Sybil 2007

Le texte évangélique

Matthieu 10, 37-42

37 Celui qui préfère son père ou sa mère à moi ne peut être en relation avec moi, et celui qui préfère son fils ou sa fille à moi ne peut être en relation avec moi. 38 De même, celui qui n’assume pas ce qui le fait souffrir pour marcher à ma suite, ne peut être en relation avec moi. 39 Celui qui veut garder sa vie, telle qu’elle est actuellement, finira par la perdre, tandis que celui accepte de laisser sa vie telle qu’elle est actuellement pour être avec moi trouvera une vie pleine et entière. 40 Celui qui vous accueille, c’est moi qu’il accueille, et celui qui m’accueille, c’est mon Père qui m’a envoyé qu’il accueille. 41 Celui qui accueille un prophète parce qu’il est prophète sera comblé par la prophétie, et celui qui accueille un juste, parce qu’il est juste, sera comblé par une attitude juste. 42 Enfin, s’il arrive à quelqu’un de fournir un simple verre d’eau fraîche au membre le plus insignifiant de la communauté, vraiment je vous l’assure, on n’oubliera pas ce qu’il a fait.

Des études

La musique n'est-elle pas médiatrice du mystère du beau?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Comment le mystère nous rejoint-il par sa parole?

Un jour que j’attendais en file pour prendre l’autobus, un voisin extraverti entame la conversation et finit par me dire qu’il était pasteur d’une petite communauté de Baptistes. Et il commença à me parler de la Bible. Sa lecture était fondamentaliste. Et bien sûr, pour lui, le monde a bel et bien été créé en sept jours. J’eu beau lui dire que la semaine de sept jours est une invention humaine récente, en fait elle nous vient des Babyloniens, par un décret de Sargon I, roi d’Akkad, vers l’an 2 300 avant notre ère, qui avait un calendrier lunaire de 28 jours qu’on a divisé en quatre, pour obtenir le chiffre de sept jours, symbole de totalité et de perfection qu’on vénérait, car c’était le nombre des astres célestes connus (soleil, lune, Mercure, Venus, Mars, Jupiter, Saturne), et que les Égyptiens avait un calendrier solaire et une semaine de 10 jours, tandis que les Étrusques avait une semaine de huit jours, repris par les Romains jusqu’à ce que Constantin, en l’an 321 de notre ère, institue la semaine de sept jours avec dimanche comme premier jour de la semaine, mais rien n’y fit; le texte biblique a été dicté directement par Dieu. Il en était de même du Deutéronome qui aurait écrit par Moïse lui-même sous la dictée de Dieu, même s’il y raconte sa mort. Tout au plus a-t-il avoué des discussions intenses dans les rassemblements des responsables baptistes sur la notion de médiation, i.e. Dieu n’intervient pas directement, mais par la médiation des humains.

La notion de médiation est au cœur de l’évangile de ce jour. Il s’agit de la fin du discours de mission de Jésus. Le fait même d’envoyer en mission est une délégation, i.e. nous n’avons pas accès à Jésus sinon par ses délégués. Et la foi même en Jésus est une affirmation que Dieu n’est pas connu directement et ne parle pas directement, sinon par son envoyé humain, Jésus de Nazareth, puis par ses délégués, les évangélistes, et aujourd’hui par ceux qui essaient de marcher dans ses pas. La finale de ce discours de mission chez Matthieu est difficile à lire : Matthieu y a rassemblé des paroles disparates de Jésus dont on a perdu le contexte originel, ce qui nous donne un potpourri de paroles diverses dont l’unité n’est pas évidente à saisir.

Après avoir donné ses consignes sur le contenu de la mission, qui est en fait le prolongement de la sienne, Jésus avertit ses disciples qu’ils vont rencontrer de l’opposition, même au sein de leur propre famille. C’est alors qu’ils devront faire des choix : le lien avec lui, Jésus, devra avoir priorité sur les liens du sang; qu’ils auront à accepter la souffrance de l’opposition et d’être à contre-courant; qu’ils auront peut-être à mourir à une vie sociale et à certaines ambitions.

Puis, à la fin, Matthieu semble nous présenter des paroles, non plus adressées aux missionnaires, mais à ceux qui seront appelés à accueillir les missionnaires : « Qui reçoit un prophète… un juste… recevra une récompense de prophète… de juste »; « qui donne ne serait-ce qu’un verre d’eau à l’un de ces petits comme disciples, ne perdra pas sa récompense ». Le langage de la récompense n’est-il pas infantilisant? Non, si au lieu de faire référence à un cadeau qu’on recevra dans le futur, y compris dans l’autre vie, on parle plutôt des conséquences d’un geste. Plus précisément, en accueillant quelqu’un comme prophète je suis en mesure de recevoir sa prophétie, son message, sa sagesse; je suis le premier bénéficiaire. À l’inverse, si je me méfie de quelqu’un, si je suis fermé à tout ce qu’il peut dire, je me prive de la sagesse qu’il peut m’offrir. Il y a donc une attitude fondamentale face aux autres qui a beaucoup d’impact. De même, accueillir un juste, aujourd’hui on dirait un être authentique, signifie que je me laisse influencer et transformer par cette personne. De même, donner un verre d’eau à un être insignifiant me fait entrer dans l’attitude de Jésus, et donc me met en communion avec lui.

Nous n’avons pas directement accès au mystère à la source de ce monde. C’est frustrant pour plusieurs, qui aimeraient recevoir une parole directe de Dieu. Notre voie d’accès passe par les autres, pour le meilleur et pour le pire. Alors tout repose sur ma capacité d’ouverture. Aucun individu ne porte une étiquette : je suis une parole de Dieu. C’est à moi d’exercer un discernement. Mais si je me méfie de tout le monde, jamais je ne serai en mesure d’accueillir quoi que ce soit. Mon sens intime de ce qui est vrai et authentique m’aide à exercer ce discernement. Il peut arriver qu’une personne exécrable, ou à qui on peut reprocher beaucoup de choses, dise une parole juste et bienfaisante à mon égard, c’est à moi de savoir accueillir cette parole. J’ai connu un prêtre qui m’a vraiment aidé dans mon orientation de vie, même si on a reconnu plus tard qu’il était un prédateur sexuel.

On imagine facilement que le jeune Jésus a été à l’écoute de ses parents, de sa famille élargie, de ses voisins, de ses clients comme artisans, et de beaucoup de gens qui ont été pour lui les médiateurs du mystère à la source de ce monde, et qui l’ont amené à appeler ce mystère : « Papa ». Il a dû exercer un discernement entre ce qui l’approchait de ce mystère, et ce qui l’en éloignait. Mais à la base, on ne peut qu’imaginer une attitude fondamentale d’ouverture, de grande écoute : chaque individu devait être une source d’enseignement. Se refuser à une telle attitude, c’est faire de soi un grand perdant, et surtout c’est se condamner à ne jamais progresser dans la connaissance du mystère à la source de ce monde.

 

-André Gilbert, Gatineau, avril 2023


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