![]() Sybil 1975 |
Le texte évangélique
Jean 12, 20-33 20 Parmi les grecs qui montaient à Jérusalem pour la fête de Pâque afin de rendre leur culte, 21 quelques uns allèrent trouver Philippe, originaire de Bethsaide en Galilée, et demandèrent ceci: «Monsieur, nous voudrions voir Jésus». 22 Philippe part trouver André avec cette demande. Et tous les deux se rendent auprès de Jésus et communiquent le tout. 23 Jésus leur fait cette réponse: «C'est déjà l'heure où le nouvel Adam révèlera la qualité extraordinaire de son être. 24 Vraiment, je vous l'assure, si le grain de blé mis en terre ne meurt pas, il demeure stérile. Mais s'il meurt, il donne beaucoup d'épis. 25 Celui qui tient avant tout à protéger sa vie finira par la perdre. Mais celui qui accepte d'exposer sa vie en ce monde la conservera sous la forme d'une vie sans fin. 26 Si quelqu'un veut s'attacher à moi, qu'il se mette à me suivre et jusqu'où j'irai, là aussi devra-t-il se rendre. Si quelqu'un s'attache à moi, le Père le chérira. 27 Et maintenant je suis terrifié. Comment pourrais-je dire: "Père, épargne-moi cette heure", quand je suis venu pour vivre cette heure. 28 Père, révèle la qualité extraordinaire de ton être.» À ce moment, il y a eu comme une voix venant du ciel: «Tout comme j'ai révélé la qualité extraordinaire de mon être dans le passé, je le ferai de nouveau». 29 La foule qui était là et se trouvait à avoir entendu, se disait: «Il y a eu un coup de tonnerre». D'autres disaient: «C'est un ange qui lui a parlé». 30 Jésus reprit la parole: «Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, mais pour vous. 31 Dès maintenant ce monde reçoit sa sentence, dès maintenant celui qui mène le monde sera éliminé. 32 Et moi, quand je serai élevé et quitterai cette terre, je m'attacherai tout le monde.» 33 Jésus révélait par là le type de mort qu'il allait subir. |
Des études |
![]() La migration | Commentaire d'évangile - Homélie Quand on s'arrête à lire ou écouter attentivement notre récit, sa signification apparaît assez vite. Des Grecs, à demi juifs par leur pratique religieuse, sont attirés par Jésus et cherchent à entrer en relation avec lui par l'intermédiaire des disciples les plus grecs, André et Philippe, originaires de la contrée hellénisée de Bethsaïde. Étrangement, Jésus répond d'abord aux deux disciples par un discours centré sur le sens de sa mort prochaine, puis amorce une courte prière où pointe son angoisse et qui se termine par son consentement à l'épreuve, enfin il se tourne vers la foule pour prédire l'échec des forces qui s'opposent à lui et annoncer son triomphe à travers tous les croyants qui seront attirés par lui. Pour résumer en un mot le récit: l'entrée dans la communauté croyante d'un cercle de croyants qui déborde le milieu juif constitue le fruit direct de l'action unique de Jésus qui est allé jusqu'à consentir à une mort tragique avant d'exercer son influence dans le monde par delà sa mort. Mais je trouve que la clarification des propos de l'évangéliste, loin de mettre un terme à ma réflexion, soulève d'innombrables questions. En particulier celle-ci : pourquoi faut-il mourir pour porter du fruit? L'image dans la bouche de Jésus est claire: "Vraiment, je vous l'assure, si le grain de blé mis en terre ne meurt pas, il demeure stérile. Mais s'il meurt, il donne beaucoup d'épis. " Cette image a été appliquée à Jésus. Mais, dans la trame de nos vies, à quelle vérité sommes-nous renvoyés? C'est curieusement l'évangile de Jean lui-même qui m'apporte un début de réponse: c'est l'action de redonner vie à Lazare qui conduit explicitement les autorités juives à décider de la mort de Jésus. N'est-ce pas paradoxal? Le fait de susciter la vie a appelé la mort sur lui. Et qui a fréquenté l'évangile selon Jean sait à quel point ce thème de la vie, en particulier cette mystérieuse "vie sans fin", est un fil conducteur. Alors pourquoi choisir la vie dans toute sa plénitude implique-t-il la mort? Mon expérience de vie apporte une réponse partielle. Dans le fond, je n'ai jamais cessé de mourir. En quittant l'utérus maternel, je coupais ma dépendance d'un cocon bien chaud. Quand vint de temps d'aller à l'école, je disais adieu à ces longues heures de jeu et d'insouciance pour apprendre à lire et écrire. Au début de l'adolescence, je devins demi-pensionnaire et renonçais à une partie de mes liens familiaux, pour travailler ardûment à acquérir le savoir. À 18 ans je quittais mon patelin de Rouyn-Noranda pour m'inscrire dans les institutions académiques de la région montréalaise. Un choix de vie me conduisit à des études universitaires à Ottawa, puis à des études bibliques en Europe et au Proche-Orient, constamment en train d'apprendre de nouvelles cultures, de nouveaux milieux. Le jour vint où j'ai fait le choix déchirant de quitter partiellement ce qui avait été construit pendant 20 ans, incluant la sécurité qui y était rattachée, pour commencer un nouveau projet de vie, ce qui impliquait mourir à beaucoup de réalités pourtant belles, afin de naître à autre chose. Quelle continuité peut-il y avoir dans toutes ces morts, sinon le désir d'être fidèle à la vie, à l'appel de la vie en plénitude et dans toute sa vérité? Quel sens peuvent avoir nos déserts, sinon l'atteinte de la terre promise? C'est ma conviction qu'un être humain ne peut grandir, rester constamment en marche, s'ouvrir sans cesse à la vérité et la vie qui se présentent sur son chemin, sans accepter de mourir chaque jour à une partie de lui-même, à la manière de la chrysalide qui devient papillon. Nous n'avons pas accès au journal intime de Jésus, mais j'imagine cette même réalité dans toute sa force, d'où son appel: Jusqu'où j'irai, là aussi devra se rendre celui qui s'attache à moi ". J'ai parlé de réponse partielle, non pas totale. Car un mystère demeure: pourquoi ces morts qui, du moins en apparence, loin de faire grandir, tuent au contraire l'âme et le coeur de la personne? Je relisais récemment l'histoire des frères ou soeurs ou parents ou collègues des 14 femmes tuées dans le massacre à l'École polytechnique de Montréal. Que d'êtres brisés qui avouent avoir perdu le goût de vivre depuis ce 6 décembre 1989, s'ils ne se sont pas suicidés par la suite. Comment maintenant parler de mort qui fait grandir? Sans avoir de réponse définitive, je constate que je ne peux accueillir ce mystère qu'en regardant dans la foi et l'amour l'histoire personnelle de Jésus, lui qui a dit: "Et maintenant je suis terrifié. Comment pourrais-je dire: 'Père, épargne-moi cette heure', quand je suis venu pour vivre cette heure. Père, révèle la qualité extraordinaire de ton être." Dans cette foi et cet amour, j'aimerais célébrer l'attente que ces morts insensés fassent naître une vie qu'on n'attendait plus.
-André Gilbert, Gatineau, décembre 1999 |
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