Etty Hillesum - Matthieu 26, 38-39 (Les écrits dEtty Hillesum. Journaux et lettres 1941-1943. Édition intégrale. Paris: Seuil, 2008, 1081 p.) 38 Alors il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi." 39 Etant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière: "Mon Père, sil est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. "
Samedi matin [le 3 octobre 1942], 6 heures et demie, dans la salle de bains. Je veux bien me reposer encore quelques jours, mais à condition de nêtre quune grande prière ininterrompue. Et une grande paix. Je dois recommencer à porter ma paix en moi. « La malade doit mener une vie calme. » Veux-tu prendre soin de mon repos et de ma paix, mon Dieu, où que je sois? Il se peut que jaie perdu cette paix, parce que je vais peut-être faire des choses contestables. Cela se peut ; je ne sais pas. Je suis tellement faite pour la vie en communauté, mon Dieu, et je ne men doutais même pas! Je veux me tenir parmi les hommes, parmi leurs angoisses, je veux tout voir et comprendre moi-même pour le raconter ensuite. Mais je voudrais tant être bien portante. Je me tourmente trop pour ma santé, et cela ne me vaut rien. Si seulement je pouvais être gagnée par cette impassibilité qui imprégnait ce matin ton aube grisâtre. Puisse ma journée être enfin un peu plus que la préoccupation de mon seul corps. Cela a toujours été mon dernier recours, de sauter du lit et de magenouiller dans un recoin protégé de la pièce. Je ne veux pas non plus tobliger, mon Dieu, à me guérir en 2 jours. Je sais que tout doit se développer organiquement, selon un lent processus. Il est près de 7 heures. Je vais faire ma toilette, masperger deau froide de la tête aux pieds, puis je me recoucherai et ne bougerai plus, plus du tout, je nécrirai plus dans ce cahier, je mefforcerai de rester allongée et de nêtre plus que prière. Cela mest déjà arrivé si souvent de me sentir si mal pendant plusieurs jours que jétais sûre de ne pas pouvoir me remettre sur pied avant des semaines - or au bout de quelques jours cétait fini. Mais pour linstant je ne vis pas comme il faut, je cherche à forcer les choses. Si jen ai la moindre possibilité, jaimerais tout de même beaucoup partir mercredi. Je sais bien que dans mon état actuel, je ne serai pas dun grand secours à la collectivité, je voudrais bien retrouver un peu de santé, mercredi. Dailleurs, il me suffit de me sentir un peu mieux, je nen demande pas plus. Mais si je veux à toute force quelque chose, il y a déjà une cassure dans le rythme. Il ne faut pas vouloir les choses, il faut les laisser saccomplir en moi, et cest précisément ce que joublie de faire en ce moment. Que ta volonté soit faite et non la mienne. 749-750. |