Raymond E. Brown, Introduction au Nouveau Testament,
Partie III : Les lettres pauliniennes

(Résumé détaillé)


Chapitre 22 : Première lettre aux Corinthiens


Les contacts connus de Paul avec Corinthe ont duré près d'une décennie, et la correspondance paulinienne adressée à cette ville est plus abondante que celle adressée à tout autre lieu. En effet, des traces de pas moins de sept lettres ont été détectées. Les perturbations dans l’église de Corinthe expliquent la nécessité d'une telle attention. Paradoxalement, l'éventail de leurs problèmes (théologiens rivaux, factions, pratiques sexuelles problématiques, obligations conjugales, liturgie, rôles dans l'église) rend la correspondance exceptionnellement instructive pour les chrétiens et les églises troublés de notre époque. Les tentatives de vivre selon l'Évangile dans la société multiethnique et interculturelle de Corinthe ont soulevé des questions qui se posent encore aujourd'hui dans les sociétés multiethniques, multiraciales et interculturelles. Le style de Paul, qui consiste à poser des questions et à débattre avec citations, rend sa présentation de ces questions vivante et attrayante, et a conduit les spécialistes à discuter de la rhétorique précise employée. Pour ceux qui étudient Paul sérieusement pour la première fois et sont limités à une seule lettre à analyser en profondeur, 1 Corinthiens pourrait bien être la plus enrichissante.

Résumé des informations de base

  1. Date : Fin 56 ou tout début 57 depuis Éphèse (ou 54/55 dans la chronologie révisionniste).

  2. Adressée à : Église mixte de Juifs et de Gentils à Corinthe, convertie par Paul en 50/51-52 (ou 42-43).

  3. Authenticité : Non sérieusement contestée

  4. Unité : Certains voient deux ou plusieurs lettres distinctes entrelacées, mais l'unité est privilégiée par une majorité croissante, même si l'unique lettre a été composée par étapes disjointes au fur et à mesure que des informations et une lettre parvenaient à Paul de Corinthe.

  5. Intégrité : Pas d'interpolations majeures largement reconnues, bien qu'il y ait un débat sur 14, 34-35 et le chap. 13 : une lettre perdue a précédé (1 Co 5, 9).

  6. Division formelle selon la structure d’une lettre:

    1. Formule d'ouverture : 1, 1-3
    2. Action de grâce : 1, 4-9
    3. Corps : 1, 10 - 16, 18
    4. Formule de conclusion : 16, 19-24

  7. Division selon le contenu :

    1, 1-9 Discours de salutation et d'action de grâce, rappelant aux Corinthiens leurs dons spirituels
    1, 10 - 4, 21 Partie I : Les factions
    5, 1 - 11, 34 Partie II : Problèmes de comportement (inceste, procès, comportement sexuel, mariage, nourriture, eucharistie, liturgie) ; ce que Paul a entendu et les questions qui lui ont été posées
    12, 1 - 14, 40 Partie III : Les problèmes des charismes et la réponse d'amour
    15, 1-58 Partie IV : La résurrection du Christ et du chrétien
    16, 1-18 La collecte, les projets de voyage de Paul, les éloges des gens
    16, 19-24 Salutations ; la main de Paul ; "Notre Seigneur, viens"

  1. L’arrière-plan

    La Grèce continentale (l'Achaïe) est reliée à la grande péninsule du Péloponnèse au sud par un isthme étroit de 6,4 km de large, avec la mer Égée à l'est et la mer Ionienne ou Adriatique à l'ouest. Sur un plateau contrôlant cet isthme, à cheval sur la très importante route terrestre nord-sud menant à la péninsule et située entre les ports des deux mers, se trouvait la ville de Corinthe (surmontée au sud par une acropole de 565 mètres de haut, l'Acrocorinthe). À l’époque où n’existait pas le canal de Corinthe, il avait construit une voie pavée entre la région du port de Cenchrées à l’est de l’isthme et celui de Léchaion à l’ouest qui permet de faire rouler les petits bateaux d’un endroit à l’autre, après avoir déchargé leur cargaison. La ville de Corinthe est appelée « la lumière de toute la Grèce » par Cicéron, et elle était déjà habitée depuis plus de quatre mille ans lorsqu’elle a effectivement pris fin par la défaite contre les Romains en 146 av. JC. La ville de remplacement dans laquelle Paul s'est rendu en 50/51-52 ap. JC avait été fondée un siècle auparavant (44 av. JC) comme colonie romaine par Jules César. En un sens, Corinthe ressemblait donc à Philippes, mais son emplacement stratégique attirait une population plus cosmopolite, car des immigrants pauvres venaient d'Italie pour s'y installer, y compris des esclaves affranchis d'origine grecque, syrienne, juive et égyptienne. Le poète grec Crinagoras, du 1er siècle av. JC, décrivait ces gens comme des scélérats, mais beaucoup d'entre eux sont rapidement devenus riches. Leurs compétences ont permis au site de prospérer en tant que centre manufacturier (articles en bronze et en terre cuite) et commercial. En effet, sous Auguste, elle devint la capitale de la province d'Achaïe, d'où la présence du proconsul Gallio (frère du célèbre Sénèque) qui eut affaire à Paul (Actes 18, 12).

    L'archéologie permet une reconstitution précise de la ville romaine et atteste de son ambiance multiculturelle. Bien que le latin ait pu être la première langue de la colonie romaine, les inscriptions montrent l'usage répandu du grec, la langue du commerce. Les divinités grecques classiques étaient honorées par des temples, et le culte égyptien d'Isis et de Sérapis est attesté. L'hommage aux empereurs était renforcé par le patronage impérial accordé aux jeux panhelléniques d'Isthme qui se tenaient tous les deux ans au printemps (y compris en 51 ap. JC) ; ils n'étaient dépassés en importance que par les jeux olympiques. Bien que les preuves archéologiques fassent défaut, à l'exception d'un linteau de synagogue (voir Ac 18, 4), il existait une importante colonie juive au 1ier siècle de l’ère moderne, avec ses propres fonctionnaires et sa propre gestion interne, peut-être renforcée par l'expulsion des Juifs de Rome par Claude en l’an 49.

    La Corinthe grecque a acquis une réputation exagérée (en partie à cause de la calomnie) de licence sexuelle, de sorte que les mots grecs pour prostituées, prostitution et fornication ont été inventés pour employer le nom de la ville. Malgré les références à cette « ville de l'amour » qui comptait un millier de prêtresses d'Aphrodite (Vénus), qui étaient des prostituées sacrées, seuls deux petits temples à cette déesse ont été découverts. Quoi qu'il en soit de la Corinthe grecque, nous devrions penser que la Corinthe romaine avait simplement tous les problèmes d'une ville en plein essor, relativement nouvelle, située à proximité de deux ports maritimes. Pourtant, elle présentait aussi des avantages du point de vue de Paul. Les voyageurs qui passaient par Corinthe, y compris ceux qui visitaient le célèbre sanctuaire de guérison d'Esculape ou qui assistaient aux jeux isthmiques, avaient besoin de tentes pour se loger temporairement, de sorte qu'un fabricant de tentes ou un maroquinier comme Paul (et Aquila et Priscilla ; Ac 18, 2-3) pouvait y trouver du travail et subvenir à ses besoins. En raison des nombreuses personnes qui allaient et venaient, il ne serait pas rejeté comme un étranger ou même un résident étranger ; et la semence de l'évangile qu'il a semée à Corinthe pourrait bien être portée loin et disséminée par ceux qu'il a évangélisés.

    Les contacts de Paul avec Corinthe étaient compliqués. Il peut être utile de recourir à des chiffres pour baliser tous les moments et les personnages qui ont mené à la rédaction de 1 Corinthiens. En plus des chiffres, on utilisera des lettres majuscules pour désigner les lettres de Paul à Corinthe, dont une partie de la correspondance a été perdue.

    (#1) En l’an 50/51 et 52. Selon Ac 18, 1-3, Aquila et Priscille (presque certainement des chrétiens juifs) étaient à Corinthe lorsque Paul y est arrivé. Certains contestent cette séquence car, en 1 Co 3, 6.10 ; 4, 15 Paul affirme qu'à Corinthe, il a planté et posé les fondations de la communauté chrétienne et en a été le père. Nous pouvons toutefois nous demander si ce langage exclut la possibilité que quelques chrétiens étaient déjà sur place avant son arrivée. Les expériences de Paul à Philippes et à Thessalonique avaient été marquées par l'hostilité et/ou le rejet, de sorte qu'il est venu à Corinthe avec crainte et tremblement (1 Co 2, 3) ; pourtant, il y est resté un an et demi. Même si l'on tient compte de l'exagération rhétorique, l'affirmation de Paul selon laquelle il n'a pas parlé avec l'éloquence de la sagesse humaine (2, 4-5 ; également 2 Co 11, 6) signifie probablement qu'il n'aurait pas fait appel à la sophistication académique - un changement de tactique par rapport à son approche juste avant à Athènes, si l'on se fie à Ac 17, 16-34. En Ac 18, 2-4, on voit que Paul a commencé à évangéliser les Juifs, en logeant dans la maison de ses compagnons de travail Aquila et Priscille et en prêchant dans la synagogue. Puis (Ac 18, 5-7 ; 1 Th 3, 1.2.6) après l'arrivée de Silas et Timothée de Macédoine avec des nouvelles des chrétiens de Thessalonique, il est passé chez les païens, s'installant dans la maison de Jason, un craignant Dieu (c'est-à-dire un païen sympathisant avec le judaïsme). D'après les noms mentionnés en 1 Co 16, 15-18 et Rm 16, 21-23, nous décelons la présence à Corinthe de convertis tant juifs que païens, ces derniers étant quelque peu majoritaires. Les personnes converties par Paul appartenaient principalement aux couches inférieures et moyennes de la société, les artisans et les anciens esclaves étant beaucoup plus nombreux que les riches. Nous verrons que certaines difficultés concernant le repas eucharistique ont pu être causées par l'interaction des riches et des pauvres à Corinthe. La prédication initiale de Paul à Corinthe devait être fortement eschatologique ou même apocalyptique, puisque symboliquement il refusait d'accepter de l'argent, vivait une vie de célibat (une indication que ce monde n'était pas durable), faisait des signes et des prodiges (2 Co 12, 12), et parlait en langues (1 Co 14, 18). Avant la fin du séjour de Paul à Corinthe, les Juifs l'ont traîné devant le proconsul Gallion (Ac 18, 12-17). Mais cela s'est retourné contre lui : Gallion a libéré Paul, tandis que Sosthène, le chef de la synagogue, a été battu.

    (#2) De l’an 52 à 56. Après que Paul ait quitté Corinthe en 52 avec Priscille et Aquila (Ac 18, 18), d'autres missionnaires sont venus ; et la prédication vivace d'un homme comme Apollos peut avoir catalysé des éléments fougueux au sein de la communauté corinthienne, produisant une partie de l'enthousiasme que Paul aurait à critiquer en 1 Corinthiens. (#3) 1 Co 5, 9 fait référence à une lettre que Paul avait écrite (Lettre A, perdue), avertissant les Corinthiens de ne pas avoir affaire à des personnes immorales.

    (#4) Vers l’an 56. Pendant son séjour à Éphèse (54-57), Paul a reçu des rapports sur Corinthe, par exemple de « ceux de Chloé » (1 Co 1, 11 ; aussi 11, 18). Nous ne savons rien de Chloé : si elle vivait à Corinthe (avec des contacts à Éphèse ?) ou à Éphèse ; si elle était chrétienne ; si « ceux de Chloé » étaient sa famille, sa maison ou son établissement commercial ; si elle les avait envoyés ou s'ils voyageaient de Corinthe à Éphèse. (#5) Vers la même époque ou peu après, à Éphèse, Paul a reçu une lettre des Corinthiens (1 Co 7, 1), peut-être en réponse à sa lettre A et apparemment apportée par Stéphanas, Fortunatus et Achaïcus (16, 17-18) qui ont probablement ajouté leurs propres rapports. (#6) Paul a écrit 1 Co depuis Éphèse (Lettre B). Bien que l'on ait tenté de considérer 1 Corinthiens comme un amalgame de lettres autrefois totalement distinctes, il est préférable de l'évaluer comme une seule et unique missive envoyée aux chrétiens de Corinthe, même si elle a été composée en deux étapes répondant respectivement aux #4 et #5. Sur cette toile de fond, examinons 1 Corinthiens.

  2. Analyse générale du message

    1. Formule d'ouverture (1, 1-3) et action de grâce (1, 4-9)

      La formule d'ouverture associe Sosthène à Paul comme co-expéditeur. Il s'agit apparemment du même homme, devenu chrétien, qui était auparavant le chef de la synagogue de Corinthe et qui a été battu devant le bēma lorsque Gallion a refusé de juger Paul (#1; Ac 18, 17). Paul lui a-t-il dicté la lettre (16, 21) ? Dans les neuf premiers versets, qui comprennent l’action de grâce, Paul mentionne (Jésus) Christ neuf fois, une insistance qui convient à la correction que Paul va apporter au factionnalisme corinthien en insistant sur le fait qu'ils ont été baptisés au nom de Christ et d'aucun autre. Il remercie également les Corinthiens d'avoir reçu la grâce (charis) qui les a enrichis en parole et en connaissance, et de n'avoir manqué d'aucun charisme - une touche d'ironie puisqu'il devra les fustiger dans la lettre au sujet de leur prétendue sagesse et de leurs querelles de charismes. Une autre manière dont l'action de grâce anticipe le contenu de la lettre, c'est qu'elle fait référence, au moment où elle s'achève, au jour du Seigneur, thème de 1 Co 15, 50-58.

    2. Partie I du corps de la lettre (1, 10 - 4, 21)

      Près de quatre chapitres sont consacrés au problème des divisions ou des factions qui existent à Corinthe, dont Paul a été informé par des membres de la maison de Chloé (#4). À la suite de l'activité décrite au #2, mais probablement sans aucune incitation de la part des missionnaires eux-mêmes, il y avait maintenant des loyautés conflictuelles parmi les chrétiens de Corinthe qui avaient déclaré leurs préférences : « "J'appartiens à Paul", "j'appartiens à Apollos", "j'appartiens à Céphas [Pierre]" ou "j'appartiens au Christ" » 1 Co 1, 12). Les chrétiens d'aujourd'hui ont pris l'habitude d'être divisés ; aussi, à l'exception de la rapidité avec laquelle elles se sont produites, nous ne sommes pas surpris par ces divisions. Ce qui nous surprend plus probablement, c'est la réponse de Paul, car nous sommes habitués à ce que les gens défendent leur propre choix parmi les divisions ecclésiastiques et attaquent les positions rivales. Paul ne défend pas la faction qui lui « appartient » ou ne souligne pas sa propre supériorité, puisque tous les prédicateurs ne sont que des serviteurs (3, 5). « Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous, ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? ». (1, 13) « Que ce soit Paul, ou Apollos, ou Céphas ... vous appartenez au Christ, et le Christ appartient à Dieu » (3, 22-23).

      L'existence de ces divisions reflète des loyautés personnelles différentes parmi les chrétiens de Corinthe. Mais aussi, en choisissant un prédicateur particulier, comme Apollos, certains Corinthiens ont pu opter pour ce qui semblait être une plus grande sagesse, alors que Paul, sans éloquence, avait prêché une folie vraiment plus sage que la sagesse humaine, à savoir le Christ et son crucifix (1, 18 - 2, 5). Il s'agissait de la sagesse mystérieuse de Dieu, cachée aux dirigeants du siècle présent qui ont crucifié le Seigneur de gloire ; elle a été proclamée par Paul en des mots enseignés par l'Esprit - donc des vérités spirituelles en des mots spirituels (2, 6-16). Paul a posé un fondement solide, en fait, le seul fondement possible, Jésus-Christ ; et au jour du jugement, tout ce qui n'est pas solide sera mis en évidence et brûlé (3, 10-15). Les Corinthiens doivent se rendre compte qu'ils sont le temple de Dieu, dans lequel habite l'Esprit, et mépriser la sagesse de ce monde, qui est une folie aux yeux de Dieu (3,16-23). D'une manière très rhétorique, Paul oppose « nous, les apôtres » (4, 9) aux Corinthiens, qui, dans leur attitude religieuse, sont fiers alors qu'ils n'ont rien qu'ils n'aient reçu (4, 7). « Nous voici, insensés pour le Christ, tandis que vous êtes si sages en Christ... » (4, 10-13). Cette lettre est un avertissement d'un père à ses enfants, et Timothée est envoyé à Corinthe pour leur rappeler la vie et l'enseignement de Paul avant que Paul lui-même ne vienne mettre à l'épreuve les arrogants. « Vais-je venir à vous avec un bâton, ou avec l'amour dans un esprit de douceur ? » (4, 17-21).

    3. Partie II du corps de la lettre (5, 1 - 11, 34)

      Ensuite, Paul aborde divers problèmes de comportement chrétien chez les Corinthiens. Apparemment, les chap. 5-6 concernent des choses qu'il a entendues sur la pratique chrétienne des Corinthiens, et les questions de sexe et de mariage reviennent dans plus de la moitié de ses instructions. Un comportement sexuel responsable dans et hors du mariage est une question majeure dans la vie ; et inévitablement, ce que la foi au Christ signifiait pour un tel comportement est devenu un problème, d'autant plus que les Juifs et les Gentils qui sont venus à la foi ne partageaient pas toujours les mêmes présuppositions. Le premier cas abordé par Paul (5, 1-5) concerne un homme et sa belle-mère. Apparemment, le père de l'homme est mort et il souhaite épouser la seconde épouse, veuve, qui pourrait avoir à peu près son âge. À partir de l'enseignement de Paul lui-même, selon lequel les chrétiens sont une nouvelle création, l'homme ou même la communauté (« Et vous êtes fiers ») ont-ils pensé que les relations antérieures n'avaient plus d'importance ? L'indignation de Paul face à ce comportement trahit ses racines juives ; en effet, le mariage dans un tel degré de parenté était interdit par la loi mosaïque (Lv 18, 8 ; 20, 11). Il fonde cependant son argumentation sur l'affirmation que ce comportement n'était pas toléré, même chez les païens. Cela amène de nombreux chercheurs à penser que les païens convertis au christianisme à Corinthe avaient pris à tort les proclamations de liberté de Paul pour signifier qu'il n'y avait pas d'anciennes règles de comportement (voir aussi 1 Co 6, 12). L'autorité de Paul pour prononcer une excommunication, même à distance, est invoquée en 5, 4-5 ; et ce qui suit, en référence à la lettre qu'il leur avait déjà envoyée (Lettre A ; #3), montre que sa principale préoccupation n'est pas l'immoralité du monde extérieur à la communauté, mais le péché à l'intérieur de la communauté qui pourrait la souiller de manière nuisible (5, 6-13 ; imagerie juive, tirée de la pratique de la Pâque).

      La méfiance juive de Paul à l'égard des normes du monde païen se reflète dans son insistance sur le fait que les différends doivent être réglés en faisant appel à des collègues chrétiens comme juges plutôt qu'à des tribunaux païens (6, 1-8) et dans sa liste de vices dont les chrétiens de Corinthe étaient autrefois coupables (6, 9-11). En 6, 12, nous entendons un slogan en circulation à Corinthe qui est vraisemblablement à l'origine d'une grande partie de ce que Paul condamne : « Pour moi, tout est permis ». Paul le nuance en insistant sur le fait que tout n'apporte pas le bien et en insistant sur le fait qu'aucun de nos choix ne doit nous rendre esclave de quoi que ce soit. La vraie liberté n'a pas besoin d'être exprimée pour rester une liberté. Les gens ne vivent pas dans un environnement neutre : S'adonner à un comportement lâche n'est pas la liberté mais l'asservissement à des compulsions qui asservissent. La permissivité sexuelle affecte le corps du chrétien, qui doit être évalué comme un membre du corps du Christ (6, 15) et le temple du Saint-Esprit (6, 19). Le corps d'une personne est un moyen de communication avec elle-même, et les rapports sexuels produisent donc une union entre les partenaires. L'union de celui qui est membre du Christ avec un partenaire indigne, comme une prostituée, déshonore le Christ, tout comme l'union conjugale glorifie Dieu (6, 20).

      S'appuyant sur ce qu'il a entendu sur les Corinthiens, au chap. 7, Paul commence à répondre aux questions qui lui ont été posées. La première concerne l'affirmation (la sienne ou celle inventée à Corinthe ?): « Il est bon qu'un homme ne touche pas à une femme ». Bien que l'abstention sexuelle soit louable en soi, Paul ne l'encourage pas au sein du mariage car elle pourrait créer des tentations et entraîner des injustices. Il encourage le mariage pour ceux qui ne peuvent pas se contrôler, même si « je voudrais que tous soient comme je suis moi-même » - Paul semble vouloir dire sans femme (veuf ou jamais marié ?) et, bien sûr, en pratiquant l'abstinence (7, 2-9).

      À ceux qui sont déjà mariés (peut-être en pensant à un couple spécifique), Paul répète la décision du Seigneur contre le divorce et le remariage (7, 10-11), mais il ajoute ensuite une décision de son cru qui permet la séparation lorsque l'un des partenaires n'est pas chrétien et ne veut pas vivre en paix avec le croyant (7, 12-16). En 7, 17-40, Paul montre à quel point sa pensée est apocalyptique : Il voudrait que tous les hommes (juifs circoncis, païens non circoncis, esclaves, célibataires, mariés, veuves) restent dans l'état où ils étaient lorsqu'ils ont été appelés au Christ, car le temps est devenu limité. Il est certain que cette perspective reste un facteur de plaidoyer en faveur du célibat : En tant que vertu chrétienne, il n'a aucun sens s'il n'est pas accompagné d'autres signes (pauvreté volontaire, don de soi) montrant la foi dans le fait que ce monde n'est pas durable.

      Au chap. 8, Paul répond à des questions concernant la nourriture qui avait été sacrifiée aux dieux et offerte ensuite à quiconque voulait l'acheter. Puisqu'il n'y a pas d'autres dieux que le Dieu unique, le Père et la source de qui viennent toutes choses, il est tout à fait indifférent que des aliments aient été offerts à des dieux. Les chrétiens ont donc la liberté : « Nous ne sommes pas plus mal lotis si nous ne mangeons pas, ni mieux lotis si nous mangeons » (8, 8). Cependant, sur le plan pastoral, Paul se préoccupe des convertis faibles dont la compréhension est imparfaite et qui pourraient penser que s'asseoir et manger dans le temple d'un faux dieu implique l'adoration de ce dieu et pourraient donc commettre une idolâtrie en mangeant. Il faut donc veiller à ne pas scandaliser ces croyants faibles. La position de Paul est régie par la déclaration avec laquelle il ouvre cette discussion (8, 2) : La connaissance, même la connaissance correcte, peut gonfler le moi, mais l'amour édifie les autres et impose donc des contraintes sur le comportement égoïste. Si le fait de manger les fait tomber, il vaut mieux ne pas manger (8, 13). De manière quelque peu décousue, il revient sur cette même question en 10, 23-33 : « Ne soyez jamais une cause de scandale pour les Juifs, pour les Grecs ou pour l'Église de Dieu » (10, 32).

      Au chap. 9, Paul défend avec passion ses droits d'apôtre. D'autres peuvent nier qu'il soit un apôtre ; mais il a vu le Seigneur ressuscité, et le travail qu'il a accompli dans la conversion est la preuve de son apostolat. Ce n'est pas l'insécurité de son statut qui a amené Paul à passer outre ses droits d'apôtre, par exemple son droit d'être nourri et soutenu, ou d'être accompagné d'une épouse chrétienne qui devrait également être soutenue. Au contraire, il subvenait à ses propres besoins et prêchait l'Évangile gratuitement, de peur qu'une demande de soutien ne constitue un obstacle à la foi (c'est-à-dire que les gens penseraient qu'il prêche pour de l'argent). Deux passages extraordinairement rhétoriques (9, 15-18.19-23) montrent Paul sous son meilleur jour. Il est clairement fier de ce qu'il a accompli par ses sacrifices ; et pourtant, dans un autre sens, il était sous la contrainte divine : « Malheur à moi si je ne proclame pas l'Évangile ! » Et dans cette proclamation, il est devenu tout pour tous afin de gagner plus de monde : Pour ceux qui étaient sous la Loi, il était comme celui qui était sous la Loi ; pour ceux qui n'étaient pas sous la Loi, comme celui qui n'était pas sous la Loi ; pour les faibles, comme celui qui était faible. En 9, 24-27, il termine cette question des difficultés qu'il a rencontrées dans son ministère en utilisant de manière fascinante l'imagerie des compétitions athlétiques, qui devait être très familière aux Corinthiens, pour qui les jeux isthmiques étaient très importants. Il s'est soumis à un entraînement disciplinaire punitif, de peur qu'après avoir annoncé l'Évangile aux autres, il ne soit lui-même disqualifié.

      Les chap. 10-11 traitent d'autres problèmes à Corinthe, principalement ceux qui concernent le culte communautaire. En 10, 1-13, citant l'exode où de nombreux Israélites qui avaient traversé la mer et reçu une nourriture divine ont néanmoins déplu à Dieu, Paul met en garde les Corinthiens contre l'immoralité sexuelle, le découragement par les épreuves et l'adoration de faux dieux - autant d'exemples tirés de la mise à l'épreuve d'Israël dans le désert qui « ont été écrits pour nous servir de leçon, à nous qui touchons la fin des temps ». En 10, 2.14-22, Paul parle du baptême et de la coupe eucharistique de bénédiction qui est un partage du sang du Christ et de la fraction du pain qui est un partage du corps du Christ (10, 16). Paul fournit ici des perceptions importantes pour la théologie sacramentelle ultérieure, car il indique clairement que, par le baptême et l'eucharistie, Dieu délivre et soutient les chrétiens, mais il montre aussi qu'une telle aide extraordinaire n'immunise pas ceux qui reçoivent les sacrements contre le péché et ne les exempte pas du jugement divin. Puisque les nombreux participants ne forment qu'un seul corps, la participation à l'eucharistie est inconciliable avec la participation à des sacrifices païens qui sont en fait offerts aux démons et rendent les gens partenaires des démons. On ne peut pas participer à la fois à la table du Seigneur et à la table des démons. Interrompant la question de l'eucharistie, 11, 1-16 fournit des indications sur le « comportement liturgique » de la communauté : Un homme doit prier ou prophétiser la tête nue, tandis qu'une femme doit avoir la tête couverte. Le fondement théologique de cette exigence (l'homme est le reflet glorieux de Dieu, tandis que la femme reflète l'homme ; à cause des anges, la femme doit avoir un signe d'autorité sur la tête) n'a peut-être pas été jugé pleinement probant par Paul lui-même, car à la fin (11, 16), il s'en remet à l'autorité de sa propre coutume et à celle des Églises.

      Puis, en 11, 17-34, Paul revient sur l'eucharistie et le repas au cours duquel elle a été organisée, exprimant sans détour son mécontentement face au comportement des Corinthiens. Les divisions (celles des chapitres 1 à 4 ?) sont reportées sur la « Cène », où les Corinthiens se réunissent en tant qu'Église (11, 18) pour reconstituer le souvenir de ce que Jésus a fait et dit la nuit où il a été livré jusqu'à sa venue (11, 20.23-26). Il semble que certains aient un repas qui précède la fraction du pain et la coupe de bénédiction, tandis que d'autres (« ceux qui n'ont rien ») sont exclus et ont faim. Peut-être cela fait-il écho à une situation sociale où le besoin d'un grand espace fait que les réunions eucharistiques ont lieu dans la maison d'une personne riche ; tous les chrétiens, y compris les pauvres et les esclaves, doivent être acceptés dans la zone d'hospitalité de la maison pour l'eucharistie, mais le propriétaire n'invite à sa table que des amis de statut social aisé pour le repas préparatoire. Ce n'est pas l'idée que Paul se fait de l'Église de Dieu (11, 22) ; soit tous doivent se réunir pour prendre le repas, soit ils doivent d'abord manger dans leur propre maison (11, 33-34). Tout le but de la fraction sacrée du pain est la koinōnia (10, 16), et non la division de la communauté. On pèche aussi contre le corps et le sang du Seigneur si on mange le pain et boit la coupe indignement (11, 27), apparemment en ne discernant pas qu'il s'agit du corps et du sang du Seigneur (11, 29). En fait, Paul affirme que le jugement s'abat déjà sur les Corinthiens, car certains sont morts et beaucoup sont malades (11, 30). Malgré le livre de Job, la corrélation entre le péché et la maladie/mort est restée forte dans la pensée juive !

    4. Partie III du corps de la lettre (12, 1 - 14, 40)

      Les chapitres 12 et 14 traitent des dons spirituels ou charismes donnés en abondance aux chrétiens de Corinthe, tandis que le chapitre 13, parfois appelé hymne à l'amour, apparaît comme une interruption corrective de tout acquis en matière de charismes. Ces chapitres ont fait l'objet d'une telle attention qu'il semble préférable d'en discuter séparément et plus complètement un peu plus loin. Pour l’instant, commentons un seul point.

      Parce que 12, 28 énumère les apôtres, les prophètes et les enseignants comme étant les premiers charismes, on pense le plus souvent que la communauté de Corinthe était administrée par des charismatiques, c'est-à-dire par ceux qui étaient reconnus comme ayant reçu l'un de ces charismes de l'Esprit. Pourtant, le tableau est compliqué, car un charisme spécial d' « administration » est également mentionné en 12, 28. De plus, nous savons relativement peu de choses sur la manière dont les fonctions étaient réparties entre les apôtres, les prophètes et les enseignants, et dans quelle mesure des apôtres autres que Paul étaient impliqués. Même si Ep 4, 11 a été écrit des années plus tard, son ordre avec des apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants nous avertit que l'attribution des fonctions n'était peut-être pas exacte ou uniforme. La description de la parole des prophètes dans 1 Cor 14, 29-33 montre combien il est difficile d'être sûr de ce que faisaient les prophètes. En 14, 34-35, immédiatement après une description de la prophétie, les femmes sont exclues de la parole dans les églises ; pourtant 11, 5 permet aux femmes de prier ou de prophétiser la tête couverte. L'idée que, dans les années 50, toutes les églises pauliniennes étaient administrées de manière charismatique comme à Corinthe (et que, vingt ou trente ans plus tard, cette administration a évolué vers une structure plus institutionnalisée d'évêques et de diacres, telle qu'elle est décrite dans les Pastorales) est risquée en raison du manque d'informations dans la plupart des autres lettres écrites à cette époque, et de la référence aux évêques et aux diacres à Philippes (Ph 1, 1).

    5. Quatrième partie du corps de la lettre (15, 1-58)

      Paul y décrit l'évangile en termes de résurrection de Jésus, puis en tire des implications pour la résurrection des chrétiens. Certains chrétiens de Corinthe ont affirmé qu'il n'y a pas de résurrection des morts (15, 12). On ne sait pas très bien ce que ces gens pensent à propos de ce qui est arrivé à Jésus; mais l'argument est logique s'ils pensent que Jésus est ressuscité des morts avec son corps, et dans 15, 1-11 Paul leur rappelle cette tradition commune. Jésus est ressuscité des morts et est apparu à des personnages connus tels que Céphas, les Douze, Jacques (le frère du Seigneur) et Paul lui-même (15, 3-8 ; voir aussi 9, 1) - une tradition tout à fait conforme aux Écritures et solidement attestée : « Que ce soit donc moi ou eux, c'est ainsi que nous avons prêché et c'est ainsi que vous avez cru » (15, 11). Quant au sort des autres, ceux que Paul allait corriger ont pu penser que l'équivalent de la résurrection avait déjà été accompli par la venue de l'Esprit, de sorte qu'il n'y avait rien d'autre à attendre. Au contraire, s'appuyant sur ce qui est arrivé au Christ, Paul soutient que tous les morts doivent ressusciter (15, 12-19), que la résurrection est future (15, 20-34) et corporelle (15, 35-50). Dans cet argument, il enseigne que ceux qui se sont endormis dans le Christ ne sont pas perdus (voir aussi 2 Cor 4, 14). En effet, le Christ est le premier fruit de ceux qui se sont endormis : Il y a un ordre eschatologique : d'abord, le Christ ; puis, à son retour, ceux qui appartiennent au Christ ; puis, à la fin, lorsqu'il aura détruit toute domination, toute autorité et toute puissance, et soumis tous les ennemis (la mort étant le dernier ennemi), le Christ remettra le royaume au Père ; enfin, le Fils lui-même sera soumis à Dieu, qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous (15, 23-28).

      La résurrection n'est pas une question abstraite pour Paul ; au contraire, l'espoir d'être ressuscité explique sa volonté de souffrir comme il l'a fait à Éphèse, d'où il écrit cette lettre (15, 30-34). En 15, 35-58, Paul se concentre sur une autre objection soulevée à Corinthe concernant la résurrection des morts : Avec quel genre de corps ? Paul donne une réponse subtile : La résurrection impliquera un corps transformé, aussi différent que la plante adulte l'est de la graine - un corps impérissable, non périssable ; puissant, non faible ; spirituel, non physique ; à l'image ce qui est d'origine céleste, non issu de la poussière de la terre. À la fin, que nous soyons vivants ou morts, nous serons tous changés et revêtus de l'impérissable et de l'immortel (15, 51-54). L'essentiel de la réponse aux Corinthiens qui nient la résurrection est que la mort a perdu son dard parce que Dieu nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ (15, 55-58).

    6. Clôture du corps de la lettre (16, 1-18) et formule de conclusion (16, 19-24)

      La clôture de 1 Corinthiens donne des instructions aux Corinthiens pour qu'ils prennent en charge la collecte pour Jérusalem et expose le plan de Paul. Paul veut rester à Éphèse au moins jusqu'à la Pentecôte (mai/juin 57 ap. JC ?) car, malgré l'opposition, une occasion d'évangéliser s'est présentée à lui. Cependant, il prévoit de venir à Corinthe en passant par la Macédoine et peut-être d'y passer l'hiver (57-58 ?). Si Timothée vient, il doit être bien traité (16, 10-11). Quant à Apollos, bien que Paul l'ait exhorté à retourner à Corinthe, il n'est pas disposé à le faire pour l'instant, sans doute de peur d'exacerber les factions en présence (16, 12).

      Bien que les salutations finales (y compris celles d'Aquila et de Prisca/Priscilla) soient chaleureuses, lorsque Paul prend la plume pour ajouter une touche de sa propre main, il agit comme un juge, maudissant quiconque à Corinthe n'aime pas le Seigneur (16, 22). Ses dernières paroles sont néanmoins positives, non seulement en étendant l'amour à tous, mais aussi en prononçant une prière que, de toute évidence, même les Corinthiens connaissent dans la langue maternelle de Jésus (araméen māránā thā’ : "Notre Seigneur, viens").

  3. Les personnes critiquées par Paul à Corinthe

    Dans les chap. 1-4, Paul corrige le factionnalisme parmi les Corinthiens, non pas en s'adressant à chaque groupe séparément, mais en critiquant l'ensemble de la communauté des chrétiens pour s'être laissé diviser en trois ou quatre groupes d'adhérents. Il ne nous dit pas s'il y avait des différences théologiques entre les groupes, au-delà de leur loyauté envers des individus différents, mais les biblistes se sont sentis libres d'attribuer à chacun des positions individuelles distinctes. Par exemple, on attribue souvent une adhésion conservatrice à la Loi à la faction de Céphas (Pierre), bien que 1 Co 15, 5.11 indique que Céphas et Paul prêchaient un message commun. Il n'y a aucune preuve que les missionnaires dont les noms désignent les factions (Paul, Apollos, Céphas) aient été blâmés par Paul pour avoir encouragé un tel factionnalisme. La formation des groupes était-elle spontanée, ou certains de ceux dont les slogans sont critiqués dans les chapitres suivants de 1 Co ont-ils joué un rôle dans la génération du factionnalisme ? Peut-être les groupes ont-ils donné une voix à des tendances déjà présentes, par exemple une compréhension inadéquate par les païens des idées chrétiennes dérivées du judaïsme. Les trois ou quatre factions étaient-elles organisées en églises de maison distinctes ? Les réponses à cette question sont en grande partie des suppositions, car il y a peu d'informations en 1-2 Co sur les églises de maison, au-delà de leur existence (1 Co 16, 19 ; Rm 16, 23). En effet, 1 Co 14, 23 envisage la possibilité d'un rassemblement de toute l'Église.

    Les mots « sagesse » « sage » apparaissent plus de vingt-cinq fois dans les chapitres 1 à 3. La critique des Juifs et des Grecs, qui tous deux rejettent le Christ qui était la sagesse de Dieu, montre que Paul ne critique pas une seule vision de la sagesse humaine, même si des formes de philosophie grecque étaient incluses dans la sagesse recherchée par les Grecs (1, 22). Bien que dans les chap. 1-4, la gnōsis n'apparaît qu'en 1, 5, un nombre considérable de chercheurs ont soutenu que Paul critiquait un mouvement gnostique à Corinthe. Pour preuve, ils se tournent parfois vers les derniers chapitres de 1 Co, par exemple « Nous possédons tous la connaissance » (8, 1) et la discussion sur la connaissance en 8, 7-11 ; voir aussi 13, 2.8 ; 14, 6. Il y avait certainement à Corinthe des chrétiens qui avaient plus de connaissances que les autres et qui se croyaient supérieurs. Mais le terme de « gnostiques » leur convient-il, comme s'ils avaient beaucoup en commun avec les systèmes du 2e siècle qui revendiquaient une connaissance révélée spéciale sur la manière dont les destinataires possédaient une étincelle du divin et pouvaient échapper au monde matériel ? Paul, le fondateur de la communauté chrétienne de Corinthe, est parti vers l’an 52 ; d'importants enseignants gnostiques étaient-ils venus et avaient-ils influencé les chrétiens en 56 ? La négation de la résurrection des morts par certains à Corinthe (15, 12.29) provenait-elle de la négation gnostique que Jésus était physiquement un être humain qui est mort et/ou de l'affirmation que les vrais croyants étaient déjà ressuscités spirituellement ? Les chrétiens de Corinthe disaient-ils vraiment « que Jésus soit maudit » (12, 3) ; et si c'est le cas, rejetaient-ils ainsi l'idée que le Christ (distinct de Jésus) a eu une véritable existence terrestre ?

    Cela nous amène au problème de l'évaluation d'un certain nombre de slogans en 1 Co. Outre ceux cités ci-dessus, on pourrait inclure les suivants : « Tout m'est permis » (6, 12 ; 10, 23) ; « La nourriture est destinée à l'estomac, et l'estomac à la nourriture » (6, 13) ; « Évitez l'immoralité ; tout autre péché qu'une personne peut commettre est en dehors du corps » (6,18) ; « Il est bon pour un homme de ne pas toucher une femme » (7, 1). Paul modifie ces slogans de manière corrective, et ils sont donc utilisés par ceux qu'il allait admonester à Corinthe. Cette modification laisse toutefois ouvertes deux possibilités majeures : Ces déclarations ont été inventées à l'origine soit par Paul lors de l'évangélisation des Corinthiens (mais sont maintenant utilisées à mauvais escient), soit par les adversaires de Paul. Dans un cas comme dans l'autre, on pourrait postuler leur utilisation dans un système de pensée où la connaissance supérieure conduit un groupe (le parti du « Christ » ?) vers le libertinage en partant du principe que le corps est sans importance, tant pour ce que l'on fait dans le corps que pour ce qui se passe après la mort.

    Enfin, il y a d'autres points dans la critique de Paul qui n'ont peut-être rien à voir avec une position théologique profonde. La tendance à s'adresser aux tribunaux séculiers pour intenter des procès (6, 1-7) et celle des femmes à prier la tête découverte (11, 5) ne reflètent peut-être rien de plus que les mœurs sociales corinthiennes.

  4. La critique de Paul à l'égard des fornicateurs et des homosexuels (6, 9-10)

    Paul avertit que ceux qui pratiquent un certain nombre de vices n'hériteront pas du royaume des cieux. Aujourd'hui encore, presque tous les chrétiens se joindraient à sa condamnation des idolâtres, des voleurs, des cupides, des ivrognes, des calomniateurs et des voleurs, qu'ils leur réservent ou non le même sort sévère. Mais des problèmes majeurs se sont développés à propos de trois désignations : pornoi, malakoi, et arsenokoitai.

    Pornoi est compris comme se référant aux immoraux (sexuellement) par les différentes bibles francophones et anglophones. Aujourd'hui, la plus grande tolérance de la société du premier monde à l'égard de la cohabitation d'hommes et de femmes non mariés et/ou des rapports sexuels entre eux a suscité un débat sur la question de savoir si Paul condamnait de manière générale la « fornication ». Étant donné qu'en 6, 15-18, Paul interdit à un chrétien d'unir son corps à celui d'une prostituée et condamne la porneia, et qu'il y a eu à Corinthe une histoire de prostituées sacrées au service d'Aphrodite, certains soutiennent que par pornoi en 6, 9, Paul entendait seulement ceux qui se livraient à des relations sexuelles pour de l'argent, c'est-à-dire ceux qui avaient des relations avec des prostituées. Cependant, en 5, 1, comme exemple de porneia parmi les Corinthiens, Paul cite l'homme qui vivait avec sa belle-mère - rarement des relations sexuelles à but lucratif. Parce qu'il n'y a pas de preuve adéquate pour restreindre ce qui est inclus dans le mot pornoi chez Paul, alors la traduction « Ceux qui se livrent à la fornication » est plus précise que « Ceux qui utilisent des femmes prostituées ».

    Les deux termes suivants, malakoi et arsenokoitai, nous conduisent à la question de l'homosexualité. Rappelons que dans le monde gréco-romain il n’y avait pas de condamnation générale des relations sexuelles avec une personne du même sexe. En effet, dans les cercles grecs, l'activité homosexuelle d'un homme adulte avec un jeune séduisant pouvait être considérée comme faisant partie de l'éducation cultivée, puisque la beauté du corps masculin était hautement estimée. Mais en général, il était honteux pour un homme adulte d'être le partenaire passif ou de jouer le rôle de la femme - c'était pour les esclaves. (On dispose de moins d'informations sur l'homosexualité féminine, mais il est possible qu'il y ait eu un dédain correspondant pour la femme qui jouait le rôle masculin ou actif). Quant aux Juifs, ils condamnaient l'homosexualité « en bloc », c'est-à-dire à la fois passive et active. Bien que certains spécialistes ne soient pas d'accord, il est fort probable que Paul, avec ses deux substantifs, condamne également l'homosexualité passive et active.

    Malakoi (littéralement, « mou ») pourrait désigner les efféminés, et certains plaideraient pour la traduction « dissolu ». Pourtant, dans le monde gréco-romain, il s'agissait d'une désignation des « mignons », des hommes ou des garçons (surtout ces derniers) qui étaient gardés à des fins sexuelles, jouant le rôle féminin et réceptif. La TOB, Louis Segond et Maredsous ont traduit par « efféminés », la BJ 1998 par « dépravés », André Chouraqui par « voluptueux », la NTB par « passifs ». Mais le débat s'est concentré sur les arsenokoitai (littéralement, « ceux qui couchent avec des hommes »), traduits par « les hommes qui couchent avec les hommes » par la TOB, « gens de mœurs infâmes » par la BJ, « sodomites » par André Chouraqui, « pédérastes » par Louis Segond, « infâmes » par Maredsous. Les mouvements en faveur de la justice pour les homosexuels ont conduit à contester une telle interprétation, et certains prétendent que Paul ne condamne que la prostitution masculine parce qu'elle brutalise le participant actif et victimise le participant passif. Cette affirmation est très douteuse pour plusieurs raisons. Comme indiqué ci-dessus, une tentative de créer un parallélisme avec pornoi, compris comme ceux qui ont des relations sexuelles avec des prostituées, est peu probable. De plus, la composition linguistique d'arsenokoitai ne permet pas de limiter le terme à l'utilisation de prostitués masculins. Les composants arsen et koimasthai se retrouvent en Lv 18, 22 ; 20, 13, qui interdisent de coucher avec un homme comme avec une femme, c'est-à-dire d'avoir un coït avec un homme. Paul, dont la Bible de base était la Septante, avait certainement ces passages à l'esprit lorsqu'il a utilisé le mot composé pour condamner l'homosexualité. Le fait que 1 Co 6, 9-10 place la référence à arsenokoitai dans le contexte de nombreuses autres pratiques condamnées empêche d'évaluer le sérieux avec lequel il la considérait. Sa pensée est plus clairement exposée en Rm 1, 26-27, où il se fonde sur la création par Dieu de l'homme et de la femme l'un pour l'autre, pour s'attacher l'un à l'autre. En conséquence, il dénonce comme une déformation explicite de l'ordre créé par Dieu les femmes qui ont échangé les rapports naturels contre des rapports contre nature et les hommes qui ont abandonné les relations naturelles avec les femmes et se sont enflammés de désir les uns pour les autres. Dans l'ensemble, donc, les preuves sont fortement en faveur de la thèse selon laquelle Paul condamnait non seulement l'activité sexuelle des pédérastes mais aussi celle des homosexuels - en fait, toute activité sexuelle en dehors du mariage entre un homme et une femme.

    Toutes les déclarations d'êtres humains, y compris celles de la Bible, sont limitées par la vision du monde de ceux qui les ont prononcées. Notre attention s'est concentrée sur ce que Paul condamnait au 1er siècle. Une question différente mais essentielle est de savoir dans quelle mesure la condamnation de Paul est contraignante pour les chrétiens d'aujourd'hui. Nous en savons beaucoup plus sur la physiologie et la psychologie de l'activité sexuelle que ne le faisait Paul. Néanmoins, le fait qu'en 1 Co 6, 16, Paul cite Gn 2, 24, « Les deux deviendront une seule chair », suggère que sa condamnation des fornicateurs et des homosexuels en 1 Co 6, 9 est enracinée dans le fait que Dieu a créé l'homme et la femme à l'image divine (Gn 1, 27) et a ordonné qu'ils soient unis dans le mariage - le même contexte cité contre le divorce par Jésus en Marc 10, 7-8.

  5. Les charismes à Corinthe (1 Co 12 et 14) et aujourd'hui

    En 12, 28, nous trouvons une liste de charismes, divisée d'abord en un groupe de trois que Paul se donne la peine de numéroter, composé des apôtres, des prophètes et des enseignants, puis en un groupe non numéroté composé d'actes de puissance (miracles), de dons de guérison, de formes d'aide ou d'assistance, de capacités administratives (ou de direction) et de diverses sortes de langues. Cette liste n'est pas exhaustive, car 12, 8-10 mentionne également le don de sagesse, le don de connaissance, le don de foi, le don de discernement des esprits, ainsi qu'une distinction entre les langues et l'interprétation des langues ; d'autres encore apparaissent en Rm 12, 6-8. Certains qui ont un charisme en veulent un autre, et dans 1 Co 12, 12ss. Paul utilise l'image du corps humain et de ses nombreux membres, probablement empruntée au stoïcisme populaire, pour souligner que la diversité est nécessaire. Même les parties les moins présentables ont un rôle indispensable. En 14, 1-33, nous constatons que le don du parler en langues, peut-être parce qu'il était le plus visible, était la principale source de conflit. Paul critique la situation de plusieurs manières. Il faut interpréter les langues, et par conséquent un don supplémentaire d'interprétation est nécessaire (14, 13). Par rapport aux langues, il existe des dons plus excellents, par exemple la prophétie qui édifie l'Église (14, 5). Plus radicalement, Paul exhorte à rechercher l'amour, qui est plus important que n'importe quel charisme (13, 1-13), qu'il s'agisse du parler en langues angéliques, de la prophétie ou des miracles. Lorsqu'il a avancé tous ses arguments, Paul soutient que tout vrai prophète et toute vraie personne spirituelle reconnaîtra que ce qu'il a écrit est un commandement du Seigneur ; et la personne qui ne le reconnaît pas ne doit pas être reconnue dans la communauté (14, 37-38) ! Si Paul doit recourir à cette « ligne de fond » autoritaire, nous savons que nous avons affaire à un sujet difficile.

    Bien qu'il y ait toujours eu de petites églises et même des sectes de chrétiens qui exultaient dans les phénomènes charismatiques, ces dernières années, les « charismatiques » ont fait l'objet d'une plus grande attention et on les trouve maintenant parmi les membres de la plupart des grandes églises. Il existe une grande variété de charismes dans ces expériences modernes, mais l'attention est souvent centrée sur le parler en langues, « être frappé par l'esprit » et détecter les démons. Il est généralement reconnu que les expériences charismatiques ont le pouvoir d'intensifier la vie religieuse ou spirituelle des gens. Pourtant, les charismatiques vivent-ils aujourd'hui ce qui est décrit dans 1 Co 12 ?

    Quelques remarques s'imposent :

    1. Aucune personne élevée au 20e siècle n'a la vision du monde d'une personne élevée au 1er siècle, et il est donc impossible aujourd'hui de connaître ou de reproduire exactement ce que Paul décrit, quelle que soit la sincérité de l'assurance du charismatique. Sur le point fondamental de l'Esprit, par exemple, les chrétiens sont aujourd'hui façonnés par une théologie trinitaire élaborée au 4e siècle ; rien ne prouve que Paul ait eu une telle clarté sur la personne de l'Esprit.

    2. Quant au parler en langues, Paul affirme qu'il parle en langues à un degré plus élevé que ceux à qui il s'adresse à Corinthe (14, 18). Pourtant, il n'est pas facile d'être certain de ce qu'il entend par « langues ». Il fait référence à un discours qui nécessite une interprétation, à un discours adressé à Dieu mais pas aux autres, car personne ne comprend les locuteurs, à des sons qui en eux-mêmes sont inintelligibles, à un don qui édifie l'individu plutôt que l'Église (14, 1-19), et aux langues des anges (13, 1). Quelques décennies plus tard, l'auteur des Actes des Apôtres semble proposer deux interprétations du parler en langues (2, 4) : l'une dans laquelle il s'agit d'un bavardage inintelligible comme si les locuteurs étaient ivres (2, 13-15), et l'autre dans laquelle il s'agit de parler des langues étrangères que l'on n'a pas apprises (2, 6-7). Les différentes conceptions du terme « langues » sont-elles ce que l'on entend par « diverses sortes de langues » ?

    3. Les charismes décrits par Paul sont des dons donnés librement par Dieu ; ils ne semblent pas tous impliquer une expérience émotionnelle ou un comportement dramatique. Comme nous l'avons déjà indiqué, l'un des dons est la kyberneseis (administration, direction). Aujourd'hui, nous pouvons reconnaître qu'une personne a un don d'administrateur et l'attribuer à Dieu, mais normalement nous ne plaçons pas ces personnes dans la même catégorie charismatique que les locuteurs en langues. Paul, lui, le fait.

    4. L'appréciation moderne des charismes néglige parfois le fait qu'ils étaient source de divisions à Corinthe. Inévitablement, qu'il s'agisse d'un charisme ou d'une fonction, lorsqu'un chrétien prétend avoir un rôle que d'autres n'ont pas, des questions de supériorité et d'envie sont introduites. Certaines réflexions du NT sur l'Esprit vont presque à l'encontre de l'idée de charismes différents. Selon Jean 14, 15-16, quiconque aime Jésus et garde les commandements reçoit l'Esprit Paraclet, et il n'y a aucune suggestion de dons ou de rôles différents. Dans la vision de Jean, tous sont des disciples, et c'est ce qui est important.

    5. Enfin, en évaluant les charismatiques modernes, en restant fidèle aux preuves du NT, on peut se réjouir que l'église d'aujourd'hui, comme celle de Corinthe, ne manque d'aucun don spirituel (1, 7). Cependant, on peut contester ceux qui soutiennent que quelqu'un n'est pas chrétien s'il ne reçoit pas un charisme spécial, ou qui soutiennent que lorsqu'un charisme est reçu, le possesseur est un meilleur chrétien que d'autres qui ne sont pas ainsi doués.

  6. L'"hymne" à l'amour (1 Co 13)

    Ce chapitre contient quelques-unes des plus belles lignes jamais écrites par Paul, d'où son appellation de « Hymne ». Après le contraste entre l'amour et les charismes, 13, 4-8a personnifie l'amour et en fait le sujet de seize verbes. Cela conduit à un contraste entre un présent marqué par les charismes, dans lequel il n'y a qu'un faible reflet dans un miroir, et un avenir où nous verrons face à face. Là, il restera la foi, l'espérance et l'amour, « mais le plus grand de tous, c'est l'amour » (13, 8b-13).

    Que signifie l'amour chrétien (agapē) ? Tous les auteurs du NT n'ont pas nécessairement la même compréhension du terme, mais ce qui suit s'applique à certains des principaux passages. Comme entrée en matière, on peut faire une distinction entre eros et agapē. L'eros comme l'amour est attiré par la bonté de l'objet : les gens tendent la main ou s'élèvent vers le bien qu'ils veulent posséder afin d'être plus complets. Dans la philosophie platonicienne, l’eros serait un facteur de motivation pour atteindre la vérité et la beauté parfaites qui existent en dehors de ce monde. Dans la philosophie aristotélicienne, l'eros impliquerait que le matériel ou le limité tende la main pour être moins limité et ainsi monter dans l'échelle de l'être. Dieu, en qui se trouve toute la perfection, serait l'objet suprême de l'eros. L'agapē, par contre, n'est pas motivé ; il confère la bonté à l'objet aimé. Ainsi, l'agapē commence par Dieu qui n'a besoin de rien de la part des créatures mais qui, par amour, les fait naître et les ennoblit. En particulier, la notion d'amour de Paul est fondée sur le don de soi du Christ, qui nous a aimés non pas parce que nous étions bons, mais alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5, 8). Comme le proclame 1 Jean 4, 8.10 : « Dieu est amour... En ceci consiste l'amour, non que nous ayons aimé Dieu, mais que Dieu nous ait aimés et ait envoyé son Fils en sacrifice expiatoire pour nos péchés. » La personnification éloquente de l'amour dans 1 Co 13, 5-8 rend presque interchangeables l'amour et le Christ. Valorisés (justifiés, sanctifiés) par l'agapē du Christ, nous devenons le canal de transmission de cet amour aux autres que nous aimons, sans évaluer leur bonté et sans motivation : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 15, 12).

  7. Paul et Jésus ressuscité (1 Co 15)

    La tradition préservée en 15, 3 et suivants montre qu'il existait une séquence précoce de la mort, de l'ensevelissement, de la résurrection et des apparitions de Jésus - les éléments constitutifs d'un récit de la passion (surtout si on la combine avec 11, 23 qui situe la dernière Cène dans la nuit précédant l’arrestation de Jésus). Il offre un argument pour reconnaître qu'une tradition sur la carrière terrestre de Jésus se développait parallèlement à la prédication de Paul qui rapporte peu de détails sur cette carrière. Bien que ce chapitre ait été inclus dans 1 Co comme un argument en faveur de la réalité de la résurrection de ceux qui sont morts en Christ, il est devenu une pièce maîtresse dans l'argumentation sur la réalité de la résurrection de Jésus. Dans sa forme actuelle, il y a deux groupes de trois personnes par qui Jésus « a été vu » : Céphas (Pierre), les Douze, et plus de 500 ; puis Jacques, tous les apôtres, et « moi en dernier ». La référence finale à lui-même est extrêmement importante puisque Paul est le seul auteur du NT qui affirme avoir été personnellement témoin d'une apparition de Jésus ressuscité. Nous pouvons énumérer un certain nombre de problèmes :

    1. Paul place son expérience de Jésus ressuscité, même si elle a été la dernière, au même niveau que l'apparition à tous les autres témoins cités. Les Actes des Apôtres donnent une image différente, car après ses apparitions sur terre, Jésus monte au ciel (1, 9) ; par conséquent, une lumière et une voix viennent du ciel à Paul (Actes 9, 3-5 ; 22, 6-8 ; 26, 13-15). Rares sont ceux qui donneraient à l'image lucanienne la priorité sur l'image paulinienne.

    2. Paul emploie la séquence verbale mort/enterré/ressuscité/apparu en 1 Co 15, 3-5 et réutilise « apparu » (le passif de « voir ») trois autres fois en 15, 6-8. Néanmoins, certains ont soutenu que Paul ne fait pas référence à la vision de Jésus sous une forme corporelle. Étant donné que, selon Paul, Jésus est apparu à plus de 500 personnes en même temps, une vision purement interne semble exclue. En outre, on peut supposer que l'expérience de Paul de Jésus ressuscité a quelque chose à voir avec ses attentes concernant la résurrection des morts dans le reste du chapitre. Il y parle très clairement d'une résurrection du corps (même s'il est transformé) et utilise l'analogie des semailles en terre et de ce qui en sort (15, 35-37).

    3. On a beaucoup parlé du silence de Paul sur le tombeau vide de Jésus, comme si ce silence était en contradiction avec les récits évangéliques. Pourtant, il n'y a pas de raison a priori pour qu'il mentionne le tombeau, et la séquence sépulture / résurrection présume virtuellement que le corps ressuscité n'est plus là où il a été enterré.

    4. La description que fait Luc d'un Jésus ressuscité qui parle de lui-même comme ayant de la chair et des os et qui mange (Luc 24, 39.42-43) semble contraire à la conception paulinienne du corps ressuscité comme étant spirituel et non pas en chair et en os (1 Cor 15, 44.50). Luc (qui ne prétend pas avoir vu Jésus ressuscité) pourrait bien avoir eu une compréhension plus concrète, plus tangible du corps ressuscité (de Jésus) que Paul (des corps ressuscités des chrétiens). Une fois encore, rares sont ceux qui donneraient à l'image de Luc la priorité sur celle de Paul.

  8. Questions et problèmes pour la réflexion

    1. L'opinion commune, adoptée ici, est que 1 Co est une lettre unifiée envoyée en une seule fois. Les motifs de l'action de grâce (1, 5-7, par exemple, posséder la connaissance, ne pas manquer de charismes, attendre la révélation de Jésus-Christ) anticipent les thèmes de 8, 1 ; 12, 1 ; 15, 23. Pourtant, il n'y a pas de lien visible entre les factions mentionnées dans les chapitres 1 à 4 et les corrections émises après 5, 1. Par exemple, rien ne nous indique si les membres des factions Céphas (Pierre) ou Apollos sont ceux qui nient que Paul soit un apôtre (9, 2). Les deux occasions d'information mentionnées aux points 4 et 5 plus bas expliquent le mieux la nature décousue de la lettre, mais laissent ouvertes différentes théories de composition: par exemple, les chapitres 7-16 auraient pu être composés en premier, avant que les nouvelles par Chloé sur des problèmes sérieux dans la communauté n'obligent Paul à ajouter les ch. 1 - 6; ou à l'inverses, Paul aurait pu avoir écrit les ch. 1-4, avant que les nouvelles de Chloé ne le forcent à écrire les ch. 5-16.

    2. La description de l'excommunication faite par Paul en 5, 4-5 n'est pas très claire, si ce n'est qu'il insiste sur le fait que l'homme pécheur devait être expulsé de la communauté. Nous trouvons en Ac 5, 1-11 l'extirpation de ceux dont la présence pécheresse corromprait la communauté. La façon dont une communauté chrétienne pourrait traiter quelqu'un qui doit être corrigé est illustrée en Mt 18, 15-17. Mais remarquez que ni en Matthieu (voir 18, 21-22) ni en 1 Co (5, 5b), l'expulsion du pécheur n'était le dernier mot ; il y avait encore un espoir de pardon ou de salut.

    3. Nous voyons des exemples de la compréhension qu'avait Paul de son autorité apostolique en 5, 3-5 (excommunier), 7, 10-16 (émettre une décision qui modifie une décision du Seigneur), et 15, 9-11 (être le porte-parole avec d'autres d'une interprétation autorisée de l'Évangile). Un vieil axiome veut que la révélation ait cessé à la mort du dernier apôtre. Il ne faut pas le prendre dans un sens mécanique, mais il s'agissait de signifier que la révélation chrétienne comprenait non seulement ce que Jésus a dit dans son ministère, mais aussi l'interprétation de Jésus par les apôtres, en particulier telle qu'elle est inscrite dans le NT. Pourtant, dans les discussions modernes sur des questions litigieuses (notamment en matière de moralité), on a parfois l'impression que si Jésus lui-même n'a pas affirmé quelque chose et qu'il faut recourir à la parole de Paul, cela fait moins autorité. De plus, bien que les principales Églises chrétiennes aient résisté à la notion de nouvelle révélation postapostolique, d'autres personnes qui croient au Christ, de Montanus de Phrygie au 2e siècle à Joseph Smith au 19e siècle, ont soutenu que la nouvelle révélation pouvait venir par l'intermédiaire d'un prophète.

    4. Dans les Actes 16, 15.33, nous trouvons des exemples de Paul baptisant immédiatement ceux qu'il avait convaincus au sujet du Christ ; mais selon 1 Co 1, 14, en un an et demi à Corinthe, il n'a personnellement baptisé que Crispus (ce qui confirme Actes 18, 8) et Gaius. Néanmoins, Paul se considérait comme l'unique père des Corinthiens en Christ par l'Évangile. Quelle était la place du baptême dans l'entreprise missionnaire de Paul ? S'il n'a pas baptisé la plupart des Corinthiens, qui l'a fait ? Paul dit qu'il a planté la graine et qu'Apollos l'a arrosée (3, 6). Sans jeu de mots, est-ce Apollos qui a fait le baptême d'eau ? Ce serait intéressant à la lumière d'Actes 18, 24-28 où il ne savait pas qu'il y avait un baptême au-delà de celui de Jean-Baptiste. Quelle théologie du baptême expliquerait la séparation de l'évangélisateur et du baptiseur ? En 1 Co 6, 11, Paul donne la séquence « lavé, sanctifié, justifié » (une référence rare dans 1 Corinthiens à la justification ; voir 1, 30 et 4, 4), montrant que le baptême avait une place centrale. Le chapitre 10 compare le baptême à la délivrance d'Israël d'Égypte par Moïse lors de l'exode, et le place dans un contexte qui parle de l'eucharistie. Voir aussi le traitement en Rm 6, 1-11.

    5. L'attitude de Paul en 1 Co 7, 1-9 est qu'il aimerait que tous soient comme lui, célibataires et abstinents, mais l'affirmation qu'il vaut mieux « se marier plutôt que de brûler » a été la source de nombreuses discussions. Voir aussi 7, 28 : « Si vous vous mariez, ce n'est pas un péché, mais les personnes mariées auront des difficultés » ; et 7, 32-33 : « L'homme non marié peut s'occuper des affaires du Seigneur tandis que l'homme marié s'occupe des affaires du monde et de la manière de plaire à sa femme ». Si l'on admet que ces déclarations sont colorées par la pensée de la venue prochaine du Christ, elles n'offrent pas une image enthousiaste des possibilités de sanctification de la vie conjugale. Dans le christianisme ultérieur, le mouvement monastique pour les hommes et les femmes a conduit à la thèse selon laquelle le célibat est préférable au mariage pour le royaume de Dieu. D'autre part, à l'époque de la Réforme, le célibat a été attaqué comme une déformation de l'Évangile ; et là où le protestantisme a été victorieux, les prêtres et les religieuses ont souvent été contraints de se marier. Aujourd'hui, de nombreux catholiques et protestants veulent éviter la catégorie du « mieux » et reconnaître que le célibat et le mariage vécus dans l'amour de Dieu sont tous deux de nobles appels/choix. La réflexion sur cette question est enrichie par l'étude de Matthieu 19, 10-12 et d’Ep 5, 21-33.

    6. Étant donné l'attitude pastorale de Paul sur la consommation de nourriture sacrifiée aux idoles (chap. 8), qu'y a-t-il de si mauvais dans le comportement de Céphas (Pierre) à Antioche décrit en Gal 2, 1 et suivants ? En tant que chrétien juif, il savait qu'il était libre de manger avec des chrétiens païens ; mais lorsque des hommes de Jacques sont venus et s'y sont opposés, il a cessé de le faire. Paul s'est opposé à ce comportement comme étant timide et peu sincère (même si Barnabas s'est rangé du côté de Pierre) ; mais dans l'esprit de Pierre, n'était-ce pas un comportement pastoral pour éviter de scandaliser les chrétiens juifs moins éclairés ? S'il y avait à Corinthe des personnes qui insistaient pour exercer leur liberté et manger ce qu'elles voulaient, n'auraient-elles pas pu accuser Paul de trahir l'évangile de la liberté par son attitude prudente, tout comme il avait accusé Pierre de cela à Antioche ?

    7. En 10, 1-4, Paul parle des Israélites ancestraux qui ont été baptisés en Moïse dans la nuée et la mer, et qui ont tous mangé la nourriture surnaturelle et bu la boisson surnaturelle. Le rocher dans cette scène d'errance dans le désert était le Christ. Étant donné les références à l'eucharistie en 10, 14-22, Paul réfléchit à la fois sur le baptême et sur l'eucharistie dans le contexte de l'AT. C'est l'une des premières indications de l'étroite association de ce qui devait être désigné par les chrétiens ultérieurs comme les principaux sacrements. Dans quelle mesure étaient-ils réellement associés dans les services « liturgiques » des premiers chrétiens ? Le passage sur l'eucharistie (également 11, 27) implique une grande attention quant aux personnes qui pouvaient y participer. Pourtant, 14, 22 suggère une assemblée où la parole était prononcée et où les non-croyants pouvaient entrer. Y avait-il des réunions chrétiennes séparées pour le repas eucharistique et pour la proclamation de la parole ?

    8. Exacerbées par les disputes de la Réforme, les théologies ecclésiastiques différentes de l'eucharistie ont constitué un facteur de division très important dans le christianisme occidental. 1 Co 10, 14-22 et 11, 17-34 sont d'une importance extraordinaire car ce sont les seules références à l'eucharistie dans les lettres pauliniennes et aussi le plus ancien témoignage eucharistique écrit conservé. La comparaison de 11, 23-25 et Luc 22, 19-20, d'une part, avec Marc 14, 22-24 et Matthieu 26, 26-28, d'autre part, suggère au moins deux formes différentes préservées des paroles eucharistiques de Jésus - peut-être trois si l'on tient compte de Jean 6, 51. (Il se peut que Paul et Luc nous donnent la forme en usage dans l'église d'Antioche.) Cela donne à réfléchir : s'il n'y avait pas eu d'abus à Corinthe, Paul n'aurait jamais mentionné l'eucharistie ; et de nombreux spécialistes soutiendraient certainement qu'il n'y avait pas d'eucharistie dans les églises pauliniennes, au motif qu'il n'aurait pas pu écrire autant et rester accidentellement silencieux à ce sujet. De plus, puisque le deuxième passage mentionne des divisions sur la pratique et la compréhension de l'eucharistie à Corinthe cinq ans après la conversion, cela nous rappelle à quel point l'eucharistie est rapidement devenue une source de discorde ! Une question qui divise les églises chrétiennes aujourd'hui est de savoir si l'offrande eucharistique comporte un aspect sacrificiel. Un autre sujet de discorde concerne la présence réelle : Le communiant mange-t-il vraiment le corps et boit-il le sang du Seigneur ? Bien que les débats entre catholiques romains et protestants dépassent certainement la pensée de Paul, une réflexion sur 1 Co 10, 14-22 et 11, 27-29 contribue à la discussion, ainsi que sur Jean 6, 51-64. Ces passages contiennent des versets qui ont un contexte sacrificiel et des versets qui soulignent le réalisme mais aussi la nécessité de la foi.

 

Prochain chapitre: 23. Deuxième lettre aux Corinthiens

Liste de tous les chapitres

Les activités de Paul selon ses lettres et les Actes

La chronologie paulinienne selon deux types d'approche

Voies romaines à l'époque de s. Paul

Les voies romaines à l'époque de s. Paul