Sybil 1997 |
Le texte évangélique
Marc 7, 1-8.14-15.21-23 1 Les Pharisiens et certains spécialistes de la Bible venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus. 2 Ils constatent que certains de ses disciples mangent du pain avec des mains profanes, c’est-à-dire non lavées. 3 Il faut savoir que les Pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être auparavant lavé les mains jusqu’au coude, en conformité avec la tradition des anciens. 4 S’ils reviennent d’une place publique, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions d’eau, ainsi que beaucoup d’autres choses qu’ils conservent de leur tradition, comme le lavage des coupes et des cruches et de la vaisselle de cuivre. 5 Alors les Pharisiens et les spécialistes de la Bible se mettent à interroger Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent pas la tradition des anciens, mais prennent leur repas avec des mains profanes. » 6 Il leur fait cette réponse : « Comme Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, vous les hypocrites, dans l’Écriture qui dit : "Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi". 7 Ils me vénèrent inutilement, car ce qu’ils enseignent ne sont que des commandements humains, 8 alors qu’ils délaissent le précepte de Dieu pour ne retenir que la tradition humaine. »... 14 Jésus convoque de nouveau la foule pour lui dire : « Écoutez-moi vous tous et comprenez-moi bien. 15 Il n’y a rien d’extérieur à l’être humain qui puisse le contaminer en étant ingéré, c’est au contraire ce qui sort de l’être humain qui est en mesure de le contaminer... 21 Car les mauvaises pensées proviennent de l’intérieur, du cœur humain, tout comme les actions immorales, les vols, les meurtres, 22 les adultères, la cupidité, les gestes méchants, la ruse, la débauche, l’envie, la diffamation, l’orgueil, les gestes irresponsables. 23 C’est tout cela qui peut sortir de l’intérieur, du cœur humain, et qui le contamine. |
Des études |
Comment enlever tous les contaminants? |
Commentaire d'évangile - Homélie À quoi servent les règles et les lois? À l’automne 2021, la conférence des évêques catholiques américains publiait un document sur l’eucharistie : Le mystère de l'Eucharistie dans la vie de l'Église. Ce projet de document avait commencé dans la controverse, car à l’origine il cherchait un moyen de restreindre l’accès à l’eucharistie pour ceux qui ne partageaient pas totalement la doctrine de l’Église catholique romaine et n'observait pas ses règles. En particulier, il visait son président, Joseph Biden, un catholique fervent, et sa position nuancée face à l’avortement. La visée initiale du projet a été étouffée sous la pression du Vatican, et en particulier du pape François. Ici, deux visions sur l’eucharistie s’affrontaient. D’une part, pour les évêques américains, l’eucharistie devait être réservée aux « purs », à ceux qui étaient complètement en règle avec la doctrine et les lois de l’Église catholique romaine, et devenait symbole d’unité totale avec Rome. Se trouvaient donc exclus automatiquement de l’eucharistie les divorcés remariés et ceux qui étaient favorables à l’avortement ou l’avaient subits. D’autre part, pour des personnes comme le pape François, l’eucharistie s’adresse à ceux qui ont besoin d’aide, à tous les blessés de la vie qui ont besoin de soutien, comme en fait écho cette parole de Jésus avant de nourrir la foule : « Il fut pris de pitié pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses » (Mc 6, 34), ou à cette autre parole : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades » (Lc 5, 31). Mais cette recherche de « pureté » n’est pas une exclusivité des législateurs de l’Église catholique. Il suffit de penser à cette affirmation de Donald Trump : « Les immigrants viennent contaminer la race américaine ». Pour tous les nationalistes dans le monde partisans de la « pureté » de la race, d’une nation tissée serrée, tous ceux de l’extérieur deviennent des « contaminants » qui détruisent cette pureté. Alors s’affrontent deux visions de l’immigration, celle motivée par la peur où il faut fermer la porte à double tour, et donc mettre l’accent sur des lois très restrictives, et celle d’une foi en la capacité de gérer une intégration pour créer un nouveau tout organique, mettant l’accent sur les outils d’intégration; dans la première vision, l’immigration appauvrit, dans la deuxième, elle enrichit. Ces mots de « pureté » et de « contamination » nous offrent une porte d’entrée dans l’évangile de ce jour. Pour un bibliste, le récit de Marc apparait comme « échevelé », comme une courte-pointe où sont cousus ensemble des récits divers : il y a d’abord celui d’une controverse avec les Pharisiens sur la tradition juive des ablutions avant le repas où Jésus offre une réplique cinglante en les traitant d’hypocrites, sans qu’on sache au début pour quelle raison; cela est suivi d’un enseignement général à la foule qui n’a plus aucun rapport avec la controverse avec les Pharisiens et qui porte sur la nourriture « casher »; enfin, dans un troisième récit, situé à la maison, lieu d’enseignement privilégié aux disciples, Jésus prend la peine d’expliquer pourquoi toute nourriture est « casher » et ne peut contaminer, et c’est par contre le cœur humain qui peut être une source de contamination en donnant l’exemple de la liste habituelle des vices à l’époque. Essayons d’y voir clair. Notre récit commence par la tradition des ablutions rituelles. Il ne s’agit pas seulement d’une règle juive. J’avais un collègue de travail qui était musulman, et qui, avant de se rendre à la mosquée à l’heure du midi, allait à la salle de bain pour passer ses mains et ses bras sous l’eau courante. À Jérusalem, je voyais les Juifs pieux faire de telles ablutions à la fontaine avant d’entrer dans l’aire du mur des lamentations. Pourquoi? C’est une façon de faire une délimitation entre l’espace profane et l’espace sacré, et de souligner la transcendance de Dieu. Nos bibles courantes offrent la traduction « mains impures » pour désigner les mains non lavées, mais en fait l’adjectif « impur » traduit un mot grec qui signifie littéralement : commun, i.e. à usage courant, et que nous avons traduit par « profane ». On distingue donc le monde ordinaire, le monde profane, et le monde de Dieu, le monde sacré, qui est à part du monde ordinaire, non contaminé par lui. Quel est le problème avec la pureté rituelle? En fait, il y en a plusieurs. Le premier est celui de considérer cette règle, et toutes celles du même genre, comme un absolu. Il est probable que la communauté de Marc à Rome avait pris ses distances par rapport à cette règle, peut-être même chez les Juifs convertis à la foi chrétienne; le fait de retenir ce récit permettait de justifier cette distance. Le deuxième problème est que cette règle crée deux catégories de personnes, les non-observants et les observants, avec le risque d’introduire le mépris face aux non-observants. Le troisième problème est celui de faire perdre de vue l’essentiel d’une règle, celle d’être au service de l’amour et de la justice. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé aux Pharisiens comme le souligne Jésus dans cette section que la liturgie a retranché de notre récit : la tradition juive a introduit la règle qui permet de geler un avoir en le considérant comme « offrande sacrée », ce qui a amené des Juifs à donner au temple l’argent qui aurait pu servir à soutenir ses parents; voilà le cas typique d’un comportement légal, mais immoral. C’est ce comportement que vise la référence à Isaïe dénonçant le peuple qui honore Dieu des lèvres seulement, alors que son cœur est loin de lui. Il y a donc des règles qui, au lieu d’avoir une valeur éducative et constructive de la personne, la « contamine » en l’orientant vers des comportements qui encouragent les intérêts personnels égoïstes. On pourrait ajouter un quatrième problème. On a donné à Jésus le nom d’Emmanuel, i.e. « Dieu avec nous ». Cela signifie que Dieu n’est plus à part, dans un espace sacré, mais au cœur du monde profane, et donc le symbole des ablutions rituelles qui signalent les deux mondes est devenu désuet. La deuxième situation abordée par l’évangile de ce jour concerne la nourriture « casher », i.e. convenable, celle permise, et celle interdite. Comme on sait, chez les Juifs (et chez tous les Sémites comme les Arabes) on ne consomme pas par exemple de porc, ou de cheval ou de fruits de mers, qui sont considérées comme un aliment impur. On imagine que cette question est devenue brulante chez les premiers chrétiens quand les non-Juifs se sont intégrés à la communauté et ont commencé à faire table commune. On comprend pourquoi Marc a retenu cette tradition qui présente la position de Jésus sur le sujet : pour lui, tout aliment est pur, « casher », et ne peut contaminer une personne; bref, il n’y a pas de règles dans le choix de la nourriture. Pour nous, bien sûr, la question telle que posée a peu d’intérêt. Mais la façon dont Jésus répond à la question doit nous intéresser, car il met l’accent sur ce qui devrait être notre préoccupation principale : le cœur humain, source de nos paroles et de nos comportements; indirectement, il propose une nouvelle question : est-ce que notre cœur, par ses propos et ses actions, fait grandir les autres, ou les « contamine ». Nous avons donc notre réponse sur ce qui est impur et sur ce qui contamine. Dans l’Église catholique, ce ne sont pas les divorcés remariés et ceux qui ont des positions nuancées sur l’avortement comme Joseph Biden qui la contamine. Dans notre société, ce ne sont pas les immigrants qui la contaminent, comme le pense Donald Trump. La seule réalité qui peut introduire la contamination est le cœur humain. L’enseignement de Jésus a introduit un ferment libérateur face à une foule de règles. Et il laisse même entendre qu’une loi peut amener quelqu’un à se faire illusion, car une action peut être légale, mais en même temps immorale. En soi, une règle n’a aucune valeur absolue si elle n’est pas au service de l’amour des humains et de la justice. Pour emprunter une phrase de s. Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux » (homélie de l’octave de Pâques). Et d’après Jésus, notre Dieu Père n’impose aucune règle pour nous aimer passionnément, son amour est inconditionnel. À nous de faire de même.
-André Gilbert, Gatineau, juin 2024
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