Analyse biblique Jean 1, 35-42

Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.


 


  1. Traduction du texte grec (28e édition de Kurt Aland)

    Texte grecTexte grec translittéréTraduction littéraleTraduction en français courant
    35 Τῇ ἐπαύριον πάλιν εἱστήκει ὁ Ἰωάννης καὶ ἐκ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ δύο35 Tē epaurion palin heistēkei ho Iōannēs kai ek tōn mathētōn autou dyo35 Le lendemain de nouveau se tenait debout Jean et de ses disciples deux35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit ainsi que deux de ses disciples.
    36 καὶ ἐμβλέψας τῷ Ἰησοῦ περιπατοῦντι λέγει• ἴδε ὁ ἀμνὸς τοῦ θεοῦ36 kai emblepsas tō Iēsou peripatounti legei• ide ho amnos tou theou.36 et fixant son regard sur Jésus circulant il dit : « Voici l’agneau de Dieu ».36 Fixant son regard sur Jésus qui déambulait, il s’écrie : « Voici l’agneau de Dieu ».
    37 καὶ ἤκουσαν οἱ δύο μαθηταὶ αὐτοῦ λαλοῦντος καὶ ἠκολούθησαν τῷ Ἰησοῦ37 kai ēkousan hoi dyo mathētai autou lalountos kai ēkolouthēsan tō Iēsou.37 Et écoutèrent les deux disciples de lui parlant et suivirent Jésus.37 Deux de ses disciples l’entendirent ainsi parler et se mirent à suivre Jésus.
    38 στραφεὶς δὲ ὁ Ἰησοῦς καὶ θεασάμενος αὐτοὺς ἀκολουθοῦντας λέγει αὐτοῖς• τί ζητεῖτε; οἱ δὲ εἶπαν αὐτῷ• ῥαββί, ὃ λέγεται μεθερμηνευόμενον διδάσκαλε, ποῦ μένεις;38 strapheis de ho Iēsous kai theasamenos autous akolouthountas legei autois• ti zēteite? hoi de eipan autō• rhabbi, ho legetai methermēneuomenon didaskale, pou meneis?38 S’étant retourné Jésus et ayant contemplé eux marchant, il dit à eux: « Que cherchez-vous? ». Eux dirent à lui : « Rabbi - cela est dit étant traduit maître - où demeures-tu? »38 S’étant retourné et les ayant aperçu en train de le suivre, il leur dit : « Que cherchez-vous? » Ceux-ci lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : maître – où demeures-tu? »
    39 λέγει αὐτοῖς• ἔρχεσθε καὶ ὄψεσθε. ἦλθαν οὖν καὶ εἶδαν ποῦ μένει καὶ παρʼ αὐτῷ ἔμειναν τὴν ἡμέραν ἐκείνην• ὥρα ἦν ὡς δεκάτη.39 legei autois• erchesthe kai opsesthe. ēlthan oun kai eidan pou menei kai parʼ autō emeinan tēn hēmeran ekeinēn• hōra ēn hōs dekatē.39 Il dit à eux: « Venez et vous verrez ». Ils allèrent donc et virent où il demeure et auprès de lui ils demeurèrent ce jour là. L’heure était environ dixième.39 Il leur dit : « Venez et vous verrez ». Ils allèrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui cette journée-là. C’était environ quatre heures de l’après-midi.
    40 ῏Ην Ἀνδρέας ὁ ἀδελφὸς Σίμωνος Πέτρου εἷς ἐκ τῶν δύο τῶν ἀκουσάντων παρὰ Ἰωάννου καὶ ἀκολουθησάντων αὐτῷ•40 Ēn Andreas ho adelphos Simōnos Petrou heis ek tōn dyo tōn akousantōn para Iōannou kai akolouthēsantōn autō•40 Était André le frère de Simon Pierre un des deux des ayant écouté auprès de Jean et ayant suivi lui.40 André, le frère de Simon Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient été à l’écoute de Jean et avaient suivi Jésus.
    41 εὑρίσκει οὗτος πρῶτον τὸν ἀδελφὸν τὸν ἴδιον Σίμωνα καὶ λέγει αὐτῷ• εὑρήκαμεν τὸν Μεσσίαν, ὅ ἐστιν μεθερμηνευόμενον χριστός41 heuriskei houtos prōton ton adelphon ton idion Simōna kai legei autō• heurēkamen ton Messian, ho estin methermēneuomenon christos.41 Il trouve celui-là d’abord le frère propre de Simon et dit à lui : « Nous avons trouvé le messie », ce qui est traduit par Christ.41 Il va d’abord trouver son propre frère, Simon, et lui dit : « Nous avons trouvé le messie », ce qui signifie « oint » ou Christ.
    42 ἤγαγεν αὐτὸν πρὸς τὸν Ἰησοῦν. ἐμβλέψας αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς εἶπεν• σὺ εἶ Σίμων ὁ υἱὸς Ἰωάννου, σὺ κληθήσῃ Κηφᾶς, ὃ ἑρμηνεύεται Πέτρος.42 ēgagen auton pros ton Iēsoun. emblepsas autō ho Iēsous eipen• sy ei Simōn ho huios Iōannou, sy klēthēsē Kēphas, ho hermēneuetai Petros.42 Il amena lui vers Jésus. Fixant son regard sur lui Jésus dit : « Tu es Simon le fils de Jean. Tu seras appelé Képhas », ce qui est traduit par Pierre.42 Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur Simon, Jésus lui dit : « Tu es Simon, fils de Jean. Désormais, on t’appellera Céphas », ce qui signifie Pierre.

  1. Analyse verset par verset

    v. 35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit ainsi que deux de ses disciples.

    Littéralement: Le lendemain de nouveau se tenait debout Jean et de ses disciples deux

Le lendemain
La question naturelle qui vient : le lendemain de quoi? Nous avons peu point de repère pour le temps. L’évangéliste commence son récit historique avec le témoignage de Jean Baptiste qu’il ne situe pas dans le temps. À partir de ce commencement, il distribue les événements du début du ministère de Jésus sur une période d’une semaine en utilisant à plusieurs reprises l’expression « le lendemain » et finalement « et le troisième jour ». Nous présenterons la structure de cette semaine dans notre analyse du contexte.

de nouveau se tenait debout Jean
Palestine au temps de Jésus De quel endroit s’agit-il? D’après Jn 1, 28 : « Cela se passait à Béthanie au-delà du Jourdain, où Jean baptisait. » C’est l’unique mention que nous avons de ce lieu, qui est différent de Béthanie en banlieue de Jérusalem où Jean situe Lazare, Marthe et Marie. Selon Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80), le nom primitif ne serait pas Béthanie, mais Béthabara : Au lieu du nom propre « Béthanie », adopté d’ordinaire, on a « Béthabara » (ou « Bétharaba ») dans quelques manuscrits du texte Alexandrin (083 33), le texte Césaréen, les ancienne versions syriaques dont le témoignage nous fait probablement remonter jusqu’à Tatien (deuxième siècle), Épiphane et Chrysostome. Et ce lieu de Béthabara aurait une valeur réelle et symbolique, puisque le nom signifie « lieu de passage » et devait commémorer le passage du Jourdain par les Hébreux, à la fin de l’Exode, en face de Jéricho. Soit sous le nom de Béthanie ou Béthabara, les biblistes s’entendent pour situer de bourg au nord de la mer Morte (voir la carte), sur la rive ouest du Jourdain, non loin de Jéricho.

Cette localisation peut surprendre, car Jean nous dira par ailleurs : Jean aussi baptisait, à Aenon, près de Salim, car les eaux y abondaient, et les gens se présentaient et se faisaient baptiser » (Jn 3, 23). Comment réconcilier Béthanie-Béthabara avec Aenon? Où avait vraiment lieu l’activité du Baptiste? Si on accepte l’hypothèse de Boismard (p. 97), la couche la plus ancienne de l’évangile, qu’il appelle Document C, ne parlait que de Aenon, en Samarie, où baptisait Jean Baptiste. C’est un deuxième auteur, qu’il appelle Jean II, qui a introduit la localisation de Béthanie-Béthabara afin d’harmoniser le récit du témoignage de Baptiste avec la tradition synoptique qui le place dans les eaux du Jourdain.

Jean et de ses disciples deux
Tout le Nouveau Testament mentionne que Jean Baptiste avait des disciples (chez Jean, voir 3, 25; 4, 1), et l’un de ces disciples aurait Jésus lui-même, du moins pendant un certain temps (voir Joseph Meier).

v. 36 Fixant son regard sur Jésus qui déambulait, il s’écria : « Voici l’agneau de Dieu ».

Littéralement : et fixant son regard sur Jésus circulant il dit : « Voici l’agneau (amnos) de Dieu ».

amnos (agneau)
C’est la deuxième fois que Jean Baptiste donne le titre d’agneau de Dieu à Jésus. La première fois, il s’agit d’une proclamation générale, sans doute adressée à la foule, sans que cela soit explicité. Cette fois-ci la reprise du titre semble avoir pour but de faire connaître Jésus aux deux disciples de Jean, puisque c’est cela qui amène ceux-ci à suivre Jésus.

Nous nageons en plein monde symbolique. Remarquons au point de départ qu’associer une personne à un animal exprime une perception de la personne. Par exemple, on associera souvent un chef d’état à un lion ou à un aigle pour exprimer sa force. Ici, c’est à un animal sans défense qu’on associe Jésus. Examinons cette symbolique de l’agneau dans le monde juif qui est très riche et possède deux racines distinctes. Notons tout de suite que dans la langue grecque du Nouveau Testament et dans l’Ancien Testament de la Septante trois mots peuvent être utilisés pour se référer à l’animal que nous nommons agneau en français : amnos, arēn, arnion

  1. Il y a d’abord l’image de l’animal qu’on mène à l’abattoir qui représente des gens impuissants et naïfs devant leur ennemi, comme le prophète Jérémie (Jérémie 11, 19 : « Et moi, comme un agneau (LXX : arnion) confiant qu’on mène à l’abattoir, j’ignorais qu’ils tramaient contre moi des machinations: "Détruisons l’arbre dans sa vigueur, arrachons-le de la terre des vivants, qu’on ne se souvienne plus de son nom!" »). C’est une image semblable qu’on trouve dans ces fameux poèmes du serviteur souffrant (Isaïe 53, 7 : « Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau (LXX : amnos) qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche »). Le geste de s’humilier et de ne pas répliquer aux mauvais traitements relève d’une décision libre. Ce dernier poème se termine en donnant la signification de cette humiliation : « qu’il a été compté parmi les criminels, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les criminels » (Isaïe 53, 12). Ce serviteur accepte de subir le mal des hommes, mais en ne rendant pas le mal pour le mal, il en interrompt le cercle infernal. La symbolique de l’agneau qui enlève les péchés est alors née.

  2. Il y a ensuite l’agneau qui est au coeur de la Pâque juive (pour le détail de la célébration, voir le glossaire). Rappelons que, selon le livre de l’Exode, Yahvé avait ordonné aux Hébreux d’immoler par famille un agneau et de marquer de son sang les linteaux de leur porte, afin qu’ils soient épargnés par l’ange exterminateur qui allait frapper tous les premiers-nés égyptiens. Il est probable que cette tradition d’immoler un agneau remonte aux peuples semi-nomades qui, au moment de partir en voyage au début de leur transhumance du printemps, immolait à la divinité un animal de leur troupeau afin de s’assurer ses faveurs lors de leur long voyage. Dans le cadre de la sortie d’Égypte, cette tradition de l’agneau pascal et du sang qu’on répand va revêtir une signification nouvelle et une valeur rédemptrice : « À cause du sang de l’Alliance de la circoncision, et à cause du sang de la Pâque, je vous ai délivrés d’Égypte », Pirqè R. Éliezer, 39, Mekhilta sur Ex 12).

Comment en est-on venu à associer Jésus à cette symbolique juive de l’agneau? Si on suit la chronologie de la mort de Jésus selon Jean, Jésus serait mort dans l’après-midi de la journée de la préparation de la Pâque juive (voir Jn 18, 28; 19, 14.31), donc au moment même, selon les prescriptions de la Loi, on immolait au temple les agneaux. De plus, contrairement à ce qui est arrivé aux deux autres bandits, on ne rompit pas les os de ses jambes (voir Jn 19, 33), comme le demandait la Loi (Exode 12, 46 : « On la mangera dans une seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de viande. Vous n’en briserez aucun os »). Ainsi, d’une part, cette coïncidence de sa mort avec le rituel de la Pâque offrait une porte grande ouverte à la symbolique d’un agneau innocent qu’on immole. Dès lors, on pouvait donner une nouvelle signification à l’agneau pascal qui évoquait la libération d’Égypte, celle d’une libération du péché, d’une vie sans la vraie connaissance de Dieu, comme l’indique ce texte qui reflète probablement une tradition liturgique très ancienne : « Sachez que ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par un sang précieux, comme d’un agneau sans reproche et sans tache, le Christ » (1 Pierre 1, 18-19).

Mais, d’autre part, la réflexion sur le sens de cette mort à partir des Écritures amena la jeune communauté chrétienne à voir en Jésus ce serviteur qu’Isaïe (52, 13 – 53, 12) décrit comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, et qui en fait porte les péchés de l’humanité, à travers ses blessures nous trouvons la guérison, et parce qu’il a offert sa vie en sacrifice expiatoire, à travers lui s’accomplira la volonté de Dieu et lui-même verra la lumière et sera comblé. À la lumière de la foi en sa résurrection, ce passage d’Isaïe trouvait tout son sens à travers Jésus. Et il était d’autant plus facile d’appliquer à Jésus la symbolique de l’agneau que le même mot araméen talya peut signifier « agneau », ou « serviteur ».

Cette tradition sur Jésus, véritable agneau pascal, s’est développée très tôt dans le christianisme, puisque nous en avons un témoignage dans la première lettre de Paul aux Corinthiens, écrite vers l’an 55 : « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car notre pâque, le Christ, a été immolée » (1 Co 5, 7). Mais c’est surtout dans le contexte apocalyptique que la représentation de Jésus sous les traits de l’agneau (arnion) immolé a connu une grande expansion (27 fois). On peut le comprendre, car n’est-il pas normal qu’une communauté persécutée s’identifie au visage de douleur de son maître. Mais cet agneau égorgé recevra l’honneur, la gloire et la louange, et ceux qui lui seront demeurés fidèles malgré les persécutions participeront sous les traits de l’épouse aux noces avec l’agneau.

Après cet aperçu de la symbolique de l’agneau à travers le temps, posons la question : quel sens veut donner l’évangéliste à l’expression « agneau de Dieu » dans la bouche de Jean Baptiste? Pour répondre à cette question, il faut revenir au v. 29 quand il dit : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ». Quel est ce péché (singulier) attribué au monde? Pour l’évangéliste, le péché du monde est de refuser la parole de Jésus leur parlant de celui qui l’a envoyé : « Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé (de celui qui m’a envoyé), ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché (Jean 15, 22; voir aussi 9, 40-41; 8, 21). C’est donc la vraie connaissance de Dieu qu’apporte Jésus au monde. En fait, il est le nouveau Moïse que promettait Deutéronome 18, 18 (Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai), il est le nouveau « sauveur du monde » (voir Jean 4, 42), et donc en lui se vit un nouvel exode, une nouvelle sortie d’Égypte pour aller vers la terre promise. Il est l’agneau d’une nouvelle Pâque, créant un peuple nouveau habité par la connaissance du vrai Dieu. Le baptême de Jean Baptiste était perçu comme un geste de purification, un exode de sa vie ancienne, mais cela ne visait qu’à annoncer Jésus opérant le véritable exode, la véritable libération; il est le prophète promis sur qui repose l’Esprit, le nouveau Moïse d’un nouveau peuple.

[Selon Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80), la figure de Moïse était souvent représentée sous les traits de l’agneau, comme en témoigne le targum du Pseudo-Jonathan qui, commentant Exode 1, 15 :

Pharaon, lorsqu’il dormait, vit en songe : Voici que tout le pays d’Égypte était posé sur le plateau d’une balance, et un agneau (talya), le petit d’une brebis, sur l’autre plateau; et le plateau qui portait l’agneau s’abaissait. Aussitôt, il envoya appeler tous les magiciens d’Égypte et leur raconta son rêve. Immédiatement, Yannès et Yimbrès, les chefs des magiciens, se mirent à parler et dirent à Pharaon : Un fils va naître dans la communauté d’Israël, qui détruira toute l’Égypte.

L’association de Moïse à un agneau est possible en raison du jeu de mot que permet le mot araméen talya qui signifie à la fois serviteur et agneau : l’auteur pouvait désigner Moïse, serviteur de Dieu, mais en le cachant derrière la figure symbolique de l’agneau, comme il se doit dans un songe. Un écho de ce songe se retrouve chez l’historien juif Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, II, 205 : « des hiérogrammates - ces gens sont fort habiles à prédire exactement l’avenir - annonce au roi qu’il naîtra quelqu’un en ce temps chez les Israélites, lequel abaissera la suprématie des Égyptiens, relèvera les Israélites, une fois parvenu à l’âge d’homme, surpassera tout le monde en vertu et s’acquerra une renommée éternelle ».]

v. 37 Deux de ses disciples l’entendirent ainsi parler et se mirent à suivre Jésus.

Littéralement : Et écoutèrent les deux disciples de lui parlant et suivirent Jésus.

Et écoutèrent les deux disciples de lui parlant
Voilà le rôle du Baptiste, donner un témoignage afin que par lui les gens s’attachent à Jésus. C’est un intermédiaire. L’évangéliste insiste sur ce rôle d’intermédiaire de Jean Baptiste, car à ses yeux sa mission fut de révéler Jésus au monde. D’après nos connaissances historiques, il est probable que pour le Baptiste lui-même l’identité et le rôle de Jésus ne furent pas clairs jusque vers la fin de sa vie. Mais pour la communauté chrétienne et pour l’évangéliste lui-même, le Baptiste a joué un rôle clé dans la mission de Jésus : par sa prédication, il a suscité un mouvement et des disciples, et tout cela a servi de tremplin. Voilà pourquoi l’évangéliste insiste pour dire que c’est par un intermédiaire qu’on va à Jésus, et cet intermédiaire est ici Jean Baptiste. On retrouvera la même idée chez Paul quand il écrit : « Et comment croire sans d’abord l’entendre? Et comment entendre sans prédicateur? » (Romains 10, 14).

et suivirent Jésus
Suivre Jésus signifie devenir son disciple. C’est ce que révèlent plusieurs autres passages de l’évangile selon Jean :

  • 6, 2 : Une grande foule le suivait, à la vue des signes qu’il opérait sur les malades.
  • 10, 4 : Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix.
  • 10, 27 : Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent
  • 12, 26 : Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

v. 38 S’étant retourné et les ayant aperçu en train de le suivre, il leur dit : « Que cherchez-vous? » Ceux-ci lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : maître – où demeures-tu? »

Littéralement : S’étant retourné (strapheis) Jésus et ayant contemplé eux marchant, il dit à eux: « Que cherchez-vous (zēteite)? ». Eux dirent à lui : « Rabbi (rhabbi) - cela est dit étant traduit maître - où demeures-tu (meneis)? »

strapheis (étant retourné)
Chez l’évangéliste, ce verbe a un sens technique : il ne s’agit pas d’un mouvement physique, mais d’un changement intérieur, d’une prise de conscience, d’un changement de regard qui relève de la foi. Examinons les trois autres emplois en plus de celui de notre verset.

  • 12, 40 : Il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur coeur, pour que leurs yeux ne voient pas, que leur coeur ne comprenne pas, qu’ils ne se convertissent (strephō) pas et que je ne les guérisse pas.
  • 20, 14 : Ayant dit cela, elle se retourna (strephō), et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
  • 20, 16 : Jésus lui dit: "Marie!" Se retournant (strephō), elle lui dit en hébreu: "Rabbouni" - ce qui veut dire: "Maître."

En 12, 40, le verbe décrit la conversion du coeur, et au chapitre 20 il décrit le regard de foi de Marie de Magdala qui voit Jésus ressuscité. Alors quel sens peut avoir ce verbe par rapport à Jésus? Si nous voulons être cohérent, il faut accepter qu’il décrive chez Jésus une prise de conscience, une découverte dans la foi. Quelle est cette prise de conscience? De sa mission. Il lit dans la foi l’événement où des gens veulent le suivre, et donc y voit un appel de Dieu. Pour qui prend au sérieux le mystère de l’Incarnation, la découverte de Jésus de sa mission a suivi les étapes normales d’un cheminement humain.

zēteite (vous cherchez)
Le terme « chercher » est très fréquent chez Jean (plus d’une trentaine de fois) et est utilisé fréquemment pour décrire l’intention de ses adversaires qui « cherchent » à le tuer. Mais ici il semble décrire une caractéristique du disciple : c’est lui qui prend l’initiative de se mettre à la recherche de Jésus. C’est d’autant plus frappant que chez les synoptiques c’est Jésus qui prend l’initiative. Pour le quatrième évangile, il y a d’abord une démarche du disciple, une quête de sa part.

rhabbi (Rabbi)
Le mot hébreu « Rabbi » signifie littéralement « mon grand » et désigne un spécialiste de la Loi. Sur les quinze emplois dans les évangiles, huit se retrouvent chez Jean. Pourquoi l’évangéliste utilise-t-il un mot hébreu dans son texte grec? Ce n’est pas pour mieux refléter la scène originelle, car celle-ci se serait déroulée en Araméen, et donc il aurait fallu dire : Rabbouni. L’usage de « rabbi » s’est développé avec la montée du rabbinisme, suite à la destruction du temple de Jérusalem. Aussi faut-il croire que, pour l’auditoire de l’évangile, ce terme avait une certaine résonnance. Ce qui est clair, le fait de mettre ce terme dans la bouche des deux disciples qui veulent suivre Jésus signifie la reconnaissance chez ce dernier de ce prophète promis, semblable à Moïse, qui expliquera tout (voir Jean 4, 25), donc du véritable maître de la Loi.

meneis (tu demeures)
Le terme « demeurer » peut sembler banal. Mais il ne l’est pas chez l’évangéliste Jean. Très souvent, il exprime la communion et la communauté de vie. Considérons un certain nombre d’exemples :

  • 5, 38 : et sa parole, vous ne l’avez pas à demeure (menō) en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu’il a envoyé
  • 6, 56 : Qui mange ma chair et boit mon sang demeure (menō) en moi et moi en lui
  • 8, 31 : Jésus dit alors aux Juifs qui l’avaient cru: "Si vous demeurez (menō) dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples
  • 14, 10 : Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même: mais le Père demeurant (menō) en moi fait ses oeuvres.
  • 14, 17 : l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure (menō) auprès de vous.
  • 15, 4 : Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure (menō) pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
  • 15, 9 : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez (menō) en mon amour.

Pour les deux disciples, demeurer chez Jésus signifie faire communion avec lui, entrer dans une communauté de vie avec lui.

v. 39 Il leur dit : « Venez et vous verrez ». Ils allèrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui cette journée-là. C’était environ quatre heures de l’après-midi.

Littéralement : Il dit à eux: « Venez (erchesthe) et vous verrez (opsesthe) ». Ils allèrent donc et virent où il demeure et auprès de lui ils demeurèrent ce jour là. L’heure était environ dixième (hōra ēn hōs dekatē).

erchesthe kai opsesthe (venez et vous verrez)
L’expression surprend. Bien sûr, on pourrait dire qu’elle est la suite logique de ce qui précède : où demeures-tu? Nous, si nous avions eu à répondre à une telle question, nous aurions probablement répondu par notre adresse physique. Mais sachant que la conversation se situe au niveau théologique, nous aurions pu nous attendre à ce que l’évangéliste mette dans la bouche de Jésus un discours sur sa mission qui aurait explicité à quel enseigne il loge. D’ailleurs le mot « voir » a très souvent un sens théologique dans le quatrième évangile. Regardons quelques exemples.
  • 1, 34 : Et moi, j’ai vu (horaō) et je témoigne que celui-ci est l’Élu de Dieu."
  • 4, 45 : Quand donc il vint en Galilée, les Galiléens l’accueillirent, ayant vu (horaō) tout ce qu’il avait fait à Jérusalem lors de la fête; car eux aussi étaient venus à la fête.
  • 6, 14 : A la vue (horaō) du signe qu’il venait de faire, les gens disaient: "C’est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde."
  • 6, 30 : Ils lui dirent alors: "Quel signe fais-tu donc, pour qu’à sa vue (horaō) nous te croyions? Quelle oeuvre accomplis-tu?
  • 12, 21 : ils (des Grecs) lui firent cette demande: "Seigneur, nous voulons voir (horaō) Jésus."
  • 14, 9 : Jésus lui dit: "...Qui m’a vu (horaō) a vu le Père.
  • 19, 35 : Celui qui a vu (horaō) rend témoignage

En fait, Jésus ne répond pas directement à la question posée. Il dit plutôt : « Venez ». Encore ici, quand on regarde le vocabulaire du quatrième évangile, le mot « venez » n’a pas nécessairement un sens physique. Il doit être interprété comme un mouvement de foi. Regardons d’abord quelques exemples très clairs tirés du le discours sur le pain de vie.

  • 6, 35 : Jésus leur dit: "Je suis le pain de vie. Qui vient (erchomai) à moi n’aura jamais faim; qui croit en moi n’aura jamais soif.
  • 6, 37 : Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient (erchomai) à moi, je ne le jetterai pas dehors
  • 6, 44 : Nul ne peut venir (erchomai) à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
  • 6, 45 : Quiconque s’est mis à l’écoute du Père et à son école vient (erchomai) à moi.
  • 6, 65 : Et il disait: "Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir (erchomai) à moi, si cela ne lui est donné par le Père."

À mon avis, c’est dans le même sens qu’il faut lire beaucoup d’autres passages comme ceux que voici.

  • 3, 2 : Il (Nicodème) vint (erchomai) de nuit trouver Jésus
  • 3, 26 : ... le (Jésus) voilà qui baptise et tous viennent (erchomai) à lui!"
  • 4, 30 : Ils (les Samaritains) sortirent de la ville et ils se dirigeaient (erchomai) vers lui.
  • 4, 40 : Quand donc ils furent arrivés (erchomai) près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez eux. Il y demeura deux jours
  • 5, 40 : et vous (les Juifs) ne voulez pas venir (erchomai) à moi pour avoir la vie!
  • 7, 37 : Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, s’écria: "Si quelqu’un a soif, qu’il vienne (erchomai) à moi, et qu’il boive
  • 8, 2 : Mais, dès l’aurore, de nouveau il fut là dans le Temple, et tout le peuple venait (erchomai) à lui, et s’étant assis il les enseignait.
  • 10, 41 : Beaucoup vinrent (erchomai) à lui et disaient: "Jean n’a fait aucun signe; mais tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai."

Jésus les invite donc celui qui veut être son disciple à entrer dans une démarche de foi. Qui dit « démarche » désigne une expérience qui s’intensifie avec le temps. Et cette première semaine se terminera avec les noces de Cana : « Tel fut le premier des signes de Jésus, il l’accomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (2, 11).

Cette idée d’entrer dans une démarche, de faire d’abord l’expérience de vivre avec Jésus, est une caractéristique propre de l’évangile selon Jean. C’est totalement différent de ce qu’on trouve dans les récits synoptiques où on a le commandement sec : « Suis-moi ».

  • Marc 2, 14 : En passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau de la douane, et il lui dit: "Suis-moi (akoloutheō)." Et, se levant, il le suivit (akoloutheō) . || Luc 5, 27; Matthieu 9, 9
  • Marc 10, 21 : Alors Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. Et il lui dit: "Une seule chose te manque: va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens, suis-moi (akoloutheō)." || Luc 18, 22; Matthieu 19, 21
  • Luc 9, 59 : Il dit à un autre: "Suis-moi (akoloutheō)." Celui-ci dit: "Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père." || Matthieu 8, 22

L’idée que la foi est une démarche où on fait d’abord l’expérience d’une communauté de vie avec Jésus, et ce n’est qu’au terme qu’on est en mesure de dire comme Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu! », cette idée a peut-être muri dans cette communauté du disciple bien-aimé, probablement à la source du quatrième évangile. Sur le sujet on pourra lire avec intérêt le livre de Raymond E. Brown, La Communauté du disciple bien-aimé (Paris : Cerf (Lectio Divina, 115), 1983, 240 p., traduit de The Community of the Beloved Disciple. New York: Paulist Press, 1979). L’impression qui se dégage de cette communauté chrétienne est celle d’un groupe peu structuré, où on met l’accent sur les relations interpersonnelles, et donc sur l’expérience de vivre en communauté. Ne devait-on pas dire à ceux qui s’intéressaient à la voie chrétienne : « Venez et voyez »?

hōra ēn hōs dekatē (l’heure était environ dixième)
Dans le monde juif, le jour était divisée en douze périodes (Jean 11, 9 : « Jésus répondit: "N’y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu’un marche le jour, il ne bute pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ») qui se terminait avec le coucher du soleil, et commençait avec son lever. Pourquoi cette mention de l’heure? On a d’autres exemples dans le quatrième évangile :
  • Jean 4, 6 : Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis près du puits. C’était environ la sixième heure.
  • Jean 19, 14 : Or c’était la Préparation de la Pâque; c’était vers la sixième heure. Il dit aux Juifs: "Voici votre roi."

Cette mention de l’heure n’aurait-elle pas une valeur symbolique? C’est ce que propose Boismard (op. cit., p. 98):

Selon une interprétation assez répandue et connue spécialement de Philon D’Alexandrie (Vit. Mosis 1, 96), « dix » était le chiffre parfait. La dixième heure symboliserait donc l’heure parfaite de l’histoire du monde, celle où commence l’avènement du Royaume, lorsque Jésus recrute ses disciples et leur permet de « demeurer avec lui » (cf. Jn 14, 2-3, qui marquerait l’épanouissement de cette « dixième heure »).

v. 40 André, le frère de Simon Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient été à l’écoute de Jean et avaient suivi Jésus.

Littéralement : Était André (Andreas) le frère de Simon Pierre un des deux (ek tōn dyo) des ayant écouté auprès de Jean et ayant suivi lui.

Andreas (André)
André est si peu connu qu’on doit le présenter comme le frère de Simon Pierre. Pourtant les deux sont rarement vus ensemble. Son nom apparaît surtout quand il s’agit de dresser la liste des Douze. Pourtant, Marc et Jean font de lui un des deux premiers disciples de Jésus. Et c’est le quatrième évangile qui le met le plus en vedette : tout d’abord, c’est lui qui introduira son frère Simon à Jésus, puis il intervient lors de la scène de la multiplication des pains pour présenter le peu de nourriture disponible, il joue enfin le rôle d’intermédiaire avec Philippe face aux Grecs. On sait également par l’évangéliste Jean (1, 44) qu’il est originaire de Bethsaïde, d’où viennent également Philippe et Pierre. Même si Bethsaïde ne fait pas partie des dix villes de la Décapole, elle se retrouve néanmoins sur un territoire très hellénisé. On n’est donc pas surpris de constater qu’André est un nom grec. Est-ce pour cette raison que l’évangéliste lui donne cette place, en particulier celui d’ambassadeur auprès des Grecs, quand on sait que la rédaction du quatrième évangile a probablement finalisée à Éphèse, une ville de culture grecque. À part notre verset, voici les références à André dans le Nouveau Testament.

  • Marc 1, 16-17 : Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes." || Matthieu 4, 18
  • Marc 1, 29 : Et aussitôt, sortant de la synagogue, il vint dans la maison de Simon et d’André, avec Jacques et Jean.
  • Marc 3, 16-19 : Il institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre, puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, auxquels il donna le nom de Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre, puis André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélé, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra. || Matthieu 10, 2-4; Luc 6, 13-16
  • Marc 13, 3-4 : Et comme il était assis sur le mont des Oliviers en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogeaient en particulier: "Dis-nous quand cela aura lieu et quel sera le signe que tout cela va finir?"
  • Jean 1, 44 : Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre.
  • Jean 6, 8-9 : Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit: "Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d’orge et deux poissons; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?"
  • Jean 12, 22 : Philippe vient le dire à André (les Grecs veulent voir Jésus); André et Philippe viennent le dire à Jésus.
  • Actes 1, 13 : Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement. C’étaient Pierre, Jean, Jacques, André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée et Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.

ek tōn dyo (un des deux)
André est l’un des deux disciples. Qui est l’autre? Il est probable qu’il s’agisse de Philippe. La raison est double.

  1. Tout d’abord, André et Philippe apparaissent presque toujours ensemble dans l’évangile selon Jean. À la scène de la multiplication des pains, ils sont les deux seuls à intervenir, Philippe en exprimant l’impossibilité de nourrir la foule avec si peu d’argent, André en montrant le peu de nourriture dont ils disposent (voir 6, 5-9). Lorsque les Grecs veulent voir Jésus, ils s’adressent d’abord à Philippe, puis Philippe va voir André, et tous deux ensembles se rendent auprès de Jésus (voir 12, 21-22). Même dans la synoptiques, André et Philippe apparaissent l’un à la suite de l’autre quand on établit la liste des Douze (voir Marc 3, 18).

  2. Ensuite, l’évangéliste utilise une structure parallèle dans la façon d’introduire le récit de la rencontre de Jésus chez les deux premiers disciples (1, 37-39), chez Simon (1, 40-42) et chez Nathanaël (1, 45-49), en particulier par le témoignage d’une tierce personne.

    1, 371, 41-421, 45
    Les deux disciples entendirent ses (Jean Baptiste) paroles et suivirent Jésus.Il (André) rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. Il l’amena à Jésus.Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth."

    Ainsi, c’est Jean Baptiste qui introduit André et Philippe à Jésus. À leur tour, chacun d’eux introduira une personne à Jésus. On pourrait objecter le « suis-moi » adressé à Philippe au v. 43, mais il s’agit plutôt ici de l’appel adressé par Jésus à l’accompagner en Galilée : « Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée; il rencontre Philippe et lui dit: "Suis-moi!" »

ayant écouté auprès de Jean et ayant suivi lui
Ce qui est assez clair avec ce verset, c’est que les premiers disciples de Jésus avaient d’abord été les disciples de Jean Baptiste. Sans Jean Baptiste, il n’y aurait peut-être pas eu de mouvement chrétien.

v. 41 Il va d’abord trouver son propre frère, Simon, et lui dit : « Nous avons trouvé le messie », ce qui signifie « oint » ou Christ.

Littéralement : Il trouve celui-là d’abord le frère propre de Simon et dit à lui : « Nous avons trouvé le messie », ce qui est traduit par Christ (christos).

christos (Christ)
On se réfèrera au glossaire pour une analyse du titre de Christ. Qu’il nous suffise de rappeler que l’évangéliste Jean est le seul à utiliser le mot grec messias (messie), ici et dans le récit de la Samaritaine (4, 25 : « La femme lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout." »). Bien sûr, ce mot n’existe pas dans la langue grecque, car il est une translittération du mot hébreu māšîaḥ, messie, littéralement : oint. Aussi, l’évangéliste doit le traduire pour son auditoire : ce qui signifie christos , i.e. oint. Ce messie faisait partie de l’imaginaire juif, soit dans la personne de ce descendant du roi David qui rétablirait le royaume d’Israël dans la justice, soit soit dans celle de ce nouveau Moïse qui complèterait la révélation de Dieu. Quoi qu’il en soit, l’évangéliste tient à identifier cet objet d’espérance à la personne de Jésus. Après l’identification de Jésus comme l’agneau de Dieu par Jean Baptiste, il y a maintenant l’identification de Jésus comme Christ.

v. 42 Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur Simon, Jésus lui dit : « Tu es Simon, fils de Jean. Désormais, on t’appellera Céphas », ce qui signifie Pierre.

Littéralement : Il amena lui vers Jésus. Fixant son regard (emblepsas) sur lui Jésus dit : « Tu es Simon (Simōn) le fils de Jean. Tu seras appelé Képhas (Kēphas) », ce qui est traduit par Pierre.

emblepsas (fixant son regard)
L’expression emblepsas (regarder) avec un datif est utilisé par les évangélistes pour dire que l’acteur principal aime ou choisit quelqu’un, ou exprime une message important : il décrit un moment de grande intensité. Donnons des exemples.
  • Marc 10, 21 : Alors Jésus fixa sur lui (l’homme riche) son regard (emblepsas autō) et l’aima.
  • Marc 10, 27 : Fixant sur eux son regard (emblepsas autois), Jésus dit: "Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu: car tout est possible pour Dieu."
  • Luc 20, 17 : Mais, fixant sur eux son regard (emblepsas autois), il dit: "Que signifie donc ceci qui est écrit: La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue pierre de faîte?
  • Jean 1, 36 : Regardant Jésus (emblepsas tō Iēsou) qui passait, il (Jean Baptiste) dit: "Voici l’agneau de Dieu."
  • Marc 14, 67 : Voyant Pierre qui se chauffait, elle le dévisagea (emblepsasa autō) et dit: "Toi aussi, tu étais avec le Nazarénien Jésus."
  • Luc 22, 61 : et le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur (eneblepsen tō) Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit: "Avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois."

Simōn (Simon)
Sur ce qu’on sait sur le plan historique de Simon, on consultera Meier. On notera ici que l’évangéliste identifie le père de Simon, un dénommé Jean (il le fera également plus loin : Jn 21, 15-17). Matthieu fera de même, mais sous le nom de Jonas, en utilisant la translittération araméenne de Bariōna, i.e. fils de Ioana (Mt 16, 17). Jean ou Jonas sont deux variantes du même nom, tout comme le sont Jésus et Josué.

Kēphas (Képhas)
Notons tout de suite que le mot araméen « Céphas » se traduit littéralement par « rocher », non par pierre comme l’écrit l’évangéliste. Mais la communauté chrétienne a retenu la traduction de pierre. Quand on analyse ces différents noms, on note ceci :

  • Dans les évangiles, le narrateur utilise surtout le nom de Pierre après l’appel de Simon à être disciple, comme si ce nom exprimait désormais sa relation avec les autres membres des Douze
  • Dans les évangiles, Jésus continue de s’adresser à lui sous son nom de Simon.
  • L’évangéliste Jean utilise surtout le nom Simon-Pierre qu’il est seul à utiliser, à l’exception de deux cas, Luc 5, 8 et Matthieu 16, 16
  • Paul n’utilise que le nom Céphas, à l’exception de l’épitre aux Galates où il utilise à quelques reprises le nom de Pierre
  • Les Actes des Apôtres n’utilisent que le nom de Pierre, à l’exception de Actes 10, 5.18 où le centurion Corneille entend l’ange du Seigneur l’inviter à Joppé chez « Simon, surnommé Pierre ».

On peut difficilement nier la valeur historique du fait que Jésus ait donné un nouveau nom à Simon, celui de Céphas. Ce nouveau nom exprime le rôle qu’il exercera dans la mission qui lui est confiée : il sera le rocher ou le fondement de la nouvelle communauté. Ce nom de Céphas semble bien connu par la jeune communauté chrétienne, puisque Paul l’utilise par exemple dans sa lettre aux Corinthiens, écrite vers l’an 55, donc environ 25 ans après la mort de Jésus. Mais ce nom d’origine araméenne représentait une difficulté pour des gens de culture gréco-romaine, si bien que c’est le nom de Pierre qui s’est imposé et qui est largement utilisé par les évangiles, écrits entre les années 67 et 95.

  1. Analyse de la structure du récit

    1. Les deux premiers disciples de Jésus : André et Philippe (v. 35-39)

      v. 35 Introduction ou mise en scène – 1) personnages, 2) temps et 2) lieu :

      1. deux disciples de Jean Baptiste,
      2. lendemain,
      3. même endroit

      v. 36 Identification du « héro » : Jean Baptiste voit Jésus et dit « Voici l’agneau de Dieu »

      v. 37 Réponse des deux disciples

      • Les deux disciples entendent Jean Baptiste
      • Ils se mettent à suivre Jésus

      v. 38-39 Dialogue de Jésus avec les deux disciples

      • 38a Question de Jésus
        • Jésus découvre qu’on le suit
        • Il demande ce qu’ils cherchent
      • 38b Réponse des disciples : « Maître, où demeures-tu? »
      • 39a Réponse de Jésus : « Venez et vous verrez »

      v. 39b Conclusion du dialogue

      • Les deux disciples vont dans la demeure de Jésus
      • Il est 4 heures de l’après-midi

    2. Le troisième disciple de Jésus : Simon, le frère d’André (v. 40-42)

      v. 40 Introduction : présentation du messager (sommaire de ce qui précède)

      1. André, frère de Simon Pierre
      2. Il a entendu Jean Baptiste
      3. Il a suivi Jésus

      v. 41-42a Identification du « héro » par André

      • Parole : nous avons trouvé le messie
      • Action : il amène Simon à Jésus

      v. 42b Jésus donne une nouvelle identité à Simon

      • Jésus exprime son choix en regardant Simon
      • Lui rappelle son identité actuelle : Simon, fils de Jean
      • Lui donne sa nouvelle identité : Céphas, le rocher fondateur

    • Entre le récit des deux premiers disciples et celui du troisième, il y a des éléments semblables et différents.

      Éléments semblables :

      • Dans les deux récits, il faut un intermédiaire ou messager pour introduire Jésus et qu’on prend le temps d’identifier :
        • dans le premiers cas, c’est Jean Baptiste et cela se passe le troisième jour de sa prédication,
        • dans le deuxième cas, c’est André, le frère de Simon, qui introduit le lendemain Jésus à son frère.
      • Dans les deux récits, l’intermédiaire identifie explicitement Jésus,
        • dans le premier cas sous le vocable d’agneau de Dieu,
        • et dans le deuxième cas sous celui de messie.

      Éléments différents :

      • Dans le premier récit,
        • il y a une démarche des disciples et un dialogue avec Jésus, image d’une expérience spirituelle et d’un engagement libre.
      • Dans le deuxième récit,
        • il n’y a qu’une simple intervention de Jésus pour donner une nouvelle identité à Simon, signe de son nouveau rôle : nous avons avant tout une présentation fonctionnelle.
      • C’est comme si le premier récit présentait une biographie de tout disciple, et le deuxième récit présentait la seconde phase de la vie d’un disciple alors que Jésus assigne des rôles dans la mission. En faisant cela, l’évangéliste évite les répétions et décrit en deux temps le continuum de la vie du disciple.

  2. Analyse du contexte

    1. Contexte rapproché (1, 19 – 2, 11)

      Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’évangéliste nous présente sur une période d’une semaine les premiers événements du ministère de Jésus.

      • Jour 1 (1, 19-28) : Témoignage de Jean Baptiste
      • Jour 2 (1, 29-34) « lendemain » : allusion de manière très implicite au baptême de Jésus
      • Jour 3 (1, 35-39) « lendemain » : deux disciples du Baptiste suivent Jésus
      • Jour 4 (1, 40-42) : même si le mot lendemain n’est pas mentionné, il faut assumer une journée différente parce que le verset 39 se termine avec « et ils demeurèrent auprès de lui cette journée-là. C’était environ la dixième heure (4 heures de l’après-midi). », alors que c’est le début du soir. En ce jour quatre, le milieu ou centre de la semaine, on nous présente le récit de l’appel de Simon.
      • Jour 5 (1, 43-51) « lendemain » : c’est le récit de la vocation de Nathanaël.
      • Jour 7 (2, 1-11) « le troisième jour », i.e. deux jours après la journée cinq : ce sont les noces à Cana. La mention du 3e jour est certainement une allusion au 3e jour de la résurrection du Christ : car les noces de Cana se terminent avec la mention qu’il « manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Voilà résumé en une semaine le ministère de Jésus qui se termine avec sa montée en gloire.

      Puisque l’évangéliste a commencé son évangile avec l’expression « Au commencement » (1, 1), et donc avec une allusion à la Genèse et à la création du monde en une semaine, en étalant également le ministère de Jésus sur une semaine il entend proclamer qu’en Jésus a lieu une création nouvelle, une création qui atteint son apogée avec sa résurrection.

    2. Contexte éloigné (ensemble de l’évangile)

      Ce contexte éloigné est l’ensemble de l’évangile. Il n’est pas facile d’y trouver une structure. Quelqu’un comme R.E. Brown (The Gospel According to John. New York : Doubleday (Anchor Bible, 29), 1966-1970, 2 v.) divise l’évangile ainsi : Prologue (1, 1-18), le livre des signes (1, 19 – 12, 50), le livre de la gloire (13, 1 – 20, 31) qui inclut le dernier repas, le récit de la passion, le Seigneur ressuscité qui se termine par une conclusion (20, 30-31), et un épilogue (21, 1-25 : la pêche miraculeuse). De son côté, Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80) propose une division en huit unités (1, 19 – 20, 1-31), précédée du Prologue et se terminant avec une conclusion (21, 1-14). Nous proposons une intégration de ces deux structures.

      Prologue : 1, 1-18

      Livre des signes de Jésus (1, 19 – 12, 50)

      Signe 1 (1, 19- 2, 12) : Cana

      • Première semaine dans la vallée du Jourdain : Jean Baptiste identifie l’agneau de Dieu et les premiers disciples se joignent à Jésus
      • Le vin des noces de Cana signe des temps nouveaux

      Signe 2 (2, 13 – 4, 54) : guérison d’un enfant à Capharnaüm

      • La Pâque des Juifs
      • À Jérusalem : les vendeurs chassés du temple et entretien avec Nicodème
      • En Samarie : entretien avec la Samaritaine
      • En Galilée : guérison d’un enfant

      Signe 3 (5, 1-47) : guérison d’un paralysé

      • Pentecôte
      • À Jérusalem : guérison d’un paralysé à la piscine probatique

      Signe 4 (6, 1-71) : multiplication des pains

      • Deuxième Pâque des Juifs
      • En Galilée : multiplication des pains et discours sur le pain de vie

      Signe 5 (7, 1 – 10, 21) : guérison de l’aveugle-né

      • Fête des tentes
      • À Jérusalem, au temple pour enseigner
      • Guérison de l’aveugle-né
      • Jésus se proclame le bon pasteur capable de guider son troupeau

      Signe 6 (10, 22 – 11, 57) : ressuscitation de Lazare

      • Fête de la dédicace
      • À Jérusalem, puis au Jourdain, et enfin à Béthanie
      • Ressuscitation de Lazare

      Transition vers le récit de la passion (12, 1-50)

      • Six jours avant la Pâque des Juifs
      • À Béthanie, onction des pieds de Jésus par Marie
      • Le lendemain, entrée triomphale à Jérusalem
      • Des Grecs veulent le voir, et discours sur le grain qui doit mourir

      Livre de la glorification de Jésus

      Dernier repas (13, 1 – 17, 26)
      Le récit de la passion (18, 1 – 19, 42)
      Le Seigneur ressuscité ou 7e signe (20, 1-31)

      Épilogue (21, 1- 25)

      Le début de la constitution du groupe des disciples appartient donc à l’unité autour du premier signe de Jésus. Il est tout à fait logique d’amorcer le récit évangélique avec cette constitution d’un groupe de disciples. Cependant les disciples sont très peu identifiés dans l’évangile de Jean. Et Jésus est souvent seul. Considérons les disciples qu’il mentionne.

      1. André nous reviendra à la scène de la multiplication des pains (signe 4) et dans le récit de transition à celui de la passion.
      2. Philippe nous reviendra dans les deux mêmes scènes.
      3. Quant à Simon Pierre, il joue un rôle important lors de la multiplication des pains (signe 4) en proclamant sa foi malgré la difficulté de croire, pour ensuite revenir seulement lors du dernier repas, du récit de la passion et celui de la résurrection.
      4. Judas Iscariote est nommé pour la première lors de la multiplication des pains (signe 4), mais il n’intervient vraiment que lors du récit de transition vers la passion, et ensuite dans les récits du dernier repas et de la passion.
      5. Thomas apparaît pour la première au moment s’apprête à aller à Béthanie (signe 6), pour ensuite revenir lors du dernier repas, puis lors du récit de la résurrection; il est mentionné lors de l’épilogue.
      6. Nathanaël dont l’évangéliste raconte la rencontre avec Jésus ne reviendra que lors de l’épilogue
      7. Les fils de Zébédée ne seront mentionnés que lors de l’épilogue.
      8. Jamais il ne fait référence aux disciples mentionnés par les synoptiques : Barthélemy, Jude de Jacques (ou Thaddée), Jacques d’Alphée, Matthieu ou Simon le Zélote.
      9. Par contre, il introduit un certain « disciple que Jésus aimait » qui ne semble pas appartenir au groupe des Douze et qui fait la première fois son apparition lors du dernier repas de Jésus.

  3. Analyse des parallèles

    Le texte en italique désigne les passages propres à un auteur, le texte en rouge les passages ou mots identiques dans les trois synoptiques, le texte en bleu ce qui est commun aux quatre évangiles, le texte en prune les mots communs à Marc, Matthieu et Jean, le texte en turquoise les mots communs à Matthieu et Jean.

    Mc 1, 16-20Mt 4, 18-22Lc 5, 1- 11Jn 1, 35-51
    16 Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. 17 Et Jésus leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes." 18 Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent. 19 Et avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi dans leur barque en train d’arranger les filets; 20 et aussitôt il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés, ils partirent à sa suite. 18 Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs. 19 Et il leur dit: "Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes." 20 Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent. 21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d’arranger leurs filets; et il les appela. 22 Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent."1 Or il advint, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Gennésaret, 2 qu’il vit deux petites barques arrêtées sur le bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. 3 Il monta dans l’une des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de s’éloigner un peu de la terre; puis, s’étant assis, de la barque il enseignait les foules. ... 10 pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon: "Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras." 11 Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent."35 Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. 36 Regardant Jésus qui passait, il dit: "Voici l’agneau de Dieu." 37 Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus. 38 Jésus se retourna et, voyant qu’ils le suivaient, leur dit: "Que cherchez-vous?" Ils lui dirent: "Rabbi - ce qui veut dire Maître --, où demeures-tu?" 39 Il leur dit: "Venez et voyez." Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure. 40 André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. 41 Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. 42 Il l’amena à Jésus. Jésus le regarda et dit: "Tu es Simon, le fils de Jean; tu t’appelleras Céphas" - ce qui veut dire Pierre. 43 Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée; il rencontre Philippe et lui dit: "Suis-moi!" 44 Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre. 45 Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth." 46 Nathanaël lui dit: "De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon?" Philippe lui dit: "Viens et vois." 47 Jésus vit Nathanaël venir vers lui et il dit de lui: "Voici vraiment un Israélite sans détours." 48 Nathanaël lui dit: "D’où me connais-tu?" Jésus lui répondit: "Avant que Philippe t’appelât, quant tu étais sous le figuier, je t’ai vu." 49 Nathanaël reprit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël." 50 Jésus lui répondit: "Parce que je t’ai dit: Je t’ai vu sous le figuier, tu crois! Tu verras mieux encore." 51 Et il lui dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme."

    Un certain nombre d’observations s’imposent.

    • Matthieu se contente de copier le récit de Marc en faisant un certain nombre d’amélioration stylistiques. Par exemple, chez Marc le terme « aussitôt » s’applique d’abord à la réponse de Simon et André, puis ensuite à l’appel de Jésus à l’égard des fils de Zébédée. Matthieu est plus cohérent en l’appliquant dans les deux cas à la réponse des disciples à l’appel de Jésus. De même, Marc utilise d’abord le terme de « suivre » pour la réponse au premier appel, puis le terme de « partir à sa suite » pour le deuxième appel. Matthieu est plus cohérent et systématique en utilisant « suivre » dans les deux cas. Mais les grandes lignes des deux récits sont les mêmes :
      • C’est Jésus qui prend totalement l’initiative de choisir ses disciples
      • Les appelés sont tous des pêcheurs
      • Il les appelle à le suivre pour être pêcheurs d’homme
      • La réponse des appelés est immédiate
      • La réponse implique d’abandonner son activité professionnelle et ses relations familiales
      • Les premiers appelés sont Simon et André, suivis de Jacques et Jean, les fils de Zébédée
      • Être disciple implique suivre physiquement Jésus
      • La scène se passe sur les bords de la mer de Galilée

    • Le récit de Luc, une scène de pêche miraculeuse, est d’une autre source, une source qu’il partage avec Jn 21, 1-14. On repère néanmoins des éléments semblables avec le récit de Marc.
      • C’est Jésus qui prend totalement l’initiative de choisir ses disciples
      • Les appelés sont tous des pêcheurs
      • L’appel consiste à devenir pêcheurs d’hommes
      • Le premier appelé est Simon
      • L’appel implique un abandon
      • Être disciple implique suivre Jésus
      • La scène se passe sur les bords de la mer de Galilée, appelée aussi lac de Gennésaret

    • Mais le récit de Luc comporte des éléments différents :
      • Il y a seulement Simon qui est interpellé explicitement
      • André n’est jamais nommé
      • Il n’y a pas de mention que la réponse est immédiate
      • L’abandon implique une dimension radicale avec le mot « tout »
      • Être pêcheurs d’hommes est explicité par le fait que la foule écoutait la parole de Dieu et que Jésus, dans la barque, enseignait : les appelés auront donc la responsabilité à leur tour de prêcher la parole de Dieu et d’enseigner

    • Le récit de Jean est d’une toute autre source. À part la mention de Simon et André, et le fait qu’être disciple implique suivre Jésus, et à part sa ressemblance avec Mathieu avec l’introduction du surnom de Pierre, tout est différent :
      • Le premier appelé n’est pas Simon, mais André et Philippe
      • Jacques et Jean, fils de Zébédée sont totalement ignorés, et si ce n’était leur mention rapide dans l’épilogue (Jn 21, 2), on ne saurait pas qu’ils existent
      • Nathanaël reçoit un traitement de choix, alors qu’il n’existe pas dans les récits synoptiques
      • La scène se passe non pas sur les bords de la mer de Galilée, mais sur la rive ouest du Jourdain, au sud du pays, autour de Béthanie/Béthabara.
      • On ne connaît absolument pas le métier des disciples
      • Il ne s’agit plus d’une initiative de Jésus; au contraire, Jésus semble surpris de se voir suivi.
      • Jésus a besoin qu’on l’introduise, d’abord Jean Baptiste qui l’introduit à André et Philippe, André qui l’introduit à son frère Simon, Philippe qui l’introduit à Nathanaël
      • Comme il n’y a pas d’appel péremptoire, devenir disciple apparaît comme une démarche qui requiert un temps de fréquentation de la personne de Jésus (« Venez et voyez »).
      • Devenir disciple implique la foi : « Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. »; « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth »; « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël »
      • Par contre, jamais on ne mentionne explicitement qu’il faille laisser son activité professionnelle et ses relations familiales pour être disciple.

    • En fin de compte, il reste peu de choses communes aux quatre évangiles :
      • Il y a d’abord le fait que Simon a été parmi les premiers à le suivre
      • Puis il y a le fait même qu’être disciple implique de suivre physiquement Jésus

    • Que faut-il retenir de ces comparaisons pour notre analyse de Jean
      • La plupart des meilleurs biblistes s’entendent pour dire que, malgré le fait d’être le plus tardif des évangiles (rédaction finale vers l’an 90 ou 95), l’évangile selon Jean comporte des éléments historiques plus fiables que ceux des synoptiques. Ainsi, sur le lieu et la façon dont s’est constitué le groupe des disciples, il vaut mieux se fier à Jean qui le situe dans la rive ouest du Jourdain, au sud du pays. De plus, les premiers disciples de Jésus ont d’abord été disciples de Jean Baptiste. Le fait pour Marc de situer la scène autour de la mer de Galilée comporte une visée catéchétique : Jésus a centré en Galilée son ministère et n’est allé à Jérusalem, en Judée, que pour y mourir; rappelons-nous que le mot Galilée signifie : Cercle des nations, et donc était important pour un évangéliste qui s’adresse probablement avant tout aux gens de culture gréco-romaine de Rome.
      • Devenir disciple est avant tout une démarche de foi de quelqu’un en recherche, et donc exige qu’on fasse l’expérience spirituelle d’une communauté de vie avec Jésus.
      • On devient disciple parce que quelqu’un nous a introduit à Jésus, nous l’a fait connaître.

  4. Intention de l'auteur en écrivant ce passage

    • L’auteur doit d’abord rectifier la perception des gens sur Jean Baptiste. Au moment de la rédaction des évangiles, le groupe des baptistes était encore important. Pensons à Apollos, un homme éloquent versé dans les Écritures qui, selon les Actes des Apôtres (18, 25) ne connaissait que le baptême de Jean. Les Actes mentionnent même qu’il se trouvait à Éphèse (18, 24), là même où a probablement eu lieu la rédaction finale de l’évangile selon Jean. Voilà pourquoi le Prologue insiste pour dire sur Jean Baptiste qu’il « n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière » (1, 8), ou encore, « Jean lui rend témoignage et il clame: "C’est de lui que j’ai dit: Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu’avant moi il était." » (1, 15). Par la suite, dans les discussions du Baptiste avec les Juifs, l’évangéliste nous le présente comme quelqu’un qui confesse qu’il n’est ni Élie, ni le Christ, ni le prophète (1, 20-21). Et quand s’amorce notre passage, Jean Baptiste est tout centré sur Jésus qu’il désigne comme l’Agneau de Dieu.

    • Ensuite, il insiste pour dire qu’on ne devient disciple de Jésus que parce que quelqu’un nous a introduit à lui. Le témoignage d’un autre est le fondement pour entrer en contact avec Jésus. Ce fut rôle du Baptiste pour André et Philippe, ce fut le rôle d’André pour Simon, ce fut le rôle de Philippe pour Nathanaël.

    • Le disciple est d’abord quelqu’un qui est en recherche et est ouverte à toute parole qui peut combler cette recherche : « Que cherchez-vous », demande Jésus. C’est en entendant parler de Jésus comme « Agneau de Dieu » qu’André et Philippe se sont tournés vers lui. La symbolique pouvait avoir plusieurs sens : le nouveau Moïse selon l’image connue dans le monde juif, ou le libérateur à l’image de la sortie d’Égypte alors que le sang de l’agneau avait épargné le peuple de l’ange destructeur. Le fait même de donner à Jésus le titre de « Rabbi » ou Maître, exprime leur désir de lumière, leur désir d’être enseigné, leur désir d’un chemin. Simon s’est ouvert à la parole de son frère quand celui-ci a dit : « Nous avons trouvé le messie »; si tout son être n’était pas tendu vers ce messie, il ne se serait pas intéressé à la parole de son frère. Enfin, nous pouvons dire la même chose de Nathanaël à qui Philippe dit : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth. » (1, 45). Le Jésus de Jean s’écriera plus tard : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi » (7, 37).

    • Le disciple est celui qui accepte de faire une démarche (venez et voyez) auprès de Jésus et d’apprendre à le connaître, et donc de vivre avec lui une forme de vie communautaire et d’intimité : « Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là ». Nul doute que l’évangéliste Jean a en tête sa propre communauté, lui qui écrit : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (13, 35).

    • Le point tournant de la vie du disciple est celui se mettre à croire et de proclamer sa foi : « Nous avons trouvé le messie ». Plus tard Nathanaël s’écrira : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël » (1, 49). Et cette semaine se terminera avec le signe de Cana : « il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (2, 11).

    • En même temps, même si c’est au disciple d’accepter d’aller vers Jésus, c’est ce dernier qui assigne les rôles dans la mission. Simon recevra de Jésus un nouveau nom, expression du rôle qu’il lui est assigné d’être le fondement de toute une communauté.

  5. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

    • Toute une symbolique s’est développée autour de la figure du Baptiste : il est le précurseur, l’annonciateur, l’entremetteur, la voix du désert. Nous avons tous nos Jean Baptiste, i.e. des gens qui nous ont servi de courroie de transmission pour ce que nous sommes aujourd’hui, qui nous ont fait découvrir des gens qui deviendront le pilier de notre vie, des gens qui nous ouvert à un pan de la réalité. En philosophie, c’est un prof qui m’a fait découvrir le philosophe et théologien canadien Bernard Lonergan qui exerce une si grande influence dans ma vie intellectuelle. C’est un frère en vie religieuse qui a créé un tournant dans ma vie professionnelle en m’orientant vers l’exégèse et les études bibliques. C’est un ami qui m’a parlé un jour d’Etty Hillesum et qui m’a ouvert à une parole si contemporaine, si profonde, si vitale. Chacun a sa propre liste. Ce qu’il faut retenir : nous sommes dépendants des autres qui jouent le rôle de médiateurs.

    • Il y a un corollaire à ce que nous venons de dire : un médiateur ou précurseur n’existe que parce qu’il a osé parlé. Qu’est-ce qui se serait passé si Jean Baptiste n’avait pas osé parlé? Si vraiment, comme l’affirme les biblistes les plus sérieux, Jésus a d’abord quitté son métier en entendant la prédication du Baptiste, cela signifie tout simplement que, sans Jean Baptiste, nous n’aurions pas eu ce Jésus parcourant la Palestine et proclamant le Règne de Dieu. Juste à y penser, nous pouvons en avoir le frisson. D’après notre récit, sans Jean Baptiste qui désigne Jésus comme l’agneau de Dieu, André et Philippe ne seraient jamais devenus disciples de Jésus. Sans André, Simon ne serait pas devenu disciple. Sans Philippe, Nathanaël ne serait pas devenu disciple. Comme dit Paul de Tarse : « Et comment croire sans d’abord l’entendre? Et comment entendre sans prédicateur? » (Romains 10, 14). Alors parlons. Cette pensée m’accompagne même pour cette page Web qui m’apparaît comme une demi-goutte d’eau dans la mer. Mais qui sait ce que Dieu peut faire avec une demi-goutte d’eau.

    • « Suivre Jésus ». Parler de « suivre » nous renvoie à un cheminement. On ne parle pas d’obéir, mais d’accompagner quelqu’un sur un chemin. C’est le chemin de la vie avec tous ses événements. Cheminer, c’est apprendre, en incluant apprendre de ses erreurs. Cheminer, c’est refuser de rester au même endroit et de demeurer statique. Cheminer, c’est grandir. Bien sûr, aujourd’hui, Jésus n’est plus physiquement parmi nous. Mais en méditant ce que nous livrent le Nouveau Testament et ses meilleurs témoins, nous essayons chaque jour d’être semblable à lui, de poursuivre son oeuvre dans notre petit monde. Jamais nous ne pourrons dire : nous sommes arrivés, nous n’avons plus de route à parcourir.

    • « Où demeures-tu? ». Cette question revient à dire : « Qui es-tu? ». Répondre à cette question prend toute une vie. À moins d’être totalement déconnecté de la réalité, notre foi en Jésus est assaillie par la dureté et les scandales de la vie. À chaque choc de la vie, il faut renouveler sa réponse. C’est un signe de maturité que de pouvoir répondre en intégrant toutes les souffrances et tous les échecs de ce monde. Il s’agit d’être capable de mettre ensemble celui qui respire la vie et la lumière avec le crucifié.

    • « Le messie ». Voilà un symbole encore largement utilisé aujourd’hui, en particulier dans le monde politique. Les choses n’ont pas beaucoup changé depuis l’antiquité. Il y a quelque chose de beau et de sain dans la recherche d’un messie : c’est le signe d’un désir de changement, le désir d’un monde meilleur. Mais le défi est de trouver le messie qui sera une vraie source de libération, non pas une illusion ou un simple pansement. Il a fallu certainement une longue évolution pour que même les disciples de Jésus acceptent de passer d’un messie politique à un messie de transformation intérieure (voir cet écho de la prière un peu naïve de la jeune communauté chrétienne en Actes 1, 6 : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël? ».

    • « Céphas » (rocher), qui deviendra « Pierre » en français par l’intermédiaire du grec « Petros ». Voilà le rôle que Jésus assigne à Simon et qui se prolongera dans la communauté chrétienne. Parler de rocher, c’est parler de fondement, de pierre d’assises. Nous avons tous besoin de gens sur qui nous pouvons compter. Ce sont nos points de repère. Mais il y a quelque chose d’à la fois émouvant et consolant de constater que celui qui a été le pilier et le rocher de la communauté chrétienne est quelqu’un qui a renié Jésus. À certains moments, il a eu peur et s’est montré faible, mais il a su se relever et beaucoup aimé. Ce fut suffisant pour qu’il devienne un rocher. Voilà pourquoi la communauté chrétienne n’est pas une communauté de purs ou de gens sans faille, mais une communauté de gens pardonnés qui se sont relevés et veulent apprendre chaque jour à aimer.

  6. Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement

    • Dans plusieurs pays, des gens prennent la rue pour manifester contre les mesures d’austérité gouvernementales. Tous les groupes qui s’opposent proposent de bons arguments. Chacun veut le bien de l’humanité. L’évangile de ce jour peut-il proposer une parole pertinente? Ne pose-t-il pas la question : « Que cherchez-vous? ».

    • Dans la même veine, un débat de société est entamé sur les fonds de pension. La civilisation occidentale vieillit. Alors se pose la question : comment soutenir le nombre croissant de personnes retraitées? Qui doit en assumer les coûts? On pose alors la question de justice intergénérationnelle. La solution implique des éléments techniques. Mais cela ne touche-t-il pas néanmoins à des orientations et à des valeurs fondamentales sur lesquelles l’évangile a son mot à dire? En particulier, la recherche de sécurité ne peut-elle pas facilement devenir biaisée? La vie est un cheminement, rappelle l’évangile, une marche continue où on ne peut jamais dire : je suis arrivé.

    • On assiste à un phénomène qui semble vouloir se répandre en dehors des pays développés, comme on l’a vu en Chine lors de ce « vendredi noir » qui suit la fête de l’action grâce américaine : les gens ont assailli les comptoirs des commerces au point d’utiliser le pugilat pour s’arracher les articles en vente. On a quelque chose de semblable pour le « boxing day ». Qu’est-ce que cela veux-dire? L’évangile n’apparaît-il pas « déconnecté » en parlant de marcher à la suite d’un guide et d’y trouver ce qu’on cherche?

    • Une mère se tord d’inquiétude en voyant que sa fille présente des symptômes de sclérose en plaque et est en attente d’un examen du cerveau au moyen d’un appareil d’imagerie par résonnance magnétique. Que dire d’autre que : c’est la vie? Proclamer avoir trouvé le messie, comme le fait André, est-ce seulement parler de quelqu’un au loin dans le ciel? Ce messie n’a-t-il pas opéré des guérisons? Quelle guérison cette mère peut-elle espérer?

    • On a trouvé la veille de Noël, nue dans la neige et à moitié morte, une petite fille de six ans des Premières Nations : elle semblait avoir été battue sévèrement. Elle était allée patiner avec des amies et fut kidnappés. On vient d’arrêter son agresseur, un jeune homme de vingt-et-un ans, qui sera accusé de crime sexuel et de tentative de meurtre. Quand la fille a fini par ouvrir un peu les yeux le jour de Noël, elle a demandé de voir le Père Noël. Il y a quelque chose d’immensément touchant et triste dans cette scène. C’est à l’image de notre monde. Où situer dans tout cela celui qu’ont voulu suivre André, Philippe, Simon et Nathanaël? L’agneau de Dieu n’a-t-il pas voulu assumer toute notre misère? Mais le chemin de l’agneau n’est pas celui du lion, et c’est le chemin qu’a voulu Dieu. Quel mystère!

 

-André Gilbert, Gatineau, décembre 2014