![]() Sybil 2006 |
Le texte évangélique
Matthieu 9, 36 - 10, 8 36 À la vue des foules, Jésus fut ému jusqu’aux entrailles, car elles étaient accablées et abattues comme des brebis sans berger. 37 Alors il dit à ces disciples : « Certes, la moisson est immense, malheureusement, il manque d’ouvriers. 38 Priez donc celui qui est à l’origine de cette moisson d’obtenir des ouvriers au service de la moisson. » 10, 1 Alors, après avoir convoqué ses douze disciples, il leur donna autorité sur les esprits dérangés pour qu’ils puissent les expulser et guérir les gens avec des maladies et des déficiences. 2 Voici les noms des douze apôtres : il y a d’abord Simon, surnommé Pierre, et André, son frère, et Jacques, fils de Zébédée et Jean son frère, 3 Philippe et Barthélemy, Thomas et Matthieu, le percepteur d’impôt, Jacques d’Alphée et Thaddée, 4 Simon le Zélote et Judas Iscariote, celui-là même qui allait le livrer. 5 Jésus envoya ces douze disciples avec la prescription suivante : « N’allez pas chez les païens et n’entrez pas chez les Samaritains. 6 Concentrez-vous plutôt sur les brebis perdues chez les Juifs d’Israël. Dans votre mission, proclamez que le monde de Dieu s’est approché, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, en redonnant leur intégrité aux lépreux, en expulsant les pulsions mauvaises. Comme vous avez reçu gratuitement, à votre tour redonnez gratuitement. » |
Des études |
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Commentaire d'évangile" - Homélie Voici deux histoires récentes. Il y a d’abord celle de Nathalie, diplômée d'une École supérieure de commerce, qui, après avoir travaillé pour les plus grandes entreprises commerciales françaises, a été recrutée pour diriger la filiale immobilière d'une grande institution provinciale de placement où elle gère avec son équipe un portefeuille immobilier de 77 milliards de dollars dans 19 pays. Depuis deux ans, les rendements s’élèvent à 12,4 % par année, en moyenne, surpassant les indices de référence dans l’immobilier. Nathalie vient d’ailleurs d’être récompensée par les principaux dirigeants et investisseurs immobiliers de la planète avec le prestigieux prix Carrière de la publication spécialisée PERE (pour Private Equity Real Estate). Néanmoins, en tant qu’épouse et mère de trois enfants, sa famille demeure sa priorité. Puis, il y a l’histoire d’Anne-Marie. Enfants, elle et sa sœur ont souvent changé d’adresse à la suite de la mort de leur père. Après les premières années passées à Montréal, sa mère et elles déménageront aux États-Unis pour ensuite revenir à Montréal. Ces années d’instabilité rendront les amitiés difficiles et les points de repère inexistants. À l’école, on se moque d’elle. Puis, à 14 ans, le conflit éclate avec sa mère qui refuse son nouveau copain, et Anne-Marie se voit placée en groupe d’accueil. À 18 ans, elle se retrouve en appartement supervisé. Elle occupera divers emplois en restauration, et comme serveuse. Après un temps, elle donnera naissance à son fils. Mais au fil du temps, l’alcool l’empêchera de garder un emploi stable. Un jour, au lendemain d’une nuit complètement ivre, elle appelle elle-même l’ambulance et entre à l’hôpital de son plein gré. C’est le début d’une longue convalescence où elle se joindra au groupe des camelots qui vendent une revue sur les itinérants devant les bouches de métro. Laquelle de ces deux histoires nous plaît le plus? Laquelle suscite le plus d’admiration et nous inspire? Laquelle est la plus agréable à entendre? Attention, je n’entends pas opposer ces deux femmes ou émettre un jugement quelconque. Mais les sentiments qu’elles suscitent sont différents. Et c’est de sentiments qu’il s’agit dans l’évangile de ce jour. Reprenons le récit de Matthieu consacré sur l’envoi en mission, mais en commençant par la fin. Quel est le but de la mission? « Proclamez que le monde de Dieu ou règne de Dieu s’est approché, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, en redonnant leur intégrité aux lépreux, en expulsant les démons ou pulsions mauvaises ». S’il fallait prendre à la lettre cette mission, personne ne serait qualifiée. Il faut plutôt comprendre la direction qui est indiquée : soigner la misère humaine. Quand on amène quelqu’un à abandonner le suicide ou à fuir l’alcool, on le ressuscite des morts. Quand on amène quelqu’un à retrouver un sens à sa vie ou à quitter un environnement qui l’aliène, on expulse les démons. Quand on accompagne des malades, qu’on leur prodigue patiemment des soins, on proclame que le monde de Dieu est tout près. On pourrait multiplier les exemples, car la misère humaine a un million de facettes. Il y a pourtant une phrase de l’évangile qui pourrait choquer : « Concentrez-vous plutôt sur les brebis perdues chez les Juifs d’Israël ». Historiquement, c’est auprès de son peuple que Jésus s’est senti appelé et le choix de douze apôtres était calqué sur les douze tribus qui formaient traditionnellement le peuple d’Israël. C’est seulement après sa mort – résurrection qu’on a pris conscience que l’évangile s’adressait à l’univers entier. Mais les restrictions dans la mission de Jésus contiennent un message important : nous ne sommes pas appelés à « sauver le monde », mais seulement le petit bout de terre que nous occupons, seulement cette petite partie de l’univers qui s’ouvre à nous. Personnellement, j’ai souffert de l’ignorance de mes parents et parfois de leur peu d’ouverture sur la réalité, et c’est ainsi que j’ai vu ma mission s’orienter vers le savoir qui éclaire et un cœur qui sait s’ouvrir à tout ce qui existe, sans détour. Pourquoi Jésus a-t-il envoyé des gens en mission? Pour faire la promotion de sa personne? Pour amener les gens à croire en Dieu? Pour former une Église? La motivation d’envoyer des gens en mission est résumée ainsi : « À la vue des foules, Jésus fut ému jusqu’aux entrailles, car elles étaient accablées et abattues comme des brebis sans berger ». Il faut savoir qu’au moment où Matthieu met cette parole dans la bouche de Jésus, il vient de raconter le récit de guérison d’une femme qui avait des hémorragies depuis douze ans et celui de la ressuscitation de la fille d’un notable, puis de la guérison de deux aveugles et d’un possédé muet. C’est à ce moment que Matthieu parle de gens « accablées » et « abattues », bref de gens « brisés » par la vie, un résumé de la misère humaine. Quelle est la réaction de Jésus? Il est ému jusqu’aux entrailles. Le verbe grec pour décrire l’émotion de Jésus est construit autour du mot qui désigne les entrailles, et qu’on traduit habituellement par : être ému de compassion. Ainsi, Jésus trouve la situation si pénible qu’elle lui fait mal au ventre. Voilà la motivation pour envoyer ses disciples auprès des gens. Matthieu nous donne l’image de brebis sans berger. Quel est le lien avec des gens « accablés » et « abattus »? Les brebis sans bergers sont des brebis dont on ne prend pas soin, dont on ne panse pas les plaies. Ému jusqu’aux entrailles devant la misère humaine, Jésus prend la décision d’envoyer des bergers qui prendront soin des gens. Matthieu met alors cette parole dans la bouche de Jésus : « Certes, la moisson est immense, malheureusement, il manque d’ouvriers ». Pourquoi manque-t-il d’ouvriers? Revenons à l’histoire de nos deux femmes au tout début? Laquelle est la plus attirante? Laquelle est la plus difficile à lire? C’est seulement en laissant notre cœur parler, comme Jésus l’a fait, qu’on peut devenir un ouvrier et s’intéresser aux gens « brisés » par la vie. Ce qui émeut notre cœur peut être très varié, et nous ne sommes pas appelé aux mêmes choses. Mais fondamentalement, c’est le même cœur qui a poussé Jésus à l’action. Aujourd’hui, quand on parle des douze apôtres, on fait habituellement référence à l’Église et sa mission est souvent vue comme ayant comme objectif d’avoir de nouvelles recrues, comme des nouveaux membres dans un parti politique. Pourtant, originellement, l’Église n’est pas un rassemblement de gens vertueux, mais la grande communauté de gens émus jusqu’aux entrailles devant la misère humaine. N’est-il pas temps de retrouver notre mission originelle?
-André Gilbert, Gatineau, mars 2023 |
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