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- Analyse verset par verset
v. 35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit ainsi que deux de ses disciples.
Littéralement: Le lendemain de nouveau se tenait debout Jean et de ses disciples deux
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Le lendemain |
La question naturelle qui vient : le lendemain de quoi? Nous avons peu point de repère pour le temps. Lévangéliste commence son récit historique avec le témoignage de Jean Baptiste quil ne situe pas dans le temps. À partir de ce commencement, il distribue les événements du début du ministère de Jésus sur une période dune semaine en utilisant à plusieurs reprises lexpression « le lendemain » et finalement « et le troisième jour ». Nous présenterons la structure de cette semaine dans notre analyse du contexte.
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de nouveau se tenait debout Jean |

De quel endroit sagit-il? Daprès Jn 1, 28 : « Cela se passait à Béthanie au-delà du Jourdain, où Jean baptisait. » Cest lunique mention que nous avons de ce lieu, qui est différent de Béthanie en banlieue de Jérusalem où Jean situe Lazare, Marthe et Marie. Selon Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80), le nom primitif ne serait pas Béthanie, mais Béthabara : Au lieu du nom propre « Béthanie », adopté dordinaire, on a « Béthabara » (ou « Bétharaba ») dans quelques manuscrits du texte Alexandrin (083 33), le texte Césaréen, les ancienne versions syriaques dont le témoignage nous fait probablement remonter jusquà Tatien (deuxième siècle), Épiphane et Chrysostome. Et ce lieu de Béthabara aurait une valeur réelle et symbolique, puisque le nom signifie « lieu de passage » et devait commémorer le passage du Jourdain par les Hébreux, à la fin de lExode, en face de Jéricho. Soit sous le nom de Béthanie ou Béthabara, les biblistes sentendent pour situer de bourg au nord de la mer Morte (voir la carte), sur la rive ouest du Jourdain, non loin de Jéricho.
Cette localisation peut surprendre, car Jean nous dira par ailleurs : Jean aussi baptisait, à Aenon, près de Salim, car les eaux y abondaient, et les gens se présentaient et se faisaient baptiser » (Jn 3, 23). Comment réconcilier Béthanie-Béthabara avec Aenon? Où avait vraiment lieu lactivité du Baptiste? Si on accepte lhypothèse de Boismard (p. 97), la couche la plus ancienne de lévangile, quil appelle Document C, ne parlait que de Aenon, en Samarie, où baptisait Jean Baptiste. Cest un deuxième auteur, quil appelle Jean II, qui a introduit la localisation de Béthanie-Béthabara afin dharmoniser le récit du témoignage de Baptiste avec la tradition synoptique qui le place dans les eaux du Jourdain.
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Jean et de ses disciples deux |
Tout le Nouveau Testament mentionne que Jean Baptiste avait des disciples (chez Jean, voir 3, 25; 4, 1), et lun de ces disciples aurait Jésus lui-même, du moins pendant un certain temps (voir Joseph Meier).
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v. 36 Fixant son regard sur Jésus qui déambulait, il sécria : « Voici lagneau de Dieu ».
Littéralement : et fixant son regard sur Jésus circulant il dit : « Voici lagneau (amnos) de Dieu ».
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amnos (agneau) |
Cest la deuxième fois que Jean Baptiste donne le titre dagneau de Dieu à Jésus. La première fois, il sagit dune proclamation générale, sans doute adressée à la foule, sans que cela soit explicité. Cette fois-ci la reprise du titre semble avoir pour but de faire connaître Jésus aux deux disciples de Jean, puisque cest cela qui amène ceux-ci à suivre Jésus.
Nous nageons en plein monde symbolique. Remarquons au point de départ quassocier une personne à un animal exprime une perception de la personne. Par exemple, on associera souvent un chef détat à un lion ou à un aigle pour exprimer sa force. Ici, cest à un animal sans défense quon associe Jésus. Examinons cette symbolique de lagneau dans le monde juif qui est très riche et possède deux racines distinctes. Notons tout de suite que dans la langue grecque du Nouveau Testament et dans lAncien Testament de la Septante trois mots peuvent être utilisés pour se référer à lanimal que nous nommons agneau en français : amnos, arēn, arnion
- Il y a dabord limage de lanimal quon mène à labattoir qui représente des gens impuissants et naïfs devant leur ennemi, comme le prophète Jérémie (Jérémie 11, 19 : « Et moi, comme un agneau (LXX : arnion) confiant quon mène à labattoir, jignorais quils tramaient contre moi des machinations: "Détruisons larbre dans sa vigueur, arrachons-le de la terre des vivants, quon ne se souvienne plus de son nom!" »). Cest une image semblable quon trouve dans ces fameux poèmes du serviteur souffrant (Isaïe 53, 7 : « Maltraité, il shumiliait, il nouvrait pas la bouche, comme lagneau (LXX : amnos) qui se laisse mener à labattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il nouvrait pas la bouche »). Le geste de shumilier et de ne pas répliquer aux mauvais traitements relève dune décision libre. Ce dernier poème se termine en donnant la signification de cette humiliation : « quil a été compté parmi les criminels, alors quil portait le péché des multitudes et quil intercédait pour les criminels » (Isaïe 53, 12). Ce serviteur accepte de subir le mal des hommes, mais en ne rendant pas le mal pour le mal, il en interrompt le cercle infernal. La symbolique de lagneau qui enlève les péchés est alors née.
- Il y a ensuite lagneau qui est au coeur de la Pâque juive (pour le détail de la célébration, voir le glossaire). Rappelons que, selon le livre de lExode, Yahvé avait ordonné aux Hébreux dimmoler par famille un agneau et de marquer de son sang les linteaux de leur porte, afin quils soient épargnés par lange exterminateur qui allait frapper tous les premiers-nés égyptiens. Il est probable que cette tradition dimmoler un agneau remonte aux peuples semi-nomades qui, au moment de partir en voyage au début de leur transhumance du printemps, immolait à la divinité un animal de leur troupeau afin de sassurer ses faveurs lors de leur long voyage. Dans le cadre de la sortie dÉgypte, cette tradition de lagneau pascal et du sang quon répand va revêtir une signification nouvelle et une valeur rédemptrice : « À cause du sang de lAlliance de la circoncision, et à cause du sang de la Pâque, je vous ai délivrés dÉgypte », Pirqè R. Éliezer, 39, Mekhilta sur Ex 12).
Comment en est-on venu à associer Jésus à cette symbolique juive de lagneau? Si on suit la chronologie de la mort de Jésus selon Jean, Jésus serait mort dans laprès-midi de la journée de la préparation de la Pâque juive (voir Jn 18, 28; 19, 14.31), donc au moment même, selon les prescriptions de la Loi, on immolait au temple les agneaux. De plus, contrairement à ce qui est arrivé aux deux autres bandits, on ne rompit pas les os de ses jambes (voir Jn 19, 33), comme le demandait la Loi (Exode 12, 46 : « On la mangera dans une seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de viande. Vous nen briserez aucun os »). Ainsi, dune part, cette coïncidence de sa mort avec le rituel de la Pâque offrait une porte grande ouverte à la symbolique dun agneau innocent quon immole. Dès lors, on pouvait donner une nouvelle signification à lagneau pascal qui évoquait la libération dÉgypte, celle dune libération du péché, dune vie sans la vraie connaissance de Dieu, comme lindique ce texte qui reflète probablement une tradition liturgique très ancienne : « Sachez que ce nest par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par un sang précieux, comme dun agneau sans reproche et sans tache, le Christ » (1 Pierre 1, 18-19).
Mais, dautre part, la réflexion sur le sens de cette mort à partir des Écritures amena la jeune communauté chrétienne à voir en Jésus ce serviteur quIsaïe (52, 13 53, 12) décrit comme lagneau qui se laisse mener à labattoir, et qui en fait porte les péchés de lhumanité, à travers ses blessures nous trouvons la guérison, et parce quil a offert sa vie en sacrifice expiatoire, à travers lui saccomplira la volonté de Dieu et lui-même verra la lumière et sera comblé. À la lumière de la foi en sa résurrection, ce passage dIsaïe trouvait tout son sens à travers Jésus. Et il était dautant plus facile dappliquer à Jésus la symbolique de lagneau que le même mot araméen talya peut signifier « agneau », ou « serviteur ».
Cette tradition sur Jésus, véritable agneau pascal, sest développée très tôt dans le christianisme, puisque nous en avons un témoignage dans la première lettre de Paul aux Corinthiens, écrite vers lan 55 : « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car notre pâque, le Christ, a été immolée » (1 Co 5, 7). Mais cest surtout dans le contexte apocalyptique que la représentation de Jésus sous les traits de lagneau (arnion) immolé a connu une grande expansion (27 fois). On peut le comprendre, car nest-il pas normal quune communauté persécutée sidentifie au visage de douleur de son maître. Mais cet agneau égorgé recevra lhonneur, la gloire et la louange, et ceux qui lui seront demeurés fidèles malgré les persécutions participeront sous les traits de lépouse aux noces avec lagneau.
Après cet aperçu de la symbolique de lagneau à travers le temps, posons la question : quel sens veut donner lévangéliste à lexpression « agneau de Dieu » dans la bouche de Jean Baptiste? Pour répondre à cette question, il faut revenir au v. 29 quand il dit : « Voici lagneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ». Quel est ce péché (singulier) attribué au monde? Pour lévangéliste, le péché du monde est de refuser la parole de Jésus leur parlant de celui qui la envoyé : « Si je nétais pas venu et ne leur avais pas parlé (de celui qui ma envoyé), ils nauraient pas de péché; mais maintenant ils nont pas dexcuse à leur péché (Jean 15, 22; voir aussi 9, 40-41; 8, 21). Cest donc la vraie connaissance de Dieu quapporte Jésus au monde. En fait, il est le nouveau Moïse que promettait Deutéronome 18, 18 (Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai), il est le nouveau « sauveur du monde » (voir Jean 4, 42), et donc en lui se vit un nouvel exode, une nouvelle sortie dÉgypte pour aller vers la terre promise. Il est lagneau dune nouvelle Pâque, créant un peuple nouveau habité par la connaissance du vrai Dieu. Le baptême de Jean Baptiste était perçu comme un geste de purification, un exode de sa vie ancienne, mais cela ne visait quà annoncer Jésus opérant le véritable exode, la véritable libération; il est le prophète promis sur qui repose lEsprit, le nouveau Moïse dun nouveau peuple.
[Selon Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80), la figure de Moïse était souvent représentée sous les traits de lagneau, comme en témoigne le targum du Pseudo-Jonathan qui, commentant Exode 1, 15 :
Pharaon, lorsquil dormait, vit en songe : Voici que tout le pays dÉgypte était posé sur le plateau dune balance, et un agneau (talya), le petit dune brebis, sur lautre plateau; et le plateau qui portait lagneau sabaissait. Aussitôt, il envoya appeler tous les magiciens dÉgypte et leur raconta son rêve. Immédiatement, Yannès et Yimbrès, les chefs des magiciens, se mirent à parler et dirent à Pharaon : Un fils va naître dans la communauté dIsraël, qui détruira toute lÉgypte.
Lassociation de Moïse à un agneau est possible en raison du jeu de mot que permet le mot araméen talya qui signifie à la fois serviteur et agneau : lauteur pouvait désigner Moïse, serviteur de Dieu, mais en le cachant derrière la figure symbolique de lagneau, comme il se doit dans un songe. Un écho de ce songe se retrouve chez lhistorien juif Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, II, 205 : « des hiérogrammates - ces gens sont fort habiles à prédire exactement lavenir - annonce au roi quil naîtra quelquun en ce temps chez les Israélites, lequel abaissera la suprématie des Égyptiens, relèvera les Israélites, une fois parvenu à lâge dhomme, surpassera tout le monde en vertu et sacquerra une renommée éternelle ».]
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v. 37 Deux de ses disciples lentendirent ainsi parler et se mirent à suivre Jésus.
Littéralement : Et écoutèrent les deux disciples de lui parlant et suivirent Jésus.
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Et écoutèrent les deux disciples de lui parlant |
Voilà le rôle du Baptiste, donner un témoignage afin que par lui les gens sattachent à Jésus. Cest un intermédiaire. Lévangéliste insiste sur ce rôle dintermédiaire de Jean Baptiste, car à ses yeux sa mission fut de révéler Jésus au monde. Daprès nos connaissances historiques, il est probable que pour le Baptiste lui-même lidentité et le rôle de Jésus ne furent pas clairs jusque vers la fin de sa vie. Mais pour la communauté chrétienne et pour lévangéliste lui-même, le Baptiste a joué un rôle clé dans la mission de Jésus : par sa prédication, il a suscité un mouvement et des disciples, et tout cela a servi de tremplin. Voilà pourquoi lévangéliste insiste pour dire que cest par un intermédiaire quon va à Jésus, et cet intermédiaire est ici Jean Baptiste. On retrouvera la même idée chez Paul quand il écrit : « Et comment croire sans dabord lentendre? Et comment entendre sans prédicateur? » (Romains 10, 14).
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et suivirent Jésus |
Suivre Jésus signifie devenir son disciple. Cest ce que révèlent plusieurs autres passages de lévangile selon Jean :
- 6, 2 : Une grande foule le suivait, à la vue des signes quil opérait sur les malades.
- 10, 4 : Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce quelles connaissent sa voix.
- 10, 27 : Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent
- 12, 26 : Si quelquun me sert, quil me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelquun me sert, mon Père lhonorera.
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v. 38 Sétant retourné et les ayant aperçu en train de le suivre, il leur dit : « Que cherchez-vous? » Ceux-ci lui répondirent : « Rabbi ce qui veut dire : maître où demeures-tu? »
Littéralement : Sétant retourné (strapheis) Jésus et ayant contemplé eux marchant, il dit à eux: « Que cherchez-vous (zēteite)? ». Eux dirent à lui : « Rabbi (rhabbi) - cela est dit étant traduit maître - où demeures-tu (meneis)? »
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strapheis (étant retourné) |
Chez lévangéliste, ce verbe a un sens technique : il ne sagit pas dun mouvement physique, mais dun changement intérieur, dune prise de conscience, dun changement de regard qui relève de la foi. Examinons les trois autres emplois en plus de celui de notre verset.
- 12, 40 : Il a aveuglé leurs yeux et il a endurci leur coeur, pour que leurs yeux ne voient pas, que leur coeur ne comprenne pas, quils ne se convertissent (strephō) pas et que je ne les guérisse pas.
- 20, 14 : Ayant dit cela, elle se retourna (strephō), et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que cétait Jésus.
- 20, 16 : Jésus lui dit: "Marie!" Se retournant (strephō), elle lui dit en hébreu: "Rabbouni" - ce qui veut dire: "Maître."
En 12, 40, le verbe décrit la conversion du coeur, et au chapitre 20 il décrit le regard de foi de Marie de Magdala qui voit Jésus ressuscité. Alors quel sens peut avoir ce verbe par rapport à Jésus? Si nous voulons être cohérent, il faut accepter quil décrive chez Jésus une prise de conscience, une découverte dans la foi. Quelle est cette prise de conscience? De sa mission. Il lit dans la foi lévénement où des gens veulent le suivre, et donc y voit un appel de Dieu. Pour qui prend au sérieux le mystère de lIncarnation, la découverte de Jésus de sa mission a suivi les étapes normales dun cheminement humain.
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zēteite (vous cherchez) |
Le terme « chercher » est très fréquent chez Jean (plus dune trentaine de fois) et est utilisé fréquemment pour décrire lintention de ses adversaires qui « cherchent » à le tuer. Mais ici il semble décrire une caractéristique du disciple : cest lui qui prend linitiative de se mettre à la recherche de Jésus. Cest dautant plus frappant que chez les synoptiques cest Jésus qui prend linitiative. Pour le quatrième évangile, il y a dabord une démarche du disciple, une quête de sa part.
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rhabbi (Rabbi) |
Le mot hébreu « Rabbi » signifie littéralement « mon grand » et désigne un spécialiste de la Loi. Sur les quinze emplois dans les évangiles, huit se retrouvent chez Jean. Pourquoi lévangéliste utilise-t-il un mot hébreu dans son texte grec? Ce nest pas pour mieux refléter la scène originelle, car celle-ci se serait déroulée en Araméen, et donc il aurait fallu dire : Rabbouni. Lusage de « rabbi » sest développé avec la montée du rabbinisme, suite à la destruction du temple de Jérusalem. Aussi faut-il croire que, pour lauditoire de lévangile, ce terme avait une certaine résonnance. Ce qui est clair, le fait de mettre ce terme dans la bouche des deux disciples qui veulent suivre Jésus signifie la reconnaissance chez ce dernier de ce prophète promis, semblable à Moïse, qui expliquera tout (voir Jean 4, 25), donc du véritable maître de la Loi.
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meneis (tu demeures) |
Le terme « demeurer » peut sembler banal. Mais il ne lest pas chez lévangéliste Jean. Très souvent, il exprime la communion et la communauté de vie. Considérons un certain nombre dexemples :
- 5, 38 : et sa parole, vous ne lavez pas à demeure (menō) en vous, puisque vous ne croyez pas celui quil a envoyé
- 6, 56 : Qui mange ma chair et boit mon sang demeure (menō) en moi et moi en lui
- 8, 31 : Jésus dit alors aux Juifs qui lavaient cru: "Si vous demeurez (menō) dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples
- 14, 10 : Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même: mais le Père demeurant (menō) en moi fait ses oeuvres.
- 14, 17 : lEsprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce quil ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce quil demeure (menō) auprès de vous.
- 15, 4 : Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit sil ne demeure (menō) pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
- 15, 9 : Comme le Père ma aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez (menō) en mon amour.
Pour les deux disciples, demeurer chez Jésus signifie faire communion avec lui, entrer dans une communauté de vie avec lui.
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v. 39 Il leur dit : « Venez et vous verrez ». Ils allèrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui cette journée-là. Cétait environ quatre heures de laprès-midi.
Littéralement : Il dit à eux: « Venez (erchesthe) et vous verrez (opsesthe) ». Ils allèrent donc et virent où il demeure et auprès de lui ils demeurèrent ce jour là. Lheure était environ dixième (hōra ēn hōs dekatē).
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erchesthe kai opsesthe (venez et vous verrez) |
Lexpression surprend. Bien sûr, on pourrait dire quelle est la suite logique de ce qui précède : où demeures-tu? Nous, si nous avions eu à répondre à une telle question, nous aurions probablement répondu par notre adresse physique. Mais sachant que la conversation se situe au niveau théologique, nous aurions pu nous attendre à ce que lévangéliste mette dans la bouche de Jésus un discours sur sa mission qui aurait explicité à quel enseigne il loge. Dailleurs le mot « voir » a très souvent un sens théologique dans le quatrième évangile. Regardons quelques exemples.
- 1, 34 : Et moi, jai vu (horaō) et je témoigne que celui-ci est lÉlu de Dieu."
- 4, 45 : Quand donc il vint en Galilée, les Galiléens laccueillirent, ayant vu (horaō) tout ce quil avait fait à Jérusalem lors de la fête; car eux aussi étaient venus à la fête.
- 6, 14 : A la vue (horaō) du signe quil venait de faire, les gens disaient: "Cest vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde."
- 6, 30 : Ils lui dirent alors: "Quel signe fais-tu donc, pour quà sa vue (horaō) nous te croyions? Quelle oeuvre accomplis-tu?
- 12, 21 : ils (des Grecs) lui firent cette demande: "Seigneur, nous voulons voir (horaō) Jésus."
- 14, 9 : Jésus lui dit: "...Qui ma vu (horaō) a vu le Père.
- 19, 35 : Celui qui a vu (horaō) rend témoignage
En fait, Jésus ne répond pas directement à la question posée. Il dit plutôt : « Venez ». Encore ici, quand on regarde le vocabulaire du quatrième évangile, le mot « venez » na pas nécessairement un sens physique. Il doit être interprété comme un mouvement de foi. Regardons dabord quelques exemples très clairs tirés du le discours sur le pain de vie.
- 6, 35 : Jésus leur dit: "Je suis le pain de vie. Qui vient (erchomai) à moi naura jamais faim; qui croit en moi naura jamais soif.
- 6, 37 : Tout ce que me donne le Père viendra à moi, et celui qui vient (erchomai) à moi, je ne le jetterai pas dehors
- 6, 44 : Nul ne peut venir (erchomai) à moi si le Père qui ma envoyé ne lattire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
- 6, 45 : Quiconque sest mis à lécoute du Père et à son école vient (erchomai) à moi.
- 6, 65 : Et il disait: "Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir (erchomai) à moi, si cela ne lui est donné par le Père."
À mon avis, cest dans le même sens quil faut lire beaucoup dautres passages comme ceux que voici.
- 3, 2 : Il (Nicodème) vint (erchomai) de nuit trouver Jésus
- 3, 26 : ... le (Jésus) voilà qui baptise et tous viennent (erchomai) à lui!"
- 4, 30 : Ils (les Samaritains) sortirent de la ville et ils se dirigeaient (erchomai) vers lui.
- 4, 40 : Quand donc ils furent arrivés (erchomai) près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez eux. Il y demeura deux jours
- 5, 40 : et vous (les Juifs) ne voulez pas venir (erchomai) à moi pour avoir la vie!
- 7, 37 : Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, sécria: "Si quelquun a soif, quil vienne (erchomai) à moi, et quil boive
- 8, 2 : Mais, dès laurore, de nouveau il fut là dans le Temple, et tout le peuple venait (erchomai) à lui, et sétant assis il les enseignait.
- 10, 41 : Beaucoup vinrent (erchomai) à lui et disaient: "Jean na fait aucun signe; mais tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai."
Jésus les invite donc celui qui veut être son disciple à entrer dans une démarche de foi. Qui dit « démarche » désigne une expérience qui sintensifie avec le temps. Et cette première semaine se terminera avec les noces de Cana : « Tel fut le premier des signes de Jésus, il laccomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (2, 11).
Cette idée dentrer dans une démarche, de faire dabord lexpérience de vivre avec Jésus, est une caractéristique propre de lévangile selon Jean. Cest totalement différent de ce quon trouve dans les récits synoptiques où on a le commandement sec : « Suis-moi ».
- Marc 2, 14 : En passant, il vit Lévi, le fils dAlphée, assis au bureau de la douane, et il lui dit: "Suis-moi (akoloutheō)." Et, se levant, il le suivit (akoloutheō) . || Luc 5, 27; Matthieu 9, 9
- Marc 10, 21 : Alors Jésus fixa sur lui son regard et laima. Et il lui dit: "Une seule chose te manque: va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis, viens, suis-moi (akoloutheō)." || Luc 18, 22; Matthieu 19, 21
- Luc 9, 59 : Il dit à un autre: "Suis-moi (akoloutheō)." Celui-ci dit: "Permets-moi de men aller dabord enterrer mon père." || Matthieu 8, 22
Lidée que la foi est une démarche où on fait dabord lexpérience dune communauté de vie avec Jésus, et ce nest quau terme quon est en mesure de dire comme Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu! », cette idée a peut-être muri dans cette communauté du disciple bien-aimé, probablement à la source du quatrième évangile. Sur le sujet on pourra lire avec intérêt le livre de Raymond E. Brown, La Communauté du disciple bien-aimé (Paris : Cerf (Lectio Divina, 115), 1983, 240 p., traduit de The Community of the Beloved Disciple. New York: Paulist Press, 1979). Limpression qui se dégage de cette communauté chrétienne est celle dun groupe peu structuré, où on met laccent sur les relations interpersonnelles, et donc sur lexpérience de vivre en communauté. Ne devait-on pas dire à ceux qui sintéressaient à la voie chrétienne : « Venez et voyez »?
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hōra ēn hōs dekatē (lheure était environ dixième) |
Dans le monde juif, le jour était divisée en douze périodes (Jean 11, 9 : « Jésus répondit: "Ny a-t-il pas douze heures de jour? Si quelquun marche le jour, il ne bute pas, parce quil voit la lumière de ce monde ») qui se terminait avec le coucher du soleil, et commençait avec son lever. Pourquoi cette mention de lheure? On a dautres exemples dans le quatrième évangile :
- Jean 4, 6 : Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait donc assis près du puits. Cétait environ la sixième heure.
- Jean 19, 14 : Or cétait la Préparation de la Pâque; cétait vers la sixième heure. Il dit aux Juifs: "Voici votre roi."
Cette mention de lheure naurait-elle pas une valeur symbolique? Cest ce que propose Boismard (op. cit., p. 98):
Selon une interprétation assez répandue et connue spécialement de Philon DAlexandrie (Vit. Mosis 1, 96), « dix » était le chiffre parfait. La dixième heure symboliserait donc lheure parfaite de lhistoire du monde, celle où commence lavènement du Royaume, lorsque Jésus recrute ses disciples et leur permet de « demeurer avec lui » (cf. Jn 14, 2-3, qui marquerait lépanouissement de cette « dixième heure »).
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v. 40 André, le frère de Simon Pierre, était lun des deux disciples qui avaient été à lécoute de Jean et avaient suivi Jésus.
Littéralement : Était André (Andreas) le frère de Simon Pierre un des deux (ek tōn dyo) des ayant écouté auprès de Jean et ayant suivi lui.
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Andreas (André) |
André est si peu connu quon doit le présenter comme le frère de Simon Pierre. Pourtant les deux sont rarement vus ensemble. Son nom apparaît surtout quand il sagit de dresser la liste des Douze. Pourtant, Marc et Jean font de lui un des deux premiers disciples de Jésus. Et cest le quatrième évangile qui le met le plus en vedette : tout dabord, cest lui qui introduira son frère Simon à Jésus, puis il intervient lors de la scène de la multiplication des pains pour présenter le peu de nourriture disponible, il joue enfin le rôle dintermédiaire avec Philippe face aux Grecs. On sait également par lévangéliste Jean (1, 44) quil est originaire de Bethsaïde, doù viennent également Philippe et Pierre. Même si Bethsaïde ne fait pas partie des dix villes de la Décapole, elle se retrouve néanmoins sur un territoire très hellénisé. On nest donc pas surpris de constater quAndré est un nom grec. Est-ce pour cette raison que lévangéliste lui donne cette place, en particulier celui dambassadeur auprès des Grecs, quand on sait que la rédaction du quatrième évangile a probablement finalisée à Éphèse, une ville de culture grecque. À part notre verset, voici les références à André dans le Nouveau Testament.
- Marc 1, 16-17 : Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient lépervier dans la mer; car cétaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs dhommes." || Matthieu 4, 18
- Marc 1, 29 : Et aussitôt, sortant de la synagogue, il vint dans la maison de Simon et dAndré, avec Jacques et Jean.
- Marc 3, 16-19 : Il institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre, puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, auxquels il donna le nom de Boanergès, cest-à-dire fils du tonnerre, puis André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils dAlphée, Thaddée, Simon le Zélé, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra. || Matthieu 10, 2-4; Luc 6, 13-16
- Marc 13, 3-4 : Et comme il était assis sur le mont des Oliviers en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André linterrogeaient en particulier: "Dis-nous quand cela aura lieu et quel sera le signe que tout cela va finir?"
- Jean 1, 44 : Philippe était de Bethsaïde, la ville dAndré et de Pierre.
- Jean 6, 8-9 : Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit: "Il y a ici un enfant, qui a cinq pains dorge et deux poissons; mais quest-ce que cela pour tant de monde?"
- Jean 12, 22 : Philippe vient le dire à André (les Grecs veulent voir Jésus); André et Philippe viennent le dire à Jésus.
- Actes 1, 13 : Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement. Cétaient Pierre, Jean, Jacques, André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils dAlphée et Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
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ek tōn dyo (un des deux) |
André est lun des deux disciples. Qui est lautre? Il est probable quil sagisse de Philippe. La raison est double.
- Tout dabord, André et Philippe apparaissent presque toujours ensemble dans lévangile selon Jean. À la scène de la multiplication des pains, ils sont les deux seuls à intervenir, Philippe en exprimant limpossibilité de nourrir la foule avec si peu dargent, André en montrant le peu de nourriture dont ils disposent (voir 6, 5-9). Lorsque les Grecs veulent voir Jésus, ils sadressent dabord à Philippe, puis Philippe va voir André, et tous deux ensembles se rendent auprès de Jésus (voir 12, 21-22). Même dans la synoptiques, André et Philippe apparaissent lun à la suite de lautre quand on établit la liste des Douze (voir Marc 3, 18).
- Ensuite, lévangéliste utilise une structure parallèle dans la façon dintroduire le récit de la rencontre de Jésus chez les deux premiers disciples (1, 37-39), chez Simon (1, 40-42) et chez Nathanaël (1, 45-49), en particulier par le témoignage dune tierce personne.
1, 37 | 1, 41-42 | 1, 45 |
Les deux disciples entendirent ses (Jean Baptiste) paroles et suivirent Jésus. | Il (André) rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. Il lamena à Jésus. | Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous lavons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth." |
Ainsi, cest Jean Baptiste qui introduit André et Philippe à Jésus. À leur tour, chacun deux introduira une personne à Jésus. On pourrait objecter le « suis-moi » adressé à Philippe au v. 43, mais il sagit plutôt ici de lappel adressé par Jésus à laccompagner en Galilée : « Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée; il rencontre Philippe et lui dit: "Suis-moi!" »
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ayant écouté auprès de Jean et ayant suivi lui |
Ce qui est assez clair avec ce verset, cest que les premiers disciples de Jésus avaient dabord été les disciples de Jean Baptiste. Sans Jean Baptiste, il ny aurait peut-être pas eu de mouvement chrétien.
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v. 41 Il va dabord trouver son propre frère, Simon, et lui dit : « Nous avons trouvé le messie », ce qui signifie « oint » ou Christ.
Littéralement : Il trouve celui-là dabord le frère propre de Simon et dit à lui : « Nous avons trouvé le messie », ce qui est traduit par Christ (christos).
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christos (Christ) |
On se réfèrera au glossaire pour une analyse du titre de Christ. Quil nous suffise de rappeler que lévangéliste Jean est le seul à utiliser le mot grec messias (messie), ici et dans le récit de la Samaritaine (4, 25 : « La femme lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui quon appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout." »). Bien sûr, ce mot nexiste pas dans la langue grecque, car il est une translittération du mot hébreu māšîaḥ, messie, littéralement : oint. Aussi, lévangéliste doit le traduire pour son auditoire : ce qui signifie christos , i.e. oint. Ce messie faisait partie de limaginaire juif, soit dans la personne de ce descendant du roi David qui rétablirait le royaume dIsraël dans la justice, soit soit dans celle de ce nouveau Moïse qui complèterait la révélation de Dieu. Quoi quil en soit, lévangéliste tient à identifier cet objet despérance à la personne de Jésus. Après lidentification de Jésus comme lagneau de Dieu par Jean Baptiste, il y a maintenant lidentification de Jésus comme Christ.
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v. 42 Il lamena à Jésus. Fixant son regard sur Simon, Jésus lui dit : « Tu es Simon, fils de Jean. Désormais, on tappellera Céphas », ce qui signifie Pierre.
Littéralement : Il amena lui vers Jésus. Fixant son regard (emblepsas) sur lui Jésus dit : « Tu es Simon (Simōn) le fils de Jean. Tu seras appelé Képhas (Kēphas) », ce qui est traduit par Pierre.
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emblepsas (fixant son regard) |
Lexpression emblepsas (regarder) avec un datif est utilisé par les évangélistes pour dire que lacteur principal aime ou choisit quelquun, ou exprime une message important : il décrit un moment de grande intensité. Donnons des exemples.
- Marc 10, 21 : Alors Jésus fixa sur lui (lhomme riche) son regard (emblepsas autō) et laima.
- Marc 10, 27 : Fixant sur eux son regard (emblepsas autois), Jésus dit: "Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu: car tout est possible pour Dieu."
- Luc 20, 17 : Mais, fixant sur eux son regard (emblepsas autois), il dit: "Que signifie donc ceci qui est écrit: La pierre quavaient rejetée les bâtisseurs, cest elle qui est devenue pierre de faîte?
- Jean 1, 36 : Regardant Jésus (emblepsas tō Iēsou) qui passait, il (Jean Baptiste) dit: "Voici lagneau de Dieu."
- Marc 14, 67 : Voyant Pierre qui se chauffait, elle le dévisagea (emblepsasa autō) et dit: "Toi aussi, tu étais avec le Nazarénien Jésus."
- Luc 22, 61 : et le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur (eneblepsen tō) Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit: "Avant que le coq ait chanté aujourdhui, tu mauras renié trois fois."
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Simōn (Simon) |
Sur ce quon sait sur le plan historique de Simon, on consultera Meier. On notera ici que lévangéliste identifie le père de Simon, un dénommé Jean (il le fera également plus loin : Jn 21, 15-17). Matthieu fera de même, mais sous le nom de Jonas, en utilisant la translittération araméenne de Bariōna, i.e. fils de Ioana (Mt 16, 17). Jean ou Jonas sont deux variantes du même nom, tout comme le sont Jésus et Josué.
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Kēphas (Képhas) |
Notons tout de suite que le mot araméen « Céphas » se traduit littéralement par « rocher », non par pierre comme lécrit lévangéliste. Mais la communauté chrétienne a retenu la traduction de pierre. Quand on analyse ces différents noms, on note ceci :
- Dans les évangiles, le narrateur utilise surtout le nom de Pierre après lappel de Simon à être disciple, comme si ce nom exprimait désormais sa relation avec les autres membres des Douze
- Dans les évangiles, Jésus continue de sadresser à lui sous son nom de Simon.
- Lévangéliste Jean utilise surtout le nom Simon-Pierre quil est seul à utiliser, à lexception de deux cas, Luc 5, 8 et Matthieu 16, 16
- Paul nutilise que le nom Céphas, à lexception de lépitre aux Galates où il utilise à quelques reprises le nom de Pierre
- Les Actes des Apôtres nutilisent que le nom de Pierre, à lexception de Actes 10, 5.18 où le centurion Corneille entend lange du Seigneur linviter à Joppé chez « Simon, surnommé Pierre ».
On peut difficilement nier la valeur historique du fait que Jésus ait donné un nouveau nom à Simon, celui de Céphas. Ce nouveau nom exprime le rôle quil exercera dans la mission qui lui est confiée : il sera le rocher ou le fondement de la nouvelle communauté. Ce nom de Céphas semble bien connu par la jeune communauté chrétienne, puisque Paul lutilise par exemple dans sa lettre aux Corinthiens, écrite vers lan 55, donc environ 25 ans après la mort de Jésus. Mais ce nom dorigine araméenne représentait une difficulté pour des gens de culture gréco-romaine, si bien que cest le nom de Pierre qui sest imposé et qui est largement utilisé par les évangiles, écrits entre les années 67 et 95.
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- Analyse de la structure du récit
- Les deux premiers disciples de Jésus : André et Philippe (v. 35-39)
v. 35 Introduction ou mise en scène 1) personnages, 2) temps et 2) lieu :
- deux disciples de Jean Baptiste,
- lendemain,
- même endroit
v. 36 Identification du « héro » : Jean Baptiste voit Jésus et dit « Voici lagneau de Dieu »
v. 37 Réponse des deux disciples
- Les deux disciples entendent Jean Baptiste
- Ils se mettent à suivre Jésus
v. 38-39 Dialogue de Jésus avec les deux disciples
- 38a Question de Jésus
- Jésus découvre quon le suit
- Il demande ce quils cherchent
- 38b Réponse des disciples : « Maître, où demeures-tu? »
- 39a Réponse de Jésus : « Venez et vous verrez »
v. 39b Conclusion du dialogue
- Les deux disciples vont dans la demeure de Jésus
- Il est 4 heures de laprès-midi
- Le troisième disciple de Jésus : Simon, le frère dAndré (v. 40-42)
v. 40 Introduction : présentation du messager (sommaire de ce qui précède)
- André, frère de Simon Pierre
- Il a entendu Jean Baptiste
- Il a suivi Jésus
v. 41-42a Identification du « héro » par André
- Parole : nous avons trouvé le messie
- Action : il amène Simon à Jésus
v. 42b Jésus donne une nouvelle identité à Simon
- Jésus exprime son choix en regardant Simon
- Lui rappelle son identité actuelle : Simon, fils de Jean
- Lui donne sa nouvelle identité : Céphas, le rocher fondateur
- Entre le récit des deux premiers disciples et celui du troisième, il y a des éléments semblables et différents.
Éléments semblables :
- Dans les deux récits, il faut un intermédiaire ou messager pour introduire Jésus et quon prend le temps didentifier :
- dans le premiers cas, cest Jean Baptiste et cela se passe le troisième jour de sa prédication,
- dans le deuxième cas, cest André, le frère de Simon, qui introduit le lendemain Jésus à son frère.
- Dans les deux récits, lintermédiaire identifie explicitement Jésus,
- dans le premier cas sous le vocable dagneau de Dieu,
- et dans le deuxième cas sous celui de messie.
Éléments différents :
- Dans le premier récit,
- il y a une démarche des disciples et un dialogue avec Jésus, image dune expérience spirituelle et dun engagement libre.
- Dans le deuxième récit,
- il ny a quune simple intervention de Jésus pour donner une nouvelle identité à Simon, signe de son nouveau rôle : nous avons avant tout une présentation fonctionnelle.
- Cest comme si le premier récit présentait une biographie de tout disciple, et le deuxième récit présentait la seconde phase de la vie dun disciple alors que Jésus assigne des rôles dans la mission. En faisant cela, lévangéliste évite les répétions et décrit en deux temps le continuum de la vie du disciple.
- Analyse du contexte
- Contexte rapproché (1, 19 2, 11)
Comme nous lavons déjà fait remarquer, lévangéliste nous présente sur une période dune semaine les premiers événements du ministère de Jésus.
- Jour 1 (1, 19-28) : Témoignage de Jean Baptiste
- Jour 2 (1, 29-34) « lendemain » : allusion de manière très implicite au baptême de Jésus
- Jour 3 (1, 35-39) « lendemain » : deux disciples du Baptiste suivent Jésus
- Jour 4 (1, 40-42) : même si le mot lendemain nest pas mentionné, il faut assumer une journée différente parce que le verset 39 se termine avec « et ils demeurèrent auprès de lui cette journée-là. Cétait environ la dixième heure (4 heures de laprès-midi). », alors que cest le début du soir. En ce jour quatre, le milieu ou centre de la semaine, on nous présente le récit de lappel de Simon.
- Jour 5 (1, 43-51) « lendemain » : cest le récit de la vocation de Nathanaël.
- Jour 7 (2, 1-11) « le troisième jour », i.e. deux jours après la journée cinq : ce sont les noces à Cana. La mention du 3e jour est certainement une allusion au 3e jour de la résurrection du Christ : car les noces de Cana se terminent avec la mention quil « manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Voilà résumé en une semaine le ministère de Jésus qui se termine avec sa montée en gloire.
Puisque lévangéliste a commencé son évangile avec lexpression « Au commencement » (1, 1), et donc avec une allusion à la Genèse et à la création du monde en une semaine, en étalant également le ministère de Jésus sur une semaine il entend proclamer quen Jésus a lieu une création nouvelle, une création qui atteint son apogée avec sa résurrection.
- Contexte éloigné (ensemble de lévangile)
Ce contexte éloigné est lensemble de lévangile. Il nest pas facile dy trouver une structure. Quelquun comme R.E. Brown (The Gospel According to John. New York : Doubleday (Anchor Bible, 29), 1966-1970, 2 v.) divise lévangile ainsi : Prologue (1, 1-18), le livre des signes (1, 19 12, 50), le livre de la gloire (13, 1 20, 31) qui inclut le dernier repas, le récit de la passion, le Seigneur ressuscité qui se termine par une conclusion (20, 30-31), et un épilogue (21, 1-25 : la pêche miraculeuse). De son côté, Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80) propose une division en huit unités (1, 19 20, 1-31), précédée du Prologue et se terminant avec une conclusion (21, 1-14). Nous proposons une intégration de ces deux structures.
Prologue : 1, 1-18
Livre des signes de Jésus (1, 19 12, 50)
Signe 1 (1, 19- 2, 12) : Cana
- Première semaine dans la vallée du Jourdain : Jean Baptiste identifie lagneau de Dieu et les premiers disciples se joignent à Jésus
- Le vin des noces de Cana signe des temps nouveaux
Signe 2 (2, 13 4, 54) : guérison dun enfant à Capharnaüm
- La Pâque des Juifs
- À Jérusalem : les vendeurs chassés du temple et entretien avec Nicodème
- En Samarie : entretien avec la Samaritaine
- En Galilée : guérison dun enfant
Signe 3 (5, 1-47) : guérison dun paralysé
- Pentecôte
- À Jérusalem : guérison dun paralysé à la piscine probatique
Signe 4 (6, 1-71) : multiplication des pains
- Deuxième Pâque des Juifs
- En Galilée : multiplication des pains et discours sur le pain de vie
Signe 5 (7, 1 10, 21) : guérison de laveugle-né
- Fête des tentes
- À Jérusalem, au temple pour enseigner
- Guérison de laveugle-né
- Jésus se proclame le bon pasteur capable de guider son troupeau
Signe 6 (10, 22 11, 57) : ressuscitation de Lazare
- Fête de la dédicace
- À Jérusalem, puis au Jourdain, et enfin à Béthanie
- Ressuscitation de Lazare
Transition vers le récit de la passion (12, 1-50)
- Six jours avant la Pâque des Juifs
- À Béthanie, onction des pieds de Jésus par Marie
- Le lendemain, entrée triomphale à Jérusalem
- Des Grecs veulent le voir, et discours sur le grain qui doit mourir
Livre de la glorification de Jésus
Dernier repas (13, 1 17, 26)
Le récit de la passion (18, 1 19, 42)
Le Seigneur ressuscité ou 7e signe (20, 1-31)
Épilogue (21, 1- 25)
Le début de la constitution du groupe des disciples appartient donc à lunité autour du premier signe de Jésus. Il est tout à fait logique damorcer le récit évangélique avec cette constitution dun groupe de disciples. Cependant les disciples sont très peu identifiés dans lévangile de Jean. Et Jésus est souvent seul. Considérons les disciples quil mentionne.
- André nous reviendra à la scène de la multiplication des pains (signe 4) et dans le récit de transition à celui de la passion.
- Philippe nous reviendra dans les deux mêmes scènes.
- Quant à Simon Pierre, il joue un rôle important lors de la multiplication des pains (signe 4) en proclamant sa foi malgré la difficulté de croire, pour ensuite revenir seulement lors du dernier repas, du récit de la passion et celui de la résurrection.
- Judas Iscariote est nommé pour la première lors de la multiplication des pains (signe 4), mais il nintervient vraiment que lors du récit de transition vers la passion, et ensuite dans les récits du dernier repas et de la passion.
- Thomas apparaît pour la première au moment sapprête à aller à Béthanie (signe 6), pour ensuite revenir lors du dernier repas, puis lors du récit de la résurrection; il est mentionné lors de lépilogue.
- Nathanaël dont lévangéliste raconte la rencontre avec Jésus ne reviendra que lors de lépilogue
- Les fils de Zébédée ne seront mentionnés que lors de lépilogue.
- Jamais il ne fait référence aux disciples mentionnés par les synoptiques : Barthélemy, Jude de Jacques (ou Thaddée), Jacques dAlphée, Matthieu ou Simon le Zélote.
- Par contre, il introduit un certain « disciple que Jésus aimait » qui ne semble pas appartenir au groupe des Douze et qui fait la première fois son apparition lors du dernier repas de Jésus.
- Analyse des parallèles
Le texte en italique désigne les passages propres à un auteur, le texte en rouge les passages ou mots identiques dans les trois synoptiques, le texte en bleu ce qui est commun aux quatre évangiles, le texte en prune les mots communs à Marc, Matthieu et Jean, le texte en turquoise les mots communs à Matthieu et Jean.
Mc 1, 16-20 | Mt 4, 18-22 | Lc 5, 1-
11 | Jn 1, 35-51 |
16 Comme il passait sur le bord de la mer de
Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient
lépervier dans la mer; car cétaient des pêcheurs.
17 Et Jésus leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs dhommes."
18 Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent.
19 Et avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi
dans leur barque en train darranger les filets;
20 et aussitôt il les appela. Et laissant leur père
Zébédée dans la barque avec ses employés, ils partirent à sa suite. | 18 Comme il
cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé
Pierre, et André son frère, qui jetaient lépervier dans la mer; car cétaient des pêcheurs.
19 Et il leur dit: "Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs dhommes."
20 Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.
21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train
darranger leurs filets; et il les appela.
22 Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent." | 1 Or il
advint, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Gennésaret,
2 quil vit deux petites barques arrêtées sur le bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
3 Il monta dans lune des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de séloigner un peu de la terre; puis, sétant assis,
de la barque il enseignait les foules.
...
10 pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus
dit à Simon: "Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras."
11 Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent." | 35 Le
lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples.
36 Regardant Jésus qui passait, il dit: "Voici lagneau de Dieu."
37 Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna et, voyant quils le suivaient, leur dit: "Que cherchez-vous?" Ils lui dirent: "Rabbi - ce qui veut dire Maître --, où demeures-tu?"
39 Il leur dit: "Venez et voyez." Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. Cétait environ la dixième heure.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était lun des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus.
41 Il rencontre en premier lieu son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ.
42 Il lamena à Jésus. Jésus le regarda et dit: "Tu es Simon, le fils de Jean; tu tappelleras Céphas" - ce qui veut dire
Pierre.
43 Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée; il rencontre Philippe et lui dit: "Suis-moi!"
44 Philippe était de Bethsaïde, la ville dAndré et de Pierre.
45 Philippe rencontre Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous lavons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de
Nazareth."
46 Nathanaël lui dit: "De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon?" Philippe lui dit: "Viens et vois."
47 Jésus vit Nathanaël venir vers lui et il dit de lui: "Voici vraiment un Israélite sans détours."
48 Nathanaël lui dit: "Doù me connais-tu?" Jésus lui répondit: "Avant que Philippe tappelât, quant tu étais sous le figuier, je tai vu."
49 Nathanaël reprit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi dIsraël."
50 Jésus lui répondit: "Parce que je tai dit: Je tai vu sous le figuier, tu crois! Tu verras mieux encore."
51 Et il lui dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de lhomme."
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Un certain nombre dobservations simposent.
- Matthieu se contente de copier le récit de Marc en faisant un certain nombre damélioration stylistiques. Par exemple, chez Marc le terme « aussitôt » sapplique dabord à la réponse de Simon et André, puis ensuite à lappel de Jésus à légard des fils de Zébédée. Matthieu est plus cohérent en lappliquant dans les deux cas à la réponse des disciples à lappel de Jésus. De même, Marc utilise dabord le terme de « suivre » pour la réponse au premier appel, puis le terme de « partir à sa suite » pour le deuxième appel. Matthieu est plus cohérent et systématique en utilisant « suivre » dans les deux cas. Mais les grandes lignes des deux récits sont les mêmes :
- Cest Jésus qui prend totalement linitiative de choisir ses disciples
- Les appelés sont tous des pêcheurs
- Il les appelle à le suivre pour être pêcheurs dhomme
- La réponse des appelés est immédiate
- La réponse implique dabandonner son activité professionnelle et ses relations familiales
- Les premiers appelés sont Simon et André, suivis de Jacques et Jean, les fils de Zébédée
- Être disciple implique suivre physiquement Jésus
- La scène se passe sur les bords de la mer de Galilée
- Le récit de Luc, une scène de pêche miraculeuse, est dune autre source, une source quil partage avec Jn 21, 1-14. On repère néanmoins des éléments semblables avec le récit de Marc.
- Cest Jésus qui prend totalement linitiative de choisir ses disciples
- Les appelés sont tous des pêcheurs
- Lappel consiste à devenir pêcheurs dhommes
- Le premier appelé est Simon
- Lappel implique un abandon
- Être disciple implique suivre Jésus
- La scène se passe sur les bords de la mer de Galilée, appelée aussi lac de Gennésaret
- Mais le récit de Luc comporte des éléments différents :
- Il y a seulement Simon qui est interpellé explicitement
- André nest jamais nommé
- Il ny a pas de mention que la réponse est immédiate
- Labandon implique une dimension radicale avec le mot « tout »
- Être pêcheurs dhommes est explicité par le fait que la foule écoutait la parole de Dieu et que Jésus, dans la barque, enseignait : les appelés auront donc la responsabilité à leur tour de prêcher la parole de Dieu et denseigner
- Le récit de Jean est dune toute autre source. À part la mention de Simon et André, et le fait quêtre disciple implique suivre Jésus, et à part sa ressemblance avec Mathieu avec lintroduction du surnom de Pierre, tout est différent :
- Le premier appelé nest pas Simon, mais André et Philippe
- Jacques et Jean, fils de Zébédée sont totalement ignorés, et si ce nétait leur mention rapide dans lépilogue (Jn 21, 2), on ne saurait pas quils existent
- Nathanaël reçoit un traitement de choix, alors quil nexiste pas dans les récits synoptiques
- La scène se passe non pas sur les bords de la mer de Galilée, mais sur la rive ouest du Jourdain, au sud du pays, autour de Béthanie/Béthabara.
- On ne connaît absolument pas le métier des disciples
- Il ne sagit plus dune initiative de Jésus; au contraire, Jésus semble surpris de se voir suivi.
- Jésus a besoin quon lintroduise, dabord Jean Baptiste qui lintroduit à André et Philippe, André qui lintroduit à son frère Simon, Philippe qui lintroduit à Nathanaël
- Comme il ny a pas dappel péremptoire, devenir disciple apparaît comme une démarche qui requiert un temps de fréquentation de la personne de Jésus (« Venez et voyez »).
- Devenir disciple implique la foi : « Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. »; « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous lavons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth »; « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi dIsraël »
- Par contre, jamais on ne mentionne explicitement quil faille laisser son activité professionnelle et ses relations familiales pour être disciple.
- En fin de compte, il reste peu de choses communes aux quatre évangiles :
- Il y a dabord le fait que Simon a été parmi les premiers à le suivre
- Puis il y a le fait même quêtre disciple implique de suivre physiquement Jésus
- Que faut-il retenir de ces comparaisons pour notre analyse de Jean
- La plupart des meilleurs biblistes sentendent pour dire que, malgré le fait dêtre le plus tardif des évangiles (rédaction finale vers lan 90 ou 95), lévangile selon Jean comporte des éléments historiques plus fiables que ceux des synoptiques. Ainsi, sur le lieu et la façon dont sest constitué le groupe des disciples, il vaut mieux se fier à Jean qui le situe dans la rive ouest du Jourdain, au sud du pays. De plus, les premiers disciples de Jésus ont dabord été disciples de Jean Baptiste. Le fait pour Marc de situer la scène autour de la mer de Galilée comporte une visée catéchétique : Jésus a centré en Galilée son ministère et nest allé à Jérusalem, en Judée, que pour y mourir; rappelons-nous que le mot Galilée signifie : Cercle des nations, et donc était important pour un évangéliste qui sadresse probablement avant tout aux gens de culture gréco-romaine de Rome.
- Devenir disciple est avant tout une démarche de foi de quelquun en recherche, et donc exige quon fasse lexpérience spirituelle dune communauté de vie avec Jésus.
- On devient disciple parce que quelquun nous a introduit à Jésus, nous la fait connaître.
- Intention de l'auteur en écrivant ce passage
- Lauteur doit dabord rectifier la perception des gens sur Jean Baptiste. Au moment de la rédaction des évangiles, le groupe des baptistes était encore important. Pensons à Apollos, un homme éloquent versé dans les Écritures qui, selon les Actes des Apôtres (18, 25) ne connaissait que le baptême de Jean. Les Actes mentionnent même quil se trouvait à Éphèse (18, 24), là même où a probablement eu lieu la rédaction finale de lévangile selon Jean. Voilà pourquoi le Prologue insiste pour dire sur Jean Baptiste quil « nétait pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière » (1, 8), ou encore, « Jean lui rend témoignage et il clame: "Cest de lui que jai dit: Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce quavant moi il était." » (1, 15). Par la suite, dans les discussions du Baptiste avec les Juifs, lévangéliste nous le présente comme quelquun qui confesse quil nest ni Élie, ni le Christ, ni le prophète (1, 20-21). Et quand samorce notre passage, Jean Baptiste est tout centré sur Jésus quil désigne comme lAgneau de Dieu.
Ensuite, il insiste pour dire quon ne devient disciple de Jésus que parce que quelquun nous a introduit à lui. Le témoignage dun autre est le fondement pour entrer en contact avec Jésus. Ce fut rôle du Baptiste pour André et Philippe, ce fut le rôle dAndré pour Simon, ce fut le rôle de Philippe pour Nathanaël.
Le disciple est dabord quelquun qui est en recherche et est ouverte à toute parole qui peut combler cette recherche : « Que cherchez-vous », demande Jésus. Cest en entendant parler de Jésus comme « Agneau de Dieu » quAndré et Philippe se sont tournés vers lui. La symbolique pouvait avoir plusieurs sens : le nouveau Moïse selon limage connue dans le monde juif, ou le libérateur à limage de la sortie dÉgypte alors que le sang de lagneau avait épargné le peuple de lange destructeur. Le fait même de donner à Jésus le titre de « Rabbi » ou Maître, exprime leur désir de lumière, leur désir dêtre enseigné, leur désir dun chemin. Simon sest ouvert à la parole de son frère quand celui-ci a dit : « Nous avons trouvé le messie »; si tout son être nétait pas tendu vers ce messie, il ne se serait pas intéressé à la parole de son frère. Enfin, nous pouvons dire la même chose de Nathanaël à qui Philippe dit : « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous lavons trouvé: Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth. » (1, 45). Le Jésus de Jean sécriera plus tard : « Si quelquun a soif, quil vienne à moi » (7, 37).
Le disciple est celui qui accepte de faire une démarche (venez et voyez) auprès de Jésus et dapprendre à le connaître, et donc de vivre avec lui une forme de vie communautaire et dintimité : « Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là ». Nul doute que lévangéliste Jean a en tête sa propre communauté, lui qui écrit : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de lamour les uns pour les autres » (13, 35).
Le point tournant de la vie du disciple est celui se mettre à croire et de proclamer sa foi : « Nous avons trouvé le messie ». Plus tard Nathanaël sécrira : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi dIsraël » (1, 49). Et cette semaine se terminera avec le signe de Cana : « il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (2, 11).
En même temps, même si cest au disciple daccepter daller vers Jésus, cest ce dernier qui assigne les rôles dans la mission. Simon recevra de Jésus un nouveau nom, expression du rôle quil lui est assigné dêtre le fondement de toute une communauté.
- Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte
- Toute une symbolique sest développée autour de la figure du Baptiste : il est le précurseur, lannonciateur, lentremetteur, la voix du désert. Nous avons tous nos Jean Baptiste, i.e. des gens qui nous ont servi de courroie de transmission pour ce que nous sommes aujourdhui, qui nous ont fait découvrir des gens qui deviendront le pilier de notre vie, des gens qui nous ouvert à un pan de la réalité. En philosophie, cest un prof qui ma fait découvrir le philosophe et théologien canadien Bernard Lonergan qui exerce une si grande influence dans ma vie intellectuelle. Cest un frère en vie religieuse qui a créé un tournant dans ma vie professionnelle en morientant vers lexégèse et les études bibliques. Cest un ami qui ma parlé un jour dEtty Hillesum et qui ma ouvert à une parole si contemporaine, si profonde, si vitale. Chacun a sa propre liste. Ce quil faut retenir : nous sommes dépendants des autres qui jouent le rôle de médiateurs.
Il y a un corollaire à ce que nous venons de dire : un médiateur ou précurseur nexiste que parce quil a osé parlé. Quest-ce qui se serait passé si Jean Baptiste navait pas osé parlé? Si vraiment, comme laffirme les biblistes les plus sérieux, Jésus a dabord quitté son métier en entendant la prédication du Baptiste, cela signifie tout simplement que, sans Jean Baptiste, nous naurions pas eu ce Jésus parcourant la Palestine et proclamant le Règne de Dieu. Juste à y penser, nous pouvons en avoir le frisson. Daprès notre récit, sans Jean Baptiste qui désigne Jésus comme lagneau de Dieu, André et Philippe ne seraient jamais devenus disciples de Jésus. Sans André, Simon ne serait pas devenu disciple. Sans Philippe, Nathanaël ne serait pas devenu disciple. Comme dit Paul de Tarse : « Et comment croire sans dabord lentendre? Et comment entendre sans prédicateur? » (Romains 10, 14). Alors parlons. Cette pensée maccompagne même pour cette page Web qui mapparaît comme une demi-goutte deau dans la mer. Mais qui sait ce que Dieu peut faire avec une demi-goutte deau.
« Suivre Jésus ». Parler de « suivre » nous renvoie à un cheminement. On ne parle pas dobéir, mais daccompagner quelquun sur un chemin. Cest le chemin de la vie avec tous ses événements. Cheminer, cest apprendre, en incluant apprendre de ses erreurs. Cheminer, cest refuser de rester au même endroit et de demeurer statique. Cheminer, cest grandir. Bien sûr, aujourdhui, Jésus nest plus physiquement parmi nous. Mais en méditant ce que nous livrent le Nouveau Testament et ses meilleurs témoins, nous essayons chaque jour dêtre semblable à lui, de poursuivre son oeuvre dans notre petit monde. Jamais nous ne pourrons dire : nous sommes arrivés, nous navons plus de route à parcourir.
« Où demeures-tu? ». Cette question revient à dire : « Qui es-tu? ». Répondre à cette question prend toute une vie. À moins dêtre totalement déconnecté de la réalité, notre foi en Jésus est assaillie par la dureté et les scandales de la vie. À chaque choc de la vie, il faut renouveler sa réponse. Cest un signe de maturité que de pouvoir répondre en intégrant toutes les souffrances et tous les échecs de ce monde. Il sagit dêtre capable de mettre ensemble celui qui respire la vie et la lumière avec le crucifié.
« Le messie ». Voilà un symbole encore largement utilisé aujourdhui, en particulier dans le monde politique. Les choses nont pas beaucoup changé depuis lantiquité. Il y a quelque chose de beau et de sain dans la recherche dun messie : cest le signe dun désir de changement, le désir dun monde meilleur. Mais le défi est de trouver le messie qui sera une vraie source de libération, non pas une illusion ou un simple pansement. Il a fallu certainement une longue évolution pour que même les disciples de Jésus acceptent de passer dun messie politique à un messie de transformation intérieure (voir cet écho de la prière un peu naïve de la jeune communauté chrétienne en Actes 1, 6 : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël? ».
« Céphas » (rocher), qui deviendra « Pierre » en français par lintermédiaire du grec « Petros ». Voilà le rôle que Jésus assigne à Simon et qui se prolongera dans la communauté chrétienne. Parler de rocher, cest parler de fondement, de pierre dassises. Nous avons tous besoin de gens sur qui nous pouvons compter. Ce sont nos points de repère. Mais il y a quelque chose dà la fois émouvant et consolant de constater que celui qui a été le pilier et le rocher de la communauté chrétienne est quelquun qui a renié Jésus. À certains moments, il a eu peur et sest montré faible, mais il a su se relever et beaucoup aimé. Ce fut suffisant pour quil devienne un rocher. Voilà pourquoi la communauté chrétienne nest pas une communauté de purs ou de gens sans faille, mais une communauté de gens pardonnés qui se sont relevés et veulent apprendre chaque jour à aimer.
- Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement
- Dans plusieurs pays, des gens prennent la rue pour manifester contre les mesures daustérité gouvernementales. Tous les groupes qui sopposent proposent de bons arguments. Chacun veut le bien de lhumanité. Lévangile de ce jour peut-il proposer une parole pertinente? Ne pose-t-il pas la question : « Que cherchez-vous? ».
Dans la même veine, un débat de société est entamé sur les fonds de pension. La civilisation occidentale vieillit. Alors se pose la question : comment soutenir le nombre croissant de personnes retraitées? Qui doit en assumer les coûts? On pose alors la question de justice intergénérationnelle. La solution implique des éléments techniques. Mais cela ne touche-t-il pas néanmoins à des orientations et à des valeurs fondamentales sur lesquelles lévangile a son mot à dire? En particulier, la recherche de sécurité ne peut-elle pas facilement devenir biaisée? La vie est un cheminement, rappelle lévangile, une marche continue où on ne peut jamais dire : je suis arrivé.
On assiste à un phénomène qui semble vouloir se répandre en dehors des pays développés, comme on la vu en Chine lors de ce « vendredi noir » qui suit la fête de laction grâce américaine : les gens ont assailli les comptoirs des commerces au point dutiliser le pugilat pour sarracher les articles en vente. On a quelque chose de semblable pour le « boxing day ». Quest-ce que cela veux-dire? Lévangile napparaît-il pas « déconnecté » en parlant de marcher à la suite dun guide et dy trouver ce quon cherche?
Une mère se tord dinquiétude en voyant que sa fille présente des symptômes de sclérose en plaque et est en attente dun examen du cerveau au moyen dun appareil dimagerie par résonnance magnétique. Que dire dautre que : cest la vie? Proclamer avoir trouvé le messie, comme le fait André, est-ce seulement parler de quelquun au loin dans le ciel? Ce messie na-t-il pas opéré des guérisons? Quelle guérison cette mère peut-elle espérer?
On a trouvé la veille de Noël, nue dans la neige et à moitié morte, une petite fille de six ans des Premières Nations : elle semblait avoir été battue sévèrement. Elle était allée patiner avec des amies et fut kidnappés. On vient darrêter son agresseur, un jeune homme de vingt-et-un ans, qui sera accusé de crime sexuel et de tentative de meurtre. Quand la fille a fini par ouvrir un peu les yeux le jour de Noël, elle a demandé de voir le Père Noël. Il y a quelque chose dimmensément touchant et triste dans cette scène. Cest à limage de notre monde. Où situer dans tout cela celui quont voulu suivre André, Philippe, Simon et Nathanaël? Lagneau de Dieu na-t-il pas voulu assumer toute notre misère? Mais le chemin de lagneau nest pas celui du lion, et cest le chemin qua voulu Dieu. Quel mystère!
-André Gilbert, Gatineau, décembre 2014
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