![]() Sybil 1997 |
Le texte évangélique
Luc 16, 1-13 1 Jésus s’adressait à ses disciples ainsi : « Un homme quelconque était riche et avait un gérant qui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. 2 Il le fit donc venir pour lui dire : 'Qu’est-ce que j’entends à ton sujet? Fais le bilan de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.' 3 Alors le gérant se mit à réfléchir : 'Qu’est-ce que je vais faire, puis mon maître m’enlève mon travail de gestion? Bêcher dans les champs? Mais je n’en aurai jamais la force. Aller mendier? Ça me ferait trop honte. 4 Je sais ce que je ferai, une fois écarté de mon travail de gestion, pour que des gens me donnent le gite et le couvert.' 5 Il convoqua donc chacun des débiteurs de son maître. Au premier, il demanda : 'Combien dois-tu à mon maître? ' 6 Il se fit répondre : '4 500 litres d’huile'. Alors il lui dit : 'Voici ta facture, assois-toi et écris : 2 250 litres.' 7 Puis vient un autre à qui il demande : 'Et toi, combien dois-tu?' Il se fait répondre : '45 000 litres de blé.' Alors il lui dit : 'Voici ta facture, et écris : 36 000 litres.' 8 Le maître fit l’éloge de son gérant irresponsable, car il avait su agir avec sagacité. Malheureusement, les gens du temps présent sont plus sagaces envers leurs semblables que ceux qui disent suivre l’évangile. 9 Moi, je vous dis, faites-vous des amis avec le bien illusoire de l’argent, pour que lorsqu’il n’existera plus, ces gens-là vous accueillent dans l’au-delà. 10 Celui qui est fiable pour des affaires mineures le sera pour des affaires majeures, tout comme celui qui est irresponsable pour des affaires mineures le sera pour des affaires majeures. 11 Ainsi donc, quiconque ne s’est pas montré fiable dans la gestion du bien illusoire de l’argent, comment peut-on lui confier la lumière véritable de l’évangile. 12 Et si vous ne vous êtes pas montrés fiable pour ce qui extérieur à vous, comme le serez-vous pour ce qui éclaire votre propre vie. 13 Personne ne peut se mettre au service de deux maître différents et incompatibles. Ou bien, il aimera l’un et détestera l’autre, ou encore, il s’attachera à l’un et repoussera l’autre. C’est impossible pour vous de vous mettre en même temps au service de l’argent et au service de Dieu. » |
Des études |
![]() La richesse isole trop souvent les gens |
Commentaire d'évangile - Homélie ![]() Pourquoi rechercher les richesses et en même temps Dieu est incompatible? Que font les hyper-riches avec leur argent? Cela varie évidemment avec chaque individu. Les médias rapportaient récemment l’histoire d’un milliardaire brésilien de la tech qui avait loué une grande et magnifique villa sur les hauteurs de Saint-Tropez (sud de la France) et invita la jet-set pour une « sauterie ». Cinq cents personnes se présentèrent, dont des acteurs d’Hollywood. La fiesta tourna à l’orgie, avec beaucoup de dégâts. À l’inverse, d’autres cherchent à mettre leur argent au service de l’humanité. Il me vient à l’esprit le cas d’André Chagnon, un homme d’affaire du Québec, fils d’électricien, qui fonda une compagnie de câblodistribution qui s’est énormément développée et connut beaucoup de succès. Quand il prit sa retraite et vendit sa compagnie, il se retrouva avec 4,9 milliards de dollars canadiens. Que fit-il? Il créa la Fondation Lucie et André Chagnon, un organisme voué principalement à la prévention de la pauvreté, en particulier en créant des conditions favorables au développement du plein potentiel de tous les jeunes vivant au Québec; on y fait la promotion de la réussite éducative. La fondation fera également des partenariats avec le gouvernement du Québec pour la persévérance scolaire, les saines habitudes de vie, le développement des jeunes. Puis, ce seront des initiatives liées à la justice sociale, comme le financement pour l’acquisition et la rénovation d’immeubles par des organismes à but non lucratif ou des coopératives pour permettre aux familles ayant des revenus modestes d’avoir un logement abordable. J’ai proposé ces deux exemples extrêmes, car le récit de Luc nous force à entrer dans le monde de l’argent. Ce n’est pas nouveau chez Luc, car c’est dans son évangile qu’on retrouve la presque totalité des récits autour de gens riches et de la richesse, et à l’inverse autour des pauvres. Le tout commence avec les récits de l’enfance où de pauvres bergers sont les premiers à voir le nouveau-né, et se poursuit avec les Béatitudes : « Heureux, vous qui êtes pauvres… » (Lc 6, 20) et les Malédictions : « Mais quel malheur pour vous qui êtes riches » (Lc 6, 34), la parabole du riche insensé dont les terres avaient beaucoup rapporté (Lc 12, 13-21), la parole « Vendez vos biens et donnez l'argent aux pauvres » Lc 12, 33), la parole « Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles » (Lc 14, 13), la parole « quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple » (Lc 14, 33), la parabole du gérant astucieux (Lc 16, 1-13), la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31), le récit du riche Zachée, chef des percepteurs d’impôt (Lc 19, 1-10). Pourquoi l’intérêt de Luc sur cette question? Comme son auditoire premier est avant tout grec, probablement la communauté chrétienne de la ville portuaire de Corinthe, où on retrouve un mélange de gens riches et pauvres, il considère qu’on ne peut réfléchir sur la vie chrétienne sans toucher la question des relations avec l’argent. Comment résumer brièvement sa compréhension de l’enseignement de Jésus? Le mieux est de commencer par le récit de Zachée qui clôture la montée de Jésus vers Jérusalem et que Luc propose comme modèle et met dans sa bouche ces paroles : « Eh bien ! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j'ai fait tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple ». Le riche est appelé à aider les plus pauvres. L’enrichissement amène en quelque sorte une responsabilité. Ensuite, comme les biens matériels ne sont pas durables et ne peuvent être emportés dans l’au-delà, il vaut mieux en faire usage maintenant, pour le plus grand bien de tous. De plus, la richesse tend à isoler les gens, à faire en sorte qu’ils ne voient plus les autres autour d’eux, comme ce fut le cas du riche qui ne voyait pas la souffrance de Lazare. À cela s’ajoute le fait que l’attrait de la richesse empêche d’être totalement libre, et cela constitue un obstacle pour suivre Jésus. Enfin, Luc tient à souligner que, si les gens pauvres ont peu de valeur sociale, ils occupent la première place dans le cœur de Dieu. Il est temps de revenir à notre parabole qui porte différents noms : l’intendant malhonnête, astucieux, ou habile. Il y a un consensus pour dire que c’est une parabole déroutante. Rappelons les éléments du récit. Un homme riche a un administrateur de ses biens, qu’on peut appeler un intendant ou un gérant. L’homme riche apprend que ce gérant dilapide les biens dont il a la responsabilité, sans qu’on en connaisse les détails, et donc le congédie. Devant la perspective de se retrouver à la rue, puisqu’il ne se voit pas travailler au champ à bêcher ou mendier aux portes de la ville, le gérant élabore un stratagème, celui de réduire la dette des débiteurs face à l’homme riche, et donc de s’en faire des amis pour qu’ils lui donnent gite et couvert. Il est probable que ce stratagème n’est pas malhonnête. Car il était habituel pour certains métiers, comme le percepteur d’impôt ou un gérant de biens de consommation, de charger une commission pour le travail accompli. Ainsi, notre gérant se serait donné une commission de 50% pour la vente d’huile, et de 20% pour la vente de blé, si bien qu’en réduisant la facture des débiteurs, il ne fait qu’enlever sa propre commission. C’est ce qui expliquerait qu’en apprenant le stratagème, l’homme riche n’est pas fâché, mais plutôt ébahi devant l’astuce du gérant. Bref, la parabole en elle-même vient simplement confirmer un des éléments de l’enseignement sur les richesses transmis par Luc : l’argent n’est pas fait pour être accumulé, mais doit être au service des autres et servir à bâtir des relations fraternelles. Mais la difficulté de notre récit vient de l’application qu’en fait Luc et la réflexion qui suit sur la relation à l’argent. Regardons de plus près. La première application est d’utiliser la parabole pour faire un reproche aux chrétiens : « Malheureusement, les gens du temps présent sont plus sagaces envers leurs semblables que ceux qui disent suivre l’évangile ». J’ai traduit par « ceux qui disent suivre l’évangile » la phrase grecque qui se dit littéralement : « les fils de lumière », une expression appliquée aux chrétiens dans le Nouveau Testament. Pourquoi ce reproche? Si on se place dans le contexte de Corinthe, il est probable que le reproche s’adresse aux chrétiens fortunés pour leur dire : pourquoi ne faites-vous pas un meilleur usage de vos biens dans la perspective que vous ne pourrez pas l’emporter dans l’au-delà? Ce point est confirmé par le verset qui suit. Jésus fait une affirmation solennelle : « Moi, je vous dis, faites-vous des amis avec le bien illusoire de l’argent, pour que lorsqu’il n’existera plus, ces gens-là vous accueillent dans l’au-delà. » C’est une application étrange de la parabole, comme si nos amis sur terre allaient jouer un rôle pour témoigner en notre faveur afin que nous soyons admis auprès de Dieu. Mais néanmoins, derrière cette image un peu naïve du monde de l’au-delà, on retrouve une constante de l’évangile : toute action pour le bien des autres a une valeur éternelle. Puis vient une réflexion sur la relation à l’argent qui commence par un principe général : notre attitude dans les affaires mineures reflète notre attitude dans les affaires majeures. Or, l’argent appartient au monde des affaires mineures, des choses transitoires et illusoires, des choses qui ne définissent pas l’être humain. Ainsi, si notre gestion de l’argent n’a pas été fiable et responsable, nous ne le seront pas plus pour les affaires majeures. Quelles sont ces affaires majeures? Le récit évangélique n’est pas clair. Il parle de « bien véritable », de « bien propre ». Il s’agit probablement de la lumière évangélique et de la révélation de notre identité devant Dieu. Donc, notre capacité à bien gérer l’argent définit notre capacité à gérer notre vie chrétienne. Notre récit se termine avec la grande conclusion : « C’est impossible pour vous de vous mettre en même temps au service de l’argent et au service de Dieu. » Pourquoi cette incompatibilité? Commençons du côté de Dieu. Personne n’a vu Dieu qui demeure un mystère. Mais en Jésus, nous croyons retrouver l’image le plus fidèle de ce mystère, lorsqu’on lit en Ph 2, 6-7 : « Jésus… n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu. Mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes ». Et au moment de mourir au milieu de criminels, dans un geste qui résume sa vie, il dit : « Prenez, ceci est mon corps »; après avoir sans cesse aimer et donner, il finit par donner ce qui lui reste, sa propre vie. Alors, qui est Dieu? Un don d’amour continuel, qui se fait petit pour enlever toute barrière. À l’inverse, l’attachement à l’argent présuppose l’accumulation continuel de biens au point de créer un mur qui sépare des autres et isole, donnant l’illusion d’être grand et créant son propre monde, sa propre prison. Voilà pourquoi il y a total incompatibilité entre Dieu et l’argent.
-André Gilbert, Gatineau, août 2025 |
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