Sybil 2008

Le texte évangélique

Jean 8, 1-11

1 Jésus se retira au mont des Oliviers. 2 Mais, dès l'aurore, il était de nouveau au temple où tout le peuple venait vers lui. Assis, il les enseignait. 3 Or, les scribes et les Pharisiens lui amène une femme qui avait été prise en flagrant délit d'adultère et la placèrent au milieu de son lieu d'enseignement. 4 Ils dirent alors à Jésus : « Maître, cette femme-là a été prise en flagrant délit d'adultère. 5 Dans notre Loi, Moïse a prescrit de lapider les femmes de ce genre. Toi, donc, qu'en dis-tu? » 6 Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin de trouver à son égard un motif d'accusation. Mais, se penchant en avant, il se mit à écrire au sol avec le doigt. 7 Or, comme ils persistaient à l'interroger, Jésus se redressa et leur dit : « Que celui qui est sans faute lui jette la première pierre ». 8 Puis, de nouveau, il se pencha en avant pour écrire au sol. 9 Alors, entendant ces paroles de Jésus, les scribes et les Pharisiens commencèrent à quitter les lieux, en commençant par les plus vieux, si bien que Jésus se retrouva seul avec la femme au milieu de la scène. 10 Après s'être redressé, Jésus lui dit : « Madame, où sont tous vos accusateurs? Personne ne vous a condamné? » 11 La femme répondit : « Personne, monsieur. » Alors Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne vous condamne pas. Allez, désormais ne récidivez plus ».

Des études

Quel est le but d'imposer une peine?


Commentaire d'évangile - Homélie

Pourquoi punir peut-il être contreproductif?

James Forman, un professeur de droit à l'université de Yale, qui a passé vingt ans comme avocat de la défense pour de jeunes délinquants, raconte son expérience1. Il nous parle d’abord de David Muhammad d’Oakland. À l’âge de 3 ans, ses parents se sont séparés et il a été élevé avec sa mère et ses deux frères aînés. À l’école on le considère comme doué et talentueux, mais les cours l'ennuient. La rue était plus attrayante et, en neuvième année, il avait trouvé un groupe d'amis avec qui il séchait les cours et vendait de la drogue. À l'âge de 15 ans, sa mère a déménagé à Philadelphie avec son petit ami, laissant Muhammad à la charge de ses frères, âgés de 20 et 21 ans, tous deux aussi impliqués dans le milieu de la drogue à Oakland. Ce qui devait arriver arriva. Il fut arrêté trois fois - pour vente de drogue, tentative de meurtre et possession illégale d'arme à feu. Les deux premières affaires ont été classées sans suite ; il a bénéficié d'une probation pour l'accusation de possession d'arme. On pourrait penser que tout allait mal finir pour lui. Ce fut le contraire.

Aujourd’hui, Muhammad est diplômé de l'université Howard, il dirige une association à but non lucratif à Oakland, un centre de mentorat, et fait partie de la direction du département des services de réinsertion des jeunes du district de Columbia. De plus, pendant deux ans, il a été agent de probation en chef du comté d'Alameda, dans le même système que celui qui l'avait autrefois encadré. Qu’est-ce qui s’est passé?

Peu après sa troisième arrestation, sa petite amie lui a parlé d'un programme, Omega, destiné aux jeunes en difficulté. Muhammad avait des doutes, mais il a accepté d'y participer. Omega avait pour devise : De la prison à l’école, et promettait des bourses d'études aux adolescents qui suivraient le programme. Muhammad a arrêté de vendre de la drogue et a commencé à aller à l'école, où un professeur d'anglais l'a initié aux études noires et où un entraîneur de football a remarqué ses qualités athlétiques. En dernière année, sa moyenne de 0,6 est devenue 3,8 ; Omega a tenu son engagement et l'a aidé à financer son inscription à l'université Howard.

L’histoire de Muhammad survient au moment où, entre 2000 et 2020, le nombre de jeunes incarcérés aux États-Unis a diminué de 77 % et les prisons pour mineurs ont diminué de 58%. Pourquoi? Tout d’abord, au début des années 2000, les médias ont révélé le scandale des prisons pour jeunes où sévissait la violence et la cruauté endémique, ayant des cages individuelles construites sur mesure où les jeunes jugés violents recevaient leurs cours, où ils étaient régulièrement aspergés de gaz lacrymogène, de gaz poivré et contraints à l'isolement. De plus, l’incarcération d’un jeune coûtait en moyenne 88 000$ US, allant jusqu’à 250 000$ US dans certains états. Cela créa une pression pour leur fermeture.

Mais ce que le professeur Forman allait découvrir était plus fondamental. Tout d’abord, il fut surpris de constater la fréquence à laquelle les juges disaient qu'ils enfermaient des adolescents parce qu'ils se souciaient d'eux. On fait référence ici aux jeunes condamnés non pas pour meurtre ou autres crimes graves, qui représentent moins de 10 % du total des crimes, mais aux délits mineurs, comme la vente de drogue ou le vol de voitures. Ces juges trouvaient important de punir, même avec des peines légères de quelques mois de prison, pour faire comprendre aux jeunes que leurs actes avaient des conséquences. Mais une peine, même légère, peut-elle être contreproductive?

Un programme new-yorkais, appelé : projet d'emploi de gens issus des tribunaux, allait faire un constat déterminant. Ce programme offrait une alternative à l'incarcération pour les adolescents délinquants. Les jeunes sélectionnés se répartissaient en deux groupes : certains étaient incarcérés pendant quelques semaines ou un mois, tandis que d'autres avaient été autorisés à rentrer chez eux et à éviter toute incarcération. Or, ceux qui ont été enfermés - même brièvement - avaient moins de chances de réussir que ceux qui ont été libérés. Dix ans plus tard, on a voulu valider ces résultats. On a alors sélectionné au hasard un certain nombre de mineurs, dont certains ont été assignés à un juge sévère, et d’autres, avec des antécédents et des charges similaires, à un juge clément. Le résultat? Les jeunes qui ont été enfermés ont fait pire. Ils avaient 12 % de chances en moins d'obtenir leur diplôme de fin d'études secondaires. Et ils étaient 23 % plus susceptibles d'être incarcérés à l'âge adulte. »

Quand elle lut ce rapport qui suggérait qu'un séjour en détention, même court, pouvait augmenter, et non diminuer, la probabilité qu'un jeune vole ou vandalise à nouveau, Susan Burke, directrice du système de justice pour mineurs de l'Utah, et dont le travail consistait à maintenir les jeunes en prison, demeurait sceptique, jusqu’à ce qu’elle soit confrontée à la situation de son fils. Devant les difficultés de celui-ci, elle décida de l'envoyer dans un programme de traitement de jour. Même si ce retrait n’a été que de trois mois et son fils pouvait rentrer à la maison tous les soirs, il a été néanmoins très traumatisant. Son fils a eu du mal à retourner à l'école, à nouer des amitiés et à entrer en contact avec les gens; on lui demandait sans cesse où il était allé. Tout cela a convaincu Mme Burke que la prison et où toute action qui coupait l’adolescent de son milieu était contreproductive, et que moins de prisons signifie moins de criminalité, moins de criminalité signifie moins de prisons. Bien sûr, beaucoup de ces jeunes ont besoin d'aide et, au cours des trois dernières décennies, on a assisté à une explosion remarquable d'initiatives destinées à leur apporter cette aide. Alors se pose la question : les stratégies qui ont fonctionné pour les jeunes ne seraient-elles pas tout aussi efficaces pour les adultes ?

J’ai pensé utiliser ce constat surprenant pour introduire l’évangile de ce jour qui raconte l’histoire de la femme adultère confrontée au jugement de Jésus; car la même question est posée : faut-il punir? Avant d’entrer dans le récit proprement dit, il vaut la peine de raconter l’histoire du manuscrit de la femme adultère.

Même si le récit de la femme adultère apparaît dans nos bibles dans l’évangile de Jean, ce récit n’a rien de johannique : tout le style et le vocabulaire est lucanien. Qu’est-ce qui s’est passé? Les manuscrits les plus anciens et les plus fiables ignorent totalement ce texte, ainsi que la majorité des Pères de l’Église. Certains manuscrits du 11e et 12e siècle placent ce récit dans l’évangile de Luc, à la suite de Lc 21, 38. C’est au début du 5e siècle qu’il apparaît dans sa place actuelle dans l’évangile de Jean dans la traduction latine de s. Jérôme, appelée : Vulgate, et dans un codex appelé Bezae. Saint Augustin connaît son existence. Qu’est-ce qui a donc pu se passer pour qu’un texte fort probablement authentique de Luc, et dont les Didascalia Apostolorum (3e s.) semble témoigner, disparaisse ainsi? L’explication la plus plausible est que les premières communautés chrétiennes ne se sentaient pas capables de réconcilier ce qui semblait du laxisme de la part de Jésus avec la discipline pénitentielle stricte de l’Église, et c’est seulement lorsque cette discipline fut devenue plus libérale au 5e siècle que le récit de la femme adultère fut considéré comme acceptable. Et comme ce récit était devenu une pièce détachée dont on avait perdu trace de ces origines, on l’inséra dans l’évangile de Jean, juste avant le passage où Jésus dit qu’il ne juge personne (Jn 8, 15).

Relisons le récit. Nous sommes au temple de Jérusalem, tôt le matin, alors que Jésus, assis, enseigne au peuple accroché à ses lèvres. Les scribes, des spécialistes de la Bible, et des Pharisiens, dont le nom signifie : « séparé », i.e. dont l’intégrisme religieux et la piété les séparent de la majorité de la population juive, amènent à Jésus une femme prise en flagrant délit d’adultère. Rappelons que la loi juive interdisait l’adultère, i.e. la relation sexuelle entre un homme (marié ou non) et une femme mariée, car un tel rapport violait le droit de propriété qu’a le mari sur la femme (Ex 20, 14.17). Et la peine encourue était claire : « Si un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, les deux coupables doivent être mis à mort » (Lv 20, 10). Dans notre récit, pourquoi n’amène-t-on que la femme, en oubliant l’homme? L’histoire ne le dit pas. On pose donc à Jésus la question : « La Loi de Moïse a prescrit de lapider les femmes de ce genre. Toi, donc, qu’en dis-tu? » L’auteur du récit précise que c’est une question piège pour trouver un motif d’accusation à son égard : en effet, si Jésus opte pour la lapidation, il enfreint l’interdiction romaine adressée aux Juifs d’exercer la peine capitale (les Juifs devront passer par le romain Pilate pour exécuter Jésus), s’il opte pour la non-lapidation, il enfreint la Loi religieuse juive. Le récit se poursuit avec l’expression de la simili-indifférence de Jésus à la question posée alors qu’il garde silence et se penche plutôt en avant pour écrire au sol avec son doigt. C’est seulement après l’insistance des scribes et des Pharisiens qu’il offre cette réponse qu’on connaît bien : « Que celui qui est sans faute lui jette la première pierre ». Mais que signifie exactement cette réponse?

Commençons par ce que cette phrase ne signifie pas. Elle ne signifie pas qu’un juge de nos tribunaux doit être pur de toute faute pour exercer le jugement. Autrement, personne ne pourrait être juge. Non, on ne parle pas de l’état moral de la personne qui porte un jugement. La clé pour comprendre cette phrase nous est donnée à la fin quand Jésus dit : « Personne ne t’a condamné? » Voilà l’enjeu. Car condamner quelqu’un, s’est établir une séparation entre soi et l’autre, c’est dire qu’on appartient personnellement au monde du bien, et que l’autre appartient au monde du mal, deux pays différents. Puisque nous sommes avec un texte de Luc, considérons les passages suivants de son évangile : « Pensez-vous que si ces Galiléens ont été ainsi massacrés par Pilate, cela signifie qu'ils étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ? » (Lc 13, 2); « Et ces dix-huit personnes que la tour de Siloé a écrasées en s'écroulant, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? » (Lc 13, 4) En d’autres mots, nous sommes tous dans le même bateau, et l’acte d’adultère ou une faute équivalente aurait pu très bien être commise par soi; l’être qu’on veut condamner n’est pas un étranger, mais un frère et une sœur, dans la même famille. En condamnant, on entre dans un mensonge sur soi.

L’auteur termine ce récit en racontant le départ des scribes et des Pharisiens en commençant par les plus « sages », i.e. les anciens, ce qui nous fait habituellement sourire. Mais cela doit être interprété comme la prise de conscience que l’humanité est une, qu’il est impossible de condamner l’autre sans se condamner soi-même, qu’il est impossible de punir l’autre sans se punir soi-même.

Faut-il renoncer à dénoncer le mal? Pas du tout. Et l’attitude de Jésus n’est pas du laxisme. Écoutons-le : « Moi non plus, je ne condamne pas. Va, désormais ne récidive plus ». Pour moi, l’image qui me guide est celle d’une mère aimante devant un enfant qui s’égare sur un mauvais chemin. La situation de son enfant lui fait terriblement mal, car c’est la chair de sa chair qui s’égare. Va-t-elle dire : « Je coupe les ponts »? Va-t-elle dire : « Je vais te punir? ». Non, elle n’a qu’un seul but : que son enfant retrouve son chemin; elle sait qu'il a besoin d'aide. Condamner, punir, imposer une peine, tout cela est contreproductif.


1 Cet article a été publié le 28 janvier 2025 dans le New York Times sous le titre: What Happened When America Emptied Its Youth Prisons. Voici la traduction française du texte complet.

 

-André Gilbert, Gatineau, février 2025

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