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Michel Gourgues, Croce, dans G. Ravasi, R. Penna, G. Perego (ed.), Dizionario dei Temi Teologici della Bibbia. Balsamo: Edizioni San Paolo, 2010, pp. 254-262.
(Texte intégral)
Michel Gourgues, de lOrdre des frères prêcheurs, est professeur titulaire à la Faculté de théologie du Collège universitaire dominicain dOttawa, Canada, et responsable des cours sur le Nouveau Testament. Né le 22 août 1942, il est entré chez les dominicains en 1963, a fait profession religieuse le 4 août 1964, et a été ordonné prêtre le 30 mai 1970. Après avoir complété ses études en philosophie et en théologie au Collège universitaire dominicain dOttawa, il a obtenu son doctorat en 1976 à lInstitut catholique de Paris. Il est également élève titulaire de lÉcole biblique et archéologique française de Jérusalem. Michel Gourgues est lauteur de nombreuses publications. Signalons entre autres :
- A la droite de Dieu. Résurrection de Jésus et actualisation du Psaume 110:1 dans le Nouveau Testament. Paris : Gabalda (Études Bibliques), 1978.
- Les psaumes et Jésus Jésus et les psaumes, Cahiers Évangile no 25. Paris : Cerf, 1978.
- Jésus devant sa passion et sa mort, Cahiers Évangile no 30. Paris : Cerf, 1979.
- Lan prochain à Jérusalem. Approche concrète de lespérance biblique, La Vie Spirituelle 639. Paris : Cerf, 1980.
- Lau-delà dans le Nouveau Testament, Cahiers Evangile no 41. Paris : Cerf, 1982.
- « Pour que vous croyiez... » Pistes dexploration de lévangile de Jean. Paris : Cerf, 1982.
- Le défi de la fidélité Lexpérience de Jésus. Paris : Cerf (Lire la Bible, 70), 1985.
- (Collaboration) À cause de lÉvangile. Études sur les Synoptiques et les Actes offertes au Père Jacques Dupont, o.s.b., à loccasion de son soixante-dixième anniversaire. Paris : Cerf (Lectio Divina, 123), 1985.
- (Collaboration) LAltérité. Vivre ensemble différents. Actes dun colloque pluridisciplinaire pour le 75e anniversaire du collège dominicain de philosophie et théologie, Ottawa, 4-6 oct. 1984. Paris-Montréal : Cerf-Bellarmin (Recherches, 7), 1986.
- Mission et communauté (Actes des Apôtres 1-12) , Cahiers Evangile no 60. Paris : Cerf, 1988.
- Le Crucifié. Du scandale à lexaltation. Montréal- Paris : Bellarmin-Desclée (Jésus et Jésus-Christ, 38), 1988
- LÉvangile chez les païens (Actes des Apôtres 13-28) , Cahiers Évangile no 67. Paris : Cerf, 1989.
- Prier les hymnes du Nouveau Testament, Cahiers Évangile no 80. Paris : Cerf, 1992.
- Jean, de lexégèse à la prédication I. Carême et Pâques Année A. Paris : Cerf (Lire la Bible, 97), 1993.
- Jean, de lexégèse à la prédication II. Carême et Pâques Année B. Paris : Cerf (Lire la Bible, 100), 1993.
- Luc, de lexégèse à la prédication. Carême et Pâques Année C. Paris : Cerf (Lire la Bible, 103), 1994.
- Cinquante ans de recherche johannique. De Bultmann à la narratologie, dans « De bien des manières ». La recherche biblique aux abords du XXIe siècle. Actes du Cinquantenaire de lACEBAC (1943-1993) édités par Michel Gourgues et Léo Laberge. Paris : Cerf (Lectio Divina, 163), 1996.
- Préface à louvrage Les Patriarches et lhistoire. Autour dun article inédit du père M.-J. Lagrange, o.p. Paris : Cerf (Lectio Divina), 1998
- La vie et la mort de Jésus. Une même dynamique, dans Mourir, Christus 184. Paris : IHS, 1999.
- Les paraboles de Jésus chez Marc et Matthieu - Damont en aval. Montréal : Médiaspaul, 1999.
- Jean-Marie Tillard, o.p. (1927-2000), La Vie Spirituelle 738. Paris : Cerf, 2001.
- Jésus et son père, dans La paternité pour tenir debout, Christus 202. Paris : IHS, 2004.
- Partout où tu iras... : Conceptions et expériences bibliques de lespace, en collaboration avec Michel Talbot. Montréal : Médiaspaul, 2005.
- En ce temps-là... , en collaboration avec Michel Talbot. Montréal : Médiaspaul, 2005.
- En esprit et en vérité. Pistes dexploration de lévangile de Jean. Montréal : Médiaspaul, 2005.
- « Laisse donc voir ! » [Matthieu 5, 3-16] , La Vie Spirituelle 763. Paris : Cerf, 2006.
- Serviteurs du Christ à la naissance de lÉglise. Paris : Cerf (Biblia, 64), 2007.
- Marc et Luc : trois livres, un Évangile : Repères pour la lecture. Montréal : Médiaspaul, 2007.
- Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite. Paris : Cerf (Commentaire biblique : Nouveau Testament, 14), 2009.
- « Souviens-toi de Jésus Christ » (2 Tm 2,8.11-13) : De linstruction aux baptisés à lencouragement aux missionnaires, dans Les Hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. Paris : Cerf (Lectio Divina, 225), 2009.
- « Croce », dans G. Ravasi, R. Penna, G. Perego (ed.), Dizionario dei Temi Teologici della Bibbia. Balsamo: Edizioni San Paolo, 2010, pp. 254-262.
- Je le ressusciterai au dernier jour : la singularité de lespérance chrétienne. Paris : Cerf (Lire la Bible, 173), 2012
- Les pouvoirs en voie dinstitutionnalisation dans les épîtres pastorales, dans Le Pouvoir Enquêtes dans lun et lautre Testament. Paris : Cerf (Lectio Divina, 248), 2012.
- Ni homme ni femme : lattitude du premier christianisme à légard de la femme : évolutions et régressions. Paris-Montréal : Cerf-Médiaspaul (Lire la Bible), 2013
- Les formes prélittéraires, ou lÉvangile avant lÉcriture, dans Histoire de la littérature grecque chrétienne, 2. De Paul apôtre à Irénée de Lyon. Paris : Cerf (Initiations aux Pères de lÉglise, 2013.
La croix
Sommaire
La crucifixion de Jésus est dabord un événement qui a eu lieu le 7 avril de lan 30: mis en croix à 9 heures du matin, il meurt vers 3 heures de laprès-midi, la veille du sabbat qui tombait cette année-là le même jour que la Pâque juive. Par la suite, ses disciples et les communautés chrétiennes vont vivre un cheminement en trois étapes.
La première étape est celle de parler de la mort de Jésus tout en étant discret sur sa crucifixion. Cest ce quon observe dans les premières confessions de foi qui ne parlent que de mort et de résurrection, comme celle cité par Paul en 1 Th 4,14 (« Nous croyons que Jésus est mort et ressuscité ») ou dans les hymnes anciens qui présentent la mort de Jésus comme une obéissance extrême (voir Ph 2,6-11). Dans ce quon peut reconstituer de la prédication chrétienne primitive (en particulier à travers les Actes des Apôtres), il semble difficile déviter le fait connu de sa crucifixion, mais on insiste aussitôt sur sa résurrection par Dieu, dans une réaction très défensive.
Dans une deuxième étape lapprofondissement de la croix amènera à reconnaître que Dieu a voulu cet état de faiblesse, comme on le voit chez Paul, afin de détruire les prétentions humaines à la sagesse et dinsister sur la façon de Dieu dintervenir au coeur de notre faiblesse et sur sa puissance qui a ressuscité Jésus. Ou encore, on reconnaîtra le côté pénible de la croix pour aussitôt inviter le chrétien à suivre ce modèle dendurance (voir He 12, 2). En même temps, la relecture de cet événement à laide de lÉcriture, en particulier le 4e chant du Serviteur dIsaïe (52,13-53,12), introduit lidée de la valeur sotériologique de cette mort (voir 1 P 2, 22-25 : « lui-même dans son corps sur le bois il a porté nos péchés afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice »). De plus, comme cette mort fut sanglante, on la rapproche des sacrifices pour les péchés et du rite dexpiation pour les péchés, comme celui du Yôm Kippur.
Dans la troisième étape apparaît dans les récits évangéliques de la passion. Tout dabord, ils font encore écho de la grande discrétion des chrétiens sur la croix, si bien que celle-ci napparaît que lors de la condamnation de Jésus par Pilate. Ensuite, on insiste sur son innocence, en particulier à travers les affirmations de Pilate. Mais ce qui caractérise cette étape est le développement des références à lÉcriture si bien que les divers moments de la passion trouvent enfin une signification. Il y a même plus. On se tourne vers le chrétien pour lui dire : si quelquun veut se mettre au service de lÉvangile, il doit lui aussi se charger de sa croix, i.e. être prêt aux renoncements ou arrachements découlant de son choix de suivre le Christ.
Note: Texte intégral français du texte publiée en italien.
Table des matières
- Introduction.
- Les plus anciens témoignages.
- Credos
- Hymnes
- Kérygme;
- Silence, discrétion et réactions de défense.
- La crucifixion : larrière-fond culturel.
- La pratique
- Dans lAntiquité
- En Palestine
- La vision.
- « Folie pour les païens »
- « Scandale pour les juifs »
- Le temps de la maturation : deux lignes dapprofondissement.
- La ligne existentielle.
- Point sommet dune dynamique dexistence (Ph 2,8).
- Expression de faiblesse (2 Co 13,4).
- Expression dendurance (He 12,2).
- Faiblesse du Christ et faiblesse de Dieu (1 Co 1-2).
- La ligne sotériologique.
- « Selon les Écritures » (1 P 2,22-25; Ga 3,13).
- Le sang de la croix (Col; Ep).
- Les récits de la passion.
- Reflets du cheminement des communautés.
- Lieux de vérification.
- Discrétion.
- Attitude défensive.
- Approfondissement du mystère.
- Croix du Christ et croix des chrétiens.
- Conclusion.
- Introduction.
7 avril 30 : cest la date la plus probable à laquelle les sources chrétiennes amènent les historiens à situer la crucifixion de Jésus. Mis en croix à 9 heures du matin selon Mc 15,25, un peu après midi selon Jn 19,14, Jésus meurt vers 3 heures de laprès-midi (Mc 15,34), la veille du sabbat (Mc 15,42) où tombait cette année-là la Pâque juive (Jn 19,14). En dehors des récits évangéliques, lévénement est signalé vers 75 par Flavius Josèphe (Ant., XVIII,63-64) et vers 115 par Tacite (Annales, XV,44), qui le rattachent tous deux à une condamnation de Ponce Pilate (26-36). À ce terme a quo répond comme terme ad quem, près de trois générations plus tard, la théologie évoluée du quatrième évangile. La croix y est vue, non plus comme le scandale quelle avait été au point de départ, mais comme le premier moment de lHeure de Jésus et, avec la résurrection, partie intégrante de son exaltation (3,14; 8,28; 12,32-33) et de sa glorification (12,23.34). Entre ces deux termes, le donné néo-testamentaire permet de discerner trois étapes par lesquelles passa lapprofondissement croyant du mystère de la croix. En témoignent successivement les formulaires prépauliniens (entre 30 et 50), les lettres (entre 50 et 70) et finalement les évangiles, en particulier les récits de la passion (entre 70 et 100).
- Les plus anciens témoignages.
Comme témoins des 20 ans séparant la mort de Jésus de la rédaction de 1 Th, la première lettre de s. Paul, il ne nous reste que des fragments. Parfois de quelques mots, parfois de quelques lignes, plus ou moins faciles à repérer, ils sont disséminés ici et là dans le N.T., en particulier dans les lettres.
- Credos
Les formulaires de premier type, credos ou confessions de foi, sont parfois introduits plus ou moins explicitement comme des citations. 1 Th 4,14 est typique de ce point de vue: « Nous croyons que Jésus est mort et ressuscité ». La mort et la résurrection de Jésus : les formulations peuvent varier mais ce noyau essentiel est toujours le même : « Dieu a ressuscité Jésus dentre les morts » (cf. Rm 4,24; 10,9); « il est mort et revenu à la vie » (Rm 14,9). Plus élaborée parfois, la proclamation ne se contente pas daffirmer le fait de la mort-résurrection mais exprime quelque chose de sa portée salvifique. Ainsi en est-il dans le credo ancien cité par Paul en 1 Co 15,3-5 : « Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures (...), il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures ». De même en Rm 4,25, où lon discerne en filigrane le langage du 4e chant du Serviteur dIs 52,13-53,12: « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification », ou plus simplement en 2 Co 5,15 : « ...celui qui est mort et ressuscité pour eux ». Ces proclamations anciennes de la foi, si elles font toutes mention de la mort de Jésus, ne font état nulle part de sa modalité concrète. « Mort pour nous », « mort pour nos péchés », « livré pour nos fautes », mais jamais « crucifié » ou « crucifié pour nous ».
- Hymnes
À côté des credos, les premiers écrits chrétiens font encore écho aux hymnes, en général plus développés et de genre plus lyrique. Pas toujours reproduits littéralement, il est parfois malaisé dy démêler tradition et rédaction. Ainsi, dans lhymne magnifique cité par Paul en Ph 2,6-11 et célébrant le mystère du Christ selon un schéma abaissement (v. 6-8) / exaltation (v. 9-11), la mention de la croix sinsère juste au point charnière entre ces deux versants (v. 8b). Mais divers indices portent à y voir une addition de Paul. Les deux strophes de la première partie présentent un jeu de correspondances et de symétries dans la construction, les idées et le vocabulaire :
6a lui étant en forme de Dieu | 7c devenant en similitude des hommes |
6b ne considéra pas comme une proie dêtre à égalité avec Dieu | 7d et ayant été trouvé à laspect comme un homme |
7a mais il se vida lui-même | 8a il sabaissa lui-même |
7b ayant pris une forme desclave | 8b devenant obéissant jusquà la mort |
| (et la mort de la croix) |
La clause finale du v. 8 (« et la mort de la croix »), comme on peut voir, ne trouve pas délément correspondant dans la première strophe. En revanche, une insistance sur le paradoxe de la croix apparaît tout à fait conforme à la théologie de Paul (1Co 1-2; 2 Co 13,4; Ga 3,13; 5,11; 6,14), qui aura ainsi voulu souligner le caractère extrême de lobéissance de Jésus. Il est aussi question de la croix dans la clause finale de lhymne de Col 1,15-20, qui apparaît comme lécho dun formulaire existant, dinspiration sapientielle et célébrant la primauté du Christ dans lordre de la création (vv. 15-17) et du salut (v. 18-20). Ici encore, il semble que la mention de la croix (« ayant fait la paix par le sang de sa croix ») ne faisait pas partie du formulaire utilisé par Paul. Le vocabulaire et les thèmes de ce passage se retrouvent en effet ailleurs dans les lettres de la captivité, notamment en Ep 2,13-16 où figure également la mention de la croix. Pour le reste, celle-ci est absente dans les autres vestiges de genre hymnique (e.g. 1 Tm 3,16; 2 Tm 2,8.11-12; Ep 1,3-14; 1 P 3,18-22) identifiés comme témoins du premier christianisme.
- Kérygme.
On reconnaît généralement un écho de la prédication chrétienne primitive dans les discours de Pierre rapportés dans la première partie des Actes des Apôtres (Ac 2,14-36; 3,12-26; 4,8-12; 5,29-32; 10,34-43) et dans celui de Paul en Ac 13,16-41. Tout en étant composés par lauteur des Actes, ces discours se rapprochent des credos et des hymnes en tant quils ont comme noyau central la même proclamation de la mort et de la résurrection de Jésus :
Ac 2, 22-24 | 2, 36 | 3, 13-15 | 4, 10 | 5, 30 | 10, 38-40 | 13, 28-30 |
Jésus le Nazôréen... | Ce Jésus | Jésus... | Jésus Christ Le Nazôréen | Jésus | Jésus de Nazareth... | Celui-là... |
vous lavez fait mourir en le clouant par la main des impies | que vous vous avez crucifié | le prince de la vie que vous avez fait mourir | que vous vous avez crucifié | que vous vous avez fait mourir layant pendu au bois | quils ont fait mourir layant pendu au bois | ils ont demandé à Pilate de le faire mourir |
lui, Dieu la relevé, le délivrant des liens de la mort | Dieu la fait Seigneur et Christ | lui, Dieu la réveillé des morts | que Dieu a réveillé des morts | le Dieu de nos pères (l)a réveillé | lui, Dieu la réveillé le troisième jour | lui, Dieu la réveillé des morts |
Comme il ressort de la section centrale de ce schéma, où se trouve la mention de la mort de Jésus, la proclamation essentielle de quatre des six discours, à la différence des hymnes et des credos, comporte celle de la crucifixion : deux fois le verbe « crucifier » (stauroô ), deux fois lexpression « pendre au bois » et une fois le verbe « clouer » (prospègnymi). En fut-il bien ainsi aux origines ou faut-il attribuer à Luc davoir ainsi précisé la modalité de la mort de Jésus? De toutes manières, la formulation doit se souvenir dune réaction effective de la première prédication chrétienne. On constate que, partout où elle figure, sous lune ou lautre des trois formes, la mention de la croix est accompagnée de celle de résurrection ou de lexaltation de Jésus. Et dans tous les cas, lintervention négative des chefs juifs contre Jésus est mise en opposition avec lintervention positive de Dieu en sa faveur. On sent là une attitude défensive soucieuse de bien préciser que, si Jésus eut à subir la croix, ce fut en raison de linjustice des humains et non par suite dune réprobation ou dun châtiment de Dieu. En 5,30 et 10,39 en particulier, on trouve lexpression « pendu au bois » (5,30; 10,39). Cest celle qui figure dans le texte grec de Dt 21,22-23. Ce passage déclare maudit de Dieu celui qui, trouvé « coupable dun crime capital », a été mis à mort et dont le corps, pour bien marquer linfamie et servir de mesure dissuasive, a été exposé publiquement sur un arbre. Or, les écrits de Qumrân (4 QpNahum; 11 QTemple) manifestent quau temps de Jésus lhabitude était déjà prise dassimiler lexpérience des crucifiés à celle des pendus décrite dans ce texte de lA.T. Dès lors, la première prédication chrétienne en milieux juifs dut se heurter à la difficulté selon laquelle Jésus, étant mort en croix, était maudit de Dieu. Paul lui-même, en Ga 3,13, dans un contexte polémique à légard du judaïsme, fait écho à cette objection que réfuteront encore au 2e Justin (Tryph., 23) et Tertullien (Adv. Jud., 10). Linsistance des Actes apparaît alors comme une réaction de défense face aux difficultés soulevées par la prédication de la croix : non, Jésus nétait pas maudit de Dieu; au contraire, celui-ci la ressuscité.
- Silence, discrétion et réactions de défense.
Ainsi donc, la première proclamation de la foi chrétienne a évité de faire porter lattention sur la croix. Même une fois apprivoisée lidée de la mort de Jésus et perçue sa signification fondamentale, les disciples ne se montrèrent guère enclins à insister sur la façon dont il était mort. Cette attitude était dictée moins par la honte, sans doute, que par le sens pastoral. Elle est facile à comprendre lorsquon considère ce que représentait au 1er s. la peine de la crucifixion.
- La crucifixion : larrière-fond culturel.
- La pratique
Lune des premières attestations littéraires de la pratique de la crucifixion apparaît au 5e s. av. J.C. chez Hérodote (Hist. VII,194) qui lattribue à Darius, roi des Perses. Ce mode dexécution capitale devait survivre jusquà son abolition par Constantin au 4e s. ap. J.C.
- Dans lAntiquité
Connue de Platon qui y voit le pire des supplices (Gorgias, 473c), le châtiment de la croix, sil faut en croire le témoignage tardif de Curtius Rufus (Hist. Alex. IV,4,17), était déjà infligé sous Alexandre le Grand, avant de se répandre à lépoque hellénistique dans certaines régions, dont la Grèce elle-même (Diodore Sic., XIX,67,2; XX,103,6). Nombre de crucifixions individuelles (Diodore Sic., XXV,5,2; 10,2) et collectives (Id., XXVI,23,1; Polybe, I, 24,6; 86,4-5; Tite-Live, XXVIII,37,2) sont rapportées en particulier à Carthage, doù la pratique, bien attestée chez plusieurs auteurs, devait passer chez les Romains dès lépoque de la République et se poursuivre sous lEmpire (à partir de 27 av. J.C.).
- En Palestine
Selon Flavius Josèphe, la Palestine fut le théâtre de crucifixions multiples, depuis le temps dAntiochus Épiphane (175-164 av. J.C.) jusquà la destruction de Jérusalem en 70 ap. J.C., alors que, les victimes étant si nombreuses, « on manquait de place pour les croix et de croix pour les corps » (Bell. II,451). La plupart furent ordonnées par des chefs étrangers, soit Antiochus lui-même (Ant. XII,256), soit des représentants locaux du pouvoir romain, légats de Syrie (Bell. II,75; Ant. XX,130), procurateurs de Judée (Ant. XX,102; Bell. II,253.308) ou chefs darmée romaine (Bell. II,321.449-451). Lune des plus meurtrières eut cependant pour auteur un chef juif, Alexandre Jannée (v. 88 av. J.C.) qui, « poussé à un crime impie, fit crucifier en pleine ville 800 prisonniers (juifs) » (Bell. I,97; Ant. XIII,380). Josèphe ne rapporte cependant aucune crucifixion massive durant la 1e moitié du 1er s., mais seulement des crucifixions individuelles, dont celle de Jésus sous Ponce Pilate.
- La vision.
- « Folie pour les païens »
La crucifixion, communément désignée à lépoque romaine comme « supplice des esclaves » (servile supplicium), que les auteurs, à part Sénèque (Ad Lucil. 101,10-14), répugnent même à décrire, fait lobjet dun jugement unanime. Il trouvera son expression célèbre chez Cicéron qualifiant la croix comme « la forme de torture la plus cruelle et la plus répugnante », « le supplice extrême et le plus infamant quon inflige à des esclaves » (Act. Sec. in Verr. V,163.169). On comprend que, dans un tel contexte, la prédication dun Messie crucifié ait pu apparaître comme une « folie » (1 Co 1,23), ce dont témoignera lune des plus anciennes représentations graphiques de la croix, graffiti sarcastique découvert au mont Palatin et montrant un chrétien en vénération devant un crucifié à tête dâne.
- « Scandale pour les juifs »
« La plus pitoyable des morts » : ce jugement, qui rejoint celui des auteurs païens est celui de Flavius Josèphe (Bell. VII,202), qui ne peut sempêcher de dénoncer « le caractère inouï de la cruauté des Romains » (Bell. II,308). Sa façon de souligner que les Juifs sempressent denlever les corps des crucifiés avant le coucher du soleil (Bell. IV,317) est un indice que ce mode dexécution devait apparaître particulièrement répugnant. À cela sajoutait dans le judaïsme un motif de réprobation dordre théologique, appuyé sur lÉcriture. Selon linterprétation signalée plus haut de Dt 21,23, le crucifié tombait en effet sous le coup de la malédiction divine. Un lourd handicap pesait au départ sur une prédication chrétienne destinée à des auditoires juifs.
- Le temps de la maturation : deux lignes dapprofondissement.
Lapprofondissement progressif du mystère de la croix dont témoignent les lettres du N.T. seffectua dans une double direction : dune part, en relation avec Jésus lui-même et sa propre existence; dautre part, en relation avec lhumanité et les croyants.
- La ligne existentielle.
- Point sommet dune dynamique dexistence (Ph 2,8).
Nous avons vu que la mention de la croix au coeur de lhymne de Ph 2,6-11 paraît avoir été ajoutée par Paul. Elle nen est pas moins prégrante de signification dans le texte tel quil se présente. Pour une part, la croix est reliée à lensemble de lexistence historique de Jésus : « obéissant jusquà (mechri) la mort de la croix ». Manifestation extérieure dune disposition intérieure, elle apparaît ainsi comme sommet et expression ultime dune dynamique dexistence caractérisée par l« obéissance », cest-à-dire la transparence et la communion au vouloir de Dieu. Non détachable de ce qui la précédé, la croix ne lest pas davantage de ce qui la suivi : « cest pourquoi (dio kai) Dieu la sur-exalté... ». Au oui de Jésus à Dieu a répondu le oui de Dieu à Jésus. Expression de communion et de fidélité à Dieu, la croix est aussi représentée en Ph 2,6-8 comme lieu de communion à la condition et au destin humains : « trouvé à son aspect comme un homme, il sabaissa lui-même... jusquà la croix ».
- Expression de faiblesse (2 Co 13,4).
Des Corinthiens reprochaient à Paul une certaine faiblesse : « Les lettres, dit-on, sont énergiques et sévères. Mais quand il est là physiquement, il est faible et sa parole est nulle. » (2 Co 10,10). Puisquil est question de faiblesse, réplique Paul, ne peut-on évoquer le précédent du Christ lui-même : « il a été crucifié du fait de la faiblesse, mais il vit de la puissance de Dieu » (13,4a)? Appliquée au Christ, la faiblesse ne peut être entendue ici au sens dune incapacité de dominer une situation, comme celle que lon reprochait à Paul, ni dune vulnérabilité dordre moral ou autre (12,9). Il sagit plutôt dans le contexte dun refus de dominer de façon autoritaire, de simposer par la force : au lieu de saffirmer ainsi, le Christ sest livré à la merci des humains, au point de subir la croix À son attitude de « faiblesse » a répondu lintervention puissante de Dieu qui la ressuscité. Comme en Ph 2,6, cette intervention de Dieu en faveur de Jésus répond à une qualité dexistence : là, lobéissance et la disponibilité à légard de Dieu, ici, lattitude humble et pauvre à légard des autres.
- Expression dendurance (He 12,2).
Le chapitre 12 de lépître aux Hébreux souvre par une exhortation aux croyants, comportant à chaque verset le verbe hypomenô (12,2.3) ou le substantif hypomonè (12,1). Dans le contexte, lidée est celle dendurance, de résistance ou de constance, associée quelle est à limagerie de lépreuve sportive, sorte de course à obstacle où quelquun a à triompher de difficultés (v. 1) en allant jusquau bout sans défaillir (v. 3). À deux reprises (12,1-4), lobstacle à vaincre est identifié au péché qui assiège les croyants (12,1.4). Avant eux, le Christ lui-même, tel un chef de file, a connu une épreuve semblable, non quil ait subi, comme les croyants, lassaut du péché, mais plutôt quil en a été la victime, ayant eu à supporter de la part des pécheurs une opposition qui devait le mener jusquà la croix. La mort de Jésus est ainsi évoquée sous la modalité concrète de la croix, elle-même représentée comme une expérience pénible et possédant un caractère de disgrâce. Devant elle Jésus na pas reculé, il a « couru lépreuve jusquau bout ».
- Faiblesse du Christ et faiblesse de Dieu (1 Co 1-2).
La croix du Christ constitue le coeur de la prédication chrétienne : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Co 1,23). Paul y revient un peu plus loin à propos de sa propre prédication : « Je nai voulu savoir parmi vous rien dautre que Jésus Christ et lui en tant que crucifié » (1 Co,2,2). Ces proclamations de la place centrale de la croix avaient déjà été anticipées en 1,13 et 1,17 dans la réaction de Paul à une certaine prétention à la sagesse de la part des Corinthiens. Rien de moins sage et de moins puissant à vue humaine que la croix du Christ. À travers elle, Dieu a montré que sa puissance peut agir à travers des moyens faibles. Ainsi, alors que 2 Co voyait dans la croix la manifestation de la faiblesse du Christ, 1 Co y voit celle de « la faiblesse de Dieu » qui sest révélée « plus forte que les hommes » (1,25). Dans le Christ crucifié, folie aux yeux du monde, sest manifestée la sagesse de Dieu (1,21.23).
- La ligne sotériologique.
À côté des textes exprimant ce qua représenté la croix pour Jésus lui-même, dautres rendent compte de ce quelle a représenté pour les croyants. Non plus seulement « le Christ crucifié » mais le Christ « crucifié pour vous ».
- « Selon les Écritures » (1 P 2,22-25; Ga 3,13).
1P 2,22-25 introduit le modèle du Christ pour encourager des esclaves chrétiens. À lexhortation de 2,20 à faire le bien et à souffrir avec patience répond en 2,22-23 lévocation de la figure du Christ qui na pas fait le mal et qui, ayant eu à souffrir, ne menaçait pas. De même, à la proclamation de 2,21, « Christ a souffert pour vous », répond celle de 2,24 qui vient en préciser le sens : « lui-même dans son corps sur le bois il a porté nos péchés afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ». Ce passage de 1 P 2,22-25 paraît refléter tout un cheminement des communautés. On y reconnaît dabord la référence au 4e chant du Serviteur dIsaïe (52,13-53,12). Ce texte dut jouer un rôle-clé dans linterprétation de la mort de Jésus; pas moins dune dizaine de passages du N.T. sy réfèrent en effet plus ou moins explicitement. À la lumière de la résurrection, on comprit que la mort de Jésus, dabord ressentie comme absurde et scandaleuse (Lc 24,19-20), avait un sens dans le dessein de Dieu. Pour le discerner, on se tourna naturellement vers les Écritures (Lc 24,25-27) et, à partir du texte dIsaïe, on en vint à proclamer : « Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ». Mais comment rendre compte de cette conviction de foi? Comment rendre compte de la portée rédemptrice de la mort de Jésus? 1 P retient une voie dexplication qui, elle aussi, doit refléter la méditation des communautés. En proclamant « il a pris sur lui nos péchés dans son corps sur le bois », 1 P 2,24 paraît faire allusion à Dt 21,23. Pour ce texte, la pendaison sur le bois est un traitement réservé à des « pécheurs » : « Sil sest trouvé en quelquun un péché passible de mort et que vous layez pendu au bois... » (LXX). En mourant sur la croix, Jésus a donc connu la mort dun pécheur. Pourtant, comme lavait souligné 1 P 2,22, le Christ navait « pas commis de péché ». Dès lors, sil est mort comme un pécheur, mais sans avoir péché lui-même, cest nos péchés à nous quil a pris sur lui (2,24a). Une argumentation de même type se trouve en Ga 3,13 qui cite explicitement Dt 21,23. À partir de ce même texte, Paul tient, en relation avec la malédiction, le même raisonnement que 1 P en relation avec le péché. La Loi, argumente-t-il, considère comme maudit celui qui « pend au bois ». En mourant « pendu », cest-à-dire crucifié, le Christ a donc assumé la malédiction de la Loi, de sorte que nous en sommes libérés. Reprenant ainsi une donnée traditionnelle liée à la polémique juive, Paul la retourne complètement : dobjection à lencontre de la mort en croix, elle devient fondement de sa portée salvifique.
- Le sang de la croix (Col; Ep).
Crucifié, Jésus avait connu une mort sanglante. Mort dont on proclamait par ailleurs quelle avait procuré la rémission des péchés. La jonction de ces deux données amena à penser la mort de Jésus en référence au régime sacrificiel de lA.T. Ce rapprochement dut aider surtout les communautés dorigine juive, pour qui « sans effusion de sang, il ny a pas de rémission » (He 9,22), à comprendre que « Jésus a souffert hors de la porte afin de sanctifier le peuple par son propre sang » (He 13,12). Cest ainsi quen Rm par exemple, la mort de Jésus est rapprochée tantôt du sacrifice du Yôm Kippur (3,25), tantôt du sacrifice pour les péchés (8,3). Mais cest seulement en Col 1,20 et en Ep 2,13.16 que le sang est explicitement mis en relation avec la croix. Dans ces deux passages cependant, leffet de la mort du Christ y est exprimé, non pas en termes de rédemption et dexpiation des péchés, mais en termes positifs (réconciliation avec Dieu, rapprochement entre Juifs et païens).
- Les récits de la passion.
Pour lessentiel, les quatre récits, depuis larrestation de Jésus (Mc 14,43) jusquà son ensevelissement (Mc 15,47), présentent les mêmes éléments dans le même ordre. En se laissant guider par la prédiction de Jésus en Mt 26,2, on peut distinguer dans cet ensemble qui nous intéresse particulièrement deux parties :
| Mt | Mc | Lc | Jn |
1) Jésus est livré | 26,47-27,31 | 14,43-15,20 | 22,47-23,25 | 18,2-19,16a |
2) Jésus est crucifié | 27,32-61 | 15,21-47 | 23,26-56 | 19,16b-42 |
- Reflets du cheminement des communautés.
Les auteurs sont divisés quant aux façons dexpliquer cette proximité des récits. On suppose généralement quil a dû exister assez tôt un récit primitif qui, selon certains, pouvait débuter avec lépisode de larrestation et qui serait sous-jacent aux quatre récits, lesquels résulteraient alors dune longue évolution. Il est frappant en tout cas dobserver que les traits majeurs que nous avons retracés dans le cheminement des communautés en regard de la croix de Jésus (silence et discrétion, attitude défensive, approfondissement progressif) se retrouvent dans les récits de la passion.
- Lieux de vérification.
- Discrétion.
Mise à part la notation propre à Mt 26,2, le langage de la croix (verbe stauroô et substantif stauros) napparaît quà partir du récit de la condamnation par Pilate (Mc 15,13) et selon les fréquences suivantes : 16 fois en Jn, 11 en Mc, 10 en Mt, 5 en Lc. Ainsi, le quatrième évangile, où se manifeste davantage l« apprivoisement théologique » de la croix, ne témoigne apparemment daucune réserve à en faire mention. Chez Luc, à linverse, tout se passe comme si lui ou une tradition antérieure dont il dépendrait avait voulu éviter le plus possible den faire état. Si lon soustrait des 5 emplois lucaniens les 3 « Crucifie-le » proférés lors de la condamnation (Lc 23,21.23), il nen reste que deux, en 23,26 (le portement de la croix) et 23,33 (la mise en croix), soit le minimum non dissimulable en quelque sorte, sans lequel on ne connaîtrait pas la modalité concrète de la mort de Jésus. Certaines omissions en particulier (ex. 23,29.35) apparaissent révélatrices quand on compare le récit de Luc à celui des autres. À légard de la croix, « folie pour les païens », faut-il attribuer à Luc ou au récit dont il dépend une réticence à en parler semblable à celle de la première génération? Pour quelque raison, la réserve observée aux origines aurait-elle dans certains cas perduré dans la suite?
- Attitude défensive.
Quand on compare les récits, on voit encore saccentuer de lun à lautre une tendance à souligner linnocence de Jésus : 3 fois en Mc, 5 en Mt, 7 en Lc et 7 en Jn. Chez Luc par exemple, Pilate énonce à quatre reprises (23,4.14.15.22a) son verdict dinnocence et par trois fois (23,16.20.22b) son intention de relâcher Jésus. Une telle insistance ne cherche-t-elle pas à parer au scandale de la croix en désamorçant chez lauditeur du récit le soupçon que, si Jésus a été crucifié par le pouvoir romain, ce ne devait pas être sans raison. Au contraire, insiste Luc, ni Pilate ni Hérode nont été convaincus un seul moment de la culpabilité de Jésus. Comme Pierre laffirmera aux chefs juifs en Ac 3,13 : « Vous lavez livré et rejeté en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher ». On nest pas très loin, finalement, de lattitude défensive dont témoignait le kérygme originel en faisant voir dans la crucifixion un traitement injuste dont les chefs du peuple portent la responsabilité : « ...ce Jésus que vous avez crucifié » (Ac 2,36; 4,10).
- Approfondissement du mystère.
Ce qui frappe dans la dernière partie du récit de la passion (Mc 15,21-47), surtout lorsquon la compare à la précédente (Mc 14,43-15,20), cest labondance des références à lÉcriture. Aux 4 ou 5 présentes en Mc, il sen ajoute 4 autres en Mt, 3 autres encore en Lc et 2 en Jn. Si bien que, finalement, ce sont presque tous les épisodes entourant immédiatement la mort de Jésus, depuis la crucifixion jusquà la descente de la croix, qui ont été lus à la lumière de lÉcriture, quil sagisse du partage des habits, des injures des passants, de lobscurité apparue sur la terre entière, du grand cri poussé par Jésus, du déchirement du rideau du Temple, de la reconnaissance du centurion ou du coup de lance. Ainsi, la méditation chrétienne, petit à petit, a cherché à saisir et à exprimer le sens et la portée de la mort du crucifié, tout comme en témoignaient les passages des lettres de Paul et des autres concernant celle-ci.
- Croix du Christ et croix des chrétiens.
Dans tous les passages du N.T. où il intervient (73 fois), le langage de la croix se rapporte toujours à Jésus lui-même, sauf en deux passages. Le premier se trouve chez les trois synoptiques dans le même contexte, juste après la première annonce de la passion : « Si quelquun veut venir à ma suite, (...) quil se charge de sa croix » (Mc 8,34 par.). Commun à Mt et Lc, lautre se présente sous une formulation un peu différente chez chacun : « Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite nest pas digne de moi » (Mt 10,38; Lc 14,27). Dans les deux passages, quils concernent les douze ou les disciples de tous les temps selon loptique des récits, la croix désigne les épreuves, ruptures, renoncements ou arrachements découlant de loption de foi ou de la suite du Christ, de laccueil ou du service missionnaire de lÉvangile.
- Conclusion.
Aborder successivement les différentes strates du N.T., depuis les formulaires pré-pauliniens jusquaux récits évangéliques, en relation avec le thème de la croix permet dentrevoir les diverses étapes dun cheminement étalé sur trois générations croyantes. Cest là un lieu de vérification par excellence de la parole que Jean rapporte dans le cadre du discours dadieux, au moment où Jésus sapprête à affronter la croix : « Jai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez le porter maintenant. Mais quand viendra celui-là, lEsprit de la vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière. » (Jn 16,12-13). Le verbe employé, « porter » (bastazô ), est le même quutilisera le récit johannique de la passion à propos de Jésus : « Portant lui-même sa croix, Jésus sortit... » (Jn 19,17). Le même aussi quen Lc 14,27 à propos de la croix des disciples : « Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple ». Depuis le scandale originel jusquà la proclamation de la gloire du crucifié, cest à travers un long périple que les disciples devinrent capables de « porter » la croix de Jésus et la leur.
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