Analyse biblique Jean 21, 1-19 Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.
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Le chapitre 21 constitue un appendice à lévangile selon Jean. En effet, la fin du chapitre 20 semble représenter une conclusion à tout lévangile : « Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup dautres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour quen croyant vous ayez la vie en son nom. » (20, 30-31) Qui a écrit cet appendice? Lévangéliste ou un disciple de lévangéliste. La question est ouverte sans quil y ait de consensus chez les biblistes.
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Après ces choses |
De quels événements sagit-il? Il sagit principalement de lexpérience de la rencontre de Jésus ressuscité par les disciples réunis le soir de Pâques, puis, huit jours plus tard, celle dune seconde rencontre mais avec cette fois la présence de Thomas Didyme.
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ephanerōsen (il manifesta) |
Le verbe grec phaneroô signifie : rendre visible, manifester, montrer avec évidence, faire connaître. Mais il faut éviter dimaginer cet événement à la manière de nos rencontres interpersonnelles. Car plus loin nous verrons que les disciples ne le reconnaissent pas, et quand ils seront en sa présence, ils continueront à se demander qui il est. À plusieurs endroits le verbe est utilisé au passif : Jésus fut vu. Nous sommes plus au niveau dune expérience spirituelle et intérieure et dans un contexte de foi.
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la mer de Tibériade |
Pourquoi nous retrouvons-nous ainsi en Galilée, alors que nous étions auparavant à Jérusalem? Nous nous serions attendus à la suite des rencontres avec Jésus ressuscité à Jérusalem au ch. 20, où Jésus les envoie en mission revêtus de lEsprit Saint, à ce que les disciples demeurent à Jérusalem et poursuivent le témoignage de lÉglise naissante, comme on le voit dans les Actes des Apôtres. Au lieu de cela, les disciples semblent retourner dans leur patelin et reprendre leur vie normale de pêcheur. Ici, il ne faut pas oublier que les évangiles sont des écrits catéchétiques, et donc cherchent à éduquer la foi, et non pas à satisfaire notre curiosité sur la séquence des événements. Quand les biblistes essaient de reconstituer la séquence des événements historiques avec divers indices laissés par les évangiles, ils en arrivent à ceci : il ny aurait pas eu dexpérience de Jésus ressuscité par les disciples le jour même de Pâques, mais ceux-ci seraient retournés en Galilée reprendre leur vie quotidienne avec la mort dans lâme. Ce nest quaprès, sans quon puisse déterminer une période de temps, que Simon Pierre, puis les autres disciples, ont fait lexpérience de Jésus ressuscité. Cest dailleurs ce que dit le messager de Dieu dans lévangile de Marc : « il vous précède en Galilée: cest là que vous le verrez » (Mc 16, 7).
La seule autre référence au lac de Tibériade dans lévangile se trouve au début du chapitre 6 qui amorce le récit où Jésus nourrira une grande foule et où il prononcera son fameux discours sur le pain de vie. Ainsi cette scène et la nôtre au chap. 21 se situent tous les deux sur le bord du lac, dans la région de Tibériade. Lévangéliste tient donc à lier les deux scènes et nous prépare ainsi à entrer dans latmosphère dune communauté eucharistique.
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v. 2 Il y avait ensemble Simon Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples.
Littéralement : Ils étaient ensemble Simon Pierre et Thomas lappelé Didyme et Nathanaël celui de Cana de Galilée et les de Zébédée et dautres parmi les disciples de lui deux. |
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Si on fait le compte du nombre de disciples, on arrive à sept, un symbole de totalité et de plénitude dans le monde juif. Et pour arriver à sept, lévangéliste doit inclure « deux autres de ses disciples » quil ne nomme pas. Alors il se situe sans doute plus sur le plan catéchétique quhistorique : ces disciples représentent lensemble des croyants.
Lévangile selon Jean est le seul à donner à Pierre le nom de Simon Pierre, si on fait exception de deux passages (Mt 16, 16 et Lc 5, 8). Dès le début de son évangile, Simon reçoit de Jésus le surnom de Kêphas (pierre, roc). Cependant, on notera que, dans lévangile de Jean, Jésus continuera à lappeler Simon, et cest seulement le narrateur qui lappellera soit Pierre, soit Simon Pierre. À part Simon Pierre, lévangéliste nomme dabord Thomas. Alors quil nest quun nom dans les autres évangiles, il joue dans lévangile selon Jean un rôle significatif, en particulier lors de la 2e rencontre avec Jésus ressuscité quand il sécrit : « Mon Seigneur et mon Dieu! ». Puis, il y a Nathanaël qui ne fait pas partie de la liste de Douze dans les autres évangiles, mais dans lévangile de Jean fait une proclamation lors de sa première rencontre avec Jésus : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi dIsraël. » (Jn 1, 49). Quant aux fils de Zébédée, cest la seule mention que nous en avons dans tout lévangile de Jean, alors quils jouent un rôle important dans les autres évangiles. Et il y a ces deux disciples quon ne nomme pas. Qui sont-ils? Lévangéliste nomme explicitement dans son évangile deux autres disciples: André et Philippe. Sagiraient-ils deux dans ces deux disciples quil ne nomme pas? Mais il faut poser ici une autre question : comme on apprendra plus loin dans le récit que le disciple que Jésus aimait fait partie du groupe, à qui doit-on lidentifier ici, à lun des fils de Zédébée ou à lun des deux autres disciples? Pour linstant, on ne peut répondre. Que conclure de tout cela? Nous sommes devant des choix théologiques par lauteur. |
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v. 3 Simon Pierre leur dit : « Je men vais pêcher. » Ils lui rétorquèrent : « Nous venons aussi avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque. Cette nuit-là ils ne prirent rien.
Littéralement : Dit à eux Simon Pierre: je pars pêcher. Ils disent à lui : nous allons aussi nous-mêmes avec toi. Ils sortirent et montèrent dans la barque, et en cette nuit-là ils capturèrent rien. |
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Cest Simon Pierre qui prend linitiative de cette pêche de nuit. Tout le Nouveau Testament présente dans la personne de Pierre un leadership constant tant pendant le ministère de Jésus que dans léglise primitive. Cest lui qui entraîne les autres.
Il est possible que la mention dune pêche de nuit prenne sa source dans une donnée historique, i.e. les pêcheurs de Galilée exerçaient leur métier la nuit pour avoir une pêche fructueuse. Mais le contexte de notre récit nous oriente plutôt vers sa valeur symbolique : la nuit est associée aux épreuves et difficultés de la vie. Deux autres indices nous orientent dans cette direction : le fait que les pêcheurs ne prennent rien, et cest seulement lorsque laube apparaîtra quils connaîtront le succès. Un autre élément peut recevoir une valeur symbolique : la barque. Nous avons quelques récits dans les évangiles (la tempête apaisée, la marche sur les eaux) où les disciples sont dans une barque de nuit soumis aux intempéries. Noublions pas que ces récits sont nés dans les communautés chrétiennes où on percevait facilement lÉglise comme une barque soumise aux adversités de la vie. |
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v. 4 Alors que les premières lueurs du matin étaient déjà apparues, Jésus était sur le rivage. Toutefois, les disciples ne lavaient pas reconnu.
Littéralement : Mais laube déjà était arrivée, se tint Jésus vers le rivage, toutefois ils navaient pas su les disciples que Jésus est. |
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laube déjà était arrivée |
Lévangile insiste pour dire que la lumière était présente, par opposition à la nuit. Nous sommes dans un univers hautement symbolique où la nature reflète le monde spirituel. Jésus ressuscité est celui qui apporte la lumière, alors que les disciples étaient jusque là dans la nuit.
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ils navaient pas su les disciples que Jésus est |
Pourquoi une telle constatation? Il est inutile dessayer dimaginer un corps différent (plus beau, parce que ressuscité?) ou un corps pneumatique (comme saint Paul dans son épitre aux Corinthiens). Le plus sage est dinterpréter cette phrase comme une indication quil sagit dune expérience différente de celle de nos rencontres interpersonnelles où on peut voir avec nos yeux et toucher avec nos mains les personnes. Lévangéliste nous oriente vers le monde de la foi, et dans ce monde il y a ceux qui voient, et ceux qui ne voient pas.
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v. 5 Jésus leur dit donc : « Les enfants, avez-vous quelque chose à manger? » Ils lui répondirent : « Non. »
Littéralement : Il dit donc à eux Jésus: enfants (paidia), quelle nourriture avez-vous? Ils répondirent à lui? Pas. |
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paidia (enfants) |
Le grec a quelques mots pour désigner les enfants ayant chacun leur nuance. On trouve tecknon, du verbe tiktô (je porte), qui comporte la nuance de dépendance. Il y aussi pais, pour désigner le mineur par apposition à ladulte; ce mot est aussi utilisé pour désigner le serviteur. Et il y a paidion de notre verset 5 qui provient du verbe paideuô (élever des pais ou enfants), et donc comporte la note affectueuse de quelquun dont on prend soin, quelquun quon éduque. Il nous a donné le mot pédagogie, en grec paidagôgia. Chez Jean, les autres emplois de paidion comportent cette même connotation affectueuse et protectrice :
Dans notre récit, lexpression de Jésus dénote à la fois le souci dun parent qui se préoccupe de ce que vit sa maisonnée et à la fois le désir dun maître déduquer ses élèves. Noublions pas la perspective catéchétique du récit, car nous sommes inclus dans les disciples. |
Sur l'enfant dans le Nouveau Testament, voir le Glossaire | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
quelle nourriture avez-vous? |
Pourquoi Jésus pose-t-il cette question? Quelquun pourrait dire que Jésus ressuscité devrait tout savoir. Mais noublions pas que nous sommes dans un récit, et un récit dans la tradition johannique, où très souvent Jésus pose une question dans le seul but damener linterlocuteur à un certain point. Cest la pédagogie johannique.
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v. 6 Il leur dit alors : « Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent ainsi leur filet, et ils étaient incapables de le tirer à cause de labondance de poissons.
Littéralement : Mais lui dit à eux: jetez vers les droites parties de la barque le filet, et vous trouverez. Ils jetèrent donc, et ne plus dans lacte de tirer à soi étant capable de la multitude de poissons. |
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jetez vers les droites parties de la barque |
Pourquoi le côté droit? Dans le Judaïsme, le côté droit est la place favorable (le Fils de lHomme placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche, Mt 25, 33; Siège à ma droite, jusquà ce que jaie mis tes ennemis dessous tes pieds, Mt 22, 44), comme en français on dit : il est son bras droit. Le côté droit a donc la valeur symbolique dun lieu favorable.
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ne plus dans lacte de tirer à soi étant capable |
Il y a quelque chose de caricatural dans la mention que les pêcheurs sont incapables de tirer le filet. Cette exagération de lévangéliste est sa façon daccentuer le fait que le résultat dépasse toutes les attentes, et donc comporte quelque chose de « divin ». Cette pêche miraculeuse est clairement le résultat de Jésus ressuscité. Cela est confirmé par lutilisation du verbe « tirer (leur filet) », en grec helkuô quon retrouve en Jean 12, 32 (et moi, une fois élevé de terre, jattirerai tous les hommes à moi.) et Jean 6, 44 (Nul ne peut venir à moi si le Père qui ma envoyé ne lattire). Mais il y a plus. Le helkuô concerne des personnes : ce sont des personnes quon tire. Ainsi, les poissons revêtent un sens symbolique pour désigner les êtres humains.
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v. 7 Le disciple, celui que Jésus aimait, dit alors à Pierre : « Cest le Seigneur. » Ayant entendu quil sagissait du Seigneur, Simon Pierre ceignit son vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
Littéralement : Il dit donc le disciple celui-là quaimait le Jésus à Pierre: le seigneur est. Simon donc Pierre ayant entendu que le seigneur est, du manteau se ceignit, car il était nu (gymnos), et jeta lui-même dans la mer. |
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le disciple celui-là quaimait le Jésus |
Ce disciple que Jésus aimait est unique au quatrième évangile. Les biblistes débattent toujours de lidentité de ce disciple : sagit-il de Jean, fils de Zébédée, ou encore de Lazare que Jésus aimait tant? Et pourquoi lévangéliste ne dévoile-t-il pas son nom? La réponse à ces questions ne fait partie de notre propos. Ce qui nous intéresse, cest de remarquer que ce disciple est présenté comme le croyant par excellence, plus rapide à identifier la présence de Jésus ressuscité (le Seigneur) à travers des signes que Pierre. Nous avions une scène semblable au tombeau vide quand le disciple que Jésus aimait voit le suaire roulé à part dans un endroit : il vit et il crut, alors que Pierre ne comprend rien. Ici, dans notre récit, il comprend que la pêche surabondance est loeuvre du ressuscité, alors que Pierre doit sappuyer sur la foi de ce disciple.
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gymnos (nu) |
Le mot gumnos est à la racine du mot gymnasion (gymnase) où les athlètes saffrontaient nus. Il ne faut pas se surprendre de cet état de la part dun pêcheur, car on trouve plusieurs descriptions des pêcheurs dans lantiquité égyptienne, romaine et grecques les montrant nus ou demi-nus (un simple pagne), en raison surtout du besoin de sauter à leau pour régler des problèmes avec leur filet.
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Pierre... du manteau se ceignit... et jeta lui-même dans la mer |
Le geste de Pierre nest-il pas un peu stupide? On ne shabille pas juste avant de se jeter à leau. Mais noublions pas que nous sommes dans un univers hautement symbolique. Dans cette séquence du récit, Pierre pose un geste libre de revêtir son manteau et de se ceindre lui-même. Cette séquence prépare lannonce de Jésus au v.18 où Pierre perdra cette capacité de se ceindre lui-même. Entre temps, on notera la fougue de Pierre qui fait écho à un trait probablement historique de la personnalité de Simon Pierre.
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v. 8 Les autres disciples sy rendirent avec leur petite barque, tirant le filet de poissons, car ils nétaient pas loin de la terre, soit à moins de cent mètres.
Littéralement : Mais les autres disciples à la petite barque vinrent, car ils nétaient pas loin de la terre mais environ de coudées deux cents, tirant le filet de poissons. |
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On remarquera une chose: même si lévangéliste fait ressortir les personnages de Simon Pierre et du disciple bien-aimé, il ne perd jamais de vue lensemble des disciples. Cest à eux quil a posé la question de la nourriture, cest à eux quil indique lendroit où il faut jeter le filet. Et ici, ce sont eux qui ramènent le filet plein de poissons.
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v. 9 Quand ils touchèrent terre, ils virent quun feu de braises sy trouvait ainsi que du poisson placé au-dessus et du pain.
Littéralement : Comme donc ils sortirent vers la terre ils voient un feu de braises se trouvant et de la nourriture placé au-dessus et du pain. |
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Le seul autre passage où nous retrouvons ensemble du poisson et du pain est le récit sur Jésus nourrissant une grande foule au chapitre 6, un récit avec un accent hautement eucharistique. Nous devons donc lire ce récit dans la même perspective.
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v. 10 Jésus leur dit : « Apportez les poissons que vous venez de prendre. »
Littéralement : Il dit à eux le Jésus: apportez des poissons que vous avez capturés maintenant. |
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v. 11 Simon Pierre monta donc dans la barque et tira sur la rive le filet plein de gros poissons, cent cinquante-trois. Mais malgré toute cette multitude, le filet ne se déchira pas (ouk eschisthē).
Littéralement : Il monta donc Simon Pierre et tira le filet vers la terre plein de poissons gros cent cinquante-trois. Et aussi nombreux étant il ne se déchira pas le filet. |
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Il monta donc Simon Pierre et tira le filet |
Alors que Jésus sadresse à lensemble des disciples (« apportez »), cest Pierre qui prend linitiative de monter dans la barque pour tirer (helkuô, même verbe que celui utilisé pour Dieu attirant les hommes) le filet de poissons. Lévangéliste reprendre le même schéma utilisé dans la scène du tombeau vide : souvenons-nous, le disciple que Jésus aime est plus rapide et se rend le premier au tombeau, mais il laisse entrer Pierre le premier. Il y a de la part de lévangéliste une reconnaissance du leadership de Pierre et de son rôle unique. Nous restons donc dans une perspective catéchétique.
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plein de poissons gros cent cinquante-trois |
Que signifie ce chiffre? Saint Jérôme considère quil sagit là de la liste des espèces de poisson connues à lépoque. Malheureusement il se réfère au Halieutica dOppian qui date du 2e siècle de lère moderne, donc après notre récit. On pourrait dire que ce chiffre était peut-être connu depuis longtemps. Saint Augustin dira quil suffit dadditionner ensemble les 17 (7 dons de lEsprit + les 10 commandements) premiers entiers positifs (1+2+3+...+17) pour obtenir 153. Pour Cyril dAlexandrie, 100 représente les Gentils, 50 représente Israël et 3 la Trinité. On ne manque pas de théories pour expliquer ce chiffre. Il vaut mieux reconnaître que cela demeure un mystère. Mais en raison du contexte, on peut avancer que nous sommes devant une grande variété de poissons, et donc une grande variété de cultures et de peuples, comme le récit de la Pentecôte chez Luc le mentionnera.
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ouk eschisthē (il ne se déchira) |
Le verbe skizô nous a donné le mot schisme. Et donc nous pourrions reprendre ce bout de verset comme ceci : malgré toute cette diversité, il ny a pas eu de schisme. Ne loublions pas, nous sommes dans une symbolique communautaire et eucharistique.
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v. 12 Jésus leur dit : « Venez, déjeunez! » Personne parmi les disciples nosait senquérir à son sujet en disant : qui es-tu? Ils savaient que cétait le Seigneur.
Littéralement : Il dit à eux le Jésus: ici, venez! Déjeunez! Mais personne osait parmi les disciples senquérir exactement sur lui : toi qui es-tu? Ayant vu que le seigneur est. |
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Venez! Déjeunez! |
Le contexte du repas nous oriente vers le repas eucharistique comme nous le montrera la suite.
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personne osait parmi les disciples senquérir exactement sur lui |
Pourquoi insister pour dire que personne nosait senquérir sur lidentité de leur hôte? Lévangéliste tient à garder une distance avec Jésus ressuscité : ce dernier est différent du Jésus quils ont connu sur les routes de Palestine, un Jésus quon pouvait toucher avec ses mains, voir avec ses yeux, entendre avec ses oreilles. Tout cela nest pas sans rappeler le récit des disciples dEmmaüs qui cheminent avec Jésus mais sans le reconnaître, et quand ils le reconnaîtront à la fraction du pain, il ne sera plus visible avec les yeux. Jean et Luc essaient de traduire lexpérience de Jésus ressuscité, qui nest pas différente ce que nous vivons aujourdhui. À certains moments, nous pouvons « sentir » sa présence, mais cette présence sera toujours différente de celle de quelquun quon peut toucher. Lévangile dit : Ils savaient que cétait le Seigneur. Mais ce savoir, cest uniquement par la foi.
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v. 13 Jésus vient et prend le pain, puis le leur donne, et fait de même avec le poisson.
Littéralement : Il va Jésus et prend le pain et donne à eux, et le poisson de la même façon. |
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Nous avons une reprise de la scène où Jésus nourrit une grande foule en Jean 6, 11 : Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant quils en voulaient. Dans le deux cas, cest Jésus qui préside le repas et distribue la nourriture, ce qui nous rappelle que dans toute eucharistie cest toujours Jésus le véritable président, les présidents humains nétant que des délégués.
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v. 14 Cétait déjà la troisième fois que les disciples firent lexpérience de Jésus ressuscité des morts.
Littéralement : Cela déjà la troisième fois que fut manifesté (ephanerōthē) Jésus aux disciples, étant réveillé des morts. |
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ephanerōthē (il fut manifesté) |
Si on traduit littéralement ce verset du grec, il faut dire : Cela (ce que le récit vient de raconter) était déjà la troisième fois que Jésus, étant réveillé des morts, fut manifesté. Le verbe phaneroô (rendre visible, manifester, montrer avec évidence, faire connaître) est utilisé au passif : Jésus fut rendu visible, ou fut manifesté, ou fut connu. Ce passif essaie de traduire lidée quil ne sagit pas dun événement simple et direct. Aussi je préfère traduite par « faire lexpérience de » pour garder ce côté mystérieux et impondérable de Jésus ressuscité.
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la troisième fois |
Notons quil sagit toujours dune expérience communautaire, quand les disciples sont réunis et que Jésus se trouve mystérieusement au milieu deux.
Avec ce verset, nous avons limpression davoir une conclusion qui répond au verset 1 (Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade). Pourquoi le récit ne se termine pas ici? Aussi ce qui suit apparaît comme un appendice à lappendice. |
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v. 15 Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre : « Simon, fils de Jean, maimes-tu plus que ceux-ci? » Il lui répond : « Oui, Seigneur, tu sais lattachement que jai pour toi. » Jésus lui dit : « Veille sur mes agneaux. »
Littéralement : Quand donc ils eurent déjeuné, il dit dit à Simon Pierre le Jésus : Simon de Jean, aimes-tu moi (agapas me) plus que ceux-ci? Il dit à lui: oui, seigneur, toi tu sais que jaime toi (philō se). Il dit à lui: fais paître (boske) les agneaux de moi. |
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Quand donc ils eurent déjeuné |
Nous avons ici une transition pour passer à autre chose. Cest lindice que nous commençons un nouveau récit qui a peu de liens avec ce qui précède.
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Simon de Jean |
Cest la seule mention que nous ayons dans tout le Nouveau Testament que le père de Simon Pierre sappelait Jean. Voici une caractéristique du quatrième évangile : cest lévangile avec la théologie la plus développée, et donc qui nous amène à un haut niveau dabstraction, mais en même temps est truffé de pépites historiques étonnantes, comme on le voit ici.
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agapas me? (aimes-tu moi?) |
Pourquoi cette question soudaine? Bien sûr, nous savons que la réponse à cette question entraîne une responsabilité pastorale. Mais nest-ce pas surprenant que le critère pour être pasteur dans cette église naissante nest pas la foi en Jésus ressuscité, mais lamour? Et même lintensité de cet amour. Car la question est : maimes-tu plus que ceux-ci, i.e. maimes-tu plus que Thomas, Nathanaël, ou même que le disciple que Jésus aimait? Ce passage reflète sans doute lacceptation par la jeune communauté johannique de lautorité pastorale de Pierre ou de son successeur, mais selon ses propres critères, i.e. lamour.
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philō se (j'aime toi) |
Loeil perspicace aura perçu que le mot pour « aimer » dans la bouche de Jésus et dans celle de Simon nest pas le même. En effet, dans ce verset nous avons deux verbes grecs pour désigner lacte daimer. Il y a dabord agapaô qui, dans lantiquité, signifiait littéralement « préférer » et est utilisé dans le Nouveau Testament pour parler de lamour de Dieu pour les hommes, lamour des hommes pour Dieu ou pour lamour fraternel. Mais il y a aussi phileô que nous connaissons en français par certains mots comme philo-sophie (amour de la sagesse). Dans le Nouveau Testament les deux verbes sont utilisés de manière à peu près équivalente et sont interchangeables. Par exemple, lexpression « le disciple que Jésus aimait » recours surtout au verbe agapaô, mais une fois au verbe phileô. Mais, dans ma traduction, jai préféré faire sentir que ce nétait pas le même verbe grec utilisé. Comme le verbe phileô désigne davantage linclination vers quelquun ou quelque chose et sert souvent à manifester lamour damitié, et donc comporte quelque chose daffectif (par exemple, il est utilisé pour dire « donner un baiser » comme ce fut le cas pour Judas à Gethsémani, même si ici le but était la trahison), alors jai traduit la réponse de Pierre par : tu sais lattachement (phileô) que jai pour toi.
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boske (fais paître) |
Le verbe grec boskô signifie : paître, brouter, nourrir. Mais ici nous avons des agneaux, et la responsabilité du berger est de trouver de bons pâturages et de les protéger des prédateurs. Aussi jai pensé que le sens serait bien rendu par un terme générique comme « veiller ». Et surtout, il faut être conscient de la portée symbolique du texte : derrière les agneaux se profile les communautés chrétiennes et le rôle de Pierre sera non seulement de les nourrir spirituellement, mais également de veiller à leur croissance et à leur évolution, tout en maintenant leur intégrité.
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v. 16 Puis il lui dit pour une deuxième fois : « Simon fils de Jean, maimes-tu? Il lui répond : « Oui, Seigneur, tu sais lattachement que jai pour toi. » Jésus lui dit : « Veille sur mes brebis. »
Littéralement : Il dit à lui de nouveau une deuxième fois : Simon de Jean, est-ce que tu aimes moi? Il dit à lui : oui, signeur, toi tu sais que jaime toi. Il dit à lui : mène paître les brebis de moi. |
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v. 17 Jésus lui dit pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, es-tu attaché à moi? » Pierre fut chagriné que Jésus lui ait demandé pour la troisième fois : « Es-tu attaché à moi? » Alors il lui répond : « Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais combien je suis attaché à toi. » Jésus lui dit : « Veille sur mes brebis.
Littéralement : Il dit à lui la troisième fois: Simon de Jean, est-ce que tu aimes moi? Il fut chagriné le Pierre que Jésus ait dit à lui pour la troisième fois : est-ce que tu aimes moi? Et il dit à lui : seigneur, toutes choses toi tu connais, tu sais que jaime toi. Il dit à lui [le Jésus] : fais paître les brebis de moi. |
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Pourquoi poser la question trois fois? On pourrait dire quil est typique dun bon récit de répéter trois fois une question ou de mettre en scène trois personnages ou groupes de personnage ou davoir trois demandes. Les évangiles en contiennent plusieurs exemples. Mais comme il sagit de Simon Pierre et que nous connaissons ses trois reniements lors du récit de la passion, il est légitime de penser que ces trois questions de Jésus reprennent en écho ces trois reniements. Cest une façon habile de le réhabiliter.
On aura remarqué que la 3e question de Jésus nutilise pas le verbe agapaô, mais phileô. Tout cela confirme le fait que les deux verbes sont utilisés de manière équivalente. |
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v. 18 Vraiment, vraiment je te lassure, quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu marchais là où tu voulais. Quand tu seras devenu vieux et que tu auras étendu les mains, cest un autre qui te ceindra et tentraînera là où tu ne veux pas. »
Littéralement : Vraiment, vraiment, je dis à toi quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu circulais là où tu voulais. Mais quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains de toi, et un autre toi ceindra et tentraînera là où tu ne veux pas. |
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tu mettais toi-même ta ceinture et tu marchais là où tu voulais |
Cette phrase reprend la scène de la barque où Simon Pierre, nu, met son manteau et se ceint. Elle exprime le geste dun homme libre et indépendant qui peut choisir et décider de son avenir.
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tu étendras les mains de toi, et un autre toi ceindra et tentraînera là où tu ne veux pas |
On imagine facilement la scène : comme le vêtement est une robe ample, la seule façon davoir un autre nous mettre une ceinture, sest délever les bras pour laisser lautre faire le tour de sa taille avec ce cordon qui sert de ceinture. Cest limagine de quelquun qui nest plus libre et cest un autre qui décide de ses allées et venues. Cette scène doit être lue en lien avec le témoignage damour de Simon Pierre : son amour est si fort quil acceptera son rôle pastoral même si cela implique la perte de sa liberté.
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v. 19 Il dit cela pour indiquer par quelle mort il allait faire honneur à la qualité dêtre extraordinaire de Dieu. Après ces paroles, il lui dit : « Suis-moi. »
Littéralement : Mais cela il dit signifiant par quelle mort glorifiera le Dieu. Et cela ayant dit, il dit à lui : suis-moi. |
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signifiant par quelle mort |
Nous avons plus de précision sur le fait que Simon Pierre perdra sa liberté : il aura à vivre la persécution et la mort. On trouve également des allusions à ce martyr dans la première épître de Pierre (1 P 5, 13) et dans les premiers témoignages patristiques (1 Clément, 5, 4). Ignace dAntioche (Romains, 4, 3) mentionne Rome comme lieu dexécution. Des fouilles archéologiques semblent donner une certaine crédibilité à laffirmation de la colline du Vatican comme lieu du martyr, mais il ny pas dunanimité dans le milieu scientifique.
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suis-moi |
En quel sens Jésus demande-t-il de le suivre? Jésus vient de faire allusion au martyr qui sera sont lot un peu plus tard. Cest donc cette route du martyr quil est invité à suivre. Cela est confirmé par les versets qui suivent où Simon Pierre semble conscient quil devra mourir plus tôt que les autres, et en particulier avant le disciple que Jésus aimait. Voilà la route de lamour qui va jusquà donner sa vie.
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-André Gilbert, Gatineau, mars 2013 |