Raymond E. Brown, Introduction au Nouveau Testament,
Partie II : Les évangiles et les œuvres connexes

(Résumé détaillé)


Chapitre 11 : L'Évangile selon Jean


Résumé des informations de base

  1. Date : 80-110. Ceux qui pensent que l'Évangile a été rédigé (édité) par une autre main après que le rédacteur principal l'ait composé peuvent placer le corps de l'Évangile dans les années 90 et les ajouts d'un éditeur vers 100-110, à peu près à la même époque que 3 Jean.

  2. L’auteur selon la tradition (2e siècle) : Jean, fils de Zébédée, l'un des Douze

  3. L’auteur à partir du contenu : Celui qui se place dans la tradition du disciple que Jésus aimait. Si l'on suppose qu'il y a eu un éditeur, il est possible qu'il se soit inscrit dans la même tradition. Il est plausible qu'il y ait eu une école de disciples rédacteurs johanniques.

  4. Lieu de composition : Traditionnellement et plausiblement la région d'Ephèse, mais certains optent pour la Syrie.

  5. Unité : Certains pensent que les sources (collection de "signes" ; collection de discours ; récit de la passion) ont été combinées ; d'autres pensent à un processus de plusieurs éditions. Dans un cas comme dans l'autre, il est plausible que le corps de l'Évangile ait été achevé par un seul auteur, et qu'un éditeur ait ensuite fait des ajouts (chap. 21 : peut-être 1:1-18) ; mais aucun texte de l'Évangile n'a été conservé sans ces "ajouts".

  6. Intégrité : L'histoire de la femme prise en flagrant délit d'adultère (7, 53 - 8, 11) est une insertion absente de nombreux manuscrits.

  7. Une structure de l’Évangile :

    1, 1-18 : Prologue : Une introduction et un résumé de la carrière du Verbe incarné

    1, 19 – 12, 50 : Première partie : Le livre des signes : Le Verbe se révèle au monde et aux siens, mais ceux-ci ne l'acceptent pas

    1. Les premiers jours de la révélation de Jésus à ses disciples sous différents titres (1, 19 - 2, 11).
    2. Du premier au deuxième miracle de Cana ; thèmes du remplacement et des réactions à Jésus (chapitres 2-4) : changer l'eau en vin, purifier le Temple, Nicodème, la Samaritaine au puits, guérir le fils du fonctionnaire royal.
    3. Les fêtes de l'Ancien Testament et leur remplacement ; les thèmes de la vie et de la lumière (chapitres 5-10) :
      Sabbat : Jésus, le nouveau Moïse, remplace l'ordonnance du sabbat pour se reposer (5, 1-47) ;
      Pâques : Le pain de vie (la sagesse révélatrice et l'eucharistie) remplace la manne (6, 1-71) ;
      Tabernacles : La Source d'eau vive et la Lumière du monde, remplace les cérémonies de l'eau et de la lumière (7, 1 – 10, 21) ;
      Dédicace : Jésus est consacré à la place de l'autel du Temple (10, 22-42).
    4. La résurrection de Lazare et ses suites (chapitres 11-12) : Lazare ressuscité, Jésus condamné à mort par le Sanhédrin, Marie, la sœur de Lazare, oint Jésus pour l'ensevelir, entrée à Jérusalem, fin du ministère public et arrivée de l'heure signalée par l'arrivée des païens.

    13, 1 – 20, 31 : Deuxième partie : Le Livre de la Gloire : À ceux qui l'acceptent, le Verbe montre sa gloire en retournant auprès du Père dans la mort, la résurrection et l'ascension. Pleinement glorifié, il communique l'Esprit de vie.

    1. La dernière Cène et le dernier discours de Jésus (chapitres 13-17) :
      1. La Cène (chap. 13) : le repas, le lavement des pieds, la trahison de Judas, introduction au discours (commandement de l'amour, reniements de Pierre annoncés) ;
      2. Le dernier discours de Jésus (chapitres 14-17) :
        Première division (chap. 14) : Le départ de Jésus, la demeure divine, le Paraclet ;
        Deuxième division (chap. 15-16) : la vigne et les sarments, la haine du monde, le témoignage du Paraclet, thèmes répétés de la première division ;
        Troisième division (chap. 17) : la prière "sacerdotale".
    2. La passion et la mort de Jésus (chap. 18-19) : arrestation, enquête devant Annas avec les reniements de Pierre, procès devant Pilate, crucifixion, mort et sépulture.
    3. La résurrection (20:1-29) : quatre scènes à Jérusalem (deux au tombeau, deux à l'intérieur d'une chambre). Conclusion de l'Évangile (20:30-31) : Déclaration du but de l'écriture.

    21, 1-25 Épilogue : Les apparitions galiléennes de la résurrection ; deuxième conclusion.

  1. Les traits stylistiques

    1. Un format poétique

      Dans certaines sections, on retrouve un style poétique formel, même marqué par des strophes, par exemple le Prologue et peut-être Jean 17. Mais la question soulevée ici est beaucoup plus large : il s'agit d'un modèle solennel unique dans les discours johanniques que certains qualifieraient de semipoétique. Le trait caractéristique de cette poésie ne serait pas le parallélisme des lignes (comme dans l'AT) ou la rime, mais le rythme, c'est-à-dire des lignes de longueur approximativement égale, chacune constituant une clause. Que l'on soit d'accord ou non pour que les discours soient imprimés sous forme poétique, le fait que Jésus parle de façon plus solennelle dans Jean que dans les Synoptiques est évident. Une explication s'inspire de l'AT : La parole divine (Dieu à travers les prophètes ou la Sagesse divine personnifiée) y est poétique, marquant une différence avec la communication humaine plus prosaïque. Le Jésus johannique vient de Dieu, et il est donc approprié que ses paroles soient plus solennelles et sacrées.

    2. L’incompréhension

      Jésus, le Verbe fait chair, doit utiliser le langage d'en bas pour transmettre son message. Pour faire face à cette anomalie, il emploie fréquemment un langage figuré ou des métaphores pour se décrire ou pour présenter son message. Dans le dialogue qui s'ensuit, le questionneur comprendra mal la figure ou la métaphore, et n'en retiendra qu'un sens matériel. Cela permet à Jésus d'expliquer sa pensée plus en profondeur et de déployer ainsi sa doctrine.

    3. Les doubles sens

      Parfois en jouant sur les malentendus, parfois en montrant simplement l'aspect multiforme de la révélation, on peut souvent trouver un double sens dans les propos de Jésus :

      1. Il y a d’abord les jeux de mot sur le sens basés soit sur l'hébreu soit sur le grec ; parfois l'interlocuteur peut prendre un sens, alors que Jésus entend l'autre : « élevé » (crucifixion et retour à Dieu) ; « eau vive » (eau qui coule et eau qui donne la vie) ; « mourir pour (à la place ou au nom de)

      2. Puis, il y a plusieurs niveaux de signification dans le même récit ou dans la même métaphore. Ainsi, il y a un sens approprié au contexte historique du ministère public de Jésus, mais il peut y avoir un second sens reflétant la situation de la communauté chrétienne croyante. Par exemple, la prédiction de Jésus selon laquelle le sanctuaire du Temple serait détruit et remplacé en 2, 19-22 est réinterprétée pour faire référence à la crucifixion et à la résurrection du corps de Jésus. Le discours sur le pain de vie semble faire référence à la révélation et à la sagesse divines en 6,35-51a et à l'eucharistie en 6,51b-58. L'image de l'Agneau de Dieu peut avoir eu trois significations différentes : agneau apocalyptique, agneau pascal, et serviteur souffrant qui est allé à l'abattoir comme un agneau)

      3. Il y a aussi les doublets dans les discours. Il arrive qu'un discours de Jésus semble dire essentiellement la même chose qu'un discours déjà rapporté, parfois au point de correspondre d'un verset à l'autre. Un éditeur, travaillant sur l’évangile de base, aurait trouvé dans la tradition d'autres versions de discours qui dupliquent en partie les versions que l'évangéliste avait incluses et les a ajoutées à un endroit approprié de peur qu'elles ne soient perdues.

    4. L’ironie

      On trouve une combinaison particulière de double sens et d'incompréhension lorsque les adversaires de Jésus font à son sujet des déclarations désobligeantes, sarcastiques, incrédules ou, du moins, inadéquates au sens où ils l'entendent. Cependant, par le biais de l'ironie, ces déclarations sont souvent vraies ou plus significatives dans un sens que les orateurs ne réalisent pas. (« Rabbi, nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu… » 3, 2; « Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob… » 4, 12 ; « N’est-ce pas Jésus, le fils de Joseph? » 6, 42 ; « Va-t-il rejoindre ceux qui sont dispersés parmi les Grecs? » 7, 35 ; « Est-ce que, par hasard, nous [les Pharisiens] serions des aveugles, nous aussi? » 9, 40-41 ; « c’est votre avantage qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière » 11, 50.)

    5. Les inclusions et les transitions

      L’inclusion désigne le fait que Jean mentionne un détail (ou fait une allusion) à la fin d'une section qui correspond à un détail similaire au début de la section. C'est une façon d'emballer les sections en liant le début et la fin. Les grandes inclusions sont 1, 1 avec 20, 28; 1, 28 avec 10, 40 ; les petites inclusions sont 1, 19 avec 1:28 ; 2, 11 avec 4, 54 ; 9, 2-3 avec 9, 41 ; 11, 4 avec 11, 40. Quant aux transitions d'une subdivision de l'Évangile à la suivante, l'évangéliste aime utiliser un motif ou une section « pivot » (« charnière ») : un motif conclut ce qui précède et introduit ce qui suit. Par exemple, le miracle de Cana met fin à l'appel des disciples au chapitre 1 en accomplissant la promesse de 1, 50, mais ouvre également la subdivision suivante de 2, 1 – 4, 54, qui va du premier miracle de Cana au second. Le second miracle de Cana conclut cette subdivision, mais en soulignant le pouvoir de Jésus de donner la vie (4, 50), il prépare la subdivision suivante (5, 1 – 10, 42) où l'autorité de Jésus sur la vie sera remise en question.

    6. Les parenthèses ou notes en pied de page

      Jean fournit fréquemment des notes parenthétiques,
      • expliquant la signification de termes ou de noms sémitiques (par exemple, « Messie », « Céphas », « Siloé », « Thomas »),
      • offrant un contexte pour les développements dans le récit et pour les caractéristiques géographiques (par exemple, « il ne savait pas d’où venait le vin » , 2, 9 ; « Jean, en effet, n’avait pas encore été jeté en prison » 3, 24 ; « Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger » 4, 8 ; « Il désignait ainsi Judas, fils de Simon l’Iscariote » 6:71 ; etc.),
      • et même en fournissant des perspectives théologiques (par exemple, en clarifiant des références d'un point de vue ultérieur comme « Mais lui parlait du temple de son corps » en 2, 21-22 ; « Il désignait ainsi l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui » en 7:39, etc.),
      • ou en protégeant la divinité de Jésus (« il savait, quant à lui, ce qu’il allait faire » en 6, 6).
      Certains de ces cas peuvent refléter une situation où une tradition transmise d'abord dans un contexte (palestinien ou juif) est maintenant proclamée dans un autre contexte (diaspora ou païen).

  2. Analyse générale et le message

    1. Prologue (1, 1-18)

      Servant de préface à l'Évangile, le Prologue est un hymne qui résume la vision que Jean a du Christ. Un être divin vient dans le monde et se fait chair. Bien qu'il soit rejeté par les siens, il permet à tous ceux qui l'acceptent de devenir des enfants de Dieu, de sorte qu'ils participent à la plénitude de Dieu, un don reflétant l'amour durable de Dieu qui surpasse le don d'amour de la Loi par Moïse. L'arrière-plan de cette description poétique de la descente du Verbe dans le monde et du retour éventuel du Fils auprès du Père réside dans l'image de la Sagesse personnifiée de l'AT (en particulier Siracide 24 et Sagesse 9) qui était au commencement avec Dieu lors de la création du monde et qui est venue habiter avec les êtres humains lorsque la Loi a été révélée à Moïse. Conformément à la tradition selon laquelle le ministère de Jean-Baptiste est lié au début de celui de Jésus, le Prologue est interrompu deux fois, à savoir pour mentionner Jean-Baptiste avant que la lumière ne vienne dans le monde et pour enregistrer le témoignage de Jean-Baptiste à Jésus après que le Verbe se soit fait chair.

    2. Première partie : Le livre des signes (1, 19 – 12, 50)

      Cette partie de l'Évangile montre que Jésus amène différents types de personnes à croire en lui, tout en provoquant l'hostilité de nombreux « Juifs ». À la fin (12, 39-40), l'Évangile cite Isaïe 6, 10, selon lequel Dieu a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs pour qu'ils ne voient pas. Ainsi, ce « Livre » illustre le thème du Prologue : « C'est aux siens qu'il est venu, mais les siens ne l'ont pas accueilli ».

      1. Les premiers jours de la révélation de Jésus à ses disciples sous différents titres (1, 19 - 2, 11)

        Dans un schéma de journées distinctes, Jean montre une reconnaissance progressive de qui est Jésus. Le premier jour, Jean-Baptiste explique son propre rôle, rejetant les identifications élogieuses et prédisant la venue de celui dont il n'est pas digne. Le jour suivant, comme il sied à « un envoyé de Dieu », Jean-Baptiste reconnaît avec perspicacité que Jésus est l'Agneau de Dieu, qu'il a existé auparavant et qu'il est l'élu de Dieu. Le lendemain, Jésus est suivi par André et un autre disciple de Jean-Baptiste (celui qui, dans la deuxième partie de l'Évangile, deviendra le disciple que Jésus aimait?) André salue Jésus comme maître et Messie, et Simon (le frère d'André) est amené à Jésus, qui le nomme « Céphas » (c'est-à-dire rocher = Pierre). Le jour suivant, il (André, Pierre ou Jésus?) trouve Philippe, qui à son tour trouve Nathanaël, et Jésus est identifié successivement comme celui qui est décrit dans la loi mosaïque et les prophètes, comme le Fils de Dieu et le Roi d'Israël. Pourtant, Jésus promet qu'ils verront des choses bien plus grandes et parle de lui-même comme du Fils de l'Homme sur lequel les anges montent et descendent. Les « choses bien plus grandes » semblent commencer à Cana, le troisième jour, lorsque Jésus change l'eau en vin et que ses disciples viennent à croire en lui.

        Certains accents théologiques johanniques apparaissent dans cette première sous-section. Une atmosphère juridique colore le récit, par exemple, Jean-Baptiste est interrogé par « les Juifs », il témoigne et ne nie pas, une indication qu'une partie de la tradition johannique a été façonnée dans un contexte judiciaire, peut-être dans une synagogue où les chrétiens étaient interrogés sur leur croyance en Jésus. En ce qui concerne la christologie, il ne peut guère être accidentel que Jean place dans ces premiers jours les confessions de Jésus sous nombre des titres traditionnels que nous trouvons éparpillés dans les autres évangiles, le plus souvent plus tard dans le ministère. Cette sous-section dépeint également la vie de disciple. Jésus pose une première question en 1, 38 : « Que cherchez-vous? », suivie en 1, 39 par « Venez et voyez ». Pourtant, ce n'est que lorsqu'ils restent avec lui que les premiers disciples deviennent des croyants. Puis, selon un schéma cohérent, les premiers disciples partent annoncer Jésus aux autres avec une perception christologique approfondie par cette action même, comme l'illustrent les titres « supérieurs » donnés à Jésus jour après jour.

      2. Du premier au deuxième miracle de Cana (chapitres 2-4)

        • (2, 1-10) Le premier miracle de Cana. Jean l’appelle un signe et consiste à remplacer l'eau prescrite pour les purifications juives (dans des jarres de pierre contenant environ 250 litres) par un vin si bon que le maître d'hôtel se demande pourquoi le meilleur a été gardé pour la fin. Cela représente la révélation et la sagesse qu'il apporte de la part de Dieu (Pr 9, 4-5 ; Si 24, 20), réalisant ainsi les promesses de l'AT d'une abondance de vin aux jours messianiques (Am 9, 13-14 ; Gn 49, 10-11). Un motif entrelacé implique la mère de Jésus, dont la demande de type familial au nom des jeunes mariés (« Ils n'ont pas de vin ») est rejetée par Jésus au motif que son heure n'a pas encore sonné. Cependant, la persistance de la mère qui honore les conditions de Jésus (« Faites tout ce qu'il vous dira ») l'amène à accéder à sa demande initiale, comme dans le second signe de Cana où la persistance du fonctionnaire royal obtient gain de cause après une rebuffade. Entre-temps, dans un verset de transition (2, 12), nous apprenons qu'elle et les « frères » de Jésus l'ont suivi jusqu'à Capharnaüm, sans aller plus loin, alors que Jésus poursuit sa route jusqu’à Jérusalem.

        • (2, 13-25) Jésus et le temple. Alors que la scène parallèle de la purification du temple dans les Synoptiques a lieu juste avant la mise à mort de Jésus et sert à l’accuser faussement lors du procès devant le Sanhédrin, chez Jean, la scène est placée au début du ministère de Jésus : la déclaration sur le sanctuaire est sur les lèvres de Jésus (formulée, cependant, comme « Détruisez », et non comme « Je détruirai ») ; et le remplacement n'est pas un autre sanctuaire, mais le même qui sera ressuscité. Jean entend illustrer l'incompatibilité totale entre Jésus et les siens qui ne le reçoivent pas. Dans l'interprétation de Jean, le sanctuaire est aussi le corps de Jésus, « détruit » par « les Juifs » mais ressuscité par Jésus. Ainsi, le Temple de Jérusalem, qui a été transformé en marché, a été remplacé par le corps de Jésus comme le véritable lieu saint. Selon 2, 23-25, beaucoup à Jérusalem ont cru en Jésus à cause des signes qu'il faisait, mais il n'a pas fait confiance à leur foi parce qu'elle s'arrêtait à l'aspect miraculeux du signe et ne percevait pas ce qui était signifié. Cette observation transitoire présente l'un de ces croyants potentiels à Jésus qui apparaît dans la sous-section suivante.

        • (3, 1-21) Nicodème. C’est le premier des importants dialogues johanniques. Ce pharisien, membre du Sanhédrin, vient à Jésus « la nuit » (c'est-à-dire parce qu'il n'appartient pas encore à la lumière) et le reconnaît comme un « maître venu de Dieu ». Par cette désignation, Nicodème entend seulement « suscité par Dieu », alors que Jésus est réellement venu de Dieu. Nicodème est donc un porte-parole représentatif d'une foi inadéquate, comme cela devient évident lorsque Jésus explique que seule l'engendrement d'en haut permet d'entrer dans le royaume de Dieu, c'est-à-dire l'engendrement d'eau et d'Esprit. Le Jésus johannique parle de la vie même de Dieu qui ne s'acquiert que lorsqu'on est engendré par Dieu (« d'en haut »), ce qui se produit lorsqu'on est baptisé dans l'eau et qu'on reçoit l'Esprit de Dieu. Nicodème pense à la naissance naturelle d'une mère juive qui fait de quelqu'un un membre du peuple élu, un peuple que l'AT considère comme l'enfant de Dieu. Le Jésus johannique remplace donc radicalement ce qui constitue les enfants de Dieu, remettant en question tout statut privilégié découlant de la parenté naturelle. L'ironie typiquement johannique apparaît quand Nicodème dit « Nous savons » mais ne peut pas comprendre, tandis que Jésus, parlant au nom de ceux qui croient, dit : « Nous parlons de ce que nous savons et nous témoignons de ce que nous avons vu ». La certitude de Jésus sur la nécessité d'engendrer d'en haut découle de sa propre venue d'en haut. Le dialogue devient maintenant un monologue, tandis que Nicodème s'évanouit dans l'obscurité d'où il est venu. En 3, 15-21, Jésus proclame pour la première fois la théologie johannique fondamentale de l'incarnation salvatrice : Il est le Fils de Dieu venu dans le monde en apportant la vie même de Dieu, de sorte que quiconque croit en lui a la vie éternelle et a déjà passé à travers le jugement.

        • (3, 22-30) Dernier témoignage de Jean-Baptiste. L'opposition à Jésus de la part des disciples de Jean-Baptiste permet à ce dernier de préciser une fois de plus qui il n'est pas et la grandeur de celui pour lequel il s'est préparé. L'image est celle du meilleur ami de l'époux qui veille avec protection sur la maison de l'épouse (Israël), attendant d'entendre l'approche de l'époux (Jésus) qui vient la chercher pour l'emmener chez lui.

        • (3, 31 – 4, 1-3) Un discours. Ce discours semble répéter des choses dites plus tôt, soutenant ainsi la thèse de ceux qui prétendent qu'un éditeur a complété le travail de l'évangéliste en ajoutant d'autres formes de matériel qui s'y trouvait déjà. Cependant, le contexte suggère que Jean-Baptiste est le locuteur. Comme Jésus, il a été envoyé par Dieu, et donc parle-t-il comme Jésus ? Ensuite, 4,1-3 assure une transition géographique de la Judée vers la Galilée.

        • (4, 4-42) La rencontre avec la Samaritaine. C’est le premier exemple complet de la capacité dramatique johannique. Il s'agit d'un personnage qui est plus qu'un individu et qui a été développé pour servir de porte-parole à un type particulier de rencontre de foi avec Jésus. La représentation est centrée sur la manière dont on arrive à la foi et sur les nombreux obstacles qui se dressent sur son chemin. La jeune femme, qui a subi l'injustice du traitement réservé par les Juifs aux femmes samaritaines, repousse la demande de Jésus de lui donner à boire. Jésus ne répond pas à son objection, mais à ce qu'il peut lui donner, c'est-à-dire de l'eau vive qu'elle prend pour de l'eau courante, lui demandant avec mépris s'il se croit plus grand que Jacob. Par ironie johannique, Jésus est plus grand ; mais une fois de plus, Jésus refuse de se laisser distraire et explique qu'il parle de l'eau qui jaillit pour la vie éternelle, une eau qui mettra définitivement fin à la soif. Avec une touche magistrale, Jean montre qu'elle est attirée par la commodité de ne pas avoir à se rendre au puits. Puis, dans un style typiquement johannique, Jésus déplace le centre d'intérêt vers son mari afin de progresser d'une autre manière. Sa réponse est une demi-vérité et Jésus, qui est omniscient, montre qu'il est parfaitement au courant de ses cinq maris et de sa vie avec un homme qui n'est pas son mari. Le fait même que l'histoire se poursuive montre que l'effort de Jésus pour l'amener à la foi ne sera pas bloqué par l'obstacle d'une vie loin d'être parfaite, même si elle doit le reconnaître. Confrontée à une connaissance aussi surprenante de sa situation, la femme passe finalement à un niveau religieux, cherchant à éviter d'être sondée davantage en évoquant une dispute théologique entre Juifs et Samaritains sur la question de savoir si Dieu doit être adoré dans le Temple de Jérusalem ou sur le mont Gerizim, dans cette même région. Une fois de plus, Jésus refuse de se laisser détourner de sa route ; en effet, bien que le salut vienne des Juifs, un temps vient et est déjà là où une telle question n'a plus lieu d'être, car le culte sur les deux sites sacrés sera remplacé par un culte en Esprit et en vérité. Avec agilité, la femme cherche une fois de plus à éviter la question personnelle en changeant de perspective et en se plaçant dans un avenir lointain, lorsque le Messie viendra ; mais Jésus ne la laissera pas s'échapper. Son « Je (le) suis » la confronte à une exigence actuelle de foi.

          Jean adopte maintenant en 4, 27-39 la technique de la double scène, rapportant la réaction des disciples qui reviennent sur le devant de la scène au puits, tandis que la femme s'en va en coulisses au village. Bien que les disciples aient été avec Jésus, leur incompréhension de la nourriture de Jésus est tout aussi grossière que l'incompréhension de l'eau par la femme. L'hésitation de la femme : « Serait-ce là le Messie? » signifie qu'elle cherche un renfort, qui lui est fourni par les Samaritains du village qui viennent à croire lorsqu'ils rencontrent Jésus. Les paroles qu'ils lui adressent : « Notre foi ne dépend plus de ton récit, car nous l'avons entendu nous-mêmes » reflètent la théologie johannique selon laquelle tous doivent entrer en contact personnel avec Jésus. Il est plausible que ce récit reflète l'histoire johannique dans laquelle les Samaritains sont entrés dans la communauté aux côtés des Juifs, mais cela n'est pas clair. Plus évidente est la continuité du thème du remplacement (ici le remplacement du culte au Temple) et le contraste entre la foi plus ouverte des Samaritains et la croyance moins adéquate de ceux de Jérusalem et de Nicodème.

        • (4, 43-54) Le deuxième signe à Cana. Ce récit ressemble à la première histoire de Cana en ce sens que le demandeur est repoussé mais persiste et voit sa demande exaucée. L'histoire du fils du fonctionnaire royal est probablement une troisième variante de l'histoire du serviteur du centurion qui a deux formes légèrement différentes en Mt 8, 5-13 et Lc 7, 1-10. Les variantes sont d'un type qui pourrait survenir dans la tradition orale. Dans la séquence des thèmes johanniques, la transition 4, 43-45 parle d'une foi insuffisante qui n'honore pas un prophète dans son propre pays. Cela crée un contraste avec la foi illustrée par le fonctionnaire royal qui croit que ce que Jésus a dit se produira et retourne chez lui sur la base de cette croyance, entraînant finalement toute sa famille dans la foi. À Nicodème, Jésus avait parlé d'un engendrement/une naissance d'en haut (qui donne la vie) ; à la Samaritaine, il avait parlé de l'eau qui jaillit pour la vie éternelle ; maintenant, il donne la vie au fils du fonctionnaire royal. Cela prépare une phrase clé de la prochaine subdivision, selon laquelle le Fils donne la vie à qui il veut.

      3. Les fêtes de l'Ancien Testament et leur remplacement (chapitres 5-10)

        Cette section commence avec le thème de la vie et se poursuivra avec celui de la lumière, des motifs anticipés dans le Prologue. Un motif plus dominant, cependant, est la séquence des fêtes juives qui traversent cette subdivision (sabbat, Pâque, Tentes, Dédicace), et à chaque fois, quelque chose que Jésus fait ou dit joue sur un aspect significatif de la fête et le remplace dans une certaine mesure.

        • (5, 1-47) Guérison d’un paralytique et discours. Le jour du sabbat, Jésus guérit et donne ainsi la vie, ce qui entraîne un dialogue hostile. La combinaison d'un miracle et d'un discours/dialogue qui fait ressortir la valeur de signe du miracle est une technique johannique. Ici, à l'occasion d'une « fête des Juifs » sans nom, qui est aussi un sabbat, Jésus guérit un homme qui attendait sa guérison à la piscine de Bethesda. L'ordre qu'il donne de prendre le tapis viole la loi du sabbat (comme le vérifieront plus tard les directives codifiées de la Mishna). L'explication que Jésus donne aux « Juifs » ne fait pas appel à des motifs humanitaires, mais à son autorité suprême. La logique semble être que, bien que les gens ne doivent pas travailler le jour du sabbat, Dieu continue à travailler ce jour-là. Dieu est le Père de Jésus, et le Père a donné au Fils le pouvoir sur la vie et la mort. « Les Juifs » saisissent ce qui est revendiqué ; « ils cherchaient d'autant plus à le tuer que non seulement il violait le sabbat mais, pire encore, il parlait de Dieu comme de son propre Père, se faisant ainsi l'égal de Dieu ». Ainsi, plus que dans les autres évangiles, chez Jean une antipathie mortelle à l'égard de Jésus apparaît dès le début et de façon constante, et sa prétention à la divinité est affirmée clairement. Comme l’ont fait remarqué de nombreux biblistes, nous aurions ici deux niveaux : des souvenirs de l'hostilité à l'égard de Jésus pendant son ministère sur lesquels se sont superposées les expériences ultérieures de ses disciples qui ont été accusés de dithéisme par les autorités juives, c'est-à-dire d'avoir fait de Jésus un Dieu et d'avoir ainsi violé le principe fondamental d'Israël : Le Seigneur notre Dieu est unique. La réponse de 5, 19-30 est subtile : le Fils ne fait rien de lui-même, mais le Père lui a donné toutes choses. En 5, 31-47, cinq arguments sont avancés comme des témoignages, comme s'ils étaient avancés dans des débats de synagogue :
          1. Dieu (un autre) a témoigné en faveur de Jésus,
          2. de même Jean-Baptiste a témoigné,
          3. les œuvres que Jésus accomplit,
          4. l'Écriture,
          5. Moïse a écrit sur Jésus.

        • (6, 1-71) Multiplication des pains/poissons et discours. Cela se passe à Pâques. Alors que Marc et Matthieu présentent deux scènes de multiplications des pains, Jean en présente une seule, avec certains détails parfois proches de la première, parfois de la seconde. L'introduction de Philippe et d'André comme personnages qui se préparent à la réponse de Jésus est typiquement johannique; et Jean présente des caractéristiques particulières qui pourraient renforcer le symbolisme eucharistique de la multiplication. La combinaison de la nourriture merveilleusement fournie et de la marche sur l'eau fait écho aux miracles de Moïse dans l'Exode après la première Pâque (manne, Mer Rouge), de même que le murmure de 6, 41 correspond à l'action similaire d'Israël dans l'errance dans le désert. Il s'ensuit une comparaison entre Jésus et Moïse : Moïse n'a pas donné le vrai pain du ciel parce que ceux qui ont mangé la manne sont morts. Contrairement au récit synoptique, la foule réagit, mais sa compréhension des choses ne va pas au-delà du miraculeux, et elle ne saisit pas Jésus n'est pas venu simplement pour satisfaire la faim terrestre, mais pour donner un pain qui nourrirait les gens pour la vie éternelle.

          Dans le discours qui suit, Jésus proclame qu’il est le Pain de Dieu, de sorte qu'il faut croire au Fils pour avoir la vie éternelle. Notons d’abord que le langage : « Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais plus soif », fait écho à la promesse de la Sagesse divine dans le Si 24, 21. Ensuite, Jésus est une nourriture dans un autre sens, car il faut se nourrir de sa chair et de son sang pour avoir la vie éternelle, un langage évocateur de l'eucharistie. En effet, 6, 51b, « Le pain que je donnerai est ma propre chair pour la vie du monde », pourrait bien être la formule eucharistique johannique comparable à « Ceci est mon corps qui est (donné) pour vous" de Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24. Prises dans leur ensemble, les deux parties du discours de Jean 6 révèlent que Jésus nourrit ses disciples à la fois par sa révélation et par sa chair et son sang eucharistiques. En réponse, certains des disciples de Jésus murmurent à propos de cet enseignement tout comme « les Juifs ». Au niveau du ministère de Jésus, cette réaction défavorable concerne ses affirmations sur les origines célestes du Fils de l'homme ; au niveau de la vie communautaire, elle peut refléter le rejet par d'autres chrétiens d'une vision élevée de l'eucharistie.

        • (7, 1-52) La fête des Tentes ou des Tabernacles. Cette fête de pèlerinage de huit jours au cours de laquelle les Juifs montaient à Jérusalem, en plus de célébrer les vendanges de septembre/octobre, était marquée par des prières pour la pluie. Une procession quotidienne, partant de la piscine de Siloé, apportait de l'eau en libation au Temple, où la cour des femmes était éclairée par d'immenses torches, d'où les thèmes de l'eau et de la lumière. Refusant une demande de ses « frères » qui sent l'incrédulité, Jésus monte à Jérusalem de sa propre initiative et en secret. Les pensées à son sujet provoquent une division, reflétant le thème de Jean selon lequel Jésus amène les gens à se juger eux-mêmes. Le dialogue de Jésus avec « les Juifs » rappelle l'hostilité antérieure liée à la violation de la loi mosaïque et se termine par un avertissement selon lequel il ne restera pas longtemps et s'en va vers celui qui l'a envoyé. Le remplacement du thème de l'eau de la fête est mis en évidence le dernier jour des Tentes, lorsque Jésus annonce que de son intérieur (lecture la plus probable) couleront des fleuves d'eau vive, c'est-à-dire l'Esprit qui sera reçu lorsqu'il sera glorifié. La division au sujet de Jésus, qui conduit à l'échec d'une tentative d'arrestation, amène Nicodème à revenir sur la scène, à défendre Jésus mais à ne pas professer qu'il est croyant.

        • (8, 12-59) Jésus lumière du monde. L'atmosphère juridique du témoignage défensif contre les accusations juives revient, et la situation devient très hostile, par exemple, les suggestions d'illégitimité, les accusations selon lesquelles le diable est le père des adversaires. L'histoire se termine par l'une des déclarations les plus impressionnantes attribuées à Jésus dans le NT, « Avant même qu'Abraham n'existe, je suis », qui entraîne une tentative de lapidation de Jésus (implicitement pour blasphème).

        • (9, 1-41) L’aveugle-né. Cette scène est le chef-d'œuvre du récit dramatique johannique, si soigneusement élaboré que pas un seul mot n'est gaspillé. Le motif de la « lumière du monde » et la référence à la piscine de Siloé établissent une relation lâche avec la fête des Tentes qui a manifestement retenu Jésus à Jérusalem. L'aveugle-né représente un type particulier de rencontre de la foi avec Jésus. La Samaritaine est un exemple des obstacles possibles lors de la première rencontre avec Jésus. L'aveugle, qui s'est lavé dans les eaux de Siloé (le nom est interprété comme « l'envoyé », une désignation johannique de Jésus), est l'exemple de celui qui est éclairé lors de la première rencontre, mais qui ne saisira vraiment l’identité de Jésus que plus tard, après avoir subi des épreuves et avoir été chassé de la synagogue. On pourrait y voir un message adressé aux chrétiens johanniques qui ont vécu une expérience similaire, les encourageant à reconnaître qu'à travers leurs épreuves, ils ont eu l'occasion de parvenir à une foi beaucoup plus profonde que lors de leur première rencontre avec le Christ. L'intensification de la série de questions auxquelles l'aveugle-né est soumis, l'hostilité et l'aveuglement croissants des interrogateurs qui l'expulsent de la synagogue, la perception croissante de Jésus par l'aveugle au cours des interrogatoires, et la tentative appréhensive des parents d'éviter de prendre position pour ou contre Jésus - tout cela est développé de façon magistrale en un drame qui pourrait facilement être joué sur une scène pour illustrer comment, avec la venue de Jésus, ceux qui prétendaient voir sont devenus aveugles et ceux qui étaient aveugles ont recouvré la vue.

        • (10, 1-21) Le bon berger. Ce discours s'adresse aux pharisiens que Jésus vient d’accuser d'être aveugles. Chez Jean, il y a un mélange de métaphores offrant différentes manières de regarder la même réalité : Jésus est la porte par laquelle le berger va vers les brebis, et par laquelle les brebis rentrent au bercail et vont paître; et Jésus est le berger modèle qui connaît ses brebis par leur nom et est prêt à donner sa vie pour elles. Au niveau du ministère de Jésus, cela s'adresse aux Pharisiens qui sont l'audience imaginée ; au niveau de la vie de l'église johannique, cela peut être une critique des autres chrétiens qui ont introduit des bergers humains (pasteurs) qui pourraient sembler rivaliser avec les prétentions du Christ. Le célèbre passage en 10, 16 où Jésus, se référant à d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, exprime son objectif d'un seul troupeau de brebis, un seul berger, suggère que, lorsque l'Évangile a été écrit, la division parmi les disciples de Jésus était un problème.

        • (10, 22-42) La fête juive de la Dédicace (Hanoukka) célèbre la dédicace de l'autel et la reconstruction du Temple de Jérusalem par les Maccabées (164 av. JC) après plusieurs années de profanation sous les souverains syriens. Ce thème festif est remplacé lorsque, dans le portique du Temple, Jésus affirme être celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde. Les questions soulevées contre Jésus, à savoir s'il est le Messie et s'il blasphème parce qu'il a dit qu'il était le Fils de Dieu, ressemblent à la substance de l'enquête du Sanhédrin relatée par les Évangiles synoptiques juste avant la mort de Jésus. Face aux tentatives de le lapider et de l'arrêter, Jésus proclame avec défi : « Le Père est en moi, et je suis dans le Père. » En guise d'inclusion, l'évangéliste fait maintenant retraverser le Jourdain à Jésus, là où l'histoire a commencé au tout début, et là, le témoignage de Jean-Baptiste résonne encore (10, 40-42).

      4. La résurrection de Lazare et ses suites (chapitres 11-12)

        • (11, 1-44) Jésus donne la vie à Lazare, tout comme il a donné la lumière à l'aveugle et accomplit ainsi le plus grand de ses signes ; pourtant, paradoxalement, le don de la vie conduit le Sanhédrin à décider que Jésus doit mourir, une décision qui entraînera son retour glorieux auprès du Père. Dans le récit de l'aveugle-né, un dialogue expliquant la valeur du signe suit la guérison ; mais dans la résurrection de Lazare, le dialogue qui explique ce signe précède; avoir une conversation après que Lazare soit sorti du tombeau aurait détruit l’impulsion vers le point culminant. Dans le dialogue, Marthe croit déjà que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et que son frère ressuscitera au dernier jour ; mais Jésus l'amène à une foi encore plus profonde. Jésus n'est pas seulement la résurrection mais aussi la vie, de sorte que quiconque croit en lui ne mourra jamais. Le retour miraculeux de Lazare à la vie répond à l'aspiration de Marthe, mais il n'est encore qu'un signe, car Lazare mourra de nouveau; c'est pourquoi il sort du tombeau encore attaché à son vêtement de sépulture. Jésus vient donner une vie éternelle imperméable à la mort, comme il le symbolisera en sortant du tombeau en laissant derrière lui ses vêtements de sépulture.

        • (11, 45-57) Une séance du Sanhédrin est provoquée par l'importance de l'audience acquise par Jésus et la crainte que les Romains n'interviennent au détriment de la nation et du Temple (« lieu saint »). Caïphe, grand prêtre en cette année fatidique, est en mesure de prononcer une prophétie, bien qu'il ne la reconnaisse pas. Il veut dire que Jésus doit mourir à la place de la nation, mais Jean y voit la signification que Jésus mourra au nom de la nation et en fait « pour rassembler les enfants de Dieu dispersés et en faire un seul ». Le sort de Jésus est scellé par le Sanhédrin qui projette de le tuer, et les versets intermédiaires (11, 54-57) préparent l'arrestation à la Pâque.

        • (12, 1-19) À Béthanie et à Jérusalem. Six jours avant la Pâque, Marie, la sœur de Lazare, oint les pieds de Jésus (Jean 12,1-11). Cette action est étroitement parallèle à Mc 14, 3-9 et à Mt 26, 6-13, où, à Béthanie, deux jours avant la Pâque, une femme non identifiée verse du parfum sur la tête de Jésus. Les deux formes du récit ont pour motif la préparation de Jésus à la sépulture. La scène du lendemain où Jésus entre triomphalement à Jérusalem a un parallèle étroit avec l'entrée à Jérusalem de Mc 11, 1-10; Mt 21, 1-9; Lc 19, 28-40, qui a eu lieu bien plus tôt. Seul Jean mentionne des branches de palmier, et le choix d'un âne par Jésus semble presque être une réaction de correction, en référence au roi promis dans Zacharie, qui doit apporter la paix et le salut (Za 9, 9-10).

        • (12, 20-50) La fin du ministère public est signalée par l'arrivée des païens, ce qui amène Jésus à s'exclamer « L'heure est venue » et à parler d'un grain de blé qui meurt pour porter beaucoup de fruits. L'atmosphère ressemble à celle de la prière de Jésus à Gethsémani, la nuit avant sa mort, en Mc 14, 34-36. Dans les deux scènes, l'âme de Jésus est troublée/triste. Chez Marc, il prie le Père pour que l'heure passe loin de lui ; chez Jean, il refuse de prier le Père pour qu'il soit sauvé de l'heure, puisque c'est pour cela qu'il est venu. Chez Marc, Jésus prie pour que la volonté de Dieu soit faite ; chez Jean, il prie pour que le nom de Dieu soit glorifié - des variantes des requêtes du "Notre Père" et donc des reflets du style de prière de Jésus. La voix céleste qui répond est prise pour un ange ; cela ressemble à l'apparition d'un ange comme réponse en Lc 22, 43 et à l'affirmation de Jésus selon laquelle, s'il l'avait voulu, le Père aurait envoyé plus de douze légions d'anges en Mt 26, 53 - des exemples intéressants de variations au sein de différentes conservations de la tradition de Jésus. L'incapacité des foules à accepter la proclamation du Fils de l'homme devient, en Jn 12, 37-41, l'accomplissement de la prédiction d'Isaïe selon laquelle elles ne croiront jamais. Certes, certains membres du Sanhédrin croient en Jésus ; mais, craignant les Pharisiens et ne voulant pas le confesser, ils ne proclament pas la gloire de Dieu. Une fois de plus, nous soupçonnons que l'évangéliste pense aussi à ceux qui, dans les synagogues de son temps, n'ont pas le courage de confesser le Christ.

    3. Deuxième partie : Le Livre de la Gloire (13, 1 – 20, 31)

      Le thème de ces huit chapitres est énoncé en 13, 1 avec l'annonce que Jésus savait que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, montrant jusqu'au bout son amour pour les siens qui étaient dans ce monde. Dans les cinq chapitres qui décrivent la dernière Cène, seuls les "siens" sont présents pour entendre Jésus parler de ses projets pour eux, puis dans les trois chapitres qui décrivent la passion, la mort et la résurrection, Jésus est glorifié et monte vers son Père qui devient désormais leur Père.

      1. La dernière Cène et le dernier discours de Jésus (chapitres 13-17)

        Dans tous les Évangiles, Jésus prend la parole au cours de ce repas, la nuit précédant sa mort, mais chez Jean, le discours dure beaucoup plus longtemps.

        1. La Cène (chap. 13)

          Le récit de Jean présente des parallèles avec le matériel synoptique où, à table, Jésus parle de Judas et (là ou après) avertit que Simon Pierre le reniera trois fois. Cependant, à la place des paroles de Jésus sur le pain et le vin, Jean présente le lavement des pieds des disciples, un acte d'abaissement plein d'amour qui sert d'exemple à ses disciples. La présence du « disciple que Jésus aimait » est également unique à Jean. Servant d'intermédiaire pour Simon Pierre, qui est placé à distance de Jésus, ce disciple bien-aimé s'appuie sur la poitrine de Jésus pour demander l'identité de celui qui livrera Jésus. Mentionné uniquement dans le Livre de la Gloire, le Disciple bien-aimé se caractérise par sa proximité avec Jésus et son contraste avec Pierre.

          Après que Judas soit sorti dans la nuit (symbole des ténèbres sataniques), Jean fournit une brève introduction au dernier discours, où Jésus parle une fois de plus de sa prochaine glorification et donne son nouveau commandement sur l’amour mutuel. Ce commandement est « nouveau », non pas parce que l'amour faisait défaut dans l’AT, mais parce qu'il y a maintenant deux modifications typiquement chrétiennes : l'amour doit être renforcé et modelé sur la manière dont Jésus a manifesté son amour pour ses disciples en mourant et en ressuscitant pour eux, et c'est un amour qui doit être étendu aux autres disciples chrétiens.

        2. Le dernier discours de Jésus (chapitres 14-17)

          Ce discours présente comme un message final divers éléments que l'on trouve dans les Synoptiques non seulement lors de la dernière Cène, mais aussi dispersés dans le ministère public. Placé entre le ciel et la terre et déjà dans l'ascension vers la gloire, le Jésus johannique parle à la fois comme s'il était encore dans le monde et comme s'il n'y était plus. Ce caractère atemporel, non spatial, confère au Discours une valeur permanente en tant que message de Jésus à ceux qui croient depuis toujours. Du point de vue de la forme et du contenu, il ressemble à un « testament » ou à un discours d'adieu où l'orateur (parfois un père à ses enfants) annonce l'imminence de son départ, ce qui produit souvent de la tristesse; il rappelle sa vie, ses paroles et ses actes passés, exhortant ses destinataires à les imiter et même à les dépasser, à garder les commandements et à maintenir l'unité entre eux. Il peut souhaiter aux destinataires paix et joie, prier pour eux, prédire qu'ils seront persécutés et se choisir un successeur (passages du Paraclet).

          Première division (chap. 14)

          Jésus insiste sur son départ et console ses disciples en leur promettant de revenir les prendre auprès de lui pour qu'ils soient avec lui. Tout au long du discours, le flot des paroles est alimenté par les personnes présentes qui posent des questions reflétant leur incompréhension, et c'est ainsi que la question de Thomas débouche sur l'une des proclamations les plus célèbres de l'Évangile : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », et la question de Philippe conduit à l'affirmation de Jésus : « Celui qui m'a vu a vu le Père [...]. Je suis dans le Père et le Père est en moi ». Cette inhabitation divine mutuelle conduit à son tour au thème de la manière dont l'Esprit, Jésus et le Père habiteront tous dans le chrétien.

          La désignation de l'Esprit comme le Paraclet est particulièrement intéressante. Contrairement au mot neutre (pneuma) qui désigne l'Esprit, paraklētos, littéralement « celui qui est appelé à côté », est une désignation personnelle illustrant un Esprit appelé après le départ de Jésus comme « avocat » pour défendre les chrétiens et « consolateur » pour les réconforter. Tout comme Jésus a été le moyen de connaître le Père du ciel, de même le Paraclet est le moyen de connaître Jésus parti pour le ciel. Ce Paraclet demeure dans tous ceux qui aiment Jésus et gardent ses commandements et il est avec eux pour toujours. Deux traits sont caractéristiques : il est dans une relation hostile avec le monde qui ne peut pas le voir ou le reconnaître et il sert d'enseignant en expliquant les implications de ce que Jésus a dit.

          Ce dernier motif réapparaît dans le deuxième passage du Paraclet, puis Jésus fait son don de la paix, accompagné d'un avertissement concernant la venue du Prince de ce monde. Les dernières paroles de Jésus dans ce chapitre : « Levez-vous, partons d’ici ! » (14, 31c), semblent signaler la fin du dernier discours et mèneraient parfaitement à 18, 1 : « Après ce discours, Jésus s'en alla avec ses disciples de l'autre côté de la vallée du Cédron ».

          Deuxième division (chap. 15-16)

          Le fait que trois chapitres du Discours suivent cet appel de Jésus à « partir » (14, 31c) est très surprenant et a conduit beaucoup de biblistes à supposer une insertion ajoutée plus tard à l'œuvre originale de l'évangéliste par un éditeur. Le fait que 16, 4b-33 semble traiter de nombreux thèmes de la première division, tout en supposant que l'auditoire ne sait rien de ces thèmes, a suggéré que cette insertion consistait en un dernier discours alternatif que l'éditeur ne voulait pas voir disparaître.

          • (15, 1-17) La vigne et les sarments. Dans l'AT, Israël est souvent représenté comme la vigne ou le vignoble de prédilection de Dieu, entretenu avec un soin consommé, mais qui ne donne que des fruits amers. Nous avons vu Jésus remplacer les institutions et les fêtes juives ; il se présente maintenant comme la vigne du nouvel Israël. En tant que sarments unis à lui, les chrétiens porteront des fruits agréables à Dieu, le vigneron. Bien que la vigne ne se fane pas et ne tombe pas, les sarments tombent et doivent être enlevés et brûlés. Dans le cadre de ses commentaires sur l'image, Jésus proclame à nouveau son commandement de l’amour mutuel. Cet amour inclut la volonté de donner sa vie pour les autres.

          • (15, 18 - 16, 4a) La haine du monde et le témoignage du Paraclet. L'insistance de Jésus sur la nécessité de l'amour entre ses disciples est liée à sa perception de la haine du monde envers lui et envers ceux qu'il a choisis dans le monde. Si, au début de l'Évangile, il nous était dit que Dieu a aimé le monde, « le monde » est maintenant synonyme de ceux qui ont rejeté le Fils que Dieu a envoyé pour le sauver. Le fait que Jésus soit venu et ait parlé rend ce rejet coupable. Le Paraclet viendra et poursuivra le témoignage au nom de Jésus, et ceux qui ont été avec Jésus depuis le début doivent rendre témoignage, sachant qu’ils seront persécutés et mis à mort. Cette section du Dernier discours johannique ressemble à une partie du dernier discours de Jésus avant la Cène en Mc 13, 9-13.

          • (16, 4b-33) L’Esprit, la joie, la victoire sur le monde. Ces thèmes ressemblent à ceux de la première division. Jésus réitère ce qu'il a dit au début du Discours en annonçant son départ, en parlant de l'endroit où il va et en reconnaissant que le cœur de ses disciples est troublé. Une fois de plus, il y a deux passages sur le Paraclet : le premier correspond à celui de 14, 15-17 sur le thème de son conflit avec le monde; le second, correspond à celui de 14, 25-26 sur le thème de son enseignement nouveau de ce que Jésus a enseigné. Après avoir dit que le Père donne ou envoie le Paraclet, maintenant il est dit que c'est Jésus qui l'envoie - une illustration de l'affirmation de Jésus selon laquelle le Père et lui sont un.

            Le thème du départ de Jésus est réintroduit, mais la mort douloureuse de Jésus et son retour ultérieur sont comparés aux douleurs de l'accouchement et à la naissance qui s'ensuit. De même, la question de demander et de recevoir réapparaît, tout comme les thèmes de l’amour du Père et de la promesse de la paix; mais le contraste entre les figures de style et le parler clair et la prédiction de la dispersion des disciples sont nouveaux. Bien qu'en terminant la première division du discours, Jésus ait dit que le prince de ce monde n'avait pas de prise sur lui, le simple « J'ai vaincu le monde » est une conclusion plus retentissante pour cette division.

          Troisième division (chap. 17)

          Cette conclusion sublime du dernier discours est souvent évaluée comme la prière « sacerdotale » de Jésus, celui qui s'est consacré pour ceux qu'il enverrait dans le monde.

          • (17, 1-8) Dans la première section, Jésus prie pour la glorification (c'est-à-dire la gloire qu'il avait avant la création) au motif qu'il a accompli tout ce que le Père lui a donné à faire et révélé le nom de Dieu. Il ne s'agit pas d'une prière égoïste, puisque le but de la glorification est que le Fils puisse glorifier correctement le Père.

          • (17, 9-19) Dans la deuxième partie, Jésus prie pour ceux que le Père lui a donnés, afin qu'ils soient protégés par le nom donné à Jésus. Il refuse de prier pour le monde (qui, en rejetant Jésus, est devenu le royaume du mal), car ses disciples n'appartiennent pas au monde. Contrairement à un sauveur gnostique, Jésus ne demande pas que ses disciples soient retirés du monde, mais seulement qu'ils soient protégés du Malin. Priant pour qu'ils soient consacrés comme il se consacre lui-même, Jésus les envoie dans le monde pour témoigner de la vérité.

          • (17, 20-26) Dans la troisième section, Jésus prie pour ceux qui croient en lui par la parole des disciples - une prière pour qu'ils soient un comme le Père et Jésus sont un. (Comme en 10, 16, nous avons l'impression que déjà à l'époque de Jean, les chrétiens ne sont pas unis). Une unité menée à son terme parmi les croyants sera convaincante pour le monde. Des déclarations magnifiques sur ces croyants sont adressées au Père : « Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée » ; « Tu les as aimés comme tu m'as aimé » ; « Ils sont ton don pour moi » ; et enfin « C'est à eux que j'ai fait connaître ton nom, et je continuerai à le faire connaître, afin que l'amour que tu as eu pour moi soit en eux et que je sois en eux. » Fort de cette assurance, le Jésus johannique poursuit son ascension sur la croix dans son retour vers le Père.

      2. La passion et la mort de Jésus (chap. 18-19)

        Le récit johannique est très similaire à celui des Synoptiques avec sa présentation en quatre actes : l’arrestation, le procès juif, le procès romain et la crucifixion / ensevelissement.

        • (18, 1- 12) Arrestation dans le jardin de l'autre côté du Cédron. Dans les Synoptiques, le lieu d’arrestation porte le nom de Gethsémani et/ou le Mont des Oliviers. Jean parle de Jésus traversant le Cédron qui coule en hiver pour se rendre dans un jardin. La prière adressée au Père pour être délivré de l'heure, que l'on retrouve à Gethsémani chez Marc, a eu lieu plus tôt en Jean (12, 27-28), de sorte que toute la scène johannique est centrée sur l'arrestation, Jésus étant impatient de boire la coupe que le Père lui a donnée. Il existe des caractéristiques johanniques particulières : Jésus, sachant que Judas arrive, va à sa rencontre ; et lorsqu'il s'identifie par les mots « Je suis », le groupe venu l’arrêter, composé de la police juive et d'une cohorte de soldats romains, tombe à terre devant lui. Cela correspond à la représentation de Jésus maître de lui qui gouverne la passion chez Jean.

        • (18:13-27) Interrogatoire par Hanne; reniements de Pierre. Dans tous les Évangiles, la partie qui a procédé à l'arrestation livre Jésus à la cour ou au palais du grand prêtre juif pour qu'il soit interrogé par cette autorité - un interrogatoire qui s'accompagne du récit des abus et des moqueries sur Jésus et des trois reniements de Pierre. Chez Jean seul, il n'y a pas de session du Sanhédrin pour décider de la mort de Jésus (cela a eu lieu plus tôt en 11, 45-53) ; et bien que Caïphe soit mentionné, c'est Hanne qui mène l'enquête. Les reniements de Pierre sont introduits par la présence d'un autre disciple connu du grand prêtre - probablement le disciple bien-aimé qui n'apparaît que dans Jean.

        • (18, 28 – 19, 16) Le procès devant Pilate. Ce procès romain est beaucoup plus développé chez Jean que dans les Synoptiques. La mise en scène est soignée, avec les « Juifs » à l'extérieur du prétoire et Jésus à l'intérieur. Sept épisodes décrivent comment Pilate fait la navette pour tenter de réconcilier les deux antagonistes inflexibles. Seul Jean explique clairement pourquoi Jésus a été amené à Pilate (18, 31 : les Juifs n'avaient pas le droit de mettre quelqu'un à mort) et pourquoi Pilate a rendu une sentence de mort alors qu'il savait que Jésus ne méritait pas un tel châtiment (19, 12 : il serait dénoncé à l'empereur pour ne pas avoir été diligent à punir un soi-disant roi). Jésus, qui s'adresse à peine à Pilate dans les autres évangiles, explique que sa royauté n'est pas politique ; d'ailleurs, « les Juifs » admettent que le vrai problème n'est pas l'accusation d'être « le roi des Juifs », mais le fait que Jésus ait prétendu être le fils de Dieu. Pilate est mis au défi par Jésus de savoir s'il appartient à la vérité, et la scène devient ainsi le procès de Ponce Pilate devant Jésus, sur lequel Pilate n'a aucun pouvoir réel. La flagellation par les soldats romains (à la fin après la condamnation chez Marc/Matthieu) est déplacée au centre du procès pour que Pilate puisse présenter Jésus, maltraité et moqué, aux « Juifs » dans la fameuse scène de l'Ecce homo, avec le vain espoir qu'ils renoncent à leur demande de peine de mort. Bien que Pilate cède, « les Juifs » sont contraints de renoncer à leurs attentes messianiques en disant : « Nous n'avons pas d'autre roi que l'empereur ». Avec Pilate, Jean a mis en scène sa thèse selon laquelle ceux qui veulent éviter le jugement provoqué par Jésus n'appartiennent pas eux-mêmes à la vérité.

        • (19, 17-42) Crucifixion, mort et sépulture. Jean accentue l’aspect dramatique de la scène en construisant des épisodes théologiques majeurs à partir de détails de la tradition. L'accusation de « roi des Juifs » devient l'occasion pour Pilate de reconnaître finalement la vérité sur Jésus, en la proclamant dans le style d'une inscription impériale en trois langues. Le partage des vêtements de Jésus devient l’accomplissement détaillé de l'Écriture, illustrant comment Jésus est resté maître de la situation. Les femmes Galiléennes chez Jean sont placées près de la croix, et non à distance, alors que Jésus est encore vivant. Il y a deux autres personnages dont Jean seul note la présence et dont il ne nous donne jamais les noms : la mère de Jésus et le disciple qu'il aimait. Jésus les fait entrer dans une relation mère-fils et constitue ainsi une communauté de disciples qui sont pour lui mère et frère - la communauté qui a préservé cet Évangile. C'est ainsi que le Jésus johannique peut prononcer sa dernière parole depuis la croix : « Tout est accompli » et remettre son Esprit à la communauté de croyants qu'il laisse derrière lui. La scène du transpercement du côté de Jésus mort est particulièrement johannique, car elle accomplit à la fois 7, 37-39, selon lequel de l'intérieur de Jésus jaillirait une eau vive, symbole de l'Esprit, et 1, 29, selon lequel il était l'Agneau de Dieu (puisque les os de l'agneau pascal ne devaient pas être brisés). Le cas particulier de Jean est celui de Nicodème, qui n'avait pas admis ouvertement qu'il croyait en Jésus. Il réapparaît maintenant et (avec le traditionnel Joseph d'Arimathie) donne publiquement une sépulture honorable à Jésus, réalisant ainsi la promesse de Jésus d'attirer tous les hommes à lui après son élévation.

      3. La résurrection (20:1-29)

        Tout comme Luc, Jean situe toutes les apparitions du Seigneur ressuscité à Jérusalem, sans aucune indication des apparitions qui auront lieu en Galilée. Chez Jean, quatre types différents de réponse de foi à Jésus ressuscité sont mis en scène, deux dans des scènes qui se déroulent au tombeau vide, deux dans une pièce où les disciples sont réunis. La deuxième et la quatrième se concentrent sur des réactions individuelles (Marie-Madeleine, Thomas) un reflet de l'amour de Jean pour la rencontre personnelle avec Jésus.

        • (20, 1-18) Au tombeau : Simon Pierre et le disciple bien-aimé. La première scène implique Simon Pierre et le disciple bien-aimé qui courent vers le tombeau. Tous deux entrent et voient les bandelettes et le linge ayant couvert la tête, mais seul le disciple bien-aimé parvient à la foi. Le quatrième évangéliste ne conteste pas la tradition selon laquelle Pierre a été le premier des Douze à voir le Seigneur ressuscité ; mais dans son désir constant d'exalter le Disciple bien-aimé, Jean fait en sorte que ce disciple parvienne à la foi avant même que le Seigneur ressuscité n'apparaisse ou que les Écritures prophétiques ne soient rappelées. Ainsi, le disciple devient le premier croyant à part entière.

        • (20, 11-18) Au tombeau : Marie-Madeleine. Dans la deuxième scène, Marie-Madeleine retourne au tombeau où se trouvent maintenant deux anges. Ni le fait qu'ils lui parlent ni l'apparition soudaine de Jésus, qu'elle identifie par erreur comme un jardinier, ne l'amènent à la foi. C'est chose faite lorsque Jésus l'appelle par son nom - une illustration du thème énoncé par le Bon Pasteur en 10, 3-4 : Il appelle les siens par leur nom, et ils connaissent sa voix. Marie est envoyée pour annoncer tout cela aux disciples, qui sont maintenant appelés les frères de Jésus parce que, suite à la résurrection / ascension, le Père de Jésus devient leur Père, et eux sont ses enfants. Dans une perspective typiquement johannique, ces deux scènes au tombeau mettent en relation la foi en la résurrection et l'intimité avec Jésus.

        • (20, 19-25) Dans une pièce : rencontre des disciples. La première scène se déroule dans la nuit du dimanche de Pâques, dans un lieu dont les portes sont verrouillées par crainte des « Juifs ». Elle implique des membres des Douze et culmine avec l’apparition de Jésus. Après avoir offert la paix en écho à 14, 27 et 16, 33, le Jésus johannique donne aux disciples une mission qui prolonge la sienne. Dans une action symbolique qui évoque le souffle créateur de Dieu qui a donné la vie au premier être humain et l'exigence d'être engendré d'eau et d'Esprit, Jésus souffle sur eux et leur donne un Esprit Saint qui a le pouvoir sur le péché, prolongeant ainsi son propre pouvoir sur le péché.

        • (20, 26-29) Dans une pièce : rencontre avec Thomas. La deuxième scène est localisée au même endroit une semaine plus tard, en présence de Thomas. Bien que la preuve offerte à Thomas, à savoir examiner les mains de Jésus avec ses doigts et mettre sa main dans le côté de Jésus, présente une image corporelle tangible de Jésus ressuscité, il faut noter que Thomas n'est pas dit avoir touché Jésus. Ce geste aurait probablement signifié que l'incrédulité de Thomas demeurait. Au contraire, sa volonté de croire sans toucher Jésus est une foi authentique, avec le résultat ironique que celui qui incarnait l'incrédulité prononce maintenant la plus haute confession christologique des Évangiles : « Mon Seigneur et mon Dieu » - une inclusion avec le « Le Verbe était Dieu » du Prologue. En réponse, Jésus bénit toutes les générations futures qui croiront en lui sans l'avoir vu, montrant ainsi qu'il est conscient de l'auditoire de l'Évangile pour lequel Jean a écrit tout au long du texte.

      4. Conclusion à l’Évangile (20, 30-31)

        Alors que Luc nous a présenté au tout début son intention écrivant son Évangile, Jean nous le présente à la fin : amener les gens à croire en Jésus comme le Messie, le Fils de Dieu, et par cette foi à posséder la vie éternelle en son nom. L’explicitation de ce propos est aussi une mise en garde contre une interprétation littérale de Jean, comme si le but principal était de rapporter des témoignages oculaires.

    4. Épilogue (21, 1-25)

      Bien que l'Évangile se termine à la fin du chapitre 20, un autre chapitre d'apparitions de la résurrection (cette fois en Galilée) suit avec une autre conclusion. Ce chapitre contient deux scènes, l'une concernant la pêche, l'autre préservant les paroles de Jésus ressuscité à Simon Pierre et au disciple bien-aimé. Le lien entre les deux scènes et leur harmonie interne sont discutables, mais les thèmes sont théologiquement liés.

      • (21, 1-14) La première scène, dans laquelle Jésus ressuscité n'est pas reconnu par les disciples (qui sont censés l'avoir vu deux fois au chapitre 20), implique une pêche miraculeuse de poissons semblable à celle qui a eu lieu pendant le ministère en Luc 5, 4-11. Comme Simon-Pierre ramène les 153 poissons sur le rivage et que le filet n'est pas déchiré, la prise devient le symbole du succès missionnaire qui consiste à amener les gens dans l'unique communauté du Christ. Typiquement johannique est la plus grande perspicacité du disciple bien-aimé qui est le premier des disciples à reconnaître le Seigneur ressuscité. L'unité de la scène est mise en péril par le fait que Jésus a soudainement du poisson sur le rivage avant que la prise ne soit ramenée à terre. Le repas de pain et de poisson qu'il offre pourrait être la forme johannique de la tradition selon laquelle le Seigneur ressuscité apparaissait lors des repas, souvent avec des connotations eucharistiques.

      • (21,15-23) La deuxième scène change brusquement de symbolisme lorsque, laissant de côté la prise de poissons de Pierre, Jésus lui parle de brebis. Il s'agit probablement d'une deuxième étape dans l'évolution de l'image de Pierre : connu comme un apôtre missionnaire (pêcheur), Pierre est maintenant devenu un modèle de soin pastoral. Ce développement peut avoir impliqué une concession johannique tardive à la structure de l'Église, car au chap. 10, Jésus avait été présenté comme l'unique berger. Mais les qualifications restent fidèles à l'idéalisme johannique : le rôle de berger de Pierre découle de son amour pour Jésus ; le troupeau appartient toujours à Jésus (« mes brebis ») ; et Pierre doit être prêt à donner sa vie pour les brebis. L'unité de la scène est quelque peu remise en question par l'apparition soudaine du disciple bien-aimé, mais le contraste entre lui et Pierre est typiquement johannique. La tradition selon laquelle Pierre est le symbole de l'autorité apostolique n'est pas remise en cause, mais le Disciple bien-aimé a une position que Pierre n'a pas - le Disciple peut durer jusqu'au retour de Jésus. Le souci de l'implication exacte de cette déclaration (21, 23 : « n'a pas dit qu'il ne devait pas mourir »), qui a circulé comme tradition johannique, suggère que le Disciple est maintenant mort.

      • (21, 24-25) La conclusion identifie le Disciple bien-aimé comme le témoin qui se tient derrière le récit évangélique et certifie la vérité de son témoignage. Elle nous rappelle également que le Jésus tout entier ne peut être saisi dans les pages d'aucun livre, même d'un livre comme le Quatrième Évangile.

  3. Jean est-il un véritable évangile ? Une combinaison de sources ou un développement de la tradition?

    Du 2e au 18e siècle, on a répondu à cette question par l'affirmative, en partant du principe que Jean, l'un des douze apôtres de Jésus, a non seulement fourni le souvenir de ce qui s'était passé, mais l'a également écrit. L'Évangile de Jean était donc un guide plus sûr que Marc ou Luc, dont aucun n'avait été écrit par un témoin oculaire. Les différences entre Jean et les Synoptiques ont été expliquées en supposant que l'apôtre, dans sa vieillesse, avait lu les autres évangiles et décidé de les compléter par ses propres souvenirs, plus méditatifs.

    Au cours des deux derniers siècles, cependant, un esprit plus critique a reconnu qu'il n'y a pas dans Jean le moindre signe que son auteur ait eu l'intention d'apporter un supplément, et qu'il n'a pas non plus fourni de clé permettant de comprendre comment son matériel pourrait s'intégrer au matériel des Synoptiques auquel il ne fait aucune référence. En conséquence, la majorité des chercheurs se sont orientés vers la position selon laquelle Jean n'a pas été écrit par un témoin oculaire. Le contenu de Jean était désormais considéré comme n'ayant aucune valeur historique (contrairement au contenu des évangiles synoptiques). Dans le cadre de cette approche, on a d'abord supposé que, pour obtenir des informations sur Jésus, l'auteur de Jean était entièrement dépendant des Synoptiques, à partir desquels il a remanié de manière imaginative le matériel pour en faire des récits fictifs. Cependant, un certain nombre d'études menées dans des perspectives différentes ont commencé à s'imposer en faveur de l'opinion selon laquelle Jean a été écrit indépendamment des Synoptiques. La théorie s'est alors imposée selon laquelle le quatrième évangéliste a puisé, non pas dans les Synoptiques, mais dans des sources non historiques.

    Au milieu du 20e siècle, le pendule a commencé à revenir en arrière. Des biblistes ont commencé à soutenir qu'à certains moments, dans les paroles et les actes de Jésus en Jean, il y a une tradition qui a tous les droits d'être considérée comme aussi ancienne que les traditions des Synoptiques. La théorie a fait des adeptes, selon laquelle Jean était un Évangile semblable aux autres, qui a subi trois étapes de développement, tout comme eux :

    1. Au début, il y avait des souvenirs de ce que Jésus a fait et dit, mais pas les mêmes souvenirs que ceux conservés dans les Synoptiques; peut-être la différence provenait-elle du fait que, contrairement à la tradition présynoptique, les souvenirs de Jean n'étaient pas d'origine apostolique standardisée

    2. Ensuite, ces souvenirs ont été influencés par l'expérience de vie de la communauté johannique qui les a conservés et des prédicateurs johanniques qui les ont exposés

    3. Enfin, un évangéliste, qui était vraisemblablement l'un des prédicateurs avec ses propres capacités dramatiques et créatives, a transformé la tradition de la deuxième étape en un Évangile écrit.

    Les Synoptiques et Jean constitueraient donc des témoins indépendants de Jésus, des témoins dans lesquels la tradition ancienne a été préservée et a également fait l'objet d'une réflexion théologique au fur et à mesure que le message sur Jésus était adapté aux générations de croyants. Cette perception est majoritaire chez les biblistes d'aujourd'hui, même si elle ne fait pas l'unaimité.

  4. Une comparaison de Jean avec les évangiles synoptiques

    1. Les différences

      • un Jésus conscient d'avoir préexisté avec Dieu avant de venir au monde
      • un ministère public qui se déroule en grande partie à Jérusalem plutôt qu'en Galilée
      • l'absence significative du motif du royaume de Dieu
      • de longs discours et dialogues plutôt que des paraboles
      • pas de possessions diaboliques
      • un nombre très restreint de miracles (sept?), dont certains sont uniques (le changement de l'eau en vin à Cana, la guérison d'un aveugle-né et la résurrection de Lazare).

    2. Les similitudes

      • le ministère de Jean-Baptiste
      • la multiplication des pains
      • l’onction de Jésus par une femme
      • les personnages de Marthe et Marie
      • l'absence de procès de nuit devant Caïphe
      • les reniements de Pierre
      • les trois déclarations de « non-coupable » lors du procès devant Pilate
      • les apparitions postrésurrectionnelles de Jésus à Jérusalem à ses disciples masculins

    3. Explications proposées

      À une extrémité du spectre, certains postulent que Jean connaît Marc ou même les trois synoptiques. À l'autre extrémité du spectre, on pense que le quatrième évangéliste n'a connu aucun Évangile synoptique et on explique les similitudes occasionnelles entre Jean et les autres par le fait que les traditions synoptique et johannique reproduisent indépendamment, avec des variations, les mêmes actes ou paroles. Entre les deux extrêmes, une position médiane à laquelle adhère une majorité de biblistes soutient que Marc et Jean partageaient des traditions préévangéliques communes, orales ou écrites ; et que, bien que le quatrième évangéliste n'ait pas vu la forme finale de Luc, il était familier avec les traditions incorporées plus tard dans Luc. Certains qui font une distinction chez Jean entre un évangéliste et un éditeur final postulent que seul ce dernier connaissait un ou plusieurs des évangiles synoptiques.

  5. Unité et cohésion de Jean

    La question se pose car il y a des transitions abruptes entre les parties de Jean, par exemple, avec seulement des transitions minimales : le chap. 4 se termine en Galilée, le chap. 5 décrit Jésus à Jérusalem, puis au chap. 6 Jésus est de retour en Galilée. Certains spécialistes réorganiseraient ces chapitres dans l'ordre 4, 6 et 5 en supposant que l'ordre original était confus. Mais une telle réorganisation pose problème.
    1. Premièrement, il n'y a aucune preuve manuscrite pour soutenir de tels réarrangements
    2. Deuxièmement, l'ordre qui émerge des réarrangements présente toujours des problèmes
    3. Troisièmement, ces réarrangements sont fondés sur des hypothèses concernant ce qui aurait dû intéresser l'évangéliste.
    Jean nous donne un récit très schématique du ministère de Jésus et ne se préoccupe pas des transitions, à moins qu'elles n'aient un but théologique (par exemple, l'ordre minutieux des jours dans les chapitres 1-2). Dans la série des fêtes des chap. 2, 5, 6, 7 et 10, qui sert de cadre au ministère de Jésus, peu d'attention est accordée aux longs intervalles qui séparent les fêtes. Si on assume l’existence d’un éditeur qui était responsable de l'Évangile dans sa forme finale, ce dernier serait intervenu s’il avait jugé les transitions imparfaites.

    Pourtant, il existe bel et bien certaines transitions qui posent problème. La plus gênante est la fin relativement claire de l'Évangile en 20, 30-31 où l'auteur reconnaît qu'il y avait d'autres éléments qu'il aurait pu inclure mais qu'il n'a pas choisis de le faire. La présence d'un autre chapitre (21) et d'une autre fin (21, 24-25) soulève la possibilité que, après une forme antérieure de l’Évangile (mais avant que toute forme préservée de l'Évangile ne circule), quelqu'un ait fait des ajouts. Il est probable que ce quelqu'un n'était pas la personne qui avait composé la forme antérieure et qui avait maintenant des idées après coup, car cette personne aurait dû se sentir libre d'insérer le matériel du chapitre 21 avant la fin qu'elle avait composée plus tôt en 20, 30-31. Par conséquent, on pense que l'Évangile actuel implique le travail de deux mains, un évangéliste qui a composé le corps de l'Évangile et un éditeur qui a fait des ajouts plus tard.

    On peut assumer que, celui qui a pris la peine d'ajouter à l'œuvre de l'évangéliste, l'a d’abord approuvée en substance et devait appartenir à la même communauté de pensée. En effet, le style des ajouts proposés témoigne d'un respect pour ce qui était déjà écrit et d'un désir de ne pas altérer le modèle établi, par exemple en ajoutant un chapitre sur les apparitions de la résurrection (chap. 21) après la fin existante de 20, 30-31 plutôt que de briser l'arrangement minutieux des apparitions du chap. 20. Il existe plusieurs types de matériel qui pouvaient être insérés.

    1. Matériel omis. Il y a plusieurs indications (20, 31 ; 21, 25) d'un corps de tradition plus large qui n'a pas été inclus. Il se peut que l'évangéliste n'en ait pas eu connaissance ou qu'il n'ait pas été en mesure d'atteindre son objectif, par exemple, les apparitions en Galilée.

    2. Matériel en double. Dans la forme finale de Jean, il semble y avoir des collections légèrement différentes des mêmes paroles de Jésus. Par exemple, 3, 31-36 (qui manque maladroitement d'une indication claire du locuteur) semble répéter des choses dites en 3, 7.11-13.15-18. De même, certaines parties de 16, 4b-33 (prononcées lors de la dernière Cène, bien après l'indication en 14, 31 que Jésus s'en allait) reprennent étroitement des thèmes déjà énoncés au chap. 14 ; et 6, 51b-58 répète des paroles de 6, 35-5la.

    Pourquoi l'éditeur aurait-il ajouté un tel matériel à l'œuvre de l'évangéliste? Parfois, le matériel ajouté ne se distingue pas de manière significative dans le ton ou l'accentuation et peut donc avoir été inclus simplement parce qu'il faisait partie de la tradition et que l'éditeur ne voulait pas le perdre. D'autres fois, les ajouts présumés reflètent un accent théologique différent, qui s'explique mieux si la pensée de la communauté a varié au fil du temps. Par exemple, 6, 51b-58 fait ressortir l'aspect eucharistique du Pain de Vie, complétant l'accent mis sur le pain en tant que révélation ou enseignement divin en 6, 35-51a. Il est plausible que le dialogue de 21, 15-17, qui confie à Simon-Pierre la responsabilité de berger, ait été inclus parce qu'il justifiait le développement de l'autorité pastorale humaine dans une communauté qui, jusqu'alors, avait considéré Jésus comme le seul berger, un développement, selon certains, rendu nécessaire par le type de division schismatique visible dans 1 Jean. Dans ce cas, cependant, il ne faut pas en conclure que, si l'ajout de l'éditeur était motivé par des circonstances de l'histoire communautaire en cours, le matériel ajouté était nécessairement tardif. Les déclarations sur les modalités du martyre de Pierre (21, 18) et sur la possibilité que le Disciple bien-aimé ne meure pas (21, 23) sont si vagues qu'elles ont certainement précédé les décès respectifs. Dans certains cas, l'éditeur aurait fait revivre et incorporé une ancienne tradition.

  6. L'auteur et le disciple bien-aimé

    Jean 21, 20.24 affirme que ce disciple bien-aimé anonyme témoigne et « a écrit ces choses ». Irénée (vers l’an 180) a identifié le disciple comme étant Jean (l'un des Douze) qui a vécu à Éphèse jusqu'à l'époque de Trajan (vers 98). (Dans son enfance, Irénée avait connu Polycarpe, évêque de Smyrne, qui est censé avoir connu Jean). Cette identification du disciple bien-aimé et évangéliste comme Jean (fils de Zébédée), avec la variation mineure qu'il avait des assistants, a ensuite été acceptée par l'Église. Néanmoins, il est maintenant reconnu que de telles suppositions de la fin du 2e siècle sur des personnages qui avaient vécu un siècle auparavant étaient souvent simplifiées ; et que la tradition de l'auteur était parfois plus concernée par l'autorité derrière un écrit biblique que par l'auteur physique. Comme pour les autres évangiles, la plupart des spécialistes doutent que cet évangile ait été écrit par un témoin oculaire du ministère public de Jésus.

    Qui était le disciple bien-aimé? Il existe trois approches.

    1. Premièrement, certains proposent un personnage connu du NT. En plus du candidat traditionnel (Jean, fils de Zébédée), d'autres propositions incluent Lazare, Jean Marc et Thomas. Bien qu'il puisse y avoir un passage pour soutenir chaque identification, si la longue tradition derrière Jean est rejetée, on en est réduit à deviner.

    2. Deuxièmement, certains chercheurs ont évalué le Disciple bien-aimé comme un pur symbole, créé pour modéliser le disciple parfait. Le fait qu'on ne lui donne jamais de nom et qu'il apparaisse aux côtés de Pierre dans des scènes connues des évangiles synoptiques où aucun personnage de ce genre n'est mentionné a été invoqué comme une preuve de non-historicité. Cependant, une autre figure johannique non nommée, qui a un rôle symbolique et apparaît là où elle est absente dans les Synoptiques, à savoir la mère de Jésus, était certainement une figure historique. La présence du disciple bien-aimé au pied de la croix, alors que les Douze s'étaient enfuis, ne peut qu'indiquer qu'il n'était ni l'un des Douze, ni un apôtre - un terme jamais utilisé dans Jean.

    3. Troisièmement, d'autres spécialistes (avec lesquels je suis d'accord) avancent la théorie selon laquelle le disciple bien-aimé était un personnage mineur pendant le ministère de Jésus, trop peu important pour être mentionné dans la tradition plus officielle des Synoptiques. Mais puisque ce personnage est devenu important dans l'histoire de la communauté johannique (peut-être le fondateur de la communauté), il est devenu l'idéal dans son image évangélique, capable d'être opposé à Pierre comme étant plus proche de Jésus dans l'amour.

    Le disciple bien-aimé était-il l'évangéliste? Ce serait l'impression donnée par Jean 21, 20.24 : « a écrit ces choses ». Cependant, pourrait-il s'agir d'une simplification de l'éditeur qui a ajouté le chapitre 21, durcissant le texte plus précis de 19, 35 : « Ce témoignage a été rendu par un témoin oculaire, et son témoignage est vrai; il dit ce qu'il sait être vrai afin que vous aussi ayez la foi »? Le passage pourrait signifier que le Disciple bien-aimé n'était pas l'évangéliste mais un témoin de Jésus et donc la source de la tradition qui est entrée dans le quatrième évangile. L'évangéliste qui a écrit ce passage pourrait avoir été un adepte ou un disciple du Disciple bien-aimé (qu'il décrit à la troisième personne) et pas lui-même un témoin oculaire du ministère. En effet, si l'on suppose à la fois un auteur différent pour les Épîtres et un éditeur pour l'Évangile, on pourrait être d'accord avec ceux qui posent l'hypothèse d'une « École johannique », c'est-à-dire de divers disciples employant à la fois un style et un matériau qui étaient traditionnels dans cette communauté - traditionnels parce qu'ils ont été façonnés en tout ou en partie par le Disciple bien-aimé.

    La thèse expliquerait comment certains facteurs chez Jean prennent vraisemblablement leur origine dans le ministère de Jésus, alors que d'autres facteurs semblent éloignés de ce ministère :

    1. La familiarité avec la Palestine

      Jean connaît l'emplacement de Béthanie, le jardin de l'autre côté du Cédron qui coule en hiver, le porche de Salomon dans le Temple, les piscines de Béthesda et de Siloé, et le Lithostrotos. Ces sites ne sont pas mentionnés dans les autres évangiles, et parfois des preuves externes viennent appuyer l'exactitude johannique. D'autres références géographiques johanniques (Béthanie au-delà du Jourdain en 1, 28 ; Aenon près de Salim en 3, 23) n'ont pas encore été identifiées, mais nous devrions être prudents avant de recourir à des interprétations purement symboliques des noms;

    2. Familiarité avec le judaïsme.

      Les fêtes juives sont mentionnées en 5, 9b ; 6, 4 ; 7, 2 ; et 10, 22 ; et le dialogue qui suit montre une connaissance des cérémonies et de la théologie festives. Les coutumes juives sont mentionnées à la fois explicitement (règles de pureté en 2, 6 ; 18, 28 ; agneau pascal en 19, 36) et implicitement (peut-être la composition de la tunique du grand prêtre en 19, 23).

    Si la tradition qui sous-tend Jean est fermement enracinée dans le judaïsme et la Palestine, la présentation de cette tradition a considérablement évolué au-delà du ministère de Jésus. L'évangéliste le reconnaît d'ailleurs et défend cette évolution comme étant guidée par l'Esprit-Paraclet. Ceux qui confessent Jésus ont été chassés de la synagogue (9, 22 ; 12,43) ; en fait, des chrétiens ont été tués par de pieux fidèles de la synagogue (16, 2). L’expression « les Juifs » reflète les attitudes développées dans l'histoire de la communauté johannique. Contrairement au Jésus des évangiles synoptiques, le Jésus johannique parle explicitement de sa divinité et de sa préexistence. Il est salué comme Dieu ; et la dispute fondamentale avec « les Juifs » ne porte pas seulement sur sa violation des règles du sabbat, mais sur le fait qu'il s'est fait l'égal de Dieu. Les actes traditionnels de Jésus, comme la guérison des infirmes, la multiplication des pains et l'ouverture des yeux des aveugles, sont devenus le sujet de longues homélies impliquant une réflexion théologique et un débat selon l'interprétation juive de l'Écriture. Contrairement à la tradition synoptique, un groupe important de Samaritains croit en Jésus indépendamment des premiers disciples de Jésus.

    On peut assumer que la tradition sur Jésus issue du Disciple bien-aimé a été réfléchie pendant de nombreuses années et développée à la lumière des expériences de la communauté johannique. Au début, Jésus était perçu comme le dernier prophète et le Messie des attentes juives (1, 40-49). Mais par la suite, il n’était plus simplement le Fils de l’Homme qui descendra du ciel à la fin des temps pour juger le monde, car déjà il est déjà descendu du ciel pour partager ce qu'il a vu et entendu lorsqu'il était avec Dieu. Le disciple bien-aimé a peut-être vécu le développement historique de la communauté (et peut-être son expulsion de la synagogue), et il a donc pu y avoir une certaine symbiose entre lui et l'évangéliste qui a mis par écrit une tradition qui non seulement avait ses racines dans son expérience de Jésus, mais incarnait aussi des décennies de sa réflexion continue sur cette expérience. L'évangéliste, qui a tissé la tradition théologiquement réfléchie dans une œuvre d'une habileté littéraire unique, aurait vraisemblablement été un disciple du Disciple bien-aimé, au sujet duquel il écrit à la troisième personne. Et l'éditeur, s'il y en a eu un, peut avoir été un autre disciple.

  7. Les influences sur la pensée johannique

    Jean est souvent caractérisé comme un évangile hellénistique. Son utilisation d'idées abstraites comme la lumière et la vérité, sa division dualiste de l'humanité en lumière et ténèbres, vérité et mensonge, son concept de la Parole, tout cela était autrefois largement considéré comme le produit de la pensée philosophique grecque, ou d'une combinaison de philosophie et de religion (par exemple, la littérature hermétique), ou des religions païennes à mystères. Une proposition intermédiaire était que les œuvres du philosophe juif Philon (avant l’an 50 de notre ère) servaient de canal à cette pensée, en particulier en ce qui concerne « le Verbe ». Un autre groupe de chercheurs a souligné la relation de Jean avec le gnosticisme (naissant). L'image johannique d'un sauveur venu d'un monde étranger, qui a dit que ni lui ni ceux qui l'ont accepté n'étaient de ce monde, et qui a promis de revenir pour les emmener dans la demeure céleste pouvait s'intégrer dans l'image gnostique du monde. Jusqu'alors, on ne connaissait que très peu d'ouvrages gnostiques réels, et notre connaissance du gnosticisme du 2e siècle provenait des rapports des Pères de l'Église. Grâce à eux, nous savions que le premier commentateur de Jean (Héracléon, disciple de Valentinus, milieu du 2e siècle) était gnostique. Aujourd'hui, grâce à la découverte de Chenoboskion (Nag Hammadi) en Égypte à la fin des années 1940, nous disposons d'œuvres gnostiques en copte (certaines traduites du grec original du 2e siècle de notre ère). Bien qu'il y ait des parallèles stylistiques occasionnels avec Jean, dans l'ensemble ces nouveaux documents sont très différents d'un Évangile narratif comme Jean ; et la plupart doutent que Jean ait emprunté à un tel gnosticisme. Une autre proposition encore verrait des parallèles entre Jean et les écrits mandéens ultérieurs, avec leur mélange syncrétique de traditions juives et de mythes gnostiques. En substance, toutes ces théories s'accordent à dire que les expressions johanniques de la langue et de la pensée se sont pas issues du monde palestinien de Jésus de Nazareth.

    Une approche très différente verrait les origines fondamentales du christianisme johannique dans ce monde palestinien avec toute sa diversité juive - un monde qui avait été influencé par l'hellénisme mais où la réflexion sur l'héritage d'Israël était le principal catalyseur. Cet héritage serait jugé non seulement à partir des livres de la Loi et des Prophètes, mais aussi à partir de la littérature de sagesse protocanonique et deutérocanonique, et de la littérature apocryphe et intertestamentaire. C'est surtout l'enrichissement apporté par les manuscrits de la mer Morte qui entre en ligne de compte. Nous trouvons dans ces documents des idées et un vocabulaire que les critiques considéraient autrefois comme n'étant pas authentiquement palestiniens, à savoir :
    • un monde divisé en lumière et ténèbres;
    • des gens sous l'emprise d'un principe angélique mauvais;
    • des gens qui marchent dans la lumière ou dans les ténèbres;
    • qui marchent dans la vérité;
    • qui éprouvent les esprits;
    • les esprits de vérité et de perversité.
    La ressemblance de vocabulaire et de pensée entre les manuscrits de la mer Morte et Jean devrait bannir l'idée que la tradition johannique n'a pas pu se développer en terre palestinienne.

    Il n'y a aucune preuve d'une familiarité directe de Jean avec les manuscrits de la mer Morte ; il y a plutôt la possibilité d'une connaissance indirecte d'un type de pensée et d'expression courant à Qumrân, et peut-être dans une région plus large. Il existe des parallèles intéressants entre ce que nous savons de Jean-Baptiste et les croyances attestées dans les Rouleaux (même si nous n'avons pas à penser que Jean-Baptiste était un membre de la communauté de Qumrân), et dans le NT Jean montre le plus grand intérêt pour les disciples de Jean-Baptiste. En présentant les premiers disciples de Jésus comme des disciples de Jean-Baptiste et Jésus comme exerçant au moins un bref ministère de baptême, Jean peut être historique. Cela laisse ouverte la possibilité que les disciples de Jean-Baptiste aient été un canal par lequel le vocabulaire et les idées de Qumrân ont pénétré dans la tradition johannique. Le fait qu'une grande partie du vocabulaire de Qumrân apparaisse dans les discours de Jésus en Jean (dans une mesure beaucoup plus importante que dans les Synoptiques) ne doit pas nous amener à conclure hâtivement que les matières premières de ces discours étaient les compositions artificielles de l'évangéliste. Si Qumrân est l'exemple d'un plus large éventail de pensées, Jésus pouvait fort bien en connaître le vocabulaire et les idées, car le Verbe fait chair parlait la langue de son temps. La tradition johannique, qui a une affection particulière pour ce style de pensée, a peut-être été plus attentive à le préserver, ainsi qu'à se souvenir et à souligner d'autres idées qui ne semblaient pas importantes pour les auteurs synoptiques. La possibilité d'origines palestiniennes et juives pour la présentation johannique de Jésus nous amène à la question du développement de la communauté johannique.

  8. L’histoire de la communauté johannique

    L’analyse du récit évangélique ainsi que des trois lettres johanniques nous permet d’émettre l’hypothèse que l’histoire de la communauté a connu quatre phases.

    1. Phase préévangélique (jusque vers les années 70 ou 80)

      En Palestine ou dans ses environs, des juifs aux attentes relativement normales, y compris des adeptes de Jean-Baptiste, acceptent Jésus comme le Messie davidique, l'accomplissement des prophéties, confirmé par des miracles. Parmi eux, de façon insignifiante au début, se trouvait un homme qui avait connu Jésus et était devenu son disciple pendant le ministère public et qui allait devenir le Disciple bien-aimé. À ces premiers disciples s'ajoutent des Juifs de tendance anti-Temple qui se convertissent en Samarie. Ils comprenaient Jésus essentiellement dans le contexte mosaïque (par opposition au contexte davidique) : Jésus avait été avec Dieu, qu'il avait vu et dont il avait apporté la parole dans ce monde. L'acceptation de ce second groupe a catalysé le développement d'une christologie élevée, de préexistence (vue sur le fond de la Sagesse divine) qui a conduit à des débats avec les Juifs qui pensaient que les chrétiens johanniques abandonnaient le monothéisme juif en faisant de Jésus un second Dieu. Finalement, les chefs de ces Juifs ont fait expulser les chrétiens johanniques des synagogues. Ces derniers, aliénés des leurs, sont devenus très hostiles aux « Juifs », qu'ils considéraient comme des enfants du diable. Ils insistaient sur la réalisation des promesses eschatologiques en Jésus pour compenser ce qu'ils avaient perdu dans le judaïsme (d'où le fort thème du remplacement dans l'Évangile). En même temps, les chrétiens johanniques méprisaient les croyants en Jésus qui ne rompaient pas aussi publiquement avec la synagogue (exemple des parents de l'aveugle en 9, 21-23 ; également 12, 42-43). Le disciple mentionné plus tôt a fait cette transition et a aidé les autres à la faire, devenant ainsi le Disciple bien-aimé.

    2. Phase de la rédaction de l’Évangile de base (vers 90)

      Puisque « les Juifs" étaient considérés comme aveugles et incrédules, la venue des Grecs était considérée comme le plan d'accomplissement de Dieu. La communauté ou une partie d'entre elle a peut-être quitté la Palestine pour la diaspora afin d'enseigner aux Grecs, peut-être dans la région d'Éphèse, ce qui mettrait en lumière l'atmosphère hellénistique de l'Évangile et la nécessité d'expliquer les noms et les titres sémitiques (par exemple, rabbin, Messie). Ce contexte a fait ressortir les possibilités universalistes de la pensée johannique, dans une tentative de s'adresser à un public plus large. Le rejet et la persécution ont cependant convaincu les chrétiens johanniques que le monde (comme « les Juifs ») était opposé à Jésus. Ils se considéraient comme n'étant pas de ce monde qui était sous le pouvoir de Satan, le Prince de ce monde. Dans leurs relations avec les autres chrétiens, ils rejetaient certains d'entre eux comme ayant une christologie si inadéquate qu'ils étaient réellement des incrédules. D'autres, symbolisés par Simon Pierre, croyaient vraiment en Jésus mais n'étaient pas considérés comme aussi perspicaces que les chrétiens johanniques symbolisés par le Disciple bien-aimé. Mais il y avait l'espoir que les divisions entre eux et la communauté johannique puissent être réparées pour retrouver l’unité. Malheureusement, l'accent unilatéral mis par l'Évangile sur la divinité de Jésus (façonné par les luttes avec les chefs de la synagogue) et sur la nécessité de l'amour mutuel comme unique commandement a ouvert la voie à certains, dans la génération suivante qui ne connaissait que cet Évangile, pour qu'ils développent une vision radicale et exagérée de la vie de Jésus.

    3. Phase de rédaction des deux premières épitres johanniques (vers l’an 100)

      La communauté connaît un schisme et se divise en deux :

      1. Certains adhéraient à l'opinion représentée par l'auteur des deux premières lettres (distinct de l'évangéliste). Cet auteur complétait l'Évangile en mettant l'accent sur l'humanité de Jésus (venu dans la chair) et sur le comportement éthique (respect des commandements)

      2. Beaucoup faisaient sécession et étaient considérés comme des antichrists et des enfants du diable parce qu'ils avaient tellement exagéré la divinité de Jésus qu'ils ne voyaient aucune importance dans sa carrière humaine ou dans leur propre comportement (au-delà de la simple croyance en Jésus).

      Malheureusement, il n'existait pas dans la communauté johannique de structure suffisamment autoritaire pour permettre à l'auteur de discipliner les sécessionnistes qui recherchaient activement de nouveaux adhérents; il ne pouvait qu'exhorter ceux qui étaient perplexes au sujet de la vérité à éprouver les esprits.

    4. Phase de rédaction de la 3e lettre johannique et l’ajout du chapitre 21 (l’an 100-110)

      La désintégration de la communauté johannique a conduit à un développement de la structure pastorale et a rapproché les sympathisants de la christologie décrite sous 3(a) de la grande « église catholique ». En 3 Jean, même si l'auteur ne l'aimait pas parce qu'il faisait autorité, Diotréphès représentait probablement cette nouvelle tendance qui était étrangère à la confiance johannique précédente en l'Esprit seul comme maître. De même, en Jean 21, 15-17, Jésus confie à Simon-Pierre la tâche de nourrir les brebis et reconnaît ainsi des pasteurs humains aux côtés de Jésus, le berger modèle. Ce développement devrait finalement amener certains chrétiens johanniques dans l'Église plus large et préserver l'héritage johannique pour cette Église. D'autre part, les sympathisants de la christologie décrite au point 3(b) (peut-être le groupe le plus important) ont vu leur interprétation évoluer vers le docétisme (où Jésus était considéré comme n'étant pas vraiment humain) et le gnosticisme (où ce monde était considéré comme tellement déformé qu'il n'était pas la création de Dieu) et finalement vers le montanisme (où Montanus est devenu l'incarnation du Paraclet pour guider l'église).

  9. Questions et problèmes pour la réflexion

    1. Le récit de la femme adultère (7, 58 – 8, 11) est absent des meilleurs manuscrits grecs. Alors que pour beaucoup (y compris les catholiques romains), ce récit est une Écriture canonique et inspirée, il est presque certainement hors contexte ici dans Jean. Certains manuscrits placent le récit après Luc 21, 38 comme une continuation des questions astucieuses posées à Jésus avant son arrestation. Il se peut que nous ayons ici un vieux récit de la miséricorde de Jésus envers les pécheurs qui a voyagé indépendamment des quatre Évangiles et qui n'a pu être inclus que lorsque la réticence de l'Église à pardonner l'adultère a changé. Ce passage fournit une occasion de réfléchir à la relation entre la tradition de Jésus et l'enseignement de l'Église.

    2. Dans le commandement « Aimez-vous les uns les autres » (13, 34 ; 15, 12.17), le Jésus de Jean pense à l'amour pour les autres croyants qui sont les enfants de Dieu ; mais il ne mentionne pas les ennemis. Ainsi, le « nouveau commandement » johannique de l'amour peut sembler étroit à certains et même sectaire. Pourtant, d'un autre point de vue, l'amour de ceux avec qui il faut vivre peut être l'exercice le plus difficile de l'amour. Les prières des chrétiens pour ceux qui ne sont pas de confession chrétienne et leur préoccupation pour eux peuvent être compromises par un manque d'amour pour les autres croyants en Christ. Ironiquement, des églises se sont âprement combattues dans des régions missionnaires où elles proclamaient toutes leur amour pour ceux qui ne croyaient pas encore en Christ!

    3. Y a-t-il des références sacramentelles dans l’Évangile selon Jean? Pour certains biblistes, il n’y pas de références manifestes au baptême et à l’eucharistie. D’autres, à l’inverse, détecteraient une vingtaine de références allusives ou symboliques au baptême et à l'eucharistie dans l'utilisation par Jean de l'eau, du pain, du vin, de la vue, etc. Une position intermédiaire soutient que les paroles et les actions du Jésus johannique sont des anticipations prophétiques des sacrements plutôt que des références directes. Au-delà des interprétations baptismales/eucharistiques, Jean a été considéré comme l'écrit le plus sacramentel du NT dans le sens plus large où le Jésus johannique a utilisé le langage de ce monde pour se référer aux réalités du monde d'où il venait - le terrestre utilisé pour symboliser le céleste. De fait, dans une compréhension sacramentelle plus large du symbolisme johannique, on peut trouver des références symboliques spécifiques au baptême et à l'eucharistie.

    4. On a vu que la symbolique du Pain de Vie pouvait avoir deux significations : la révélation de l’identité de Jésus et sa chair et son sang. Dans le récit des disciples d’Emmaüs en Luc, la présence de Jésus ressuscité est reconnue de deux manières : par l'interprétation des Écritures et par la fraction du pain. Il se peut que l'on ait ici le format du service liturgique dans lequel, au cours des siècles, les chrétiens ont cherché à se nourrir : le service de la parole (lecture et prédication des Écritures) et le service du sacrement (eucharistie). Les Églises ont parfois été divisées quant à savoir lequel des deux méritait le plus d'importance, mais l'idéal a souvent été d'inclure les deux dans le service dominical. Les lecteurs voudront peut-être réfléchir à leur propre expérience de la vie ecclésiale, surtout si des changements sont intervenus au cours des dernières décennies, pour voir comment fonctionne l'équilibre.

    5. Clément d'Alexandrie a appelé Jean « l'Évangile spirituel ». De nombreux accents johanniques facilitent cette intuition, par exemples :
      • l'image pédagogiquement simple que par l'engendrement/la naissance dans l'eau et l'Esprit, les croyants reçoivent la vie même de Dieu et que par la chair et le sang de Jésus, cette vie est alimentée et nourrie;
      • l'accent dramatique sur les contacts individuels avec Jésus ;
      • le rôle de chacun des personnages johanniques, tels que l'aveugle et la Samaritaine, qui personnifient différentes réactions de foi ;
      • le langage de l'amour qui lie les croyants à Jésus, tout comme l'amour lie le Fils au Père ;
      • le Paraclet intérieur par lequel Jésus reste accessible ;
      • l'importance du rôle de disciple, que tous peuvent partager.

      Pour Jean, il n'y a pas de citoyens de seconde zone parmi les vrais croyants ; tous sont les propres enfants de Dieu en Christ.

 

Prochain chapitre: 12. La première épitre (lettre) de Jean

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