Sybil 2008

Le texte évangélique

Matthieu 11, 25-30

25 En ce temps-là, Jésus pris la parole : « Je te rends hommage, Père, Seigneur de l'univers, de ce que le mystère du royaume, invisible pour l’élite religieuse, soit accessible aux gens simples. 26 Oui, Père, tout cela correspond à ton attitude bienveillante. 27 Tout ce que je sais provient de mon Père, et personne ne connaît profondément le fils sinon le Père, et personne ne connaît profondément le Père, sinon le fils et celui à qui le fils partage ce qu'il sait. 28 Venez vers moi tous ceux qui se sentent écrasés par les diverses règles religieuses et sociales, car je vous donnerai du repos. 29 Acceptez mes exigences et mettez-vous à mon école, car je suis doux et sans prétention, et vos êtres trouveront en moi le repos. 30 Car mes exigences et mes demandes sont bienfaisantes et légères. »

Des études

Voici une vedette très connue. Mais la connaissons-nous profondément?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Comment « voir » Jésus?

En ce printemps 2023, on vient de découvrir 109 personnes mortes, dont plusieurs enfants, dans une forêt du Kenya. Elles seraient mortes de faim. Les autorités accusent le pasteur Paul Nthenghe Mackenzie et le pasteur Ezekiel Odero d’avoir poussé les adeptes de leur Église Internationale de Bonne Nouvelle à jeûner « pour rencontrer Jésus ». Tout cela est horrible, en plus d’être aberrant, bien sûr. Comment peut-on s’imaginer qu’on puisse « forcer » une rencontre avec Jésus? Tout cela n’est-il pas lié à cette autre illusion concernant ce que certains chrétiens appellent la « vision béatifique », où on s’imagine qu’en mourant on verra aussitôt Dieu comme on verrait Louis XIV sur son trône doré?

C’est bien cette question qu’aborde l’évangile de ce jour qui commence par une prière de Jésus rendant hommage à son Père de ce que son message concernant en particulier la venue du royaume de Dieu ait été accueilli par des êtres considérés comme insignifiants. En effet, le terme grec traduit par « petits enfants » désigne à l’époque les nourrissons de la naissance jusqu’à l’âge de deux ans. Au premier siècle, ces êtres n’ont aucune valeur sociale et son considérés comme insignifiants. C’est bien sûr une image, qu’utilise Matthieu, pour désigner les disciples qui ont accueilli Jésus et son message. Mais pourquoi les désigner ainsi, par opposition aux gens sages et intelligents, une référence probable aux scribes et aux Pharisiens, ces spécialistes de la Bible et ces fanatiques de la Loi? Quel est exactement l’enjeu ici?

Quand on devient spécialiste des choses religieuses, quand on devient un héros des pratiques religieuses, la tentation est grande de se sentir propriétaire de Dieu. Et ce sentiment d’un « pouvoir » sur Dieu est catastrophique. Non seulement cela bloque toute évolution spirituelle, mais entraîne le désir de contrôler ceux qui sont à la recherche de Dieu. Ce fut la tragédie des scribes et des Pharisiens, c’est la tentation qui guette les « gens d’Église » et tous ceux qui se prétendent « guru ». Ce fut l’attitude de ces deux pasteurs du Kenya. À l’inverse, le petit enfant ne possède rien, il n’a que son corps, il a tout à recevoir. Ce fut l’attitude des disciples qui ont accueilli Jésus. Mais remarquons que ce fut d’abord l’attitude de Jésus lui-même, car, dit-il, « il a tout reçu de son Père ». Quand un être a le sentiment d’avoir tout à recevoir, il est en mesure de recevoir.

La deuxième partie de l’évangile sur les exigences de Jésus ne semble pas clairement liée à la première partie. Il en est pourtant la suite logique : « Venez vers moi vous tous qui vous sentez écrasés par les obligations religieuses ». Par obligations religieuses, on peut penser dans le Judaïsme non seulement à la Tora, mais aux 613 commandements qui lui étaient reliés; on peut penser à la Charia dans l’Islam; dans l’église catholique, on peut penser à toutes les pratiques exigées, recommandées et les interdits. Quel est le but visé par ces règles? N’est-ce pas de se rapprocher de Dieu, faire sa volonté, entrer en quelque sorte dans son intimité? Mais que dit Jésus? « Optez plutôt pour mon joug, i.e. mes exigences ». Pour décrire ces exigences, Matthieu nous donne deux termes grecs, le premier désigne ce qui est avantageux, que nos bibles traduisent par facile ou aisé, et que je préfère traduire par bienfaisant ou plaisant, et le deuxième signifie : léger, i.e. contenant peu d’exigences, qui peuvent en fait se résumer à l’amour inconditionnel. Ces exigences sont liées à la personne même de Jésus qui se décrit comme « doux et humble de cœur », i.e. quelqu’un sans prétention, qui accepte les heurts de la vie sans répliquer agressivement et sans recourir au pouvoir, mais seulement à l’amour prêt à donner sa vie.

Mais ce qu’il y a de plus important, c’est que ces exigences pourtant légères sont liées à la phrase de Jésus : « quelqu'un ne connaît profondément le Père si ce n'est le fils et à qui le fils voudrait le révéler ». En un mot, on ne peut connaître le Père et le fils qu’en vivant ces exigences « légères » de l’amour inconditionnel. C’est une connaissance par connaturalité, i.e on ne connaît l’autre qu’en marchant dans ses souliers. Nous connaissons Jésus qu’en apprenant à aimer comme il a aimé, et par là on entre dans la connaissance du Père. La vie nous enseigne qu’on ne peut connaître un père ou une mère qu’en devenant soi-même parent. Il en est de même avec ce mystère qu’on appelle Dieu.

On mesure maintenant l’illusion qu’il a y à vouloir « voir » Jésus. La vision ne livre aucune connaissance. Et même si la science progressait tellement qu’elle pouvait nous brosser le portrait physique de Jésus, nous n’apprendrions rien. L’essentiel est invisible aux yeux. On ne peut entrer dans le mystère qu’en le vivant, et ce mystère ne se trouve pas du côté de la toute-puissance, car il est accessible à ceux qui ne savent pas ce que c'est que le pouvoir.

 

-André Gilbert, Gatineau, mai 2023


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