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Etty Hillesum - Genèse 1, 1-28

(Les écrits d’Etty Hillesum. Journaux et lettres 1941-1943. Édition intégrale. Paris: Seuil, 2008, 1081 p.)


1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. 2 Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux. 3 Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut. 4 Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. 5 Dieu appela la lumière "jour" et les ténèbres "nuit." Il y eut un soir et il y eut un matin: premier jour. 6 Dieu dit: "Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux" et il en fut ainsi. 7 Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d’avec les eaux qui sont au dessus du firmament, 8 et Dieu appela le firmament "ciel." Il y eut un soir et il y eut un matin: deuxième jour. 9 Dieu dit: "Que les eaux qui sont sous le ciel s’amassent en une seule masse et qu’apparaisse le continent" et il en fut ainsi. 10 Dieu appela le continent "terre" et la masse des eaux "mers", et Dieu vit que cela était bon. 11 Dieu dit: "Que la terre verdisse de verdure: des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence" et il en fut ainsi. 12 La terre produisit de la verdure: des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et Dieu vit que cela était bon. 13 Il y eut un soir et il y eut un matin: troisième jour. 14 Dieu dit: "Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit; qu’ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années; 15 qu’ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre" et il en fut ainsi. 16 Dieu fit les deux luminaires majeurs: le grand luminaire comme puissance du jour et le petit luminaire comme puissance de la nuit, et les étoiles. 17 Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, 18 pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière et les ténèbres, et Dieu vit que cela était bon. 19 Il y eut un soir et il y eut un matin: quatrième jour. 20 Dieu dit: "Que les eaux grouillent d’un grouillement d’êtres vivants et que des oiseaux volent au dessus de la terre contre le firmament du ciel" et il en fut ainsi. 21 Dieu créa les grands serpents de mer et tous les êtres vivants qui glissent et qui grouillent dans les eaux selon leur espèce, et toute la gent ailée selon son espèce, et Dieu vit que cela était bon. 22 Dieu les bénit et dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez l’eau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre." 23 Il y eut un soir et il y eut un matin: cinquième jour. 24 Dieu dit: "Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce: bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce" et il en fut ainsi. 25 Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon. 26 Dieu dit: "Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampant sur la terre." 27 Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. 28 Dieu les bénit et leur dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre."

Vendredi matin [le 28 novembre 1941], 9 heures moins le quart.
Il arrive, ces derniers temps, qu’une phrase isolée de la Bible s’éclaire pour moi d’un jour nouveau, riche de substance et nourri d’expérience. « Dieu créa l’homme à son image. » « Aime ton prochain comme toi-même. » Etc.

p. 233

Dimanche matin [le 28 juin 1942], 9 heures
Après cinq pastilles de charbon et un bonbon à la menthe sur un estomac vide, lu le chapitre 1 du livre de la Genèse. Ce qui m’a vraiment impressionné : « La terre était déserte et vide. Il y avait des ténèbres au-dessus de l’Abîme et l’esprit d’Élohim planait au-dessus des eaux. » Et c’est peut-être impertinent, mais dans l’ensemble je trouve ce chapitre 1 très naïf. Ces « grandes baleines » surtout, c’est touchant.

De plusieurs côtés, j’ai déjà essayé de me livrer par la force à une incursion dans la Bible. Une fois en passant par Jean, une autre par les Psaumes, etc. Et maintenant j’ai décidé de commencer par la première lettre de l’Ancien Testament et, chaque matin à jeun, j’avance un peu. Il faudrait tout de même que je demande un jour à mon ami lecteur de la Bible pourquoi je trouve, d’une manière ou d’une autre, ce premier chapitre si touchant de naïveté. –

p. 632.

Lettre à Han Wegerif et autres. Westerbork, le mardi 24 août 1943. (extrait)
Après une nuit comme celle-ci, j’ai pensé un moment en toute sincérité que ce serait péché que de sourire encore. Mais, un peu plus tard, j’ai fait réflexion que certains étaient partis en souriant - encore que cette fois, bien peu. Et en Pologne, il y aura peut-être de temps à autre quelqu’un pour sourire - encore que, de ce convoi, bien peu, je le crains. Quand je pense aux visages des soldats en uniforme vert de l’escorte armée, mon Dieu, ces visages! Je les ai examinés l’un après l’autre, dissimulée dans mon poste d’observation, derrière une fenêtre. Jamais rien ne m’a tant épouvantée que ces visages. Je me suis posé des questions sur cette parole qui est le fil directeur de ma vie : « Et Dieu créa l’homme à son image. » Oui, cette parole a connu chez moi une matinée difficile.

Que ni les mots ni les images ne suffisent à décrire des nuits comme celle-ci, je vous l’ai dit bien souvent. Pourtant il me faut essayer de vous en faire un compte rendu : on se sent en permanence les yeux et les oreilles d’un pan de l’Histoire juive, on éprouve parfois aussi le besoin d’être une petite voix. Il faut bien que nous nous tenions mutuellement au courant des événements qui se produisent aux quatre coins de ce monde, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour que, après la guerre, la mosaïque puisse se recomposer, couvrant le monde entier.

p. 903