Raymond E. Brown, Introduction au Nouveau Testament,
Partie II : Les évangiles et les œuvres connexes

(Résumé détaillé)


Chapitre 7 : L’Évangile selon Marc


  1. Analyse générale du message

    La majorité des biblistes considèrent le chapitre 8 de Marc comme un tournant, car après avoir rencontré le rejet et l’incompréhension, Jésus proclame désormais la nécessité de passer par la souffrance et la mort, avant de connaître la résurrection. Le message pour le lecteur est clair : on a beau être attentif à la tradition sur ses paraboles et ses actions de puissance, si tout cela n’est pas associé à l’image d’une victoire à travers la souffrance, on n’a rien compris à son messages et à la vocation de ceux qui l’ont suivi.

    Résumé des informations de base
    1. La date : 60 - 75, le plus probablement entre 68 et 73

    2. L’auteur selon la tradition (2e siècle): Le disciple et "interprète" de Pierre, généralement identifié comme le Jean Marc des Actes, dont la mère avait une maison à Jérusalem. Il a accompagné Barnabas et Paul lors du "premier voyage missionnaire" et a peut-être aidé Pierre et Paul à Rome dans les années 60.

    3. L’auteur à partir du contenu : Quelqu’un de langue grecque, qui n'a pas été un témoin oculaire du ministère de Jésus et qui a fait des affirmations inexactes sur la géographie palestinienne. Il s'est appuyé sur des traditions préétablies concernant Jésus (orales et probablement écrites) et s'est adressé à une communauté qui semblait avoir subi des persécutions et des échecs.

    4. Le lieu de composition : il est situé à Rome où les chrétiens étaient persécutés par Néron

    5. L’unité de composition : il n’y a aucune raison majeure pour assumer qu’il y a plus qu’un auteur.

    6. L’intégrité de la composition : Marc a probablement terminé son Évangile en 16, 8. Les manuscrits ont ajouté d'autres finales par la suite relatant l'apparition ou les apparitions de Jésus ressuscité. La "finale la plus longue" (16, 9-20) est celle qui est le plus souvent considérée comme canonique.

    7. Une structure de l’Évangile

      La division de l’Évangile de Marc proposée est conçue pour permettre aux lecteurs de suivre le flot de la pensée, mais rien ne permet d'affirmer que l'évangéliste aurait divisé l'Évangile de cette façon (bien que le début des prédictions de la passion au chap. 8 semble être une division majeure intentionnelle). En particulier, la distinction entre les unités et leurs sous-unités est très floue, car ces dernières pourraient facilement être élevées au rang d'unités.

      1, 1 - 8, 26 : Première partie : Ministère de la guérison et de la prédication en Galilée

      1. Introduction par Jean-Baptiste ; une première journée ; controverse à Capharnaüm (1, 1 - 3, 6)
      2. Jésus choisit les Douze et les forme comme disciples par des paraboles et des actions puissantes ; incompréhension parmi ses proches de Nazareth (3, 7 - 6, 6).
      3. Envoi des Douze ; nourrir 5 000 personnes ; marcher sur l'eau ; controverse ; nourrir 4 000 personnes ; incompréhension (6, 7 - 8, 26).

      8, 27 - 16, 8, + 16, 9 - 20 : Deuxième partie : souffrances prédites ; mort à Jérusalem ; résurrection

      1. Trois prédictions de la passion ; la confession de Pierre ; la transfiguration ; l'enseignement de Jésus (8, 27 - 10, 52)
      2. Le ministère à Jérusalem : Entrée ; actions et rencontres au Temple ; discours eschatologique (11, 1 - 13, 37).
      3. L'onction, la dernière Cène, la passion, la crucifixion, l'ensevelissement, le tombeau vide (14, 1 - 16, 8).
      4. Une fin décrivant les apparitions de la résurrection, ajoutée par un copiste ultérieur (16, 9 - 20).

  2. Première partie : Ministère de guérison et prédication en Galilée (1, 1 – 8, 26)

    Marc a clairement tendance à regrouper les choses soit par le temps (en un jour), soit par sujet (controverses), soit par forme (paraboles).

    1. Introduction par Jean-Baptiste ; une première journée ; controverse à Capharnaüm (1, 1 - 3, 6)

      • (1, 1-15) L'ouverture de Marc présente le début de l'Évangile de Jésus-Christ comme l'accomplissement de Malachie 3, 1 et d'Isaïe 40, 3. Jean-Baptiste est le messager prophétisé qui crie dans le désert pour préparer le chemin du Seigneur. Cette préparation consiste à annoncer celui qui baptisera dans l'Esprit Saint, à savoir Jésus. Une voix venue du ciel, en écho au Ps 2, 7 et à Isaïe 42, 1, lui parle de Fils bien-aimé de Dieu ; et lors de son baptême, l'Esprit descend. Les affirmations selon lesquelles Jésus a été mis à l'épreuve par Satan (l'adversaire de l'Esprit) et que Jean-Baptiste a été arrêté suggèrent d'emblée au lecteur que la proclamation du royaume par Jésus rencontrera des obstacles majeurs.

      • (1, 16-20) Jésus commence par appeler quatre hommes à le suivre et à devenir des « pêcheurs » qui attraperont les gens, ce qui laisse présager que ces hommes auront un rôle à jouer dans la proclamation. En effet, les réactions de ces disciples vont marquer des étapes majeures dans l'Évangile.

      • (1, 21-38) En décrivant ce qui semble être le premier jour du ministère de Jésus, Marc familiarise les lecteurs avec le type de choses faites pour proclamer le royaume : enseigner avec autorité dans la synagogue de Capharnaüm, exorciser un esprit impur, guérir la belle-mère de Simon, guérir beaucoup d'autres malades et possédés, et enfin chercher un endroit pour prier le lendemain matin, seulement pour être importuné par ses disciples qui le pressent de demandes. Notons que l’enseignement, les guérisons et les exorcismes sont unis dans la proclamation du royaume, car Marc tient à souligner que la venue du royaume est une réalité complexe avec la présence de forces adverses. Mais il y a plus. En 1, 34, Jésus interdit aux démons de parler « parce qu'ils le connaissaient ». C'est la première occurrence de ce que les biblistes appellent le « secret messianique » de Marc, par lequel Jésus semble cacher son identité de Fils de Dieu jusqu'à ce qu'elle devienne apparente après sa mort sur la croix. Les démons, même s’ils invoquent un titre véritable, ne saisissent pas le mystère de sa personne.

      • (1: 39–45) L'expansion de l'activité de Jésus. Le ministère de Jésus se déplace dans les villes de Galilée, une zone géographique qui sera élargie dans les chapitres suivants. Le motif du secret messianique est maintenant étendu au lépreux guéri, car la publicité empêche Jésus de circuler ouvertement, et d’avoir une juste compréhension de sa personne.

      • (2: 1 – 3: 6) Controverses à Capharnaüm. Dans cette ville du lac de Galilée, qui est devenue la maison de Jésus, Marc centre cinq incidents au cours desquels les scribes, les pharisiens et d'autres s'opposent à ce qu'il pardonne les péchés, à ce qu'il fréquente les pécheurs, à ce que ses disciples ne jeûnent pas et à ce qu'ils fassent, comme lui, ce qui n'est pas permis le jour du sabbat. Cela suscite un complot de la part des Pharisiens et des Hérodiens pour le détruire. La proclamation du royaume de Dieu est combattue non seulement par des démons mais aussi par des êtres humains.

    2. Jésus choisit les Douze et les forme comme disciples par des paraboles et des actions puissantes ; incompréhension parmi ses proches de Nazareth (3, 7 - 6, 6)

      • (3, 7-12) Marc clôt la section précédente et commence cette section par un résumé montrant que le ministère de Jésus attirait des gens d'une région de plus en plus vaste, au-delà de la Galilée.

      • (3, 13-19) Au milieu de cet appel au grand nombre, Jésus monte sur la montagne et convoque les Douze, qu'il veut avoir avec lui et qu'il enverra prêcher. On peut observer que Luc 6, 13-15 et Actes 1, 13 (avec Jude fils de Jacques) présentent une liste des Douze qui diffère de celle de Marc (et de Mt 10, 2-4, avec Thaddée) par l'un des quatre derniers noms, ce qui est l’indice que le souvenir des membres mineurs était incertain.

      • (3, 20-35) Dans cette séquence nous rencontrons un arrangement narratif que les spécialistes reconnaissent comme une caractéristique du style marcien, une intercalation parfois appelée de manière peu élégante le "sandwich marcien". Dans ce type d'intercalation, Marc initie une action qui demande du temps pour être achevée, l'interrompt par une autre scène qui comble le temps (la viande entre les morceaux de pain qui l'entourent), puis reprend l'action initiale pour la clore. Ici, l'action commence avec les proches de Jésus qui ne comprennent pas qu’il ne prenne pas le temps de manger et considèrent qu’il a perdu la tête, suivis par les scribes venus de Jérusalem qui considèrent que Jésus est possédé de Béelzéboul; le premier groupe exprime incompréhension radicale et l'autre une incrédulité antagoniste. À la fin de l'intercalation (3, 31-35), la mère et les frères de Jésus arrivent enfin à Capharnaüm, mais pour se faire dire qu’ils ont été remplacés par la nouvelle famille de ceux qui font la volonté de Dieu. Quant à la scène intermédiaire avec les scribes de Jérusalem, elle constitue l'une des déclarations les plus claires du Jésus de Marc sur Satan, dont le royaume s'oppose au royaume de Dieu.

      • (4, 1–34) Cette séquence est une collection de paraboles et de paroles paraboliques relatifs au royaume de Dieu, la plupart d'entre eux traitant de la croissance de la semence. Bien que le ministère de Jésus soit centré à Capharnaüm, sur la mer de Galilée, et que le cadre de ces paraboles soit un bateau, il semble que le matériau des paraboles de Jésus soit tiré des villages et des fermes de la région montagneuse de Nazareth, où il a passé sa jeunesse. Il ne fait aucun doute qu'historiquement, Jésus a formulé son enseignement en paraboles. Mais leur contexte réel est inconnu, et donc le seul contexte certain est l'emplacement des paraboles dans les Évangiles existants - le fait que le contexte diffère parfois chez Marc, Matthieu et Luc illustre l'utilisation créative de la tradition par les évangélistes à leurs propres fins pédagogiques.

        Dans la séquence narrative actuelle de Marc, trois paraboles de graines (le semeur et la graine, la graine qui pousse toute seule et la graine de moutarde) servent de commentaire sur ce qui s'est passé dans la proclamation du royaume par Jésus. Même s’il y a des ratés (les trois types de terre où la semence ne grandit pas), la semence a sa propre force et mûrira en son temps ; elle est comme le grain de moutarde, avec un petit début et une grande croissance. Les personnes qui ont écouté ou lu Marc (séquence sur l’explication de la parabole) étaient censées voir dans ces paraboles l'explication des échecs et des déceptions de leur propre expérience du christianisme et un signe d'espoir qu'en fin de compte, il y aurait une croissance formidable et une récolte abondante.

        Les paraboles sur les semences sont entrelacées de commentaires et d'affirmations paraboliques sur le "but" des paraboles. En particulier, Marc 4, 11-12, où Jésus dit que les paraboles sont données à ceux qui sont à l'extérieur afin qu'ils ne voient pas, ne comprennent pas et ne soient pas convertis, est un texte offensant si l'on ne comprend pas l'approche biblique de la prévision divine, où ce qui a en fait résulté est souvent présenté comme le but de Dieu. Marc décrit en réalité ce qu'il considère comme le résultat négatif de l'enseignement de Jésus parmi son propre peuple, dont la majorité n'a pas compris et ne s'est pas convertie. Comme les visions symboliques accordées à Daniel dans l'AT, les paraboles constituaient un "mystère" dont l'interprétation n'était donnée par Dieu qu'aux élus (Dn 2, 22.27-28). Les autres ne comprennent pas, et le mystère devient une source de destruction. Isaïe 6, 9-10, qui prévoit l'échec du prophète à convertir Juda, a été largement utilisé dans le NT pour expliquer l'échec des disciples de Jésus à convaincre la plupart des Juifs; et Marc l'emploie ici (4, 12) en commentaire des paraboles.

      • (4, 35 - 5, 43) Marc présente quatre actions miraculeuses. Notons que l’évangéliste, tout comme les gens de l’Antiquité, ne fait aucune distinction entre une guérison et un miracle de la « nature », car Dieu manifeste son pouvoir sur toute la création. Tout comme la maladie et l'affliction reflètent le royaume du mal, il en va de même pour une tempête dangereuse. La victoire de Jésus sur la tempête est vue comme l'action du plus fort (3, 27) auquel même le vent et la mer obéissent.

      • (5, 1-20) La lutte de Jésus contre les démons est encore plus spectaculaire dans la guérison du fou de Gérasène, où Jésus chasse une « Légion ». Le schéma du miracle ressemble à celui de l'histoire du démoniaque en 1, 21-28, y compris la reconnaissance de l'identité de Jésus. Cependant, les éléments colorés et imaginatifs sont plus forts ici, par exemple la description prolongée de la violence de l'homme, le besoin des démons de trouver un endroit où rester, ce qui conduit au transfert vers les porcs, et le portrait détaillé de l'homme guéri. La fin, où l'homme guéri est envoyé proclamer à la Décapole ce que le Seigneur a fait, est significative car elle va à l'encontre de l'idée maîtresse du « secret messianique ».

      • (5, 21-43) Ces deux miracles sont un autre exemple d'intercalation marcienne : Jésus se met en route pour la maison de Jaïre en 5, 21-24 et arrive pour ressusciter la fille de Jaïre en 5, 35-43, tandis que le temps intermédiaire est comblé par la guérison de la femme qui a une hémorragie en 5, 25-34. Dans l'histoire de la femme, on remarque que le pouvoir est dépeint comme une chose possédée par Jésus qui peut sortir de lui sans qu'il sache où elle va. La question « Qui a touché mes vêtements? », la réponse sarcastique des disciples et la confession de la femme ajoutent au drame. Pourtant, peut-être involontairement, ils donnent l'impression que Jésus ne savait pas tout. La déclaration de Jésus : « Ta foi t'a sauvé » (5, 34 ; 10, 52) montre que Marc n'a pas une compréhension mécanique du pouvoir miraculeux de Jésus. Dans l'histoire de Jaïre, nous entendons parler du trio Pierre, Jacques et Jean choisi pour accompagner Jésus. Ils ont été les premiers à être appelés parmi les Douze, et les témoignages de Paul et des Actes suggèrent qu'ils étaient les plus connus. La scène se termine par un autre exemple de secret marcien (5, 43).

      • (6, 1-6) Dans cette séquence Jésus retourne à Nazareth, sa ville natale, et cela constitue une inclusion avec ses relations avec les "siens" de Nazareth au début de la scène (3, 21.31-35). Son enseignement à la synagogue suscite le scepticisme. Les habitants de la région se souviennent de lui comme d'un menuisier et connaissent sa famille, et donc sa sagesse religieuse et ses œuvres puissantes n'ont pas d'origine plausible. Malgré son enseignement et ses miracles, le ministère de Jésus n'a pas produit la foi chez ceux qui devraient le connaître, et sa puissance, qui est liée à la foi, y est inefficace.

    3. Envoi des Douze ; nourrir 5 000 personnes ; marcher sur l'eau ; controverse ; nourrir 4 000 personnes ; incompréhension (6, 7 - 8, 26).

      Cette section commence par l'envoi des Douze et se termine par leur incompréhension persistante, un échec qui conduira à la deuxième partie de l'Évangile où Jésus proclame que ce n'est que par sa propre souffrance et sa propre mort que les disciples pourront avoir une foi satisfaisante.

      • (6, 7-33) Dans cette séquence traitant de la mission des Douze et d'Hérode, nous rencontrons une fois de plus l'intercalation marcienne ; en effet, l'envoi des Douze est raconté en 6, 7-13 et leur retour en 6, 30-32, avec un récit de l'activité d'Hérode "intercalé" en 6, 14-29 pour occuper le temps intermédiaire. La mission des disciples prolonge la mission de Jésus lui-même, et il leur donne le pouvoir de l'accomplir. Les conditions austères (pas de nourriture, pas d'argent, pas de bagages) montreraient clairement que les résultats n'ont pas été obtenus par des moyens humains ; et probablement les chrétiens de la communauté de Marc en étaient venus à attendre une telle austérité de la part des missionnaires. Quant au sort de Jean-Baptiste, il est un avertissement de ce que sera probablement le sort de Jésus - et le sort de ceux qui sont envoyés pour poursuivre son œuvre.

      • (6, 34-52) Le repas des 5 000 personnes et la marche sur l'eau constituent une unité dans les quatre évangiles. Nous avons une variation de cette scène en Mc 8, 1-9 où Jésus nourrit 4 000 personnes, ce qui suggère une tradition très ancienne qui a subi de nombreuses adaptations à l'époque de la prédication. C'est un exemple intéressant de signification à plusieurs niveaux. Au niveau narratif le plus direct, la multiplication représente la puissance divine de Jésus mise au service d'une multitude affamée dont la situation difficile touche son cœur. Mais il y a aussi des échos de l'AT, par exemple le fait qu'Élisée nourrit 100 personnes avec des pains en Rois 4, 42-44, et peut-être le miracle de la manne à l'époque de Moïse (« lieu sauvage » en 6, 32), de même que la marche de Jésus sur l'eau peut faire écho à la traversée de la mer Rouge à pied sec. On note que des parallèles entre la carrière de Jésus et les scènes de l'AT sont devenus un élément majeur de la compréhension du plan global de Dieu. Un autre niveau de signification est que l'action de Jésus en 6, 41 anticipe ce qu'il fera lors de la dernière Cène en 14, 22-23, en relation avec le pain qui est son corps, une action qui était familière aux premiers chrétiens dans leur célébration eucharistique. Dans le cadre de ce symbolisme ou séparément, la multiplication peut aussi avoir été considérée comme une anticipation du banquet messianique.

        Dans le deuxième miracle, la marche sur l'eau (6, 45-52), Marc offre un type de théophanie ou d'épiphanie ; en effet, l'identité divine de Jésus est suggérée non seulement par le caractère extraordinaire du miracle, mais aussi par la réponse de Jésus en 6, 50 : « Je suis. » Il est d'autant plus poignant que les disciples ne comprennent ni ce miracle ni la multiplication, car leur cœur est endurci (6, 52). Après les deux miracles, Marc résume (6, 53-56) l'enthousiasme des villageois galiléens pour les nombreuses guérisons de Jésus; mais les lecteurs sont amenés à soupçonner qu'un tel enthousiasme n'est pas une compréhension ou une foi véritable.

      • (7, 1-23) Une controverse sur la pureté rituelle est une autre illustration de l'incompréhension. Malgré tous les miracles, ce qui gêne particulièrement les pharisiens et les scribes venus de Jérusalem, c'est que certains des disciples de Jésus n'observent pas la pureté rituelle, un concept que 7, 3-4 doit expliquer aux lecteurs. La controverse amène Jésus à condamner les interprétations trop étroites comme une tradition humaine qui ne tient pas compte de l'idée maîtresse du commandement de Dieu sur la pureté du cœur, voire qui la contrarie. Notons que l'attitude fondamentale à l'égard de la Loi en 7, 8 et 15 vient vraisemblablement de Jésus, par contre son application qui va jusqu’à déclarer purs tous les aliments (7, 19) représente fort probablement une intuition développée plus tard au sein de l’église primitive. Les luttes acharnées au sujet de la nourriture kasher dont témoignent les Actes et Paul seraient difficiles à expliquer si Jésus avait réglé la question dès le début.

      • (7, 24-30) Un contraste frappant avec l'hostilité des autorités juives est fourni par la foi de la femme syrophénicienne dans la région de Tyr. (Ce n'est guère par hasard que Marc place successivement une controverse sur la nourriture et la foi surprenante d'une païenne qui vient spontanément à Jésus ; ce sont les deux grandes questions qui divisaient les premiers chrétiens, i.e. les règles de pureté et la place des non Juifs dans la communauté). Certains ont été offensés par la réponse de Jésus en 7, 27 qui place les Juifs en premier (les enfants) et désigne les païens comme des chiens. On oublie souvent que Jésus est un juif du 1er siècle et Paul aussi place les Juifs en premier (Rom 1, 16), et 1 Pierre 2, 10 reprend la thèse de l'AT selon laquelle les Gentils n'ont pas de statut en tant que peuple.

      • (7, 31-37) La guérison de l’homme sourd, incluant les différents gestes avec les doigts dans les oreilles et la salive sur la langue, et même la parole araméenne Ephphata entend montrer l’intensité des contacts physiques de Jésus avec les affligés de la vie. Mais, selon Marc, l'enthousiasme du peuple à l'égard du pouvoir de Jésus l'emporte sur son commandement de garder le secret.

      • (8, 1-9) Même si, à l'origine, le repas des 4 000 a pu être une réplique du repas précédent, il a un fort effet cumulatif dans Marc comme une autre manifestation de la puissance extraordinaire de Jésus. Une fois de plus, le contexte est celui d'une multitude qui n'a rien à manger, et l'emploi du verbe eucharistein (8, 6) soutient l'interprétation eucharistique.

      • (8, 10-21) La scène des disciples dans la barque met en scène de façon dramatique l'improbabilité totale que Jésus soit accepté ou compris. Après tout ce qu'il a fait, les Pharisiens qui se présentent cherchent encore un signe pour le mettre à l'épreuve ; et les disciples dans la barque sont spécifiquement décrits comme n'ayant pas compris les deux multiplications.

      • (8, 22-26) La guérison de l'aveugle est un commentaire parabolique de l’incompréhension des disciples. L'homme ne retrouve la vue que par étapes, car la première action de Jésus ne lui donne qu'une vision floue. C'est également la situation des disciples, qui résulte de tout ce que Jésus a fait pour eux jusqu'à présent. Ce n'est que lorsque Jésus agit une deuxième fois que l'homme voit clairement, ce qui anticipe la partie suivante où Jésus doit souffrir et être mis à mort pour apporter définitivement la lumière.

  3. Deuxième partie : Prédiction des souffrances; la mort à Jérusalem; la résurrection (8, 27 – 16, 8 + 16, 9-20)

    Jésus signale un changement de ton en prédisant clairement son destin à trois reprises - la troisième fois en se rendant à Jérusalem où tout ce qu'il prédit aura lieu. Désormais il y a peu d'actes de puissance (miracles) qui, de toute façon, ne conduisent pas à la foi. Ses activités à Jérusalem suscitent l’animosité des chefs des prêtres et les scribes qui finissent par l’arrêter, lui font subir un procès et le font crucifier. Après sa mort, un centurion romain reconnaît l'identité de Jésus comme Fils de Dieu. Le troisième jour après cela, le tombeau dans lequel il a été enterré est trouvé vide ; et un jeune homme (ange) qui s'y trouve annonce que Jésus est ressuscité et qu'on le verra en Galilée.

    1. Trois prédictions de la Passion ; la confession de Pierre ; la Transfiguration ; l'enseignement de Jésus (8, 27 - 10, 52).

      • (8, 27 – 9, 1) Après les jugements négatifs de la première partie (« Il a perdu la tête », « il est possédé par Béelzéboul »), la confession de Pierre (« Tu es le Messie ») intervient au milieu d'évaluations plus positives de Jésus où il est comparé à Jean-Baptiste, Élie ou l’un des prophètes. Le porte-parole des disciples, qui est avec lui depuis 1, 16, va encore plus loin en proclamant que Jésus est le Messie, mais Jésus répond à cette affirmation par la même injonction au silence par laquelle il a modifié l'identification des démons comme Fils de Dieu (3, 11-12). Ce que dit Pierre est correct, mais il oublie d’inclure la composante nécessaire de la souffrance. Jésus commence maintenant à souligner plus clairement cette composante par une prédiction de sa propre passion (8, 31). Pierre rejette ce portrait du Fils de l'homme souffrant, et Jésus considère que son incompréhension est digne de Satan. Non seulement Jésus devra souffrir, mais il en sera de même pour ceux qui le suivront (8, 34 - 37). En 8, 38, Jésus avertit que ceux qui ont honte de lui seront jugés avec honte lorsque le Fils de l'homme viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. Cette remarquable affirmation christologique fait apparemment référence à la transfiguration qui suit immédiatement.

      • (9, 2-13) La transfiguration produit une réaction qui est un autre exemple de la foi insuffisante des disciples. Au début de la première partie, l'identité de Jésus comme Fils de Dieu a été proclamée lors de son baptême par une voix venue du ciel ; maintenant, au début de la deuxième partie, alors que la gloire de Jésus, jusque-là cachée, est rendue visible à trois de ses disciples, la voix céleste identifie à nouveau Jésus. La scène fait écho à la plus grande théophanie de l'AT, car elle se déroule sur une montagne, en présence de Moïse et d'Élie qui ont rencontré Dieu sur le Sinaï (Horeb). Le "après six jours" de 9, 2 semble rappeler Exode 24, 16, où la nuée couvre le Sinaï pendant six jours et où ce n'est que le jour suivant que Dieu appelle Moïse. Pierre propose maladroitement de prolonger l'expérience en construisant trois tabernacles, tout comme le Tabernacle a été construit après l'expérience du Sinaï (Exode 25-27 ; 36-38) ; mais en réalité, il est terrifié et ne sait pas quoi dire (Marc 9, 6). La discussion sur le chemin de la descente de la montagne est un rappel que cette gloire passe par la passion, mais cette fois en relation avec Élie qui doit venir d’abord. L'identification implicite d'Élie à Jean-Baptiste qui est venu avant Jésus et a été mis à mort (9, 13) peut être le résultat d'une réflexion de l'Église primitive, une tentative pour mettre en relation les deux grandes figures de l'Évangile à la lumière de l'AT.

      • (9, 14-29) L'histoire d'un garçon atteint d'un démon que les disciples de Jésus ne parviennent pas à guérir alors qu'il est sur la montagne, est racontée par Marc avec une longueur inhabituelle. Les symptômes sont typiques de l'épilepsie, et pourtant, dans la vision du monde de l'Évangile, le mal fait au garçon par une telle maladie est décrit comme une possession démoniaque. La question de savoir pourquoi les disciples n'ont pas pu chasser le démon exaspère Jésus : C'est une génération sans foi (9, 19) ; et il y a aussi un manque de foi implicite dans la demande d'aide du père, « Si tu le peux » (9, 23). L' « esprit muet et sourd » obéit à l'ordre de Jésus de s'en aller ; mais le lecteur garde un sentiment de mystère à la fin (9, 29), lorsqu'il dit aux disciples : "Cette espèce ne peut sortir que par la prière."

      • (9, 30-32) Un voyage à travers la Galilée commence avec la deuxième prédiction de Jésus sur la passion, qu'une fois de plus les disciples ne comprennent pas.

      • (9, 33 - 10, 31) À Capharnaüm et, finalement, lorsqu'il entreprend un voyage prémonitoire vers la Judée, Jésus donne à ses disciples des instructions variées concernant le royaume. Marc a rassemblé ici ce qu'il considère comme les dernières communications importantes avant que Jésus n'arrive à Jérusalem pour mourir. En 9, 33-35, Jésus avertit les Douze de ne pas chercher à être le plus grand dans le royaume, mais un serviteur. Le caractère inclusif du royaume est illustré en 9, 36-41 par le commandement de Jésus d'accueillir en son nom un enfant (c'est-à-dire une personne insignifiante) et par sa maxime « Quiconque n'est pas contre nous est pour nous ». La protection contre le scandale (c'est-à-dire le fait de provoquer le péché : 9, 42-48) que Jésus offre aux petits qui croient serait entendue par les lecteurs de Marc comme se rapportant non seulement à sa vie mais à la leur. Les Douze sont invités à être comme le feu et le sel (9, 49-50), qui purifient et assaisonnent avant la période du jugement.

      • (10, 1-12) Le voyage en Judée, l'instruction des foules et une question des Pharisiens constituent le contexte de l'enseignement de Jésus sur le mariage et le divorce. Les Pharisiens, se fondant sur Dt 24, 1-4, autorisaient un mari à rédiger une note pour divorcer de sa femme en raison d'une « indécence en elle ». Mais Jésus, faisant appel à Gn 1, 27 ; 2, 24 pour l'unité créée par le mariage, interdirait de briser le lien du mariage, de sorte que le remariage après un divorce constitue un adultère. Une forme de cette interdiction est conservée dans Matthieu (deux fois), Luc et 1 Cor 7, 10-11 ; il n'est donc pas improbable qu'historiquement il y ait eu une controverse dans la vie de Jésus entre lui et d'autres Juifs qui avaient des opinions différentes sur la question. La difficulté de sa position a été reconnue par les premiers chrétiens, et cette affirmation n'a pas tardé à recueillir des commentaires. Par exemple, Marc 10, 12, qui étend la déclaration à une femme qui divorce de son mari est probablement une adaptation à la situation des auditeurs païens de l'Évangile, où les femmes pouvaient divorcer des hommes.

      • (10, 13-31) Jésus revient sur la question de ceux qui entrent dans le royaume. Il rejette la vision que l’entrée dans le royaume exige d’avoir accompli beaucoup de choses, car en fait le royaume ne requiert que la réceptivité humaine, dont l'enfant est un bon symbole. Cette interprétation rapproche beaucoup Marc de la notion de justification par la foi de Paul. Mais que signifie « recevoir le royaume » ? C'est la question qui se cache derrière l’interrogation de l'homme riche en 10, 17 où Jésus lui demande avec amour de vendre ses biens et d'en donner le produit aux pauvres. Cela fait-il partie de ce qui est nécessaire pour hériter de la vie éternelle, ou cela ne s'applique-t-il qu'à une vie de disciple spéciale qui consiste à marcher avec Jésus ? Les premiers chrétiens n'ont certainement pas tous vendu leurs biens, et 10, 24-27 montre que Jésus exige ce qui est impossible selon les normes humaines, mais pas selon celles de Dieu. Ceux qui font de grands sacrifices pour Jésus seront récompensés à la fois dans ce siècle et dans le siècle à venir (10, 29-31) ; mais l'expression " avec des persécutions ", qu'elle soit de Jésus ou de Marc, est une touche de réalisme importante quant à leur destin.

      • (10, 32-45) Ce réalisme s'exprime également dans la troisième prédiction de la passion, plus détaillée que les autres à mesure que les événements prévus se rapprochent. Pris dans cette immédiateté, Jacques et Jean soulèvent la question des premières places dans le royaume (10, 35-45). Le défi lancé par Jésus de l'imiter en buvant la coupe et en se faisant baptiser est symboliquement un défi à la souffrance. Il leur rappelle que c'est le service qui fait la grandeur d'une personne. « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (10, 45) est un résumé approprié de l'esprit de ce royaume, un esprit anticipé en Is 53, 10-12.

      • (10, 46-52) Le voyage vers Jérusalem se termine dans la région de Jéricho, lorsque Jésus guérit l'aveugle Bartimée. Cet homme qui persiste à appeler Jésus à la pitié alors que d'autres lui disent de se taire est le symbole de tous ceux qui viendront au Christ et entendront « Ta foi t'a sauvé ».

    2. Le ministère à Jérusalem : Entrée ; actions et rencontres au Temple ; discours eschatologique (11, 1 - 13, 37)

      • (11, 1-11) Le récit fait partie d’une séquence qui semble se dérouler en trois jours (« le lendemain » 11, 12 ; « le matin » 11, 20). Deux disciples sont envoyés de la base d'opérations de Jésus sur le Mont des Oliviers, et tout se passe comme il l'avait annoncé. Il s'assied sur l'ânon qu'ils ramènent (une référence implicite à Za 9, 9 sur la venue du roi de Jérusalem) ; il est acclamé par un cri de louange hosanna, une référence à Ps 118, 26. Ainsi, Jésus est proclamé comme un roi qui restaurera le royaume terrestre de David - un honneur mais un autre malentendu.

      • (11, 12-26) Une autre intercalation marcienne régit les actions du lendemain et du début du jour suivant : maudire le figuier, purifier le Temple et trouver le figuier desséché. Même s’il était normal de ne pas trouver de figues hors saison, la malédiction est semblable aux actions prophétiques de l'Ancien Testament dont la particularité même attire l'attention sur le message présenté symboliquement (Jr 19, 1-2.10-11 ; Ez 12, 1-7). L'arbre stérile représente les autorités juives dont les échecs sont illustrés par l'action intermédiaire de la purification du Temple, qui a été transformé en repaire de voleurs au lieu d'être une maison de prière pour tous les peuples (Jr 7, 11 ; Is 56, 7). L'élément miraculeux de la malédiction/du dépérissement devient en 11, 22-25 l'occasion pour Jésus de donner aux disciples une leçon sur la foi et le pouvoir de la prière.

      • (11, 27-33) La malveillance des autorités suscitée par la purification du Temple se poursuit dans le défi lancé à l'autorité de Jésus. C'est le premier de plusieurs épisodes « pièges » par lesquels Marc va montrer la sagesse supérieure de Jésus face à des adversaires mesquins.

      • (12, 1-12) La parabole des méchants locataires qui sont finalement privés de la vigne a le même motif que la malédiction du figuier, au grand dam des autorités.

      • (12, 13-27) D'autres pièges sont tendus à Jésus dans les questions des Pharisiens et des Hérodiens sur les impôts pour César et des Sadducéens sur la résurrection. Ces questions ont pour effet de montrer la grande hostilité des autorités de tous les groupes à l'égard de Jésus, mais elles peuvent aussi avoir été instructives pour les chrétiens de la communauté de Marc qui étaient confrontés à des questions similaires : la primauté de Dieu et l'espoir de la résurrection.

      • (12, 28-34) Bien que Marc dépeigne les adversaires de Jésus avec un large pinceau, il fait une exception dans le portrait d'un scribe sensible qui pose une question sur le plus grand commandement et gagne l'approbation de Jésus comme n'étant pas loin du royaume de Dieu. La première ligne de la réponse de Jésus est fascinante, car elle cite la prière quotidienne juive, le Shema (« Écoute, Israël »), tirée de Dt 6, 4. Cela signifie que des décennies après les débuts du christianisme, on apprenait encore aux païens à prier une prière juive dans le cadre de l'exigence fondamentale posée par Dieu ! Les deux commandements inculqués par Jésus, combinant Dt 6, 5 et Lv 19, 18, ont en commun de mettre l'accent sur l'amour qui est devenu ce que les chrétiens aimeraient considérer comme le trait distinctif de leur religion.

      • (12, 35-44) En réponse à tant de questions hostiles, Jésus pose sa propre question difficile au sujet du fils de David. Que la question se soit posée ou non du vivant de Jésus, les premiers chrétiens ont eu du mal à comprendre l'idée que le fait d'acclamer Jésus comme le Messie signifiait bien plus que simplement le reconnaître comme le roi oint de la Maison de David. La dénonciation de l'étalage public des scribes (12, 38-40) sert de toile de fond au récit d'un comportement religieux authentique, l'obole de la veuve (12, 41-44).

      • (13, 1-37) Jusqu'à présent, la plupart des activités de Jésus à Jérusalem se sont déroulées dans le quartier du Temple ; c'est après avoir contemplé les magnifiques bâtiments du Temple que, assis sur le mont des Oliviers, il prononce le discours eschatologique - le dernier discours de son ministère qui porte sur la fin des temps. Le discours est une collection d'avertissements prophétiques sinistres. Plusieurs biblistes pensent que le récit de Marc est en partie coloré par ce que l'évangéliste sait avoir déjà eu lieu, par exemple la persécution dans les synagogues et devant les gouverneurs et les rois. La plupart des lecteurs retiendront avant tout que le discours ne donne aucun calendrier précis : d'une part, les disciples de Jésus ne doivent pas se laisser tromper par les spéculations et les affirmations selon lesquelles la fin est proche ; d'autre part, ils doivent rester vigilants.

    3. Onction, Cène, Arrestation, Épreuves, Crucifixion, Enterrement, Tombe vide (14, 1 - 16, 8)

      • (14, 1-25) Une autre inclusion marcienne est formée par la trahison de Judas et l'onction de Jésus (14, 1-11), puisque l'onction est prise en sandwich entre le complot des autorités pour arrêter Jésus et le fait que Judas s'avance pour le leur livrer. Le fait que l'onction soit destinée à l'ensevelissement indique au lecteur que le complot va réussir. Les préparatifs de la Pâque (14, 12-16) fournissent non seulement un contexte rituel à l'action de Jésus lors de la dernière Cène, mais illustrent également la capacité de Jésus à prédire ce qui va se passer. Ce dernier thème se poursuivra lorsque Jésus prédit ce que feront Judas, les disciples et Pierre. La dernière Cène (14, 17-25), racontée très brièvement dans Marc, fournit le contexte de la première de ces prédictions ; et l'idée que Judas livrera Jésus offre un contraste dramatique avec le don de soi de Jésus dans la bénédiction eucharistique du pain et du vin comme étant son corps et son sang.

      • (14, 26-52) La section de Gethsémani marque le début de la partie souffrante du récit de la passion de Marc, au moment où Jésus passe du repas au Mont des Oliviers. Dans cette transition, les prédictions de la fuite des disciples et des reniements de Pierre donnent un ton tragique, et dans ce qui suit, l'élément d'échec et d'abandon est plus fort chez Marc que dans tout autre récit de la passion. L'isolement de Jésus est mis en scène en trois étapes : il s'éloigne du groupe des disciples, des trois choisis, puis tombe seul à terre pour implorer trois fois le Père de lui enlever la coupe - une coupe de souffrance qu'en 10, 39 il avait mis ses disciples au défi de boire ! Lorsque le Père se tait et que les disciples sont retrouvés endormis à trois reprises, Jésus accepte la volonté de Dieu et proclame que le Fils de l'homme doit maintenant être livré aux pécheurs, comme il l'avait prédit à trois reprises. La première étape d'une longue séquence où on livre Jésus est le baiser (une touche dramatique) de Judas qui le livre à la foule venue des chefs des prêtres et des scribes. Non seulement tous les disciples s'enfuient, mais un jeune homme qui suivait Jésus s'enfuit nu; il symbolise l'échec : ceux qui avaient tout quitté pour le suivre ont maintenant tout quitté pour s'éloigner de lui.

      • (14, 53 - 15, 1) Le procès juif : Jésus est condamné par un sanhédrin et fait l'objet de moqueries tandis que Pierre le renie. Le commanditaire de l'arrestation remet Jésus aux grands prêtres, aux anciens et aux scribes qui se réunissent en Sanhédrin pour décider de son sort. En faisant des allers-retours pour illustrer la simultanéité, Marc raconte deux scènes contrastées : dans l'une, Jésus confesse courageusement qu'il est le Fils de Dieu ; dans l'autre, Pierre le maudit et nie le connaître. Ironie du sort, au moment même où l'on se moque de Jésus comme d'un faux prophète, la troisième de ses prophéties concernant ses disciples se réalise. Bien que les autorités ne croient pas que Jésus puisse détruire le sanctuaire ou qu'il soit le Messie, le Fils du Béni (Dieu), il y aura une vérification de ces deux thèmes à sa mort. Les lecteurs marciens entendaient probablement ici des anticipations des débats de leur propre époque, car, en fin de compte, les chrétiens considéraient que la condamnation de Jésus était ce qui avait poussé Dieu à permettre aux Romains de détruire Jérusalem, et l'identité de Jésus en tant que Fils de Dieu devint un point principal de division entre chrétiens et juifs.

      • (15, 2-20a) Le procès romain : Jésus est livré à Pilate pour être crucifié et on se moque de lui. Les autorités juives livrent Jésus à Pilate. Marc établit un parallèle clair entre les deux procès, de manière à mettre en évidence le point principal de chacun d'eux. Dans chacun d'eux, une figure représentative principale, respectivement le grand prêtre et Pilate, pose une question clé qui reflète ses intérêts : « Es-tu le Messie, le Fils du Béni? » chez le grand prêtre et « Es-tu le Roi des Juifs? » chez Pilate. Il y a de faux témoins dans le procès juif ; et Pilate sait que Jésus a été livré par envie. Pourtant, à la fin de chaque procès, Jésus est condamné, on lui crache dessus et on se moque de lui - en tant que prophète par les membres du Sanhédrin juif, et en tant que Roi des Juifs par les soldats romains. Rejeté par tous, Jésus est livré par Pilate aux soldats romains pour être crucifié.

      • (15, 20b - 47) La crucifixion, la mort et la sépulture. Avant la crucifixion, sur le chemin vers le lieu appelé Golgotha, Marc souligne l'aide apportée par Simon de Cyrène, et après la mort de Jésus sur la croix, celle apportée par Joseph d'Arimathie - ironiquement, les seuls qui l'assistent sont ceux qui, d'après ce que nous savons de Marc, n'avaient aucun contact préalable avec lui. Les détails de la crucifixion que Marc mentionne rappellent les descriptions de l’AT de la souffrance de l'homme juste, par exemple, les deux boissons alcoolisées, avec de la myrrhe au début et du vin vinaigré à la fin (Pr 31, 6-7 ; Ps 69, 22) ; la division des vêtements (Ps 22, 19). Trois périodes de temps sont indiquées : la troisième, la sixième et la neuvième heure (9h00 ; midi ; 15h00), avec une coloration de plus en plus tragique. Dans la première période, trois groupes jouent un rôle à la croix de Jésus : les passants, les chefs des prêtres et les scribes, et les criminels co-crucifiés. Tous se moquent de lui, en effet en ravivant les questions du procès juif (destruction du sanctuaire, identité comme Messie). Dans la deuxième période, les ténèbres s'abattent sur le pays. Dans la troisième période, Jésus parle depuis la croix pour la seule fois. Marc commence la passion de Jésus en 14, 36 par sa prière en araméen et en grec transcrits : « Abba, Père... éloigne de moi cette coupe ». Marc clôt la passion de Jésus en 15, 34 par une autre prière, citant en araméen et en grec les paroles désespérées du Ps 22, 2 : « Elōi, Elōi, lama sabachthani... Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » Se sentant abandonné et n'ayant plus la prétention d'utiliser le terme familial intime de « Père », Jésus est réduit à une forme d'adresse commune à tous les êtres humains, « Mon Dieu. » Aucune réponse ne vient avant la mort de Jésus. Cependant, dans un renversement stupéfiant, au moment où il expire, Dieu lui donne raison sur la base des questions soulevées lors du procès juif : le voile qui délimitait le sanctuaire du Temple est déchiré, privant ce lieu de sa sainteté, et un païen reconnaît une vérité que le grand prêtre ne pouvait accepter : « En vérité, cet homme était le Fils de Dieu. »

        Les femmes qui avaient servi Jésus en Galilée et l'avaient suivi à Jérusalem sont maintenant présentées comme ayant observé de loin la mort de Jésus. Comme elles observent également le lieu où il est enterré, elles constituent un lien important entre la mort et la découverte du tombeau vide qui révèle la résurrection. L'enterrement est effectué par Joseph d'Arimathie, un membre pieux du Sanhédrin, qui voulait probablement respecter la loi selon laquelle le corps d'une personne pendue à un arbre ne devait pas passer la nuit.

      • (16, 1-8) Le tombeau vide et la résurrection. Le corps de Jésus a été enterré à la hâte ; aussi, tôt le dimanche matin, après le repos du sabbat, les femmes achètent des épices pour l'oindre. La question rhétorique dramatique sur le déplacement de la pierre souligne l'intervention divine dans la scène : le tombeau est ouvert ; un jeune homme qu'il faut presque certainement comprendre comme un ange est là, mais pas le corps de Jésus. La proclamation retentissante : « Il est ressuscité... il vous précède en Galilée où vous le verrez », représente le triomphe du Fils de l'homme prédit trois fois par Jésus (8, 31 ; 9, 31 ; 10, 34). La réaction des femmes en 16, 8 est étonnante. Elles désobéissent à l'ordre du jeune homme de faire un rapport aux disciples et à Pierre ; elles s'enfuient et, par crainte, ne disent rien à personne. La théologie de Marc est cohérente : même la proclamation de la résurrection ne produit pas la foi sans la rencontre personnelle de l'auditeur avec la souffrance et le port de la croix.

    4. Une finale décrivant les apparitions de la résurrection ajoutée par un copiste ultérieur (16, 9 - 20)

      • Selon la majorité des biblistes, l’Évangile originel se termine avec 16, 8 où les femmes ne disent rien à personne, car elles avaient peur. Depuis l’Antiquité, celle finale abrupte a fait problème, si bien qu’on trouve dans les manuscrits de l’Évangile de Marc trois finales différentes ajoutées par des copistes pour la corriger.

      • La finale la mieux attestée est appelée l'Appendice de Marc ou la Finale plus longue et est imprimée comme faisant partie du texte de Marc dans de nombreuses Bibles. Cette finale copie des éléments de Luc, des Actes et de Matthieu. Elle rapporte trois apparitions de Jésus ressuscité et une ascension. L'appendice se termine sur la note réconfortante du Seigneur qui travaille avec les disciples missionnaires et les confirme par des signes miraculeux.

  4. Les sources

    Quelles que soient ses sources, Marc était un auteur authentique qui a créé un ensemble efficace. L'Évangile a un plan d'ensemble dont on peu distinguer deux parties avec un ton différent : dans la première partie Marc met en évidence l’incompréhension des disciples, et dans la deuxième partie l’hostilité grandissante à l’égard de Jésus. Les deux procès de Jésus sont soigneusement mis en parallèle. Les prédictions de Jésus concernant les disciples se réalisent toutes au milieu du récit de la passion, et les thèmes abordés au milieu (le procès des Juifs) se réalisent à la fin, lorsque Jésus meurt. Une partie de cette organisation pourrait provenir de sources, mais une grande partie provient probablement de Marc lui-même. Sa qualité d'auteur se manifeste donc dans la façon dont il a organisé le matériel, relié les histoires, choisi les détails à rapporter et souligné les thèmes. Mais quelle part revient à ses sources, quelle part revient à Marc? Voici quelques-unes des propositions :

    1. Propositions des sources de Marc

      1. Sources existantes externes à Marc

        L'Évangile secret de Marc a été proposé comme source de Marc, et une forme courte de l'Évangile de Pierre comme source de la passion marcienne. Cette théorie exige un exercice majeur d'imagination et n'a guère d'adeptes.

      2. Blocs de matériaux préservés dans Marc

        Un grand nombre de biblistes soutiennent qu'il existait un (ou plusieurs) récit(s) écrit(s) de la passion antérieur(s) à Marc, que l'on peut déceler sous la passion de Marc. Malheureusement, les reconstructions sont très différentes, et il n'y a guère de versets que tous attribueraient au même type de source ou de tradition. Ceux qui pensent que Jean a écrit indépendamment de Marc utilisent la concordance entre ces deux évangiles comme indice du matériel préévangélique de la passion, mais cette concordance ne fournit pas la formulation d'un récit consécutif. Bref, s’il y a eu récit antérieur, nous n’avons pas encore la méthodologie pour la reconstituer.

      3. Des sources pour des blocs de matériel plus petits

        Chacun de ces blocs fait l’objet d’un débat chez les biblistes. Par exemple, on a proposé une source pour les cinq controverses en 2, 1 - 3, 6 (pardon des péchés, accueil des pécheurs, etc.), et une source (ou même une source orale et une source écrite) pour les paraboles en 4, 1-34. Quant aux histoires de miracles de Marc, certains ont proposé l’existence antérieure de deux cycles (4, 35 – 6, 44 et 6, 45 – 8, 26) que Marc aurait réunis, et dans lesquels il aurait interpolé son propre bloc de matériel (6, 1-33 et 7, 1-23).

    2. La difficulté de trouver des critères

      Pourquoi y a-t-il tant de désaccords dans la détection des sources écrites antérieures à Marc? À l'origine du problème, il y a des doutes sur l'applicabilité des critères employés pour déterminer ce que Marc a apporté à la ou aux sources qu'il a utilisées. Par exemple, il y a eu des études très minutieuses du style, du vocabulaire et de la syntaxe de Marc, et elles sont très utiles dans les discussions sur le problème synoptique pour distinguer l'écriture de Marc de celle de Matthieu et de Luc. Il est beaucoup plus difficile d'être certain de la manière d'utiliser les informations obtenues grâce à elles pour reconnaître les sources putatives de Marc. Le style d'une telle source était-il différent de celui de Marc? Si le style de la source était différent de celui de Marc, ce dernier l'a-t-il copié servilement, nous permettant ainsi de le distinguer de ses propres ajouts? Ou bien, après avoir lu ce qui se trouvait dans la source, en a-t-il reformulé le contenu dans son propre style?

      1. Les signes de jonction

        On fait souvent appel aux signes de jonction (coutures) pour déterminer ce qui est marcien et ce qui est prémarcien. Par exemple, en examinant Marc, nous pouvons constater qu'une certaine séquence est maladroite parce qu'à un endroit particulier, la transition d'une section à l'autre est mauvaise. Si le matériel de part et d'autre de cette "couture" est quelque peu dissonant, nous pourrions juger que la maladresse ne vient pas d'une mauvaise écriture mais du fait que quelqu'un a joint deux corps de matériel qui n'allaient pas ensemble à l'origine. Mais c'est là que les questions commencent. Est-ce Marc qui a fait la jonction, ou cette union maladroite était-elle déjà dans la source? L'union est-elle vraiment maladroite, ou la maladresse est-elle dans l'œil du lecteur?

      2. Des styles différents

        Une fois encore, la présence dans Marc de matériaux de styles différents est présentée comme un critère permettant de distinguer la composition marcienne des sources putatives. Mais ce critère a aussi ses dangers. Marc a-t-il délibérément varié son style en fonction de ce qu'il décrivait? Si Marc n'était pas toujours cohérent, la présence de styles différents n'est pas un guide certain pour distinguer le prémarcien du marcien. En outre, pour juger du style, nous devons tenir compte de la forte influence de l'oralité sur Marc. La tradition concernant Jésus a été prêchée pendant des décennies ; et même lorsqu'elle a été mise par écrit, cette influence orale s'est poursuivie. Et chez Marc, des signes d'oralité sont évidents dans son écriture. Cette oralité se manifeste non seulement dans ce que Marc a repris mais aussi dans la manière dont il le présente. Dans un contexte où l'oralité et la textualité étaient mélangées, Marc était-il toujours cohérent dans la manière dont il traitait sa ou ses sources putatives, ou bien copiait-il parfois et reformulait-il parfois, en particulier lorsqu'il joignait du matériel provenant d'un contexte oral à du matériel provenant d'un contexte écrit?

  5. Comment interpreter Marc

    Marc a été interprété de nombreuses manières différentes, et cela dépend des différentes méthodes utilisées par les biblistes : critique de la rédaction, structuralisme, critique narrative, critique socio-rhétorique, critique sociopolitique, ou encore des hypothèses sur l’origine de composition, par exemple la liturgie. Aussi, concentrons-nous sur les problèmes particuliers que les biblistes ont trouvés en interprétant Marc, et qui se reflètent souvent dans des interprétations radicalement différentes.

    1. Parfois un problème est détecté dans l'évangile tel qu'il se présente actuellement

      Ce problème vient en particuliers de passages obscurs, comme les paraboles présentées comme un message voilé pour plusieurs (4, 11-2), ou le symbolisme du jeune homme qui s'enfuit nu (14, 51-52) ; et de la fin abrupte où les femmes ne transmettent pas la nouvelle que Jésus est ressuscité (16, 8). Pourtant, ces passages difficiles ne sont pas insurmontables ou trop nombreux.

      Au-delà d'eux, on peut citer des problèmes particuliers mis en évidence dans différentes approches de l'Évangile. En 1901, le savant allemand W. Wrede a proposé sa théorie du secret messianique où Jésus demande aux autres de ne pas révéler qu’il est le Messie et qui serait un facteur important chez Marc; en même temps, sur le plan historique, cette image serait peu plausible, selon Wrede, et aurait été inventé (pas nécessairement par Marc) pour faciliter l'intégration de traditions anciennes non messianiques dans une proclamation de Jésus comme Messie. Cependant, cette thèse soulève des objections. Bien que Marc soit clairement une œuvre théologique, il est possible de postuler que la christologie remonte aux niveaux les plus anciens et même à Jésus lui-même. Le secret de Marc peut avoir ses racines dans le rejet historique par Jésus de certaines aspirations messianiques de son époque et dans le fait qu'il n'avait pas de langage théologique développé pour exprimer son identité. Quoi qu'il en soit et pour diverses raisons, la majorité des biblistes ne considèrent plus le secret messianique comme la question clé de l'interprétation de Marc.

      En raison de sa réputation de critique littéraire, la critique narrative de Marc par F. Kermode a reçu beaucoup d'attention. Écrivant au mépris d'une grande partie de la critique biblique, il met l'accent sur l'obscurité de Marc, de sorte que, malgré des moments de rayonnement, l'Évangile reste fondamentalement un mystère comme les paraboles, excluant arbitrairement les lecteurs du royaume. Malheureusement, Kermode a isolé l'écriture de Marc de sa théologie chrétienne ultime. Les motifs de la désobéissance, de l'échec, de l'incompréhension et des ténèbres sont proéminents chez Marc ; mais la mort de Jésus sur la croix, qui est le moment le plus sombre de l'Évangile, n'est pas la fin. La puissance de Dieu perce, et un étranger comme le centurion romain n'est pas exclu mais comprend. Quelle que soit la perplexité des femmes au tombeau, les lecteurs ne sont pas laissés dans l'incertitude : Le Christ est ressuscité et on peut le voir.

    2. Un plus grand nombre de problèmes d'interprétation sont basés sur des présuppositions sur ce qui a précédé Marc

      1. Tout d'abord, si une grande majorité de spécialistes pense que Matthieu et Luc se sont inspirés de Marc et de Q, les sources de Marc et de Jean sont beaucoup plus hypothétiques. Reconstruire la théologie de ces sources qui n’existent plus aujourd’hui est doublement hypothétique. Ensuite, évaluer la théologie marcienne ou johannique sur la base des changements correctifs apportés à ces sources qui n’existent plus est triplement hypothétique.

      2. Deuxièmement, les commentateurs utilisent également les changements putatifs pour construire l'histoire de la communauté marcienne et/ou l'intention de Marc de corriger d'autres groupes de chrétiens. Parmi les évangiles, seul Jean (6, 61-66 ; 12, 42) critique spécifiquement des groupes de croyants en Jésus dont il juge la foi insuffisante ; il est donc légitime de considérer que Jean a été écrit, au moins en partie, pour corriger d'autres chrétiens. Il n'y a pas de critique aussi ouverte dans Marc, et interpréter Marc de la même manière va bien au-delà du texte. En voici quelques exemples :

        1. Si Marc connaissait l'Évangile secret de Marc, l'Évangile de Pierre et/ou certains des apocryphes gnostiques connus, en les corrigeant ou en les rejetant, on pourrait considérer que Marc soutient une christologie plus stable et plus crédible par rapport à des visions extravagantes, imaginatives, exotiques (et même érotiques) du Christ qui sont plus originales. Par exemple, en théorie, Marc aurait omis de l'Évangile de Pierre la déclaration selon laquelle Jésus n'a ressenti aucune douleur sur la croix, ou aurait omis de l'Évangile secret de Marc la scène où Jésus mange et passe la nuit avec un jeune homme pratiquement nu qu'il a ressuscité des morts. Il se peut aussi que Marc, avec ses références aux Douze et sa description des femmes qui ne parlent pas de la résurrection, soutienne un christianisme masculin et autoritaire en contraste avec un christianisme charismatique où les femmes jouent un plus grand rôle. Malheureusement, les preuves sont si minces que cette approche est rejetée par la plupart des spécialistes.

        2. Si Marc s'est inspiré d'un recueil de miracles antérieur à l'Évangile, il peut avoir rejeté l'approche de Jésus en tant que theios anēr (« homme divin ») dans une telle source. Mais il y a les problèmes pour déterminer
          • s'il y avait vraiment en circulation une idéologie du theios anēr,
          • si les cycles de miracles d'Élie et d'Élisée dans l'AT n'offraient pas plutôt une meilleure analogie aux miracles de l'Évangile que les actes proposés des thaumaturges hellénistiques,
          • si l'approche corrective du thaumaturge n'est pas le reflet du scepticisme moderne à l'égard de toute image de Jésus comme thaumaturge.
          Si l'on accepte la possibilité de miracles (guérisons, réanimations de morts, multiplication des pains, etc.), alors une source dans laquelle Jésus les aurait réalisés le doterait de pouvoirs surnaturels. Marc ne donne aucun indice de scepticisme quant à la réalité des actions puissantes de Jésus. Pourtant, on peut considérer que l'Évangile critique deux conceptions des miracles.
          • Explicitement, le Jésus de Marc refuse de faire des miracles pour montrer ou prouver ses pouvoirs,
          • et implicitement, l'image de l'homme qui accomplit des œuvres puissantes est combinée avec celle d'un enseignant faisant autorité et d'un homme qui souffre.

          Ainsi, si Marc a utilisé une source qui ne voyait en Jésus qu'un thaumaturge triomphant ou un homme qui faisait un vain étalage de ses pouvoirs miraculeux, il a corrigé cette source. En ce qui concerne les disciples, la description par Marc de leur échec était censée fonctionner comme un exemple pastoral pour les destinataires qui avaient également connu l'échec, plutôt que comme une polémique contre une fausse position.

        3. Si Marc s'est inspiré d'un recueil de paraboles antérieur à l'Évangile, peut-être que dans cette source, Jésus n'était qu'un enseignant errant de type sophiste défiant les mœurs ordinaires de l'époque. Marc aurait alors imposé une christologie à la source en la combinant avec des éléments présentant Jésus comme le Messie et le Fils de Dieu. Là encore, maheureusement, les étapes non christologiques du christianisme avant Marc sont purement hypothétiques et vont à l'encontre de nombreuses données probantes.

        Bien que de nombreux spécialistes réputés du NT construisent leurs analyses de la pensée marcienne en termes de corrections de sources putatives, l'incertitude de la reconstruction des sources rend leurs analyses très discutables. Et cette soi-disant source pourrait être simplement une tendance chrétienne générale que Marc cherche à corriger.

    3. Lire l’Évangile à partir de ses impressions en surface

      Entreprenons une lecture de surface, ignorant les présupposés des érudits, et nous verrons comment les titres christologiques de Jésus (Fils de l'Homme, Messie, Fils de Dieu) se colorent harmonieusement les uns les autres.

      Accomplissant les prophéties d'Isaïe et introduite par Jean-Baptiste, une nouvelle action divine pour délivrer le peuple de Dieu a commencé. Une voix céleste, faisant écho au Ps 2, dit aux lecteurs dès le début que Jésus est le Fils unique de Dieu. Afin d'apporter le royaume ou la domination de Dieu dans ce monde, il a le pouvoir d'enseigner et d'accomplir des actes qui dépassent toute attente. Pourtant, il est mis à l'épreuve et contrarié par Satan ou les démons qui ont déjà le contrôle - ce qui préfigure le dénouement de l'histoire dans la passion. Les guérisons de Jésus, le fait qu'il apaise la tempête, qu'il nourrisse les affamés et qu'il pardonne les péchés sont autant de manifestations de la victoire sur le mal ; pourtant, les démons résistent à cette invasion de leur territoire par le royaume de Dieu. Une autre opposition est manifestée par ceux qui rejettent l'enseignement de Jésus et contestent son pouvoir, un rejet exprimé en particulier par les Pharisiens et les scribes. Enfin, l'opposition se traduit par le fait que ceux qui s’ouvrent à Jésus et veulent le suivre ne le comprennent pas. Ils ont leur propre conception de la royauté : elle doit être marquée par un succès triomphal immédiat et une domination sur les autres à la manière des rois de ce monde. Jésus essaie de montrer à ses disciples que les valeurs de Dieu sont différentes : ceux qui n'ont aucun pouvoir sont plus ouverts au règne de Dieu que ceux qui sont puissants, et il n'y a rien de plus efficace que la souffrance pour faire reconnaître un besoin de Dieu. Pourtant, au milieu de l'Évangile, il est clair que Jésus ne réussit pas, et il commence à proclamer qu'il devra lui-même souffrir et mourir. Ses disciples ne comprennent toujours pas, et ils s'enfuient tous lorsqu'il est arrêté. Il est abandonné dans sa passion alors qu'il est condamné injustement par le grand prêtre de son peuple et le gouverneur romain et que tous se moquent de lui. Même Dieu ne semble pas l'entendre ; et pourtant, au moment même où il a atteint les profondeurs de la souffrance dans la mort, Dieu lui rend justice en montrant que ce que Jésus a dit est vrai. Il est ressuscité des morts avec l'indication que ses disciples le verront en Galilée. Là où ils sont venus le suivre pour la première fois, ils le suivront à nouveau, mais après avoir commencé à apprendre la leçon de la souffrance.

      Au moment où Marc écrit, Jésus est prêché comme le Christ depuis plusieurs décennies. Pour apprécier la contribution de Marc, demandons-nous ce que nous saurions de Jésus si nous ne disposions que des lettres de Paul. Nous aurions une magnifique théologie sur ce que Dieu a fait en Christ, mais Jésus serait presque sans visage. Marc a l'honneur d'avoir peint ce « visage » et d'en avoir fait une partie intégrante de l'Évangile.

  6. La paternité de l’Évangile selon Marc

    1. Les données

      Le titre « L'Évangile selon Marc » a été attaché à cet écrit à la fin du 2e siècle. Au milieu du 2e siècle, Justin (Dialogue avec Tryphon 106.3) fait référence aux « mémoires de Pierre » comme contenant un passage qui ne se trouve que dans Mc 3, 16-17. Eusèbe (Histoire ecclésiastique 3.39.15- 16) rapporte une tradition du début du 2e siècle concernant Marc et Matthieu que Papias (vers l’an 125) a reçue de « l'ancien » :

      « Marc, devenu l'interprète/traducteur de Pierre, a écrit avec précision, mais non dans l'ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. En effet, il n'avait ni entendu ni suivi le Seigneur ; mais plus tard (comme je l'ai dit) il a suivi Pierre, qui avait l'habitude d'adapter ses instructions aux besoins [du moment ou de l'auditoire], mais pas en vue de faire un compte rendu ordonné des paroles [logia] du Seigneur. Marc n'a donc pas commis de faute en écrivant ainsi certaines choses telles qu'il s'en souvenait, car il s'était fixé pour but de ne rien omettre de ce qu'il avait entendu et de ne rien déclarer faussement ».

      Telles sont les choses que Papias raconte de Marc ; mais à propos de Matthieu, il dit ces choses :

      « Or, Matthieu a disposé dans l'ordre les paroles [logia] en langue hébraïque [= araméenne?], et chacun a interprété/traduit selon ses possibilités. »

    2. Analyse de ces données

      1. Ce que nous savons sur Jean Marc

        Notons d’abord que le nom de Marc (grec Markos, du latin Marcus) n'était pas rare, ce qui contribue à compliquer les références du NT à un individu ainsi nommé. Les Actes fournissent des informations sur un homme qu'ils appellent trois fois « Jean dont le nom de famille était Marc » mais une seule fois (15, 39) simplement « Marc », et qu'ils associent à Pierre, Paul et Barnabé. Dans Phlm 24, une lettre dont l'authenticité est incontestable et qui a été envoyée entre 55 et 63, Paul mentionne un Marc comme compagnon de travail qui était avec lui à l'endroit d'où il écrit (vraisemblablement d'Éphèse pendant « le troisième voyage missionnaire »). Col 4, 10, qui suppose la même situation que Phlm et peut en être dépendant, développe l'image de ce Marc ; il est le cousin de Barnabé. 1 P (5, 13), écrit de Rome, identifie Marc comme le « fils » de Pierre qui est avec lui là-bas. Dans 2 Tm 4, 11, alors que Paul serait en train de mourir en prison (à Rome?), il demande que Marc lui soit amené, « car son service m'est utile ». Il est possible de combiner tout cela en une image composite d'un Jean appelé Marc : il était connu de Pierre à Jérusalem ; il a ensuite été un compagnon de Paul, mais s'est disputé avec lui dans la période 46-50 ; après quelques années, ce Marc s'est réconcilié avec l'apôtre et est redevenu un compagnon, pour finalement venir à Rome dans les années 60 où il a été utile à la fois à Paul et à Pierre avant leur martyre.

      2. La valeur de la tradition de Papias

        Il est très probable que la tradition de Papias se référait à ce Marc (Jean) comme celui qui a écrit ce qui a été dit et fait par le Seigneur. Dans quelle mesure cette tradition est-elle plausible ? D'une part, si Papias l'a obtenue de « l’ancien », nous aurions affaire à une tradition façonnée dans les quelques décennies qui ont suivi l'écriture. Si quelqu'un inventait une tradition sur l'auteur, pourquoi attribuer l'Évangile à une figure chrétienne aussi mineure ? D'autre part, les preuves internes de l'Évangile fournissent peu de choses pour soutenir l'image de Papias et beaucoup pour la remettre en question. Le fait que dans Marc, Pierre soit le plus important des Douze et presque leur représentant ne signifie pas nécessairement que Pierre était la source de l'Évangile, car Pierre était de fait une figure importante de l’église primitive.

        1. Un Juif de Jérusalem?

          Que l'auteur de cet évangile grec soit Jean Marc, un juif de Jérusalem (vraisemblablement parlant araméen) devenu très tôt chrétien, est difficile à concilier avec l'impression que son Évangile ne semble pas être une traduction de l'araméen, qu'il semble dépendre de traditions (et peut-être de sources déjà formées) reçues en grec, et qu'il semble confus quant à la géographie palestinienne. Alors l’auteur serait-il un inconnu nommé Marc, qui a ensuite été amalgamé à Jean Marc?

        2. L’interprète de Pierre?

          La relation de (Jean) Marc à Pierre dans les Actes et 1 Pierre a-t-elle donné lieu à la tradition de Papias selon laquelle l'évangéliste Marc s'est inspiré de Pierre ? Papias utilise le mot « interprète », mais ce mot pourrait signifier simplement qu'il reformulait la prédication de Pierre. Papias indique que Marc n'était pas un témoin oculaire, qu'il dépendait de la prédication et qu'il avait imposé son propre ordre à ce qu'il écrivait - tout cela pourrait correspondre aux preuves internes de l'Évangile concernant l'évangéliste. Pourtant, la relation étroite et immédiate posée par Papias entre l'évangéliste et Pierre (un témoin oculaire) est difficile ; car certains récits des paroles et des actes de Jésus dans Marc semblent secondaires par rapport aux récits de Q ou des autres évangiles. Alors être l’interprète de Pierre ne signifie-t-il pas simplement que Marc reprend la tradition apostolique de Jérusalem dont Pierre est la figure archétypale? Papias pourrait donc rapporter de manière dramatisée et simplifiée que, dans son écrit sur Jésus, Marc a réorganisé et reformulé un contenu dérivé d'un type standard de prédication considéré comme apostolique. Cela expliquerait pourquoi l'Évangile de Marc était si acceptable en l'espace d'une décennie au point que Matthieu et Luc le réutilisent dans des régions différentes, et cela expliquerait également pourquoi Jean, qui écrit un Évangile différent, présente néanmoins des similitudes avec Marc.

  7. Lieu de composition ou la communauté impliquée

    Les indications internes ne nous disent pas si nous avons affaire à la perspective de l'auteur ou à celle des destinataires ou des deux. Cette difficulté est la raison pour laquelle le mot neutre "impliqué" a été utilisé.

    À la fin du 2e siècle, Clément d'Alexandrie cite Rome comme le lieu où Marc a écrit l'Évangile, une thèse soutenue par un grand nombre de chercheurs. De fait, plusieurs facteurs internes soutiennent l'hypothèse de Rome. La présence dans Marc de mots grecs empruntés au latin et d'expressions reflétant la grammaire latine peut suggérer un lieu où le latin était parlé. Par exemple :

    • legiōn (« légion ») en 5, 9.15;
    • dēnarion (« denier ») en 6, 37; 12, 15; 14, 5;
    • kentyriōn (« centurion ») en 15, 39;
    • hodon poiein (« faire chemin ») en 2, 23, un latinisme pour iter facere (« faire chemin », i.e. marcher);
    • to hikanon poiēsai (« faire suffisant ») en 15, 15 un latinisme pour satisfacere (« satisfaire »).

    À cela on pourrait ajouter que la description de la femme comme grecque et syrophénicienne dans Marc 7, 26 représente des usages linguistiques de l'Occident (et donc probablement de Rome). De même, la pièce de monnaie kodrantēs (latin : quadrans) de 12, 42 ne circulait qu’en Occident, et non pas en Orient. Il y a aussi les parallèles avec l’épitre de Paul aux Romains, « Je sais et je suis convaincu dans le Seigneur Jésus que rien n'est impur en soi » qui se rapproche de Mc 7, 19 : « il déclara que tous les aliments sont purs ». Et le contexte de la communauté chrétienne de Rome peut être éclairant : cette communauté a subi une persécution romaine majeure vers l'an 64 sous Néron, créant chez les chrétiens une atmosphère de jalousie (1 Clément 5, 2-7), de délations et de trahison les uns envers les autres (Tacite, Annales 15, 44); voilà un cadre qui pourrait expliquer l’atmosphère sombre de l’Évangile selon Marc, l'accent mis sur l'incapacité des disciples à comprendre et sur leur fuite lors de l'arrestation de Jésus, et la nécessité de la souffrance pour connaître la résurrection.

    Néanmoins, certains biblistes ont proposé d’autres destinataires de Marc :

    • Antioche, en assumant l’hypothèse douteuse que Matthieu et Luc auraient également écrit leur Évangile dans cette ville, et donc y auraient pris connaissance de Marc.
    • Tyr et Sidon en Syrie méridionale, à cause de leur mention en Mc 3, 8; 7, 24.31.
    • La Galilée, à cause du contraste dans l’Évangile entre la Galilée et Jérusalem, ce qui exprimerait une polémique chrétienne galiléenne contre la perspective chrétienne de Jérusalem qui a échoué et expliquerait l’intérêt de Marc pour la Galilée. Malheureusement, cette hypothèse est invraisemblable devant le fait qu'en Marc les termes araméens doivent être traduits comme si le public récepteur ne connaissait pas cette langue (3, 17 ; 7, 34 ; 10, 46 ; 15, 22.34), ce qui ne serait guère vrai en Galilée, tout comme le fait qu’il faut expliquer les pratiques de purification juives de base (7, 3-4) comme si les Juifs de Galilée ne connaissaient pas leur religion.

    Aussi, concentrons nous sur ce que l'on peut déceler sur les destinataires à partir d'une lecture attentive de Marc, quel que soit l'endroit où ils vivaient. En résumé, l'auditoire envisagé par l'Évangile était composé, en tout ou en partie, de personnes parlant le grec et ne connaissant pas l'araméen. Soit l'auteur, soit le public, soit les deux, vivaient dans une région où le latin était utilisé et avait influencé le vocabulaire grec. Pour la plupart, les destinataires n'étaient pas juifs puisque l'auteur devait leur expliquer les coutumes de purification juives. Pourtant, il pouvait supposer qu'ils connaîtraient des termes religieux issus du judaïsme (Satan, Béelzéboul, Géhenne, Rabbi, Hosanna et Amen), de sorte qu'ils étaient probablement des chrétiens qui avaient été convertis par des évangélisateurs connaissant directement ou indirectement la tradition judéo-chrétienne. Il est fort probable qu'ils avaient déjà entendu parler de Jésus avant que l'Évangile de Marc ne leur soit lu. Théologiquement, les destinataires avaient une attente surchauffée d'une parousie imminente (d'où Marc 13), probablement activée par la persécution qu'ils avaient subie et au cours de laquelle un nombre considérable d'entre eux avaient apostasié.

  8. Date de composition

    Parmi les biblistes qui accordent du crédit à la tradition de Papias, Marc aurait écrit juste avant ou après la mort de Pierre et donc au milieu ou à la fin des années 60. Sur le plan interne, cette datation est censée être étayée par l'incapacité de Marc à montrer une quelconque connaissance des détails de la première révolte juive contre Rome en 66-70, et à mentionner la chute de Jérusalem, alors que Matthieu et Luc nous donne un portrait plus explicite. Mais d’autres biblistes postulent au contraire une date postérieure à 70, car ils considèrent normal que Marc n’ait pas mentionné la chute de Jérusalem, un tel événement étant sans importance en dehors de Palestine. Mais comment des chrétiens ayant des racines juives auraient-ils pu ignorer le symbolisme de ces événements après qu'ils se soient produits?

    Quelles données avons-nous? D’une part, si Marc a été utilisé indépendamment par Matthieu et Luc et qu'ils ont été écrits dans les années 80 ou au début des années 90, comme le croient la plupart des spécialistes, une date postérieure à 75 semble peu probable. D’autre part, étant donné l'état de développement de la tradition grecque de Jésus dans Marc, il faut assumer que plusieurs décennies se sont écoulées depuis l'époque de Jésus. Par conséquent, les spécialistes s'accordent largement à dire que Marc a été écrit à la fin des années 60 ou juste après 70.

  9. Questions ou problèmes pour la réflexion

    1. L’hypothèse adoptée dans cette introduction est que Marc a été le premier Évangile, et Matthieu et Luc ont utilisé Marc. Mais que se passe-t-il si on adopte l’hypothèse différente d’Augustin, ou encore celle de Griesbach selon laquelle Marc s'est inspiré de Matthieu et de Luc? Voici une liste des conséquences théologiques.
      • Marc aurait alors omis le Notre Père et les quatre béatitudes sur lesquelles s'accordent Matthieu et Luc
      • Mc 10, 17-18 (« Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul ») aurait compliqué Mt 19, 16-17 (« Pourquoi m’interroges-tu sur le bon ? Unique est celui qui est bon ») en introduisant gratuitement une objection à l'attribution à Jésus d'un titre qui n'appartient qu'à Dieu à une période où le titre « Dieu » attribué à Jésus devenait plus courant
      • Mc 6, 5 (« Et il ne pouvait faire là aucun miracle » contredirait délibérément Mt 13, 38 (« Et là, il ne fit pas beaucoup de miracles ») sur l’action de Jésus à Nazareth
      • Marc aurait délibérément omis les récits de l'enfance de Matthieu et de Luc, même les détails sur lesquels ils sont tous deux d'accord, y compris la conception de Jésus par Marie par le Saint-Esprit
      • Par contre, Marc aurait consciemment ajouté deux éléments relatifs à Marie qui manquent dans Matthieu et Luc, à savoir que la propre famille de Jésus pensait qu'il était "hors de lui" (3, 19b-21) et qu'il ne recevait aucun honneur de ses propres parents (6, 4)
      • Marc aurait délibérément omis à la fois Matthieu 16, 16-19, qui fait de Pierre le rocher sur lequel l'Église a été construite, et Luc 22, 31-34, qui voit Pierre renforcer ses frères après son propre échec
      • Marc aurait délibérément omis la promesse faite par Jésus à ses disciples en Mt 19, 28 et Lc 22, 29-30, selon laquelle ils seraient assis sur des trônes pour juger les douze tribus d'Israël
      • Mc 4, 38 (« cela ne te fait rien que nous périssions? ») donne un portrait plus dur de l’attitude des disciples envers Jésus que celui de Mt 8, 25 (« Seigneur, au secours ! Nous périssons »)

      Bref, faire dépendre Marc de Matthieu a beaucoup de conséquences théologiques.

    2. Tout en se limitant à l’étude de l’Évangile en lui-même de Marc, certains biblistes interprètent cet évangile comme une attaque contre les apôtres, au point qu'après leur échec dans la passion, ils ne sont jamais rachetés. Mais une telle interprétation négative est-elle justifiée? Leur incompréhension constante n'est-elle pas simplement une maladresse humaine dont tous pourraient être coupables? Jésus les abandonne-t-il vraiment, même s'il sait qu'ils vont faillir? Les passages 14, 28 (« une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée ») et 16, 7 (« Il vous précède en Galilée ») ne donnent-ils pas l'assurance que Jésus les ramènera au rôle qu'il envisageait lorsqu'il les a envoyés en 6, 7-13 ?

    3. Si l'on n'avait que Marc, sans Matthieu, on manquerait le récit coloré de l'enfance d'Hérode et des mages, le sermon sur la montagne, le Notre Père, l'établissement de l'église sur Pierre, et certains des éléments les plus imaginatifs de la passion (par exemple, le suicide de Judas). Si l'on ne disposait que de Marc, sans Luc, on manquerait le portrait sensible de Marie dans le récit de l'enfance, l'histoire des bergers, certaines des plus belles paraboles (le bon Samaritain, le fils prodigue) et des scènes très tendres de la passion (la guérison de l'oreille du serviteur, les femmes de Jérusalem sur le chemin de la croix, le « bon larron »). Cette reconnaissance de l'appauvrissement a parfois conduit à une faible évaluation de Marc comme un cousin pauvre des autres évangiles synoptiques. En guise de correction, un exercice intéressant consiste à lire Marc, en excluant toute connaissance de Jésus des autres évangiles, et à réfléchir à la richesse du portrait de Jésus qu'il offre.

    4. Dans le récit de la passion de Marc, les chefs des prêtres, les scribes et les anciens complotent contre Jésus, se réunissent en sanhédrin pour recueillir des témoignages afin de le mettre à mort, le condamnent comme méritant la mort, lui crachent dessus, le frappent et se moquent de lui, l'accusent devant Pilate, incitent la foule à réclamer sa mort et se moquent à nouveau de lui alors qu'il est suspendu à la croix. Certains spécialistes y voient une image créée pour promouvoir l'antijudaïsme. Cette évaluation doit être nuancée. Il est clair que le récit de la passion a dramatisé les événements, mais en termes de réalité sous-jacente, il est tout à fait probable que les autorités juives du Temple et du Sanhédrin ont été sérieusement impliquées dans la mort de Jésus et l'ont remis aux Romains qui l'ont exécuté. Cette probabilité est étayée par la déclaration de Paul, dans les vingt ans qui ont suivi la mort de Jésus, selon laquelle des Juifs ont participé à la mort de Jésus (1 Th 2, 14-16), par le témoignage de l'historien juif du 1er siècle, Josèphe, selon lequel Pilate a condamné Jésus à la croix « sur l'accusation des hommes de premier rang parmi nous » (Antiquités juives 18.3. 3 ; #64), et par les preuves parallèles confirmant les mesures prises contre d'autres Juifs à Jérusalem dans les années 60, qui ont été soit remis au procurateur romain par les chefs juifs après avoir été battus (Jésus, fils d'Ananie), soit, en l'absence du préfet romain, exécutés directement par le grand prêtre qui avait convoqué un Sanhédrin (Jacques, frère de Jésus).

      Dans l'image chrétienne de ce qui a été fait à Jésus, il n'y avait au départ rien d'antijuif dans la description du rôle des autorités juives dans sa mort ; en effet, Jésus et ses disciples d'un côté et les autorités du Sanhédrin de Jérusalem de l'autre étaient tous juifs. La description des juifs opposés à Jésus comme complotant le mal n'est pas différente de la description de l'AT des méchants complotant contre les innocents. Par exemple, dans Sagesse 2, 17-21, les méchants soutiennent que si le juste est le fils de Dieu, Dieu le défendra, et ils décident de l'insulter et de le mettre à mort. Les injures et le travail de Jésus ont pris les teintes de l'hymne plaintif du Ps 22 et du Serviteur souffrant d'Isaïe 52-53. Toutes les autorités juives opposées à Jésus étaient-elles en fait mauvaises ? Non, pas plus que six cents ans plus tôt, tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec la politique de Jérémie pour Juda étaient méchants. Pourtant, le récit de l'AT les dépeint ainsi, simplifiant leurs motifs et dramatisant leurs actions. En effet, certains des mots les plus sensibles de la passion de Jésus se trouvent dans Jérémie 26.

      Néanmoins, le récit de la passion de Jésus a fini par être "entendu" d'une manière antijuive. La conversion des païens à la suite de Jésus a été un facteur important. Les premières communautés chrétiennes se heurtaient parfois à l'hostilité des chefs des synagogues locales, et elles voyaient un parallèle entre cette hostilité et le traitement réservé à Jésus par les autorités de son temps. Mais par la suite, avec la conversion des païens, la problématique s’est modifiée : il ne s’agissait plus d’un conflit entre Juifs, mais de conflit entre Juifs et non Juifs, et dès lors les Juifs comme groupe étaient perçus comme ennemis des chrétiens, et donc était responsable de la mort de Jésus. Ainsi, le cas de Jésus est devenu différent de celui de Jérémie, le juste persécuté par les autorités. Le cas est devenu émotionnellement dissemblable parce que ceux qui pensaient que Jésus avait raison sont finalement devenus une autre religion. Les juifs et les chrétiens n'ont pas pu dire, dans ce cas, que l'un des leurs, que Dieu a suscité, a été fait souffrir par nos dirigeants. Au lieu de cela, les chrétiens ont dit aux juifs que vos dirigeants avaient fait cela à notre sauveur, tandis que pour les juifs (dans les siècles passés), ce sont nos dirigeants qui ont fait cela à leur (faux) prophète. Heureusement, les attitudes des deux côtés sont en train de changer, mais il reste très difficile de surmonter le "notre", "votre" et "leur" point de vue.

 

Prochain chapitre: 8. L’évangile selon Matthieu

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