Analyse biblique de Luc 3, 10-18

Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.


 


  1. Traduction du texte grec (28e édition de Kurt Aland)

    Texte grecTexte grec translittéréTraduction littéraleTraduction en français courant
    10 Καὶ ἐπηρώτων αὐτὸν οἱ ὄχλοι λέγοντες• τί οὖν ποιήσωμεν;10 Kai epērōtōn auton hoi ochloi legontes• ti oun poiēsōmen?10 Et interrogeaient lui les foules disant: quoi donc nous fassions?10 Les foules interrogeaient Jean en lui demandant : « Que devons-nous faire? »
    11 ἀποκριθεὶς δὲ ἔλεγεν αὐτοῖς• ὁ ἔχων δύο χιτῶνας μεταδότω τῷ μὴ ἔχοντι, καὶ ὁ ἔχων βρώματα ὁμοίως ποιείτω.11 apokritheis de elegen autois• ho echōn dyo chitōnas metadotō tō mē echonti, kai ho echōn brōmata homoiōs poieitō.11 Mais répondant il disait à eux: celui ayant deux tuniques, qu’il partage avec qui n’ayant pas, et qui ayant nourriture pareillement qu’il fasse.11 Sa réponse était de leur dire ceci : « Qui a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de la nourriture fasse de même. »
    12 ἦλθον δὲ καὶ τελῶναι βαπτισθῆναι καὶ εἶπαν πρὸς αὐτόν• διδάσκαλε, τί ποιήσωμεν;12 ēlthon de kai telōnai baptisthēnai kai eipan pros auton• didaskale, ti poiēsōmen?12 Mais vinrent aussi des péagers pour être baptisés et ils dirent envers lui : maître, quoi nous fassions?12 Des douaniers vinrent à lui pour se faire baptiser et lui demander : « Maître, que devons-nous faire? »
    13 ὁ δὲ εἶπεν πρὸς αὐτούς• μηδὲν πλέον παρὰ τὸ διατεταγμένον ὑμῖν πράσσετε.13 ho de eipen pros autous• mēden pleon para to diatetagmenon hymin prassete.13 Mais lui dit envers eux: rien de plus, par rapport à ce qui a été prescrit à vous, exécutez.13 Et lui leur répondit : « Ne prélevez rien de plus que ce qu’on vous a prescrit. »
    14 ἐπηρώτων δὲ αὐτὸν καὶ στρατευόμενοι λέγοντες• τί ποιήσωμεν καὶ ἡμεῖς; καὶ εἶπεν αὐτοῖς• μηδένα διασείσητε μηδὲ συκοφαντήσητε καὶ ἀρκεῖσθε τοῖς ὀψωνίοις ὑμῶν.14 epērōtōn de auton kai strateuomenoi legontes• ti poiēsōmen kai hēmeis? kai eipen autois• mēdena diaseisēte mēde sykophantēsēte kai arkeisthe tois opsōniois hymōn.14 Mais ils interrogeaient lui aussi ceux faisant leur service militaire disant : quoi nous fassions aussi nous? Et il dit à eux : rien que vous n’extorquiez ni diffamiez et soyez satisfaits des salaires de vous.14 Des militaires l’interrogeaient également avec ces mots: « Et nous, que devons-nous faire? » Il leur dit : « Ne molestez et ne calomniez personne, et contentez-vous de votre solde. »
    15 Προσδοκῶντος δὲ τοῦ λαοῦ καὶ διαλογιζομένων πάντων ἐν ταῖς καρδίαις αὐτῶν περὶ τοῦ Ἰωάννου, μήποτε αὐτὸς εἴη ὁ χριστός,15 Prosdokōntos de tou laou kai dialogizomenōn pantōn en tais kardiais autōn peri tou Iōannou, mēpote autos eiē ho christos,15 Mais étant attendant le peuple et résonnant tous dans les coeurs d’eux au sujet de Jean, de peur que lui qu’il soit le messie.15 Comme le peuple était dans l’attente et que tout le monde débattait dans son coeur si Jean ne serait pas le messie,
    16 ἀπεκρίνατο λέγων πᾶσιν ὁ Ἰωάννης• ἐγὼ μὲν ὕδατι βαπτίζω ὑμᾶς• ἔρχεται δὲ ὁ ἰσχυρότερός μου, οὗ οὐκ εἰμὶ ἱκανὸς λῦσαι τὸν ἱμάντα τῶν ὑποδημάτων αὐτοῦ• αὐτὸς ὑμᾶς βαπτίσει ἐν πνεύματι ἁγίῳ καὶ πυρί•16 apekrinato legōn pasin ho Iōannēs• egō men hydati baptizō hymas• erchetai de ho ischyroteros mou, hou ouk eimi hikanos lysai ton himanta tōn hypodēmatōn autou• autos hymas baptisei en pneumati hagiō kai pyri•16 Il répondit disant à tous le Jean : moi certes dans l’eau je baptise vous. Mais il vient le plus fort que moi, celui dont je ne suis pas capable de détacher la courroie des sandales de lui. Lui vous baptisera en esprit saint et en feu.16 Jean prit la parole pour dire : « Moi, certes, je vous baptise dans l’eau, mais celui qui est plus fort que moi s’en vient, celui dont, moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
    17 οὗ τὸ πτύον ἐν τῇ χειρὶ αὐτοῦ διακαθᾶραι τὴν ἅλωνα αὐτοῦ καὶ συναγαγεῖν τὸν σῖτον εἰς τὴν ἀποθήκην αὐτοῦ, τὸ δὲ ἄχυρον κατακαύσει πυρὶ ἀσβέστῳ.17 hou to ptyon en tē cheiri autou diakatharai tēn halōna autou kai synagagein ton siton eis tēn apothēkēn autou, to de achyron katakausei pyri asbestō.17 Celui pour, la vanneuse dans la main de lui, nettoyer l’aire de lui et rassembler le blé vers la grange de lui, mais la paille se consumera entièrement au feu inextinguible.17 Il a en main la pelle à vanner pour nettoyer son aire et recueillir le blé dans sa grange. Et quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »
    18 Πολλὰ μὲν οὖν καὶ ἕτερα παρακαλῶν εὐηγγελίζετο τὸν λαόν.18 Polla men oun kai hetera parakalōn euēngelizeto ton laon.18 Plusieurs choses donc aussi autres exhortant il évangélisait le peuple18 Par plusieurs autres exhortations, il annonçait la bonne nouvelle au peuple.

  1. Analyse verset par verset

    v. 10 Les foules interrogeaient Jean en lui demandant : « Que devons-nous faire? »

    Littéralement: Et interrogeaient lui les foules disant: quoi donc nous fassions?

 
Quand des gens posent la question : « Que devons-nous faire? », ils indiquent leur désir de changer de vie, de se convertir. Jean a suscité ce mouvement de conversion, et le gens demandent comment être conséquent avec cette conversion. Notons que nous sommes au niveau moral : tout est centré sur l’agir.

v. 11 Sa réponse était de leur dire ceci : « Qui a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de la nourriture fasse de même. »

Littéralement : Mais répondant il disait à eux: celui ayant deux tuniques, qu’il partage avec qui n’ayant pas, et qui ayant nourriture pareillement qu’il fasse.

 
La réponse de Jean reprend l’appel à la compassion qu’on trouve dans le Judaïsme.
  • Isaïe 58, 7 : « Ce qui plaît à Dieu... n’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair? »
  • Ézéchiel 18, 5 : « Quiconque est juste... donne son pain à qui a faim et couvre d’un vêtement celui qui est nu... »

Jean n’invente rien ou ne propose rien de nouveau, mais seulement le retour aux grandes valeurs du Judaïsme.

La réponse de Jean rejoint également les grands thèmes de Luc : le souci des pauvres (4, 18; 6, 20; 7, 22; 14, 13; 16, 20), la compassion (10, 30 : la parabole du bon Samaritain), le partage (12, 16 : la parabole du riche insensé; 19, 1 : l’histoire de Zachée)

L’historien Juif Flavius Josèphe confirme que Jean Baptiste a offert un enseignement moral aux gens qui l’écoutaient, un peu à la manière des prophètes de l’Ancien Testament. Plus particulier, il note ceci en parlant de sa mort aux mains d’Hérode : [117] En effet, Hérode l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il excitât simplement les Juifs à recevoir le baptême, pourvu qu’ils pratiquent la vertu, soient justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu. Car c’est à cette condition, selon Jean, que Dieu considérerait le baptême comme agréable, c’est-à-dire s’ils s’en servaient non pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, dans la mesure où leur âme avait été préalablement purifié par la justice. (Antiquités Judaïques, xviii, 5, 2)

v. 12 Des douaniers vinrent à lui pour se faire baptiser et lui demander : « Maître, que devons-nous faire? »

Littéralement : Mais vinrent aussi des péagers pour être baptisés et ils dirent envers lui : maître, quoi nous fassions?

 
Après sa réponse générale adressée à tout le monde, Jean se tourne vers des groupes particuliers, comme ces douaniers ou publicains. Cela signifie qu’en plus de l’appel à la compassion et au partage, ces douaniers reçoivent un appel relié spécifiquement à leur type de travail.

Les douaniers étaient détestés et mal vus par les Juifs, car ils collaboraient avec les conquérants romains et païens à qui revenait l’argent perçu. La mention de leur présence parmi les baptisés montre l’ampleur de l’influence de Jean Baptiste et, pour Luc qui nous donne ce récit, leur bonne volonté.

Puisque Jean Baptiste baptisait dans la région du fleuve Jourdain, une zone frontière avec la Pérée (Jordanie actuelle), on comprend la présence de ces douaniers pour prélever des taxes aux visiteurs ou aux citoyens revenants au pays.

v. 13 Et lui leur répondit : « Ne prélevez rien de plus que ce qu’on vous a prescrit. »

Littéralement : Mais lui dit envers eux: rien de plus, par rapport à ce qui a été prescrit à vous, exécutez.

 
L’appel de Jean Baptiste nous indique que des douaniers ne se gênaient pas pour demander des « extra », et donc profiter de leur rôle pour s’enrichir, ce qu’on appelle aujourd’hui de la corruption. Ainsi, Jean ne leur demande pas d’arrêter leur travail, mais de le faire avec honnêteté et intégrité, en évitant toute cupidité. Il ne s’agit pas du tout d’une invitation à la compassion ou à la générosité, mais simplement à démontrer du professionnalisme dans leur travail.

v. 14 Des militaires l’interrogeaient également avec ces mots: « Et nous, que devons-nous faire? » Il leur dit : « Ne molestez et ne calomniez personne, et contentez-vous de votre solde. »

Littéralement : Mais ils interrogeaient lui aussi ceux faisant leur service militaire disant : quoi nous fassions aussi nous? Et il dit à eux : rien que vous n’extorquiez ni diffamiez et soyez satisfaits des salaires de vous..

 
Qui sont ces militaires? Ils peuvent être romains au service du préfet envoyé de Rome, ou Juifs au service d’Hérode. Quoi qu’il en soit, ils ne représentent pas une catégorie bien vue dans les milieux religieux. Encore ici, Luc tient à nous montrer leur bonne volonté et l’influence de la prédication de Jean Baptiste.

Pourquoi Jean leur demande-t-il d’éviter de molester les gens ou de les calomnier? On peut comprendre que les militaires sont dans une situation de pouvoir, et ils peuvent abuser de ce pouvoir, soit par la violence faite aux gens, soit en les accusant injustement. Cette situation rappelle celle des policiers dans nos sociétés modernes. Encore une fois, Jean exige le respect et l’intégrité dans l’exercice de leur travail, bref à démontrer leur professionnalisme, rien de plus.

Encore une fois, notons que Jean Baptiste baptisait dans la région du fleuve Jourdain, une zone frontière avec la Pérée (Jordanie actuelle), et donc on comprend la présence des militaires pour protéger les frontières.

v. 15 Comme le peuple était dans l’attente et que tout le monde débattait dans son coeur si Jean ne serait pas le messie,

Littéralement : Mais étant attendant le peuple et résonnant tous dans les coeurs d’eux au sujet de Jean, de peur que lui qu’il soit le messie.

 
Luc semble dire qu’il y avait dans le Judaïsme de l’époque une attente généralisée d’un messie. De fait, dans l’imaginaire des gens religieux comme les pharisiens, on associait la venue du messie avec l’approche de la fin des temps. Et Jean Baptiste appartient à ce mouvement eschatologique qui annonce la fin des temps pour bientôt et auquel Jésus lui-même appartient. Donc, il ne faut pas être surpris de voir les gens discuter du messie dans un tel contexte. À Qumran on entretenait l’idée d’un messie prêtre ou d’un messie davidique qui serait le leader d’Israël à la fin des temps.

On pourrait se demander : d’où vient ce mouvement eschatologique (fin des temps) et apocalyptique (Dieu se révèle)? Pourquoi s’est-il intensifié vers le 2e siècle av. J.-C. sous le prophète Daniel pour ensuite s’atténuer vers la fin du premier siècle de l’ère chrétienne? Il apparaît habituellement dans un contexte de tensions politico-religieuses et de perte de liberté. C’est ce qui se passe en Palestine avec l’arrivée des Grecs et la persécution d’Antiochus IV Épiphane au 2e siècle av. J.-C., suivie par l’occupation romaine : on a l’impression que tout son monde s’écroule, qu’on est sans pouvoir, que seule une intervention directe de Dieu pourra dénouer la situation, et que la seule façon de vraiment communiquer dans la communauté est de le faire en secret et dans un langage codé, en attendant l’arrivée d’un messie envoyé par Dieu qui dénouera ce drame et ouvrira la porte à la fin des temps.

À la fois Jean Baptiste et Jésus prêcheront que la fin du monde est sur le point d’arriver. Tous les deux prêcheront que Dieu est sur le point d’intervenir, la différence étant que, pour Jésus, cette intervention étant déjà commencée par les guérisons qu’il opérait. Par contre, autant il est clair que Jean Baptiste attendait le messie, autant la position de Jésus sur le sujet est plus obscure : bien sûr les évangiles racontent que ses disciples, en particulier Pierre, proclament qu’il est le messie ou Christ (Matthieu 16, 16-20), mais l’analyse critique de ces passages portent l’empreinte de la théologie de l’évangéliste après Pâques alors qu’il écrit vers l’an 80, et donc ne reflètent pas le Jésus historique.

v. 16 Jean prit la parole pour dire : « Moi, certes, je vous baptise dans l’eau, mais celui qui est plus fort que moi s’en vient, celui dont, moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.

Littéralement : Il répondit disant à tous le Jean : moi certes dans l’eau je baptise vous. Mais il vient le plus fort que moi, celui dont je ne suis pas capable de détacher la courroie des sandales de lui. Lui vous baptisera en esprit saint et en feu.

 
Pourquoi Jean posait-il ce geste du baptême d’eau? L’a-t-il emprunté à quelqu’un? Les Juifs connaissaient le geste des ablutions d’eau, signe de purification. On connaît l’histoire de Naamân le lépreux que le prophète Élisée envoie se baigner sept fois dans le Jourdain pour être guéri (2 Rois 5, 10). Il est possible que Jean Baptiste ait été influence par les Esséniens de Qumran non loin de l’endroit où il baptisait et qui pratiquaient des ablutions fréquentes pour des raisons de pureté rituelle. Cependant son geste avait trois différences fondamentales :
  • On ne posait ce geste qu’une seule fois
  • Il ne visait pas la pureté rituelle, mais exprimait un désir de conversion
  • On ne pouvait se donner soi-même le baptême, mais on le recevait par l’intermédiaire d’un autre, nommément Jean Baptiste ou un de ses disciples

Jean annonce un plus fort que lui. De qui parle-t-il? Pour l’évangile Luc alors qu’il écrit vers l’an 80 et pour nous aujourd’hui, il s’agit bien sûr de Jésus. Mais si nous nous plaçons vers l’an 27 ou 28, au plus fort de la prédication du baptiste, il est tout probable que Jean ne le savait pas lui-même. Il imaginait peut-être une figure eschatologique, comme on le faisait à Qumran où on entretenait l’idée de leaders d’Israël à la fin des temps, i.e. un messie prêtre ou un messie davidique. Mais il ne s’agissait certainement pas de Jésus comme on le constate dans cette scène où, en prison, il est obligé d’envoyer ses disciples s’enquérir s’il est vraiment celui qui doit venir (Matthieu 11, 2).

Pourquoi Jean annonce-t-il un plus fort que lui? Il est probable que dans ce drame de la fin des temps, il ne se voyait pas apte à être l’acteur du dernier acte. Ce dernier acte avait deux aspects, le salut par le don de cet Esprit de Dieu annoncé par l’Ancien Testament pour ceux qui auront accepté le baptême de conversion, et la destruction par le feu sacré qui consumera les récalcitrants. Tout cela était hors du pouvoir du baptiste qui n’était que le messager.

Quelle est ce baptême dans l’Esprit Saint? L’Ancien Testament, la littérature intertestamentaire et Qumran parlent de la promesse de l’Esprit pour les derniers temps : Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, et vos jeunes gens des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit (Joël 3, 1-2). Ainsi, Dieu répandra une part de son être dans le coeur les gens, et ceux-ci seront transformés au point de voir les choses à Sa manière. Voilà que Jean Baptiste rappelle cette promesse de Dieu au moment où il annonce la fin des temps. Dans la façon dont Luc reprend ce thème de l’Ancien Testament, on ne peut s’empêcher d’y voir une allusion à la Pentecôte où l’Esprit a été répandu sous forme de langues de feu, début de la communauté chrétienne.

v. 17 Il a en main la pelle à vanner pour nettoyer son aire et recueillir le blé dans sa grange. Et quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

Littéralement : Celui pour, la vanneuse dans la main de lui, nettoyer l’aire de lui et rassembler le blé vers la grange de lui, mais la paille se consumera entièrement au feu inextinguible.

 
L’idée d’une intervention de Dieu qui signale la fin des temps ou Jour du Seigneur est apparue très tôt dans l’histoire d’Israël :
  • Malheur à ceux qui soupirent après le jour de Yahvé! Que sera-t-il pour vous, le jour de Yahvé? Il sera ténèbres, et non lumière (Amos 5, 18, 8e siècle av. J.-C.).
  • Hurlez car il est proche, le jour de Yahvé, il arrive comme une dévastation de Shaddaï (Isaïe 13, 6, 8e siècle av. J.-C.).
  • Il est proche, le jour de Yahvé, formidable! Il est proche, il vient en toute hâte! O clameur amère du jour de Yahvé: c’est maintenant un preux qui pousse le cri de guerre! Jour de fureur, ce jour-là! jour de détresse et de tribulation, jour de désolation et de dévastation, jour d’obscurité et de sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres (Sophonie 1, 14-15, 7e siècle av. J.-C.).
  • Car le jour est proche, il est proche le jour de Yahvé; ce sera un jour chargé de nuages, ce sera le temps des nations. L’épée viendra en Égypte, l’angoisse au pays de Kush, quand les morts tomberont en Égypte, quand on emportera ses richesses et que ses fondements seront renversés (Ézéchiel 30, 4-5, 6e siècle av. J.-C.).
  • En ce jour-là - oracle de Yahvé - je frapperai tous les chevaux de confusion, et leurs cavaliers de folie. Et je frapperai de cécité tous les peuples. (Mais sur la maison de Juda j’ouvrirai les yeux.) Alors les chefs de Juda diront en leur coeur: "La force pour les habitants de Jérusalem est en Yahvé Sabaot, leur Dieu." En ce jour-là, je ferai des chefs de Juda comme un brasier allumé dans un tas de bois, comme une torche allumée dans une gerbe. Ils dévoreront à droite et à gauche tous les peuples alentour. Et Jérusalem sera encore habitée en son lieu (à Jérusalem) (Zacharie 12, 4-6, 6e siècle av. J.-C.).
  • « Que les nations s’ébranlent et qu’elles montent à la vallée de Josaphat! Car là je siègerai pour juger toutes les nations à la ronde. Lancez la faucille : la moisson est mûre; venez, foulez : le pressoir est comble; les cuves débordent, tant leur méchanceté est grande! ...Le soleil et la lune s’assombrissent, les étoiles perdent leur éclat... Mais Yahvé sera pour son peuple un refuge... Jérusalem sera un lieu saint, les étrangers n’y passeront plus! » (Joël 4, 12-17, 5e siècle av. J.-C.)
  • J’écoutai sans comprendre. Puis je dis: "Mon Seigneur, quel sera cet achèvement?" Il dit: "Va, Daniel; ces paroles sont closes et scellées jusqu’au temps de la Fin... Pour toi, va, prends ton repos; et tu te lèveras pour ta part à la fin des jours. (Daniel 12, 8-13, 2e siècle av. J.-C.).

On peut se poser la question : comment Israël a-t-il développé cette idée d’une histoire qui aura un jour une fin, plutôt qu’une vision cyclique de la vie où les événements se répètent en boucle infinie à la manière des saisons, comme on le voit par exemple en Égypte? Il est possible que l’expérience d’un Dieu qui intervient dans la vie d’un peuple pour le sauver d’une mort certaine, comme le raconte le récit de la sortie d’Égypte, ou encore le retour d’exil de Babylone, bref l’expérience d’un Dieu maître de l’histoire ait amené les prophètes à imaginer qu’il y aura un jour une intervention définitive de Dieu pour éliminer le mal et remettre la création dans son ordre originel. Les premiers textes de l’Ancien Testament cités plus haut nous présentent la figure de Yahvé sous les traits d’un guerrier furieux de constater l’état de son peuple. Par la suite, la pensée s’universalise et le Jour de Seigneur signifie la victoire d’Israël sur ses ennemis. Et avec Daniel, ce jugement final de Dieu coïncide avec la fin de l’aventure humaine. Si le monde a eu un commencement, il devrait avoir une fin.

Pour décrire le jugement de Dieu, Jean utilise l’image familière du paysan qui, après avoir récolté son blé, en fait le vannage pour séparer la balle de la céréale en le projetant en l’air avec une pelle, si bien que la bale et toutes les impuretés partent au vent et que seul le blé retombe immédiatement au sol. Ce jugement de Dieu sépare donc les bons des méchants. Mais Jean met l’accent sur l’activité qui suit, i.e. une activité de nettoyage : le blé est récupéré pour être précieusement conservé dans un grenier ou une grange, tandis que la balle ou la paille devenue inutile est détruite par le feu. L’image suggère que Dieu conservera en vie les gens fidèles, et éliminera les infidèles. Dans certains milieux juifs, seuls les croyants fidèles connaîtront la résurrection des morts. Quant aux autres, c’est la mort éternelle. D’ailleurs l’image du feu est très souvent associée à la destruction dans l’Ancien Testament:

  • Yahvé fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu venant de Yahvé (Genèse 19, 24)
  • Or le peuple élevait une lamentation mauvaise aux oreilles de Yahvé, et Yahvé l’entendit. Sa colère s’enflamma et le feu de Yahvé s’alluma chez eux: il dévorait une extrémité du camp (Nombres 10, 36)
  • Cette oeuvre de péché que vous aviez fabriquée, ce veau, je le pris, je le brûlai au feu, je le broyai, je le réduisis en fine poussière, et j’en jetai la poussière au torrent qui descend de la montagne (Deutéronome 9, 21).
  • Oui, un feu a jailli de ma colère, il brûlera jusqu’aux profondeurs du shéol; il dévorera la terre et ce qu’elle produit, il embrasera la base des montagnes (Deutéronome 32, 22).
  • Enfin celui qui sera désigné par le sort en ce qui concerne l’anathème sera livré au feu, lui et tout ce qui lui appartient, pour avoir transgressé l’alliance avec Yahvé et avoir commis une infamie en Israël. (Josué 7, 15)
  • La lumière d’Israël deviendra un feu et son Saint une flamme, elle brûlera et consumera ses épines et ses ronces en un jour (Isaïe 10, 17)
  • Quand sèchent les branches on les brise, des femmes viennent et y mettent le feu. Or ce peuple n’est pas intelligent, aussi son créateur n’aura pas pitié de lui, celui qui l’a modelé ne lui fera pas grâce. Et il arrivera qu’en ce jour-là, Yahvé fera le battage, depuis le cours du Fleuve jusqu’au torrent d’Égypte, et vous, vous serez glanés un à un, enfants d’Israël (Isaïe 27, 11).
  • Vous concevez du foin, vous enfantez de la paille, mon souffle, comme un feu, vous dévorera (Isaïe 33, 11).

Quel est ce feu qui ne s’éteint pas? Il était coutume à l’époque comme aujourd’hui d’avoir des dépotoirs publics. Le feu y était constamment maintenu et ainsi on pouvait en tout temps jeter des choses pour qu’elles soient consumées. N’allons pas associer ce feu à l’idée de l’enfer, lieu de souffrances terribles et de damnation, développée dans le christianisme médiéval ou à la Renaissance: cette idée est absente du Judaïsme et des évangiles.

v. 18 Par plusieurs autres exhortations, il annonçait la bonne nouvelle au peuple.

Littéralement : Plusieurs choses donc aussi autres exhortant il évangélisait le peuple

 
Après avoir parlé de jugement et de destruction par le feu, on peut s’étonner que Luc nous parle de l’annonce d’une bonne nouvelle. Mais en fait, pour lui l’accent est sur la venue du plus fort que Jean et qui baptisera dans l’Esprit Saint. Et pour son auditoire chrétien, cette venue s’identifie à Jésus. De plus, dans son récit de l’enfance de Jésus, Luc a tenu à mettre en parallèle Jean Baptiste et Jésus. Cette approche se poursuit ici en montrant que tous les deux ont annoncé la bonne nouvelle. C’est une façon habile de montrer la continuité entre l’Ancien Testament, représenté par Jean, et le Nouveau Testament, représenté par Jésus.

  1. Analyse de la structure du récit

    • Questions sur les suites à donner au baptême de Jean
      • De manière générale, partage avec les autres si on est dans l’abondance
      • Pour les douaniers, demeurer professionnel
      • Pour les militaires, demeurer professionnel
    • Question du peuple sur l’identité du baptiste : est-il le messie promis?
      • Réponse de Jean : annonce d’un plus fort que lui qui offrira un baptême dans l’Esprit Saint et exercera un véritable jugement
    • Conclusion du narrateur : un exemple d’annonce de bonne nouvelle chez Jean

  2. Analyse du contexte

    • Jean réalise la prophétie d’Isaïe en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés (3, 1-6)
    • Jean proclame qu’il ne suffit pas d’être Juif pour éviter le jugement qui s’en vient, mais il faut vraiment changer de vie (3, 7-9)
    • Jean spécifie ce qu’implique la conversion (3, 10-14)
    • Jean précise qu’il n’est pas le messie et qu’un plus fort que lui baptisera dans l’Esprit Saint et établira le jugement (3, 15-18)
    • Hérode Antipas emprisonne Jean Baptiste (3, 19-20)
    • Jésus en prière reçoit l’Esprit Saint et la confirmation d’être aimé de Dieu (3, 21-22)
    • Généalogie de Jésus (3, 23-38)
    • L’Esprit conduit Jésus au désert où il tenté par le diable au désert (4, 1-13)
    • L’Esprit conduit Jésus en Galilée où il enseigne et voit sa réputation grandir (4, 14-15)

    Nous pouvons faire quelques considérations sur le contexte :

    • Notre passage opère une transition de Jean Baptiste à Jésus : Jean n’est là que pour préparer le chemin pour Jésus en invitant les gens à la conversion et à attendre quelqu’un qui sera vraiment en mesure de donner l’Esprit Saint.
    • Bref, Jean Baptiste n’a de valeur qu’en relation avec Jésus qu’il annonce.

  3. Analyse des parallèles

    Rappelons que, selon la théorie la plus acceptée dans le monde biblique, Marc aurait été le premier à publier son évangile, Matthieu et Luc auraient réutilisé une bonne part de l'oeuvre de Marc dans leur évangile, tout en intégrant une autre source, connue des deux et appelée « source Q », ainsi que d'autres sources qui leur sont propres, et enfin Jean aurait publié plus tard un évangile indépendant, sans connaître Marc, Matthieu et Luc, même s'il semble avoir eu accès à des sources semblables.

    Dans ce contexte, l'étude des parallèles nous permet de mieux cerner ce qui est spécifique à chaque évangéliste. Voici notre convention : on a souligné les passages de Marc repris par l'un ou l'autre ses autres évangélistes; on a mis en bleu ce qui est commun à Matthieu et Luc seulement. En rouge, les paroles de Jean que l'on retrouve également sous la plume des autres évangélistes, probablement en raison du fait que les différentes sources ont des points communs.

    Marc 1Matthieu 3Luc 3Jean 1
      10 Et les foules l’interrogeaient, en disant: « Que nous faut-il donc faire? » 
      11 Il leur répondait: « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » 
      12 Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: « Maître, que nous faut-il faire? » 
      13 Il leur dit: « N’exigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit. » 
      14 Des soldats aussi l’interrogeaient, en disant: « Et nous, que nous faut-il faire? » Il leur dit: « Ne molestez personne, n’extorquez rien, et contentez-vous de votre solde. » 
       24 Et ils avaient été envoyés par les Pharisiens.
       25 Ils l’interrogèrent et lui dirent : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le oint, ni Élie, ni le prophète? »
      15 Comme le peuple était dans l’attente et que tous se demandaient en leur coeur, au sujet de Jean, s’il n’était pas le oint, 
    7-8 Et il proclamait disant: « Il vient le plus fort que moi derrière moi, dont je ne suis pas capable, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec l’eau, puis, lui vous baptisera dans un esprit saint. »11 « Moi certes, je vous baptise dans l’eau en vue du repentir; puis, le venant derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas capable d’enlever les sandales; lui il vous baptisera dans un esprit saint et du feu.16 il répondit disant à tous le Jean : « Moi certe avec l’eau je vous baptise, puis, il vient le plus fort que moi, dont je ne suis pas capable de délier la courroie de ses sandales; lui il vous baptisera dans un esprit saint et du feu.26-27 il leur répondit le Jean disant : « Moi, je baptise dans l’eau. Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, le venant derrière moi, dont moi je ne suis pas digne que soit déliée de lui la courroie de sandale. »
     12 duquel la pelle à vanner dans sa main et il nettoiera son aire et il recueillera son blé dans le grenier; puis, des bales, il consumera au feu inextinguible. »17 duquel la pelle à vanner dans sa main pour nettoyer son aire et recueillir le blé dans son grenier; puis, des bales, il consumera au feu inextinguible. » 
      18 Et par bien d’autres exhortations encore il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. 
       28 Ces chose à Béthanie survinrent de l’autre côté du Jourdain, où Jean baptisait.

     

    Nous pouvons faire quelques considérations sur ces parallèles :
    • Les versets 10-14 de Luc lui sont uniques et proviennent probablement d’une source particulière. Ses exhortations morales sont typiques de celle qu’on attend d’un prophète et ne font que refléter les grandes valeurs du judaïsme.
    • V.15 est également unique à Luc et est probablement rédactionnel, i.e. est une composition personnelle: beaucoup de leaders ou prophètes au premier siècle se verront affublés du titre de messie, et donc on peut comprendre que certains aient pu donner ce titre à Jean Baptiste. Luc résume à sa manière une époque.
    • Mt 3, 11-12 et Lc 3, 16-17 sont presqu’identiques et proviennent vraisemblablement d’une source commune aux deux qu’on appelle Source Q. Cette source affirme quatre points : 1) Jean baptisait dans l’eau dans un geste de repentir; 2) il attendait quelqu’un de plus fort que lui pour mener le drame final à son dénouement; 3) cet autre personnage serait en mesure d’accomplir la promesse du don de l’Esprit; 4) cet autre personnage exercera le jugement final
    • Les quatre évangélistes connaissaient la distinction entre le baptême d’eau et baptême de l’Esprit Saint et le fait que le baptiste attendait un être plus fort ou plus grand que lui pour le jugement final. Mais Jean ajoute des éléments de sa théologie où il reprend certains thèmes favoris : celui de l’envoi (Jean Baptiste a été envoyé par Dieu tout comme Jésus), celui de la connaissance (au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas) et de l’habitation (l’Esprit descendre et demeurer en lui).
    • Enfin, Luc termine ce passage avec une conclusion qui lui est unique et qui fait de Jean Baptiste un annonceur de bonne nouvelle, tout comme Jésus : tout comme il l’a fait pour les récits de l’enfance (ch. 1 et 2), ce parallélisme entre Jean Baptiste et Jésus montre que l’Ancien et le Nouveau Testament constituent une même histoire dont Jésus est la clé de voute.
    • Comment expliquer les similitudes entre Jean et les autres évangélistes? La réflexion chrétienne pour situer Jean-Baptiste dans la mission de Jésus a été si intense qu'elle s'est retrouvée dans plusieurs traditions, celle qu'a utilisé Marc, la source Q, et la tradition que Jean avait en main; or il est normal de trouver des points communs dans toutes ces traditions qui provenaient peut-être à l'origine d'un tronc commun.

  4. Intention de l'auteur en écrivant ce passage

    • Sur le plan historique, nous savons que c’est Jean Baptiste qui a éveillé en quelque sorte Jésus à sa vocation et, pendant quelque temps, Jésus fut son disciple (voir Meier sur le sujet) et ce n’est qu’après l’emprisonnement du baptiste que Jésus en pris son envol et attiré à lui quelques uns de ses disciples. Jean s’est posé beaucoup de questions sur l’identité de Jésus et il ne semble pas avoir résolu cette question avant de mourir. D’ailleurs les Actes des Apôtres (Ac 19, 3) racontent qu’à peu près 20 ans plus tard, à Éphèse, il y a encore des disciples de Jean Baptiste qui ignorent totalement ce baptême dans l’Esprit Saint de Jésus. Qu’est-ce que cela signifie? La présentation de Jean Baptiste que nous avons à travers les évangiles ne cherche pas à donner le mot à mot de ses échanges avec Jésus, mais est le fruit de la réflexion chrétienne plusieurs années plus tard pour situer le baptiste dans l’événement Jésus et l’action de Dieu. Alors que Jean Baptiste se voyait probablement comme le précurseur de l’intervention finale de Dieu dans le monde, les chrétiens l’on perçu comme le précurseur de Jésus.

    • Pourtant, à part sa finale du v. 18, Luc ne semble pas avoir inventé de toute pièce le contenu de ce passage : aux vv. 10-14, il reprend un récit qui lui vient d’une source propre, et aux vv. 11-17 il reprend la source Q. Le fait même de coller ensemble ces deux récits différents dit quelque chose de son intention : la prédication de Jean et la conversion morale à laquelle il invite son auditoire est vraiment une étape obligée pour accéder à la foi en Jésus. Mais en même temps, Jean n’est qu’une étape dans l’histoire sainte dont Jésus est vraiment le pivot.

    • Si j’avais à résumer la pensée de Luc alors qu’il s’adresse à sa communauté chrétienne, peut-être celle de Corinthe, je dirais ceci : « Mes chers Corinthiens, ne pensez pas accéder à ce que propose Jésus sans d’abord changer de vie en embrassant ce que le Judaïsme offre de meilleur, mais en même temps Jésus vous fera entrer dans un monde vraiment différent. »

  5. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

    Ce passage offre plusieurs angles de lecture, et donc plusieurs cadres pour regarder l’actualité.

    • Un premier angle est l’idée même d’un précurseur. Pour Luc et les premiers chrétiens, Jean Baptiste a constitué une étape importante dans l’événement Jésus, il a été en quelque sorte son annonciateur, même si sur le plan historique cela n’est pas tout à fait exact. D’après l’histoire et notre expérience, nous savons l’importance des témoins qui nous ouvrent à des moments clés. Voici des situations contemporaines qui offrent un tel cadre de lecture.
      • Nelson Mandela et l’Afrique du Sud : nous avons ici quelqu’un qui a contribué à changer les mentalités et mettre fin à l’apartheid; pourtant c’est une révolution inachevée quand on regarde la situation actuelle avec ses inégalités et sa violence.
      • On peut considérer qu’Abraham Lincoln comme un instrument de la fin de l’esclavage. Pourtant tout ceci n’a été qu’une étape dans cette longue marche vers l’égalité où il faut ajouter des gens comme Rosa Parks et Martin Luther King.
      • Chacun peut regarder sa vie et nommer des personnes déterminantes dans ce que nous sommes devenus.
      • Si on regarde le premier siècle de la Palestine, l’événement Jésus aurait-il été possible sans l’événement Jean Baptiste? À l’inverse, s’il n’y avait eu que l’événement Jean Baptiste, quel aurait été la suite de l’histoire d’Israël et de l’humanité en général?

    • Un angle de lecture est celui de la conversion morale (partager et demeurer professionnel) à laquelle Jean Baptiste invite son auditoire.
      • Pourquoi invite-t-il les gens à cette conversion? Est-ce le principal critère à considérer face au jugement imminent de Dieu? En d’autres mots, ceux qui partagent ou ne cèdent pas à la corruption passeront-il très bien le test du jugement de Dieu?
      • Peut-on devenir chrétien sans passer par une conversion morale? En d’autres mots, quelqu’un ne peut se prétendre chrétien s’il ne partage pas ses biens, évite les pots-de-vin, ne moleste jamais, n’abuse jamais de son pouvoir. À l’inverse, suffit-il de vivre ces valeurs morales pour être chrétien? Qu’est-ce qui manque alors? Pourquoi?
      • Sur le plan moral, il y a-t-il en général une différence entre un chrétien et non chrétien, entre un être religieux et un autre non religieux?
      • Aux yeux de Jean cette conversion morale semble insuffisante, car il doit annoncer une nouvelle intervention de Dieu qui dépasse ses capacités?
      • Quand on regarde la corruption à tous les niveaux du secteur public, on se pose la question : pourquoi des gens cèdent-ils ainsi à la tentation de la corruption? Et donc ne peut-on pas dire que beaucoup de gens n’ont pas été capables d’une conversion morale? Où ont-ils « manqué le bateau »?

    • Un autre angle est celui de la question du Messie.
      • Dans toutes nos sociétés, on est à la recherche d’un messie qui nous sortira de la situation détestable où nous sommes; mais qui peut vraiment être messie? À quelle condition?
      • Jean Baptiste semble dire qu’on ne peut jouer ce rôle de messie sans cette capacité de répandre l’Esprit et de pouvoir opérer dans ce monde un jugement universel; a-t-il raison?
      • Si Jésus est vraiment le Messie espéré, pourquoi ce monde qui est le nôtre n’est-il pas un véritable paradis? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné?

    • Un autre angle est celui du ménage à faire dans notre monde entre bons et méchants.
      • Dans toutes nos sociétés, on voudrait pouvoir éradiquer le mal en éliminant tous les fauteurs de trouble : est-ce vraiment possible?
      • Les États-Unis et, dans une certaine mesure, le Canada, ont augmenté les peines pour les gens reconnus coupables pour des infractions à la loi : est-ce la direction à suivre si on s’inspire de l’Évangile?
      • Peut-on éradiquer le mal sans en connaître la source profonde?
      • Ne peut-on pas dire que des gens comme Néron et Hitler peuvent être associés à cette paille que le messie « brûlera au feu qui ne s’éteint pas »?

 

-André Gilbert, Gatineau, novembre 2012