Raymond E. Brown, La naissance du Messie.
Introduction, p. 25-41

(Résumé détaillé)


Sommaire

Les récits de l’enfance se limitent à deux chapitres respectifs chez Luc et Matthieu, sur un total de 89 chapitres que contiennent les évangiles, mais leur importance est plus grande que leur longueur. Ces récits ont façonné la doctrine de Jésus vraiment Dieu et vraiment homme chez beaucoup de chrétiens, mais la présence de beaucoup de scènes merveilleuses a posé la question de leur historicité, à la laquelle s’est attaquée l’érudition critique.

Il faut d’abord répondre à la question : comment les évangiles ont-ils été composés? C’est d’abord la mort et la résurrection de Jésus qui a été prêché, et donc c’est le récit de la passion de Jésus qui a été composé en premier, à laquelle ce sont ajoutées par la suite, pour les besoins de la catéchèse, des collections de paroles, de paraboles, et de récits de miracles. Un exemple est l’évangile de Marc qui commence avec le baptême de Jésus et composé vers l’an 67. Ce n’est que beaucoup plus tard, sans doute par curiosité, ou pour des raisons apologétiques face à des Juifs pour qui Jésus ne pouvait être le messie étant de Nazareth, ou encore pour des raisons théologiques en lien avec l’Ancien Testament, que les récits de l’enfance ont été composés. Et c’est en raison de leur valeur christologique que ces récits ont été intégrés aux récits évangéliques pour servir d’introduction. C’est le cas des évangiles de Luc et Matthieu composés vers l’an 80.

Les récits de l’enfance sont le résultat d’un long processus christologique. En effet, c’est à la résurrection qu’on a découvert que Dieu l’a fait Christ et Seigneur ce Jésus qui rencontra tant d’opposition et mena une vie de prédicateur itinérant avant d’être condamné. Mais par la suite, on a pris conscience que ce Christ et Seigneur l’était déjà à son baptême et au début de son ministère. C’est ce portrait que nous avons chez Marc. Et après, la réflexion chrétienne est arrivée à la conclusion que si Jésus, dès le début le début de son ministère était Christ et Seigneur, il l’était certainement dès sa conception. C’est le portrait que nous avons chez Luc et Matthieu à travers leurs récits de l’enfance. Plus tard, vers l’an 90, on conclut que si vraiment Jésus est fils de Dieu, il l’était bien avant sa naissance, dans une vie préexistante. C’est le portrait que nous donne Jean.

Mais reporter ainsi dans le passé une compréhension de Jésus obtenue seulement à la résurrection suscite des problèmes sur l’historicité des récits qui en ressort. Si dès l’enfance Marie, Joseph, Hérode, les mages, les bergers connaissent l’identité de Jésus, pourquoi tout le monde est dans l’ignorance de cette identité quand Jésus commence son ministère? C’est ainsi que l’érudition critique a procédé à une analyse serrée des récits de l’enfance pour découvrir plusieurs détails contradictoires et a conclu qu’il était impossible que les récits de Luc et Matthieu soient tous les deux historiques, puisqu’ils se contredisaient. En cherchant à comprendre ce qu’ont voulu dire par leur récit, on s’est aperçu qu’ils étaient en fait une réécriture de récits de l’Ancien Testament, qu’ils étaient en quelque sort des « midrash » chrétiens, cherchant faire comprendre comment les origines de Jésus réalisent ce qui avait été annoncé dans l’Ancien Testament. Bref, ils sont un véhicule de la théologie de l’évangéliste. Et en ce sens, ils sont aussi importants que les récits de la passion.



L'érudition et les récits de l'enfance

Deux des quatre évangiles, celui de Matthieu et Luc, commencent avec un récit sur la conception, la naissance et l’enfance de Jésus. Chacun y consacre deux chapitres d’inégale longueur, les chapitres de Luc étant beaucoup plus étendus. Malgré qu’il s’agisse d’un total de seulement quatre chapitres sur les 89 que contiennent les évangiles, leur importance est plus grande que leur longueur.

Pour les chrétiens orthodoxe, les récits de l’enfance les ont aidé à façonné leur doctrine sur Jésus fils de Dieu dès sa conception, tout en leur permettant de visualiser son humanité dans sa naissance humble. Les artistes, les conteurs et les poètes s’en sont beaucoup inspirés. Par contre, des récits comme l’apparition fréquente d’anges, la conception virginale, l’étoile merveille qui conduit les mages et la sagesse prodigieuse de l’enfant Jésus ont été l’objet de railleries rationalistes. Si, dans ce dernier cas, il peut s’agir d’une incrédulité face à tout ce qui est surnaturel, on peut néanmoins y voir le reflet d’observations provenant de l’érudition critique sur le problème de l’historicité des récits de l’enfance.

Aussi convient-il de commencer ce commentaire avec une présentation simplifiée du développement de la compréhension érudite des récits de l’enfance. Ce parcours de l’histoire passée de l’érudition forcera le lecteur à vivre en lui-même la même expérience. On peut distinguer trois stages : A) La prise de conscience que les récits de l’enfance divergent de manière significative du reste des évangiles; B) Le fait que les récits de Luc et Matthieu divergent l’un par rapport à l’autre crée un problème sérieux sur leur valeur historique; C) La perception que ces récits sont avant tout un véhicule pour la théologie et la christologie des évangélistes relativise la question de leur valeur historique.

  1. Les récits de l'enfance et le reste des évangiles

    Pour comprendre pourquoi les récits de l’enfance ont pris du temps à faire partie des évangiles, il faut d’abord répondre à la question : comment les évangiles se sont-ils formés?

    1. La formation des évangiles

      Les évangiles ont été écrits en commençant par la fin, i.e. on a d’abord prêché la mort et la résurrection de Jésus, car c’était là l’action salvifique la plus éclatante de Dieu en Jésus (voir par exemple Actes 2, 23.32; 3, 14-15; 4, 10; 10, 39-40 et 1 Co 15, 3-4). C’est autour de cette prédication qu’a commencé à prendre forme un récit de la passion de Jésus.

      Pour soutenir la foi de ceux qui embrassaient la foi chrétienne, les prédicateurs chrétiens ont tourné leur attention vers les gestes et les paroles de Jésus provenant de la tradition sur son ministère. C’est ainsi que se sont formées des collections de paroles, de paraboles et de miracles qui ont par la suite été regroupées pour former un récit du ministère de Jésus. Ce regroupement ne suivait pas un ordre chronologique, mais logique, car aucun des évangélistes ne fut un témoin oculaire du ministère de Jésus. L’exemple le plus ancien est l’évangile selon Marc composé vers la fin des années 60, disons vers l’an 67, peu avant la destruction de Jérusalem et de son temple, un évangile qui commence avec le baptême et le début de sa prédication, et se termine avec l’annonce de sa résurrection après sa mort. Marc ne nous dit rien sur la naissance et la jeunesse de Jésus, et ne nomme même pas son père (Joseph). On retrouve le même modèle dans le quatrième évangile qui après un hymne d’introduction, commence avec le témoignage de Jean-Baptiste sur Jésus et se termine avec les apparitions de Jésus ressuscité; Jean ne nous dit rien sur la naissance de Jésus et ne nous donne même pas le nom de sa mère (Marie).

      Qu’est-ce qui a guidé le choix des éléments du récit dans la formation des évangiles? C’est le besoin de faire connaître le cœur du message de salut; l’intérêt biographique était loin d’être premier. Il est donc erroné de considérer les évangiles comme des « vies de Jésus » au sens biographique.

      Mais alors pourquoi a-t-on composé des récits de l’enfance et pourquoi ont-ils été intégrés aux évangiles? D’abord, la raison de leur composition.

      1. La curiosité a certainement joué un rôle dans la composition des récits tant canonique qu’apocryphes : on voulait connaître la famille, les ancêtres et le lieu de naissance du maître.

      2. Il y aussi des raisons apologétiques qui expliquent certains aspects des récits. Il fallait par exemple répondre à l’argument des Juifs que Jésus ne pouvait être le messie en étant de Nazareth, ou encore qu’il était un enfant illégitime (d’où la conception virginale).

      3. Des raisons théologiques expliquent pourquoi, par exemple chez Matthieu, le récit de l’enfance a pris le modèle de l’histoire du patriarche Joseph avec ses rêves qui se rend en Égypte, ainsi que de l’histoire de la naissance de Moïse sauvé du méchant Pharaon. Tout cela permettait de développer une compréhension chrétienne de Jésus comme messie qui revit l’histoire de son peuple.

      Ensuite, pourquoi ces récits ont-ils été intégrés aux évangiles de Matthieu et Luc? Il faut penser que Matthieu et Luc ont perçu les implications christologiques de ces récits qui circulaient déjà sur la naissance de Jésus, ainsi que la possibilité de les incorporer dans une composition de leur cru pour véhiculer un message sur Jésus fils de Dieu agissant pour le salut de l’humanité. Dès lors, il était normal que ces compositions constituent une introduction à leur évangile.

    2. Le développement de la christologie

      Dans la période qui précède la composition des évangiles, la résurrection était le moment principal de la révélation et de la proclamation de l’identité de Jésus. C’est à ce moment que Dieu l’a fait Seigneur, messie, et fils de Dieu (Actes 2, 32.36; 5, 31; 13, 32-33; Rm 1, 3-4; Ph 2, 8-9). Cette résurrection était en contraste avec l’obscurité et le caractère limité de son ministère. Avant sa résurrection, même ses disciples n’avaient pas de claire vision de son identité. Mais avec le temps et le développement de la réflexion chrétienne, on a déduit que ce messie et fils de Dieu découvert à la résurrection l’était déjà pendant son ministère. C’est à ce moment que commença à être rédigé un évangile comme celui de Marc, vers l'an 67. C’est ainsi que ce dernier montre à ses lecteurs que dès son baptême Jésus était déjà fils de Dieu, mais que ses disciples n’ont jamais perçu cette identité tout au long de sa vie, et que Jésus lui-même ne l’a jamais clairement révélée à ses disciple; ce n’est qu’après sa mort qu’un témoin humain révèlera le mystère : « Vraiment celui-là était fils de Dieu » (Mc 15, 39).

      L’évolution de la réflexion théologique va encore se poursuivre avec le temps, si bien que, par exemple, pour Matthieu (vers l'an 80) c’est pendant son ministère que les disciples vont reconnaître l’identité de Jésus (voir Mt 14, 33 sur la confession des disciples à la fin du récit sur la marche sur les eaux). Puis Matthieu et Luc (vers la même époque) vont pousser encore plus loin cette reconnaissance de l’identité de Jésus jusqu’à la conception dans le ventre de Marie : on y utilise le même vocabulaire qu’à la résurrection : la proclamation divine, l’engendrement comme fils de Dieu, le rôle de l’Esprit Saint. Et par la suite, avec le quatrième évangile (vers l'an 90), la reconnaissance de son identité va au-delà de sa conception pour se situer dans une vie préexistante.

      Dans ce cadre, on comprend que les récits de l’enfance se situent dans un long processus christologique, et qu’il est normal qu’ils soient apparus si tard. Une fois insérés dans les évangiles, ils leur dont donné une saveur biographique : on commence avec la conception et la naissance de Jésus, on poursuit avec son ministère, et on termine avec sa mort et sa résurrection. Pourtant, leur insertion pose problème : si, d’après les récits de l’enfance, Hérode et tout Jérusalem était au courant de la naissance du roi-messie, pourquoi personne par la suite n’est au courant de son origine merveilleuse et on s’étonne de son comportement (Mt 13, 54-55), et pourquoi le fils d’Hérode ignore tout de lui (Mt 14, 1-2)? Si l’identité de Jésus a clairement été révélée à ses parents, pourquoi les disciples ne la perçoivent-t-il pas avec la même clarté lors de son ministère, alors que ses parents sont encore vivants? Marie elle-même semble mise à l’écart de la vraie famille de Jésus (Mt 12, 46-50). Si, d’après Luc, Jean-Baptiste était son cousin qui a reconnu son identité avant même sa naissance (Lc 1, 41.44), pourquoi ne donne-t-il aucune indication pendant son ministère d’une connaissance préalable, et est même confus devant son action (Lc 7, 19)? En fait, tout cela montre bien que les récits du ministère de Jésus se sont formés avant la création des récits de l’enfance, et quand ces derniers ont été insérés, on ne s’est pas vraiment donné la peine de tout harmoniser et d’arrondir les coins.

  2. Les récits de l'enfance comme histoire

    1. Le problème de la corroboration des témoins

      Le contenu majeur du matériel évangélique provient du souvenir de ceux qui l'ont accompagné depuis son baptême et qui a été transmis sous forme d’une tradition. Mais comment sait-on ce qui s’est passé à la naissance de Jésus? L’ensemble des évangiles nous montrent que les personnes parmi lesquelles Jésus fut élevé ignorent tout d’une enfance extraordinaire. Certains imaginent que la tradition sur l’enfance provient des parents de Jésus. Mais Joseph n’apparaît jamais lors du ministère de Jésus et on peut affirmer avec une certaine certitude qu’il était déjà décédé. Quant à Marie, elle n’apparaît jamais proche des disciples pendant le ministère de Jésus. Alors qu’a priori il n’est pas impossible que Marie soit à source du matériel lucanien du récit de l’enfance, il est a priori peu vraisemblable qu’elle soit à la source du matériel matthéen où elle joue un rôle secondaire au dépend de Joseph. Au 2e s. on a cru que Jacques, le frère de Jésus, pouvait être une source plausible sur l’enfance de Jésus, mais l’œuvre qu’on lui a attribué, le Protévangile de Jacques, est hautement légendaire avec des inexactitudes, et relève plus du folklore. Bref, on ne sait rien d’une tradition sur les récits de l’enfance qui pourrait être corroborée par des témoins.

    2. Le problème des détails contradictoires

      On se trouve donc devant trois options devant les récits de l’enfance de Luc et Matthieu : ou bien leurs deux récits seraient historiques; ou bien l’un serait historique et l’autre serait une composition plus libre; ou bien les deux représentent une dramatisation non-historique. Pour prendre une décision, il faut comparer les deux récits pour voir s’ils se confirment l’un l’autre ou se contredisent. Car un accord entre les deux récits confirmeraient l’existence d’une tradition commune qui précède les récits de l’enfance. Voici une liste de onze points partagés par les deux récits.

      1. Les parents de Jésus sont Joseph et Marie qui sont légalement engagés ou mariés, sans encore vivre ensemble ou avoir des relations sexuelles (Mt 1, 18; Lc 1, 27.34)
      2. Joseph est de descendance davidique (Mt 1, 16.20; Lc 1, 27.32; 2, 4)
      3. Il y une annonce par un ange de la naissance prochaine de l’enfant (Mt 1, 20-23; Lc 1, 30-35)
      4. La conception de l’enfant par Marie ne se fait pas par la relation sexuelle avec un mari (Mt 1, 20.23.25; Lc 1, 34)
      5. La conception se fait par l’Esprit Saint (Mt 1, 18.20; Lc 1, 35)
      6. Le nom de l'enfant (Jésus) provient d'une directive de l'ange (Mt 1, 21; Lc 1, 31)
      7. L’ange affirme que Jésus sera Sauveur (Mt 1, 21; Lc 2, 11)
      8. La naissance de l’enfant survient après que les parents eurent habité ensemble (Mt 1, 24-25; Lc 2, 5-6)
      9. La naissance a lieu à Bethléem (Mt 2, 1; Lc 2, 4-6)
      10. La naissance est chronologiquement reliée au règne d’Hérode le Grand (Mt 2, 1; Lc 1, 5)
      11. L’enfant est élevé à Nazareth (Mt 2, 23; Lc 2, 39)

      Il est remarquable de constater que les points communs chez Matthieu sont concentrés dans une seule section (Mt 1, 18 – 2, 1). Quant au reste, tout est différent : sa généalogie ne ressemble en rien à celle de Luc, sa section Mt 2, 2-22 n’au aucun parallèle chez Luc tout comme le ch. 2 de Luc n’a aucun parallèle chez Matthieu. Ce dernier se concentre sur des événements qui ne sont pas mentionnés chez Luc, comme l’étoile, les mages, le complot d’Hérode contre Jésus, le massacre des enfants de Bethléem et la fuite en Égypte. Si à l’origine il n’y avait qu’une seule tradition, comment a-t-elle pu être fragmentée en deux récits si différents? Et si Matthieu a eu Joseph comme source, pourquoi ne mentionne-t-il pas l’annonciation? Et si Luc a eu Marie comme source, pourquoi ne mentionne-t-il pas l’arrivée des mages et la fuite en Égypte.

      Il faut donc reconnaître que nous sommes devant deux récits, non seulement différents, mais contraires l’un à l’autre sur beaucoup points de détail :

      • Selon Lc 1, 26; 2, 39 : Marie demeure à Nazareth et c’est le recensement d’Auguste qui explique un voyage à Bethléem où naîtra son enfant; chez Mt 2, 11, il n’y a aucune indication d’un voyage à Bethléem, puisque Bethléem semble leur lieu de résidence permanente. Le seul voyage dont parle Matthieu est celui pour se rendre en Égypte.
      • La donnée de Luc (2, 22.39) selon laquelle la famille est retournée paisiblement à Nazareth tôt après sa naissance est irréconciliable avec celle de Matthieu selon laquelle l’enfant avait environ deux ans quand la famille a quitté Bethléem pour s'enfuir en Égypte, et était encore plus âgé quand il en est revenu pour se rendre à Nazareth.

      Il faut donc conclure que, en regard des trois options mentionnées plus haut, il faut éliminer l’option qui considèrerait les deux récits comme totalement historiques.

      En plus, une analyse serrée des récits montre l’impossibilité qu’ils soient totalement historiques :

      • Le récit de Matthieu contient des événements publics si extraordinaires qu’ils auraient dû laisser des traces dans les annales juives ou ailleurs dans le Nouveau Testament : le roi Hérode et tout Jérusalem qui sont bouleversés par la naissance du messie à Bethléem; une étoile qui se déplace en passant par Jérusalem pour s’arrêter au-dessus d’une maison à Bethléem; le massacre de tous les enfants mâles de Bethléem
      • Chez Luc, la référence à un recensement général de l’empire romain sous Auguste qui toucherait toute la Palestine avant la mort d’Hérode est certainement erronée, tout comme sa compréhension des coutumes juives de la présentation de l’enfant et de la purification de la mère (2, 22-24).

      Aujourd’hui, on comprend mieux que certaines scènes, non plausibles sur le plan historique, sont en fait une réécriture de scènes de l’Ancien Testament. Des exemples :

      • Le récit des mages qui ont vu l’étoile de David à son lever à l’Orient est un écho du récit de Balaam, un type de mage venu d’Orient qui a vu une étoile se lever en Jacob
      • Hérode qui cherche l’enfant Jésus et massacre les enfants mâles de Bethléem est une réutilisation du comportement du Pharaon qui veut porter atteinte à la vie de l’enfant Moïse et massacre les enfants mâles chez les Israélites
      • Le récit de Joseph, père de Jésus, qui fait des rêves et se rend en Égypte est une réutilisation du récit du patriarche Joseph qui fait la même chose
      • Chez Luc, la description de Zacharie et Élisabeth, les parents de Jean-Baptiste, est empruntée, parfois presque mot à mot, à la description d’Abraham et Sara dans l’Ancien Testament

      C’est à ce moment que, dans l’histoire de la recherche sur les récits de l’enfance, on a commencé à parler de « midrash », un terme hébreu qui décrit une pratique juive d’interprétation de l’Ancien Testament en popularisant et en donnant une expansion aux récits bibliques. Cependant, alors que le midrash juif cherche en rendre intelligibles ces récits anciens, les récits de l’enfance veulent plutôt faire comprendre comment les origines de Jésus réalisent ce qui avait été annoncé dans l’Ancien Testament. Et à la fois chez Matthieu et Luc, les récits de l’enfance servent de transition entre l’Ancien Testament et les évangiles, et pour l’Église elle permet de faire une prédication christologique en utilisant l’imagerie d’Israël.

  3. Les récits de l'enfance comme véhicules de la théologie de l'évangéliste

    L’érudition biblique en est arrivée maintenant à se centrer sur ce que l’auteur évangélique a voulu dire et sur la valeur théologique des récits de l’enfance. Dans les vingt dernières années, la recherche s’est orientée sur le rôle des récits au sein de l’édition finale des évangiles : quel message les évangélistes essaient-ils de transmettre à l’Église à travers ces récits?

    Tout au long de ce commentaire un leitmotiv reviendra : les récits de l’enfance ont du sens dans leurs évangiles respectifs. Peut importe leur valeur historique ou qu’ils soient basés sur une tradition antérieure, Matthieu et Luc pensaient qu’ils étaient appropriés pour introduire la mission et l’importance de Jésus. Leur donner moins de valeur que le reste de l’évangile serait trahir l’intention des évangélistes pour qui les récits de l’enfance étaient le véhicule qui convenait pour transmettre leur message. Mais comme ils font référence à du matériel qui était moins fixé que le reste de l’évangile, les évangélistes se sont permis plus de liberté dans leur travail de composition. Nous sommes devant des chefs d’œuvre, car on cherchera en vain ailleurs dans les évangiles une théologie si succincte et présentée avec tant d’imagination.