Sybil 1999

Le texte évangélique

Luc 21, 27-38

Alors que certains s’émerveillaient devant les belles pierres et les pièces votives dont le temple était décoré, Jésus leur dit : « Un jour, tout ce que vous observez, sera détruit et il n’en restera pas une seule pierre debout ». Alors, ils lui posèrent la question : « Maître, quand cela arrivera-t-il et quel signe nous en avertira? » Jésus répondit : « Faites attention à ne pas vous laisser égarer. Car beaucoup de gens se présenteront sous ma bannière en prétendant être moi et disant que le moment final est sur le point d’arriver. Ne les suivez pas. De même, quand vous entendrez parler de guerres et de catastrophes, ne vous alarmez pas. De tels événements doivent arriver bien avant la fin ». Jésus ajouta : « Les nations et les royaumes se feront la guerre, il y aura de grands tremblements de terre et des famines et épidémies un peu partout, et on pourra observer des phénomènes effrayants et des signes dans le ciel. Mais, avant tout cela, on mettra la main sur vous pour vous persécuter et vous mener devant des tribunaux, des chefs d’état ou des gouverneurs, et pour vous jeter prisons, tout cela à cause de moi. Cela vous donnera l’occasion de donner un témoignage. Mettez-vous dans la tête de ne pas vous soucier d’avance sur la façon de vous défendre. Car je m’occuperai de vous donner des mots et une sagesse que vos adversaires seront incapables d’attaquer et de contredire. De plus, vous serez dénoncés par vos parents, vos frères, vos proches et vos amis, et ils feront mourir certains d’entre vous. La haine s’abattra sur vous à cause de moi. Par contre, vous ne perdrez aucun cheveu inutilement. C’est par votre persévérance que vous acquérez votre être intérieur ».

Des études

« Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu »


Commentaire d'évangile" - Homélie

Toutes ces protestations dans le monde sont-elles inutiles?

Chaque soir1, à 22 heures, Mahvash, une étudiante iranienne, ouvre la fenêtre de son appartement du cinquième étage et se met à crier. Les voisins reprennent son refrain « Femmes, vie, liberté ». Bientôt, ses chants contre la théocratie iranienne résonnent d'un bloc à l'autre, au-dessus de la police anti-émeute, et dans tout Téhéran, la capitale. Presque toutes les voix sont celles de femmes. « Le sang versé injustement bouillira jusqu'à la fin des temps », dit un vieux dicton persan, aujourd'hui remis à la mode.

Près d'un mois après les manifestations qui ont éclaté à la suite de la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans détenue par la police des mœurs pour avoir montré trop de cheveux, les ayatollahs iraniens s'efforcent toujours de maintenir l'ordre. La peur a entamé l'euphorie initiale des manifestants. Mohsen Amiryousefi, le chef de l'association des directeurs de cinéma, a été emprisonné pendant deux ans après avoir signé une pétition qui demandait la libération de trois de ses membres. Les prisons sont tellement pleines que des entrepôts ont été réquisitionnés comme centres de détention. Des passants disent en entendre les cris. De nombreux militants à Téhéran admettent être paralysés par la peur. Certains ont fui dans les montagnes.

Mais les écoles et les campus universitaires restent des ruches de la dissidence. Des étudiants brandissant des foulards ont scandé contre Ebrahim Raisi, l'impitoyable président iranien, lors de sa visite à l'université al-Zahra de Téhéran le 8 octobre. L'âge moyen des manifestants serait de 15 ans. Un groupe de défense des droits de l'homme norvégien estime que 23 des plus de 200 manifestants tués à ce jour étaient des enfants.

Ce cadre ne nous rappelle-t-il pas les récits évangéliques sur la fin des temps comme celui de Luc proposé par la liturgie? Le récit commence par l’annonce de la destruction de ce magnifique édifice qu’était le temple de Jérusalem qu’Hérode le Grand avait fait rénover pendant plusieurs années. Le ton est lancé, rien n’est éternel, tout a une fin. Mais quand on veut savoir quand la destruction du temple aura lieu (cette destruction aura lieu en l’an 70 par les Romains), Jésus ne répond pas tout de suite à la question, mais parle d’abord de l’atmosphère dans laquelle vivront ses disciples après sa mort. Quelle est cette atmosphère?

Luc rassemble deux situations qu’il présente tour à tour. La première situation est celle transmise par les récits apocalyptiques juifs de son temps qui évoquent des événements terrifiants qui proviennent de la nature (tremblements de terres, famines, pestes, phénomènes célestes) et de la société (les guerres), mais évoquent aussi la difficulté d’entendre la parole de Dieu à causes de faux prophètes. On peut demeurer songeur devant cette liste d’horreurs, mais le récit apocalyptique insiste sur un point : un monde doit se terminer, avant qu’apparaisse un nouveau, et pour plusieurs, surtout pour les nostalgiques d’un monde révolu, c’est la fin du monde et une terrible tragédie. Pensons à ceux qui regrettent l’ancien empire soviétique. Et la phrase : « Beaucoup viendront en prenant mon nom… ne les suivez pas ». Cela ne pourrait-il pas évoquer certaines situations, comme celle où le patriarche orthodoxe russe Cyrille2 – qui a prospéré en tant qu’informateur du KGB pendant la période soviétique – présente l’invasion russe de l’Ukraine comme une forme de résistance sacrée contre une prétendue menace LGBTQ+ émanant de l’Occident : dans un sermon de mars 2022, il a décrit les droits LGBTQ+ comme « l’imposition forcée d’un péché condamné par la loi divine ».

L’autre situation présentée par Luc est celle des chrétiens des années 35 à 80, décrite dans ses Actes des Apôtres où Étienne est lapidé, Pierre et Jean connaissent la prison et doivent constamment justifier leurs actes, Paul subit un long procès, avant de mourir martyr à Rome avec Pierre. Quand l’évangile annonce que « vous serez dénoncés même par vos pères et mères, par vos frères, vos parents et vos amis, et ils feront condamner à mort plusieurs d’entre vous », nous avons un écho de l’atmosphère de l’église de Rome sous Néron. Mais est-ce totalement du passé tout cela? On a qu’à penser à l’Iranienne Homa Hoodfar, emprisonnée parce qu’elle avait baigné dans des activités féministes; Saad Ibrahim Almadi, 72 ans, condamné à 16 ans de prison en Arabie Saoudite pour des tweets critiques du régime; Salma al-Shehab, un étudiant saoudien condamné à 34 ans de prison pour avoir fait suivre des tweets de dissidents au régime. La liste des voix qu’on a fait taire soit par la prison, soit par la mort pourrait être longue. Mais on pourrait se demander : quel est le lien avec le témoignage évangélique? Jésus a annoncé la venue d’un royaume, et c’est l’humanité entière, peu importe la religion, qui est appelé à collaborer en s’ouvrant à son esprit qu’il nous a laissé.

Y a-t-il une bonne nouvelle dans l’évangile de ce jour? Il y a d’abord cette phrase : « Je vous donnerai un langage et une sagesse que ne pourra contrarier ni contredire aucun de ceux qui seront contre vous ». Jésus promet de soutenir les gens qui auront à témoigner. Mais on peut se demander : à quoi sert cette sagesse devant des gens qui n’ont pas un comportement rationnel? L’important est que nous-mêmes trouvions la signification du geste qu’on pose, et cela donne la force de poursuivre son témoignage.

Il y a ensuite cette phrase étrange : « Mais pas un seul cheveu de votre tête ne sera perdu ». Littéralement, cela signifie que l’intégrité physique de la personne demeurera intacte. Mais on sait que c’est impossible. Alors il faut plutôt comprendre que malgré les attaques des adversaires, tout ce qu’on fait aura sa valeur, ne sera pas perdu. Tout comme le moindre battement d’aile d’un papillon produit un effet, même minime, ainsi ce qu’on fait aura un impact, même si on ne le voit pas.

Enfin, il y a cette affirmation traduite différemment par nos bibles : « C’est par votre persévérance que (BJ : vous sauverez vos vies; TOB : acquérez la vie; NTB : vous donnera la vie; Segond : vous gagnerez la vie; Maredsous : vous devez votre salut; Chouraqui : vous sauverez vos âmes ». Le verbe grec qui a été traduit par « sauver », « acquérir », « donner », « gagner » signifie littéralement : se procurer, acquérir. Et le mot grec qu’on a traduit par vie ou âme est celui qui nous donné le terme « psychique » et désigne le souffle de vie de la personne et la distingue de son corps, et donc désigne son être intérieur et conscient. Ainsi, on pourrait traduire l’affirmation sous la plume de Luc : c’est par votre persévérance que vous acquérez votre être intérieur. Qu’est-ce-dire? Ce que nous sommes évolue sans cesse, et les événements, comme les conflits auxquels nous pouvons être mêlés, contribuent à construire l’être que nous pouvons devenir.

La vie de Jésus peut résumer tout ce qui vient d’être dit. Les échos laissés par les récits évangéliques sur sa vie publique le montre en confrontation avec beaucoup de groupes, en particulier les plus religieux. Une des raisons données pour sa mise à mort est celle de s’être attaqué au temple de Jérusalem. Mais comment un homme comme lui peut-il avoir eu cette audace? On peut seulement imaginer que très tôt dans sa vie il a osé parler, affirmer ses convictions, dénoncer l’inacceptable. C’est ainsi qu’il a « acquis cet être intérieur » qui s’exprimera dans toute sa force à Jérusalem. Rien n’a été perdu (pas un cheveu de sa tête ne s’est perdu), car sa vie a été d’une fécondité extraordinaire. Par sa persévérance au milieu des vents contraires, il nous a donné un monde qui est source de vie pour tous.

Personne ne peut prédire ce qui arrivera à l’Iran ou de l’Arabie Saoudite. Mais ce qui est sûr, la persévérance des gens qui refusent l’inacceptable et affirment leur conviction non seulement opèrera une transformation de leur être, mais plantera une semence qui nous étonnera. Rien ne sera perdu. Et pour le regard croyant, c’est la force de l’esprit laissé par Jésus qui est à l’œuvre.

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 2022


1 Ce récit provient du numéro du 12 octobre 2022 de The Economist. Pour le texte complet (anglais): https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2022/10/12/despite-lethal-repression-irans-protests-continue?frsc=dg%7Ce

2 C'est ce que rapporte Richard Foltz dans un article paru le 22 octobre 2022 dans le journal montréalais La Presse. Pour le texte complet : https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-10-21/l-homophobie-comme-guerre-sainte.php

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