Raymond E. Brown, Introduction au Nouveau Testament,
Partie I : Préliminaires pour comprendre le Nouveau Testament

(Résumé détaillé)


Chapitre 1 : La nature et l’origine du Nouveau Testament


  1. La nature du Nouveau Testament

    1. Le mot « Testament »

      Le mot fait référence à un accord, pacte ou « alliance » (le terme hébreu pour l’alliance est bĕrît, traduit dans la Bible grecque de la Septante par diathēkē, qui renvoie dans le monde séculier à cette alliance ou accord relié à la mort, donc au testament). Dans l’histoire d’Israël, il s’agit d’abord de l’alliance établie par Dieu avec Noé, puis Abraham, et ensuite David par laquelle il promet son soutien particulier. Mais l’alliance la plus importante est celle conclue avec Moïse au Sinaï par laquelle Israël devient le peuple de Dieu.

      Il faut attendre le 7e s. av. JC pour entendre parler de « Nouvelle alliance » (Jr 31) :

      31 Des jours viennent – oracle du Seigneur – où je conclurai avec la communauté d’Israël – et la communauté de Juda – une nouvelle alliance. 32 Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte. Eux, ils ont rompu mon alliance ; mais moi, je reste le maître chez eux – oracle du Seigneur. 33 Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là – oracle du Seigneur : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi.

      Cette alliance nouvelle est avant tout un renouvellement d’alliance. C’est dans cet esprit que Paul parle de « nouvelle alliance » dans ses lettres (2 Co 3, 6; Ga 4, 24-26). Et la mort et la résurrection de Jésus ont été interprétées comme le renouvellement de cette alliance avec une nouvelle dimension (« Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude » : Mc 14, 24; Mt 26, 28; Lc 22, 20; I Co 11, 25). Ce n’est que plus tard, à la suite de conflits avec les Juifs devenus hostiles, que le terme « Nouvelle alliance » ou « Nouveau Testament » a été perçu comme le remplacement de l’ancienne alliance ou ancien testament considéré maintenant comme obsolète.

      Ce n’est qu’au 2e s. qu’on a le témoigne de chrétiens qui utilisent le terme « Nouveau Testament » pour désigner le groupe des écrits qui les concernent, ce qui amène par opposition à désigner les écrits concernant Israël par « Ancien Testament ». Il faudra attendre plusieurs siècles encore avant de s’entendre sur le groupe des 27 livres qui constituent maintenant une collection normative et canonique.

    2. Les œuvres d’introduction

      Très tôt le besoin s’est fait sentir d’offrir un soutien aux lecteurs potentiels au Nouveau Testament. Il y a d’abord eu à la fin du 2e s. ces textes appelés « Prologues », rattachés aux évangiles, qui donnaient un peu de détail : l’auteur et les circonstances de la composition, puis ce fragment connu sous le nom de Muratori. Au début du 5e siècle, un moine d’Antioche connu sous le nom d’Hadrien ou Adrien écrit un traité d’herméneutique pour guider le lecteur : Introduction aux Saintes Écritures. Plusieurs autres ouvrages suivront jusqu’à la publication des premiers ouvrages considérés comme scientifiques (entre 1689 et 1695) par Richard Simon dont les conclusions scandaliseront les Protestants et les Catholiques traditionalistes.

      À partir de la fin du 18e s. et à travers du 19e s. les divers ouvrages d’introduction au NT étaient hautement spéculatifs en cherchant à attribuer le NT à diverses écoles de pensée pour reconstituer l’évolution du christianisme primitif. Aujourd’hui, les introductions au NT cherchent plutôt à simplement fournir de l’information sur chaque livre.

  2. Comment les premiers livres chrétiens ont été écrits, conservés et rassemblés.

    1. L'évolution des livres écrits par des chrétiens

      À l’époque de Jésus, les Juifs sont conscients de posséder un certain nombre de textes sacrés : la Loi, les Prophètes et certains autres écrits. C’est ce que désignent les premiers chrétiens quand ils parlent des Écritures. Mais eux-mêmes ont pris beaucoup de temps avant de mettre quelque chose par écrit. Pourquoi? Tout d’abord, Jésus lui-même n’a rien écrit et n’a jamais demandé d’écrire quoi que ce soi. Ensuite, la venue du royaume inauguré par Jésus ne dépendait d’aucun écrit. Enfin, les premiers chrétiens vivaient dans une atmosphère apocalyptique où le retour de Jésus était imminent, et donc on ne percevait pas le besoin d’écrire pour une génération future.

      1. Les lettres

        Les lettres sont nés d’un besoin pastoral pressent. Paul était un apôtre itinérant proclamant l’évangile dans diverses localités, et les lettres étaient sa façon de garder contact avec tous les nouveaux convertis, surtout lorsqu’on lui confiait des problèmes à résoudre (ce besoin n’existait probablement pas pour l’ensemble des apôtres demeurés à Jérusalem et qui pouvaient communiquer oralement avec leur auditoire). C’est ainsi que dans les années 50 Paul a produit les premiers documents chrétiens avec sa première lettre aux Thessaloniciens, puis ses lettres aux Galates, aux Philippiens, à Philémon, aux Corinthiens, et aux Romains. Chaque lettre s’explique par un contexte particulier, et à chaque fois, Paul adapte son langage à son auditoire.

        Mais à partir du milieu des années 60, la mort des grandes figures chrétiennes et la disparition d’une génération, qui a été témoin oculaire de l’événement Jésus ou qui a fait l’expérience de sa résurrection, créé la nécessité d’avoir des documents plus permanents. C’est ainsi qu’apparaissent un certain nombre de lettres, pas nécessairement écrites par Paul lui-même, mais qui revendiquent son esprit et autorité. Plusieurs biblistes assignent à cette catégorie la 2e lettre aux Thessaloniciens, les lettres aux Colossiens, Éphésiens, et les lettres pastorales (1 et 2 Timothée, Tite) qui auraient été composées entre 70 et 100, après la mort de Paul. Confrontés à un certain nombre de problèmes, des disciples ou des admirateurs de Paul auraient pris l’initiative de proposer leur avis qu’ils croyaient fidèle à l’esprit de Paul. Le ton de ces lettres est plus universel et permanent.

        À cette période post 70 appartiennent également les lettres de Pierre, Jacques et Jude, si on en croit plusieurs biblistes : on se sert de l’autorité des grandes figures chrétiennes pour s’attaquer aux problèmes d’une nouvelle génération chrétienne. Avec les épitres de Jean, elles reçurent le vocable de « catholiques », ou « générales », un terme approprié quand on s’adresse à l’église universelle.

      2. Les évangiles

        Des genres littéraires autres que les lettres apparurent également au cours de cette période, dont le mieux connu est celui des évangiles. Selon les biblistes, l’évangile selon Marc aurait été écrit au milieu de l’année 60, ou peu de temps après 70, nous offrant un récit des actions et des paroles de Jésus qui était absent des lettres. Ce récit est marqué par l’expérience accumulée au cours des décennies qui ont suivi le départ de Jésus. Par exemple, Marc insiste sur la souffrance et la croix, un écho probable d’une communauté persécutée. De plus, il faut parfois expliquer des coutumes juives qu’ignorent les chrétiens issus du monde païen. Les évangiles de Matthieu et Luc, écrits dix ou vingt ans plus tard, ajoutent au récit de Marc une collection de paroles de Jésus connue sous le nom de Document Q, en plus de le colorer avec une expérience propre à chacune de leur communauté. Une tradition encore différente prendra forme avec l’évangile selon Jean écrit vers l’an 90 ou 100. Malgré leur diversité, ces évangiles cherchent à préserver la mémoire de Jésus pour un auditoire de la fin du premier siècle, alors que les témoins oculaires ont disparu.

        Aucun des évangiles ne mentionne qui en est l’auteur, et il est tout à fait possible qu’il n’a pas été écrit par celui à qui on l’a attribué au 2e siècle, i.e. Jean-Marc compagnon de Paul et Pierre, Matthieu, l’un des Douze, Luc, le compagnon de Paul, Jean, l’un des Douze (mais que Jean-Marc soit l’auteur du premier évangile, et Luc l’auteur du troisième évangile et des Actes semble néanmoins probable selon les biblistes). Cela ne diminue en rien l’affirmation que ces écrits interprètent fidèlement la pensée et l’œuvre de Jésus dont ont témoigné les premières générations de témoins.

      3. Les Actes, l’Apocalypse et les autres genres littéraires.

        Les Actes des Apôtres sont un exemple d’un autre gendre littéraire plus permanent que les lettres. Selon son auteur, les Actes constituent la deuxième partie d’une œuvre commencée avec l’évangile qui débute à Jérusalem et se termine à Jérusalem, et maintenant témoigne de l’expansion de l’évangile hors de Jérusalem, jusqu’en Samarie, puis en Galilée et jusqu’à Rome, centre du monde. On n’a plus les yeux levés au ciel à attendre le retour de Jésus, mais on est maintenant en pleine activité missionnaire, alors que les païens du monde entier sont appelés à accueillir l’évangile. Tous ces événements ne sont pas un hasard, mais sont guidés par l’Esprit donné par Jésus.

        L’Apocalypse représente un autre genre littéraire après l’an 70. Ce genre prend ses racines chez Ézéchiel et Zacharie, et connaît une certaine popularité au 2e siècle av. JC avec Daniel et se poursuit au début de l’ère moderne après la destruction du temple de Jérusalem avec 2 Baruch et 4 Esdras. Le mot « apocalypse » est dérivé d’un mot grec qui signifie : révélation. Ce genre apparaît dans un monde où le peuple de Dieu se sent persécuté et voit sa foi au contrôle de Dieu de l’histoire mise à rude épreuve. Alors on développe cette vision qui englobe le ciel et la terre, et on assiste au combat entre Dieu et les esprits mauvais, avec l’assurance de la victoire finale de Dieu. Cette vision a recours à un foisonnement de symboles. Le livre de l’Apocalypse présente des messages adressés à des églises particulières, où les attributs de Dieu revêtent une forme symbolique, au-delà du monde rationnel, rappelant aux chrétiens de la fin du premier siècle que le royaume de Dieu est beaucoup plus large que l’histoire dont ils sont témoins. C’est donc un message d’espoir, et l’assurance que, malgré la persécution présente, Dieu leur donnera la victoire.

        Il y a un autre genre littéraire, qu’on a emballé sous le terme de « lettre » parce que c’était le genre dominant, mais qui n’en était pas vraiment. Certains écrits sont plus près de l’homélie, comme 1 Pierre, ou de la diatribe comme Jacques. Et il y a le cas spécial de « l’épitre » aux Hébreux, un écrit qui a la conclusion d’une lettre, mais dont le début n’indique pas à qui elle est adressée, les Hébreux comme destinataires provenant d’une bibliste de la première heure après l’analyse de son contenu. On y trouve le style oratoire typiquement hellénistique ou alexandrin, et le développement d’une christologie profonde du fils de Dieu. La distance entre le style et la théologie de cette « lettre » par rapport aux lettres de Paul est remarquable. Quant à 1 Jean, il n’a pas le format d’une lettre et ne mentionne pas Jean, et est donc difficile à classifier. On y voit l’application des thèmes du 4e évangile à une communauté menacée par un schisme.

        Ainsi, à travers différents genres littéraires, les chrétiens après 70 continue à s’attaquer aux divers problèmes qui se posent dans les diverses communauté, mais ils le font de manière à ce que les réponses apportées puissent s’appliquer à d’autres communautés et à d’autres époques. Aussi, autant il est facile de dater les premières lettres de Paul à quelques années près, sinon quelques mois, autant il est difficile de dater cette littérature après les années 70.

    2. La préservation et l’acceptation des livres écrits par des chrétiens

      Comment ces écrits, composés entre l’an 50 et 150, en sont-ils venus à être considérés au même niveau que les Écritures du monde juif, et donc sacrés et faisant autorité pour la foi chrétienne? On ne connaît pas parfaitement le processus par lequel on a préservé ces écrits, mais on peut signaler un certain nombre de facteurs.

      1. Premièrement, l'origine apostolique, réelle ou putative

        Il y a des lettres qui n’ont pas été physiquement écrites par Paul, Pierre ou Jacques, mais sont devenues importantes parce qu’elles se réclamaient du nom, de l’esprit et de l’autorité des apôtres. Les évangiles ont été à la fin attribués soit à des apôtres (Matthieu, Jean), soit à des hommes apostoliques (Marc, compagnon de Pierre, Luc compagnon de Paul). L’Apocalypse, contenant des visions d’un prophète appelé Jean, fut accueilli dans les églises occidentales parce qu’on assumait qu’il fut écrit par l’apôtre Jean. Pour l’épitre aux Hébreux ce fut plus compliqué : les églises occidentales ne croyaient pas qu’elle fut écrite par Paul et l’écartèrent de leur première liste d’écrits, tandis que les églises orientales l’accueillirent comme un écrit de Paul; ce n’est qu’au cours du 4e et 5e siècle que l’église latine l’intégra dans sa liste.

        Malgré tout, le critère d’apostolicité ne suffit pas en soi. Par exemple, il y a des lettres de Paul qui n’ont pas survécu, comme celle mentionné en 2 Co 2, 4 ou la lettre à Laodicée (Col 4, 16), ou des lettres qui auraient circulé faussement sous le nom de Paul (2 Th 2, 2) et qui ne semblent pas différentes de celles qu’on appelle deutéro-pauliniennes. L’évangile selon Pierre a été refusé en raison de son contenu par un évêque, sans véritable débat sur son auteur. Enfin, beaucoup d’évangiles apocryphes ont été rejetés, même s’ils portaient le nom d’un apôtre.

      2. Deuxièmement, l'importance des communautés chrétiennes à qui on s’adresse

        Les communautés chrétiennes ont joué un rôle important en prenant soin de conserver des documents qui leur étaient adressés. Par exemple, pourquoi n’a-t-on rien des communautés de Jérusalem ou de Palestine, alors qu’elles pourraient être la source de certaines traditions des évangiles et des Actes, sinon parce qu’elles furent complètement ébranlées par la révolte juive contre Rome? À l’inverse, Antioche a accueilli l’évangile de Matthieu où ce dernier semble s’être installé, tout comme les églises d’Asie Mineure (par ex. Éphèse) et de Grèce (par ex. Corinthe) ont accueilli les lettres de Paul, l’évangile de Luc et ses Actes, ainsi que l’évangile de Jean. L’église de Rome a accueilli pour sa part la lettre que Paul lui a adressée, et peut-être la lettre aux Hébreux et l’évangile de Marc. Toutes ces églises ont une certaine importance, car elles sont souvent associées à une figure apostolique importante. C’est ce qui explique qu’on ait conservé des œuvres somme toute mineures, comme la lettre à Philémon ou de Jude, qu’on n’aurait pas retenues autrement; elles ont bénéficié de l’aura du milieu qui les gardées.

      3. Troisièmement, la conformité à la règle de foi

        Le mot « canon » ou « norme » définit d’abord ce qui constitue l’ensemble des croyances fondamentales et essentielles des communautés chrétiennes, avant de désigner la collection des écrits normatifs pour la foi chrétienne. L’importance de cette conformité à ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne peut être illustrée par l’histoire de l’évêque Sérapion d’Antioche (vers l’an 190), racontée par Eusèbe de Césarée, qui s’est mis à interdire la lecture de l’évangile de Pierre en voyant que certains chrétiens en faisaient une lecture docétiste, niant que Jésus ait vraiment souffert et soit mort en croix; car tout cela contredisait les quatre évangiles et les lettres de Paul mettant au cœur de la foi la croix et la mort de Jésus.

      Mais ces trois facteurs n’expliquent pas tout, car il faut admettre que c’est parfois une certaine intuition, qu’on croyait avoir sa source dans l’Esprit, qui a guidé l’église dans ses choix.

    3. La collection des premiers écrits chrétiens

      Les différents genres littéraires ont chacun leur histoire.

      1. Les lettres de Paul

        Le nom de Paul apparaît sur 13 lettres écrites sur une période de 50 ans. On ne sait si des copies des lettres ont été conservées par l’auteur ou le destinataire des lettres. On sait que les communautés se sont échangées ces lettres (Col 4, 16). Certaines lettres ont été modifiées après avoir été envoyées. Il est possible qu’après la publication des Actes des Apôtres et après que Paul fut devenu une figure connue, on a procédé à une collection systématique des lettres. Les biblistes attribuent ce travail de collection à certaines figures comme Onésime (Phlm 10) ou à Timothée, ou à une école paulinienne d’écrivains; ce travail a dû se poursuivre après la première génération post-paulinienne. Même si certains écrivains comme Ignace d’Antioche et les auteurs de 1 Clément et 2 Pierre affichent une connaissance de plusieurs lettres de Paul, ce n’est qu’avec Polycarpe (70 – 155) et Marcion (100 – 160) qu’on a la preuve claire d’une large collection de ces lettres. Ce dernier accepte dix lettres, excluant les pastorales. À la fin du 2e siècle, on finit par accepter 13 lettres, la quatorzième (aux Hébreux) n’apparaissant que dans la liste de l’église orientale, pour finalement apparaître aussi dans la liste latine au 4e siècle.

      2. Les évangiles

        Les quatre évangiles ont été composés sur une période qui s’étend de l’an 65 à l’an 100. Pour Paul, peut importe qui le proclame, il n’y a qu’un seul évangile (Ga 1, 8-9; 1 Co 15, 11). C’est ainsi que l’évangile de Marc, écrit le premier selon les biblistes, utilise le mot évangile au singulier, assumant qu’il n’y a pas d’autres versions : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu » (Mc 1, 1). Quand l’auteur de l’évangile selon Matthieu écrit quelques décennies plus tard en intégrant deux sources majeures, l’évangile de Marc et un document que les biblistes appellent « Q », il a assume proposer une nouvelle version du même évangile, tout en éliminant le besoin de retourner aux deux sources qu’il a utilisées. Dans l’introduction à son évangile, Luc mentionne être au courant de plusieurs récits précédents, mais il prend néanmoins l’initiative d’écrire lui aussi un récit ordonné pour que son lecteur, représenté par Théophile, puisse connaître la vérité de manière plus effective. Enfin, le fait que les lettres de Jean ne mentionnent ni Marc, ni Matthieu, ou ni Luc, tout en faisant référence au « message entendu » (1 Jn 1, 5) suggère que la communauté johannique ne connaissait que le quatrième évangile. L’évêque Papias (vers l’an 125) connaissait plusieurs évangiles, mais avant l’an 150 on n’a aucun exemple qu’une communauté chrétienne n’offrait pour la lecture publique plus qu’un seul évangile.

        L’habitude pour une communauté chrétienne de ne se référer qu’à un seul évangile a eu des effets pervers. Chez les chrétiens d’origine juive, certains préféraient leur propre composition, mais la majorité optait pour l’évangile selon Matthieu qui insistait sur l’importance de chaque petit point de la Loi, dans une réaction polémique contre les chrétiens d’origine païenne qui se basaient sur d’autres écrits pour prendre leur distance face à la Loi. Quand à l’évangile de Jean, il est devenu la référence privilégiée du mouvement gnostique pour rejeter le monde, en se basant sur certaines de ses affirmations. Ce n’est qu’après l’an 150 que la lecture des quatre évangiles devint une pratique courante de la « grande église ». Dans un effort de compromis, Tatien (120 – 180) entrepris de composer un récit (Diatessaron) qui harmonisait les quatre évangiles; si ce récit fut accepté et fit autorité pendant des siècles dans les églises syriaques, il fut rejeté par les églises grecques et latines. Il a fallu Irénée de Lyon (130 – 202) et Origène (184 – 253) pour faire comprendre que Dieu a voulu quatre évangiles pour son église.

        Marcion (100 – 160) a joué un rôle dans la constitution du canon des écrits du NT. Fils d’évêque et brillant théologien, il arrive à Rome vers 140 proclamant que le créateur dont parle l’Ancien Testament n’est qu’un démiurge et rejetant tout l’héritage juif. S’ensuit son excommunication et la création par Marcion de sa propre église qui a survécu pendant trois siècles. Dans son effort pour dénigrer la Loi, il se sert abondamment des lettres de Paul et fait le choix d’un certain nombre d’écrits qui pouvaient soutenir sa thèse : l’évangile de Luc (sans les récits de l’enfance), les dix lettres de Paul (sans les lettres apostoliques). Tout cela alimenta la détermination des églises de maintenir l’AT comme parole de Dieu pour le peuple chrétien. Et le fait que Marcion proposait un canon tronqué des écrits chrétiens amena également les églises à établir un évangile large (quatre évangélistes, et non seulement Luc) et un groupe large de lettres (treize plutôt que dix). Une telle expansion a probablement joué un rôle dans l’ajout des Actes des Apôtres qui mettent en vedette Pierre et Paul, et donc apparaissaient comme le pont entre les évangiles et les lettres de Paul. Et l’idée de favoriser les Douze a probablement contribué à l’ajout de 1 Pierre et 1 Jean, si bien qu’on se retrouve vers l’an 200 avec une vingtaine d’œuvres (4 évangiles, 13 lettres de Paul, Actes, 1 Pierre, 1 Jean).

      3. Vers la collection complète

        Les autres œuvres (Hébreux, Apocalypse, Jacques, 2 et 3 Jean, Jude, 2 Pierre) sont citées entre le 2e et le 4e siècle, mais elles ne sont pas acceptées par toutes les églises. C’est finalement au 4e siècle que les églises orientales et occidentales s’entendirent sur un corpus de 27 œuvres. C’est le résultat d’un travail œcuménique où les chrétiens de l’est et de l’ouest ont commencé à se visiter, et ont donc fait l’expérience de la catholicité de l’église.

Prochain chapitre: 2. Comment lire le Nouveau Testament

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