Sybil 1999

Le texte évangélique

Luc 20, 27-38

27 Certains des Sadducéens qui refusent de croire en une résurrection (des morts), vinrent auprès de Jésus pour lui soumettre une question : 28 « Maître, Moïse nous a prescrit que, advenant le cas où quelqu’un a un frère marié qui décède sans avoir d’enfant, c’est sa responsabilité d’épouser sa femme et de donner une descendance à ce frère. 29 C’est ainsi que dans une famille il y avait sept frères. Le premier, après s’être marié, mourut sans enfants. 30 Le deuxième (exerçât sa responsabilité en épousant la femme, mais mourût lui aussi sans enfant). 31 Le troisième l’épousa également, et il en fut ainsi pour les sept qui ne léguèrent pas d’enfants et moururent tous. 32 Par la suite, la femme finit par mourir. 33 Alors, quand viendra le temps de la résurrection (des morts), de qui la femme sera-t-elle considérée l’épouse ? Car elle fut la femme des sept ». 34 Jésus leur fit cette réponse : « Dans notre monde, il est normal que les gens se marient, 35 mais dans le monde qui suivra, tous ceux qui auront été jugés dignes d’y avoir part et de ressusciter des morts n’auront plus besoin de se marier (pour assurer une descendance); 36 car une fois ressuscités, ils ne meurent plus, et sont semblable aux être célestes, et comme ressuscités, ils sont fils d’un Dieu éternel. 37 Quant au fait que les morts ressuscitent, Moïse l’a indiqué clairement en parlant du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob; 38 Dieu ne règne pas sur des morts, mais sur des vivants, en leur donnant la vie.

Des études

Est-ce vraiment la fin?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Tel père, tel fils; telle mère, telle fille

Pour qui a suivi quelque peu la guerre en Ukraine, la ville portuaire de Marioupol évoque un souvenir douloureux, en particulier l'aciérie Azovstal, où des combattants ukrainiens se sont terrés pendant des semaines dans les tunnels souterrains et les bunkers, sous des bombardements incessants. Quelques jours1 avant la reddition d'Azovstal le 20 mai 2022, le Lt Samoilenko, âgé de 28 ans, qui avait perdu son œil droit et son bras gauche après que des munitions eurent explosé dans sa main lors d’une mission militaire précédente, a dirigé une conférence de presse diffusée en direct depuis un bunker situé sous l'aciérie. Pendant près de deux heures, il a décrit les conditions désespérées dans lesquelles se trouvaient les combattants blessés, et a déclaré que lui et tous les autres se considéraient comme des « hommes morts ».

Puis, un ordre émanant des plus hauts commandants militaires ukrainiens a demandé aux résistants de mettre fin à la bataille pour la ville, la plus meurtrière et la plus destructrice de cette guerre jusqu'à présent. Les combattants se sont donc rendus en emportant peu d'effets personnels, épuisés et présentant des blessures visibles. Certains marchaient avec des béquilles. Ils ont été emmenés en bus vers le territoire contrôlé par la Russie. Le lt Samoilenko a été mis pendant 120 jours dans une cellule en isolement complet, si bien qu’il ne pensait plus retourner en Ukraine. On lui a même confisqué sa prothèse de bras. Et s’il n’a pas été torturé physiquement, ce ne fut cependant pas le cas de ses compagnons qui ont été confrontés à des conditions très mauvaises qui se sont aggravées au fil des semaines, ne recevant qu’une quantité limitée d’eau et étant mal nourris. Plusieurs sont morts dans une explosion qui a eu lieu là où ils été emprisonnés.

Récemment, le lt Samoilenko a été libéré lors d’un échange de prisonnier. La première chose qu'il a achetée à son retour en Ukraine a été un paquet de cigarettes, « pour se sentir vivant », a-t-il dit. Puis, il a ajouté : « Je suis heureux de voir les gens qui m'ont attendu, et les larmes de joie sur leurs visages et leurs sourires ».

Malgré ce moment de joie pour le lt Samoilenko, c’est de morts dont nous entendons parler tous les jours dans les nouvelles qui nous arrivent d’Ukraine. Tout cela semble en porte-à-faux avec l’évangile de ce jour qui parle de vie et de résurrection.

Rappelons les éléments du récit. Un groupe de Sadducéens, des membres de l’establishment sacerdotal très conservateur, veulent montrer le côté ridicule de la croyance en la résurrection des morts, une croyance récente en Palestine partagée par certains groupes, dont les Pharisiens, et bien sûr Jésus. Notons que pour les Sadducéens, c’est dans cette vie que Dieu récompense ses amis et punit ses ennemis, et eux-mêmes biens nantis et privilégiés dans la société, ils étaient la preuve vivante de cette théologie. Aussi, pour prouver leur point, ils font appel à une règle qu’on trouve dans la Torah ou Loi, plus précisément dans le livre du Deutéronome, dont la rédaction est attribuée à Moïse, selon laquelle le droit à la postérité est si important que si un homme d’une famille meurt sans enfant, c’est la responsabilité des frères d’épouser la veuve pour assurer cette postérité, en espérant bien sûr que naisse un mâle. Les Sadducéens poussent cette règle jusqu’à la limite avec sept frères, le nombre sept exprimant la totalité. Dès lors vient la question : s’il y a vraiment une résurrection des morts, cette femme deviendra l’épouse duquel des sept frères? Cette question assume plusieurs choses : d’abord, la résurrection rétablit le monde exactement comme il était avant; ensuite, la femme ne peut être l’épouse de plus qu’un homme, puisque la polygamie est prohibée. Comme Dieu interdit la polygamie, il ne peut accepter une résurrection des morts.

La réponse de Jésus varie selon les évangélistes, et elle est particulièrement plus développée chez Luc, le Grec, dont le milieu est très sceptique sur une résurrection des morts. Selon lui, Jésus distingue le monde actuel de l’autre monde qui surgira après la disparition du monde actuel. Car le mariage n’a qu’un seul but : faire des enfants pour assurer la survie de l’espèce. Mais puisque dans l’autre monde on ne meurt plus, il n’y a plus besoin d’assurer la survie de l’espèce, et donc il n’y a plus besoin de mariage. Cela implique qu’il n’y a plus besoin d’organe génitaux, d’où la comparaison que les gens sont comme des anges. Cette réponse élimine l’objection des Sadducéens sur une possible polygamie.

Cependant Luc ajoute une clause importante : cet autre monde n’est pas pour tous, seulement pour ceux qui en sont « dignes ». Il ne précise pas ce que signifie exactement « être dignes ». Mais sa phrase énigmatique (« ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection ») semble suggérer que cet autre monde est réservé à ceux qui ont accueilli la vie provenant du Vivant, et donc ont obtenu le gène d’éternité. Ici, Luc écarterait la notion grecque d’âme immortelle de soi.

Après avoir répondu à l’objection de la polygamie, Jésus répond à l’objection de l’existence même d’une vie après la mort en citant le récit du livre de l’Exode du Buisson ardent où Dieu s’identifie comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, en assumant que ces trois personnages bibliques sont toujours vivants, et que Dieu n’aurait pas exprimé son identité en relation avec des morts.

Que retenir de tout cela? Pour la majorité d’entre nous, l’argument des Sadducéens appartient à un autre monde, et la signification du mariage pour assurer une postérité apparaît obsolète. Qu’en est-il de la réponse de Jésus? On y trouve une révélation fondamentale sur l’identité du mystère à la source de ce monde : il est le Père de la vie, et il ne veut tolérer autre chose que la vie. Bien sûr, nous faisons l’expérience de la mort, dont la plus évidente est la mort physique. Mais l’affirmation de Jésus dit ceci : ce n’est pas notre état final, car ayant comme Père l’auteur de la vie, nous sommes destinés à la vie; ayant reçu la vie de lui, cette vie ne peut pas mourir. En révélant l’identité du Père, il révèle en même temps l’identité des enfants : nous sommes des vivants appelés à créer la vie autour de nous, la vie sous toutes ses formes, physique, affective, intellectuelle, environnementale, économique. C’est notre être fondamental, c’est notre destinée, non seulement en ce monde, mais dans l’autre, peu importe la forme qu’elle prendra. Notre bonheur dépend de cette fidélité à notre être.

Actuellement, la guerre en Ukraine peut être vue comme un symbole de mort. Les autorités responsables de cette guerre se sont désalignées complètement du mystère de vie à la source de ce monde, et même l’attaquent de front. Comment doit réagir un enfant de la vie? La tentation est forte de répliquer à la mort par la mort. Je pense à la réaction des parents des victimes du massacre de 2018 dans une école de Parkland en Floride quand un jury a condamné le coupable à la prison à vie plutôt qu’à la peine de mort ; plusieurs se sont sentis « anéantis » par le verdit et ont laissé éclater leur douleur et leur colère en déclarant : « La justice n’a pas été rendue ». Ne blâmons pas ces parents, c'est aussi notre réaction première et normale.

Un enfant de la vie cherche les moindres opportunités de créer la vie au cœur de la mort. C’est le cas de Tetiana Burianova2, cofondatrice du mouvement ukrainien « Réparer ensemble », qui, avec de jeunes volontaires, parcourt les villages dévastés pour reconstruire les maisons et redonner espoir. Dans un de ces villages vivent Oleksii, 63 ans, et sa femme Tamara, qui ont vu leur maison détruite et ont perdu tout ce qu'ils avaient accumulé au cours de leur vie : réfrigérateurs, télévision, micro-ondes, machine à laver. Devant tous ces volontaires qui examinent la base en briques nivelée de sa maison en vue de la reconstruire, Oleksii s’écrie : « Je veux remercier les volontaires. Je veux tomber à genoux ». Ils sont maintenant plus de 200 volontaires à créer la vie au milieu de la mort.

Tous ceux qui créent la vie autour d’eux, qui, malgré le vent de la colère, de la haine, du rejet, de la destruction, trouvent des opportunités pour susciter la vie, tous ces gens sont un puissant rappel du mystère de vie à la source de ce monde, de ce qu’a été Jésus par toute sa vie, et sont les précurseurs du monde au-delà de la mort physique. Sommes-nous de ceux-là?

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 2022


1 Cette histoire est raconté par Hugo Bachega et publiée par BBC News le 13 octobre 2022. Pour le texte complet (anglais): https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-63231457

2 Ce récit par Dan Sabbagh a été publié dans le journal anglais The Guardian, le 13 octobre 2022Pour le texte complet (anglais): https://www.theguardian.com/world/2022/oct/13/ukraine-repair-together-young-rebuilding-homes?CMP=Share_iOSApp_Other

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