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Sommaire
Oui, Jésus a été disciple du Baptiste. La prédication de ce dernier a été un moment-clé de sa vie qui la amené à quitter son travail autour de lan 28, alors quil avait environ 34 ans, et à se faire baptiser dans le Jourdain par celui quil considère comme un super-prophète eschatologique envoyé par Dieu, confessant quIsraël est devenu un peuple pécheur et montrant sa solidarité avec ce peuple, puis à rejoindre un groupe de disciples du Baptiste. Cest au sein de ce groupe quil sest mis à son tour à baptiser et à se signaler, au point que les disciples du Baptiste commenceront à sattacher à lui. Tout en gardant la base de lenseignement de Jean-Baptiste, il donnera à sa prédication un accent particulier, axé sur la bonne nouvelle de larrivée du Royaume de Dieu, et surtout opérera des guérisons confirmant la présence de ce Royaume. Tout cela surprendra Jean, son mentor, qui sinterrogera sur ce disciple pas tout à fait comme les autres et se demandera si Jésus ne serait pas cette personne plus forte que lui dont il a parlé. Mais il ne semble pas avoir pu répondre à cette question, car le mouvement baptiste quil a créé se poursuivra tout au long du premier siècle, au point dêtre parfois en conflit avec les Chrétiens. Jésus a baptisé tout au long de son ministère, si bien que le baptême de lÉglise na été que la continuation de sa pratique.
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Jésus a-t-il été un disciple de Jean-Baptiste? Pour répondre à cette question, il faut dabord répondre à une question préalable : Jésus a-t-il vraiment été baptisé par Jean-Baptiste? Bien sûr, dans limaginaire des gens Jésus a été baptisé par Jean-Baptiste et il existe plusieurs peintures se représentant cet événement. Regardons plutôt les résultats dune recherche historique rigoureuse.
- Mentionnons dentrée de jeu que lhistorien juif Flavius Josèphe, qui parle à la fois de Jésus et de Jean-Baptiste, ne mentionne jamais ce baptême. Si on se tourne maintenant vers les quatre évangiles, on sera sans doute surpris dapprendre que Marc (1, 9-11) est le seul à le décrire, puisque Matthieu et Luc dépendent de Marc, et Jean, qui est indépendant de Marc, ne raconte pas le baptême de Jésus. Voici ce que chaque évangéliste en dit.
Marc 1, 9-11 |
Matthieu 3, 13-17 |
Luc 3, 21-22 |
Jean 1, 29-30.33-34 |
Et il arriva, en ces jours-là, que Jésus vint de Nazareth de Galilée
 
 
 
 
 
 
et il fut baptisé dans le Jourdain, par Jean. Et aussitôt remontant de leau,
il vit les cieux se déchirant et lEsprit comme une colombe descendre en lui.
Et une voix, des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi je me suis complu. » |
Alors arrive Jésus venant de Galilée au Jourdain vers Jean pour être baptisé par lui.
Celui-ci len détournait, disant : « Moi, jai besoin dêtre baptisé par toi, et toi tu viens à moi! » Mais répondant, Jésus lui dit : « Laisse faire pour linstant; ainsi, en effet, il nous convient daccomplir toute justice. »
Alors il le laisse faire. Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de leau
et voici les cieux souvrirent et il vit lEsprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
Et voici une voix, des cieux, disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu. » |
Or il arriva,  
 
 
 
 
 
 
quand tout le people eut été baptisé, et Jésus ayant été baptisé et priant,
que le ciel souvrit et lEsprit Saint descendit sous forme corporelle comme une colombe sur lui,
et il eut une voix, du ciel: « Tu es mon Fils; moi, aujourdhui, je tai engendré. » |
Le lendemain, Jean voit Jésus venant vers lui et il dit: « Voici lagneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Cest de lui que jai dit : Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce quavant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, celui-là ma dit :
 
 
 
Celui sur qui tu verras lEsprit descendre et demeurer sur lui, cest lui qui baptise dans lEsprit Saint.
Et moi jai vu et je témoigne que celui-ci est lÉlu de Dieu. » |
- On pourrait douter que ce baptême ait eu lieu et penser quil sagit dune création chrétienne. Il suffit de regarder la théophanie qui suit avec lEsprit qui entre en Jésus et Dieu qui déclare que Jésus est son Fils bien-aimé pour constater que nous sommes devant une interprétation théologique, et non des faits historiques. On peut donc penser que les premiers chrétiens ont pu relire la vie de Jésus en fonction de lexpérience de leur propre baptême. Et quel serait le candidat idéal pour conférer le baptême à Jésus? Jean-Baptiste. Pourtant, une étude rigoureuse force à conclure que le baptême de Jésus par Jean-Baptiste a bel et bien eu lieu pour les raisons suivantes :
- Le premier critère est celui de lembarras ou de la gêne : ce baptême est gênant pour les disciples de Jésus, car il place celui-ci dans une position inférieure à Jean-Baptiste, et surtout force Jésus à vivre un baptême de repentir pour le pardon des péchés, lui quon considère sans péché. Il est si gênant que les autres évangélistes vont essayer den réduire les dommages.
- Marc lui-même résume le baptême à quelques mots (il fut baptisé dans le Jourdain par Jean) et met plutôt laccent sur la théophanie qui affirme la supériorité de Jésus (pour faire taire les prétentions de la communauté rivale des baptistes).
- Chez Matthieu, on mentionne le baptême comme un fait du passé (ayant été baptisé), mais surtout on présente un Jean Baptiste, conscient de la supériorité de Jésus, qui demande à Jésus la permission de le baptiser (Cest moi qui ait besoin dêtre baptisé par toi, et tu viens à moi!).
- Luc est encore plus radical : Jean-Baptiste est déjà en prison au moment il fait allusion au baptême de Jésus sans mentionner qui le baptise (Hérode enferma Jean en prison. Or il arriva, quand tout le peuple eut été baptisé, et Jésus ayant été baptisé...).
- Jean est le plus radical de tous : le baptême de Jésus est totalement supprimé et Jean ne porte jamais le titre de baptiste; il est impensable que le Verbe fait chair puisse recevoir le baptême de Jean! Il nen garde que la théophanie, mais quil réécrit pour en faire une parole de Dieu non pas adressée à Jésus sous forme dexpérience personnelle, mais adressée à Jean-Baptiste pour linformer de lidentité de Jésus.
Donc, il est totalement impensable que les premiers chrétiens aient inventé un événement qui les aurait embarrassés.
- Le deuxième critère est celui dattestations multiples, même si lapproche ne peut être quindirecte : en plus de Marc, la source Q et la tradition johannique confirmeraient le baptême de Jésus.
A) Commençons avec la source Q. Il est clair que Matthieu et Luc dépendent de Marc pour leur récit. Mais il faut tout de même noter des accords mineurs entre Matthieu et Luc, au détriment de Marc, qui pourraient venir de cette source Q.
- Mt et Lc disent « ayant été baptisé » (participe passé passif) et non « fut baptisé » (passé simple passif), « les cieux (le ciel) souvrirent » et non pas « se déchirèrent », « lEsprit de Dieu (Saint) », et non pas simplement lEsprit.
- De plus, nous savons que la source Q commençait avec la prédication de Jean-Baptiste et lannonce de la venue dun plus fort que lui. Nous savons aussi que la source Q comporte les tentations de Jésus que rapportent Mt et Lc. Entre ces deux péricopes ny avait-il vraiment rien dautre dans la source Q? Justement le récit des tentations mentionne le rôle de lEsprit qui conduit Jésus au désert et le diable utilise le titre de Fils de Dieu lorsquil sadresse à Jésus (si tu es Fils de Dieu). Il est donc probable que la source Q avait un récit de baptême avec sa théophanie pour introduire lEsprit et le titre de Fils de Dieu.
B) En plus de la source Q, la tradition johannique pourrait fournir un autre argument indirect.
- Comme on la vu, il est probable que lévangéliste Jean connaissait ce récit mais la supprimé pour des motifs théologiques, afin déviter de subordonner le Fils de Dieu à Jean-Baptiste. La trace du récit est restée sous la forme de la théophanie adressée à Jean où il voit lEsprit descendre du ciel et reposer sur Jésus.
- Un autre indice que la tradition johannique connaissait le baptême de Jésus se trouve dans la première lettre de Jean (1 Jn, 5,6), probablement écrit par un chrétien de la communauté johannique autre que lévangéliste lui-même : « Cest lui qui est venu par eau et par sang : Jésus Christ, non avec leau seulement mais avec leau et avec le sang. » Rappelons le contexte de cette épitre : lauteur est en discussion polémique contre un groupe gnostique (sur la gnose) qui nie lhumanité véritable de Jésus. Pour lui, leau, i.e. le baptême de Jésus par Jean-Baptiste, et le sang, i.e. sa mort en croix, sont deux exemples extrêmes de son humanité et de sa solidarité avec lêtre humain pécheur.
Ainsi, en plus de Marc, la source Q et la tradition johannique attesteraient du fait que Jésus a vraiment été baptisé par Jean Baptiste.
- Un troisième critère en faveur de lhistoricité du baptême de Jésus est celui de discontinuité (sur ce critère, voir livre 1). En effet, chez les premiers chrétiens on nétablit jamais de manière directe et explicite de lien entre le baptême chrétien et celui de Jésus. Cette idée de voir dans le baptême de Jésus le modèle du baptême chrétien napparaîtra que chez les Pères de lÉglise, et tout dabord chez Ignace dAntioche (35-107).
- Pour répondre à la question si Jésus a été disciple de Jean, il faut également aborder au préalable la question : pourquoi Jésus est-il allé se faire baptiser par Jean alors quil exerçait se métier de menuisier à Nazareth? Est-ce que la prédication de Jean-Baptiste a été la cause dune conversion? Ou encore, le baptême a-t-il été pour Jésus une façon de marquer symboliquement une décision prise? Ou encore, ce baptême est-il un pas de plus dans la direction dune décision à venir? Nous navons aucun moyen de répondre à ces questions. Pour comprendre ce baptême, nous avons deux options : le récit de la théophanie qui suit et qui propose une interprétation du baptême, ou encore le fait lui-même que Jésus ait accepté le baptême de Jean. Regardons ces deux options.
- Quand on relit la théophanie qui suit le baptême on comprend vite que nous sommes devant une catéchèse chrétienne sur lidentité de Jésus, non la description dun fait historique.
- En recevant lEsprit, Jésus est celui promis par Jean qui baptisera par lEsprit;
- La voix du ciel reprend le Psaume 2, 7 où Dieu parle de David comme dun fils, mais pour dire cette fois que cest Jésus qui est le Fils, non pas Jean, et donc quil est le messie davidique promis;
- En parlant du Fils de bien-aimé, la théophanie fait peut-être allusion à Isaac, fils bien-aimé dAbraham. Ainsi cest Jésus, non Jean, qui est le Fils bien-aimé de Dieu;
- Lexpression « en toi je me suis complu » est un extrait de Is 42, 1, un des mystérieux poèmes du serviteur, et donc désigne Jésus, non pas Jean, comme ce serviteur de Dieu chargé de rétablir la communauté de lalliance;
- Le fait que la scène se passe sur le bord dun cours deau et que les cieux sentrouvrent rappelle la vision inaugurale dÉzéchiel (Ez 1, 1) où un individu est appelé à une mission prophétique. On na pas une telle scène pour décrire la mission de Jean;
- Le fait que le ciel se déchire et que Dieu vient sous la forme de lEsprit peut rappeler également Is 63, 19 où Dieu est présent au peuple en le conduisant hors dÉgypte à travers les eaux de la mer par la main de Moïse, et donc indique que nous sommes devant le nouveau Moïse, Jésus.
Bref, cette théophanie se comprend dans un contexte dune certaine rivalité entre les disciples de Jésus et ceux qui continuent de se réclamer de Jean-Baptiste, et donc montre lintention des premiers chrétiens de nous éclairer sur lidentité de Jésus et sa supériorité par rapport à Jean. Mais tout cela ne nous aide pas sur le plan historique à comprendre le sens du baptême de Jésus.
- Il nous reste donc à analyser le fait même que Jésus ait accepté le baptême de Jean. Et la première chose que nous puissions affirmer est que ce baptême a opéré une immense césure dans sa vie et fut le déclencheur de sa mission. Cette césure où il quitte son travail pour entreprendre sa mission fut si brutale que sa famille et ses voisins furent choqués. On peut parler de point-tournant ou de conversion. Que peut-on déduire de ce fait?
- En acceptant le baptême de Jean, Jésus accepte et fait sien en même temps son message : 1) la fin dIsraël tel quil est actuellement est proche; 2) ce peuple sest égaré dans lapostasie et est en danger dêtre consumé par le jugement de Dieu; 3) la seule façon de faire face à cette situation est dopérer un changement majeur de sa façon de vivre qui sera scellé par le baptême reçu de Jean-Baptiste; 4) Jean est ce prophète eschatologique envoyé par Dieu avant larrivée du jugement.
- Le fait même pour Jésus daccepter ce baptême de Jean nous conduit à deux corollaires :
- Jésus a accepté quun rituel « charismatique » non officiel, un baptême une fois pour toutes, administré seulement par Jean, soit nécessaire au salut. Noublions pas que Jésus est un Juif du premier siècle et non pas un homme occidental du 20e siècle très critique face à tous les rituels, et il faut accepter ce fossé culturel pour le comprendre.
- Jésus sest joint à tous ceux qui se reconnaissaient pécheurs pour recevoir un baptême de repentir pour le pardon des péchés. Est-ce dire que Jésus avait conscience dêtre un pécheur, et donc demandait le pardon de Dieu pour ses péchés personnels? Notons tout de suite que le péché est une notion théologique qui parle dune relation endommagée avec Dieu, ce qui est inaccessible à lhistorien. Mais surtout la question sur la conscience de Jésus dêtre pécheur est biaisée par la perception occidentale moderne du péché vue en terme individuel, où la conscience examine à outrance la moindre peccadille pour arriver à produire un panier de linge sale pour le confessionnal. Dans la Palestine de lépoque de Jésus, la confession des péchés était avant tout le geste où on reconnaissait toutes les actions merveilleuses accomplies par Dieu tout au long de lhistoire dIsraël, mais on admettait quen retour le peuple ne sétait pas montré à la hauteur pour tant de gratitude et avait été infidèle à lalliance. Ainsi, tout Juif, de par son appartenance au peuple pécheur quest Israël, est pécheur. Cest ce quon retrouve dans lAncien Testament (Esd 9, 7 : « Depuis les jours de nos pères jusquà ce jour, nous sommes grandement coupables : pour nos iniquités nous fûmes livrés, nous, nos rois, nos prêtres... ») et à Qumran où dans le rituel dentrée dans la communauté les candidats devaient reconnaître leurs péchés en raison des transgressions des fils dIsraël. Ainsi, en acceptant le baptême de Jean, Jésus ne se trouve pas à confesser des péchés personnels ou à demander leur pardon, mais il exprime une solidarité intergénérationnelle avec le peuple dIsraël.
- Résumons. Vers le début de lan 28, Jésus de Nazareth fait le voyage de Nazareth vers le sud du fleuve Jourdain avec dautres Juifs afin de recevoir le baptême de Jean-Baptiste. Ce faisant, il reconnaît lautorité charismatique de ce prophète eschatologique, et accepte son message dun jugement imminent du peuple pécheur quest Israël et son baptême comme signe dune vie réformée et promesse de lenvoi par Dieu de son Esprit de salut sur le peuple à travers un agent mystérieux. À ce point-ci, nous navons aucune donnée montrant que Jean-Baptiste avait une connaissance quelconque de Jésus, autre quun homme dans la trentaine semblable à tous les autres Juifs qui désiraient recevoir le baptême.
- Nous voilà maintenant en mesure daborder la question : Jésus a-t-il été un disciple de Jean-Baptiste? Entendons-nous bien. Il est évident que Jésus a été disciple au sens général, i.e. Jean-Baptiste a été pour lui un maître spirituel et un guide. Mais la question est plutôt : après son baptême, Jésus est-il demeuré un certain temps avec Jean, se joignant au cercle étroit des baptisés qui laccompagnaient dans ses croisades baptismales dans la vallée du Jourdain, lassistant dans sa prédication et ses baptêmes, recevant une formation plus avancée et partageant sa vie ascétique.
- Pour répondre à cette question, il y a une première difficulté : on ne trouve pas de trace de communauté structurée pendant la vie de Jean-Baptiste. Tout ce quon sait, cest que les disciples de Jean-Baptiste ont continué a existé au premier siècle après le décès de leur maître, comme en témoigne Ac 19, 1-7, mais ne semblent plus présents au 2e siècle, si du moins on refuse de les associer au groupe des Mandéens. Des disciples comme André et Philippe semblent pouvoir entrer dans le groupe et en sortir à leur guise. Donc, on ne peut parler de groupe stable comme celui de Qumran.
- Nous navons quun seul évangile où on peut trouver des indices étayant la thèse que Jésus a été disciple de Jean-Baptiste, cest lévangile selon Jean. Il est important de noter tout de suite un des éléments du contexte de cet évangile : parmi les opposants à lévangéliste Jean, on trouve des baptistes sectaires qui ont continué à révérer le Baptiste comme figure religieuse importante (le Messie?), et non pas Jésus, tout au long du premier siècle. Lévangéliste est donc engagé dans une relation polémique avec ceux qui exaltent indûment la valeur de Jean-Baptiste et refusent de devenir Chrétiens. Mais en même temps, on découvre dans ce 4e évangile des éléments dinformation unique qui laissent croire que certains membres de cette communauté chrétienne provenaient justement du cercle de Jean-Baptiste.
- Trois groupes de textes de 4e évangile nous intéressent ici.
- Jn 1, 35-45
Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit: "Voici lagneau de Dieu." Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus. Jésus se retourna et, voyant quils le suivaient, leur dit: "Que cherchez-vous?" Ils lui dirent: "Rabbi - ce qui veut dire Maître, où demeures-tu?" Il leur dit: "Venez et voyez." Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. Cétait environ la dixième heure.
André, le frère de Simon-Pierre, était lun des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. Il trouve dabord son propre frère, Simon, et lui dit: "Nous lavons trouvé, le Messie" - ce qui veut dire Christ. Il lamena à Jésus. Jésus le regarda et dit: "Tu es Simon, le fils de Jean; tu tappelleras Céphas" - ce qui veut dire Pierre.
Le lendemain, il résolut de partir pour la Galilée, et il trouve Philippe et lui dit: "Suis-moi!" Philippe était de Bethsaïde, la ville dAndré et de Pierre. Philippe trouve Nathanaël et lui dit: "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous lavons trouvé! Cest Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth."
La scène se passe à Béthanie, sur la rive ouest du Jourdain. Cest lentrée en scène de Jésus. Que fait-il ici, puisque lévangéliste ne le présente pas comme venant se faire baptiser? On est enclin tout naturellement à penser quil fait partie du cercle du Baptiste. On note également que les disciples les plus importants de Jésus comme André, Philippe, Nathanaël et Pierre ont dabord donné leur allégeance au Baptiste avant de devenir disciple de Jésus. Ainsi ces disciples ont connu Jésus en se faisant baptiser comme lui par leur maître commun, Jean-Baptiste, et en partageant un certain temps une vie commune avant de mieux le connaître et dêtre impressionné par sa personne.
- Jn 3, 22-30
Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux, et il baptisait.
Jean aussi baptisait, à Aïnôn, près de Salim, car les eaux y abondaient, et les gens se présentaient et se faisaient baptiser. Jean, en effet, navait pas encore été jeté en prison.
Il séleva alors une discussion entre les disciples de Jean et un Juif à propos de purification: ils vinrent trouver Jean et lui dirent: "Rabbi, celui qui était avec toi de lautre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous viennent à lui!" Jean répondit: "Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel. Vous-mêmes, vous mêtes témoins que jai dit: "Je ne suis pas le Christ, mais je suis envoyé devant lui." Qui a lépouse est lépoux; mais lami de lépoux qui se tient là et qui lentend, est ravi de joie à la voix de lépoux. Telle est ma joie, et elle est complète. Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse.
Ce quon retiendra de cette scène cest que Jésus et Jean-Baptiste baptisent en même temps, et une certaine rivalité semble sétablir. La réflexion du Baptiste où il doit seffacer est clairement une addition du 4e évangile.
- Jn 4, 1-3
Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire quil faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean - bien quà vrai dire Jésus lui-même ne baptisât pas, mais ses disciples, il quitta la Judée et sen retourna en Galilée.
On notera que cest Jésus seul qui fait des disciples. Mais on semble avoir ici une contradiction où, dune part, on affirme que Jésus baptisait, puis dautre part on affirme que ce nest pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples. De fait, nous avons ici la marque dun rédacteur final qui corrige le texte originel, sans doute choqué par le fait que Jésus baptise. Cest lexemple de notre critère dembarras ou de gêne où on essaie de réduire limpact de certains faits historiques.
En résumé, il est probable que Jésus a fait partie des membres du cercle intime des disciples de Jean-Baptiste, ce qui lui a permis de se faire connaître et dattirer à lui certains de ses disciples, et dutiliser le rite baptismal comme élément de son ministère. Pour les premiers chrétiens, ce souvenir est quelque peu embarrassant puisque Jésus est supérieur à Jean-Baptiste. Mais en même temps nous pouvons utiliser le critère de cohérence pour trouver normal que Jésus passe du temps avec Jean-Baptiste et pratique le rituel du baptême, étant donné que cette rencontre fut un moment-clé de sa vie.
Il faut toutefois reconnaître que, sur le plan historique, le fait que Jésus a été disciple de Jean-Baptiste reçoit un degré moins élevé de probabilité que son baptême lui-même. Malgré tout, si on accepte cette hypothèse, on peut tirer un certain nombre de conséquences.
- Jésus a donc été disciple de Jean-Baptiste et ne lui a pas fait défection. Mais avant de quitter létude de ce personnage, il faut tout de même se demander : qui était le Baptiste pour Jésus? Quel jugement porte-t-il sur sa personne? Comment voyait-il son rôle? Pour répondre à ces questions, nous avons quatre groupes de textes quil faut analyser.
- Mt 11, 2-19 || Lc 7, 18-35; 16, 16
Il sagit dun bloc de textes qui provient de la source Q. Nallons pas croire que Jésus a dit toutes ces paroles en une fois et en une seule circonstance. Cest probablement un ramassis de plusieurs interventions de Jésus en différentes circonstances. Dailleurs Luc les places dans des contextes différents. Mais on donne à ce contenu une certaine valeur historique, car il est dépourvu de catéchèse christologique qui napparaîtra quaprès Pâques. On discerne dans ce bloc quatre unités qui ont probablement circulé de manière indépendante avant dêtre regroupées dans la source Q.
i. Mt 11, 2-6 || Lc 7, 18-23
Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des oeuvres du Christ. Il lui envoya de ses disciples pour lui dire: "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?" Jésus leur répondit: "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!"
Les disciples de Jean posent à Jésus la question : es-tu celui qui doit venir? Notons tout de suite que nous navons aucune indication dans le Judaïsme du premier siècle que le titre « celui qui doit venir » se référait à une figure messianique ou eschatologique. Le Baptiste a fait simplement allusion de manière assez vague à quelquun de plus fort que lui et qui contribuerait au don de lEsprit. Mais en même temps, il semble sattendre de manière imminente au jugement de Dieu, alors quil sera encore vivant, un peu comme ce sera le cas pour saint Paul (1 Cor 15, 51-52). Mais le voilà en prison devant faire face à la mort, les événements attendus tardent, et surtout un candidat possible, Jésus, qui connaît un certain succès et met laccent sur une bonne nouvelle, est tout à fait différent de ce quil sétait imaginé. On comprend très bien que le Baptiste se voit forcé de repenser sa perception des choses et sa prédication, en particulier les menaces dune catastrophe.
La réponse de Jésus est intéressante. On ne trouve ici aucune proclamation dun titre quelconque, comme Messie. En fait, Jésus renvoie les disciples de Jean à ce que tout le monde dit sur lui, ce qui le différencie de son mentor et que les gens peuvent eux-mêmes constater, les guérisons quil opère. Ces guérisons sont la bonne nouvelle que lamour de Dieu agit déjà dans lhistoire. On notera que laccent de la réponse nest pas sur Jésus, mais sur laction de Dieu. Pourtant ce qui est encore plus intéressant, cest la finale : « Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi! » Qui risque de trébucher ou dêtre scandalisé? Le mot « trébucher » ou « scandaliser » concerne toujours la foi dans le Nouveau Testament. En fait, cette parole sadresse au Baptiste qui se voit ébranlé dans ses convictions : Jésus lance un appel délicat à son mentor pour quil reconnaisse à travers son ancien élève la réalisation du plan de Dieu sur Israël.
Quelle est la réponse de Jean-Baptiste? A-t-il fini par croire que Jésus était ce plus fort que lui et que le plan de Dieu était différent ce quil avait envisagé? Les textes nen parlent pas, cest le silence. Et ce silence a quelque chose de gênant et rencontre le critère dembarras confirmant que nous sommes devant des textes authentiquement historiques : on na pas masqué la réalité en inventant une fin heureuse.
ii. Mt 11, 7-11 || Lc 7, 24-28
(1) Tandis que ceux-là sen allaient, Jésus se mit à dire aux foules au sujet de Jean: "Quêtes-vous allés contempler au désert? Un roseau agité par le vent?
(2) Alors quêtes-vous allés voir? Un homme vêtu de façon délicate? Mais ceux qui portent des habits délicats se trouvent dans les demeures des rois.
(3) Alors quêtes- vous allés faire? Voir un prophète? Oui, je vous le dis, et plus quun prophète.
(4) Cest celui dont il est écrit:
Voici que moi jenvoie mon messager en avant de toi pour préparer ta route devant toi.
(5) "En vérité je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il nen a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui.
Nous avons ici une pièce de rhétorique avec un ton moqueur, et il y a plusieurs raisons de croire quelle représente un enseignement du Jésus historique :
- absence de catéchèse christologique;
- accent sur Jean-Baptiste et sur sa valeur;
- présentation de Jean-Baptiste comme prophète et super-prophète, sans parler dun rôle de précurseur ou témoin vis-à-vis de Jésus;
- une rhétorique vivante de quelquun qui sadresse à une foule.
Le contexte de la question posée une première fois (1) est clair. On trouve sur les rives du Jourdain des roseaux. Parler dun roseau agité par le vent, comme une girouette, pour décrire le Baptiste a quelque chose dironique, quand on connaît son franc-parler et son intransigeance dans lannonce imminente du jugement de Dieu. Sil y a un roseau agité par le vent, cest bien Hérode Antipas qui la jeté en prison, le spécialiste des accommodements et de la Realpolitik, lui qui avait fait imprimer le roseau sur lune de ses pièces de monnaie. Cela nous conduit à la question posée une deuxième fois (2) et la réponse possible sur lhomme aux beaux habits, une réponse ironique. Nous aurions une allusion encore plus claire à Hérode Antipas, celui qui la emprisonné. Quand la question est posée une troisième fois (3), nous avons la réponse de Jésus : un prophète, à lexemple des prophètes persécutés de lAncien Testament. Mais en disant : « plus quun prophète », Jésus affirme que le Baptiste, son mentor, est plus quun prophète, mais en même temps laisse son auditoire avec une question à laquelle il ne répond pas, mais laisse chacun libre dy répondre. En effet, la citation qui suit (4) semble une réponse apportée non pas par Jésus lui-même, mais par lÉglise à travers un scribe chrétien qui a ajouté à la source Q un mélange modifié de deux citations de lAncien Testament, Ex 23, 20 (Voici que je vais envoyer mon ange devant toi, pour quil veille sur toi en chemin) et Mal 3,1 (Voici que je vais envoyer mon messager, pour quil fraye un chemin devant moi.) Cette citation est une réflexion chrétienne après les faits.
Dans la dernière partie du texte (5) le ton change encore avec une affirmation en deux parties bien équilibrées comparant la grandeur du Baptiste avec un membre du Royaume de Dieu. Cette phrase semble provenir de Jésus lui-même pour certaines raisons :
- affirmer que Jean est le plus grand des hommes était embarrassant pour lÉglise et na pu être inventé par elle;
- le fait dutiliser des situations extrêmes (le plus grand, le plus petit) est tout à fait sémitique pour établir une comparaison;
- la langage du Royaume de Dieu est typique de Jésus;
- on ne compare pas Jésus et Jean-Baptiste, mais le Baptiste par rapport au Royaume de Dieu, et donc il ny a ici aucune catéchèse christologique.
Ainsi, Jésus reconnaît le rôle incommensurable de Jean-Baptiste, mais en même temps reconnaît que les temps ont changé et la présence du Royaume de Dieu a introduit quelque chose de radicalement nouveau et supérieur.
iii. Mt 11, 16-19 || Lc 7, 31-35
"Mais à qui vais-je comparer cette génération? Elle ressemble à des gamins qui, assis sur les places, en interpellent dautres, en disant: "Nous vous avons joué de la flûte, et vous navez pas dansé! Nous avons entonné un chant funèbre, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine!" Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et lon dit: "Il est possédé!" Vient le Fils de lhomme, mangeant et buvant, et lon dit: "Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs!" Et justice a été rendue à la Sagesse par ses enfants (« par ses oeuvres » seraient probablement un ajout tardif à la source Q)."
Nous avons ici une parabole et son application immédiate à Jean-Baptiste et à Jésus. Notons tout de suite que le terme « génération » a une connotation négative et cela est typique de ce quon peut lire dans lAncien Testament. Le reproche vise un certain comportement face à deux situations, celui dun mariage où on danse, et celui des funérailles où on se frappe la poitrine. Le récit comme tel est construit en forme de chiasme sémitique où les différentes parties se répondent lun à lautre : A (joie des enfants), B (peine des enfants), B1 (peine de Jean-Baptiste), A1 (joie de Jésus). Ainsi les enfants de la place publique représentent à la fois Jean-Baptiste et Jésus. Lascétique Jean-Baptiste a annoncé le jugement de Dieu et invité les gens au repentir, mais les gens ont refusé de se joindre à son chant funèbre. Pour sa part Jésus a annoncé le joyeux message du Royaume de Dieu et le pardon à tous sans condition, a célébré cette fête de Dieu avec toutes les couches de la société, y compris ceux qui nappliquaient pas les commandements de Dieu, mais a rencontré lopposition des gens qui considéraient impossible quil parle au nom de Dieu. Heureusement, les véritables enfants de Dieu ont reconnu la sagesse du plan de Dieu en accueillant ces émissaires que sont Jean Baptiste et Jésus.
Ce texte semble avoir pour source Jésus lui-même :
- Tout dabord, il y a un consensus pour reconnaître que les paraboles remontent à Jésus dont il était passé maître;
- on ne trouve pas ici de catéchèse christologique, puisque Jésus et Jean sont mis sur le même pied, rencontrant tous les deux la même opposition;
- il y a quelque chose de gênant pour les premiers chrétiens à conserver les épithètes de glouton et divrogne à propos de Jésus;
- lépithète de « possédé du démon » pour décrire le Baptiste a probablement été utilisé de son vivant, puisquaprès sa mort aux mains dHérode Antipas il a été considéré comme un martyr;
- lexpression Fils de lHomme remonte probablement à Jésus lui-même, une expression un peu vague et énigmatique que le conteur de paraboles a pu utiliser pour mettre au défi lintelligence des gens tout en se désignant.
iv. Mt 11, 12-15 || Lc 16, 16
La Loi et les Prophètes vont jusquà Jean; depuis lors, le Royaume de Dieu souffre violence, et les violents sen emparent.
On aura peut-être noté que ce groupe de texte a été sauté dans lanalyse précédente, car il nappartient pas vraiment un bloc-Baptiste, même si on y mentionne Jean-Baptiste; il ne nous donne pas dinformation sur sa personne et ne faisait probablement pas originellement partie du bloc-Baptiste de la source Q. Dailleurs, Luc en a placé une partie dans un autre contexte, lui qui a lhabitude de suivre assez fidèlement sa source. Et après une analyse rigoureuse, il semble avoir mieux préservé la texture originelle que nous affichons plus haut. Matthieu a apporté des ajouts éditoriaux, par exemple en invertissant lordre normal « Loi et les Prophètes » par « les prophètes ainsi que la Loi » pour désigner les livres de lAncien Testament, afin de transmettre lidée que tout lAncien Testament était prophétique, ou encore identifier Jean-Baptiste à Élie, une oeuvre de réflexion chrétienne. Par contre, Luc semble avoir atténué laspect négatif et violent de la source en le réduisant en une simple proclamation du Royaume de Dieu.
Le sens de ce texte est clair. On y fait référence aux phases de lhistoire dIsraël jusquici résumées par la Loi et les Prophètes. La présence du Royaume de Dieu a introduit une phase radicalement nouvelle, mais une phase différence de ce qua prêché Jean-Baptiste : Dieu est déjà présent et palpable dans la vie de tous. Jean constitue en quelque sorte le pivot ou le pont entre ces deux phases. Mais cette nouveauté a un prix : elle rencontre une opposition violente et féroce. Le Royaume de Dieu ressemble à un domaine quon essaie de piller et de détruire. Ainsi ce texte confirme les résultats antérieurs de notre analyse, i.e. lappréciation par Jésus de loeuvre du Baptiste, mais en même temps la nouveauté et la primauté du Royaume de Dieu qui introduit une réalité nouvelle, enfin lopposition grandissante à cette nouveauté.
- Mc 11, 27-33
Jésus et ses disciples viennent de nouveau à Jérusalem. Et tandis quil circule dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens viennent à lui et ils lui disaient: "Par quelle autorité fais-tu cela? ou qui ta donné cette autorité pour le faire?" Jésus leur dit: "Je vous poserai une seule question. Répondez-moi et je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean était-il du Ciel ou des hommes? Répondez-moi." Or ils se faisaient par-devers eux ce raisonnement: "Si nous disons: "Du Ciel", il dira: "Pourquoi donc navez-vous pas cru en lui?" Mais allons-nous dire: "Des hommes"?" Ils craignaient la foule car tous tenaient que Jean avait été réellement un prophète. Et ils font à Jésus cette réponse: "Nous ne savons pas." Et Jésus leur dit: "Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela."
Ce texte fait partie dun bloc contenant une série de controverses. Nous avons ici la première salve de coups de canon de la journée. Malheureusement ce récit nest pas très lié à son contexte et on comprend mal ce qui introduit la question. Il faut imaginer une action de Jésus (peut-être lexpulsion des vendeurs du temple) qui a offusqué les autorités. Néanmoins le récit a clairement une approche rabbinique où un défi est lancé sous forme dune question (Par quelle autorité fais-tu cela?), éludée par une contre-question (Répondez-moi et je vous dirai...). Jésus fait porter lattention sur le cas très concret du baptême de Jean-Baptiste : était-il dorigine humaine ou divine? Cet accent sur le baptême de Jean-Baptiste implique trois choses.
- Qui sont ceux qui interrogent Jésus et qui seraient embarrassés de répondre que le baptême du Baptiste est soit dorigine divine, soit dorigine humaine? Certainement pas les Juifs en général dont certains ont reçu le baptême. Il faut voir ici certains prêtres de Jérusalem guidés par leurs scribes.
- Ce récit montre que laction de Jésus était toujours associée au baptême de Jean-Baptiste, dautant plus si ce récit se situe vers la fin du ministère de Jésus. Il appartient à une tradition qui remonte à Jésus, car laction de celui-ci est simplement présentée comme la continuation de celle de Jean-Baptiste; lÉglise ne peut avoir créé une telle scène alors quelle cherche plutôt à montrer la supériorité de Jésus. Nous pouvons donc utiliser le critère dembarras pour fonder son caractère historique : en se mettant sur le même pied que Jean-Baptiste, il se range dans la catégorie des prophètes eschatologique qui ne tirent leur autorité daucune institution.
- Pourquoi Jésus associe-t-il son autorité à celle de Jean-Baptiste, sinon pour affirmer que son action se situe dans la même veine: reconnaître que le baptême du Baptiste est dorigine divine, cest reconnaître que la sienne est également dorigine divine. Et une telle association nest possible que si Jésus a baptisé tout le long de son ministère, jusquà la fin.
En plus du caractère dembarras, on pourrait ajouter le critère dattestations multiples si le récit de Jn 2, 13-22, racontant laction de Jésus chassant les vendeurs du temps suivi de la question de lautorité de Jésus, est vraiment indépendant de Marc comme le prétend R.E. Brown.
- Une tradition isolée en Mt 21, 31-32 || Lc 7, 29-30
Mt 21, 31-32 |
Lc 7, 29-30 |
Jésus leur dit:
"En vérité je vous le dis, les collecteurs dimpôt et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu. En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous navez pas cru en lui; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui;
et vous, devant cet exemple, vous navez même pas eu un remords tardif qui vous fît croire en lui."
| Tout le peuple qui a écouté, et même les collecteurs dimpôt, ont justifié Dieu en se faisant baptiser du baptême de Jean; mais les Pharisiens et les légistes ont annulé pour eux le dessein de Dieu en ne se faisant pas baptiser par lui.
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- Une tradition isolée dans lévangile de Jean : Jn 5, 33-36
Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité. Quant à moi, ce nest pas dun homme que je reçois le témoignage; mais je dis cela pour que vous, vous soyez sauvés. Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière. Mais jai plus grand que le témoignage de Jean: les oeuvres que le Père ma donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père ma envoyé.
- Ce texte représente un mélange de travail rédactionnel de lauteur du 4e évangile et de pépites déléments historiques. Dune part, on y retrouve le ton apologétique et polémique de lévangile de Jean adressé au groupe sectaire qui se réclamait du Baptiste pour leur dire que Jésus na pas besoin de son témoignage, quil est la lumière du monde à côté de la simple lampe quest le Baptiste, que Jésus a fait des guérisons (les oeuvres), alors que le Baptiste nen a pas fait. Dautre part, les quatre évangiles et lhistorien juif Flavius Josèphe confirment que Jésus sest fait remarquer par ses guérisons, alors quon nen trouve aucune trace chez Jean-Baptiste.
- Terminons cette présentation de Jean-Baptiste en nous intéressant à sa mort : savons-nous pourquoi et comment il est mort? Pour répondre à cette question, nous avons deux sources, celle de lévangéliste Marc (le texte de Matthieu reprend celui de Marc) et celui de lhistorien juif Flavius Josèphe. Rappelons-nous brièvement le récit de Marc. Hérode Antipas avait épousé Hérodiade, la femme de son demi-frère, et Jean-Baptiste lui avait dit que cela nétait pas permis. Hérode a voulu faire tuer Jean Baptiste, mais sest contenté de le faire mettre en prison par peur dune réaction du peuple. Mais lors de son propre anniversaire et de la fête quil avait organisée, il fut séduit par la danse de la fille dHérodiade et lui a promis de lui donner ce quelle demanderait. Sous les conseils de sa mère, la jeune fille demanda la décapitation de Jean-Baptiste. Cest ce que fit Hérode Antipas à contre coeur. Par contre, Flavius Josèphe nous raconte quHérode se débarrassa de Jean-Baptiste parce quil craignait que sa capacité de persuader la foule suscite une révolte. Nous avons donc deux versions totalement différentes de la mort de Jean-Baptiste. Qui a raison?
- La version de lévangéliste Marc na pas beaucoup de valeur historique. Remarquons que Jésus nest jamais mentionné dans son récit. Ce récit ressemble plus à une histoire sur Hérode Antipas et sa famille quà celle sur Jean-Baptiste, sans mentionner Jésus. Il vise à offrir un intermède pendant que les disciples de Jésus partent en mission et à introduire le thème du rejet du prophète-martyr que vit Jean-Baptiste et que vivra Jésus. Tout cela najoute pas grand-chose à notre connaissance du Jésus historique. Il faut toutefois reconnaître que le récit de Marc et celui de Flavius Josèphe ont deux éléments en communs : Jean-Baptiste fut arrêté et exécuté par Hérode Antipas, et le rejet par Antipas de sa première femme et son mariage avec Hérodiade, déjà marié à lun de ses demi-frères, sert de toile de fond à cette exécution. Mais tout cela est très peu. Et surtout le récit de Marc contient beaucoup dinexactitudes historiques quil faut mentionner.
- Premièrement, il est inexact de dire comme le fait Marc quHérodiade était antérieurement mariée à Philippe, demi-frère dAntipas. En fait, Hérodiade était la petite fille dHérode le Grand, et elle a dabord épousé un demi-frère dAntipas (fils dHérode le Grand et de la Samaritaine Malthace) connu seulement sous le nom dHérode (un fils dHérode le Grand et de sa femme Mariamme II). Il ne sagit donc pas de Philippe comme laffirme Marc. La confusion est peut-être venu du fait que cet Hérode et Hérodiade dans ce premier mariage ont eu une fille appelée Salomé et cest cette Salomé qui a épousé le demi frère dAntipas appelé Philippe (un fils d'Hérode le Grand par sa femme Cléopâtre de Jérusalem).
- Deuxièmement, Marc place la scène en Galilée, peut-être dans son nouveau palais de Tibériade. Il faut donner ici raison à Flavius Josèphe, habituellement très bien informé, qui place lexécution de Jean-Baptiste à la forteresse et palais de Machéronte, dans le Pérée, sur la rive occidentale de la mer Morte, dans la Jordanie actuelle.
- Troisièmement, Marc donne des motifs purement moraux pour expliquer larrestation et la mort du Baptiste, i.e. ses reproches pour le mariage dAntipas avec Hérodiade. Il faut plutôt donner raison à Flavius Josèphe qui attribue cet événement aux craintes dAntipas pour des raisons purement sociales et politiques.
- Le récit de Marc se rapproche dune légende de la cour avec des notes folkloriques. On y perçoit des échos de lAncien Testament comme les allusions au conflit du prophète Élie avec le roi Ahab et sa femme Jésabel, ou aux prophètes martyrs en général ou aux motifs folkloriques du livre dEsther. On y sent des sentiments fortement anti-Hérode et ses moeurs. Le groupe sectaire des Baptistes était peut-être à la source de ce récit et leur récit a peut-être été marqué le jugement de beaucoup de Juifs voulant que, si Hérode a perdu la bataille contre Arétas IV, le père de cette femme quAntipas a divorcé pour épouser Hérodiade, cest que Dieu la puni pour des raisons morales. Néanmoins, en insérant ce récit dans la séquence actuelle, Marc entend annoncer le sort qui attend Jésus.
- Essayons de résumer notre question sur Jésus, disciple de Jean-Baptiste. Oui, Jésus a été disciple du Baptiste. La prédication de ce dernier a été un moment-clé de sa vie qui la amené à quitter son travail autour de lan 28, alors quil avait environ 34 ans, et à se faire baptiser dans le Jourdain par celui quil considère comme un super-prophète eschatologique, confessant quIsraël est devenu un peuple pécheur et montrant sa solidarité avec ce peuple, puis à rejoindre un groupe de disciples du Baptiste. Cest au sein de ce groupe quil sest mis à son tour à baptiser et à se signaler, au point que les disciples du Baptiste commenceront à sattacher à lui. Tout en gardant la base de lenseignement de Jean-Baptiste, il donnera à sa prédication un accent particulier, axé sur la bonne nouvelle de larrivée du Royaume de Dieu, et surtout opérera des guérisons confirmant la présence de ce Royaume. Tout cela surprendra Jean, son mentor, qui sinterrogera sur ce disciple pas tout à fait comme les autres et se demandera si Jésus ne serait pas cette personne plus forte que lui dont il a parlé. Mais il ne semble pas avoir pu répondre à cette question, car le mouvement baptiste quil a créé se poursuivra tout au long du premier siècle, au point dêtre parfois en conflit avec les Chrétiens. Jésus a baptisé tout au long de son ministère, si bien que le baptême de lÉglise na été que la continuation de sa pratique.
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