entrer dans une nouvelle question, même si elle est implicite : pourquoi est-il important de formuler une prière de demande? Luc regroupe probablement ici divers enseignements de Jésus donnés à différents moments de son ministère.
Alors pourquoi Luc tient-il à présenter ici un enseignement de Jésus sur limportance de demander? Tout dabord, la prière enseignée par Jésus ne comporte que des verbes à limpératif, donc que des demandes, soit pour Dieu, soit pour nous. Ensuite, il faut assumer que la valeur de la prière de demande était mise en question dans la communauté lucanienne, doù limportance dy insister.
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v. 9 Et moi je vous dis : Demandez, et on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira.
Littéralement : Et moi à vous je dis: demandez et il sera donné à vous, cherchez et vous trouverez, frappez et il sera ouvert à vous.
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v. 10 Car quiconque demande, reçoit, et qui cherche trouve, et qui frappe se fera ouvrir.
Littéralement : Car tout demandant reçoit et tout cherchant trouve et à celui qui est frappant il sera ouvert.
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Après la parabole, nous avons une exhortation axée totalement sur laction : demander, chercher, frapper. Au fond, cette exhortation est axée sur la foi : notre action portera fruit. Cest seulement cette foi qui nous propulse en avant et nous motive pour changer les choses.
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v. 11 Lequel dentre vous, dans votre rôle de père, sil se fait demander par son fils du poisson, lui tendra-t-il un serpent à la place du poisson?
Littéralement : Mais auquel de vous le père demandera le fils un poisson, et à la place du poisson un serpent à lui il présentera?
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v. 12 Ou encore, sil se fait demander un oeuf, lui tendra-t-il un scorpion?
Littéralement : ou aussi il demandera un oeuf, il présentera à lui un scorpion.
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v. 13 Si vous, qui savez être méchants, vous pouvez faire de bons cadeaux à vos enfants, combien plus votre père du ciel donnera lEsprit Saint à ceux qui le lui demandent ».
Littéralement : Si vous, qui savez être méchants, vous pouvez faire de bons cadeaux à vos enfants, combien plus votre père du ciel donnera lEsprit Saint à ceux qui le lui demandent ».
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Jésus change ici les perspectives : il nous met dans les souliers dun père qui doit répondre aux demandes de son fils. Il ne sagit plus de convaincre de demander, mais celui de convaincre que laction de Dieu ne peut être que bénéfique pour lêtre humain. Largument va comme ceci : si un père donne de bonnes choses à son fils, à plus forte raison Dieu père donnera-il de bonnes choses à ses enfants. Cette comparaison attaque certaines images dun Dieu qui fait peur ou fait du tort à lêtre humain. Laccent est sur la foi en un Dieu aimant qui nintervient que pour soutenir et faire grandir celui qui prie.
Nous avons fort probablement une touche de lévangéliste Luc quand il présente le sommet de la prière comme étant la demande de lEsprit Saint. Alors que le modèle proposé par Jésus comprenait cinq demandes autour de la connaissance de Dieu, de la venue de son monde, de notre subsistance jusquau lendemain, de la libération de nos égarements et de lévitement dentrer dans lépreuve, Luc nous parle maintenant de demander lEsprit Saint. Il ne faut pas sen surprendre, car pour lui lEsprit Saint est le grand acteur du temps de lÉglise qui commence par son don lors de la Pentecôte et qui va guider les apôtres tout au long de leur mission (voir les Actes des Apôtres où on a 42 mentions de lEsprit Saint). Cet Esprit est donné à Jésus lors de son baptême et cest lui qui le guidera tout au long de sa mission. Quand on fait une comparaison entre les quatre évangélistes, cest lui qui le mentionne le plus : Mt : 11 mentions / Mc : 7 mentions / Lc : 17 mentions / Jn : 14 mentions. LEsprit Saint est donc pour Luc le don par excellence.
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- Analyse de la structure du récit
Notre passage a une structure très simple : une question dun des disciples sur la prière et la réponse de Jésus.
Introduction
-Occasion : Jésus priait et terminait sa prière v.1a
Question de lun des disciples :
-Apprends-nous à prier, comme Jean la appris à ses disciples v.2b
Réponse de Jésus vv. 2-13
- Exemple dune prière
-Adresse à un Dieu père v. 2a
-Deux demandes pour Dieu : 1) que sa personne soit reconnue comme sainte; 2) que vienne son monde v. 2b
-Trois demandes pour nous : 1) avoir une subsistance jusquau lendemain; 2) être libéré de ses égarements; 3) ne pas être entraîné dans lépreuve vv. 3-4
- Parabole dune demande inopportune vv. 5-8
- Exhortation à demander vv. 9-10
- Interpellation basée sur notre expérience de père : la demande et sa réponse est axée seulement sur ce qui est bon pour nous vv. 11-13
Conclusion :
-Dieu donnera lEsprit Saint à ceux qui le lui demandent
- Le moment où la question est posée par un disciple nous amène à penser que la réponse de Jésus dévoilera quelque peu le contenu de sa prière personnelle, puisquelle fait suite à un temps de prière chez lui (Introduction). Mais cette réponse comporte des aspects différents : il y aura bien sûr la présentation dune prière modèle (A) axée sur la figure du père, mais cette prière est suivie dune parabole (B) et dune exhortation (C) qui insistent sur limportance de demander et sur lassurance que la prière reçoit toujours une réponse. Enfin, avec un certain parallélisme littéraire, Luc revient de nouveau à la fin avec la figure du père (D), cette fois pour filtrer le résultat de la demande, et par ricochet ce qui peut être demandé : le résultat dune demande ne peut pas nous faire de tort, et donc nous ne pouvons demander que ce qui nous fait grandir, et par-dessus tout lEsprit Saint.
- Un mot sur le modèle de prière proposé par Jésus. Elle commence par une adresse très intimiste à Dieu perçu comme un père. Cette prière, axée sur diverses demandes, comporte deux moments distincts, dabord des demandes axées sur Dieu, i.e. sa personne et son monde, ensuite des demandes axées sur nous, i.e. vivre jusquau lendemain, être aidé lorsque nous nous éloignons de Dieu, éviter les pièges qui pourraient nous éloigner de lui. Fondamentalement, les cinq demandes tournent autour de Dieu : 1) le découvrir dans son mystère de Dieu; 2) entrer dans ce monde quIl propose; 3) continuer à vivre chaque jour comme son fils; 4) revenir à Lui quand nous nous sommes perdus; 5) éviter les pièges qui nous éloignent de Lui. Cette prière est à limage de Jésus, un amour fou pour ce Dieu père.
- Analyse du contexte
Notre texte appartient à la 2e partie du ministère de Jésus chez Luc qui va de 9, 51 à 19, 28. Cette partie se caractérise par le fait que Jésus se met en route pour Jérusalem et, au cours de cette route, il donne une suite denseignements. Il est difficile de trouver un ordre dans cette suite alors que Jésus aborde différents sujets de manière hétéroclite: la condition du disciple et du missionnaire, lamour du prochain, la primauté de la parole, le rôle du démon, lattitude face à largent, lurgence de ce convertir avant le jugement, louverture aux pauvres, louverture aux pécheurs, etc. Le seul fil conducteur de cette suite denseignement est la mention à plusieurs reprises que Jésus faisait route vers Jérusalem où il se fera arrêter et y laissera sa vie (9, 53; 9, 57; 10, 38; 13, 22; 13, 33; 14, 25; 17, 11). Pour Luc, laccueil de la parole de Jésus se fait sous la forme dun cheminement, un cheminement qui dure toute la vie, un cheminement qui implique lacceptation de la croix.
Regardons dun plus près le contexte immédiat.
- Refus des Samaritains de laccueillir 9, 51-56
- Conditions pour suivre Jésus 9, 57-62
-Pas de lieu stable pour se reposer
-Suivre Jésus est plus important et plus urgent que les événements familiaux
- Envoi des 72 en mission 10, 1-24
-Conseils pour la mission
-Prophétie sur les villes qui rejettent les missionnaires
-Retour de mission
-Impact de cette mission
-Prière de Jésus
-Béatitude sur les disciples
- Lamour du prochain 10, 25-37
-La question du légiste sur la vie éternelle
-Sa réponse en utilisant la Loi
-Nouvelle question du légiste sur le prochain
-Parabole du bon Samaritain
- Récit de Marthe et Marie : la primauté de la parole 10, 38-42
- Enseignement sur la prière 11, 1-13
- Controverse sur lexpulsion des démons 11, 14-28
-Jésus guérit un muet et les gens sémerveillent
-Mais certains laccusent de guérir grâce à Béelzéboul le chef des démons
-Réponse de Jésus : 1) si cétait par Béelzéboul, Satan serait divisé contre lui-même; 2) dautres Juifs chassent également les démons; 3) cest plutôt le signe du Règne de Dieu qui vient darriver; 4) en Jésus cette nouvelle force vient darriver; 5) mise en garde contre le danger de rechute dans le mal; 6) Béatitude sur la primauté de laccueil de la parole de Dieu.
Quand on regarde le contexte immédiat de lenseignement sur la prière, il est difficile dy voir un ordre logique. Pourtant, il y a un point qui revient comme un leitmotiv : lécoute de la parole de Dieu. Cest le coeur de la scène sur Marthe et Marie qui précède : celle qui préfère écouter lenseignement de Jésus plutôt que saffairer au service de la table (chez les premières communautés chrétiennes, le service de la table consistait pourtant à subvenir aux besoins des plus démunis de la communauté) a choisi ce quil y a de plus important. Et la scène sur la guérison dun muet qui suit lenseignement sur la prière se termine avec une béatitude qui rétabli les priorités : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et lobservent! » (Lc 11, 28) Ainsi, la préséance donnée à laccueil de la parole de Dieu encadre notre passage où Jésus donne son enseignement sur la prière. Quest-ce à dire? En fait, la prière est une forme découte de la parole de Dieu. La prière apparaît moins comme des formules à répéter, quune ouverture du coeur à ce que Dieu veut dire, comme la fait Marie (Lc 10, 39), quun accueil de Sa personne en nous où il établit sa demeure, ce qui empêche le démon dy trouver un logis vide pour y habiter (Lc 11, 24).
- Analyse des parallèles
En souligné les bouts de phrase identiques et en italique les bouts différents.
Luc 11, 1-13 |
Matthieu 6, 5-15; 7, 7-11 |
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5 "Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites: ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin quon les voie. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.
6 Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7 "Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens: ils simaginent quen parlant beaucoup ils se feront mieux écouter.
8 Nallez pas faire comme eux; car votre Père sait bien ce quil vous faut, avant que vous le lui demandiez.
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1 Et il advint, comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, un de ses disciples lui dit:
"Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean la appris à ses disciples."
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2 Il leur dit: "Lorsque vous priez, dites: |
9 "Vous donc, priez ainsi: |
Père, |
Notre Père qui es dans les cieux, |
que ton Nom soit sanctifié; |
que ton Nom soit sanctifié; |
que ton règne vienne; |
10 que ton règne vienne;
que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel. |
3 donne-nous chaque jour notre pain quotidien; |
11 Donne-nous aujourdhui notre pain quotidien; |
4 et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit;
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12 Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs. |
et ne nous soumets pas à la tentation." |
13 Et ne nous soumets pas à la tentation;
mais délivre-nous du Mauvais.
14 "Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi;
15 mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements.
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5 Il leur dit encore: "Si lun de vous, ayant un ami, sen va le trouver au milieu de la nuit, pour lui dire: Mon ami, prête-moi trois pains,
6 parce quun de mes amis mest arrivé de voyage et je nai rien à lui servir,
7 et que de lintérieur lautre réponde: Ne me cause pas de tracas; maintenant la porte est fermée, et mes enfants et moi sommes au lit; je ne puis me lever pour ten donner;
8 je vous le dis, même sil ne se lève pas pour les lui donner en qualité dami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin.
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9 "Et moi, je vous dis: demandez et lon vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et lon vous ouvrira.
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7, 7 "Demandez et lon vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et lon vous ouvrira.
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10 Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira. |
8 Car quiconque demande reçoit; qui cherche trouve; et à qui frappe on ouvrira. |
11 Quel est dentre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent? |
9 Quel est dentre vous lhomme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre? |
12 Ou encore sil demande un oeuf, lui remettra-t-il un scorpion? |
10 Ou encore, sil lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent? |
13 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il lEsprit Saint à ceux qui len prient!" |
11 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui len prient! |
- On aura noté que seuls Luc et Matthieu nous présentent cette prière du Notre Père. Quand ces deux évangiles possèdent un texte similaire quils semblent seuls connaître, les biblistes croient quils ont eu entre leurs mains un document quon appelle la source Q. Ainsi, cest à travers cette source Q que Matthieu et Luc ont connu cette prière du Notre Père. Mais chacun a repris à sa façon cette source. Selon Joseph Meier, la prière originelle de la source Q avait à peu près cette forme :
Papa,
Que soit sanctifié ton nom
Que vienne ton règne
Notre pain quotidien donne-le nous aujourdhui
Et remets-nous nos dettes comme nous aussi avons remis à nos débiteurs
Et ne nous fais pas subir lépreuve.
- Une première observation sur les versions de Matthieu et Luc concerne le contexte. Chez Matthieu, lenseignement de Jésus fait partie du Sermon sur la montagne, très tôt dans son ministère. Plus précisément, il sinsère dans son discours où il aborde les trois grandes pratiques fondamentales de la religion juive, laumône, la prière et le jeûne. Dans les trois cas, il enseigne comment faire laumône, comment prier et jeûner. Chez Luc, lenseignement a lieu vers la fin de son ministère, au moment où il est en route vers Jérusalem, et elle est une réponse à un disciple qui lui pose une question en le voyant prier. Ainsi, chez Matthieu le Notre Père fait partie de la grande chartre générale qui définit le chrétien. Chez Luc, le Notre Père est plutôt présenté comme le partage de lintimité de Jésus avec ceux qui ont choisi dêtre ses disciples avant de mourir.
- La version de Matthieu est introduite par un enseignement sur la bonne façon de prier, i.e. en ne cherchant pas à se faire voir mais en demeurant plutôt discret, et en ne multipliant pas inutilement les paroles, mais en demeurant bref, car Dieu sait ce dont nous avons besoin. Le Notre Père vient en quelque sorte illustrer par la suite cette exhortation sur lart de bien prier. Au contraire, la version de Luc nest pas lillustration de la façon de bien prier, mais son Notre Père est présenté pour la valeur de son contenu en lui-même, comme prière que Jésus et ses disciples peuvent ensemble partager.
- Le contenu de la prière prend des formes différentes chez les deux évangélistes.
- Dabord, la façon de sadresser à Dieu est directe et plus intimiste chez Luc : Père / papa; alors que le « Notre Père qui es aux cieux » de Matthieu est plus ritualisé et présuppose une communauté
- Matthieu ajoute : « que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Nous avons ici une touche typique de Matthieu qui, tout comme bon Juif, insiste sur lagir ou lorthopraxie. Cest sa façon de reprendre la Loi juive, mais de la christianiser. Cette insistance reviendra tout au long de son évangile : « Ce nest pas en me disant: Seigneur, Seigneur, quon entrera dans le Royaume des Cieux, mais cest en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 7, 21); « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là mest un frère et une soeur et une mère. » (Mt 12, 50); « Lequel des deux a fait la volonté du père » (Mt 21, 31 : parabole des deux fils). Sadressant à des Grecs, Luc ne sent pas besoin de reprendre lidée dune nouvelle Loi.
- En modifiant la demande du pain « aujourdhui » pour dire plutôt « chaque jour », Luc insiste sur lidée que la vie chrétienne est un long trajet qui exige beaucoup de persévérance, comme il le fait à plusieurs reprises dans son évangile : « Et il disait à tous: "Si quelquun veut venir à ma suite, quil se renie lui-même, quil se charge de sa croix chaque jour, et quil me suive" » (Lc 9, 23); « Et ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la Parole avec un coeur noble et généreux, la retiennent et portent du fruit par leur persévérance » (Lc 8, 15); « Cest par votre persévérance que vous sauverez vos vies! » (Lc 21, 19).
- Plutôt que de dire « Remets-nous nos dettes » comme lindiquait probablement la source Q et qua repris tel quel Matthieu, Luc écrit plutôt : « Remets-nous nos péchés ». Pourquoi? Sans doute que la notion de faute vue comme une dette, typique du milieu juif, était plus difficile à comprendre dans son milieu grec, et que parler de péché était plus clair.
- Luc modifie probablement sa source qui disait : « comme nous aussi avons remis à nos débiteurs », et opte pour : « car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit ». Pourquoi? Il poursuit la même idée développée avec « chaque jour » : la remise de la dette est une chose quon fait constamment chaque jour, et ne peut être simplement une chose quon a déjà faite dans le passé. Matthieu pour sa part développe davantage cette dernière demande sur le pardon des offenses pour insister encore plus sur lagir, comme cest son habitude : notre agir envers les autres sera la mesure de Dieu envers nous (Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi; mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements). Pour Matthieu, le pardon des offenses est si importante quil associe son refus au Mauvais (mais délivre-nous du Mauvais).
- Le Notre Père chez Luc est suivi de la parabole de lami effronté quil tient dune source qui lui est propre, à moins quil lait rédigé lui-même. Que cherche-t-il à faire ici? Il veut souligner limportance de prier et de toujours prier en affirmant que la prière reçoit toujours une réponse. En effet, la parabole donne le cas extrême dune demande où on aurait toutes les raisons du monde de refuser, et pourtant cette demande sera satisfaite. Alors nous navons aucune raison dhésiter à prier.
- La suite de Luc est empruntée à la source Q quil partage avec Matthieu. Mais alors que Luc fait de ce texte la suite du Notre Père, Matthieu linsère à la suite dune série dexhortations morales qui concluent le Sermon sur la montagne. Regardons dun peu plus près ce texte.
- Le texte comprend trois parties. Tout dabord, il y a une exhortation à demander, ce qui, chez Luc, conclut naturellement la parabole de lami effronté et quil introduit avec « Et moi, je vous dis ».
- La deuxième partie (quiconque demande reçoit...) est la justification de la première partie. Nous naurions pas besoin de cette justification chez Luc, car la parabole de lami effronté nous avait déjà démontré quune demande reçoit une réponse. Mais comme la source Q navait pas cette parabole, on comprend limportance de cette deuxième partie.
- Enfin, dans la troisième partie, on réoriente le développement sur la prière de demande : il ne sagit plus de convaincre de demander, mais de convaincre que la réponse quon recevra nous sera toujours bénéfique. Cela peut surprendre : comment peut-on oser imaginer que la réponse de Dieu à notre prière serait néfaste. En fait, on peut imaginer une culture où Dieu est perçu comme une force qui fait peur et dont on craint lintervention. Ainsi donc, cette troisième partie termine largumentation générale : non seulement la prière recevra une réponse, mais cette réponse nous sera bénéfique.
- On aura remarqué que dans cette troisième partie, il y a de petites différences entre Luc et Matthieu. Tout dabord, Luc clarifie quil sagit dune relation père-fils en nous mettant clairement dans les souliers dun père, alors que chez Matthieu cest seulement présupposé puisquil parle dun fils sans mentionner le mot père; et pour Luc, cest une façon dintensifier le lien avec le Notre Père. Ensuite, il place en premier la demande de poisson qui est deuxième chez Matthieu, et élimine la demande de pain pour la remplacer par une demande doeuf. Matthieu est probablement plus fidèle à la source Q qui se comprend bien dans un milieu palestinien où pain et poisson étaient la base de lalimentation et où le pain sous forme de miche pouvait ressembler à une pierre (cf Mt 4, 3 : Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains). Alors quelle est donc lintention de Luc avec toutes ces modifications? Difficile à dire. Il y a peut-être une intention dêtre plus logique et cohérent en mettant de lavant seulement des éléments du monde animal (le pain nen faisait pas partie), et en mettant en parallèle deux réalités néfastes, le serpent et le scorpion; et en introduisant le scorpion il devait lui associer un élément auquel on pouvait le confondre, soit un oeuf.
- La troisième partie montre également une divergence chez Luc et Matthieu sur le contenu de la demande : Matthieu reproduit certainement sa source avec fidélité en parlant de bonnes choses que donnera Dieu, alors que Luc remplace « bonnes choses » par lEsprit Saint. Il ne faut pas sen surprendre, car pour lui lEsprit Saint est la réalité fondamentale de la vie chrétienne. Comme nous lavons vu, tout au long de son évangile, il est celui qui sy réfère le plus souvent : Mt : 11 fois / Mc : 7 fois / Lc : 17 fois / Jn : 14 fois. LEsprit Saint est à lorigine de la mission de Jésus et de lÉglise. Il inspire Élisabeth, Zacharie et Siméon pour quils prophétisent. Il est le don quil faut demander dans la prière (11, 13). Les Actes des Apôtres parlent du rôle fondateur de lEsprit dans lÉglise avec les trois Pentecôte (2, 13; 8, 18; 10, 46). Bref, demander lEsprit Saint constitue la demande par excellence chez Luc.
- Intention de l'auteur en écrivant ce passage
Luc a à sa disposition cette prière attribuée à Jésus que connaît également Matthieu :
Papa,
Que soit sanctifié ton nom
Que vienne ton règne
Notre pain quotidien donne-le nous aujourdhui
Et remets-nous nos dettes comme nous aussi avons remis à nos débiteurs
Et ne nous entraîne pas dans lépreuve
Il veut que cette prière devienne celle de tout chrétien, et quelle soit une façon de marcher dans les pas de Jésus, et de sidentifier en quelque sorte à lui. Alors il met en place cette introduction où un disciple lui demande comment prier à la manière des disciples de Jean Baptiste. Ainsi, comme la communauté baptiste, la communauté chrétienne aura sa prière. Mais il conçoit cette prière comme une forme découte de la parole. Cest pourquoi notre récit fait suite à celui de Marthe et Marie, alors que Marie a choisi la meilleure part : la prière devient le moment où on laisse toute la place à une parole qui vient du plus profond de nous-mêmes, et qui remonte fondamentalement à Dieu. Cest la source qui donne sens à lensemble dune vie. Cest dans ce sens quil faut interpréter le récit de la libération dun démoniaque qui suit : lhomme doit maintenant laisser la parole prendre toute la place dans son être, sinon sa libération sera de courte durée.
Luc semble respecter assez fidèlement le contenu originel de cette prière transmise par la source Q. Mais sa façon de lintroduire nous fait entrer dans lintimité de Jésus. Car il nous présente un Jésus qui est sans cesse en train de prier. On ne connaît pas le contenu de cette prière sinon à Gethsémani et ici, dans ce passage, alors quil semble dire : voici comment, moi, je prie.
Cette prière est constituée de cinq demandes, deux qui concernent Dieu, et trois qui nous concernent. Mais fondamentalement, les cinq demandes tournent autour de Dieu : 1) le découvrir dans son mystère de Dieu; 2) entrer dans ce monde quIl propose; 3) avoir tout ce quil faut pour vivre pleinement chaque jour notre vie de fils de Dieu; 4) revenir à Lui quand nous nous sommes perdus; 5) éviter les pièges qui nous éloignent de Lui. Cette prière est à limage de Jésus, un amour fou pour ce Dieu père.
Alors que pour Matthieu, qui sadresse à des Juifs qui ont lhabitude de prier, et pour qui limportant est dapprendre à bien prier, et donc déviter de multiplier les paroles comme font les païens en simaginant que le poids des paroles exercera une influence sur Dieu, pour Luc, qui sadresse à des Grecs qui nont pas la même habitude de prier, limportant est de simplement prier, i.e. doser faire des demandes à Dieu et dêtre assuré que cette prière recevra une réponse. Car pour lui, Dieu veut que nous soyons des êtres actifs dans lhistoire du salut, et ce salut ne se fera pas sans que nous nous impliquions de manière active, doù limportance de demander laide de Dieu. Mais en mentionnant que la prière ne peut être que bénéfique, il spécifie que la seule chose que nous devrions demander, cest lEsprit Saint. Et en cela il complète la boucle : Jésus a été guidé toute sa vie par lEsprit, et nous, qui marchons dans ces pas, devrions désirer le même Esprit.
- Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte
- Suggestions provenant des différents symboles du récit
- Jésus était en prière comme il le faisait lors des grands moments de sa vie. Lévangile nous amène à réfléchir sur notre prière. Comment prions-nous? À quel moment? Pourquoi prions-nous? Que cherche-t-on dans nos demandes? Notre prière a-t-elle la même importance quelle avait dans la vie de Jésus? Que révèle la prière de nous-mêmes? Quel impact a-t-elle sur nous? Il y a beaucoup de piste à explorer ici. Il ne sagit pas de nous culpabiliser, mais dêtre vrai, et de dire les choses telles quelles sont. Il y a peut-être une forme de prière que nous avons abandonnée, et cest sans doute un geste sain. Une prière qui ne nous reflète pas est faussée au point de départ.
- Chaque demande du Notre Père offre une piste de réflexion, à commencer par linterpellation initiale : Père ou Papa. Bien sûr, nous pourrions tout aussi bien dire : maman, ou mon très cher ou ma très chère, ou mon grand amour. Limportant nest pas la formule, mais les sentiments que nous voulons véhiculer. Il ny a pas de mal à avouer que « nous ne sommes pas là ». Pourtant, cest ce qua vécu Jésus et cest le trésor quil veut nous faire découvrir. Sans être porté par cet amour, toute religion va devenir un cadre juridique étouffant ou même pire, de lintégrisme fanatique. Car la demande « fais venir ton règne » deviendra une forme dinquisition ou une « sharia » quon voudra imposer.
- « Que ta personne soit reconnue comme sainte ». Personnellement, je trouve cette demande fondamentale pour toute personne qui se dit religieuse. Car beaucoup de gens biens intentionnés me semblent massacrer le visage de Dieu en prétendant le connaître et en le réduisant au voisin dà côté : on rapetisse Dieu à ce quon peut en comprendre et on en fait le complice de nos limites. Cette demande du Notre Père dit : aide-nous à nous ouvrir à ton mystère infini, quon reconnaisse en toi cette qualité extraordinaire de qui on peut tout attendre. Cette phrase ne peut être dite que par un être amoureux. Cest ce qua été Jésus. Et nous?
- « Que vienne ton monde ». Bien sûr, la vision de Jésus était très marquée par le Judaïsme avec le rassemblement des douze tribus dIsraël et les Gentils qui se joindraient à la même table à la fin des temps. Mais ses nombreuses guérisons et son souci des pauvres étaient le signe que ce monde de Dieu était commencé. Avec le recul, cette demande nous permet un peu de rêver et de travailler pour ce rêve : si Dieu est amour et compassion infinis, nous pouvons espérer un monde où il ny a plus de pauvres, plus de gens exploités, plus de gens aliénés, plus de gens oubliés, plus de gens désespérés, où le mal et la maladie sont un ancien souvenir. Si ce nest pas là vraiment notre désir, pourquoi disons-nous « que vienne ton monde »?
- « Donne-nous chaque jour le pain dont nous avons besoin pour vivre jusquau lendemain ». Comme nous lavons déjà dit, le pain représente la vie et la vie en plénitude. En reprenant cette demande, nous exprimons notre immense désir de vivre. Mais en même temps nous reconnaissons notre dépendance vis-à-vis de Dieu en lui disant : toi seul sais donner ce qui peut nous combler vraiment, alors donne-nous aujourdhui ce quil nous faut pour que nous puissions vivre jusquà demain, et demain nous te le redemanderons de nouveau, car ce dont nous aurons besoin demain sera sans doute différent daujourdhui.
- « Et libère-nous de nos égarements ». Cette piste de réflexion nous entraîne dans des questions difficiles. Car lorsque des êtres humains ségarent, ils ne savent pas quils sont égarés. Cest seulement lorsque nous faisons des prises de conscience que, tout à coup, nous nous rendons compte que nous avons mal agi, que nous nous sommes fourvoyés. Mais cest peu fréquent. Pouvez-nous nommer certains cas? Jai déjà parlé de Larry (La Presse du 16 juin 2012) qui vivait dans des motels avec sa blonde Chantal avec laquelle il reniflait de la poudre, faisait le party et entreprenait des vols de banques. La prise de conscience de son égarement sest produite lorsque Chantal est devenue enceinte. Quand des Islamistes attaquent des écoles et massacrent des gens au nom dAllah, nous savons quils sont égarés. Mais sans aller si loin, nous savons tous quà mesure que nous évoluons et gagnons en maturité, nous découvrons que certaines de nos attitudes ne sont pas vraiment dignes dun disciple de Jésus. Nest-il pas important de demander : « Mystère de vie, je sais quil y a beaucoup de choses que je ne vois pas et qui maliènent, qui mempêchent dêtre totalement cet être que tu veux que je sois, alors éclaire-moi pour que je me regarde avec vérité et que je regarde le monde autour de moi avec vérité, et donne-moi la force et le courage de reprendre mon chemin dans cette vérité. »
- « Car nous-mêmes nous remettons à ceux qui ont des dettes envers nous. » Voilà un point très difficile de la prière du Notre Père. Chaque fois que je dis ces mots, je lavoue, je suis angoissé. En ce moment, je ne ressens aucune animosité envers qui que ce soit. Mais je suis conscient quil suffirait de peu de choses pour que quelquun se retrouve sur ma liste noire. Alors je me pose la question : serais-je capable daimer assez pour vraiment pardonner? Le pardon est une réalité complexe. Selon Matthieu, le pardon présuppose que quelquun demande pardon (cf la parabole des deux débiteurs chez Matthieu 18, 23-35). Luc, au contraire, nous présente Jésus en train de pardonner à ceux qui lont fait mourir sans quils aient exprimé quelque repentir que ce soit : « Père, pardonne-leur: ils ne savent ce quils font. » (Lc 23, 34) Je crois que la psychologie moderne a raison quand elle dit que le ressentiment ou le refus du pardon nous fait plus de tort quà la personne qui nous a offensé : le refus du pardon nous entraîne dans la même dynamique que la personne qui nous a offensé. Le pardon est la seule façon de mettre un terme à la séquence du mal : quand on entend certains Islamistes dirent « OEil pour oeil, dent pour dent », on sait quil ny aura plus de fin au cycle de la vengeance. La solution? Le difficile pardon.
- « Et ne nous entraîne pas dans lépreuve ». Nous avons déjà dit que lenjeu de cette épreuve était la perte de la foi. Plusieurs biblistes croient que cette épreuve du Notre Père faisait référence à lépreuve finale lors de la fin du temps. Mais pour Jésus, ce temps de la fin était déjà commencé. Jésus a dû vivre à plusieurs reprises des événements qui mettaient à lépreuve sa foi. Le plus clair concerne les événements entourant son arrestation et son procès. Mettons-nous un seul instant dans sa peau à Gethsémani alors quil se savait coincé et que cétait seulement un question de temps quil soit arrêté. Pour quelquun qui se croyait envoyé de Dieu et avait mis sa foi dans ce monde de Dieu sur le point dadvenir, le démenti était flagrant : peut on imaginer épreuve plus difficile pour la foi? Vraiment ce Dieu est incompréhensible. Dans des occasions comme celle-là, ou bien on cesse de croire, ou bien la foi fait un bon de géant. Nous pouvons vivre des situations difficiles : un divorce, un décès, une perte demploi, une rupture, une défaite quelconque, un prêtre qui agresse un enfant, un évêque qui blanchit de largent, bref des situations où nous nous demandons où est Dieu dans tout cela? Se laisser entraîner dans lépreuve cest dire : tout ce que la foi nous a enseigné, cest de la foutaise. Mais si nous voulons faire un bon de géant dans la foi, il faut dire : « Et ne nous entraîne pas dans lépreuve ».
- Parabole de lami effronté. Pour Luc, cette parabole ne vise quun but : nous amener à oser exprimer des prières de demande. En cela, il est très différent de Matthieu qui dit plutôt : arrêtez de multiplier les paroles, car Dieu sait ce dont vous avez besoin avant même que vous lexprimiez. Au contraire, Luc dit : allez, parlez, dites ce que vous voulez avec la confiance que vous serez entendu et recevrez ce que vous avez demandé. Pour nous aujourdhui, il y a sans doute un point important que Luc rappelle : limportance de parler et dexprimer notre désir. Bien sûr, Dieu sait ce dont nous avons besoin. Mais cest comme sil y avait chez Dieu un tel respect de notre dignité et de notre liberté, quil ne nous donnera rien sans que nous le voulions. Tout cela ressemble à lamour. On peut ressentir un amour au fond de nous pour une personne, mais le fait de dire explicitement à quelquun : Je taime, crée une dynamique nouvelle qui transforme tout, si bien quil y a maintenant un avant et un après. Il en est de même de la prière de demande. Par exemple, chez quelquun qui vit une dépenses aux drogues ou à lalcool, le jour où il dit : « Je vis lenfer, je veux men sortir » est le début dune ère nouvelle.
- « Lequel dentre vous, dans votre rôle de père, sil se fait demander... » Pour Luc, la chose par excellence à demander est lEsprit Saint. Cela présuppose beaucoup de maturité. Nous sommes loin de la prière pour que notre équipe de hockey ou de football gagne le trophée, ou encore pour gagner à la loterie. Fondamentalement, cette prière dit : « Je ne te demande pas de changer les événements, je te demande dêtre capable de les vivre quels quils soient. »
- Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement
- Le Vatican est secoué par le scandale de monseigneur Nunzio Scarano incarcéré pour blanchiment dargent. Bien sûr, cest la responsabilité dun seul homme. Mais quest-ce que cela dit sur nous et tous ceux qui se réclament dêtre disciples de Jésus? Comment cela influence-t-il notre prière?
- LÉgypte vit des tensions extrêmes entre anti et pro Morsi. Comment agir quand nous croyons profondément quun gouvernement ou que des groupes errent et séloignent du bien commun? Quelle forme prendra notre prière?
- Les révélations sur des politiciens ou des gens daffaires corrompus se multiplient. Quel doit être notre attitude? Être désabusé, ne plus croire en rien? Fermer les yeux? Au temps de Jésus, est-ce quHérode ou Pilate étaient des êtres irréprochables? Quelle a été la position de Jésus? Que devient notre prière dans une telle situation?
- Les catastrophes sont toujours avec nous. Un train de marchandise avec du pétrole explose en Beauce. À San Francisco, un avion manque son atterrissage et sécrase. Pouvons-nous demander que les catastrophes narrivent jamais et croire quil y ny aura jamais de catastrophe? Alors que pouvons-nous demander?
- Les personnes âgées peuvent difficilement trouver un centre daccueil où elles seront traitées avec la plus grande dignité et compassion possible. Comment le Notre Père peut-il nous aider à oeuvre à ce que les choses saméliorent?
- Récemment, un homme frappait à la porte pour récolter de largent pour les enfants pauvres de la région. Nous connaissons la vulnérabilité des enfants et comment leur situation aura un impact sur le reste de leur vie. Que faire avec nos moyens limités. Quelle place a alors la prière? Un moment de voeux pieux ou une étape essentielle dans un long combat?
- Nous avons peut-être le sentiment de vivre dans un tourbillon continuel, où il est difficile de sarrêter et le stress est omniprésent. Que serait limpact de reprendre lentement le Notre Père?
- Dans une période de maladie, quelle est la place du Notre Père?
-André Gilbert, Gatineau, juillet 2013
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