![]() Sybil 1998 |
Le texte évangélique
Luc 9, 28-36 28 Environ huit jours plus tard, après que Jésus eut dit que quelques-uns des disciples n’allaient pas mourir avant d'avoir vu le règne de Dieu, il advint que Jésus monta à la montagne pour prier, emmenant avec lui Pierre, Jean et Jacques. 29 Or, comme il priait, l’aspect de son visage se métamorphosa et son habillement devint d’une grande blancheur, fulgurant comme la lumière. 30 Puis deux hommes se présentèrent et conversaient avec lui. C’était Moïse et Élie. 31 Ces hommes célestes parlaient avec Jésus de son exode prochain qui se produirait à Jérusalem. 32 Alors, Pierre et ses compagnons, dans un demi-sommeil, virent Jésus et les deux hommes avec lui dans leur monde céleste. 33 Et au moment où les deux hommes allaient se séparer de Jésus, Pierre s’adressa à Jésus : « Maître, comme c’est bon d’être ici. Fabriquons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie ». Pierre ne savait trop quoi dire. 34 Au moment où il disait cela, advint une nuée qui les enveloppa de son ombre. Les disciples furent effrayés d’entrer dans la nuée. 35 Puis une voix, provenant de l’extérieur de la nuée, leur dit : « Celui-ci est mon fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le ». 36 Quand la voix se fit entendre, Jésus se retrouva seul. Quant aux disciples, ils se turent et ne rapportèrent à personne en ce temps-là ce dont ils avaient été témoins. |
Des études |
![]() Où sont maintenant tous ces êtres? |
Commentaire d'évangile - Homélie Au début de l'année 1988, un neuropsychiatre britannique du nom de Peter Fenwick s'est retrouvé noyé sous les lettres de personnes qui pensaient avoir survécu à une rencontre avec la mort. Ces lettres ont été écrites par des personnes qui n'avaient jamais, au grand jamais, parlé de leurs expériences à qui que ce soit. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient trop peur, ou sentaient que ça n’intéressait personne quand on ne disait pas qu’ils étaient fous. Mais le Dr Fenwick, spécialiste de la conscience, s'est montré très intéressé. Il a présenté ses conclusions, ainsi que des extraits des lettres, dans « The Truth in the Light : An Investigation of Over 300 Near-Death Experiences » (1995), qu'il a écrit avec sa femme, Elizabeth. Pourtant le Dr Fenwick avait été sceptique quand il avait lu en 1975 l’ouvrage du philosophe et psychiatre américain Raymond A. Moody Jr. publié sous le titre « La vie après la vie ». Son analyse lui a permis d’écarter des causes possibles de ces expérience limites comme l’anoxie (manque d’oxygène) ou les hallucinations. Et ce qui l’a surpris, c’est la similitude des expériences. Écoutons quelques témoignages. « J'ai connu un enseignant qui m'a raconté l'expérience qu'il avait vécue avec sa mère au moment de sa mort. Quelques secondes avant de quitter ce monde, elle a soudain dit très clairement : « C'est si beau ! ». Puis elle s'est éteinte. Je ne suis pas croyant et je ne sais pas s'il y a une vie après celle-ci. Mais cette histoire est restée gravée dans ma mémoire depuis que je l'ai entendue en 1991 ». Pourquoi faire référence à ces expériences? Il y a un parallèle étonnant à faire entre ces expériences et le récit de la transfiguration chez Luc. Le premier parallèle concerne le contexte. Jésus a annoncé une première fois sa mort prochaine et avertit que pour être son disciple il faut prêt à donner sa vie. On ne peut comprendre le récit de la transfiguration qu’en nous plongeant dans le contexte de la mort imminente de Jésus. Si Marc et Matthieu nous présentent également un récit de la transfiguration de Jésus, la version de Luc est très différente. Regardons de près. Quand il entreprend d’écrire son récit, Luc semble disposer de deux traditions, d’abord celle reflétée par Marc, reprise par Matthieu, et une autre qui lui est propre et qui présente une perspective totalement différence de celle de Marc. En effet, l’accent n’est plus sur les trois disciples qui voient Jésus sous un jour différent, mais sur Jésus lui-même : il est dans un état de prière si intense, que l’aspect de son visage change et son vêtement devient blanc, fulgurant. Qu’est-ce à dire? Dans le monde biblique, un changement d’aspect et la couleur blanche fulgurante sont une évocation du monde de l’au-delà. Cela est confirmé par ce qui suit. Deux hommes apparaissent en gloire, donc des envoyés de l’au-delà, et discutent avec Jésus de son exode prochain à Jérusalem, i.e. de sa mort. Jésus a en quelque sorte un pied dans l’au-delà tellement sa mort est prochaine, et le terme « exode » comporte quelque chose d’ambigüe : d’une part, il suscite énormément de tristesse, car Jésus ne marchera plus jamais sur nos routes, il ne s’assoira plus pour donner son enseignement avec cette foule autour de lui, il ne posera plus jamais ses mains pour guérir; d’autre part, le mot « exode » ouvre une perspective inouïe : la mort est simplement un passage à autre chose. Ainsi, cette tradition propre à Luc affirme deux choses qui nous concernent : vous êtes sur le point de perdre quelqu’un que vous avez aimé et que vous voudriez retenir, mais sachez qu’il ne disparaît pas, mais est transformé pour passer à un autre monde où il pourra agir encore plus profondément. Et parler de Jésus, c’est aussi parler de nous, de notre destin. Luc intègre cette tradition avec celle qui lui est parvenue à travers Marc. Qu’est-ce que cela donne? Les deux hommes avec Jésus sont identifiés : ce sont Moïse et Élie, deux grandes figures de l’Ancien Testament, l’un représentation la Tora ou Loi, l’autre les prophètes qui, eux aussi, avait vécu un exode vers Dieu. Surtout, deux événements se produisent. Tout d’abord, Pierre est subjugué par l’atmosphère de rêve et trouve la situation tellement bonne, qu’il propose trois demeures pour garder sur place tous les personnages en gloire. En parlant de tentes, l’auteur du récit nous place dans l’atmosphère de la fête joyeuse des Tentes dans le Judaïsme qui avait lieu à l’automne, à la fin de la saison des récoltes, en particulier celle des olives. En même temps, Pierre est effrayé. Pourquoi ces sentiments contradictoires? Confronté au monde de l’au-delà, Pierre est émerveillé, mais en même temps l’inconnu et un monde différent l’effraie. Un deuxième événement survient, celle d’une nuée qui enveloppe de son ombre les personnages et une voix, la même qui est intervenue au baptême de Jésus pour rappeler à l’auditoire que celui-ci est le fils de Dieu, i.e. son représentant, celui qu’il a choisi, et qu’il faut l’écouter. Pourquoi reprendre ainsi l’épiphanie du baptême? Du point de vue de Jésus, la première épiphanie le soutenait pour amorcer sa mission auprès des Juifs, et maintenant, la deuxième épiphanie vise à le soutenir pour affronter la mort. Pour nous, le message est le même : il faut l’écouter, i.e. il faut accepter que Jésus nous trace le chemin que nous sommes appelés à suivre. La scène se termine comme la fin d’un rêve : les personnages célestes disparaissent et Jésus se retrouve seul. Et l’auteur ajoute : les disciples se turent et ne dirent à personne en ces temps-là ce qu’ils avaient vu. Qu’est-ce qui s’est réellement passé? On ne le saura jamais, car c’est une catéchèse que nous offre Luc en fusionnant deux récits reçus de la tradition. Mais je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement troublant avec le témoignage des gens qui ont cogné à la porte de la mort. Dans la scène de la transfiguration, les personnages sont enveloppés de lumière blanche et éclatante, tout comme la lumière est un thème commun de ceux qui ont vécu la presque-mort. Chez Luc, les personnages célestes discutent de l’exode de Jésus, i.e. de son passage, tout comme beaucoup de témoins de la presque-mort parlent d’un « tunnel ». Devant la scène, Pierre s’est écrit : « Comme c’est bon », un écho aux témoins de la presque-mort qui disent des paroles comme « C’est si beau », ou parlent de sensation extraordinairement heureuse, ou de grande sérénité. Dans le récit de la transfiguration, Jésus fait la rencontre de Moïse et Élie, comme beaucoup de témoins de la presque-mort font la rencontre d’un parent. Enfin, le récit de la transfiguration se termine avec la mention que les témoins ne dirent rien à personne, ce qui rejoint beaucoup de témoins de la presque-mort qui gardèrent longtemps le silence par peur d’être ridiculisé ou considérés comme fous. Le récit dit de la transfiguration est un moment charnière avant l’entrée dans la passion, car elle pose la question : où conduisent la souffrance et la mort. Aujourd’hui, chacun à son idée sur la question de la mort et de l’après-vie. Elisabeth Kübler-Ross, qui s’est beaucoup intéressée aux questions reliées à la souffrance et à la mort, révèle qu’un sondage cherchant à déterminer s’il y a un impact chez l’humain entre croire ou ne pas croire à une vie après la mort a conclu : aucun impact. Ceci peut paraître sidérant, mais néanmoins ça rejoint un point central de la foi chrétienne : la vie après la vie est un don, un cadeau inespéré. C’est ainsi qu’on parle de la résurrection de Jésus : « Dieu l’a réveillé des morts » (Ac 3, 15). L’être humain a tout ce qu’il faut pour faire les bons choix dans la vie, sans l’influence de la perspective de l’au-delà. Néanmoins, la perspective de la vie après la vie change quelque chose de son identité : il est appelé à partager un trait propre de Dieu, celui de son éternité; il n’est plus un être pour la mort, mais un être pour la vie; la mort n’est plus un adieu, mais un au revoir. Voilà un cadeau par pur amour.
-André Gilbert, Gatineau, février 2025
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