Sybil 2007

Le texte évangélique

Matthieu 18, 15-20

15 S’il arrive que ton frère vienne à s’égarer, va le rencontrer seul à seul. S’il est réceptif, tu as réussi à garder un frère dans la communauté. 16 En revanche, s’il n’est pas réceptif, va encore le rencontrer avec une ou deux personnes, afin que, ce que tu as à dire, soit confirmé par le témoignage de deux ou trois personnes. 17 Et s’il n’est pas encore réceptif devant ce témoignage, fais-le connaître à l’assemblée. Enfin, s’il n’est pas réceptif à l’assemblée, considère-le comme un païen et une personne à éviter. 18 Vraiment, je vous l’assure : tout ce que vous considèrerez comme obligatoire sur terre sera considéré comme obligatoire pour Dieu, et tout ce que vous considérez comme non obligatoire sera considéré comme non obligatoire pour Dieu. 19 Et encore, vraiment je vous l’assure, si deux personnes parmi vous dans la communauté s’entendent sur l’objet de leur demande, mon père du ciel veillera à ce que cela arrive. 20 En effet, quand deux ou trois personnes sont rassemblées à cause de moi, je suis là au milieu d’eux.

Des études

Que serait-il devenu sans cette équipe de sauveteurs?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Le ciel, c’est les autres

Tout a commencé un jour d’automne1. Du jour au lendemain, Vanessa a perdu tous ses amis. À l’école, l’adolescente qui a toujours été populaire mange désormais son lunch seule, enfermée dans les toilettes, pour éviter de se faire traiter de « salope » à la cafétéria. Son « crime » ? Elle s’est mise à fréquenter l’ex-copain de Laurie. Et cette dernière, élève à la même école, est devenue furieuse : car ce copain était l’amour de sa vie. Et comme Laurie a un grand leadership, elle donne sa version des choses et rallie tout le monde à sa cause. Elle ne se gêne pas pour humilier Vanessa devant tout le monde chaque fois qu’elle en a l’occasion. Celle-ci s’isole et se renferme, prend du poids à force de « manger ses émotions ». Elle se sent toujours triste. Méconnaissable, elle doit consulter un psychologue. Puis, les choses s’enveniment. Laurie fait des menaces de mort, crie à Vanessa qu’elle est sur le point de se suicider, simule des quasi-collisions avec la voiture de Vanessa. C’en est trop. La mère de Vanessa contacte la police, et Laurie est accusée au criminel. Un juge lui interdit d’entrer en contact avec sa victime. Mais son non-respect de conditions lui vaut un séjour de « mise sous garde » en centre jeunesse. Elle est expulsée de son école et de son équipe de sport élite. Le tribunal lui interdit de sortir de chez elle durant des mois, réduisant sa vie sociale à néant.

Voilà résumée la situation horrible de deux adolescentes. Quelle peut être la suite? Une équipe de « Justice réparatrice », spécialiste des rencontres entre agresseur et victime, est intervenue dans un processus de médiation et a proposé à Laurie et Vanessa de se rencontrer. Les deux filles ont accepté. Ce fut l’occasion pour Vanessa de poser toutes ses questions, de témoigner de ses séquelles et d’entendre la version de Laurie qui a avoué que sa peine d’amour lui a fait sauter les plombs, et s’est excusée. Les deux ados échangeront durant trois heures. Elles conviennent que tout cela est allé trop loin. Il est maintenant temps de passer à autre chose; la plaie était cicatrisée.

Cette histoire fournit un contexte pour comprendre l’évangile de ce jour. Car si Vanessa a été blessée par Laurie, sa guérison passe également par Laurie. Si l’enfer peut être les autres, le ciel vient également des autres. Et le passage de Matthieu est centré sur la vie communautaire.

On peut diviser ce passage en deux parties. La première partie entend répondre à la question : que faire quand on constate le mal dans son milieu? La réponse est claire : il faut intervenir, tout comme au verset précédent le berger s’est mis à la recherche de la brebis égarée. Mais il faut intervenir sans humilier publiquement l’auteur du mal, et c’est ainsi qu’on le rencontre seul à seul. En même temps, la réponse de Matthieu met l’accent sur la patience : après la rencontre individuelle qui ne donne aucun résultat, c’est la rencontre avec témoins, et le cas échéant, la rencontre avec les représentants de la communauté. L’exclusion totale ne vient qu’après l’échec de toutes ses étapes. Matthieu témoigne donc de l’existence d’un mini droit canon au moment où il écrit son évangile, et donc de la conscience qu’une communauté a une identité et ne peut accepter n’importe quoi. Ce droit canon est mis sous l’autorité de Dieu qui entérinerait les décisions de la communauté. En même temps, ce passage sera suivi de la question de Pierre : combien de fois faut-il pardonner quelqu’un qui se repent? On connaît la réponse de Jésus.

La deuxième partie de l’évangile de ce jour met l’accent sur la prière communautaire : « Si deux personnes parmi vous dans la communauté s’entendent sur l’objet de leur demande, mon père du ciel veillera à ce que cela arrive ». Que signifie cette promesse? Nous devinons qu’il n’y a ici rien de magique. Mes parents, grands croyants, ont prié pour la guérison de leur belle-fille atteinte du cancer, et celle-ci est pourtant morte à 36 ans. La clé pour comprendre cette promesse est au verset suivant : « Quand deux ou trois personnes sont rassemblées à cause de moi, je suis là au milieu d’eux ». Qu’est-ce à dire? Les autres m’aident à incarner Jésus, à entrer dans sa vision, et donc ma prière devient celle de Jésus lui-même, voilà pourquoi le Père l’exauce toujours. Et quel est la prière de Jésus? « Que ton règne vienne; ta volonté, non la mienne… »

Que retenir de l’évangile de ce jour centré sur la vie communautaire? Celle-ci symbolise un fait de vie : pour devenir nous-mêmes, nous avons besoin des autres. Bien sûr, les autres peuvent nous blesser et nous égarer, mais nous avons besoin des autres pour guérir et retrouver notre chemin, comme l’histoire de Vanessa et Laurie l’a illustré. Ainsi, notre ouverture et notre capacité d’être attentif aux autres sont vitales. Mais il y a plus. Cette condition de l’humanité pointe vers un trait du mystère à la source de monde, un mystère qui est un et pluriel, un mystère qu'on appelle trinitaire, un mystère qui est communautaire. On ne peut cheminer vers ce mystère d'un Dieu "famille" sans faire l’expérience communautaire.

 

-André Gilbert, Gatineau, juin 2023


1 Cette histoire a été publiée dans La Presse (Montréal, Canada) par Caroline Touzin et Katia Gagnon, le 3 juin 2023. Pour le texte complet : L'autre justice

 

Des thèmes