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Sommaire
Le récit sur la garde du tombeau a probablement existé dans les milieux populaires, de manière indépendante des évangiles. Matthieu en connaissait une version quil a intégrée dans son évangile, comme il a intégré dautres récits populaires, tels le massacre des enfants de Bethléem, la fuite en Égypte, le suicide de Judas, le rêve de la femme de Pilate, le lavement des mains de Pilate ou les phénomènes cosmiques à la mort de Jésus; il y a chez Matthieu un aspect beaucoup plus folklorique que chez les autres évangélistes. Lévangile non canonique de Pierre, écrit probablement au 2e siècle, donc quelques décennies après lévangile de Matthieu, connaissait une version plus longue dun récit de la garde du tombeau qui avait évolué avec le temps, et quil a intégré avec ce quil se rappelait de lépisode de Matthieu.
Quand il intègre ce récit populaire à son évangile, Matthieu le scinde en deux afin dy insérer lépisode des femmes au tombeau et le remanie pour donner à lensemble une certaine unité, et surtout pour faire inclusion avec son récit de lenfance où se succèdent cinq épisodes, alternant les scènes positives et négatives. Nous connaissons les éléments principaux du récit : les autorités juives demandent à Pilate un garde pour surveiller avec eux le tombeau pendant trois jours, à cause des paroles de Jésus, ce qui amène à poser un scellé sur la pierre; mais cette initiative est totalement inutile devant un phénomène cosmique où un ange roule la pierre du tombeau, ce qui provoque la décision des autorités juives dinventer le mensonge du vol du corps par les disciples de Jésus. Dans tout cela, quelle est la visée de lévangéliste? Elle est dabord eschatologique dans un langage apocalyptique : affirmer la puissance de Dieu qui fait triompher son fils malgré tous les stratèges humains. Elle est aussi polémique pour réfuter le mensonge répandu dans les milieux juifs pour expliquer le tombeau vide.
Ce récit a-t-il des chances dêtre historique? Nous navons aucune donnée tant interne quexterne pour en soutenir lhistoricité. Le plus grand obstacle à lhistoricité est labsence de la garde du tombeau chez tous les autres évangélistes. Même plus. La présence de gardes rendrait tout à fait inintelligible ce que racontent Marc, Luc et Jean, où le seule obstacle à lentrée des femmes au tombeau est la pierre; sil y avait eu des gardes, les femmes nauraient même pas pu penser y entrer.
- Traduction
- Commentaire
- La requête faite à Pilate (Mt 27, 62-64)
- Indication de temps
- Les gens impliqués
- Le souvenir de Jésus et ce quil a dit
- Une requête formulée par crainte concernant les disciples
- Pilate accepte la requête
- Conclusion sur le récit des gardes dans la scène de la résurrection (Mt 28, 2-4.11-15)
- Analyse
- La structure de la narration matthéenne de lensevelissement et le récit du garde-au-sépulcre
- Un récit consécutif à lorigine
- Une histoire tirée de la même collection de matériel populaire doù proviennent les autres ajouts de Matthieu au récit de la passion
- Une histoire que Matthieu a conservée sous une forme moins développée que lévangile de Pierre
- La visée fondamentale du récit du garde
- Lhistoricité du récit matthéen du garde au sépulcre
- Traduction
La traduction du texte grec est la plus littérale possible afin de permettre la comparaison des mots utilisés.
Luc 23 | Matthieu 27 | Évangile de Pierre 8 |
56b Et, bien sûr, au sabbat, elles se reposèrent selon le commandement. | 62 Puis, le lendemain, qui est le jour après la préparation, se rassemblèrent les grands prêtres et les Pharisiens chez Pilate | 28 Les scribes, les pharisiens et les anciens se rassemblèrent, parce quils avaient appris que tout le peuple murmurait et se frappait la poitrine, disant: « Si ces signes inouïs se sont produit à sa mort, voyez comme il était juste ! » |
| 63 disant : « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit encore vivant : "Après trois jours, je suis réveillé". | 29 Inquiets (plus particulièrement les anciens) et ils vinrent trouver Pilate et le suppliant et disant: |
| 64 Ordonne donc que soit surveillé le sépulcre jusquau troisième jour, de peur que, étant venus, ses disciples le dérobent et disent au peuple : "il sest réveillé des morts", et cette dernière imposture serait pire que la première. » | 30 « Donne-nous des soldats pour surveiller son tombeau pendant trois jours, de peur que ses disciples, étant venus, ne viennent le dérober, que le peuple accepte quil sest réveillé des morts et ne cherche à nous nuire. » |
| 65 Pilate leur déclarait : « Vous avez un garde. Allez, surveillez comme vous savez (comment) ». | 31 Puis, Pilate leur donna le centurion Petronius avec des soldats pour garder le sépulcre. Et avec ceux-ci, les anciens et des scribes vinrent au tombeau. |
| 66 Puis, eux étant allés, ils surveillèrent le sépulcre, ayant scellé la pierre avec le garde. | 32 Et ayant roulé une grande pierre, tous ceux qui étaient là, ensemble avec le centurion et les soldats, la placèrent sur lentrée du tombeau. |
| [28, 2 (le sabbat, au sépulcre) Et voici un grand tremblement de terre arriva. Car un ange du Seigneur étant descendu du ciel et étant venu, il roula la pierre et il était assis au-dessus delle. | 33 Et ils y apposèrent sept sceaux de cire; et ayant dressé là une tente, ils (le) surveillèrent. |
| 28, 3 Puis, était son apparence comme un éclair, et son vêtement blanc comme neige. | 9, 34 Mais tôt quand le sabbat commença, une foule arriva de Jérusalem et des environs pour voir le tombeau scellé. |
| 28, 4 Puis, à cause de la peur de lui, tremblèrent ceux qui étaient gardant et ils devinrent comme des morts.] | [9, 35 Puis, dans la nuit où le jour du Seigneur commença, pendant que les soldats le surveillaient, deux par deux pour chaque veille, il y eut une grande voix dans le ciel; |
| [28, 11 (après que les femmes eurent rencontré Jésus ressuscité et reçurent la demande daller vers ses frères, les disciples) : Puis, elles marchant, voici quelques uns des gardes étant allés vers la ville, ils rapportèrent aux grands prêtres toutes choses qui étaient arrivés. | 9, 36 et ils virent souvrir les cieux et deux hommes avec un grand rayonnement étaient descendus de là et sétaient approchés du sépulcre. |
| 28, 12 Et sétant rassemblés avec les anciens, en plus ayant pris une décision, ils donnèrent beaucoup de pièces dargent aux soldats, | 9, 37 Puis, cette pierre-là, qui avait été placée sur la porte, roula delle même, et couvrit une distance sur le coté, et le sépulcre souvrit et les deux jeunes hommes entrèrent. |
| 28, 13 disant : « Dites que ses disciples, étant venus de nuit, le dérobèrent, nous étant endormis. | 10, 38 Et alors, les soldats, ayant vu, réveillèrent le centurion et les anciens (car eux aussi étaient présents, surveillant). |
| 28, 14 Et si cela est entendu par le gouverneur, nous-mêmes nous le persuaderons et nous vous ferons sans soucis. » | 10, 39 Et alors quils leur racontaient ce quils avaient vu, de nouveau ils virent trois mâles qui étaient sortis du sépulcre, deux dentre eux soutenant lautre, et une croix les suivant, |
| 28, 15 Et eux, ayant pris les pièces dargent, ils firent comme ils avaient été enseignés. Et ce propos-là a été répandu chez les Juifs jusquà ce jour. | 10, 40 et la tête des deux atteignait le ciel, puis celle de celui quon ramenait dehors par la main dépassant les cieux. |
| | 10, 41 Et ils entendaient une voix des cieux disant : « As-tu fait la proclamation à ceux qui dorment ? » |
| | 10, 42 Et une obéissance fut entendue de la croix: « oui ». |
| | 11, 43 Et alors ces gens cherchaient une approche commune pour partir et clarifier ces choses pour Pilate; |
| | 11, 44 et alors quils en débattaient encore, là apparaît encore les cieux ouverts et un homme quelconque étant descendu et étant entré dans le tombeau. |
| | 11, 45 Ayant vu ces choses, ceux qui étaient autour du centurion se hâtèrent de nuit vers Pilate (ayant quitté le sépulcre quils surveillaient) et décrivirent toutes les choses quils avaient en effet vus, étant grandement tourmentés et disant : « Vraiment il était fils de Dieu ». |
| | 11, 46 En réponse, Pilate dit: « Je suis pur du sang du fils de Dieu, mais cétait pour vous que cela semblait (la chose à faire). |
| | 11, 47 Alors tous, sétant approchés, le suppliaient et lexhortaient à ordonner au centurion et à ses soldats de ne dire à personne ce quils avaient vu. |
| | 11, 48 « Car », dirent-ils, « il vaut mieux pour nous, dêtre débiteur de la dette du plus grand péché devant Dieu, que de tomber aux mains du peuple juif et dêtre lapidés. » |
| | 11, 49 Et ainsi Pilate ordonna au centurion et aux soldats de ne rien dire.] |
- Commentaire
Marc ne nous dit rien de ce qui sest passé entre le début du sabbat le vendredi soir et le dimanche de Pâques, quand les femmes trouvent le tombeau vide. Luc interprète le silence de Marc comme signifiant que les femmes se sont reposés, comme lexige la loi, faisant de celles-ci des femmes pieuses, à limage de toutes ces figures pieuses qui amorcent son évangile, incluant lenfant Jésus qui se rend au temple de Jérusalem. Cest une forme dinclusion autour de la figure de Jésus, lui-même très respectueux de la loi. Chez Matthieu, il y a aussi une forme dinclusion comme nous lavons déjà fait remarquer : dans la séquence ensevelissement-résurrection il y a cinq épisodes qui font écho aux cinq épisodes du récit de lenfance. Les deux épisodes sur les gardes sont probablement tirés dune collection de récits populaires doù nous viennent également le suicide de Judas, le rêve de la femme de Pilate, le lavement des mains de Pilate, les phénomènes extraordinaires à la mort de Jésus. Lévangile de Pierre, en plus de sinspirer de lévangile de Matthieu, a probablement utilisé également cette collection. Les récits autour des gardes du tombeau sont centrés sur la confirmation miraculeuse par Dieu de la victoire de Jésus. Cest ce que nous verrons maintenant en détail.
- La requête faite à Pilate (Mt 27, 62-64)
- Indication de temps
Lévangile de Pierre situe cette requête avant le début du sabbat (9, 34), ce qui signifierait tard le vendredi après-midi selon le calendrier juif, ou encore tôt le samedi matin selon le calendrier grec. Étant donné cette imprécision, on ne peut rien conclure. Pour Matthieu, la requête a lieu après la préparation, i.e. le jour du sabbat. Cette variation suggère que le récit originel sur les gardes ne contenait pas dindication précise de temps, et chaque évangéliste a insérée la scène au moment qui lui convenait.
- Les gens impliqués
« Se rassemblèrent les grands prêtres et les Pharisiens ». Les grand prêtres reviendront plus loin avec les anciens (28, 11-12). Nous sommes devant les adversaires traditionnels de Jésus. Ce qui surprend, cest la présence des Pharisiens qui nont jamais été associés directement à la mort de Jésus. Et comme ils sont également présents dans lÉvP, on peut penser quils font partie du récit originel des gardes. De plus, on peut penser que ce récit a été formulé à une période où les Pharisiens présentaient lopposition principale à la communauté chrétienne, ce qui suggère une date après lan 70. Enfin, notons deux choses sur lÉvP : le fait quil utilise le même verbe « se rassemblèrent », quon a chez Matthieu, trahit une certaine connaissance de cet évangile; ensuite, en décrivant une série dactivités pour sceller la tombe tout en maintenant quil sagit du jour du sabbat, lauteur de lÉvP démontre une méconnaissance des lois du sabbat, ce qui permet de douter quil soit un juif chrétien.
- Le souvenir de Jésus et ce quil a dit
- « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur (planē) a dit encore vivant : "Après trois jours, je suis réveillé" ». Cest surprenant dentendre « Seigneur » dans la bouche des autorités juives qui sadressent à Pilate, un geste de politesse totalement absent des récits de la passion. De plus, planē (imposteur) napparaît nulle part ailleurs dans les récits synoptiques de la passion. Comme cette dernière expression apparaît dans le Talmud pour désigner Jésus, nous avons une indication que ce récit des gardes est une création tardive.
- « Après trois jours, je suis réveillé ». Nulle part dans lévangile de Matthieu on a cette expression dans la bouche de Jésus qui parle plutôt de troisième jour : dans lannonce de la passion, Jésus dit que le fils de lhomme se réveillera le troisième jour. De plus, dire « après trois jours » nous amène au lundi. Peut-être ne faut-il pas insister sur le sens exact des mots, et considérer non pas le moment où cest prononcé, mais lensemble du récit de la passion. Par contre, ce qui surprend tout à fait, cest de constater que les chefs des prêtres et les Pharisiens comprennent parfaitement que lexpression « après trois jours » désigne la résurrection de Jésus, alors que même les disciples semblent navoir rien compris avant la résurrection. Tout cela favorise lidée que le récit a été formulé dans un contexte où les chrétiens ont déjà proclamé la résurrection, et leurs adversaires comprennent de quoi il sagit.
- Une requête formulée par crainte concernant les disciples
- « Ordonne (keleuein) donc que soit surveillé le sépulcre jusquau troisième jour, de peur que, étant venus, ses disciples le dérobent et disent au peuple : "il sest réveillé des morts", et cette dernière imposture serait pire que la première ». Cest le même verbe « ordonner » (keleuein) que Matthieu a utilisé plus tôt pour décrire le geste de Pilate qui ordonna quon remette le corps à Joseph. La requête est pour trois jours, donc limitée dans le temps, ce qui facilite une réponse positive. Il y a quelque chose de sarcastique dans le récit de Matthieu : les autorités juives, qui ont considéré comme fausse la prédication de Jésus, prennent maintenant au sérieux une de ces prétentions sur sa mort. Dans lévangile de Pierre on retrouve la même idée et une formulation semblable : on craint que les disciples viennent dérober le corps. Mais la finale est un peu différente : les autorités juives craignent le peuple qui pourrait lui vouloir du mal.
- Posons la question : ce que raconte ce récit est-il plausible? Ou encore, est-il vraisemblable que Pilate aurait agi pour empêcher une telle exaction? Notons que la violation des lieux de sépulture nétait pas inhabituel dans lAntiquité, soit pour des raisons honnêtes, comme déplacer un corps vers un meilleur lieu de sépulture, soit pour des raisons malhonnêtes, comme le vol dobjets précieux ou pour exercer la sorcellerie ou la magie; le cas qui nous intéresse tombe dans cette dernière catégorie. Il vaut la peine de mentionner ici cette plaque de marbre (61 cm x 38 cm) trouvée à Nazareth (mais provenant probablement dailleurs) au 19e s., écrite en grec, mais probablement traduite du latin, et portant le titre : Diatagma Kaisaros (Édit de César). Les experts datent cette inscription dans la période qui va de lan 50 av. JC à lan 50 ap. JC, et probablement au moment où lempereur Auguste régnait. Son but est de déclarer que les sépulcres et les tombeaux doivent demeurer intacts à perpétuité, et ceux qui violent ces lieux doivent être traînés en justice et punis; on ne peut pas bouger un corps sans raison valable. Il nen fallait pas plus pour que certains biblistes émettent lidée farfelue quon aurait ici une réponse de lempereur à un rapport de Pilate sur la découverte du tombeau vide de Jésus et du grabuge qui sen suivit entre les disciples de Jésus et les Juifs. On na aucune donnée sur un rapport quelconque de Pilate, ou dun intérêt quelconque de Rome sur cette question. Quoi quil en soit, cette inscription offre un arrière-plan à lhistoire des gardes : dune part, elle rappelle quon prenait au sérieux la possibilité de violer un lieu de sépulture, et dautre part, elle montre le côté ridicule de la peur des Juifs que des disciples, qui ont fui au moment de larrestation de Jésus, aurait eu le courage par la suite le courage daffronter lédit et de dérober le corps de Jésus.
- Pilate accepte la requête
- « Donne-nous (parididomai) des soldats... Puis, Pilate leur donna (parididomai) le centurion Petronius avec des soldats » (ÉvP 8, 30-31). Le même verbe (donner) est utilisé dans lévangile de Pierre pour la demande et la réponse à la demande, et comme cest le même verbe utilisé quand on « livra » ou « donna » Jésus aux autorités, le récit comporte une note ironique. Le centurion reçoit un nom, Petronius, un nom très latin, mais ce dernier ne prononcera aucune parole.
- « Vous avez (echete) un garde (koustōdian). Allez, surveillez comme vous savez (comment) » (Mt 27, 65). Quel est le sens de « vous avez un garde ». Certains biblistes ont pensé que Pilate aurait dit aux autorités religieuses : « Vous avez déjà des gardes qui vous servent, prenez lun deux ». Cest mal comprendre le texte de Matthieu : on naurait pas été voir Pilate, si on pouvait utiliser sa propre garde, et le terme même de koustōdia est un latinisme qui napparaît quici et convient à un préfet romain assignant des troupes. Ce que les autorités religieuses demandent, cest de disposer dun soldat romain pour surveiller le sépulcre. Ainsi, quand la résurrection aura lieu, le lecteur de Matthieu reconnaîtra que Dieu sest moqué à la fois de la puissance romaine et juive.
- « Puis, eux étant allés, ils surveillèrent le sépulcre, ayant scellé la pierre avec le garde » (Mt 27, 66); « Et ils y apposèrent sept sceaux de cire; et ayant dressé là une tente, ils (le) surveillèrent » (ÉvP 8, 33). Matthieu et lévangile de Pierre parlent tous les deux du geste de sceller le sépulcre pour le protéger. Et dans les deux cas, on applique de la cire sur la pierre, si bien quouvrir le tombeau impliquerait de briser le sceau. LÉvP parle de sept sceaux, un chiffre qui pourrait avoir une symbolique spéciale comme en Ap 5, 1-5 qui parle dun rouleau scellé de sept sceaux, qui ne peut être ouvert que par le lion de la tribu de Judas : cela rend son ouverture plus difficile, mais démontre la puissance de Dieu quaucune précaution humaine ne peut restreindre.
- Conclusion sur le récit des gardes dans la scène de la résurrection (Mt 28, 2-4.11-15)
« (alors que le sabbat commence à poindre et que les femmes arrivent au tombeau) Et voici un grand tremblement de terre arriva. Car un ange du Seigneur étant descendu du ciel et étant venu, il roula la pierre et il était assis au-dessus delle. Puis, était son apparence comme un éclair, et son vêtement blanc comme neige. Puis, à cause de la peur de lui, tremblèrent ceux qui étaient gardant et ils devinrent comme des morts ».
Alors que lévangile de Pierre présente le récit de la garde du tombeau comme une unité, et qui sera suivi par celui des femmes venant au tombeau, Matthieu entremêle les deux récits. Pour les démêler, il faut considérer ce quil ajoute au récit de Marc. Tout dabord, alors que ce dernier décrit les femmes comme arrivant tôt le dimanche matin, pour trouver le tombeau déjà ouvert et un jeune homme assis à lintérieur, Matthieu raconte plutôt que les femmes sont venues tard le samedi soir et, alors quelles arrivent au sépulcre, assistent à un tremblement de terre et voient un ange ressemblant à un éclair descendre du ciel pour rouler la pierre. Et de manière ironique, alors que la terre « tremble », les gardiens « tremblent »; alors quils sont responsables de surveiller le « mort », ils deviennent comme « mort ». Lévangile de Pierre comporte des similitudes et des différences par rapport à celui de Matthieu :
- La scène se passe également le soir où se termine le sabbat et commence le « jour du Seigneur »
- Par contre, la scène commence avec un cri venant du ciel qui souvre et deux anges mâles qui en descendent
- Quant à la pierre, elle roule par elle-même sur le côté pour laisser entrer les anges
- Enfin, les soldats réveillent le centurion et les anciens pour raconter ce quils ont vu
Mais lévangile de Pierre présente une scène qui lui est unique
- Les deux anges mâles, dont la tête atteint le ciel, sortent du sépulcre le Christ dont la tête est encore plus élevée
- Ils sont suivis par une croix qui parle pour rassurer les cieux que ceux qui se sont endormis ont également reçus la proclamation
« Voici quelques uns des gardes étant allés vers la ville, ils rapportèrent (apaggellein) aux grands prêtres toutes choses qui étaient arrivés (ta ginomena). Et sétant rassemblés (synagein) avec les anciens, en plus ayant pris une décision (symboulion lambanein), ils donnèrent beaucoup de pièces dargent (argyrion) aux soldats... ».
Tout le vocabulaire de Matthieu est une réutilisation ce quil a écrit plus tôt pour créer une inclusion : le centurion qui, en voyant ce qui est arrivé (ta ginomena) a proclamé sa foi (27, 54), les grands prêtres qui sétaient rassemblés (synagein) plus tôt pour prendre une décision (symboulion lambanein) pour condamner Jésus (26, 3), et ce qui a amené Judas à rapporter largent (argyrion). Pour Matthieu, les autorités juives continuent à être cohérentes dans leur fourberie.
« Dites que ses disciples, étant venus de nuit, le dérobèrent, nous étant endormis. Et si cela est entendu par le gouverneur, nous-mêmes nous le persuaderons et nous vous ferons sans soucis. Et eux, ayant pris les pièces dargent, ils firent comme ils avaient été enseignés. Et ce propos-là a été répandu chez les Juifs jusquà ce jour »
Le lecteur de Matthieu ne devait pas être surpris de cette fourberie, car lévangéliste a raconté au procès de Jésus comment les autorités religieuses ont recherché des faux témoignages pour le mettre à mort : tout comme a recouru au mensonge pour le mettre à mort, on recourt maintenant au mensonge pour tuer sa mémoire. Et tout comme Judas a pris largent (26, 15), les soldats prennent largent pour agir selon les instructions reçues. La scène se termine avec la référence aux « Juifs » qui ont répandu la fausse histoire. Cest ici une des occurrences dans les synoptiques où lexpression « les Juifs » désigne un groupe étranger et hostile, reflétant une période où les disciples de Jésus ne se considéraient plus comme des Juifs.
- Le récit de ÉvP 11, 43-49 est beaucoup plus élaboré. Ceux qui surveillaient le tombeau (soldats et anciens) se rendent immédiatement chez Pilate, même sil fait nuit, pour raconter ce quils ont vu, incluant leur compréhension que tout cela montre quil était fils de Dieu, une confession de foi. La réponse de Pilate montre quil admet cette confession de foi, tout en rappelant que la responsabilité de la mort de Jésus revient aux Juifs. Pourtant, lacceptation de cette confession ne lempêche pas dêtre daccord avec eux pour garder le silence sur toute laffaire. Ainsi, pour lÉvP, tant les autorités juives que romaines sont malhonnêtes et trompent le peuple.
- Analyse
- La structure de la narration matthéenne de lensevelissement et le récit du garde-au-sépulcre
- Un récit consécutif à lorigine
- Deux indices facilement observables démontrent quà lorigine lépisode de la garde du tombeau constituait un seul récit consécutif :
- Cest un seul récit consécutif que présente lévangile de Pierre, et on comprendrait mal pourquoi lauteur se serait donné la peine de coudre ensemble les divers morceaux de Matthieu et den faire ensuite une préface au récit des femmes au tombeau
- Quand on enlève du récit du tombeau chez Matthieu tout ce qui vient de Marc, on obtient un récit complet sur la garde du tombeau
- Mais alors, pourquoi Matthieu aurait-il scindé un récit originel consécutif pour limbriquer dans une structure plus complexe? Pour répondre à cette question, il faut regarder lensemble de lévangile, et plus particulièrement son récit de lenfance : tout comme il a organisé le récit de lenfance en cinq épisodes, alternant les épisodes favorables à Jésus avec ceux défavorables, chaque épisode comportant une référence à lÉcriture, de même il a construit lensemble ensevelissement-résurrection en cinq épisodes, alternant les épisodes favorables à Jésus avec ceux défavorables. Appelons A les épisodes favorables (en majuscule, le personnage principal), et B les épisodes défavorables (en caractère foncé, le personnage principal).
Partie 1 : Le récit de la naissance |
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A1 | 1, 18-25 | (Is 7, 14) | Premier rêve de JOSEPH où un ange lui révèle que lenfant à naître de Marie est le messie |
B1 | 2, 1-12 | (Mi 7, 5) | Les mages rencontrent Hérode, les grands prêtres, et les scribes, qui donnent de linformation, mais en fait complotent contre Jésus; les magent trouve lenfant et sa mère à Bethléem et offrent leur révérence; ils repartent par un autre chemin |
A2 | 2 13-15 | (Os 11, 1) | Deuxième rêve de JOSEPH où un ange demande de partir en Égypte avec lenfant et sa mère |
B2 | 2, 16-18 | (Jr 31, 15) | Hérode tue les enfants mâles de Bethléem dans un effort infructueux de tuer Jésus |
A3 | 2, 19-23 | (Is 4, 3?) | Troisième rêve de JOSEPH où un ange demande de quitter lÉgypte pour Nazareth, car ceux qui cherchaient à atteindre à la vie de lenfant sont morts |
Partie 2 : Le récit de lensevelissement-résurrection |
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A1 | 27, 57-61 | Lensevelissement par Joseph, un DISCIPLE, avec des FEMMES DISCIPLES qui observent |
B1 | 27, 62-66 | Les chefs des prêtres et les Pharisiens obtiennent de Pilate un garde de surveillance pour protéger le sépulcre des prétentions de Jésus de se réveiller |
A2 | 28, 1-10 | Les FEMMES DISCIPLES font au sépulcre; un tremblement de terre; un ange descend du ciel et roule la pierre; les gardes tremblent et deviennent comme morts; un ange fait une révélation aux femmes qui doivent lannoncer aux DISCIPLES; les femmes voient Jésus |
B2 | 28, 11-15 | Le garde de surveillance annonce toutes ces choses aux grands prêtres, qui, en accord avec les anciens, les soudoient avec des pièces dargent pour quils racontent faussement que les disciples ont dérobé le corps |
A3 | 28, 16-20 | Sur une montagne de Galilée Jésus apparaît aux onze DISCIPLES et les envoie en mission vers toutes les nations |
Comme on peut le constater, les épisodes positifs (A) ont été enchevêtrés avec les épisodes négatifs (B) dans un schéma : positif-négatif-positif-négatif-positif. Cette structure dans le récit ensevelissement-résurrection soutient lidée que larrangement actuel chez Matthieu de lhistoire de la garde du tombeau ne représente pas la séquence originelle. En créant cet écheveau, Matthieu a dû sécarter de la séquence de Marc qui a utilisé lensevelissement comme une scène de transition entre la crucifixion et la résurrection; chez Matthieu, lensevelissement est le début dune séquence qui pointe vers la résurrection. Et dans lalternance des épisodes positifs et négatifs, laccent est sur les épisodes positifs : les épisodes négatifs ne sont là que pour mettre en valeur la puissance de Dieu.
- Une histoire tirée de la même collection de matériel populaire doù proviennent les autres ajouts de Matthieu au récit de la passion
- Nous avons déjà fait remarquer que Matthieu complète de temps en temps le récit quil reçoit de Marc avec des récits populaires marqués par une réflexion dune imagination très colorée sur la mort de Jésus : parler de récits populaires signifie seulement quils ont été véhiculés par dautres voies que la prédication missionnaire ou la catéchèse baptismale. On peut penser à la scène du suicide de Judas et lachat dun champ avec largent de la trahison, celle du rêve de la femme de Pilate et de la description du lavement des mains de Pilate, celle du quatrain poétique (tremblement de terre, rochers qui se fendent, tombeaux qui souvrent, morts qui sortent) sur les événements accompagnant la mort de Jésus. La scène du garde au tombeau appartient à cette collection. Mais notons son caractère très anti-juif avec les grands prêtres, les Pharisiens et les anciens présentés comme des fourbes.
- Lidée dun récit populaire est renforcée par la présence dun parallèle dans lévangile apocryphe de Pierre où Pilate dit aussi quil est innocent du sang du juste, où la résurrection est proclamée aux déjà-endormis, tout comme les déjà-endormis se réveillent chez Matthieu. Lidée dun récit populaire est aussi renforcée par le parallèle avec le récit de lenfance qui présente également des scènes populaires, comme les révélations en rêve par un ange et lhistoire des mages qui reçoivent une révélation céleste à travers une étoile qui se pose sur Bethléem.
- Mais nallons pas croire que Matthieu a pris seulement de la colle et des ciseaux pour insérer ces récits populaires dans lévangile quil reçoit de Marc. Il a pris le temps de les repenser et de les reformuler pour donner au résultat final une unité de propos et de style.
- Une histoire que Matthieu a conservée sous une forme moins développée que lévangile de Pierre
- Nous avons déjà fait remarquer que lévangile de Pierre a conservé la forme originelle du récit du garde, alors que Matthieu la scindé. De plus, la version de ÉvP est beaucoup plus longue, due dune part au fait quelle reflète lévolution du récit au 2e s., et dautre part au fait quelle connaissait probablement par un lointain souvenir le récit de Matthieu et laurait combiné avec le récit bien connu.
- Voici une liste possible demprunts à Matthieu quon trouve dans lévangile de Pierre.
- Lexpression « Vraiment, fils il était de Dieu » (ÉvP 11, 45) est beaucoup plus près de celle de Matthieu « Vraiment, fils de Dieu était celui-là », que celle de Marc « « Vraiment, cet homme-là était fils de Dieu ».
- LÉvP parle trois fois des anciens dans son récit de la passion, un terme également très utilisé par Matthieu dans le même cadre : Mt = 7; Mc = 3; Lc = 1; Jn = 0.
- La situation de ceux qui dorment (« As-tu fait la proclamation à ceux qui dorment ? » ÉvP 10, 41) est probablement un écho de Mt 27, 52 (« plusieurs corps de des saints qui avaient été endormis furent réveillés).
- LÉvP a probablement entendu parler au moins vaguement du lavement des mains de Pilate et de sa déclaration de non responsabilité dans la mort de Jésus (Mt 27, 24), quil reprend à deux moments, 1,1 pour le lavement des mains, et 11, 46 pour la déclaration de non responsabilité
- Par contre, on trouve dans lévangile de Pierre des éléments absents de Matthieu et qui soutiennent lidée quil avait en sa possession un récit beaucoup plus développé des gardes au tombeau.
- Lépisode contient 22 versets, contre 10 chez Matthieu, donc présente un récit plus développé
- Le centurion a un nom, Petronius
- On parle de sept sceaux
- La pierre roule delle-même
- Il y a la présence de figures gigantesques
- La croix parle
- La confession par les autorités juives de Jésus comme fils de Dieu
- Leur peur du peuple
- Un autre fait vient soutenir lidée que lauteur de lévangile de Pierre connaissait deux versions de lépisode du garde au tombeau. On trouve dans le codex Bob(b)iensis (version vieille latine du 4e ou 5e s., mais probablement une copie dun archétype du 2e ou 3e s.) de Mc 16, 3/4 une addition latine : « Soudainement à la troisième heure du jour, lobscurité vint sur toute la terre, et des anges descendirent du ciel; et sélevant dans léclat brillant du Dieu vivant, ils montèrent avec lui; et aussitôt la lumière revint ». Nous avons ici un parallèle de ÉvP 9, 36 (deux hommes au grand rayonnement qui descendent du ciel); 10, 39-40 (les trois hommes, dont la tête montent jusquau ciel, sortent du sépulcre) dans un contexte semblable. Il est possible que le récit de ce codex était attaché originellement à lheure où Jésus meure, quand lobscurité vint sur toute la terre, et que les anges vinrent pour enlever Jésus de la croix. Dans ce cas, ÉvP aurait combiné cette scène avec celle des gardes au sépulcre.
- En plus des emprunts à un récit populaire et à lévangile de Matthieu, lévangile de Pierre reflète aussi des touches personnelles de lauteur.
- Lexpression « Jour du Seigneur »
- La fixation à la fin du vendredi, avant le début du sabbat, du moment où la requête fut adressée à Pilate, alors que le récit originel navait pas de date précise
- La fréquence de lexpression « les Juifs »
- La visée fondamentale du récit du garde
Cette visée prend trois directions
- Une visée polémique. Il réfute le bobard que les disciples de Jésus auraient dérobé son corps. Cet accent est probablement apparu tardivement dans le récit du garde, au moment où les Juifs ont commencé à décrire Jésus comme un imposteur et quil y avait des conflits permanents entre les missionnaires chrétiens et les enseignants juifs daffiliation pharisienne.
- Une visée apologétique. Car le récit montre que Jésus respecte sa parole : « Après trois jours, je suis réveillé »; dès lors, il ny plus de doute sur la vérité de la parole qui est prêché à toutes les nations jusquà la fin des temps.
- Une visée eschatologique avec un imaginaire apocalyptique. Le message proclame le triomphe du fils de Dieu contre ses ennemis, ceux qui apparaissaient comme des chefs tout puissants et les plus hautes autorités religieuses; à travers des phénomènes cosmiques on a la dramatisation de la grande puissance de Dieu que ne peuvent arrêter les obstacles humains.
- Lhistoricité du récit matthéen du garde au sépulcre
- Quand on discute de lhistoricité dun récit, cest une mauvaise méthode de déclarer dentrée de jeu comme non historique un récit, parce quil contient du surnaturel, comme ici avec lange qui descend du ciel pour rouler la pierre; un tel principe écarterait au point de départ toute discussion sur la résurrection. De même, ce nest pas parce quun récit est étiqueté comme histoire populaire ou comme ayant une visée apologétique quil doit être rejeté demblée comme une fabrication. Enfin, ce nest pas une meilleure méthode quont utilisé certains biblistes qui, après avoir examiné par exemple la scène de corruption des gardes pour répondre une fausse nouvelle, ont décidé que la scène était absurde, et donc non historique; au contraire, si on examine tout le récit pour lui-même, ses éléments sont tout à fait plausibles.
- Par contre, un argument majeur contre son historicité est non seulement labsence de garde au sépulcre chez tous les autres évangiles, mais le fait que leur présence aurait rendu leur récit inintelligible; en effet, le seul obstacle à lentrée des femmes au tombeau est la pierre, et sil y avait eu des gardes, les femmes nauraient même pas pu penser y entrer. On pourrait aussi signaler dautres éléments invraisemblables, quoique mineurs, comme le fait que les autorités juives connaissaient les paroles de Jésus sur sa résurrection et lauraient bien interprétées, alors que ses propres disciples nont clairement rien compris. Certains biblistes ont essayé dimaginer un récit préévangélique où un Joseph dArimathée aurait pris des précautions pour protéger le sépulcre, et ce récit préévangélique auraient évolué pour devenir le récit quon a chez Matthieu. Mais ni Matthieu, ni ÉvP, qui présentent cet épisode de la garde du tombeau, ne font de lien entre Joseph et cet épisode. Il vaut mieux reconnaître que nous navons aucune donnée tant interne quexterne pour soutenir lhistoricité de cette scène, tout comme pour dautres scènes de Matthieu, comme le massacre des enfants de Bethléem ou la fuite en Égypte de lenfant Jésus.
- Ceci étant dit, tout cela nenlève pas sa valeur au récit qui a avant tout une visée eschatologique dans un cadre apocalyptique, i.e. la dramatisation de la puissance de Dieu par laquelle la cause de son fils sort victorieuse de toute lopposition humaine, et qui permet lenvoie en mission avec ces mots : « Voici! Je suis avec vous tous les jours jusquà la fin des temps ».
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Appendice 1: L’évangile de Pierre. Un récit de la passion non canonique
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