John P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire,
v.3, ch. 30 : Jésus et ses relations avec des groupes juifs concurrents: les Hérodiens,
pp 560-565, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Les Hérodiens ont-ils contribué à la mort de Jésus?


Sommaire

Une réponse simple est: non. Nous n’avons aucune donnée montrant que les Hérodiens auraient participé à l’arrestation et à la mort de Jésus. Par contre, il est tout à fait possible qu’Hérode Antipas, qui a fait arrêter et exécuter Jean Baptiste, ait demandé à ses partisans ou ses fonctionnaires d’espionner cet homme qui attirait des foules et parlait d’un royaume qui vient. Mais les deux références de Marc (3, 6; 12, 13) qui associent ces Hérodiens aux Pharisiens pour comploter sa mort ne peuvent pas remonter à un événement historique : ils sont le produit de l’art théologique de Marc qui tient à encadrer le ministère de Jésus, au début dans le cycle de Galilée, et à la fin à Jérusalem, avec une référence symétrique à un complot politico-religieux.


Jésus et les groupes concurrents juifs : les Hérodiens

  1. Qui sont les Hérodiens?

    Le mot grec Herodianoi n’apparaît jamais avant le 1ier siècle de l’ère chrétienne, et seulement dans l’évangile de Marc, Mc 3, 6 (Étant sortis, les Pharisiens tenaient aussitôt conseil avec les Hérodiens contre lui, en vue de le perdre) et Mc 12, 13 (Ils lui envoient alors quelques-uns des Pharisiens et des Hérodiens pour le prendre au piège dans sa parole); le passage de Matthieu (22, 16) est dépendant de Mc 12, 13.

    Notons que la forme du mot grec chez Marc ne représente pas la forme grecque normale pour désigner les Hérodiens qui est plutôt Herodeioi, comme on le voit une fois (et une seule fois) chez l’historien juif Josèphe. Il est probable que Marc utilise ici une translittération de la forme latine d’Hérodiens, Herodiani. Une telle translittération d’une forme latine n’est pas unique, puisqu’on la retrouve avec Kaisarianoi (Caesariani : les troupes ou partisans ou serviteurs de César) et Christianoi (chrétiens en Ac 11, 26; 26, 28; 1 P 4, 16). Ainsi, les Hérodiens désigneraient les serviteurs ou esclaves ou fonctionnaires ou courtisans ou partisans du régime d’Hérode.

    Est-ce que les deux références de Marc jettent plus de lumière sur ce groupe? Mc 3, 1-6 (guérison de l’homme à la main desséché) se situe en Galilée très tôt dans le ministère de Jésus, tandis que Mc 12, 13-17 (question sur l’impôt dû à César) se situe à Jérusalem à la fin de la vie de Jésus. Les Hérodiens apparaissent soudainement aux côté des Pharisiens pour chercher à éliminer Jésus, et disparaissent tout aussi rapidement. La présence des Hérodiens donne une dimension politique aux deux récits, car seul Hérode Antipas pouvait infliger la peine capitale, et le 2e récit aborde un sujet clairement politique : l’impôt dû à César.

    D’un certain point de vue, la présence d’Hérodiens est crédible. Quand on sait qu’Hérode a fait emprisonner et exécuter Jean Baptiste, on imagine facilement qu’il surveillait également de très près les activités de Jésus, d’autant plus que celui-ci parcourait toute la Galilée, attirait de larges foules, parlait d’un royaume qui approchait et que certains croyaient qu’il était de la descendance de David.

  2. Analyse des deux références de Marc

    Mais cette combinaison très nette d’intérêt religieux et politique, avec les Pharisiens et les Hérodiens qui s’unissent pour éliminer Jésus au début et à la fin de son ministère, relève plus de l’art théologique de Marc que d’une présentation historique sobre. La première référence apparaît au point culminant du cycle des controverses de Galilée (Mc 2, 1 – 3, 6), tandis que la deuxième référence apparaît dans le cycle des controverses de Jésus à Jérusalem (Mc 11, 27 – 12, 44), à la fin de son ministère. Ces deux références très symétriques établissent une sorte d’accolade autour du ministère public de Jésus. Que cette polémique théologique soit l’oeuvre de Marc est également suggéré par le fait que la tradition primitive de la passion, qu’il utilise, ne disait absolument pas que les Pharisiens ou les Hérodiens étaient impliqués dans le procès et la mort de Jésus.

    1. La première référence (Mc 3, 6) comporte en elle-même quelques points non crédibles. Tout d’abord, les Pharisiens se trouvaient surtout en Judée et on n’a pas de données sur leur présence significative en Galilée. Ensuite, comment imaginer une décision concertée d’éliminer Jésus alors que nous sommes encore au début de son ministère? Enfin, quand on regarde de près tout le récit de la guérison de l’homme à la main desséchée (Mc 3, 1-6), on se rend compte que Jésus ne pose aucune action physique qui pourrait enfreindre le sabbat : il émet seulement une parole demandant au malade d’étendre la main. Dès lors, l’existence d’une conspiration pour l’éliminer à ce moment ne peut avoir de valeur historique.

    2. La deuxième référence (Mc 12, 13) est une introduction à la controverse sur l’impôt dû à César et n’existe que pour assurer une symétrie avec Mc 3, 6. Elle est une création rédactionnelle de Marc. D’ailleurs, ces Pharisiens et ces Hérodiens ne joueront aucun rôle par la suite dans le récit de la passion.

  3. Conclusion

    D’une part, l’existence d’un groupe de serviteurs ou fonctionnaires ou partisans d’Hérode d’Antipas, appelés Hérodiens, est tout à fait possible. D’ailleurs, Marc et Luc dans d’autres passages (Mc 6, 14-16; Lc 9, 7-9; 13, 31-32; 23, 6-12; Ac 13, 1) reflètent probablement une réalité historique en parlant de l’intérêt malsain d’Hérode Antipas pour les activités de Jésus. Et on comprend facilement qu’il ait pu demander à ses serviteurs ou ses alliés d’espionner ses allées et venues et d’essayer de le discréditer publiquement. Ainsi, il est possible qu’au cours de son ministère Jésus ait eu à discuter avec des partisans d’Hérode Antipas et affronter leur piège verbal.

    Mais d’autre part, les deux passages de Marc, où on voit les Hérodiens associés aux Pharisiens et comploter la mort de Jésus, ne peuvent pas remonter à un événement historique. Ils sont l’oeuvre du travail rédactionnel soit de Marc, soit d’un auteur pré-marcien collectionnant les controverses.

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