Sybil 2007

Le texte évangélique

Luc 12, 49-53

49 C’est un feu purificateur que je suis venu apporter sur la terre, et comme j’aimerais qu’il soit déjà allumé. 50 Je dois être submergé par une forme de baptême, et ma vie est en tension jusqu’à ce que le tout soit accompli.

51 Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur terre? Absolument pas. Mais je vous l’assure, c’est la division que je suis venu apporter. 52 C’est ainsi que, dès maintenant, sur cinq personnes dans la maison, elles seront divisées, trois contre deux, et deux contre trois. 53 Plus précisément, la division sera avec le père contre le fils, et le fils contre le père, la mère contre la fille, et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille, et la belle-fille contre la belle-mère.

Des études

Pourquoi toutes ces clôtures?


Commentaire d'évangile - Homélie

Quel est l’enjeu fondamental de toute vie humaine?

Les manchettes des journaux ne cessent de nous accabler de ce qui se passe aux États-Unis et qui suscite des débats acrimonieux. Tout récemment, les discussions étaient centrées sur ce fameux projet de loi appelé : grand et beau projet de loi. Quels en sont les éléments clés? Tout d’abord, le projet de loi rend permanentes les réductions d’impôt sur les revenus corporatifs et individuels qu’avait établies la première administration Trump de manière temporaire. De plus, les pourboires et le temps supplémentaire ne seraient plus soumis à l’impôt. Du côté des dépenses, on augmente de manière significative le budget de la défense et de la protection des frontières. Si on augmente les dépenses pour certains postes, il faut par conséquent les réduire pour d’autres. C’est ainsi qu’on a ajouté des restrictions supplémentaires au programme des soins de santé, comme celui de travailler si on n’est pas invalide, comme devoir s’inscrire au programme à tous les six mois; on estime qu’un grand nombre d'Américains perdront leur couverture médicale car ils ne pourront pas se conformer aux nouvelles formalités administratives. On élimine tous les incitatifs financiers pour la transition énergétique. Enfin, des réformes ont été apportées au programme d'aide alimentaire supplémentaire, qui est utilisé par plus de 40 millions d'Américains à faibles revenus, obligeant les gens sans personne à charge à travailler et forçant les états à contribuer davantage.

Pourquoi ce projet de loi a suscité des débats acrimonieux? Car d’une part, il apporte un soutien aux gens à hauts revenus qui pourront s’enrichir d’avantage, tout en pénalisant les plus pauvres, et d’autre part il augmentera à tel point la dette nationale que les générations futures seront confrontées à un défi colossal. Tout une nation est divisée sur le sujet. Une telle division s’explique quand sont en jeu des valeurs fondamentales : l’enrichissement ou la solidarité, la règle du plus fort ou la compassion, le seul souci de son univers ou celui de l’ensemble des générations.

Quand une décision touche à des enjeux majeurs pour notre humanité, elle suscite toujours la division, car elle interpelle ce qui constitue nos valeurs profondes et notre orientation de vie. Et c’est exactement le sujet qu’aborde le récit d’évangile de ce jour que nous offre Luc.

Attardons-nous d’abord à la deuxième partie du récit alors que Jésus déclare qu’il ne s’est pas présenté en ce monde pour apporter la paix, mais la division. Notons que nous sommes devant la version de Luc d’un récit également rapporté par Matthieu qui parle plutôt d’épée, i.e. de guerre. Peu importe ce que Jésus aurait vraiment dit, Luc réinterprète la tradition en référence avec le début des premières communautés chrétiennes et des déchirements familiaux qu’il a pu observer. Rappelons que dans le monde gréco-romain, lorsque quelqu'un se faisait baptiser, il rompait avec la fréquentation des temples païens, et par là avec une bonne partie des activités de la vie civique, ce qui représentait un geste de déloyauté face à l'empereur et face à la cité.

Notons comment Luc se représente ces déchirements. Pour lui, la famille étendue est composée de cinq personnes : le père, la mère, qui joue également le rôle de belle-mère, le fils, la fille et la bru (qu’il faut imaginer comme l’épouse du fils). Pour Luc, le conflit se déroule par groupe : deux contre trois, trois contre deux. Pourquoi? Nous ne sommes pas devant des conflits individuels, lorsqu’on discute de la couleur des murs qu’on aime ou n’aime pas, ou de lieux préférés pour des vacances. Nous sommes devant des conflits de la signification profonde des choses, des conflits de valeurs et d’orientation de vie. Autour de la signification profonde des choses et des valeurs se forment différents groupes. Curieusement, Luc présente le conflit entre ces groupes comme un conflit de génération en nommant d’abord les plus âgés : père contre fils, mère contre fille, belle-mère contre bru. On peut alors imaginer que les plus âgés étaient gardiens de la tradition et ce sont les plus jeunes qui ont été séduits par le message chrétien et ont accepté le baptême. Mais on aura été peut-être surpris par la répétition des protagonistes : un père contre un fils, un fils contre un père, une mère contre une fille, une fille contre une mère, etc. Pourquoi répéter les protagonistes du conflit en les inversant? La raison semble simple : le conflit n’est pas un cas de persécution où un protagoniste subit les assauts d’un autre, mais les deux groupes sont actifs dans le conflit.

Quelle est la source de ce conflit ou de cette division? Il faut maintenant considérer la première partie de notre récit.

Jésus dit que c’est un feu qu’il est venu répandre sur cette terre. À quoi ce feu fait-il référence? Chez les prophètes comme Isaïe et Jérémie, le feu fait parfois référence à celui qu’utilise le forgeron pour purifier le minerai, et ainsi éliminer les scories et isoler le métal recherché, l’or, l’argent ou le cuivre; c’est une méthode pour séparer ce qu’on veut rejeter et ce qu’on veut garder. Jésus présente donc sa mission comme un projet de purification, identifiant et séparant les êtres inauthentiques des être authentiques. Mais pourquoi ajoute-t-il : « Comme j’aimerais que ce feu soit déjà allumé? » Cette phrase présuppose que ce feu n’est pas encore allumé. Quand le sera-t-il? La réponse est dans le verset qui suit.

Luc met dans la bouche de Jésus cette phrase : « Je dois être submergé par une forme de baptême, et ma vie est en tension jusqu’à ce que le tout soit accompli ». Qu’est-ce que cela signifie? Dans cette phrase, on reconnait le vocabulaire de Luc et, de manière assez claire, il fait référence à la fin tragique de Jésus, sa mort en croix, le destin des esclaves criminels. Ainsi, le feu dont parle Jésus ne sera pas vraiment allumée tant que cette fin tragique ne sera pas survenue. Comment comprendre tout cela?

Nous savons d’expérience qu’il y a des événements révélateurs de toute une vie, qui encapsulent en quelque sorte l’identité d’une personne. Prenons l’exemple de Maximilien Kolbe, ce prêtre franciscain polonais, qui, alors qu’il est emprisonné à Auschwitz en juillet 1941 et entend un homme qu’on amène pour son exécution crier : « Ma pauvre femme ! Mes pauvres enfants ! Que vont-ils devenir ? », s'offre à l’officier allemand pour remplacer ce pauvre homme; cette décision forte encapsule l’orientation de toute une vie. Prenons également l’exemple de Donald Trump. Son « grand et beau projet de loi » encapsule une vie au service de la richesse, utilisant l’intimidation et la loi du plus fort, où la solidarité, la compassion, l’humilité appartiennent aux « perdants ». Qu’encapsule donc la mort misérable de Jésus?

Les évangélistes, comme Luc, ont écrit tout un livre pour tenter de résumer sa vie, une vie où il demande de refuser de rendre le mal pour le mal, de se montrer compatissant face à tout être humain et de se soucier des plus pauvres et des marginaux, et où il dénonce ceux qui se servent de la religion pour asseoir leur pouvoir et s’enrichir, une vie marquée par des gestes de compassion à l’égard des malades sur son chemin, et son refus du pouvoir et des honneurs, une vie où les besoins de l’être humain ont préséance sur toutes les lois, une vie où éclate sa foi fondamentale qu’une force d’amour, un écho d’un mystère qu’il appelle « son Père », est à l’œuvre dans le monde et à laquelle il demande de s’ouvrir, une force qui nous appelle à former une seule famille. Jésus a non seulement enseigné, mais il a vécu son enseignement, ou plutôt, il a enseigné sa vie. Mais la force de son enseignement et de sa vie ont suscité une vive opposition, car elle attaquait de front le monde du pouvoir et de l’argent. La façon dont il est mort est en cohérence totale avec son enseignement et sa vie, alors qu’il est sans contrôle et sans pouvoir, habité seulement par la force d’aimer et sa foi fondamentale que, malgré tout ce qu’on peut observer, cette force d’amour triomphera. Et pour Luc, la crédibilité du témoignage de ceux qui ont fait l’expérience que ce Jésus, après sa mort, est mystérieusement vivant, même si cette vie relève d’une autre dimension, l’a amené à affirmer que le mystère à la source de ce monde, qu’on appelle Dieu, a confirmé que le chemin qu’il a emprunté est le bon chemin.

Ce récit autour de la vie Jésus de Nazareth, encapsulée par sa mort, est en quelque sorte ce feu qui force chacun à prendre position concernant l’orientation fondamentale de sa vie. Cela crée des divisions entre ceux pour qui ce chemin est vain, sans intérêt, et ne menant nulle part, et ceux qui croient qu’il est le seul à permettre de devenir pleinement humain.

Avouons-le, les divisions qu’évoque l’évangile, nous les vivons pratiquement tous les jours au cœur de nos vies. Quand les manchettes nous présentent les grands gagnants de notre monde économique et politique, montrant tout le contrôle qu’ils exercent dans le monde, ne sentons-nous pas le côté ridicule et vain de l’appel à prendre le lent et patient chemin de l’amour désintéressé, ne devons-nous pas nous ranger tout de suite du côté des perdants? C’est â ce moment qu’il faut nous rappeler que l’être humain est fondamentalement fait pour aimer, pour donner, pour entrer en relation fraternelle, et c’est seulement en vivant tout cela qu’il se sent être lui-même, qu’il vit une joie profonde; a-t-on jamais vu une telle joie profonde chez les despotes et ceux qui se disent « des gagnants »? Et pour le croyant, savoir qu’il a été précédé sur ce chemin par quelqu’un qui y a trouvé une vie infinie, lui permettant maintenant de poursuivre son oeuvre sans restriction de temps, tout cela suscite chez lui une espérance sans limite.


 

-André Gilbert, Gatineau, juillet 2025

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