![]() Sybil 2010 |
Le texte évangélique
Matthieu 13, 44-52 44 Le monde de Dieu est comme un trésor caché dans un champ, qu’un homme, après l’avoir découvert et, poussé par sa joie, cache de nouveau, le temps de vendre tout ce qu’il possède pour acquérir ce champ. 45 De même, le monde de Dieu est comme ce que cherche un négociant à la recherche de perles rares. 46 Quand il trouve une perle de grande qualité, il vend tout ce qu’il possède pour l’acquérir. 47 Ou encore, le monde de Dieu est comme un mélange de diverses sortes de poissons de mer ramassées par le filet d’un chalutier. 48. Un fois le filet rempli et tiré sur la rive, des gens assis gardent dans un bac ce qui a de la valeur et rejettent ce qui est immangeable. 49 Ainsi en sera-t-il à la fin des temps alors que les messagers de Dieu feront le tri entre les méchants et les justes. 50 Il jetteront à la poubelle les méchants qui se mordront les doigts sur leur vie. 51 Avez-vous compris tout cela leur dit Jésus? Oui, fut la réponse. 52 Dès lors, un spécialiste de la Bible qui s’est mis à l’école du monde de Dieu ressemble à un propriétaire de maison qui sait faire le tri des choses de valeur, tant nouvelles qu’anciennes. |
Des études |
![]() Ce manuscrit de la Bible hébraïque du 10e s., appelé Codex Sassoon, est si précieux que quelqu'un a investi plusieurs millions de dollars pour l'acquérir. |
Commentaire d'évangile" - Homélie Qu’est-ce qui peut vraiment changer une vie? C’est l’histoire de la maman de Loïc, un enfant atteint du syndrome de Morquio, une maladie dégénérative rare. Un jour, alors qu’il avait huit ans, elle l’amène à l’hôpital de Montréal pour enfants en raison d’un rhume sévère. Mais l’état de l’enfant se complique, il doit subir une trachéotomie et il devient paraplégique. Il ne peut plus sortir de l’hôpital. Anik, la maman, qui demeure à Buckingham, ville distante de deux cents kilomètres, décide avec son conjoint de quitter son emploi d’aide enseignante et de venir s’établir à Montréal, près de son fils. Malgré son handicap, Loïc veut étudier. Élève studieux et assidu, il obtient son diplôme d’études secondaires grâce aux cours donnés à l’hôpital pour enfant. Âgé maintenant de 19 ans, Loïc doit quitter l’hôpital pour enfants pour un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Cependant, il veut continuer à étudier et obtenir son diplôme en techniques informatiques, et pour cela il doit donc fréquenter un CEGEP spécialisé. Alors maman Anik accompagnera son fils en salle de classe. Quand un cours est à 8h le matin, le lever est à 5h, car il lui faut une bonne heure pour préparer Loïc. Et comme le transport adapté n’est pas fiable, c’est elle qui conduira le véhicule adapté acquis grâce à une collecte de fonds. De plus, pour les exercices en classe, étant donné la paraplégie de Loïc, c’est maman qui doit utiliser le tournevis sur les ordinateurs en suivant les instructions de son fils. Et bien sûr, elle doit l’accompagner partout : aux compétitions nationales sur des technologies spatiales, car Loïc est membre de de PolyOrbite, une société technique de Polytechnique Montréal, ou encore aux partys d’étudiants. Heureusement, son travail à la Société des alcools (SAQ) lui offre une certaine souplesse, mais sa vie porte un nom : son fils. J’ai pensé rapprocher cette situation avec l’évangile de ce jour, car on y parle de la découverte d’un trésor qui amène quelqu’un à vendre tout ce qu’il a pour acquérir le champ où il se trouve caché. On y parle aussi de la découverte d’une perle précieuse qui amène quelqu’un à vendre tout ce qu’il a pour acquérir cette perle. La maman de Loïc comprendra facilement ces deux paraboles. Mais avant d’approfondir leurs significations, reconnaissons que l’ensemble du récit de Matthieu nous laisse perplexe. Tout d’abord, comment peut-on associer le royaume de Dieu soit à un trésor soit à une perle rare qu’on découvre? Car Jésus semble normalement associer le royaume ou le règne de Dieu à l’action même de Dieu qui, à travers son ministère, intervient pour guérir les gens, et donc l’associe à une forme de visite de Dieu en ce monde. Jamais il n’est associé à un objet précieux qu’on pourrait acquérir. Parfois, ce royaume désigne chez Jésus le monde à venir auprès de Dieu, où entreront ceux qui répondent à un certain nombre de critères. Seule la troisième parabole, celle du filet de pêche ramassant toutes sortes de poissons et qu’il faut ensuite trier, respecte cette notion du royaume de Dieu de la fin des temps. Et pour Matthieu qui, comme tout bon juif mettant l’accent sur l’agir, l’idée d’un jugement de Dieu sur les humains à la fin des temps est très importante et parcourt tout son évangile. Mais alors quel message a-t-il voulu transmettre avec ce passage évangélique et où se trouve la bonne nouvelle? À mon avis, la clé pour comprendre ce passage évangélique est de considérer la vocation même de l’évangéliste Matthieu. Même si ce dernier nous demeure inconnu, son œuvre trahit ses origines juives. On peut imaginer que la prédication chrétienne, la proclamation que Jésus était le messie juif attendu depuis longtemps fut un choc et une découverte pour lui, et que sa décision de croire et de se joindre à la communauté chrétienne fut la plus importante de sa vie; tout cela l’a mis en porte-à-faux face à ses concitoyens juifs, mais pour lui Jésus et son message était ce trésor découvert, cette perle fine trouvée pour lesquels il valait la peine de perdre son monde ancien pour faire maintenant partie de la dynamique du royaume de Dieu à l’œuvre. L’évangile qu’il allait écrire était un écho de cette dynamique. La troisième parabole est le prolongement de tout cela, car l’image du filet avec des poissons de toutes sortes et le besoin de trier, même si elle peut susciter l’angoisse du jugement et la peur de se retrouver avec ceux qui se mordent les doigts d’avoir fait le mal, est une proclamation de foi : le mal n’a pas sa place dans le monde de Dieu; c’est aussi une proclamation d’espérance : le mal sera vaincu, le mal disparaîtra un jour. Nous sommes donc en quelque sorte devant un récit autobiographique de Matthieu. D’ailleurs tout ce passage évangélique ne lui est-il pas propre, i.e. totalement absent des autres évangiles? Le récit autobiographique devient encore plus clair avec sa finale : « Tout scribe devenu un disciple du royaume des cieux est semblable est à un propriétaire de maison qui a fait le tri des choses de valeur, tant nouvelles qu’anciennes ». De quel scribe parle-t-on? Il s’agit clairement de Matthieu, qui a dû faire le tri de son passé juif, et ne choisir que ce qui avait de la valeur et était cohérent avec sa foi nouvelle. Tout cela nous laisse avec une question : Anik a fait de Loïc son trésor, un trésor qu’elle veut grand et jouant un rôle dans la société, Matthieu a fait de sa foi nouvelle en Jésus messie son trésor, y voyant la possibilité de transformer le monde entier; mais nous, où est notre trésor? Rappelons les critères donnés par Matthieu : ce trésor est si important qu’on est prêt à tout laisser pour lui, ce trésor devient le critère final, comme le montre la scène du filet de pêche, pour déterminer ce qu’on garde dans sa vie et ce qu’on rejette, et pour juger si une vie est réussie ou non. Pour des chrétiens de souche, qui ont baigné toute leur vie dans la perception que Jésus est Seigneur, il est peut-être difficile de faire la lumière sur leur trésor véritable. Mais, comme c’est le cas d’un vieux couple qui prend conscience combien leur amour les a transformés, il vaut la peine pour eux de s’arrêter pour découvrir tout ce que leur foi leur a permis de vivre.
-André Gilbert, Gatineau, mai 2023 |
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