Raymond E. Brown, Introduction au Nouveau Testament,
Partie II : Les évangiles et les œuvres connexes

(Résumé détaillé)


Chapitre 10 : Les Actes des Apôtres


Résumé des informations de base

  1. Date, auteur, le lieu de composition : identique à ce qui a été dit sur l’Évangile selon Luc

  2. Intégrité : Les manuscrits grecs de la famille occidentale ont un nombre significatif de passages (dont beaucoup avec des informations supplémentaires) manquant dans les autres manuscrits

  3. Une structure des Actes des Apôtres

    1, 1-26 Introduction : Préparer les disciples de Jésus à l'Esprit

    1. Jésus instruit ses disciples et monte au ciel (1, 1-11)
    2. L'attente de l'Esprit - le remplacement de Judas (1, 12-26)

    2, 1 - 8, 1a : La mission à Jérusalem

    1. La scène de la Pentecôte ; le sermon de Pierre (2, 1-36)
    2. La réception du message ; la vie communautaire à Jérusalem (2, 37-45)
    3. Activité, prédication et épreuves des apôtres (3, 1 - 5, 42)
    4. Les hellénistes ; la tolérance ; le procès et le martyre d'Étienne (6, 1 - 8, la)

    8, 1b - 12, 25 Les missions en Samarie et en Judée

    1. Dispersion de Jérusalem ; Philippe et Pierre en Samarie (8, 1b-25)
    2. Philippe et l'eunuque éthiopien en route pour Gaza (8, 26-40)
    3. Saul en route pour Damas, retour à Jérusalem et à Tarse (9, 1-31).
    4. Pierre à Lydda, Joppé, Césarée et retour à Jérusalem (9, 32 - 11, 18).
    5. Antioche ; Jérusalem ; la persécution d'Hérode ; le départ de Pierre (11, 19 - 12, 25)

    13, 1 - 15, 35 Mission de Barnabé et de Saul : conversion des païens ; approbation à Jérusalem

    1. L'église d'Antioche envoie Barnabas et Saul : Mission à Chypre et en Asie Mineure du Sud-Est (13, 1 - 14, 28)
    2. Conférence à Jérusalem et approbation ; retour à Antioche (15, 1-35)

    15, 36 - 28, 31 Mission de Paul aux extrémités de la terre

    1. D'Antioche à la Grèce en passant par l'Asie Mineure et retour (15, 36 - 18, 22)
    2. D'Antioche à Éphèse et en Grèce, puis retour à Césarée (18, 23 - 21, 14).
    3. Arrestation à Jérusalem ; emprisonnement et procès à Césarée (21, 15 - 26, 32).
    4. Voyage à Rome en tant que prisonnier (27, 1 - 28, 14a)
    5. Paul à Rome (28, 14b-31)

  1. Analyse générale du message

    L'auteur n'a pas donné de titre à ce livre, pas plus qu'il n'a donné de titre à l'Évangile ; mais les Pères de l’Église ultérieurs l'ont surnommé « Actes » (dans le sens d'actes), le comparant ainsi implicitement aux écrits hellénistiques du même nom décrivant la carrière et les réalisations d'hommes célèbres. Le complément de nom « des Apôtres » n'est pas précis, car il n'y a que deux figures majeures : Pierre (qui est l'un des Douze Apôtres, et apparaît d'abord avec Jean) occupe une place importante dans neuf ou dix chapitres, et Paul (qui n'est appelé apôtre que deux fois, et apparaît d'abord avec Barnabé) occupe une place importante dans dix-sept chapitres. C'est pourquoi les spécialistes préfèrent parfois la désignation : Actes de Pierre et de Paul.

    1. Introduction : Préparer les disciples de Jésus à l'Esprit (1, 1-26)

      1. Jésus instruit ses disciples et monte au ciel (1, 1-11)

        • (1, 1-2) Une sorte de sous-prologue. « J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement jusqu’au jour où, après avoir donné, dans l’Esprit Saint, ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis, il fut enlevé ». L'auteur prend soin de relier son second volume au premier et de résumer la portée de l'Évangile. Dans ce nouveau livre, ce que Jésus a commencé est poursuivi par le même Esprit qui agit dans les apôtres. Le récit de l’ascension est raconté deux fois : à la fin de l’Évangile l’ascension a lieu dans la nuit du dimanche de Pâques depuis Béthanie (sur le mont des Oliviers), mais dans les Actes elle a lieu au moins quarante jours plus tard depuis le mont des Oliviers. Du point de vue de Dieu, l'ascension de Jésus ressuscité après la mort est intemporelle, mais il existe une séquence du point de vue de ceux dont la vie a été touchée. Pour l'Évangile, l'ascension met visiblement fin à l'activité de Jésus sur terre ; pour les Actes, elle prépare les apôtres à être ses témoins jusqu'aux extrémités de la terre.

        • (1, 3-7) Jésus ressuscité apparaît à ses disciples pendant quarante jours après sa passion. La tradition ancienne parle de plusieurs apparitions de Jésus, mais, d'un point de vue architectural, les Actes les ont regroupées en quarante jours pour correspondre aux quarante jours que Jésus a passés dans le désert avant d'aller, dans la puissance de l'Esprit, commencer son ministère en Galilée. Dans les deux cas, l'auteur évoque les quarante années de désert pendant lesquelles Dieu a préparé Israël à entrer dans la Terre promise. Ici, la période préparatoire permet à Jésus de donner des preuves de la résurrection et de présenter clairement sa conception du royaume. À ce sujet, Jésus dit : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ». Ce point est important dans les années 80 : si la fin devait arriver immédiatement, il ne serait pas raisonnable d'écrire un livre pour les futurs lecteurs ou d'envisager une mission qui atteindrait le monde entier.

        • (1, 8-11) Le plan du 2e volume : « vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». Le récit des Actes des Apôtres, qui commence à Jérusalem, se terminera à Rome, centre d'un empire s'étendant jusqu'aux confins connus de la terre. Tout comme au tombeau vide, deux hommes (angéliques) aux vêtements éblouissants apparaissent après l’ascension de Jésus pour interpréter l’événement. Tout se passe au Mont des Oliviers où Dieu viendra lors du jugement dernier et manifestera sa royauté sur toute la terre (Za 14, 4-21), où Jésus reviendra de la même manière qu'on l'a vu partir.

      2. L'attente de l'Esprit - le remplacement de Judas (1, 12-26)

        • (1, 12-15) Énumération de ceux qui attendent la venue promise de l'Esprit : les onze (apôtres sans Judas), les femmes, Marie, la mère de Jésus (chronologiquement, c'est la dernière fois que le NT la mentionne), et les frères de Jésus prient ensemble à Jérusalem, dans la chambre haute. Chacun a été témoin à sa façon : le ministère public de Jésus et sa résurrection pour les apôtres, l'enterrement et le tombeau vide pour les femmes, la naissance et la jeunesse de Jésus pour Marie. Le nombre de croyants est évalué à 120 (120 = 10 croyants pour chacun des 12), ce qui reflète le penchant de l'auteur pour les chiffres et le symbolisme.

        • (1, 16-20) Judas perd sa part du ministère apostolique. Le récit du suicide de Judas est tout à fait différent de celui de Mt 27, 3-10. D'après ce que les deux récits ont en commun, on peut supposer que Judas est mort rapidement et violemment et que les premiers chrétiens ont invoqué la mort de personnages méchants (Ahitophel, Antiochus IV Épiphane) de l'Ancien Testament pour expliquer le châtiment infligé par Dieu à l'homme qui avait livré Jésus.

        • (1, 21-26) Le choix de Matthias. Ce dernier occupe la place de Judas, mais ce personnage n’a aucune importance en soi, et ne sera plus jamais mentionné ; ce qui est essentiel, c'est de restaurer le nombre douze. L'Israël d'autrefois comptait douze patriarches représentant les douze tribus ; au fil du temps, Lévi a perdu une part régulière de la Terre promise, et les fils de Joseph (Ephraïm et Manassé) ont été comptés afin que le modèle des douze soit préservé. L'histoire de l'Israël renouvelé en Jésus peut commencer avec pas moins de Douze. Ils ne doivent pas être une institution permanente dans l'Église des siècles suivants, mais un symbole unique pour l'ensemble de l'Israël renouvelé, qui ne sera jamais remplacé à leur mort. La méthode du tirage au sort pour remplacer Judas est une façon de s’en remettre à la volonté de Dieu.

    2. La mission à Jérusalem (2, 1 - 8, 1a)

      1. La scène de la Pentecôte ; le sermon de Pierre (2, 1-36)

        • (2, 1-13) La venue de l’Esprit. La fête des Semaines ou Pentecôte (appelée ainsi parce qu'elle était célébrée sept semaines ou cinquante jours après la Pâque) était une fête de pèlerinage au cours de laquelle les Juifs pieux se rendaient de chez eux au Temple ou au sanctuaire central de Jérusalem. Le contexte historique du récit des Actes est que, lors de la fête de pèlerinage qui a suivi la mort et la résurrection de Jésus, ses disciples galiléens et sa famille se sont rendus à Jérusalem et que, pendant qu'ils étaient là, la présence de l'Esprit s'est manifestée de manière charismatique lorsqu'ils ont commencé à parler en langues. Cela a été considéré comme un signe qu'ils devaient proclamer publiquement ce que Dieu avait fait en Jésus.

          Les Actes donnent à cet événement une place centrale dans l'histoire chrétienne du salut. Fête agricole d'action de grâce chez les Juifs, célébrée en mai ou en juin, elle avait acquis, comme les autres fêtes juives, une signification supplémentaire en rappelant ce que Dieu avait fait pour le peuple élu dans « l'histoire du salut ». La délivrance d'Égypte, au milieu du premier mois du calendrier juif, était commémorée par la Pâque. Au troisième mois, soit environ un mois et demi plus tard, les Israélites arrivaient au Sinaï. Ainsi, la Pentecôte, survenant à peu près au même intervalle après la Pâque, devenait la commémoration du don de l'alliance par Dieu à Israël au Sinaï, le moment où Israël était appelé à devenir le peuple de Dieu.

          Dans la description de l'apparition de Dieu au Sinaï, Exode 19 inclut le tonnerre et la fumée ; et l'écrivain juif Philon (contemporain du NT) décrit des anges prenant ce que Dieu a dit à Moïse au sommet de la montagne et le transmettant sur des langues au peuple dans la plaine en bas. Les Actes des Apôtres, avec leur description du bruit d'un vent puissant et des langues de feu, font écho à cette imagerie et présentent ainsi la Pentecôte à Jérusalem comme le renouvellement de l'alliance de Dieu, appelant une fois de plus un peuple à devenir le sien. Selon l'Exode, dans l'alliance du Sinaï, le peuple qui a entendu l'invitation à être le peuple de Dieu et l'a acceptée était les Israélites. Puis, avec son large éventail allant des extrémités orientales de l'Empire romain (Parthes, Mèdes et Élamites) à Rome même, l’auteur décrit les nationalités qui, à la Pentecôte, ont observé et entendu ce qui a été accompli par l'Esprit lors du renouvellement de l'alliance à Jérusalem. Ainsi, les Actes anticipent la vaste portée de l'évangélisation, maintenant commencée, qui fera finalement des païens eux-mêmes le peuple de Dieu. Implicitement, cette Pentecôte est plus importante et a une plus grande portée que la première Pentecôte au Sinaï.

        • (2, 14-36) Le premier sermon. La réaction des disciples remplis de l'Esprit qui parlent en langues - un comportement extatique qui, pour les observateurs, ressemblait à de l'ivresse - amène Pierre à prononcer le premier sermon, un sermon que les Actes considèrent comme la présentation fondamentale de l'Évangile. Pierre interprète l'action de l'Esprit à la Pentecôte comme l'accomplissement des signes des derniers jours annoncés par le prophète Joël, une interprétation qui correspond à l'importance que les Actes accordent à la prophétie.

          Le fait de citer l’AT confirme la cohérence fondamentale de ce que Dieu a fait en Jésus-Christ avec ce que le Dieu d'Israël a fait et promis au peuple de l'alliance. Puis Pierre se tourne vers le récit de ce que Dieu a fait en Jésus : un bref résumé de ses œuvres puissantes, de sa crucifixion et de sa résurrection, qui culmine avec la preuve scripturaire qu'il était le Seigneur et le Messie. D'une certaine manière, cette concentration sur la christologie représente un changement par rapport au style de Jésus tel qu'il est raconté dans l'Évangile de Luc. En effet, Jésus n’a pas parlé directement de lui-même, proclamant plutôt le royaume de Dieu et confrontant les valeurs reçues de son époque. Mais avec les Actes, confirmés par Paul, les premiers prédicateurs ont déplacé l'objectif principal de leur proclamation vers Jésus lui-même, presque comme s'ils ne pouvaient pas annoncer le royaume sans parler d'abord de celui par qui le royaume était rendu présent. L'évangile fondamental est devenu centré sur l'identité christologique de Jésus ressuscité en tant que Messie et Fils de Dieu.

      2. La réception du message ; la vie communautaire à Jérusalem (2, 37-45)

        • (2, 37-41) Les éléments fondamentaux de l'acceptation de l'évangile sous forme de questions / réponses. Que doit-on faire après avoir cru à la proclamation christologique?
          1. La première réponse : « se repentir », en continuité avec le « baptême de repentance » prêché par Jean-Baptiste.

          2. La deuxième réponse : que les gens soient baptisés pour le pardon de leurs péchés. Dans les Synoptiques, le pardon des péchés se faisait par la puissance de sa parole. Pour les Actes, le pouvoir de Jésus sur le péché demeure, mais il s'exerce désormais par le baptême ; ainsi, dans sa deuxième demande, Pierre va au-delà du modèle de la vie de Jésus. Le baptême devient une profession visible et vérifiable de leur acceptation de Jésus. Le concept israélite de base est que Dieu a choisi de sauver un peuple, et donc on est sauvé en tant que membre du peuple de Dieu. Et maintenant, on est sauvé en tant que membre de l’Église.

          3. La troisième réponse : le baptême doit se faire « au nom de Jésus-Christ ». Nous ne sommes pas certains des procédures utilisées dans les premières pratiques baptismales, mais le plus probable est que « au nom de » signifie que la personne baptisée confessait qui était Jésus (et dans ce sens, prononçait son nom), par exemple : « Jésus est Seigneur » ; « Jésus est le Messie (Christ) » ; « Jésus est le Fils de Dieu » ; « Jésus est le Fils de l'Homme ». De telles confessions baptismales expliqueraient pourquoi les titres étaient si couramment appliqués à Jésus dans le NT.

          4. La quatrième réponse : « vous recevrez le don du Saint Esprit. Car c’est à vous qu’est destinée la promesse, …aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera ». Pierre et ses compagnons ont reçu le Saint-Esprit, et maintenant ils promettent que le même Saint-Esprit sera donné à tous les croyants. Il n’y a pas de citoyens de seconde zone, car la même égalité dans la réception du don de l'Esprit s'avérera vraie lorsque les premiers païens seront baptisés.

        • (2, 42-47) Quatre traits de la vie communautaire. Luc rapporte qu'environ trois mille de ceux qui ont entendu les sermons de Pierre ont répondu à ses exigences et ont été baptisés ; il décrit ensuite comment ils ont vécu. Les souvenirs sont très sélectifs, de sorte que nous avons autant une théologie de l'église primitive qu'une histoire. Les premières années à Jérusalem (jusqu'à environ l’an 36) sont idéalisées et résumées par quatre caractéristiques : koinōnia, prières, fraction du pain et enseignement des apôtres.

          1. Le mot grec koinōnia signifie : fraternité, communion, communauté. Il partage la même racine que l’adjectif koinos (« commun »). La baptême a suscité un élan pour « se réunir » et le sentiment profond d'avoir beaucoup en commun. Parfois traduit par "fraternité", koinōnia signifie littéralement « communion » c'est-à-dire un esprit qui lie les gens entre eux, ou « communauté », c'est-à-dire le regroupement produit par cet esprit. Il est possible que koinōnia reflète un nom sémitique ancien par lequel les premiers juifs chrétiens se désignaient, à la manière du groupe responsable des manuscrits de la mer Morte qui se désignait comme Yahad (« unité »). Tout cela entraînait le partage volontaire des biens entre les membres de la communauté. Si l'idéalisme des Actes exagère (« tous les biens »), le fait qu'il y avait des biens communs dans la communauté des manuscrits de la mer Morte montre qu'une image de partage est plausible pour un groupe juif convaincu que les derniers temps ont commencé et que les richesses de ce monde ont perdu leur sens. Ce « socialisme chrétien » a-t-il appauvri la communauté de Jérusalem? Paul fait référence aux pauvres (chrétiens) de Jérusalem pour lesquels il collectait de l'argent. La volonté des païens des églises éloignées de partager une partie de leur richesse avec les chrétiens juifs de Jérusalem était pour Paul une preuve tangible de la koinōnia qui liait les chrétiens entre eux - une manifestation extérieure de la foi commune et du salut commun qui étaient au cœur de la « communauté ».

          2. Les premiers chrétiens étaient assidus aux prières. Quel genre de formes de prière les premiers Juifs qui ont cru en Jésus utilisaient-ils ? Comme ils n'ont pas cessé d'être juifs dans leur culte, ils ont continué à dire les prières qu'ils connaissaient auparavant, et de nouvelles prières auraient été formulées selon des modèles juifs. Parmi ces dernières, il faut inclure les hymnes ou cantiques du récit de l'enfance de Luc, qui sont très probablement des compositions chrétiennes que Luc a adaptées et mises sur les lèvres des premiers personnages de son Évangile. Comme les hymnes juifs de cette époque, ils sont un pastiche de certains passages de l'AT. En outre, les premiers chrétiens auraient adopté le propre style de prière de Jésus, visible dans le Notre Père, dont certaines demandes font écho aux demandes des prières de la synagogue. Peu à peu, la prière chrétienne s'est concentrée sur le rappel et la louange de ce que Jésus avait fait, reflétant ainsi une spécificité chrétienne croissante.

          3. Une autre caractéristique des premiers chrétiens est la fraction du pain. Selon les Actes, comme Pierre et Jean on continué à se rendre fréquemment, voire quotidiennement, au Temple pour prier aux heures habituelles, tout comme de bons juifs pieux, la « fraction du pain » à la maison (vraisemblablement l'eucharistie) semble donc s’être ajoutée et non substituée aux sacrifices et au culte d'Israël. Comment les premiers chrétiens interprétaient-ils l'eucharistie ? Paul, qui écrit au milieu des années 50 (1 Co 11, 23-26), mentionne un modèle eucharistique qui lui a été transmis (vraisemblablement, donc, depuis les années 30) et dit : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. » Le rappel de la mort du Seigneur peut faire écho au modèle juif de la re-présentation de la Pâque (hébreu : zikkārôn ; grec : anamnēsis), rendant à nouveau présent le grand acte salvateur, maintenant déplacé de l'exode à la crucifixion/résurrection. Le « jusqu'à ce qu'il vienne » reflète une perspective eschatologique visible dans le Notre Père et le Marana tha (Mārána' 'āthā' : « Notre Seigneur, viens »), mais désormais attachée à un repas sacré. Cette attente peut avoir eu un arrière-plan juif particulier, car la communauté de Qumrân envisageait la présence du Messie au repas des derniers temps. Le fait que Jésus ressuscité se soit montré présent aux repas, de sorte que ses disciples l'ont reconnu à la fraction du pain, est peut-être lié à la croyance en sa venue lors de la célébration de l'eucharistie. Un repas sacré pris uniquement par ceux qui croyaient en Jésus était une manifestation majeure de la koinōnia et a finalement contribué à ce que les chrétiens se sentent distincts des autres Juifs.

          4. La dernière caractéristique est l'enseignement des apôtres. Les Écritures faisaient autorité pour tous les juifs, en particulier la Loi et les Prophètes ; cela devait être vrai aussi pour les premiers disciples de Jésus. Ainsi, l'enseignement des premiers chrétiens aurait été, pour l'essentiel, un enseignement juif. Les points où Jésus a modifié la Loi ou s'est écarté des autres interprétations établies de la Loi ont été retenus et sont devenus le noyau d'un enseignement particulier. En transmettant cet enseignement, les prédicateurs chrétiens l'ont appliqué à des situations que Jésus n'avait pas rencontrées ; et cette forme élargie de ce qui venait de Jésus est probablement ce que les Actes entendent par l'enseignement des apôtres. Cet enseignement, bien que secondaire par rapport à celui des Écritures juives, faisait autorité sur les points précis qu'il abordait. Lorsqu'il a été mis par écrit, les compositions qui en ont résulté étaient en passe de devenir un deuxième ensemble d'Écritures.

          Les quatre traits caractéristiques de la vie communautaire de Jérusalem retenus par les Actes montrent à la fois la continuité avec le judaïsme et le caractère distinctif qui distinguait les Juifs qui croyaient en Jésus des autres Juifs. Ces aspects étaient en tension, tirant dans des directions opposées : le premier tenait les chrétiens proches de leurs compatriotes juifs qu'ils rencontraient dans les réunions synagogales ; le second donnait aux chrétiens une identité de koinōnia et la possibilité de se suffire à eux-mêmes. Des facteurs externes de rejet et de réaction devaient cependant intervenir avant que les chrétiens ne constituent un groupe religieux distinctement séparé.

      3. Activité, prédication et épreuves des apôtres (3, 1 - 5, 42)

        • (3, 1-10) Une guérison de Pierre et Jean. Pierre et les apôtres poursuivent la même œuvre que Jésus et avec la même puissance. La guérison se fait « au nom de Jésus-Christ de Nazareth », c'est-à-dire qu'elle est opérée par la puissance du Christ céleste, et non par une quelconque puissance personnelle des apôtres.

        • (3, 11-26) Sermon à la suite de la guérison. Tout comme dans l’Évangile Luc associait guérisons et paroles dans le ministère de Jésus, ainsi la guérison de Pierre est suivie d’un sermon. Ce sermon se termine par une interpellation fondée sur la promesse de Moïse en Dt 18, 15 (Dieu susciterait un prophète comme lui, dont il faudrait tenir compte), tout comme le sermon précédent évoquait la promesse du prophète Joël sur le don de l’Esprit. Et tout comme au sermon précédent, apparaît l'exigence de « se repentir » ou de « changer d’idée » (metanoein), mais maintenant avec une plus grande précision. Les Juifs de Jérusalem ont livré et renié Jésus, le serviteur de Dieu, en présence de Pilate, reniant le Saint et le Juste. Mais ils ont agi dans l'ignorance, tout comme leurs chefs, et c'est pourquoi il leur est offert cette chance de changer. Cependant, face à la prédication apostolique, l'ignorance cesse d'être une excuse, et un changement d'esprit/cœur est nécessaire s'ils veulent recevoir Jésus comme le Messie lorsqu'il sera renvoyé du ciel. Malheureusement, si beaucoup de gens ont effectivement changé par la suite, la plupart des dirigeants juifs ne l'ont pas fait.

        • (4, 1-22) L’arrestation de Pierre et Jean. Cette arrestation provient du succès de la prédication apostolique. Les prêtres et les sadducéens sont troublés par le fait que Pierre et Jean ont proclamé en Jésus la résurrection des morts. Une réunion du sanhédrin composé de dirigeants, d'anciens, de scribes et de grands prêtres est convoquée contre eux, comme ce fut le cas pour Jésus. Les interrogateurs se concentrent sur le miracle, demandant en quel nom ils ont fait cela. Pierre répond sans hésiter : « C’est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu… car aucun autre nom sous le ciel n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut ». Le même Pierre qui avait renié Jésus, et pour lequel le Jésus lucanien avait prié, voilà qu’il confesse ouvertement et avec confiance sa foi. Agacées par l'audace de la proclamation religieuse des apôtres, qui n'avaient pas reçu d'éducation formelle en matière de religion ou de la loi de Moïse, les autorités du Sanhédrin interrompent brutalement le débat et ordonnent arbitrairement à Pierre et Jean de ne pas parler au nom de Jésus.

        • (4, 23-31) Prière triomphale de louange à Dieu. Sortis du Sanhédrin, Pierre et Jean racontent à leur coreligionnaires ce qui s’est passé; il s’agit d’une prière de louange qui compare les forces qui s'étaient alignées à Jérusalem contre Jésus (Hérode et Pilate, les païens et les « peuples » d'Israël) aux forces qui profèrent maintenant des menaces contre ses disciples. Tous les croyants sont remplis de l'Esprit Saint et, ainsi fortifiés, ils annoncent la parole de Dieu avec audace.

        • (4, 32-35) Un sommaire, qui met l’accent sur une des caractéristiques de la communauté, en particulier le fait d'avoir des choses en commun (koinos). Deux exemples suivent. Le premier concerne Barnabas qui a vendu un champ et a apporté l'argent aux apôtres pour contribuer à la caisse commune. En plus d'illustrer positivement l'esprit de la koinōnia, cette référence prépare le récit futur. Barnabas est un lévite, et Actes 6, 7 nous dira que de nombreux prêtres (qui auraient été de la tribu de Lévi) se sont mis à croire. De plus, Barnabas est originaire de Chypre ; et lorsque, plus tard à Antioche, il deviendra missionnaire avec Paul, ils iront d'abord à Chypre (13, 1-4).

        • (5, 1-11) Ananias et Saphira représentent le deuxième exemple des caractéristiques communautaires, mais un exemple négatif qui illustre le châtiment divin infligé à ceux qui violent la pureté de la communauté primitive. Aucune histoire ne saisit mieux la mentalité israélite des premiers croyants. Les Douze étaient destinés à s'asseoir sur des trônes pour juger Israël; ici, par l'intermédiaire de Pierre, le jugement est exercé sur l'Israël renouvelé. Dans l'Ancien Testament (Josué 7), la tentative d'Israël d'entrer victorieusement au-delà de Jéricho au cœur de la Terre promise a échoué parce que Acân avait secrètement caché pour lui-même des biens qui devaient être consacrés à Dieu. Sa tromperie a amené Dieu à juger qu'Israël avait péché et avait besoin d'être purifié. Ce n'est que lorsque Acân a été mis à mort et que ses biens ont été brûlés qu'Israël a pu poursuivre son chemin en tant que peuple qui devait être parfait comme Dieu est parfait. De même, l'Israël renouvelé a été profané par la rétention trompeuse de biens qui étaient censés avoir été versés à la caisse commune. L'impureté est éradiquée par le jugement de Pierre qui entraîne l'action fatale de Dieu. C'est en décrivant la peur produite par cette intervention que les Actes utilisent pour la première fois le terme « église ».

        • (5, 12-42) La deuxième confrontation des apôtres avec le Sanhédrin, qui présente de nombreux parallèles avec la première, illustre l'affection de l'auteur pour les passages en paires symétriques comme moyen d'intensifier une question. Cette fois, il ne s'agit pas d'une seule guérison mais de nombreux signes et prodiges. Les gens, même des villages environnants, commencent à amener leurs malades pour qu'ils soient guéris par les apôtres, en particulier par Pierre. Une fois encore, les grands prêtres et les sadducéens font arrêter les apôtres, mais ils sont frustrés lorsqu'un ange du Seigneur les libère pour qu'ils retournent au Temple, une libération d'autant plus ironique que les Sadducéens ne croient pas aux anges. Ainsi, la session du Sanhédrin convoquée pour discuter des apôtres doit les faire arrêter à nouveau ; et comme pour l'arrestation de Jésus, il faut prendre soin de ne pas exciter le peuple. Pierre exprime sa défiance à l'égard du grand prêtre par une phrase mémorable : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes », puis il prononce un sermon christologique comme s'il espérait convertir le Sanhédrin. La fureur engendrée atteint le point de vouloir tuer les apôtres, mais elle est interrompue par l'intervention du célèbre pharisien Gamaliel Ier (qui aurait vécu à Jérusalem à cette époque). Les Actes des Apôtres n'ont pas mentionné les pharisiens en opposition aux disciples de Jésus ; et voilà que le pharisien Gamaliel prône la tolérance à leur égard. En donnant des exemples d'autres mouvements qui ont échoué, il résume la situation : « Si cette œuvre est le fait d'êtres humains, elle échouera ; si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas la renverser. » Le conseil de Gamaliel l'emporte.

      4. Les hellénistes ; la tolérance ; le procès et le martyre d'Étienne (6, 1 - 8, la)

        Ici débute une période (vers l’an 36?) d'une époque où, à l'exception du bref règne du roi juif Hérode Agrippa en Palestine (41-44), la branche de l'Église de Jérusalem étroitement associée aux Douze n'a pas été persécutée. Cette période prendra fin vers l’an 62 lorsque Jacques, le frère du Seigneur et chef de l'Église de Jérusalem, sera mis à mort. Au cours de ces années de paix (36-40, 45-62), Paul a pu se rendre à Jérusalem au moins trois fois et voir les dirigeants de l'église sans avoir besoin de se cacher.

        • (6, 1-6) Une division hostile parmi les chrétiens de Jérusalem. Les Actes s’inspire ici probablement d'une vieille tradition, et le récit est sommaire : les biens communs ne sont plus un signe de koinōnia, car deux groupes de croyants juifs au sein de la communauté de Jérusalem se les disputent. Pourquoi ? La désignation d'un groupe comme Hellénistes (comme les Grecs), dont les chefs portent des noms grecs, suggère qu'il s'agissait de Juifs qui parlaient (seulement?) le grec et qui avaient été élevés en s'acculturant à la civilisation gréco-romaine. Déductivement, par contraste, l'autre groupe appelé les Hébreux aurait parlé l'araméen ou l'hébreu (parfois le grec aussi) et aurait été plus culturellement juif dans ses perspectives. Au-delà de la différence culturelle, il y avait apparemment aussi une différence théologique. Les apôtres, qui étaient clairement des chrétiens hébreux, n'ont pas laissé leur foi en Jésus les empêcher de fréquenter le Temple. En revanche, Étienne, qui deviendra le chef des Hellénistes, parle comme si le Temple n'avait plus de sens. En fait, nous savons que les Juifs de cette époque étaient fortement divisés sur la question de savoir si le Temple de Jérusalem était le seul endroit sur terre où l'on pouvait offrir des sacrifices à Dieu ; il n'est donc pas improbable que des Juifs de convictions opposées sur cette question aient pu devenir des croyants en Jésus. Quoi qu'il en soit, le désaccord entre ces chrétiens de Jérusalem a pris un visage financier, car les Hébreux (qui constituent assurément le groupe le plus important) tentent de forcer les Hellénistes à se plier aux traditions hébraïques en fermant les fonds communs aux veuves Hellénistes, qui étaient vraisemblablement totalement dépendantes de ce soutien.

          Afin de faire face à cette situation, les Douze convoquent « la multitude » des disciples (peut-être un nom technique pour ceux qui pouvaient voter) pour régler la question. Bien qu'Hébreux eux-mêmes, les Douze n'exigent pas que les Hellénistes se conforment ou partent. De plus, ils refusent de prendre en charge l'administration des biens communs ; en particulier, ils ne souhaitent pas s'impliquer dans le service des tables afin d'assurer une distribution équitable de la nourriture. Ils souhaitent plutôt permettre aux Hellénistes d'avoir leurs propres chefs et administrateurs des biens communs.

          Cette brève scène offre d'importants sujets de réflexion.

          1. Premièrement, nous ne voyons nulle part plus clairement le rôle unique des Douze dans le maintien de l'intégrité du peuple renouvelé de Dieu. Ils préservent la koinōnia par leur solution, car les Hellénistes doivent rester des frères et sœurs pleinement reconnus en Christ.

          2. Deuxièmement, l'acceptation de la suggestion faite par les Douze était une décision de l'Église primitive en faveur du pluralisme et de ce que nous appelons aujourd'hui "la hiérarchie de doctrines" (les doctrines n'ont pas toutes la même importance). Les désaccords culturels et théologiques qui existaient à Jérusalem entre les Hébreux et les Hellénistes étaient implicitement jugés moins importants que leur croyance commune en Jésus. La plupart des croyants en Jésus ont décidé très tôt qu'il valait mieux tolérer certaines différences de pratique et de pensée plutôt que de détruire une koinōnia fondée sur la christologie.

          3. Troisièmement, en ce qui concerne la structure de l'Église, aucun plan n'était venu de Jésus pour montrer comment la communauté de ceux qui croyaient en lui devait être administrée. À l'époque décrite ici (vers l’an 36?), les croyants sont de plus en plus nombreux et se disputent entre eux - deux facteurs sociologiques qui entraînent toujours le besoin de définir plus clairement le leadership. En conséquence, nous entendons parler des sept qui deviennent les administrateurs des croyants Hellénistes. Il est probable que des administrateurs apparaissent en même temps pour la communauté chrétienne hébraïque, car désormais Jacques (le frère du Seigneur) et les anciens (presbytres) apparaissent comme des autorités à Jérusalem, aux côtés des apôtres. Ici, le choix des administrateurs se fait dans le contexte de la prière et de l'imposition des mains. Bien que le développement de la structure de l'Église reflète une nécessité sociologique, pour le croyant l’Esprit Saint a guidé ces décisions, et par là incarne la volonté de Jésus ressuscité.

          4. Quatrièmement, en maintenant les Hellénistes au sein de la koinōnia chrétienne, la communauté de Jérusalem devient maintenant responsable des actions et de la prédication des dirigeants Hellénistes, en particulier de leurs attaques contre le Temple. Tout cela ne facilitait pas les relations avec les chefs des prêtres et le Sanhédrin qui, s’ils pouvaient tolérer ceux qui croyaient au Christ ressuscité, n’accepteraient pas qu’on s’attaque au Temple.

        • (6, 7 – 8, 1a) Un sommaire et un conflit centré sur Étienne. Un résumé sur la diffusion de la parole de Dieu et la conversion des prêtres prépare le terrain pour un conflit centré sur Étienne. Ce dernier, le premier des Hellénistes, suscite l'opposition dans une synagogue de Jérusalem fréquentée en grande partie par des Juifs étrangers. Ils le traînent devant un Sanhédrin et portent une (fausse) accusation sur le message qu'il prêche, en général ses propos contre Moïse et la Loi, et en particulier que Jésus détruirait le sanctuaire du Temple. Dans son long discours en réponse à l'accusation du Temple, Étienne formulera ces implications radicales dans la déclaration finale : « Le Très-Haut n'habite pas dans des maisons faites de main d'homme ».

          Le long discours d’Étienne présente l'histoire du salut, depuis le patriarche Abraham jusqu'à l'entrée d'Israël en Terre promise sous Moïse et Josué. Cette histoire ne reflète pas la conception standard de l’AT, si bien que certains biblistes ont proposé que nous aurions ici le reflet d'un arrière-plan samaritain en harmonie avec la mission en Samarie qui sera bientôt entreprise par les Hellénistes. Les derniers versets sont étonnamment polémiques de la part d'un prisonnier au banc des accusés, car Étienne accuse ses auditeurs de céder et d'assassiner le juste Jésus comme leurs pères ont persécuté les prophètes. Il n'est pas surprenant que cette accusation porte la rage contre Étienne à son comble, et qu'il soit chassé de la ville et lapidé. Cette scène est vraiment significative, non seulement parce qu'Étienne est le premier martyr chrétien, mais aussi parce que la mort d'Étienne dans les Actes correspond si étroitement à la mort de Jésus dans Luc :
          • la référence au Fils de l'homme à la droite de Dieu
          • la prière pour le pardon de ceux qui procèdent à cette exécution
          • le personnage mourant recommande son esprit au ciel
          Comme la figure de Pierre montre la continuité avec le ministère de guérison et de prédication de Jésus, la figure d'Étienne montra la continuité avec la mort de Jésus. Et de même que la mort de Jésus n'était pas la fin, puisque les apôtres recevront l’Esprit pour continuer sa mission, de même la mort d’Étienne ne sera pas la fin, puisque qu’un homme nommé Saul, qui observe la scène de lapidation, continuera l’œuvre d’Étienne.

    3. Les missions en Samarie et en Judée (8, 1b - 12, 25)

      1. Dispersion de Jérusalem ; Philippe et Pierre en Samarie (8, 1b-25)

        Actes 1, 8 a exposé le plan divin d'évangélisation : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre ». Le témoignage à Jérusalem ayant eu lieu, c’est maintenant le temps des autres régions, alors que les Hellénistes sont dispersés en Judée et en Samarie en raison de la persécution. Ces Hellénistes sont les chrétiens les plus radicaux en ce qui concerne leur relation avec le culte juif du Temple, et leurs convertis à Jésus n'ont pas d'attachement profond pour les caractéristiques essentielles du culte juif.

        Les hellénistes se rendent chez les Samaritains et commencent ainsi à prêcher Jésus aux non-juifs. Ils sont idéalement placés pour évangéliser la Samarie, car les Samaritains n'acceptaient pas le Temple de Jérusalem comme seul lieu de culte. Le succès de leur proclamation attire Simon le magicien. Pourtant, c'est Pierre, et non Philippe, le successeur helléniste d'Étienne, qui doit l'affronter, car l'Église de Jérusalem, ayant eu vent du succès des Hellénistes, a envoyé Pierre et Jean pour que les Samaritains reçoivent le Saint-Esprit. Simon veut le pouvoir des apôtres et offre de l'argent pour l'obtenir, immortalisant ainsi à jamais de façon douteuse son nom dans la « simonie » (vente ou achat de biens spirituels). Pierre le met au défi de se repentir ; cependant, contrairement à la prière d'Étienne pour ses adversaires, on ne sait pas si Simon peut vraiment changer son cœur. Sur le chemin du retour à Jérusalem, Pierre et Jean prêchent eux aussi aux Samaritains.

      2. Philippe et l'eunuque éthiopien en route pour Gaza (8, 26-40)

        Une plus grande partie de l'évangélisation helléniste a lieu dans la partie sud de la Judée, ce qui témoigne de l'expansion géographique. L'eunuque éthiopien, ministre de Candace, est originaire d'une région exotique d'Afrique (probablement pas l'Éthiopie moderne, mais le Soudan ou la Nubie, au sud de l'Égypte - l'une des « extrémités de la terre »). Il lit Isaïe, et la capacité de l'helléniste Philippe à interpréter le prophète afin d'expliquer le Christ est une continuation de l'interprétation des Écritures par Jésus ressuscité pour ses disciples. Bien que Dt 23, 2 exclue l'admission des castrés dans la communauté d'Israël, Philippe n'hésite pas à répondre à la demande de l'eunuque d'être baptisé dans la communauté de l'Israël renouvelé. Cette ouverture nous prépare à l'admission des païens et, en guise de transition, les Actes s'arrêtent ici pour nous parler de Saul/Paul qui sera le grand émissaire vers les païens.

      3. Saul en route pour Damas, retour à Jérusalem et à Tarse (9, 1-31)

        Après avoir raconté ici le récit de la conversion de Saul/Paul, l'auteur le rapportera plus tard encore deux fois de la bouche de Paul dans ses discours d'autodéfense. Luc procède par étape dans la vocation de Paul à évangéliser les païens : Ananias, qui le guérit et le baptise, est informé de la future mission, mais pas Saul lui-même. Tout d’abord, en raison du rôle majeur de Paul, Luc tient à nous présenter le récit de sa conversion effectuée par Jésus lui-même. Les touches dramatiques du récit sont superbes, par exemple la personnalisation de l'hostilité de Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? ». La réticence d'Ananias à avoir quoi que ce soit à faire avec Saul, malgré l'instruction du Seigneur, met en évidence la métamorphose de Saul en un persécuteur vraiment redoutable. Les Actes prennent bien soin de signaler que Saul a reçu le Saint-Esprit, car la proclamation de Paul sera finalement aussi puissante que celle de Pierre et des autres qui ont reçu l'Esprit à la Pentecôte. En harmonie significative avec l'accent mis précédemment par les Actes sur la croyance christologique, le nouveau converti prêche que « Jésus est le Fils de Dieu ». Les Actes jettent également les bases de l'activité future de Barnabé avec Paul en nous disant que c'est Barnabé qui a soutenu Saul contre ceux qui, à Jérusalem, ne pouvaient pas croire que le persécuteur avait maintenant changé. Probablement sous la contrainte de la chronologie actuelle, les Actes reportent les activités les plus célèbres de Saul/Paul en nous disant qu'il est retourné à Tarse ; sa grande mission sera décrite plus tard, après que l'auteur nous en aura dit plus sur Pierre. En guise de procédé narratif, la superposition des deux personnages permet de montrer que le même évangile est prêché par les deux.

      4. Pierre à Lydda, Joppé, Césarée et retour à Jérusalem (9, 32 - 11, 18)

        • (9, 31-43) Un sommaire de transition, la guérison d'Énée et la revivification de Tabitha par Pierre. Avec l’Église qui vit un moment de paix, Pierre revient sur le devant de la scène. La guérison d'Énée par Pierre à Lydda, avec l'ordre de se lever, fait étroitement écho à la guérison de l'homme paralysé par Jésus (Lc 5, 24-26). Plus encore, la revivification de Tabitha par Pierre à Joppé ressemble à l'action de Jésus lors de la ressuscitation de la fille de Jaïre (Lc 8, 49-56). Aucun pouvoir n'a été refusé à l'Église, pas même le pouvoir sur la mort elle-même. Nous sommes maintenant sur le point de franchir la frontière non franchies par Jésus alors que l’action de Pierre amène le christianisme hors du judaïsme, chez les païens et à Rome, le représentant des extrémités de la terre.

        • (10, 1 – 11, 18) Le baptême de Cornélius et les suites. C’est conduit par l’Esprit que Pierre fait baptiser Corneille (et sa famille), un païen qui participe aux prières de la synagogue et accepte les exigences morales du judaïsme. Par la suite, il répète ce qui s'est passé avec un rapport à la première personne alors qu'il défend son comportement devant les chrétiens de Jérusalem. (Comme pour les répétitions de l'histoire de la conversion de Paul, la duplication indique qu'il s'agit d'un récit d'une importance capitale). Le récit des Actes comporte six subdivisions :

          1. 10:1-8 : Le pieux centurion romain Corneille reçoit à Césarée la vision d'un ange de Dieu lui disant d'envoyer à Joppé chercher Simon appelé Pierre ;

          2. 10:9-16 : À Joppé, Pierre reçoit une vision lui indiquant à trois reprises que les aliments traditionnellement considérés comme rituellement impurs ne sont en fait pas impurs ;

          3. 10:17-23a : Réfléchissant à la vision, Pierre reçoit les hommes envoyés par Corneille qui lui demandent de venir dans la maison de Corneille ;

          4. 10:23b-33 : Corneille reçoit Pierre et ils comparent leurs visions ;

          5. 10:34-49 : Pierre prêche un sermon, et le Saint-Esprit vient sur les incirconcis présents, de sorte que Pierre leur ordonne de se faire baptiser ;

          6. 11:1-18 : De retour à Jérusalem, Pierre doit rendre compte de son audace à baptiser les païens.

          Étant donné que des révélations célestes sont adressées à Corneille et à Pierre, les lecteurs sont censés reconnaître que ce qui se passe ici est uniquement la volonté de Dieu.

          1. Premièrement, les chrétiens étaient-ils tenus de respecter les règles juives concernant les aliments cashers? La thèse selon laquelle, aux yeux de Dieu, tous les aliments sont rituellement purs constitue une rupture majeure avec la pratique juive, rupture qui sera désormais soutenue non seulement par les radicaux hellénistes mais aussi par le premier des Douze. Peu à peu, il devient évident que le vin nouveau ne peut pas être mis dans de vieilles outres.

          2. Deuxièmement, les païens devaient-ils être circoncis pour recevoir le baptême et la grâce du Christ? Implicitement ou explicitement, ceux qui insistaient sur le fait que les païens devaient être circoncis (c'est-à-dire devenir juifs) soutenaient que le fait d'être juif avait la primauté sur la foi en Christ en termes de grâce de Dieu. Pierre est représenté comme rejetant cette idée en paroles et en actes. Notons que les hellénistes ont été les premiers à accepter des païens non circoncis dans la koinōnia chrétienne Cependant, puisque Paul dépeint Pierre (ou Céphas) comme présent à Antioche pour s'occuper des Gentils (Ga 2, 11-12) et peut-être à Corinthe (1 Co 1, 12 ; 9, 5), c'est probablement le souvenir que, parmi les dirigeants de Jérusalem, Pierre a été le premier à faire preuve d'une telle ouverture, d'où la capacité de Pierre ou de son image à séduire les deux côtés de la communauté chrétienne. Quoi qu'il en soit, l'acceptation de Corneille constitue une étape majeure, accompagnée d'une effusion de l'Esprit se manifestant par le parler en langues, comparable à la Pentecôte - le début de l'Église des Gentils comparable au début de l'Église de l'Israël renouvelé.

          Le caractère radical de ce que Pierre a fait et proclamé est maintenant contesté par des confrères de l'Église de Jérusalem : « Pourquoi es-tu allé vers les incirconcis et as-tu mangé avec eux? ». Il n'est pas clair si, au fond, ce « parti de la circoncision » chrétien était tout à fait opposé à la conversion des païens à la croyance au Christ ou s'il insistait simplement sur le fait que les païens ne pouvaient être convertis qu'après être devenus juifs. Pierre répond au parti de la circoncision en racontant ses visions et la venue de l'Esprit sur la maison de Corneille. Cet argument existentiel fait taire le parti de la circoncision (pour le moment) et conduit à l'acceptation des païens dans les groupes chrétiens juifs existants.

      5. Antioche ; Jérusalem ; la persécution d'Hérode ; le départ de Pierre (11, 19 - 12, 25)

        • (11, 19-26) L’église d’Antioche. C’est à Antioche que les disciples de Jésus sont appelés pour la première fois « chrétiens », nom sous lequel ils seront connus pour le reste des temps. Dans le cadre de sa technique de simultanéité, l'auteur reprend maintenant l'histoire des hellénistes, interrompue au chap. 8, lorsqu'ils ont été dispersés de Jérusalem à la Samarie. On nous dit tardivement qu'ils sont allés aussi en Phénicie, à Chypre et à Antioche (en Syrie), prêchant d'abord seulement aux Juifs, puis progressivement aussi aux païens. Bien qu'un chrétien hébreu comme Pierre ait accepté un ménage païen dans la communauté, il semble que l'effort agressif pour convertir les païens ait commencé avec les hellénistes. Lorsque Jérusalem a entendu cela, Barnabas a été envoyé à Antioche pour vérifier l'évolution de la situation, et il l'a approuvée Cela devient l'occasion d'amener à Antioche Saul. Ainsi, Antioche se développe comme un second grand centre chrétien, plus dynamique que Jérusalem dans la mission.

        • (11, 27 – 12, 25) Une famine et une persécution. À cette époque, Jérusalem et la Judée sont particulièrement touchées par une famine annoncée par Agabus et par un changement de situation politique où la domination romaine directe a été remplacée en 41-44 par un royaume juif entraînant la persécution des chrétiens sous Hérode-Agrippa I. La famine offre aux chrétiens d'Antioche l'occasion de faire preuve de koinōnia en partageant les biens avec les croyants plus pauvres de Judée ; la persécution offre aux chrétiens de Jérusalem l'occasion de témoigner par le martyre, car Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean et l'un des Douze, est mis à mort (vers l’an 41). Maintenant, ce ne sont plus simplement les dirigeants qui sont hostiles au chrétiens, c’est maintenant tout le peuple juif qui est associé à l’hostilité antichrétienne d’Hérode. Les lecteurs sont préparés à une situation dans laquelle le judaïsme et le christianisme sont non seulement distincts mais hostiles. Ainsi, Pierre est emprisonné. Mais encore une fois, Dieu intervient par un ange pour le libérer. Ces interventions divines montrent l'attention que Dieu porte aux grands porte-parole de l'Évangile. Une fois libéré, Pierre dit : « Allez l’annoncer à Jacques et aux frères ». Pourquoi Jacques? Il est probable que dès qu'un rôle administratif a été créé pour l'élément hébreu de l'Église de Jérusalem, Jacques l'a occupé, ce qui n'est pas illogique puisqu'il était lié à Jésus par des liens familiaux. Puis, les Actes décrivent le récit de la mort horrible et subite du roi Hérode Agrippa en l’an 44; Luc nous offre une interprétation théologique de cette mort subite : ceux qui osent lever la main sur le peuple de Dieu subissent le châtiment divin. Enfin, les récits de famine et de persécution à Jérusalem se terminent sur une note triomphale : le persécuteur est tombé, la parole de Dieu croît et se multiplie, et Barnabas et Saul ramènent à Antioche Jean Marc (l'évangéliste?).

    4. Mission de Barnabas et de Saul : conversion des païens ; approbation à Jérusalem (13, 1 - 15, 35)

      1. L'église d'Antioche envoie Barnabas et Saul : Mission à Chypre et en Asie Mineure du Sud-Est (13, 1 - 14, 28)

        • (13, 1-3) Brève description de l'église d'Antioche. Si Jérusalem a les apôtres (c'est-à-dire les Douze), Antioche a les prophètes et les docteurs, parmi lesquels les Actes placent Barnabas et Saul. Barnabé est cité en premier et Saul en dernier ; ce n'est qu'au cours de la mission que le nom de Paul commencera à être utilisé systématiquement à la place de Saul et que l'ordre sera inversé pour devenir Paul et Barnabé. Il nous est dit que les prophètes et docteurs d’Antioche « accomplissaient un service liturgique au Seigneur et jeûnaient »; le jeûne est devenu une partie de la vie de l'église primitive. En quoi consistait le service liturgique? S'agissait-il d'une eucharistie? Dans ce contexte de prière et de jeûne, on impose les mains à Barnabé et à Saul. Il ne s'agit pas d'une ordination anachronique, mais d'un mandat de l'Église d'Antioche pour une mission qui est souvent considérée comme le premier voyage paulinien et datée vers 46-49.

        • (13, 4-12) Barnabas et Saul à Chypre, avec Jean Marc. C’est le pays d’origine de Barnabas, et on se rend dans les synagogues juives. La rencontre de Saul à Chypre et sa victoire sur le faux prophète et magicien, Bar-Jésus, établit un parallélisme avec la rencontre de Pierre avec Simon le magicien en Samarie. Les ennemis de l'Évangile ne sont pas simplement des forces terrestres.

        • (13, 13-50) À Antioche de Pisidie en Asie Mineure. C’est peut-être l’extension la plus aventureuse de la mission, et c'est peut-être ce qui a poussé Jean Marc à partir et à retourner à Jérusalem. Une référence ultérieure (15, 37-39) montre que ce départ a laissé un mauvais souvenir à Paul. L'auteur fait de ce qui s'est passé à Antioche de Pisidie un exemple de la mission paulinienne. Là, Paul (désormais nommé ainsi) prononce un sermon dans une synagogue qui, par son appel à l'AT et son résumé de ce que Dieu a fait en Jésus, n'est pas sans rappeler les sermons prêchés auparavant par Pierre. Ainsi, nous avons l'image d'un message cohérent prêché par les deux grandes figures qui dominent l'histoire de l'Église primitive, Pierre et Paul. La réaction juive est d’abord favorable, mais, le sabbat suivant, il y a eu de l'hostilité de la part des « Juifs », de sorte que Paul et Barnabas ont déplacé leur proclamation vers les Gentils.

        • (13, 51 – 14, 28) À Iconium, puis à Lystre et Derbé. Chassés de Pisidie, Paul et Barnabas se rendent à Iconium où ils passeront une période considérable, appliquant la même procédure et recevant les mêmes réactions ; et une fois encore, ils doivent se déplacer, cette fois vers les villes lycaoniennes de Lystre et de Derbe. À Lystre, Paul est représenté en train de guérir un homme infirme de naissance - le pouvoir de guérison de Jésus, qui avait été transmis à Pierre dans ses rapports avec les Juifs de Jérusalem, a été transmis à Paul dans ses rapports avec les païens. La vive réaction des païens, qui saluent Barnabas et Paul comme les dieux Zeus et Hermès, traduit l'éthique d'un monde différent où le message du Dieu unique n'a pas vraiment pris racine, ce qui rend la prédication du Christ d'autant plus difficile. L'hostilité suscitée par les Juifs de la ville précédente poursuit Paul ; il est lapidé et laissé pour mort. Mais Paul se rétablit et poursuit sa route avec Barnabas jusqu'à Derbé. Les deux disciples reviennent sur leurs pas à travers les villes d'Asie Mineure, puis reprennent le chemin d'Antioche en Syrie. Les Actes mentionnent brièvement qu’ils nomment des presbytres (ou anciens) dans chaque église, ce qui nous permet d’affirmer que, lorsque les Actes ont été écrits, des presbytres existaient dans ces églises et que leur statut était considéré comme faisant partie de l'héritage paulinien. Le voyage se termine par un rapport à l'église d'Antioche qui avait envoyé Paul et Barnabas : « Dieu a ouvert une porte de la foi aux païens ».

      2. Conférence à Jérusalem et approbation ; retour à Antioche (15, 1-35)

        • (15, 1-30) La conférence à Jérusalem. Ce que Paul a fait ne plaît pas au parti de la circoncision à Jérusalem qui envoie maintenant des gens à Antioche pour contester l'acceptation des Gentils sans circoncision. On aurait pu penser que cette question avait déjà été réglée à Jérusalem (Actes 11) lorsque Pierre avait justifié son acceptation du païen Corneille sans circoncision. Cependant, c'était une chose d'incorporer quelques païens dans une communauté chrétienne largement juive, c'en était une autre d'être confronté à des églises entières de païens telles que celles que Paul avait fondées, des églises qui n'avaient guère de rapport avec le judaïsme, si ce n'est qu'elles tenaient en vénération les Écritures juives. Le parti de la circoncision a peut-être été beaucoup plus réaliste que Paul dans ses craintes en voyant le christianisme devenir presque entièrement une religion païenne, ce qui, bien sûr, est arrivé. Loin d'être greffés sur l'arbre d'Israël, les chrétiens païens vont devenir l'arbre. Pour empêcher cette catastrophe prévisible, les adversaires de Paul attaquent le principe selon lequel les païens peuvent être admis sans devenir juifs (c'est-à-dire être circoncis). Ils causent tant de problèmes que Paul et Barnabé doivent se rendre à Jérusalem pour débattre de la question. Il s'ensuit un compte rendu de ce que l'on peut considérer comme la réunion la plus importante jamais tenue dans l'histoire du christianisme, car implicitement, la conférence de Jérusalem a décidé que la suite de Jésus dépasserait bientôt le judaïsme et deviendrait une religion distincte atteignant les extrémités de la terre.

          Nous avons la chance de disposer de deux récits, l'un en Actes 15, l'autre en Galates 2, et cette double perspective nous apprend beaucoup sur les grandes personnalités du christianisme primitif. Par exemple, en Ga 2, 1, Paul dit : « Je suis monté à Jérusalem avec Barnabé, en emmenant aussi Tite » ; Ac 15, 2 dit que « Paul et Barnabé et quelques autres furent désignés pour monter à Jérusalem ». Le fait qu'ils soient allés à Jérusalem à la demande de l'église d'Antioche pourrait bien être l'image la plus exacte, même si Paul souligne son initiative de coopérer.

          Les Actes indiquent que ceux de Jérusalem avaient le pouvoir de décision sur la question. Paul parle de manière désobligeante des « soi-disant piliers » dont la réputation n'avait aucune importance pour lui ; mais ce titre même implique que leur réputation avait une importance pour d'autres, et qu'à long terme, Paul ne pouvait pas rester seul. Bien qu'il ait reçu son évangile (de la grâce librement accordée aux païens) par une révélation de Jésus-Christ et qu'il ne le changerait pas même si un ange lui disait de le faire, il évoque la possibilité qu'il ait couru en vain. En effet, si ces « piliers » refusaient aux églises païennes la koinōnia avec l'église mère de Jérusalem, il y aurait une division qui nierait la nature même de l'église. Ainsi, malgré la certitude de Paul quant à la rigueur de son évangélisation, l'issue de la réunion de Jérusalem pour les communautés qu'il avait évangélisées était incertaine.

          Le fait d'avoir emmené Tite, un païen non circoncis, est une manœuvre astucieuse. Il est probable que certains des pharisiens chrétiens partisans de la circoncision n'avaient jamais vu aucun des païens non circoncis dont ils niaient qu'ils soient de vrais chrétiens ; et il est toujours plus difficile de confronter des personnes qui croient manifestement au Christ et de leur dire face à face : « Vous n'êtes pas chrétiens parce que vous n'êtes pas d'accord avec moi ». Une autre démarche prudente de Paul consiste à exposer d'abord son argumentation en privé devant ceux qui avaient une réputation à Jérusalem. Les réactions initiales des autorités sont souvent défensives ; lorsqu'elles sont exprimées en privé, elles peuvent être modifiées ultérieurement sans perdre la face. Les confrontations publiques « face à face » avec les autorités n’expriment généralement que la myopie.

          La dispute publique à Jérusalem est au cœur de l'histoire. Quatre participants sont impliqués, deux prévisibles (dans des camps opposés : les partisans de la circoncision et Paul), un moins prévisible (Pierre), et un imprévisible (Jacques). Il est compréhensible, compte tenu de l'objectif de Galates, que le récit de Paul soit centré sur son propre rôle, ne cédant pas, même un instant, à la soumission et convainquant les piliers réputés de la vérité de son évangile. Pourtant, c'est à Barnabas et à Paul que les Actes accordent le moins de place, plaçant leur rapport entre les paroles de Pierre et celles de Jacques, une disposition qui donne l'impression que ce sont les derniers qui ont emporté la décision. Il faut lire entre les lignes des deux récits. L’enjeu concernait l’activité missionnaire de Paul et Barnabé, et en ce sens, la conférence était centrée sur Paul. Pourtant, le véritable suspense était peut-être centré sur ce que Jacques allait dire, puisqu'il emmenait avec lui l'église de Jérusalem. C'est ce que laisse entendre Ga 2, 9, en plaçant Jacques au premier rang des « piliers » de l'église, devant Céphas (Pierre) et Jean.

          Quel est le raisonnement avancé par les participants? Paul raconte les actions accomplies parmi les païens (Actes) et l'évangile qu'il leur prêche (Galates), ce qui signifie certainement un compte rendu de la manière dont ces personnes sont venues à la foi sans circoncision. L'argument de Pierre est également fondé sur l'expérience (Actes) : Dieu avait envoyé le Saint-Esprit sur l'incirconcis Corneille. L'argument de Jacques est raisonné (Actes) et, comme on peut s'y attendre de la part d'un chrétien hébreu conservateur, il s'appuie sur les Écritures. Les prophètes ont prédit que les païens viendraient, et la loi de Moïse a permis aux païens non circoncis de vivre parmi le peuple de Dieu à condition qu'ils s'abstiennent de certaines pollutions répertoriées. Malheureusement, nous n'entendons pas les arguments avancés par le parti de la circoncision, si ce n'est la simple déclaration en Actes 15, 5 que la Loi de Moïse exigeait la circoncision.

          Plus significatif encore est le silence déroutant sur Jésus. Aucun des partisans de l'admission des païens sans circoncision ne mentionne l'exemple de Jésus, en disant : « Jésus nous a dit de le faire. » Et, bien sûr, la raison en est qu'il ne leur a jamais dit de le faire. En effet, on peut soupçonner que les seuls susceptibles d'avoir mentionné Jésus auraient été ceux du parti de la circoncision, arguant précisément qu'il n'y avait pas d'autorisation de sa part pour une dérogation aussi radicale à la Loi. Même Paul se souvient de Jésus comme étant « né sous la Loi ». C'est peut-être la première des nombreuses fois où ceux qui ont résisté au changement dans l'Église l'ont fait en arguant que Jésus n'a jamais fait cela, tandis que ceux qui ont encouragé le changement l'ont fait en invoquant l’implication du Christ ressuscité pour une situation que le Jésus historique n'a pas rencontrée. Quoi qu'il en soit, Actes et Galates s'accordent à dire que Pierre (et Jean) et Jacques ont maintenu la koinōnia avec Paul et ses églises païennes. La route était maintenant ouverte pour une évangélisation libre et efficace jusqu'aux extrémités de la terre. En fait, cette route allait aussi conduire loin du judaïsme. Même si le Sauveur pour les païens était un Juif né sous la Loi, le christianisme serait bientôt considéré comme une religion païenne tout à fait étrangère au judaïsme, en particulier à un judaïsme pour lequel la Loi deviendrait encore plus importante après la destruction du Temple.

        • (15, 30-35) Le retour à Antioche. C’est avec une lettre de clarification indiquant que la circoncision ne devait pas être exigée des païens convertis que Paul et Barnabé retournent à Antioche. Cependant, les païens sont tenus de s'abstenir de quatre choses proscrites par Lv 17-18 pour les étrangers vivant parmi Israël :

          1. la viande offerte aux idoles,
          2. la consommation de sang,
          3. la consommation d'animaux étranglés (c'est-à-dire d'animaux qui n'ont pas été abattus rituellement),
          4. les unions incestueuses (porneia, "impureté", mais ici avec des membres de la famille).

          Une combinaison plausible des deux sources d'information pourrait donner le résultat suivant. Paul et Barnabas retournent à Antioche avec la bonne nouvelle que l'absence de circoncision a été reconnue. Cependant, la question de savoir si les chrétiens païens sont tenus de respecter les lois alimentaires auxquelles obéissent les chrétiens juifs qui constituent l'Église à leurs côtés suscite des débats. Paul soutient qu'ils ne sont pas liés, et Pierre participe à cette pratique libre jusqu'à ce que des hommes de Jacques viennent exiger des pratiques spécifiques des lois alimentaires. Pierre cède à Jacques, à la grande colère de Paul. La perte par Paul d'un soutien aussi important a peut-être influencé son départ pour sa prochaine mission. Les lettres de Paul montrent que dans les églises qu'il évangélise (où les chrétiens païens auraient été majoritaires), ses convertis ne sont pas liés par les lois alimentaires juives. Dans la région où Jacques de Jérusalem a de l'influence (Actes 15, 23 : Antioche, Syrie et Cilicie, où les chrétiens juifs sont vraisemblablement majoritaires), les païens sont liés. La conférence de Jérusalem a préservé la koinōnia sur l'essentiel pour la conversion : les païens n'ont pas à devenir juifs. Cependant, cela ne garantissait pas l'uniformité du style de vie. Paul juge l'affranchissement des lois alimentaires si important qu'il l'appelle une question de vérité évangélique (Ga 2, 14) ; apparemment, d'autres n'y attachent pas autant d'importance.

    5. Mission de Paul aux extrémités de la terre (15, 36 - 28, 31)

      La seconde moitié des Actes des Apôtres devient maintenant presque exclusivement l'histoire de Paul. Nous entendons parler de ses voyages qui l’amènent à deux reprises jusqu'à Corinthe en Grèce et couvrent les années 50-58. Il est plus que probable que c'est au cours de cette période que Paul a écrit la majeure partie de sa correspondance incontestée qui nous a été préservée. La combinaison de la décision de Jérusalem, qui a permis aux églises d'accepter librement les Gentils, et de la dispute d'Antioche, qui a jeté Paul dans l'isolement, semble avoir catalysé la période la plus créative de la vie de Paul.

      1. D'Antioche à la Grèce en passant par l'Asie Mineure et retour (15, 36 - 18, 22)

        • (15, 36 – 16, 5) Dispute de Paul avec Barnabas et Jean Marc, et départ en mission. Dans le conflit d'Antioche, Barnabas et Jean Marc pourraient bien avoir accepté la position exigée par les hommes de Jacques ; car les Actes, qui sont muets sur la lutte entre Paul et Pierre, rapportent la querelle de Paul avec Barnabas et Marc, de sorte qu'ils ne pouvaient plus voyager ensemble. Paul prend donc Silas avec lui pour une autre mission, dont la première partie le mène en Syrie et dans sa Cilicie natale. Ensuite, Paul retourne à Lystre et à Derbé. Cette visite est l'occasion de la circoncision de Timothée, dont l'historicité est mise en doute par les spécialistes qui estiment inconcevable que Paul ait changé sa position sur la circoncision, même pour gagner des convertis. Cependant, si Timothée était considéré comme un Juif, rien ne prouve clairement que Paul ait voulu que les chrétiens juifs renoncent à la circoncision.

        • (16, 6-10) À travers la Phrygie et la Galatie jusqu'à Troas. C’est à Troas que Paul reçoit une vision de l'homme de Macédoine implorant de l'aide, ce qui le pousse à passer en Grèce. L'auteur des Actes y voit un moment d'inspiration divine. (La forme de narration « nous » commence à Troas et se poursuit par la traversée vers Philippes ; ainsi, la participation personnelle de l'auteur peut avoir augmenté son appréciation du moment). La propagation de la foi chrétienne en Macédoine, et donc en Europe, est présentée presque comme une destinée manifeste.

        • (16, 11-40). L'évangélisation à Philippes nous montre le meilleur et le pire d'une mission parmi les Gentils. L'ouverture généreuse et le soutien de Lydie, une païenne adepte du culte juif, est un modèle pour le foyer chrétien. D'autre part, les problèmes juridiques et financiers posés par la jeune fille qui avait un esprit de divination nous rappellent que Paul avait affaire à un monde étranger et superstitieux. Dans la suite du récit, l'ouverture miraculeuse de la prison fait écho aux scènes de la libération miraculeuse de Pierre et montre que Dieu est avec son émissaire auprès des Gentils. La complexité du procès de Paul, parce qu'il est citoyen romain, illustre comment les premiers chrétiens, pour survivre, devaient utiliser tous les moyens disponibles, y compris la loi romaine. La forme de narration « nous » cesse lorsque Paul quitte Philippes, et il est donc possible que le compagnon anonyme y soit resté sept ans (de l’an 51 à 58) jusqu'à ce que Paul revienne à Philippes.

        • (17, 1-14). A Thessalonique Paul se heurte au même type d'opposition juive qui a entaché sa mission en Asie Mineure avant la conférence de Jérusalem. La liste des accusations portées contre Paul et ses partisans ressemble à la liste des accusations portées contre le Jésus de Luc devant Pilate. Contraint par l'opposition juive, Paul se rend à Bérée, où, dans un geste intéressant d'impartialité, l'auteur nous dit que les Juifs étaient plus nobles et moins contestataires.

        • (17, 15-34) Paul se rend à Athènes. On nous présente un contexte dramatique des philosophes épicuriens et stoïciens qui tentent de faire entrer ce nouvel enseignement dans leurs catégories. Luc connaît l'agora ou place publique et la colline de l'Aréopage; il formule le sermon qui y est prononcé dans un grec de qualité et le fait témoigner d'une conscience des nombreux temples et statues de la ville. Le jeu sur l'autel à un dieu inconnu et les citations philosophiques et poétiques offrent une approche cultivée du message sur le Christ, tout à fait différente de l’approche des autres sermons des Actes. La touche magistrale de la scène est peut-être la réaction de l'auditoire cosmopolite à cette éloquence : certains se moquent, d'autres repoussent Paul, d'autres encore croient. La première lettre aux Corinthiens témoignera de la leçon retenue par Paul de son expérience d’Athènes : « quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse… j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié ».

        • (18, 1-18) Le séjour de Paul à Corinthe. C'est de là que Paul écrit 1 Thessaloniciens notre plus ancien écrit chrétien conservé ; et il adressera beaucoup plus tard une correspondance à Corinthe, ce qui nous permet d'en savoir plus sur cette église paulinienne que sur toute autre. Aquila et Priscilla (Paul utilise le nom « Prisca »), qu'il y rencontre, apparaîtront plus tard dans la correspondance et la carrière de Paul. Ils étaient venus de Rome (probablement déjà en tant que chrétiens) et finiront par y retourner pour faire partie des contacts de Paul avec Rome avant même qu'il n'y arrive. Nous pouvons voir Paul former un cercle de collègues et d'amis qui seront en contact avec lui toute sa vie. La référence à la fabrication de tentes au début du séjour de Paul à Corinthe nous rappelle l'indication dans ses lettres qu'il subvenait normalement à ses besoins et ne demandait pas à ses auditeurs une aide financière personnelle. Une fois de plus, nous constatons l'hostilité des Juifs, de sorte que Paul est traduit devant le tribunal du proconsul romain Gallion, un personnage dont la présence à Corinthe fournit une clé très importante pour dater la mission de Paul à Corinthe à l’an 51 à 52. Le retour de Corinthe à Antioche est condensé en un récit bref (et quelque peu confus), car Paul passe en route par Éphèse, Césarée et Jérusalem.

      2. D'Antioche à Éphèse et en Grèce, puis retour à Césarée (18, 23 - 21, 14)

        • (18, 23 – 19, 40 [41]) Éphèse. Après un certain temps, Paul part d'Antioche et traverse la Galatie et la Phrygie. Pendant que Paul est en route, on nous parle de la présence à Éphèse d'Apollos, venu d'Alexandrie, puis, au début du séjour de Paul à Éphèse, d'autres personnes, qui croyaient en Jésus mais n'avaient reçu que le baptême de Jean et ne connaissaient pas le Saint-Esprit. Peu d'éclaircissements sont donnés sur la manière dont une telle situation a pu exister - ces personnes ont-elles été évangélisées par certains qui ont connu Jésus pendant son ministère mais ont quitté la Palestine avant la crucifixion et la résurrection ?

          Paul reste à Éphèse environ trois ans. Paul y fait des guérison à côté d'exorcistes juifs qui tentent de chasser les mauvais esprits en utilisant le nom de Jésus. La lutte entre ceux qui ont fait appel à Jésus joue un rôle important dans une grande partie de la correspondance paulinienne écrite depuis Éphèse (Galates? Philipiens? Philémon? 1 Corinthens). Le refrain selon lequel « la parole du Seigneur se répandait » indique qu'à côté de Jérusalem et d'Antioche, le christianisme a maintenant un autre centre important, Éphèse, et que le ministère de Paul a été béni tout comme l'a été celui des Douze. Actes 19, 21 est la première indication du plan ultime de Paul d'aller à Rome via la Grèce et Jérusalem, une anticipation importante pour la façon dont le livre se terminera. Un récit pittoresque de l'émeute des orfèvres, centrée sur Artémis ou Diane des Éphésiens met fin au séjour de Paul.

        • (20, 1-16) Le retour en Grèce. Les voyages de Paul à travers la Macédoine jusqu'en Grèce, c'est-à-dire Corinthe, où il reste trois mois, sont brièvement relatés. (Durant cette période, vers l’an 57/58, il écrit 2 Corinthiens avant d'arriver à Corinthe, et Romains depuis Corinthe). Puis il repasse par la Macédoine et Philippes. La forme de narration « nous » reprend lorsque Paul passe de Philippes à Troas où il ressuscite les morts, tout comme Pierre a ressuscité Tabitha à Joppé. Il serait intéressant de savoir si le fait que Paul rompe le pain en 20, 11 signifie qu'il a présidé l'eucharistie. Pressé d'être à Jérusalem pour la Pentecôte (l’an 58), Paul navigue le long de la côte de l'Asie Mineure jusqu'à Milet, en contournant Éphèse.

        • (20, 17-38) Les adieux de Milet. À Milet, Paul prononce un éloquent sermon d'adieu aux presbytres de l'Église d'Éphèse. Ce sermon a une grande valeur en tant que guide de la manière dont l'auteur des Actes voit les presbytres qui héritent de Paul le soin de l'église. Les Épîtres pastorales contiennent des informations suggérant que Paul serait revenu en Asie Mineure au milieu des années 60. Les Actes des Apôtres n'en font pas état, de sorte que le sermon constitue les dernières directives de Paul à ceux qu'il ne reverra jamais. Il commence par mettre en valeur son oeuvre, où il réfléchit à la manière dont il a servi le Seigneur ; puis il se met à pressentir l'emprisonnement et les afflictions qu'il doit maintenant subir. Cet homme qui a été confronté pour la première fois à la profession du Christ à Jérusalem, une vingtaine d'années auparavant, lors du procès et de la lapidation d'Étienne, est conduit par l'Esprit à retourner dans cette ville où il sera jugé au milieu de cris réclamant sa mort. Dans ce contexte inquiétant, Paul exhorte les presbytres qu'il laisse derrière lui à être les gardiens du troupeau dont l'Esprit Saint les a chargés. Le danger le plus pressant à affronter, comme dans les Épîtres pastorales, est le faux enseignement : « ceux qui disent des choses perverses afin d'attirer des disciples » (Ac 20, 30). Paul souligne qu'il subvenait à ses propres besoins, ne convoitant ni l'argent ni l'or de personne et mettant en garde contre l'amour corrupteur de l'argent, une tentation persistante puisque les presbytres géraient les fonds communs.

        • (20, 39 – 21, 14) De retour à Césarée. Après cet adieu à Milet, le voyage de retour en Palestine se poursuit, amenant Paul à Tyr, où il fait un autre adieu dramatique, puis à Césarée. Là, dans la maison de Philippe l’Évangéliste, un des Sept, et en présence de ses quatre filles-prophètes, le prophète Agabus, venu de Judée, avertit Paul par un geste symbolique de son emprisonnement. Ainsi, la route de Paul vers Jérusalem et ses souffrances imminentes font écho au voyage de Jésus vers Jérusalem où il serait saisi et mis à mort.

      3. Arrestation à Jérusalem ; emprisonnement et procès à Césarée (21, 15 - 26, 32)

        • (21, 15 -27) Paul à Jérusalem chez Jacques. Il est clair que le point culminant est atteint lorsque Paul monte à Jérusalem, où la forme « nous » de la description prend fin, pour ne reprendre que six chapitres et deux ans plus tard. Paul est reçu par Jacques et les anciens et leur fait part de ses succès parmi les païens. Ils répondent à ses affirmations en faisant état de leurs propres succès parmi les Juifs. Les Actes ne peuvent dissimuler les sentiments négatifs suscités parmi les autorités chrétiennes de Jérusalem par les (fausses) rumeurs sur ce que Paul a enseigné. Le projet bien intentionné de faire en sorte que Paul montre sa loyauté envers le judaïsme en se purifiant et en se rendant au Temple échoue lorsque des fanatiques déclenchent une émeute, affirmant qu'il a souillé le lieu saint en y faisant entrer des païens. Paul n'est sauvé de la foule que par l'intervention d'un tribun romain accompagné de soldats ; mais après avoir été arrêté, Paul proteste en grec qu'il est citoyen romain. Il est autorisé à parler en araméen à la foule.

        • (22, 1 – 24, 27) Le discours de défense de Paul raconte sa conversion et ses suites, avec quelques variantes par rapport au récit original de 9, 1-30. Le discours provoque un conflit ; la foule réagit violemment, mais la citoyenneté romaine de Paul lui vaut la protection du tribun. Le lendemain, Paul est traduit devant un sanhédrin. Il suscite la dissension entre les sadducéens et les pharisiens au sujet de la résurrection. Même si le tribun le sauve de la violente mêlée, une vision du Seigneur avertit Paul qu'il devra témoigner à Rome. Le neveu de Paul fait échouer le complot juif visant à tuer Paul, et Paul est envoyé à Césarée et au préfet romain Félix. Le procès de Paul devant Félix, qui était procurateur en Palestine entre 52 et 60, présente un parallélisme avec le procès de Jésus devant Pilate. Le grand prêtre et les anciens juifs présentent à Félix une liste d'accusations qui ressemble à celles présentées par le Sanhédrin des grands prêtres et des anciens contre Jésus. La réponse de Paul pour sa défense vaut la peine d’être mentionnée : « Voici ce que je reconnais : je suis au service du Dieu de nos pères selon la Voie qu’eux qualifient de secte ; je crois tout ce qui est écrit dans la Loi et les Prophètes » (pour les Juifs, le chrétiens représentent une secte à côté des Pharisiens, des Sadducéens, et des Esséniens). Il est intéressant de noter qu'il nous est dit que Félix connaissait la Voie. Paul dit qu'il a apporté des aumônes à Jérusalem, confirmant indirectement les nombreuses références dans ses lettres à une collecte pour Jérusalem. Félix espère un pot-de-vin (l’historien juif Joseph confirme sa vénalité) et Paul est laissé en prison à Césarée pendant deux ans (l’an 58 à 60) jusqu'à la fin de la procuration de Félix.

        • (25, 1 – 26, 32) Paul est interrogé par Festus, le procurateur suivant qui a régné de l’an 60 à 62 ; mais le prisonnier refuse l'offre d'être jugé à Jérusalem et en appelle à César. Le sens du drame de l'auteur est saisi dans la réponse lapidaire des Romains : « Tu en appelles à l’empereur : tu iras devant l’empereur ». Le parallélisme avec le procès de Jésus en Luc est renforcé, car Festus remet Paul au roi hérodien Agrippa II pour qu'il soit entendu, tout comme Pilate a envoyé Jésus à Hérode. Une fois encore, le roi hérodien déclare le prisonnier non coupable. Pour la troisième fois, la conversion de Paul sur le chemin de Damas est racontée.

      4. Voyage à Rome en tant que prisonnier (27, 1 - 28, 14a)

        Utilisant à nouveau le format "nous", les Actes racontent un long voyage en mer le long de la côte syrienne, au-delà de Chypre, le long de la côte sud de l'Asie Mineure, jusqu'à la côte sud de la Crète, puis, au milieu d'une grande tempête, vers Malte, la Sicile et la côte ouest de l'Italie, jusqu'à un débarquement à Pouzzoles, près de Naples. Ce voyage a probablement commencé à la fin de l'été 60 et s'est terminé en 61. Le fait d'avoir survécu à la tempête et aux morsures de serpent illustre la sollicitude de Dieu à l'égard de Paul, dont l'intérêt pour ses compagnons de voyage et les guérisons opérées à Malte montrent que son sens de la mission ne l'a pas quitté. Des détails frappants sur la navigation et les différents navires apportent de la vraisemblance, bien que certains spécialistes rejettent avec scepticisme l'ensemble comme non historique.

      5. Paul à Rome (28, 14b-31)

        C'est l'étape ultime prévue par Jésus ressuscité : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre ». À cette époque, au début des années 60, les communautés chrétiennes étaient à Rome depuis une vingtaine d'années. Mais dans le déroulement de l'histoire qui s'est centrée sur Pierre et Paul, un point culminant est atteint avec l'arrivée dans la capitale du grand missionnaire. Ironiquement, les autorités romaines l'ont envoyé là en raison de son appel à l'empereur et deviennent ainsi responsables de l'évangélisation de leur propre Empire. Jusqu'à la fin des Actes, Paul fait appel aux Juifs locaux en insistant sur le fait qu'il n'a rien fait « contre les coutumes de nos pères ». Actes 28, 21 est important : l'auteur dépeint la communauté juive de Jérusalem comme étant en contact étroit avec la communauté juive de Rome (ce qui pourrait bien être vrai). La prédication de Paul sur Jésus n'a aucun succès ; et les dernières paroles qui lui sont attribuées dans le livre expriment son découragement face à ses compatriotes et son intention ferme de se tourner vers les Gentils qui veulent bien l'écouter. Le résumé qui termine les Actes parle de la prédication de Paul pendant deux ans à Rome, avec succès.

  2. Les sources et les traits de la composition

    1. Les traditions et/ou les sources

      Le portrait des sources de Luc pour son évangile sont assez claires (Marc, source Q et du matériel propre), mais pour les Actes c’est plus nébuleux. Certains biblistes pensent que les chrétiens ne s'intéressent pas suffisamment aux apôtres ou aux églises pour préserver des récits anciens à leur sujet et donc qu’une bonne part des Actes serait fictive. Mais les écrits pauliniens incontestés contiennent des preuves raisonnables du contraire, car elles font écho aux échanges d’information qu’il y avait entre les églises. De plus, puisque l'auteur indique une cohérence en dédiant les deux volumes de Luc-Actes à Théophile, il n'y a aucune raison de penser que le retraçage minutieux de tout depuis le commencement promis par Luc 1, 3 s'est arrêté avec l'évangile. En conséquence, les questions suivantes méritent d'être approfondies : de quelles sources l'évangéliste disposait-il pour les traditions qu'il a reprises et développées dans les Actes? Avait-il des sources écrites ou, du moins, déjà façonnées pour les Actes ?

      En discutant de l'Évangile de Luc, nous avons vu que les sources de certains matériaux lucaniens particuliers (L) peuvent avoir été des personnes qui apparaissent dans les Actes, par exemple, la tradition d'Hérode Antipas de Manaen (Ac 13, 1). Si l'on suppose que l'auteur était le compagnon de Paul dans les passages "nous" des Actes, le fait qu'on rapporte que « nous sommes entrés dans la maison de Philippe l'évangéliste » (21, 8-10) et qu'Agabus y soit venu suggère que c'est peut-être de l'un de ces individus, ou des deux, que proviennent les récits sur Philippe et les Hellénistes et Agabus (6, 5 ; 8, 5-10 ; 11, 27-28). Si la tradition veut que l'auteur soit Luc et qu'il vienne d'Antioche, a-t-il été en contact avec Barnabas, qui lui a parlé du « premier voyage missionnaire » de Paul effectué avec Barnabas et Marc (le cousin de Barnabas)?

      Outre les sources d'information personnelles, des sources fixes ont été proposées. Deux facteurs ont contribué aux diverses suggestions.

      1. Le contenu diversifié des Actes couvre dans l'ordre chronologique les activités de trois agents différents dans trois zones géographiques, à savoir les apôtres à Jérusalem ; les hellénistes qui ont été finalement chassés de Jérusalem et ont joué un rôle dans le développement de l'église à Antioche ; et enfin Paul dont les missions, partant d'Antioche, vont vers l'ouest jusqu'au « bout du monde ».

      2. Des doublets (par exemple les chapitres 4 et 5) ont été détectés dans la première moitié des Actes et expliqués comme le produit de l'entrecroisement de deux sources.

      En conséquence, une proposition typique détecte les sources suivantes (avec les deux premières entrelacées) :

      • Jérusalem (Césarée, Palestine) : 1, 6 - 2, 40 ; 3, 1 - 4, 31 ; 4, 36 - 5, 11 ; 5, 17-42 ; 8, 5-40 ; 9, 32 - 11, 18 ; 12, 1-23.
      • Antioche (helléniste) : 6, 1-6 ; 6, 8 - 8, 4 ; 11, 19-30 ; 15, 3-33.
      • Source paulinienne : 9, 1-30 ; 13, 3 - 14.28 ; 15, 35 - 28, 31, y compris les passages « nous ».

      Il n'y a guère de preuves que l'auteur des Actes ait été présent pour une grande partie de ce qu'il raconte (à l'exception des passages "nous"), et il est peu probable qu'il ait tout inventé ; il a donc dû avoir à sa disposition des informations ou des traditions. Mais ces traditions avaient-elles déjà été façonnées en sources séquentielles? L'argument du style entre dans la discussion mais ne résout guère le problème, car Luc est capable d'adapter son style au contexte. De plus, on trouve des marques du style et du vocabulaire lucanien dans les diverses sections des Actes, si bien que l'auteur a pu utiliser des traditions lâches ou des sources fixes, et qu’il aurait par la suite réécrit ce matériel. En guise de résumé, on peut faire cette observation : il n'existe pas de consensus sur les des Actes. La question se pose donc : quelle est la valeur historique du récit final? Cette question sera abordée plus loin dans la section « Luc l'historien ».

    2. Les discours

      Environ un tiers des Actes est constitué de discours, prononcés principalement par Pierre, Étienne, Paul et Jacques. Au lieu de décrire à la troisième personne la signification de ce qui se passe, les Actes préfèrent proposer un discours dans lequel l'un des personnages principaux prend la parole. Pourquoi les Actes adoptent-ils cette technique? Thucydide, Histoire 1.22.1, dit que, bien qu'il se soit tenu aussi près que possible du sens général des mots prononcés, il faisait dire aux orateurs ce que la situation exigeait à son avis. Est-ce que cela indique une combinaison possible de la mémoire de ce qui a été dit et de l'imagination interprétative de l'historien? Dans le cas des Actes, une fois de plus, nous devons reconnaître que l'auteur des Actes lui-même n'était pas présent lorsque nombre de ces discours sont censés avoir été prononcés.

      Selon certains biblistes, les discours importants auraient été mémorisés par les disciples de l'orateur qui étaient présents; selon d’autres, les discours sont pratiquement une pure création lucanienne; selon d’autre encore, chaque discours doit être évalué selon son mérite : par exemple, les discours de Paul qui sont conçus sur mesure pour une occasion pourraient être des compositions libres de l'auteur des Actes interprétant l'esprit du grand missionnaire, tandis que les discours kérygmatiques quelque peu stéréotypés de Pierre (2, 14-36 ; 3, 12-26 ; 4, 8-12 ; 5, 29-32 ; 10, 34-43) et de Paul (13, 16-41), qui parle de la même manière que Pierre, peuvent avoir été façonnés dans les Actes à partir de souvenirs d'un style de prédication apostolique primitif. Comme nous l'avons vu, le discours d'Étienne est presque unique par sa perspective et ses accents, et certains y ont vu la preuve que les Actes ont dû s'inspirer de la tradition même pour les discours non kérygmatiques. Quelle que soit l'origine du matériel contenu dans les discours, aucun appel aux conventions purement littéraires et historiographiques ne rend suffisamment justice à la manière dont les discours servent à développer l'orientation théologique des Actes; car ces discours reflètent le progrès de la compréhension chrétienne du plan historique de Dieu.

    3. Les sommaires

      Le récit des activités à Jérusalem dans les Actes utilise des sommaires (2, 42-47 ; 4, 32-35 ; 5, 11-16 ; 6, 7) afin de dépeindre la croissance et la sainteté de la communauté à son âge d'or, et de marquer les étapes de l’action missionnaire. Plus tard dans le livre, cette dernière fonction est remplie par des sommaires d'une phrase (9, 31 ; 12, 24 ; 16, 5 ; 19, 20 ; 28, 30-31). Cet effort de transition renforce la lisibilité des Actes en tant que récit fluide. Certains des sommaires font appel à la connaissance que l'auteur a des premiers chrétiens de Jérusalem. Voyons maintenant dans quelle mesure cette connaissance était exacte.

  3. « Luc », l’historien

    Puisque Luc commence son ouvrage en deux volumes en parlant d'un récit ordonné basé sur une parole transmise par des témoins oculaires originaux, et en parlant de tout retracer depuis le début et d'écrire avec ordre, il vaut la peine de se poser la question de la valeur historique des Actes. Le jugement des historiens varient énormément, allant d’une oeuvre purement fictive à celle d’une oeuvre remarquablement précise.

    Avant d'entrer dans les détails de la discussion, tous doivent reconnaître et admettre que les rapports des Actes sont très sélectifs sur le plan chronologique et géographique. On peut raisonnablement estimer qu'une période de trois ans est couverte entre les chapitres 1 et 8, et près de vingt-cinq ans entre les chapitres 9 et 28. Les incidents relatés au cours de cette période sont en effet peu nombreux. En se concentrant sur les chrétiens de Jérusalem et la transition vers Antioche, les Actes ne nous disent pas quand et comment les disciples de Jésus se sont répandus à Damas. L'auteur dispose d'informations sur les voyages de Paul à l'ouest, mais il ne rapporte rien sur la diffusion des missionnaires chrétiens en Syrie orientale ou en Afrique du Nord, ni sur l'évangélisation initiale de Rome elle-même. Ainsi, même si tout ce qu'il rapporte devait s'avérer exact d'un point de vue historique, il s'agirait d'un récit sommaire.

    Que savait l'auteur des Actes des Apôtres des églises primitives de Jérusalem et d'Antioche? Comme il n'existe aucune autre source détaillée pour cette période, il y a beaucoup de choses que nous ne pourrons jamais vérifier, par exemple le harcèlement de Pierre et de Jean par les autorités sacerdotales, l'existence et le martyre d'Étienne, et le meurtre de Jacques, fils de Zébédée, par Hérode Agrippa. Deux éléments qui peuvent contribuer à une évaluation intelligente de l'historicité sont la détermination de la plausibilité à travers ce que nous savons par ailleurs des scènes juives et chrétiennes, et la détection d'erreurs prouvables dans ce qui est affirmé.

    1. Plausibilité de ce qui est raconté

      Nous devons tenir compte du désir de l'auteur de confirmer la foi de Théophile. Il ne fait aucun doute, par exemple, qu'il romance l'image des premiers chrétiens à Jérusalem en termes de rapidité et de nombre de conversions, de sainteté de vie, de générosité dans l'abandon des biens et de détermination. Il admet implicitement cette simplification lorsqu'il nous raconte, à titre d'exception, les histoires des fourbes Ananias et Sapphira, et de la division entre les Hébreux et les Hellénistes. Cependant, si l'on admet une telle romantisation et simplification, l'image des valeurs, des actions et de l'organisation d'une communauté juive chrétienne à l'esprit apocalyptique est tout à fait plausible lorsqu'elle est testée par des éléments comparables dans la communauté des manuscrits de la mer Morte. En termes de parallèles dans le NT, l'importance accordée à Pierre et à Jean parmi les Douze est confirmée par Ga 2, 9, de même que Pierre en tant que missionnaire évangéliste principal parmi les Douze est confirmé par Ga 2, 7 ; 1 Co 9, 5. Comme nous l'avons vu, de nombreux spécialistes analysent le conflit entre les Hébreux et les Hellénistes en Actes 6 en termes d'adhésion au Temple. Si tel est le cas, l'image des Actes selon laquelle ce ne sont pas les Douze qui ont évangélisé la Samarie, mais ceux qui n'avaient aucune loyauté envers le Temple de Jérusalem, peut trouver une certaine confirmation dans Jean 4, 23.37-38.

    2. Les erreurs prouvées

      Les erreurs les plus évidentes se trouvent dans l'histoire palestinienne plutôt que dans l'histoire chrétienne. Nous ne pouvons pas savoir si, peut-être pour des raisons anti-sadducéennes, Gamaliel l'ancien a prôné une certaine tolérance envers les premiers disciples de Jésus (Ac 5, 34-39), mais son discours est probablement en grande partie une création lucanienne. La date attribuée au recensement de Quirinius est inexacte, et il y a une inexactitude similaire en Ac 5, 37 au sujet de la révolte de Judas le Galiléen dirigée contre ce recensement. Au moment où les Actes ont été rédigés, la cohorte romaine appelée « l’Italique » se trouvait en Syrie et pouvait être utilisée en cas de besoin à Césarée ; il n'est pas impossible que 10, 1 (« Il y avait à Césarée un homme du nom de Corneille, centurion à la cohorte appelée "l’Italique" ») soit anachronique en posant sa présence à cet endroit vers l’an 39. Mais de telles inexactitudes mineures ne signifient pas que nous pouvons rejeter l'historicité générale de la représentation des débuts du christianisme dans les Actes.

    Que savait l'auteur des Actes des Apôtres des voyages missionnaires de Paul? Il y a longtemps, des biblistes ont souligné l'extraordinaire exactitude de la connaissance qu'ont les Actes des titres très différents des fonctionnaires municipaux et impériaux dans les diverses villes visitées (par exemple, 13, 12; 17, 6 ; 18, 12 ; 19, 31.35) - une exactitude souvent prouvée par des inscriptions datables découvertes sur les sites respectifs. Dans l'ensemble, le livre est également précis quant aux limites et aux alignements des districts et des provinces dans les années 50. Ces observations sont un facteur majeur pour remettre en question la thèse selon laquelle les Actes ont été écrits au milieu du 2e siècle, car à cette date tardive, même un chercheur méticuleux aurait eu du mal à être précis sur de tels détails. En outre, une grande partie de ce que les Actes nous racontent correspond très bien à ce que nous pouvons déterminer à partir des propres lettres de Paul.

    Étant donné qu'il n'a pas été un témoin oculaire de ce qu'il raconte et qu'il est très sélectif, l'auteur des Actes des Apôtres n'est pas mal noté pour l'exactitude historique des différentes sections de son livre. Bien qu'il ait écrit davantage dans un style biblique que dans un style d'histoire classique, il n'est pas ridicule de penser que l'auteur aurait pu être un candidat approprié pour devenir membre de la confrérie des historiens hellénistiques, même s'il n'aurait jamais été nommé président de cette société. Pourtant, en évaluant Luc l'historien, il convient de se rappeler que cet auteur qui n'a jamais appelé son Évangile un évangile n'a jamais appelé ses Actes une histoire. Il considérait les deux comme une diēgēsis, une "narration". Dans les Actes, le récit qu'il rapporte est avant tout destiné à donner de l'assurance aux croyants et à les fortifier par un éclairage théologique. Par conséquent, tout ce que les Actes conservent de l'histoire est mis au service de la théologie et de la prédication pastorale.

  4. L’auteur

    Pour l’Évangile selon Luc, nous avons vu la possibilité raisonnable que l'évangéliste était un païen (un Syrien d'Antioche ?) qui a été converti ou attiré vers le judaïsme quelques années avant d'être évangélisé par des prédicateurs chrétiens. Dans les Actes, le détail selon lequel il était un compagnon de Paul a été ajouté à la fois par la tradition de l'église primitive et par une analyse interne. Tout ceci est lié à plusieurs hypothèses interconnectées : les passages en « nous » seraient historiques ; seules deux personnes seraient concernées par ce « nous » (Paul et un compagnon non nommé) ; et l'auteur des Actes serait le compagnon du « nous ». Examinons ces hypothèses.

    1. L’historicité des passages en « nous »

      Il n'y a aucune raison majeure de douter que les passages en "nous" soient historiques dans le sens général où Paul a effectué les voyages en question. Mais y avait-il un compagnon spécifique qui l'accompagnait (et donc connaissait les détails), ou le "nous" est-il simplement une convention littéraire dans les voyages en bateau? Si « nous » est purement conventionnel, pourquoi cet usage pronominal n'apparaît-il pas tout au long du voyage en mer dans les Actes au lieu de n'apparaître que dans quelques sections séparées par des années dans le récit ? De plus, dans le premier passage « nous » (Ac 16, 10-17), Paul est à terre à Philippes, et non en mer, à l'exception de deux versets. Enfin, on pourrait soutenir que le « nous » des Actes devrait être lié au « nous » de Luc 1, 1-2 (« des événements accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent… »), qui n'a rien à voir avec un voyage en mer.

    2. Les personnes concernées par ce « nous »

      Une hypothèse simple veut que le « nous » soit autobiographique, de sorte que les passages « nous » constituent une sorte de journal intime décrivant des moments où l'auteur était avec Paul. Normalement, il devrait donc s'ensuivre que l'auteur du journal est l'auteur de l'ensemble du livre des Actes, d'autant plus que le style général et les intérêts des passages « nous » sont ceux que l'on retrouve ailleurs dans le livre. Néanmoins, les spécialistes qui ne parviennent pas à concilier l'image de Paul dans les Actes avec le « vrai » Paul révélé par ses propres lettres ont proposé que l'auteur se soit procuré le journal d'un véritable compagnon de Paul et en ait inclus des sections à des moments appropriés dans le récit qu'il a construit autour d'eux. Avant de recourir à une solution aussi lourde, il convient d'examiner à quel point les Actes et les lettres de Paul sont réellement inconciliables.

      Les Actes donnent des informations sur les débuts de la vie de Paul. Il était originaire de Tarse et s'appelait Saul. Il a été élevé et a étudié à Jérusalem et, apparemment, n'y est pas venu seul, car en 23, 16, nous trouvons le fils de la sœur de Paul à Jérusalem. Les Actes racontent qu'après sa conversion, Paul est retourné à Tarse pour venir ensuite à Antioche, mais ils ne nous disent rien de la vie ou des activités de Paul dans cette ville. La plupart de ces informations vont au-delà des informations contenues dans les lettres de Paul sans les contredire, bien que l'éducation de Paul à Jérusalem plutôt qu'à Tarse soit contestée.

      Le véritable obstacle à l'identification de l'auteur comme le « nous » compagnon concerne sa connaissance de la théologie et de la carrière de Paul en tant que missionnaire pour le Christ. Les principaux exemples de divergence concernent le récit du retour de Paul à Jérusalem après sa conversion, vers l’an 36, et l'acceptation par Paul des règles de pureté alimentaire après la réunion de Jérusalem de 49. De même, l'auteur des Actes ne trahit aucune connaissance des lettres pauliniennes et reste muet sur nombre des principaux thèmes théologiques soulignés dans ces lettres. Pourtant, on trouve des similitudes. La formule eucharistique de Luc 22,19-20 est très proche de celle de 1 Cor 11, 23-25. La première apparition du Seigneur ressuscité à Simon Pierre est suggérée par Luc 24, 34 et 1 Cor 15, 5. L'image de Paul dans les Actes comme celui qui accomplit des miracles est confirmée par 2 Cor 12, 12 ; Rm 15, 18-19. Quant aux différences, même si, en général, les Actes n'insistent pas sur le thème de la justification et préfèrent le pardon des péchés, 13, 38-39 parle des deux et soutient que la justification vient de la croyance en Christ plutôt que de l'observation de la Loi. La christologie de base de Jésus en tant que Fils de Dieu, telle qu'elle est formulée dans Actes 13, 33, n'est pas éloignée de Rm 1, 3-4. La théologie naturelle de la capacité de reconnaître Dieu à partir de la création est partagée par Actes 17, 24-30 et Rm 1, 19-21 ; 2,15.

      Une solution proposée veut que les Actes ont probablement été écrits par Luc, et que ce compagnon « nous » n'était avec Paul qu'à certains moments. Les références au « nous » commencent à Troas, lors du « deuxième voyage missionnaire », vers l'an 50 ; il est donc possible que le compagnon « nous » n'ait eu qu'une connaissance imprécise des événements antérieurs. Le premier passage du « nous » s'interrompt après que le compagnon et Paul soient allés de Troas à Philippes, et le suivant reprend lorsque Paul s'embarque à Philippes (20, 5) pour retourner en Palestine en 58. Nous devons supposer que le « nous » compagnon est resté à Philippes pendant toute la période intermédiaire de quelque sept ans (pendant que Paul se rendait à Corinthe, retournait en Palestine et à Antioche, venait à Éphèse et y restait longtemps, puis retournait à Corinthe). S'il l'a fait, il n'était pas avec Paul lors de l'envoi de 1 Thessaloniciens, Galates, Philippiens, Philémon, 1-2 Corinthiens, et Romains. Cela pourrait expliquer pourquoi, si le compagnon a écrit les Actes, il ne montre aucune connaissance des lettres ou de la théologie qu'elles contiennent, façonnée par les situations rencontrées par Paul.

      Mais cette solution ne résout pas certains problèmes.

      1. Premier problème

        Cela concerne la lettre de Paul aux Philippiens, écrite alors qu'il était en prison : le compagnon « nous » n'aurait-il pas dû avoir connaissance de cette lettre ? Il y a trois propositions pour dater cette lettre : d'Éphèse en 54-56, de Césarée en Palestine en 58-60, et de Rome en 61-63. Le compagnon « nous » était avec Paul en Palestine en 58-60 (mais était-il à Césarée ou est-il resté à Jérusalem?); il est allé avec Paul à Rome en 60-61 (mais puisque le passage « nous » se termine en Actes 28:16, est-il resté avec Paul là-bas pendant les deux années décrites en 28, 30?) En fait, la meilleure option est peut-être que la lettre aux Philippiens a été écrite d'Éphèse en 54-56 ; mais alors, si le compagnon « nous » était à Philippes de 50 à 58, il aurait été là quand la lettre est arrivée. S'il s'agit de Luc, pourquoi n'est-il pas mentionné dans la lettre? D'autre part, de toutes les communautés pauliniennes, les Philippiens sont les plus soucieux du bien-être de Paul, n'oubliant jamais de lui envoyer de l'aide dans ses activités (Ph 4, 14-18) et son emprisonnement. Est-ce parce que celui qui était venu là comme compagnon de Paul est resté à Philippes, guidant cette communauté et veillant à ce qu'elle n'oublie pas l'apôtre qui l'a évangélisée? Serait-il le « vrai collaborateur / compagnon » de Ph 4, 3?

      2. Deuxième problème

        L’autre problème tourne autour de la proposition selon laquelle, parce que le compagnon « nous » n'était pas avec Paul entre 50 et 58, il n'aurait pas pu connaître ou du moins être affecté par la théologie des grands débats reflétée dans les lettres de cette période. Pourtant, le compagnon « nous » a voyagé avec Paul lors de longs voyages après 58 et aurait sûrement dû apprendre de lui les controverses et la théologie développée en réponse. Cette objection perd cependant de sa force si les Actes ont été écrits plusieurs décennies après la mort de Paul, lorsque ses luttes avec les judaïsants n'étaient plus qu'un lointain souvenir et n'étaient plus très pertinentes pour la scène actuelle. Lorsqu'on évalue les Actes, certaines différences par rapport aux lettres de Paul peuvent provenir, non pas de l'ignorance de l'auteur de l'esprit de Paul, mais du fait qu'il a souligné ce qu'il jugeait plus approprié pour une autre génération. Pourrait-il, par exemple, avoir été au courant des difficultés de Paul avec les chrétiens de Corinthe (reflétées par quatre lettres ou plus et une visite de réprimande) mais avoir choisi de garder le silence pour ne pas scandaliser ses lecteurs? Ou encore, s'il connaissait la confiance de Paul dans le fait que tout Israël serait sauvé en venant au Christ (exprimée dans Rm 11, 25-26 en l’an 57/58), il a peut-être estimé, vingt-cinq ans plus tard, que cet optimisme n'était plus justifié. Était-il malhonnête de la part des Actes d'adapter Paul à la situation ultérieure en mettant sur ses lèvres une perspective différente?

    En résumé, il n'est pas impossible qu'un personnage mineur ayant voyagé avec Paul pendant une petite partie de son ministère ait écrit les Actes des dizaines d'années après la mort de l'apôtre, si l'on admet qu'il y avait des détails sur la vie initiale de Paul qu'il ne connaissait pas, qu'il a simplifié et réorganisé l'information (tout comme il l'a fait dans l'Évangile en reprenant des éléments de Marc), et qu'en véritable théologien, il a repensé certains accents de Paul qui n'étaient plus d'actualité. Nous n'avons aucun moyen d'être certains qu'il s'agissait de Luc, comme l'affirme la tradition du 2e siècle ; mais il n'y a aucune raison sérieuse de proposer un autre candidat. Luc n'est mentionné qu'une seule fois dans les lettres non contestées de Paul (Phlm 24) et deux fois dans les lettres deutéro-pauliniennes (Col 4, 14 ; 2 Tm 4, 11), et il n'était donc guère le personnage paulinien le plus évident sur lequel on puisse s'arrêter en tant qu'auteur fictif. Rien ne contredit le fait que Luc ait été avec Paul aux endroits et aux moments indiqués par les passages « nous », et il correspond au profil d'un personnage mineur. Cette proposition d'auteur a plus d'arguments que d'autres théories, et nous permet au moins de dire à propos de Luc: « pas impossible ».

  5. Questions et problèmes pour la réflexion

    1. Les témoins textuels occidentaux ont un texte grec du livre des Actes un dixième plus long que la tradition textuelle égyptienne ou alexandrine. Le matériel supplémentaire inclut des phrases, des clauses, et des versets entiers. Les preuves manuscrites et patristiques seules ne permettent pas de décider lequel est le plus ancien. L'opinion majoritaire considère le texte oriental comme plus original, et le texte occidental comme paraphrastique, reflétant les ajouts par les copistes de gloses religieusement enrichissantes, de clarifications, et de l’accentuation de certaines perceptions. Pourtant, il y a des raisons de ne pas être d'accord : les données supplémentaires incluses dans le texte occidental correspondent au style du reste du texte, sont souvent neutres, et semblent parfois indiquer des connaissances précises supplémentaires. Pour répondre à ce problème, la plupart des biblistes ont eu recours à la théorie des deux éditions différentes des Actes (plutôt qu'à de simples retouches par les copistes). Les variantes de la théorie des deux éditions sont les suivantes :

      1. Luc a fait les deux, avec soit le texte oriental comme deuxième effort plus soigné, soit le texte occidental comme deuxième effort plus étendu ;

      2. Un deuxième scribe a produit le texte occidental en glosant le premier avec des notes que Luc a laissées ;

      3. L'édition occidentale était l'édition originale, tandis qu'une édition abrégée a été produite au 2e siècle pour une plus grande diffusion, ou pour offrir un travail plus soigné ;

      4. Une édition originale des Actes n'est plus conservée ; elle peut être reconstruite à partir du texte occidental dont l'auteur a utilisé ce texte original non conservé comme source principale ; un autre auteur a produit le texte oriental en révisant le texte occidental à la lumière du texte original auquel il avait un accès indépendant.

      Quelle que soit la solution retenue, la plupart des commentaires sont basés sur le texte oriental, plus court.

    2. Actes 1, 7, « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité », est devenu la réponse de la grande église à propos du royaume de Dieu : la croyance que ces choses viendront, mais l'ignorance du moment et de la manière. Souvent en contradiction flagrante avec cette position, les apocalyptiques déploient de grands efforts pour calculer et prédire la fin des temps. Jusqu'à présent, ils se sont toujours trompés sur les dates assignées, et les chrétiens de la grande Église ont donc tendance à considérer avec dégoût les prédictions futuristes comme fanatiques. Cependant, un christianisme fortement apocalyptique rend un service. Si ceux qui professent qu'ils ne connaissent pas les temps et les saisons commencent à négliger la proposition crédible selon laquelle Jésus reviendra pour juger les vivants et les morts, ils peuvent commencer à penser qu'ils peuvent construire le royaume de Dieu. Les apocalyptiques sont très certains que la fin des temps dépend de l'établissement du royaume par Dieu, car les êtres humains, par eux-mêmes, ne construisent généralement que la tour de Babel. Les chrétiens doivent donc professer avec la même ferveur qu'ils ne peuvent pas connaître les temps et les saisons et qu'un jour, d'une manière qui sera probablement une surprise totale pour tous, Dieu établira le royaume.

    3. De nombreux sermons ou discours dans les Actes commencent par raconter l'histoire de l'AT avant de raconter l'histoire de Jésus. Il faudrait peut-être insister sur ce schéma dans la prédication aujourd'hui. Le peuple d’Israël a vécu à l'avance ce qui a souvent été l'expérience des chrétiens dans les siècles qui ont suivi Jésus. Juifs et chrétiens ont eu besoin de la foi pour voir les réalités de Dieu dans et à travers une longue histoire où Dieu semble parfois absent. Le NT seul couvre une période trop courte et est trop rempli de succès pour donner aux chrétiens de telles leçons. Avant Vatican II, l’AT était totalement négligé dans la liturgie. Depuis, ce défaut a été corrigé, et pourtant il est décevant de constater à quel point les lectures de l'AT sont rarement le sujet de l'homélie. Les prédicateurs se tournent trop facilement et rapidement vers les lectures de l'Évangile pour leur sujet, même lorsque la chose qui pourrait le plus interpeller leur auditoire se trouve dans le passage de l'AT!

    4. Pour quelqu'un qui allait être comparé, à tort ou à raison, à d'autres fondateurs de religions, Jésus était remarquablement « inorganisé ». Certes, on rapporte qu'il a appelé quelques personnes (en particulier les Douze) à quitter leur travail et à le suivre, mais pour le reste, il semble s'être contenté de laisser sans suite ceux qui l'avaient rencontré et avaient été visiblement émus par ce qu'il faisait et disait. Les Évangiles nous disent, en généralisant vaguement, qu'ils sont retournés dans leurs villes et villages et ont rapporté avec enthousiasme ce qu'ils avaient vu et entendu, mais rien ne prouve qu'ils aient formé des « groupes Jésus » de son vivant. Après la résurrection, cependant, ses disciples montrent un instinct pour rassembler et retenir ceux qu'ils convainquent au sujet de Jésus ; et le fait qu'ils exigent un signe d'identification comme le baptême est la première étape de ce processus de rassemblement. Les nouveaux chrétiens sont intégrés à une communauté. Ils sont justifiés et peuvent être sauvés, mais pas simplement en tant qu'individus.

    5. Dans sa première description du baptême des nouveaux croyants en Jésus (2, 38-41), les Actes parlent du baptême « au nom de Jésus ». Dès le début, l'identité des disciples de Jésus a été établie par ce qu'ils croyaient et professaient au sujet de Jésus. C'était une différence étonnante par rapport au judaïsme ; en effet, bien que l'on puisse appeler les Juifs « disciples de Moïse », personne n'aurait jamais pensé les définir par ce qu'ils croyaient de l'identité personnelle de Moïse. La nécessité d'exprimer la centralité de Jésus dans la nouvelle alliance a fait du christianisme une religion de credo d'une manière différente de celle du judaïsme. Ce qui définit le christianisme n’est pas l’amour du prochain, car les chrétiens ne sont pas les seuls à faire preuve d'amour les uns envers les autres. La réponse la plus fondamentale est qu'un chrétien est celui qui croit que Jésus est le Christ?

    6. Comme pour d'autres aspects du portrait de l'Église primitive brossé par les Actes, la notion de koinōnia (« communion », « communauté ») doit être soulignée à notre époque. Il est scandaleux que les Églises chrétiennes aient rompu la koinōnia les unes avec les autres ; et le but de l'œcuménisme est de voir si elles peuvent retrouver la communion. Après la Réforme du 16e siècle, les Églises protestantes ont semblé se diviser encore et encore ; et bien qu'il y ait eu une certaine réunification au sein des dénominations, de nouvelles divisions surgissent sur des questions sensibles. Les catholiques romains s'enorgueillissent d'être unis ; pourtant, après l'auto-réforme du 20e siècle à Vatican II, les catholiques se divisent. Les ultraconservateurs sont convaincus que l'Église s'est trop éloignée du « bon vieux temps » ; les libéraux sont convaincus que l'Église n'avance pas assez vite ; et les deux sont extrêmement critiques à l'égard du pape qui ne se range pas de leur côté. Il faut rappeler à tous les chrétiens que la rupture de la koinōnia ne reproduit guère les valeurs de l'Église primitive.

    7. La vie et la pratique des premiers chrétiens décrits au début des Actes comportaient beaucoup de traits juifs. Un modèle juif peut également avoir influencé le choix chrétien d'une heure pour le repas eucharistique. La découverte du tombeau vide tôt le dimanche matin a contribué à fixer l'attention des chrétiens sur ce qui, à la fin du 1er siècle, serait connu comme « le jour du Seigneur ». Cependant, le choix du dimanche a peut-être aussi été facilité par le modèle du sabbat juif, qui se terminait au coucher du soleil le samedi. Avant le coucher du soleil, les Juifs qui croyaient en Jésus étaient limités dans leurs déplacements (le voyage d'un jour de sabbat) ; mais lorsque le sabbat était terminé (samedi soir), ils étaient libres de venir de loin pour se réunir dans la maison d'un autre croyant afin de rompre le pain eucharistique. Cela peut expliquer l'ancien souvenir chrétien d'une célébration dans la nuit entre le samedi et le dimanche.

    8. La section Ac 6, 1-6 (l’institution des Sept) nous montre le développement de la structure de l'église comme à la fois le produit d'une nécessité sociologique et à la fois de l’action de l'Esprit. En d'autres termes, par analogie avec l'incarnation, il peut y avoir à la fois de l'humain et du divin dans l'église et sa structure. La reconnaissance de ce fait permettra certaines adaptations de la structure de l'église pour répondre aux besoins du jour sans donner le sentiment que chaque génération est libre de réinventer l'église. La tâche difficile est de décider quelles questions sont modifiables, et l'Esprit qui travaille dans l'église et parmi les chrétiens doit jouer un rôle dans cette décision.

    9. Une question majeure aux chapitres 10, 11 et 15 des Actes est l'admission des païens dans la koinōnia chrétienne sans circoncision. Ce n'était pas de manière décelable une question résolue par Jésus de son vivant, puisqu'il a montré peu d'intérêt pour les païens. Il y a aujourd'hui des gens aux deux extrêmes du spectre ecclésiastique qui pensent pouvoir faire appel aux paroles ou aux actes de Jésus pour résoudre n'importe quelle question dans l'église (paroissiale, régionale ou universelle). Si Jésus n'a pas résolu la question la plus fondamentale de la mission chrétienne, nous pouvons douter qu’on puisse trouver dans les évangiles la réponse à la plupart des problèmes ultérieurs débattus dans l'église. Comment la question de la circoncision a-t-elle été résolue selon les Actes? Pierre n'agit pas de sa propre initiative ou de sa propre sagesse, mais Dieu lui montre qu'il ne doit considérer personne comme impur (Ac 10, 28). Puisque Corneille a reçu une vision de Dieu, Dieu ne montre aucune partialité (10, 34). L'incirconcis Corneille peut être baptisé parce que le Saint-Esprit est venu sur lui (10, 47). En d'autres termes, nous avons l'exemple de chrétiens confrontés à un problème imprévu et qui le résolvent, non pas en faisant appel à un projet antérieur de Jésus pour l'Église, mais en comprenant (grâce à l'Esprit Saint) ce que le Christ voulait pour l'Église.

 

Prochain chapitre: 11. L'Évangile selon Jean

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