![]() Sybil 2007 |
Le texte évangélique
Luc 13, 22-30 22 Jésus passait à travers villes et village dans son voyage vers Jérusalem, ne cessant d’enseigneur. 23 Quelqu’un par hasard lui demande : « Maître, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés? » Jésus répond alors à l’ensemble des gens : 24 « Efforce-vous d’entrer par la porte que peu de gens empruntent, car je vous l’assure, beaucoup de gens chercheront à entrer et n’en seront pas capables. 25 Quand ce sera éventuellement le temps pour le propriétaire d’un domaine de fermer la porte et que vous, encore dehors, vous commenciez à cogner à la porte en disant : ‘Maître, ouvre-nous’, vous recevrez cette réponse : ‘J’ignore qui vous êtes’. 26 Alors vous vous mettrez à dire : ‘Mais nous avons mangé et bu avec toi et sur la place publique nous avons reçu ton enseignement.’ 27 Voici ce qu’il vous répondra : ‘J’ignore qui vous êtes. Écartez-vous de moi, vous, qui faites le mal’. 28 Alors vous connaîtrez des regrets amers, surtout lorsque vous serez mis à la porte du banquet du Domaine de Dieu où sont assis les pères de la nation, Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que les prophètes. 29 Dès lors, ce sont des gens arrivant des quatre points cardinaux qui prendront part au banquet du Domaine de Dieu. 30 C’est ainsi que ceux qui étaient derniers deviendront les premiers, et que les premiers se retrouveront les derniers. |
Des études |
![]() Combien d'heures d'exercice pour arriver à cette hauteur? |
Commentaire d'évangile - Homélie J’aime les histoires réconfortantes qui montrent le beau côté de l’être humain. En voici une. Cela se passe dans ma région. Ric avait 14 ans quand sa mère, souffrant d’une maladie mentale, l’a mis à la porte de la maison. N’ayant nulle part où aller, il a sombré dans l’alcool et la drogue. Finalement, pour survivre, il s’est trouvé un emploi de plongeur dans le restaurant d’une université. Un jour, un des chefs lui dit qu’il pouvait faire mieux et l’a aidé à intégrer l’école. Ses diplômes de gestionnaire d'hôtel et de restaurant ainsi que de chef cuisinier en poche, le chef Ric part pour l’autre bout du pays. Malgré un excellent emploi, quelque chose lui manque. Il revient dans sa région natale pour se joindre à la Mission de la ville pour servir bénévolement des repas à des indigents. En regardant les gens qu’il servait, il s’est vu lui-même lorsqu’il était plus jeune : une personne ordinaire, démunie et qui avait juste besoin d'aide. Puis, en entendant ces gens lui dire qu’ils pouvaient faire la vaisselle, cuisiner ou aider d’une façon ou d’une autre, il décide de lancer un programme de formation en restauration, avec l’aide d’une subvention de la ville et en offrant un service de traiteur avec l’aide des stagiaires. Lorsque le programme a débuté, la plupart des stagiaires étaient des personnes en situation d'itinérance ou risquaient de le devenir. Aujourd’hui, en raison de tous les changements dans le monde, la plupart des stagiaires sont des nouveaux arrivants au Canada, notamment des demandeurs d'asile ou des réfugiés. Les personnes qui arrivent ont été malmenées par divers systèmes. Elles peuvent être proches d'être à la rue, avoir souffert d'une dépendance, avoir souffert d'un problème de santé mentale pour lequel elles n'ont pas pu obtenir de traitement, ou être au chômage depuis très longtemps. Beaucoup de personnes arrivent dans des situations plutôt désespérées et repartent avec une grande confiance en elles, une grande fierté, et avec un diplôme professionnel qui leur permet de travailler dans la restauration. Gratuite et ouverte à tous, cette formation ne requiert qu'une seule condition, celle d'avoir un réel désir de changer de vie. Le taux de placement des stagiaires est de 90%. Le chef Ric n’a qu’un but : aider, comme il a été aidé. D’une certaine façon, le chef Ric a connu un salut, et à son tour il cherche à sauver d’autres. Or, c’est avec la question du salut que commence l’évangile de ce jour : « N’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés? ». Voilà une question qui peut sembler bizarre. De quoi s’agit-il au juste. En fait, c’est une question typiquement juive. Car, parler d’être sauvé peut bien sûr faire référence à une situation difficile comme la maladie, ou le chômage, ou l’itinérance, mais elle peut aussi faire référence, comme c’est le cas dans le monde juif, à la vie dans l’au-delà. Rappelons que depuis le 2e siècle avant notre ère, s’est répandue dans certains milieux juifs la conviction que lors de l’intervention finale de Dieu à la fin des temps, Dieu ressuscitera les gens qui croupissent dans le Shéol pour qu’ils subissent un jugement, déclarant les uns dignes de la vie éternelle, et les autres voués à la honte et la confusion éternelle (voir Dn 12, 2). Bien sûr, cette promesse de vie éternelle ne s’adressait d’abord qu’aux Juifs, et parmi ceux-ci, seulement aux justes, i.e. ceux qui mettaient en pratique la Loi. Ainsi donc, la question posée à Jésus devient : « N’y aurait seulement que peu de Juifs justes à hériter de la vie éternelle? ». Une telle question suscite la controverse, même quand on élimine la restriction ethnique au peuple juif. Chez mes parents, cela suscitait l’angoisse à la seule pensée d’avoir à affronter la sévérité d’un Dieu juge. Les témoins de Jéhovah ont résolu la question : ils seront parmi les 144 000 élus dont parle Ap 7, 4. Mais une telle question ne pervertit-elle pas la signification du sens de la vie ? Car celle-ci ne devient qu’un vestibule pour la vie dans l’au-delà, où l’attention est centrée sur le ticket pour son passage. C’est ainsi qu’elle a donné prise à l’exercice du pouvoir de l’Église qui se targuait d’avoir les « clés » du Royaume. Mais pourquoi ne pas changer les perspectives et voir l’au-delà comme la continuation organique de cette vie. Il est temps d’écouter Luc sur le sujet. Tout d’abord, seul Luc nous présente une telle question dans les évangiles. Pourquoi? Il veut l’utiliser pour introduire quatre fragments d’une source qu’il partage avec Matthieu, appelée source Q, un cartable de paroles de Jésus, mais qu’il organise à sa façon et insère d’une manière différente de Matthieu. Le premier fragment concerne une exhortation à entrer par la porte étroite. De quoi s’agit-il? Parler de porte étroite, c’est parler d’une porte par laquelle on ne peut passer qu’au compte-goutte; c’est donc une porte qui restreint l’entrée. On aura noté que cette image assimile l’au-delà à une maison, une maison céleste. Dans la même veine, Jésus a aussi parlé de l’au-delà en utilisant l’image de l’entrée dans le Royaume de Dieu. Pourquoi la porte est-elle étroite? « Beaucoup de gens chercheront à entrer et n’en seront pas capables ». Quelle est au juste cette incapacité? À deux reprises dans son évangile, Luc pose la question sur les conditions pour hériter de la vie éternelle (Lc 10, 25; 18, 18), et la réponse se résume toujours à l’amour de Dieu et du prochain, ce qui nous a donné la parabole du bon Samaritain. Ainsi, ce Royaume de Dieu peut être vu comme le Royaume de l’amour et de la compassion, et si quelqu’un ne s’est pas exercé toute sa vie à aimer, il sera incapable de rencontrer les standards de la maison de l’amour, un peu comme l’athlète qui ne rencontre pas les standards des jeux olympiques. Notons que personne ne lui barre la route. Mais il ne se sentira pas à sa place dans cette maison. Le deuxième fragment présente une mini-parabole, celle d’un propriétaire pour qui vient le moment de fermer la porte de son domaine, condamnant les retardataires à cogner à la porte pour se faire ouvrir. À l’origine, ce fragment visait probablement tout ceux qui, parmi le peuple juif, n’ont rien voulu savoir de la prédication de Jésus et sont demeurés en marge de son enseignement; avec le départ de Jésus, il est maintenant trop tard. Le motif du refus d’ouvrir du propriétaire se résume ainsi : vous n’avez rien de commun avec moi et avec ceux à l’intérieur du domaine, il est donc inutile de vous ouvrir et d’essayer de vous intégrer avec ceux qui l’habitent; dans la maison de l’amour, vous demeurerez des étrangers. Le troisième fragment offre un scénario qui fait d’abord référence à tous ces Juifs du temps de Jésus qui l’ont fréquenté et ont même entendu son enseignement. Qu’est-ce qu’on leur reproche? Ils n’ont donné aucune suite à son enseignement. Ce fragment met littéralement dans la bouche de Jésus cette phrase : « Éloignez-vous de moi vous tous ouvriers d'injustice ». Dans le milieu juif, l’injustice ne fait pas référence avant tout aux droits individuels, mais à un comportement qui ne correspond pas à ce que Dieu attend de la personne, et qui se résume à l’amour de Dieu et du prochain. Le quatrième fragment présente le sort de tous ces Juifs qui n’ont pas su reconnaître en Jésus une parole venant de Dieu et qui se mordent maintenant les doigts, se voyant exclus du banquet dans le Royaume de Dieu et remplacés par ces païens qui viennent des quatre points cardinaux. D’où la conclusion : les derniers (les païens) deviennent les premiers dans le Royaume, les premiers (les Juifs) deviennent les derniers. Quelle est donc l’intention de Luc en organisant un tel récit? Son auditoire n’est pas avant tout juif, mais grec. De plus, dans son évangile, Jésus est en marche vers Jérusalem où l’attend la mort. Poser la question du salut, donc des conditions de l’entrée dans l’au-delà, c’est poser la question du sens de la vie, car les deux ont un lien organique. L’au-delà est identifié au Mystère qu’on appelle Dieu où règne l’amour illimité, sans condition, sans restriction. La vie devient alors ce long et patient apprentissage d’un tel amour, qui recherche constamment le bien des autres et le bien de soi. C’est ainsi qu’à la question sur le nombre qui seront sauvés, i.e. qui entreront dans le Royaume du Mystère d’amour, Luc, en ne répondant pas directement à la question, laisse entendre que c’est une mauvaise question, et centre plutôt l’attention sur le chemin de vie qui aboutit à ce Royaume en introduisant ses deux premiers fragments de la source Q. Le premier présente la vie comme l’athlète qui exerce ses muscles (le verbe grec qu’on a traduit par « efforcez-vous » est utilisé par saint Paul pour faire référence à l’athlète), sauf que le but n’est pas une compétition, mais celle d’être capable d’entrer dans le monde de l’amour. Le deuxième fragment présente la vie comme un temps limité accordé pour acquérir cette mentalité de l’amour, sous peine de se retrouver étranger à ce monde à la fin de sa vie. Les deux derniers fragments percent deux illusions, d’abord celle de croire suffisant le fait d'être baptisé, de fréquenter la communauté chrétienne et même d'écouter les évangiles sans se laisser transformer par le Mystère d’amour, puis de croire que les Juifs ont eu plus de chance en faisant partie du peuple élu de Dieu. La vie est faite de gestes dont nous sommes heureux ou fiers, et d’autres que nous regrettons. On pourrait décrire cette vie comme une suite de saluts, où des événements et des gens nous aident à quitter ce qui n’est pas nous pour qu’émerge notre être véritable, ou si l’on veut, la meilleure version de nous-mêmes. Cette meilleure version contient les éléments du Mystère d’amour à la source de l’existence, et dont Jésus fut l’écho parfait. Aussi, il y a quelque chose d’inapproprié à poser la question sur le nombre de personnes qui seront sauvées, une question à laquelle personne ne peut répondre. Car, chez quiconque pour qui l’au-delà existe, il n’y a qu’une seule certitude : seule la meilleure version de soi-même sera sauvée ou préservée. Le reste relève du temps perdu et de l’effort inutile.
-André Gilbert, Gatineau, juillet 2025 |
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