![]() Sybil 2007 |
Le texte évangélique
Matthieu 16, 13-19 13 Parvenu dans la région éloignée de Césarée de Philippe, Jésus se mit à questionner ses disciples : « Quel est la perception des gens sur le nouvel Adam?? » 14 Les disciples lui répondirent alors : « Pour certains, c’est un Jean-Baptiste, mais pour d’autres c’est un nouvel Élie, ou encore un Jérémie ou un des prophètes ». 15 Jésus leur répliqua : « Mais, vous, qui suis-je pour vous? » 16 Prenant la parole, Simon Pierre affirma : « Toi, tu le messie, le fils du Dieu vivant ». 17 Alors Jésus s’adressa à lui en ces termes : « Bravo pour toi, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas ta nature humaine qui t’a donné cette perception, mais mon Père du ciel. 18 Et moi j’ajoute que tu es Pierre, et c’est sur cette pierre que je vais fonder la communauté des croyants, et aucune force de mort ne l’emportera sur elle. 19 Je te donnerai un rôle clé pour l’entrée dans le royaume de Dieu, plus précisément un rôle de médiation, qui permettra qu’on y entre ou on n’y entre pas. |
Des études |
![]() Quelle réponse aux appels à l'aide? |
Commentaire d'évangile" - Homélie Il y a quelques années, une journaliste reconnue d’un grand journal y publia un article intitulé : Lettre à Dieu. Cet article faisait suite à sa couverture de la guerre en Syrie. C’est toute sa colère qu’elle exprime avec la question adressée à Dieu : « Comment as-tu pu regarder l'humanité s'effondrer à Alep et rester les bras croisés ? » Elle rappelle que dans le petit catéchisme d’autrefois, elle a appris que Dieu est infiniment bon. « Infiniment bon?, reprend-elle, je n'y crois pas un seul instant. Si tu étais bon, tu ne pourrais pas laisser la Syrie sombrer dans la folie sans lever le petit doigt. » Suit alors une liste d’horreurs plus répugnantes les unes que les autres. Et cette lettre se termine ainsi : « Dieu, j'aimerais implorer ta miséricorde pour que tu mettes fin à cette guerre et aux souffrances du peuple syrien, mais je ne crois plus en toi ». Devant une telle lettre, un croyant bien intentionné pourrait dire : mais cette guerre vient de la liberté humaine. Cela ne change rien au problème : que signifie dire de Dieu qu’il est tout-puissant et infiniment bon quand il ne semble jamais intervenir, par respect pour la liberté humaine? Mais il y a plus. Pourquoi a-t-il créé un monde où les accidents inévitables sont possibles. Pourquoi a-t-il créé une terre avec des plaques tectoniques qui provoquent des tremblements et des tsunamis, et ouvrent la voie aux volcans? Pourquoi a-t-il déployé cette formidable énergie qui habite le monde animal et a créé le monde de la jungle, où le plus fort mange le plus faible. Pourquoi a-t-il créé un monde des vivants si fragile qu’une erreur génétique dans la transmission de la vie peut créer des monstres? Deux réponses sont possibles : Dieu n’a rien à voir, car il n’existe pas. Ou bien, on reconnaît que nous sommes confrontés à un mystère. Il est important de reconnaître ce mystère pour comprendre l’évangile de ce jour. À première vue, on a l’impression d’être devant un beau texte, appelé généralement : la confession de Pierre. En effet, l’évangéliste met dans la bouche de Jésus cette question adressée à ses disciples : « Qui suis-je pour vous? ». L’aspect « pour vous » est important, car ce n’est pas une question théorique. Quand une femme dit à son conjoint : « Qui suis-je pour toi? », elle veut savoir la place qu’elle occupe dans sa vie, une place accessoire ou essentielle. Pour mettre en relief cette question, l’évangéliste a fait précéder cette question par une autre : « Qui suis-je aux yeux des gens? » La réponse : Jean le Baptiste, Élie, Jérémie ou un des prophètes, se résume à ceci : c’est un prophète avec un message de Dieu; il est donc pour les gens quelqu’un qu’il faut écouter. Mais la réponse de Pierre sera différente : « Toi, tu es l’oint (le messie), le fils de Dieu le vivant ». Notons que le terme « oint » traduit le mot grec christos, qui entend traduire l’hébreu « messie ». Quelle est la signification de la réponse de Pierre en faisant référence à Jésus comme « messie »? C’est comme si Pierre disait : « Tu es ce sauveur que nous attendions, la réponse finale à tous nos problèmes ». Nous sommes loin de la parole de sagesse venant d’un prophète quelconque. Pour nous aider à comprendre la signification de la réponse de Pierre dans toute sa profondeur, Matthieu l’a placé dans un contexte précis. Tout d’abord, dans la scène précédente, les disciples sont consternés d’avoir oublié de prendre du pain pour le voyage en barque. Jésus leur reproche leur manque de foi, et leur rappelle les deux événements où il a nourri une foule de 5 000 et 4 000 personnes, et les met en garde contre l’enseignement des Pharisiens basé sur leur incroyance. Puis, après la confession de Pierre, Jésus fait la première fois l’annonce de sa passion et de sa mort. L’appel à la foi et l’annonce de la souffrance sont essentiels pour comprendre le visage du sauveur, ce messie réponse à tous nos problèmes. Mais en même temps, cela va contre toutes nos attentes et nos perceptions de ce qu’est une solution. Voilà pourquoi Jésus dit à Pierre : « Ce n’est pas la chair et le sang (la nature humaine) qui t’ont révélé cela, mais mon Père du ciel ». On est alors confronté au défi de la foi, i.e. malgré ce que nous dit le « gros bon sens », nous accueillons la perception de Jésus sur ce monde, la façon dont il a agi, le chemin qu’il a pris, les sentiments qui l’ont habité, et tout cela nous l’accueillons comme étant chemin de vie et réponse au mystère du mal. Le Jésus historique a dû lui aussi s’appuyer totalement sur son amour d’un Père qu’il savait aimant pour affronter de plein front l’adversité alors qu’il devenait une victime impuissante. Dans la foi, le mal demeure un mystère; on sait simplement qu’il vaut la peine de lutter chaque jour et qu’il n’aura pas le dernier mot. Évidemment, ce n’est pas la solution que nous aurions aimée Les suites que donne Jésus à la confession de Pierre peut poser problèmes : « Tu es Pierre, et c’est sur cette pierre que je vais fonder la communauté des croyants ». Pierre, un roc sur lequel s’appuyer? Pourtant quelques versets plus loin, Jésus lui dira quand il refusera d’envisager les souffrances qui attendent Jésus : « Tu es pour moi une pierre qui fait trébucher (un scandale) ». Et n’est-ce pas Pierre qui va nier connaître Jésus pendant les difficiles moments de la passion? Mais tout cela est à l’image de la fragilité de notre humanité, et le vrai miracle est que malgré cette fragilité se construit l’édifice d’une communauté qui croient au type de messie qu’est Jésus, et trouvent que le chemin qu’il a emprunté est la vraie solution à la misère humaine. Il y a un autre problème posé par les suites donnés par Jésus à la confession de Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » Il n’en fallait pas plus pour que les casuistes s’emparent de ces paroles pour construire un empire légal sur le pouvoir de l’Église. Pourtant, à l’origine, c’était une bonne nouvelle. L’expression lier/délier de Matthieu provient des milieux rabbiniques pour exprimer un rôle dans l’intégration ou l’exclusion de la communauté. Ce rôle est associé à la foi de Pierre comme guide de la communauté croyante, et donc affirme son leadership dans la compréhension du chemin qu’a emprunté Jésus.
-André Gilbert, Gatineau, mars 2023 |
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