Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.2: Appendice I: L’évangile de Pierre. Un récit de la passion non canonique., pp 1317-1349, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


L’évangile de Pierre. Un récit de la passion non canonique


Table des matières

  1. Texte de l’évangile de Pierre
  2. La séquence et le contenu de l’évangile de Pierre
    1. Table de la séquence (comparaison de l’évangile de Pierre avec les évangiles canoniques)
    2. Comparaison du contenu de l’évangile de Pierre avec les évangiles canoniques
    3. Proposition d’ensemble sur la composition en se basant sur la séquence et le contenu
  3. Les aspects de la théologie de l’évangile de Pierre
    1. Le débat ancien sur le docétisme de l’évangile de Pierre
    2. Traits théologiques discernables dans l’évangile de Pierre
  4. Quand et où fut composé l’évangile de Pierre


Prochain chapitre: Appendice 2 - Date de la crucifixion (Jour, mois, année)

Liste de tous les chapitres

Lors d’une campagne archéologique dans les années 1886-1887 à Akhmîn en Égypte (la ville de Panopoulos dans l'Égypte des premiers chrétiens, voir la carte), une équipe française fit la découverte de 33 feuilles de parchemin écrite sur les deux côtés, dont les pages 2 à 10, datées autour du 7-9e siècle, contenait un texte écrit en grec, commençant avec une demi-phrase sur le procès de Jésus et se terminant avec une demi-phrase autour de la mer où Jésus devait apparaître à ses disciples. Il semble que c’est tout ce que le copiste avait en main à copier. Les biblistes ont par la suite identifié ce texte où Pierre parle à la première personne avec l’évangile de Pierre qu'évoquaient les Pères de l’Église et qui semblait en circulation à Antioche avant l’année 200. Dans les années 1970, deux fragments du Papyrus Oxyrhynque 2949, où apparaissent 16 mots qui ressemblent partiellement à ce qu’on trouve dans l’évangile de Pierre 2, 3-5, sont venus soutenir l’idée que cet évangile était connu en Égypte au 2e siècle.

Notes sur le texte qui suit :

  • Le texte grec proposé est celui publié par Mark M. Mattison, qui reprend la transcription de Walter R. Cassels, The Gospel According to Peter: A Study (Longmans, Green, And Co.), 1894.
  • La traduction française proposée suit les choix de Raymond Brown dans sa traduction anglaise.

Sigles utilisés pour le texte grec :

[ ] Texte reconstitué
( ) Lettres non incluses mais implicites
< > Correction éditoriale d'une erreur du copiste
{ } Lettre ajoutée par erreur par le copiste
' ' Lettres insérées au-dessus de la ligne par le scribe
  1. Texte de l’évangile de Pierre
     Texte GrecTraduction française
    1,1τ[ῶν] δὲ Ιουδαίων οὐδεὶς ἐνίψατοτὰς χεῖρας οὐδὲ Ηρῴδης οὐδ’ εἷς [τ]ῶν κριτῶν αὐτοῦ καὶ [μὴ] βουληθέντω(ν) νίψασθαι, ἀνέστη ΠειλᾶτοςMais aucun des Juifs ne se lava les mains, ni Hérode ni aucun de ses juges. Et comme ils ne voulaient pas se laver, Pilate se leva.
    1,2καὶ τότε κελεύει ’Ηρῴδης ὁ βασιλεὺς παρ[αλη] μφθῆναι τὸν κ(ύριο)ν, εἰπὼν αὐτοῖς ὅτι ῞Οσα ἐκέλευσα ὑμῖν ποιῆσαι αὐτῷ, ποιήσατε.Et alors le roi Hérode ordonna que le Seigneur soit emmené (envoyé?), leur ayant dit : "Ce que je vous ai ordonné de faire, faites-le.
    2,3(ε)ἱστήκει δὲ ἐκεῖ Ιωσὴφ ὁ φίλος Πειλάτου καὶ τοῦ κ(υρίο)υ καὶ εἰδὼς ὅτι σταυρίσκειν αὐτὸν μέλλουσιν ἦλθεν πρὸς τὸν Πειλᾶτον καὶ ᾔτησε τὸ σῶματοῦ κ(υρίο)υ πρὸς ταφήνMais Joseph, l’ami de Pilate et du Seigneur, s’était tenu là; et sachant qu’ils étaient sur le point de le crucifier, il se présenta devant Pilate et demanda le corps du Seigneur pour l’enterrement.
    2,4καὶ ὁ Πειλᾶτος πέμψας πρὸς ’Ηρῴδην ᾔτησεν αὐτοῦ τὸ σῶμα.Et Pilate, ayant fait envoyer à Hérode, demanda le corps du Seigneur.
    2,5καὶ ὁ ’Ηρῴδης ἔφη Ἀδελφὲ Πειλᾶτε εἰ καὶ μή τις αὐτὸν ᾐτήκει, ἡμεῖς αὐτὸν ἐθάπτομεν, ἐπεὶ καὶ σάββατον ἐπι φώσκει· γέγραπται γὰρ ἐν τῷ νόμῳ ἥλιον μὴ δῦναι ἐπὶ πεφονευμένῳ. Et Hérode dit : "Frère Pilate, même si personne ne l’avait demandé, nous l’aurions enseveli, puisque le sabbat commence à poindre. Car il est écrit dans la Loi : ’Le soleil ne doit pas se coucher sur un condamné à mort’."
    2,5cκαὶ παρέδωκεν αὐτὸν τῷ λαῷ πρὸ μιᾶς τῶν ἀζύμων τῆς ἑορτῆς αὐτῶν.Et il le livra au peuple avant le premier jour de leur fête des Pains sans levain.
    3,6Οἱ δὲ λαβόντες τὸν κ(ύριο)υ ὤθουν αὐτῶν τρέχοντες καὶ ἔλεγον· Σύρωμεν τὸν υἱὸν τοῦ θ(εο)ῦ ἐξουσίαν αὐτοῦ ἐσχηκότες.Mais, ayant pris le Seigneur en courant, ils le poussaient et disaient : "Entraînons le Fils de Dieu, maintenant que nous avons pouvoir sur lui".
    3,7καὶ πορφύραν αὐτὸν περιέβαλλον καὶ ἐκάθισαν αὐτὸν ἐπὶ καθέδραν κρίσεως λέγοντες· Δικαίως κρῖνε βασιλεῦτοῦ ΙσραήλEt ils le revêtirent de pourpre et l’assirent sur un siège de jugement, en disant : "Juge avec justice, roi d’Israël.
    3,8καί τις αὐτῶν ἐνεγκὼν στέφανον ἀκάνθινον ἔθηκεν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς τοῦ κυρίουEt l’un d’eux, ayant apporté une couronne d’épines, la posa sur la tête du Seigneur.
    3,9καὶ ἕτεροι ἑστῶτες ἐνέπτυον αὐτοῦ ταῖ’ς’ ὄψεσι καὶ ἄλλοι τὰς σιαγόνας αὐτοῦ ἐράπισαν ἕτεροι καλάμῳ ἔνυσσον αὐτὸν καί τινες αὐτὸν ἐμάστιζον λέγοντες· ταύτῃ τῇ τιμῇ τιμήσωμεν τὸν υἱὸν τοῦ θ(εο)ῦ.Et d’autres, qui se tenaient là, lui crachaient au visage, et d’autres lui giflaient les joues. D’autres le frappaient avec un roseau, et d’autres encore le flagellaient, en disant : "Avec un tel honneur, honorons le Fils de Dieu".
    4,1καὶ ἤνεγκον δύο κακούργους καὶ ἐσταύρωσαν ἀνὰ μέσον αὐτῶν τὸν κ(ύριο)ν. αὐτὸς δὲ ἐσιώπα ὡς μηδέν πόνον ἔχων.Et ils amenèrent deux malfaiteurs et crucifièrent le Seigneur au milieu d’eux. Mais lui se taisait comme s’il n’avait pas de peine.
    4,11καὶ ὅτε ὤρθωσαν τὸν σταῦρον ἐπέγραψαν ὅτι οὗτός ἐστιν ὁ βασιλεὺς τοῦ Ἰσραήλ.Et quand ils eurent dressé la croix, ils inscrivirent que "c’est le Roi d’Israël".
    4,12καὶ τεθεικότες τὰ ἐνδύματα ἔμπροσθεν αὐτοῦ διεμερίσαντο καὶ λαχμὸν ἔβαλον ἐπ’ αὐτοῖς.Et ayant mis ses vêtements devant lui, ils les divisèrent et tirèrent au sort pour eux.
    4,13εἷς δέ τις τῶν κακούργων ἐκείνων ὠνείδησεν αὐτοὺς λέγων· Ἡμεῖς διὰ τὰ κακὰ ἃ ἐποιήσαμεν οὕτω πεπόνθαμεν οὗτ<ο>ς δὲ σωτὴρ γενόμενος τῶν ἀν(θρώπ)ων τί ἠδίκησεν ὑμᾶς;Mais un de ces malfaiteurs les injuria, en disant : "Nous, c’est à cause du mal que nous avons fait que nous avons souffert ainsi; mais celui-ci, devenu Sauveur des hommes, quelle injustice vous a-t-il faite ?
    4,14καὶ ἀγανακτήσαντες ἐπ’ αὐτῷ ἐκέλευσαν ἵνα μὴ σκελοκοπηθῇ ὅπως βασανιζόμενος ἀποθάνοι.Et s’étant irrités contre lui, ils ordonnèrent qu’on ne lui cassât pas les jambes, afin qu’il mourût tourmenté.
    5, 15Ἦν δὲ μεσημβρία καὶ σκότος κατέσχε(ν) πᾶσαν τὴν Ιουδαίαν· καὶ ἐθορυβοῦντο καὶ ἠγωνίων μήποτε ὁ ἥλιος ἔδυ, ἐπειδὴ ἔτι ἔζη· γέγραπται αὐτοῖς ἥλιον μὴ δῦναι ἐπὶ πεφ<ο>νευμένῳMais c’était le milieu du jour, et l’obscurité régnait dans toute la Judée ; et ils étaient en désarroi et anxieux que le soleil ne se soit couché, puisqu’il vivait encore. [Car] il est écrit pour eux : Que le soleil ne se couche pas sur un condamné à mort.
    5,16καί τις αὐτῶν εἶπεν· Ποτίσατε αὐτὸν χολὴν μετὰ ὄξους· καὶ κεράσαντες ἐπότισανEt quelqu’un d’entre eux dit : "Faites-lui boire du fiel avec du vin vinaigré". Et ayant fait un mélange, ils donnèrent à boire.
    5,17καὶ ἐπλήρωσαν πάντα καὶ ἐτελείωσαν κατὰ τῆς κεφαλῆς αὐτῶν τὰ ἀμαρτήματα.Et ils accomplirent toutes choses et achevèrent les (leurs) péchés sur leur propre tête.
    5,18Περιήρχοντο δὲ πολλοὶ μετὰ λύχνων νομίζοντες ὅτι νύξ ἐστιν <τινὲς δὲ> ἐπέσαντοMais beaucoup se promenaient avec des lampes, croyant qu’il faisait nuit, et ils tombèrent.
    5,19καὶ ὁ κ(ύριο)ς ἀνεβόησε λέγων Ἡ δύναμίς μου ἡ δύναμις κατέλειψάς με καὶ εἰπὼν ἀνελήφθηEt le Seigneur s’écria : "Ma puissance, ô puissance, tu m’as abandonné". Et ayant dit cela, il fut enlevé.
    5,2καὶ αὐτ<ῆ>ς ὥρας διεράγη τὸ καταπέτασμα τοῦ ναοῦ τῆς Ἰερουσαλὴμ εἰς δύοEt à la même heure, le voile du sanctuaire de Jérusalem se déchira en deux.
    6,21καὶ τότε ἀπέσπασαν τοὺς ἥλους ἀπὸ τῶν χειρῶ(ν) τοῦ κ(υρίο)υ καὶ ἔθηκαν αὐτὸν ἐπὶ τῆς γῆς καὶ ἡ γῆ πᾶσα ἐσείσθη καὶ φόβος μέγας ἐγένετοEt alors ils retirèrent les clous des mains du Seigneur et le placèrent sur la terre ; toute la terre fut ébranlée, et une grande frayeur arriva.
    6,22τότε ἤλιος ἔλαμψε καὶ εὑρέθη ὥρα ἐνάτηAlors le soleil brilla, et on a constata que c’était la neuvième heure.
    6,23ἐχάρησαν δὲ οἱ Ἰουδαῖοι καὶ δεδώκασι(ν) τῷ Ἰωσὴφ τὸ σῶμα αὐτοῦ ἵνα αὐτὸ θάψῃ ἐπειδὴ θεασάμενος ἦν ὅσα ἀγαθὰ ἐποίησενPuis, les Juifs se réjouirent et donnèrent son corps à Joseph pour qu’il l’ensevelît, lui qui avait vu les nombreux biens qu’il avait faits.
    6,24λαβὼν δὲ τὸν κύριον ἔλουσε(ν) καὶ εἴλησε(ν) σινδόνι{ν} καὶ εἰσήγαγεν εἰς ἴδιον τάφον καλούμενον Kῆπον ἸωσήφPuis, ayant pris le Seigneur, il le lava, le lia avec un linge et le porta dans son sépulcre, appelé le jardin de Joseph.
    7,25τότε οἱ Ἰουδαῖοι καὶ οἱ πρεσβύτεροι καὶ οἱ <ἱ>ερεῖς γνόντες οἷον κακὸν ἑαυτοῖς ἐποίησαν ἤρξαντο κόπτεσθαι καὶ λέγειν· Οὐαί ταῖς ἁμαρτίαις ἡμῶν ἤγγισεν ἡ κρίσις καὶ τὸ τέλος ἸερουσαλήμAlors les Juifs et les anciens et les prêtres, ayant compris combien de mal ils avaient fait à eux-mêmes, commencèrent à se frapper et à dire : "Malheur à nos péchés ! Le jugement s’est approché et la fin de Jérusalem.
    7,26ἐγὼ δὲ μετὰ τῶ(ν) ἑταίρων μου ἐλυπούμην καὶ τετρωμένοι κατὰ διάνοιαν ἐκρυβόμεθα ἐζητούμεθα γὰρ ὑπ’ αὐτῶν ὡς κακοῦργοι καὶ ὡς τὸν ναὸν θέλοντες ἐμπρῆσαιMais moi, avec les compagnons, j’étais dans la tristesse ; et, blessés dans notre esprit, nous nous cachions, car ils nous recherchaient comme malfaiteurs et comme voulant mettre le feu au sanctuaire.
    7,27ἐπὶ δὲ τούτοις πᾶσιν ἐνηστεύομεν καὶ ἐκαθεζόμεθα πενθοῦντες καὶ κλαίοντες νυκτὸς καὶ ἡμέρας ἕως τοῦ σαββάτουPuis, en plus de tout cela, nous jeûnions, et nous étions assis, étant en deuil et pleurant nuit et jour jusqu’au sabbat.
    8,28συναχθέντες δὲ οἱ γραμματεῖς και Φαρισαῖοι καὶ πρεσβύτεροι πρὸς ἀλλήλους ἀκούσαντες ὅτι ὁ λαὸς ἅπας γογγύζει καὶ κόπτεται τὰ στήθη λέγοντες ὅτι· Εἰ τῷ θανάτῳ αὐτοῦ ταῦτα τὰ μέγιστα σημεῖα γέγονεν ἴδετε ὅτι πόσον δίκαιός ἐστινMais les scribes et les pharisiens et les anciens, s’étant réunis les uns avec les autres, ayant entendu que tout le peuple murmurait et se frappait la poitrine, en disant que : "Si, à sa mort, il s’est produit ces très grands signes, voici combien juste il était",
    8,29ἐφοβήθησαν οἱ πρεσβύτεροι καὶ ἦλθον πρὸς Πειλᾶτον δεόμενοι αὐτοῦ καὶ λέγοντεςIls avaient peur (surtout les anciens) et se présentèrent devant Pilate, le suppliant et disant ,
    8,3Παράδος ἡμῖν στρατιώτας ἵνα φυλάξω<μεν> τὸ μνῆμα αὐτοῦ ἐπὶ τρεῖς ἡμ[έρας] μήποτε ἐλθόντες οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ κλέψωσιν αὐτὸν καὶ ὑπολάβῃ ὁ λαὸς ὅτι ἐκ νεκρῶν ἀνέστη καὶ ποιήσωσιν ἡμῖν κακά"Livrez-nous des soldats, afin que nous puissions garder sa sépulture pendant trois jours, de peur qu’étant venus, ses disciples ne le volent, et que le peuple ne reconnaisse qu’il est ressuscité d’entre les morts, et qu’ils ne nous fassent du tort".
    8,31ὁ δὲ Πειλᾶτος παραδέδωκεν αὐτοῖς Πετρώνιον τὸν κεντυρίωνα μετὰ στρατιωτ<ῶ>ν φυλάσσειν τὸν τάφον καὶ σὺν αὐτοῖς ἦλθον πρεσβύτεροι καὶ γραμματεῖς ἐπὶ τὸ μνῆμαPilate leur remit le centurion Pétronius avec des soldats pour garder le sépulcre. Avec eux, les anciens et les scribes se rendirent au lieu de sépulture.
    8,32καὶ κυλίσαντες λίθον μέγαν κατὰ τοῦ κεντυρίωνος καὶ τῶν στρατιωτῶν ὁμοῦ πάντες οἱ ὄντες ἐκεῖ ἔθηκαν ἐπὶ τῇ θύρᾳ τοῦ μνήματοςEt ayant roulé une grande pierre, tous ceux qui étaient là, avec le centurion et les soldats, (la) placèrent contre la porte du sépulcre.
    8,33καὶ ἐπέχρεισαν ἑπτὰ σφραγῖδας καὶ σκηνὴν ἐκεῖ πήξαντες ἐφύλαξανEt ils (le) marquèrent de sept sceaux de cire et, ayant dressé là une tente, ils (le) gardèrent.
    9,34πρωΐας δὲ ἐπιφώσκοντος τοῦ σαββάτου ἦλθεν ὄχλος ἀπὸ Ἰερουσαλὴμ καὶ τῆς περιχώρου ἵνα ἴδωσι τὸ μνημεῖον ἐσφραγισμένο(ν)Mais, tôt quand le sabbat se levait, une foule vint de Jérusalem et des environs, afin de voir le tombeau scellé.
    9,35τῇ δὲ νυκτὶ ᾗ ἐπέφωσκεν ἡ κυριακή φυλασσόντων τῶν στρατιωτῶν ἀνὰ δύο δύο κατὰ φρουρά(ν) μεγάλη φωνὴ ἐγένετο ἐν τῷ οὐρανῷMais, dans la nuit où se levait le jour du Seigneur, comme les soldats (le) gardaient deux par deux à chaque veille, il y eut dans le ciel une voix forte ;
    9,36καὶ εἶδο(ν) ἀνοιχθέντες τοὺς οὐρα[ν]οὺς καὶ δύο ἄνδρας κατελθόντας ἐκεῖθε<ν> πολὺ θέγγος ἔχοντας καὶ ἐγγίσαντας τῷ τάφῳet ils virent que les cieux étaient ouverts et que deux mâles, qui avaient beaucoup d’éclat, étaient descendus de là et s’étaient approchés du sépulcre.
    9,37ὁ δὲ λ{ε}ίθος ἐκεῖνος ὁ βεβλημένος ἐπὶ τῇ θύρᾳ ἀφ’ ἑαυτοῦ κυλισθεὶς ἐπεχώρησε παρὰ μέρος καὶ ὁ τάφος <ἠ>νοίγη καὶ ἀμφότεροι οἱ νεανίσκοι εἰσῆλθονMais cette pierre qui avait été poussée contre la porte, ayant roulé d’elle-même, s’éloigna vers le côté ; le sépulcre s’ouvrit, et les deux jeunes gens entrèrent.
    10,38ἰδόντες οὖν οἱ στρατιῶται ἐκεῖνοι ἐξύπνισαν τὸν κεντυρίωνα καὶ τοὺς πρεσβυτέρους παρῆσαν γὰρ καὶ αὐτοὶ φυλάσσοντεςEt donc ces soldats, ayant vu, réveillèrent le centurion et les anciens (car eux aussi étaient présents, veillant).
    10,39καὶ ἐξηγουμένων αὐτῶν ἃ εἶδον πάλιν ὁρ<ῶ>σιν ἐξελθόντ<α>ς ἀπὸ τοῦ τάφου τρεῖς ἄνδρ<α>ς καὶ τοὺς δύο τὸν ἕνα ὑπορθοῦντας καὶ σταυρὸν ἀκολοθοῦντα αὐτοῖςEt comme ils racontaient ce qu’ils avaient vu, ils aperçoivent de nouveau trois mâles qui sont sortis du sépulcre, les deux soutenant l’autre, et une croix les suivant,
    10,4καὶ τῶν μὲν δύο τὴν κεφαλὴν χωροῦσαν μέχρι τοῦ οὐρανοῦ τοῦ δὲ χειρα<γ>ω<γ>ουμένου ὑπ’ αὐτῶν ὑπερβαίνουσαν τοὺς οὐρανούςet la tête des deux hommes atteignant le ciel, mais celle de celui qui était conduit par la main par eux dépassait les cieux.
    10,41καὶ φωνῆ<ς> ἤκουον ἐκ τῶν οὐρανῶν λεγούσης· Ἐκήρυξας τοῖς κοιμωμένοιςEt ils entendaient du ciel une voix disant : "Avez-vous fait une annonce à ceux qui dorment ?".
    10,42καὶ ὑπακοὴ ἠκούετο ἀπὸ τοῦ σταυροῦ <ὅ>τι· ΝαίEt une obéissance fut entendue de la croix : "Oui".
    11,43συνεσκέπτοντο οὖν ἀλλήλοις ἐκεῖνοι ἀπελθεῖν καὶ ἐνφανίσαι ταῦτα τῷ ΠειλάτῳEt donc ces gens cherchaient un point de vue commun pour aller et expliquer ces choses à Pilate ;
    11,44καὶ ἔτι διανοουμέ(ν)ων αὐτῶν φαίνονται πάλιν ἀνοιχθἐντες οἱ οὐρανοὶ καὶ ἄν(θρωπ)ός τις κατελθὼν καὶ εἰσελθὼν εἰς τὸ μνῆμαEt pendant qu’ils réfléchissaient encore, voici qu’apparaissent de nouveau les cieux ouverts et un homme quelconque descendu et entré dans le sépulcre.
    11,45ταῦτα ἰδόντες οἱ περὶ τὸν κεντυρ<ί>ωνα νυκτὸς ἔσπευσαν πρὸς Πειλᾶτον ἀφέντες τὸν τάφον ὃν ἐφύλασσον καὶ ἐξηγήσαντο πάντα ἅπερ εἶδον ἀ<γ>ωνιῶντες μεγάλως καὶ λέγοντες· Ἀληθῶς υἱὸς ἦν θ(εο)ῦAyant vu ces choses, ceux qui entouraient le centurion se rendirent de nuit en hâte devant Pilate (après avoir quitté le sépulcre qu’ils gardaient) et décrivirent tout ce qu’ils avaient en effet vu, se tourmentant grandement et en disant : "Vraiment, il était le Fils de Dieu".
    11,46ἀποκριθεὶς ὁ Πειλᾶτος ἔφη· Ἐγὼ καθαρεύω τοῦ αἵματος τοῦ υἱοῦ τοῦ θεοῦ ἡμῖν δὲ τοῦτο ἔδοξενRépondant, Pilate dit : "Moi, je suis pur du sang du Fils de Dieu, mais c’est pour vous que cela semblait (la chose à faire)".
    11, 47εἶτα προσελθόντες πάντες ἐδέοντο αὐτοῦ καὶ π<α>ρεκάλουν κελεῦσαι τῷ κεντυρίων<ι> καὶ τοῖς στρατιώταις μηδὲν εἰπεῖν ἃ εἶδονAlors tous, s’étant avancés, le suppliaient et l’exhortaient à ordonner au centurion et aux soldats de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu.
    11,48Συμφέρει γάρ φασίν ἡμῖν ὀφλῆσαι μεγίστην ἁμαρτίαν ἔμπροσθεν τοῦ θεοῦ καὶ μὴ ἐμπεσεῖν εἰς χεῖρας τοῦ λαοῦ τῶν Ἰουδαίων καὶ λιθασθῆναιCar, disaient-ils, "il vaut mieux pour nous avoir la dette du plus grand des péchés aux yeux de Dieu que de tomber entre les mains du peuple juif et d’être lapidés".
    11,49ἐκέλευσεν οὖν ὁ Πειλᾶτος τῷ{ν} κεντυρίων<ι> καὶ τοῖς στρατιώταις μηδὲν εἰπεῖνEt donc Pilate ordonna au centurion et aux soldats de ne rien dire.
    12,5ὄρθ<ρ>ου δὲ τῆς κυριακῆς Μαριὰμ ἡ Μαγδαλ<η>νὴ μαθήτρια τοῦ κ(υρίο)υ φοβουμένη διὰ τοὺς Ἰουδαίους ἐπειδὴ ἐφλέγοντο ὑπὸ τῆς ὀργῆς οὐκ ἐποίησεν ἐπὶ τῷ μνήματι τοῦ κ(υρίο)υ ἃ εἰώθεσαν ποιεῖν αἱ γυναῖκες ἐπὶ τοῖς ἀποθνήσκουσι καὶ τοῖς ἀγαπωμένοις αὐταῖςOr, à l’aube du jour du Seigneur, Marie-Madeleine, une femme disciple du Seigneur (qui, effrayée à cause des Juifs, enflammés de colère, n’avait pas fait au tombeau du Seigneur ce que les femmes avaient coutume de faire pour les morts qu’elles aimaient),
    12,51λαβοῦσα μεθ’ ἑαυτῆς τὰς φίλας ἦλθε ἐπὶ τὸ μνημεῖον ὅπου ἦν τεθείςayant emmené avec elle des femmes amies, vint au tombeau où il avait été placé.
    12,52καὶ ἐφοβοῦντο μὴ ἴδωσιν αὐτὰς οἱ Ἰουδαῖοι καὶ ἔλεγον· Εἰ καὶ μὴ ἐν ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ ᾗ ἐσταυρώθη ἐδυνήθημεν κλαῦσαι καὶ κόψ<α>σθαι καὶ νῦν ἐπὶ τοῦ μνήματος αὐτοῦ ποιήσωμε(ν) ταῦταEt elles craignaient que les Juifs ne les voient et elles disaient : "Si, en effet, le jour où il a été crucifié, nous n’avons pas pu pleurer et nous battre, maintenant, sur son tombeau, nous pouvons faire ces choses".
    12,53τίς δὲ ἀποκυλίσει ἡμῖν καὶ τὸν λίθον τὸν τεθέντα ἐπὶ τῆς θύρας τοῦ μνημείου ἵνα εἰσελθοῦσαι παρακαθεσθῶμεν αὐτῷ καὶ ποιήσωμεν τὰ ὀφ<ε>ιλόμεναMais qui roulera pour nous la pierre placée contre la porte du tombeau, afin que, entrées, nous puissions nous asseoir à côté de lui et faire les choses attendues ?
    12,54μέγας γὰρ ἦν ὁ λίθος καὶ φοβούμεθα μή τις ἡμᾶς ἴδῃ καὶ εἰ μὴ δυνάμεθα κἂν ἐπὶ τῆς θύρας βάλωμεν ἃ φέρομεν εἰς μνημοσύνην αὐτοῦ κλαύσομεν καὶ κοψόμεθα ἕως ἔλθωμεν εἰς τὸν οἶκον ἡμῶνCar la pierre était grande, et nous avons peur qu’on ne nous voie. Et si nous ne le pouvons pas, jetons contre la porte ce que nous apportons en mémoire de lui ; pleurons et frappons-nous jusqu’à ce que nous arrivions dans nos maisons.’’
    13,55καὶ ἀπελθοῦσαι εὗρον τὸν τάφον ἠνεῳγμένον καὶ προσελθοῦσαι παρέκυψαν ἐκεῖ καὶ ὁρῶσιν ἐκεῖ τινα νεανίσκον καθεζόμενον μὲσῳ τοῦ τάφου ὡραῖον καὶ περιβεβλημένο(ν) στολὴν λαμπροτάτην ὅστις ἔφη αὐταῖ<ς>·Et s’étant éloignées, elles trouvèrent le sépulcre ouvert. Et s’étant avancées, elles s’y penchèrent et y virent un certain jeune homme assis au milieu du sépulcre, beau et vêtu d’une robe splendide, qui leur dit :
    13,56Τί ἤλθατε τίνα ζητεῖτε μὴ τὸν σταυρωθέντα ἐκεῖνον Ἀνέστη καὶ ἀπῆλθεν εἰ δὲ μὴ πιστεύετε παρακύψατε καὶ ἴδ<ε>τε τὸν τόπον ἔνθα ἔκει’το’ ὅτι οὐκ ἔστιν ἀνέστη γὰρ καὶ ἀπῆλθεν ἐκεῖ ὅθεν ἀπεστάλη"Pourquoi êtes-vous venus ? Qui cherchez-vous ? N’est-ce pas celui qui a été crucifié ? Il est ressuscité et il est parti. Mais si vous ne croyez pas, penchez-vous et voyez le lieu où il était couché, car il n’est pas ici. Car il est ressuscité et il est parti vers le lieu d’où il avait été envoyé.
    13,57τότε αἱ γυναῖκες φοβηθεις<αι> ἔφυγονAlors les femmes s’enfuirent, effrayées.
    14,58ἦν δὲ τελευταία ἡμέρα τῶν ὰζύμων καὶ πολλοί τινες ἐξήρχοντο ὑποστρέφοντες εἰς τοὺς οἴκους αὐτῶν τῆς ἑορτῆς παυσαμ<έ>νηςOr, c’était le dernier jour des pains sans levain, et beaucoup sortirent, retournant chez eux, car la fête était terminée.
    14,59ἡμεῖς δὲ οἱ δώδεκα μαθηταὶ τοῦ κ(υρίο)υ ἐκλαίομεν καὶ ἐλυπούμεθα καὶ ἕκαστος λυπούμενος διὰ τὸ συμβὰν ἀπηλλάγη εἰς τὸν οἶκον αὐτοῦMais nous, les douze disciples du Seigneur, nous pleurions et nous étions dans la tristesse ; et chacun, attristé par ce qui était arrivé, s’en alla chez lui.
    14,60ἐγὼ δὲ Σίμων Πέτρος καὶ Ἀνδρέας ὁ ἀδελφός μου λαβόντες ἡμῶν τὰ λίνα ἀπήλθαμεν εἰς τὴν θάλ{λ}ασσαν καὶ ἦν σὺν ἡμῖν Λευεὶς ὁ τοῦ Ἀλφαίου ὅν κ(ύριο)ςMais, moi, Simon Pierre, et mon frère André, ayant pris nos filets, nous allâmes à la mer. Il y avait avec nous Lévi d’Alphée, que le Seigneur...

    À prime abord, il faut prendre acte que le manuscrit que nous avons, et qu’on situe entre le 7e et le 9e siècle, est une copie d’un texte du 2e siècle, et donc il faut accepter qu’au cours de cette période de 600 ans qui le sépare de l’original les copistes ne se sont pas gênés pour faire des modifications lors des différentes retranscriptions, d’autant plus qu’il ne s’agissait pas d’un texte canonique, mais d’un texte à circulation privée.

  2. La séquence et le contenu de l’évangile de Pierre
    1. Table de la séquence (comparaison de l’évangile de Pierre avec les évangiles canoniques)

      Note : on a souligné les éléments uniques à l’évangile de Pierre

      EvPierreMatthieuLucJean
      I : 1, 1 – 2, 5 : Le procès devant Hérode (où Pilate est présent27, 11-26 Seulement Pilate23, 2-25 Pilate et Hérode18, 28 – 19, 16a : seulement Pilate
      1, 1 Hérode refuse de se laver les mains27, 24 (Pilate)  
      1, 2 Hérode ordonne que le Seigneur soit emmené   
      2, 3-5b Demande pour le corps du Seigneur : Joseph -> Pilate -> Hérode27, 57-58
      Joseph -> Pilate
      23, 50-52
      Joseph -> Pilate
      19, 38a
      Joseph -> Pilate
      2, 5c Hérode livre le Seigneur au peuple   
      II : 3, 6-9 : Chemin de croix; moqueries; flagellation27, 27-3223, 26-3219, 2-3.16b-17a
      3, 6 Ils (les Juifs) poussent et entraînent le fils de Dieu27, 31b Les soldats romains conduisirent23, 26 Ils conduisirent19, 16b Ils prirent
      3, 7-9 Vêtement pourpre, siège de jugement, on se moque du Roi d’Israël, couronne d’épine, on cracha, on gifla, on frappa avec un roseau, on se moqua du Fils de Dieu27, 27-31a tous les items exceptés les gifles; Roi des Juifs comme titre (voir 27, 19 [le siège de jugement]; aussi 27, 39-43 sur la croix)(voir 23, 35-37 sur la croix)19, 2-3 couronne d’épines, la robe pourpre, le Roi des Juifs, les gifles
      III. 4, 10 – 6, 22 : Crucifixion27, 33-5623, 33-4919, 17b-37
      4, 10 Crucifié parmi les malfaiteurs; silencieux, pas de peine27, 38 parmi les bandits23, 33 parmi les malfaiteurs19, 19 parmi d’autres
      4, 11 Titre sur la croix : Roi d’Israël27, 37 Jésus, Roi des Juifs23, 38 Roi des Juifs19, 19 Jésus le Nazoréen, Roi des Juifs
      4, 12 On se partage les vêtements27, 3523, 34b19, 23-34
      4, 13 malfaiteur repenti 23, 40-43 
      4, 14 On ne brise pas les os  19, 31-33
      5, 15 Obscurité au milieu du jour; anxieux que le soleil ne se couche pas27-45 (6e – 9e heure)23, 44-45a (6e – 9e heure) 
      5, 16-18 On donne à boire : fiel avec du vin vinaigré; ils accomplirent toutes choses; péchés sur leur tête; ils pensèrent que c’était la nuit27, 34.48 On donne à boire deux fois : vin (sucré) avec du fiel et vin vinaigré23, 36 On donne à boire : vin vinaigré19, 28-30 One donne à boire : vin vinaigré; il acheva toutes choses
      5, 19 Seigneur s'écria : "Ma puissance"; il fut enlevé27, 46 "Mon Dieu"  
      5, 20 Voile du sanctuaire27, 51a23, 45b 
      6, 21 Ils retirèrent les clous; le placèrent sur la terre; la terre fut ébranlée; frayeur27, 51b.54  
      6, 22 Le soleil brilla; 9e heure27, 46 (9e heure)23, 44 (9e heure) 
      IV. 6, 23 – 11, 49 : l’ensevelissement27, 57-6623, 50-5619, 38-42
      6, 23-24 Les Juifs donnent le corps à Joseph; ils le lavent; étoffe de lin; "son propre" sépulcre; jardin27, 58b-60 (pas de jardin); son tombeau23, 53-54 (pas "son propre"; pas de jaradin19, 38b-4 (pas d’étoffe de lin; pas "son propre"
      7, 25 Tristesse des Juifs; ils se frappent 23, 48 les foules se frappent la poitrine 
      7, 26-27 Pierre et ses compagnons; tristesse, ils jeûnent   
      8, 28 – 11, 48 Les gardes au tombeau; ouverture par l’ange; ils sortirent avec un Seigneur gigantesque et une croix qui parle; les gardes demeurent silencieux27, 62-66; 28, 2-4.11-15  
      V. Les femmes au tombeau vide; Apparitions du Seigneur   
      12, 40 – 13, 5728, 1.5-1024, 1-11.22-2320, 1-2.11-18
      14, 58-60 : Après la fête, les 12 retournent chez eux; Pierre et les autres à la mer  21, 1-23 Pierre et les autres à la mer voit le Seigneur ressuscité

      L’évangile de Pierre suit la séquence classique qui va de la crucifixion à l’ensevelissement et au tombeau vide, en assumant que les récits d’apparition du ressuscité devaient suivre. Mais c’est seulement dans quelques séquences courtes qu’il se rapproche d’avantage de Marc/Matthieu que des autres évangiles (par exemple, en plaçant le chemin de croix dans la séquence II avant les moqueries et la flagellation, ou encore, dans la séquence III où se succèdent la noirceur, la boisson de vin vinaigré, le cri de Jésus et le déchirement du voile du temple, même si la séquence du cri et de la boisson est inversée. Dans l’ensemble, les divergences par rapport aux récits évangéliques amènent à penser que l’évangile de Pierre ne prend pas pour base les récits évangéliques. À l’inverse, il faudrait beaucoup d’imagination pour conclure que les récits évangéliques se seraient inspirés de l’évangile de Pierre. Bref, il faut admettre leur indépendance.

    2. Comparaison du contenu de l’évangile de Pierre avec les évangiles canoniques

      Ce que nous allons maintenant comparer, ce ne sont pas les mots utilisés, mais les items ou épisodes. La présence d’un astérisque indique qu’un élément n’apparaît pas chez Jean, et donc est une caractéristique des récits synoptiques.

      1. Items partagés par l’évangile de Pierre et au moins un des récits évangéliques canoniques
        • Utilisation généralisée de « les Juifs » (Mt, Jn)
        • Le rôle de Pilate est moins important que celui des autorités juives dans la mort de Jésus
        • Joseph entre en relation avec Pilate au sujet de l'enterrement du corps de Jésus.
        • Joseph était un ami/disciple de Jésus ou n’a pas voté contre lui
        • L’enlèvement du corps en croix est relié au sabbat qui approche
        • On se moque de Jésus comme roi avec le vêtement pourpre/écarlate, la couronne d’épines, la flagellation, les crachats et les coups
        • Le siège/la chaise de jugement en relation avec Jésus ou Pilate (Mt, Jn)
        • La crucifixion de Jésus entre deux criminels
        • L’inscription sur la croix que Jésus était Roi des Juifs/Israël
        • Jeu de hasard pour se partager les vêtements
        • Mention de la 6e heure et *noirceur sur la terre/Judée
        • L’offre d’une boisson de vin vinaigré
        • *Les dernières parles de Jésus, comme « Ma puissance/mon Dieu » (Mc/Mt)
        • *Le voile du sanctuaire qui se fend/se déchire
        • Joseph ensevelit Jésus dans un tombeau *dans une étoffe de lin
        • Une (*grande) pierre couvre l’entrée du tombeau; elle roule éventuellement/est enlevée
        • Le dimanche Marie Madeleine (et les autres) viennent au tombeau
        • Là elles reçoivent une annonce d’une (de) figure(s) angéliques explicite(s) ou implicite(s) qui expliquent la raison de l’absence du corps de Jésus

      2. Items partagés par plusieurs évangiles canoniques, mais absents de l’évangile de Pierre
        • Le rôle majeur de Pilate dans le procès de Jésus et son verdict de non culpabilité
        • Barabbas et les cris de la foule pour crucifier Jésus
        • La croix est portée par Jésus et/ou *Simon de Cyrène
        • *Plusieurs moqueries à l’égard de Jésus en croix
        • *Confession sur Jésus (Fils de Dieu, juste) par le centurion immédiatement après sa mort
        • Les femmes à la croix ou regardant à distance; *les femmes à l’ensevelissement
        • Jésus apparaît à Marie Madeleine au tombeau (Mt, Jn)
        • Jésus apparaît aux disciples/les Douze en Jérusalem (Lc, Jn)

        Même si ces éléments son moins nombreux que ceux de la liste (a), beaucoup d’entre eux sont des composantes majeures des récits de la passion et la résurrection.

      3. Items particuliers à l’évangile de Pierre et à l’évangile de Marc

        Notons d’abord qu’il y a trois items particuliers à Marc et qu’on ne retrouve ni dans les autres évangiles canoniques ni dans l’évangile de Pierre : la référence à la 3e heure, Pilate qui s’enquiert si Jésus est déjà mort, et les femmes au tombeau vide qui ne disent rien à personne.

        • L’utilisation du mot kentyriōn (centurion)
        • La question des femmes concernant la pierre du tombeau : « Mais qui roulera pour nous la pierre placée contre la porte du tombeau » (EvPierre 12, 53) versus « Qui nous roulera la pierre hors de la porte du tombeau » (Mc 16, 3)
        • La remarque des femmes sur la pierre fermant le tombeau : « Car la pierre était grande » (EvPierre 12, 54) vs « Car elle était très (sphodra) grande » (Mc 16, 4)
        • L’être (céleste) au tombeau vide est appelé : neaniskos (jeune homme)
        • Pour décrire les femmes au tombeau, on emploie les verbes phobeisthai (avoir peur) et pheugein (fuir), même si ce n’est pas dans le même ordre (EvPierre 14, 60 || Mc 16, 8)
        • Seulement en EvPierre 14, 60 et Mc 2, 14 entend-on parler de Lévi d’Alphée

        Ces quelques points semblables sont insuffisants pour affirmer une dépendance quelconque de l’un vis-à-vis de l’autre. Car ils se limitent à la scène du tombeau vide, et même là la séquence interne et l’ordre des mots divergent. De plus, sur les 200 mots de cette scène dans l’EvPierre, il y a à peine 30 mots qu’on retrouve également chez Marc, et cela en ne tenant pas compte du temps des verbes et de la déclinaison des mots. Et même là, 14 de ces 30 mots pourraient provenir de Matthieu, et 17 pourraient provenir de Luc. Quant aux mots que partagent seuls l’EvPierre et Marc, ils pourraient aussi bien provenir de récits non canoniques qui circulaient à l’époque.

      4. Items particuliers à l’évangile de Pierre et à l’évangile de Matthieu
        • Le lavement des mains en relation avec l’innocence de Jésus (EvPierre 1, 1; Mt 27, 24)
        • Le fiel comme composante du vin donné à boire à Jésus (EvPierre 5, 16 Mt 27, 34)
        • Anaboan (s’écrier : EvPierre 5, 19; Mt 27, 46) comme dernières paroles de Jésus
        • La terre ébranlée en relation à la mort de Jésus (EvPierre 6, 21; Mt 27, 51)
        • Le sépulcre/tombeau dans lequel Jésus est enseveli est celui de Joseph (EvPierre 6, 24; Mt 27, 60)
        • Le « S’étant réunis » des autorités juives incluant les Pharisiens (EvPierre 8, 28; Mt 27, 62)
        • La demande à Pilate par les autorités juives de protéger la sépulture « de peur qu’étant venus, ses disciples ne le volent »; Pilate accordant des solats (EvPierre 8, 30-31; Mt 27, 64-65)
        • L’utilisation du mot taphos (sépulcre) particulièrement dans ce récit
        • Le scellé apposé sur la pierre qui ferme l’entrée du tombeau (EvPierre 8, 33; Mt 27, 66)
        • L’apparition du ciel de « mâles » ou un ange impliqué dans le roulement de la pierre de l’entrée du tombeau
        • L’interaction avec « ceux qui dorment » après la mort de Jésus (EvPierre 10, 41; Mt 27, 52)
        • La peur du garde; consultation avec les autorités juives; entente pour que les gardent demeurent silencieux et mentent
        • Affirmation de Pilate qu’il est pur/innocent du sang de Jésus (EvPierre 11, 46 Mt 27, 24)

        Par contre, il y a beaucoup d’items de Matthieu absents de l’évangile de Pierre : le rêve de la femme de Pilate, « Son sang sur nous et sur nos enfants », les rochers qui se fendent, les tombeaux qui s’ouvrent, plusieurs saints endormis se lève et deviennent visibles aux gens de Jérusalem, les apparitions de Jésus aux femmes au tombeau. Quand on ajoute ces éléments à ceux de la liste (b) largement composés d’items de Matthieu, il devient difficile de voir une quelconque dépendance entre les deux évangiles.

      5. Items particuliers à l’évangile de Pierre et à l’évangile de Luc
        • Hérode joue un rôle au procès de Jésus
        • Les relations amicales entre Hérode et Pilate (EvPierre 2, 5; Lc 23, 12)
        • Jésus livré aux Juifs après le procès; les soldats romains ne sont mentionnés que plus tard
        • Les co-crucifiés sont des « malfaiteurs »; l’un est favorable à Jésus
        • La mort de Jésus est mise en relation avec la fin prochaine de Jérusalem (EvPierre 7, 25; Lc 23, 28-31)
        • Le peuple juif se lamente, se frappant eux-mêmes/la poitrine (EvPierre 7, 25; 8, 28; Lc 23, 27.48)
        • Jésus reconnu comme « juste » (dikaios : EvPierre 8, 28 Lc 23, 47)
        • Le sabbat « se lève » (EvPierre 9, 34; Lc 23, 54)
        • Plusieurs/foules retournent à la maison (hypostrephein : EvPierre 14, 58; Lc 23, 48)

        En regard de ces similitudes, il faut tout de suite mentionner des différences majeures dans l’EvPierre : le procès devant Hérode est plus grand que devant Pilate, le bon malfaiteur parle aux Juifs et non à son compagnon d’infortune. De plus, plusieurs items chez Luc sont absents de l’EvPierre : Jésus s’adresse aux filles de Jérusalem, les trois paroles de Jésus en croix, l’éclipse du soleil, les femmes préparant les épices et la myrrhe, le repos du sabbat, la question rhétorique des hommes angéliques au tombeau et le rappel de ce qu’a dit Jésus en Galilée, toutes les apparitions post-résurrection. Il est clair qu’il n’y a pas de dépendance entre les deux évangiles.

      6. Items particuliers à l’évangile de Pierre et à l’évangile de Jean
        • C’est le jour avant le premier jour des pains sans levain/pâque
        • Leur fête; une fête des Juifs
        • La question de ne pas briser les os de Jésus (quelque peu obscur en EvPierre 4, 14)
        • Les Juifs apportent des lampes/lanternes (EvPierre 5, 18; Jn 18, 3)
        • Les clous dans les mains (EvPierre 6, 21; Jn 20, 25; seulement implicites en Lc 24, 39)
        • Le sépulcre/tombeau dans le jardin
        • Les Juifs parlent à Pilate de Jésus comme Fils de Dieu (EvPierre 11, 45; Jn 19, 7)
        • Les femmes ou disciples ont peur des Juifs après la mort de Jésus
        • Les femmes ou disciples se penchent pour voir dans le sépulcre/tombeau
        • Simon Pierre et les autres à la mer (site d’une apparition)

        Notons que seuls certains items individuels sont semblables, car la structure littéraire de Jean (la construction en chiasme, et le motif du va et vient entre l’intérieur et l’extérieur du prétoire) est totalement absente de l’EvPierre. Malgré l’évocation du titre sur la croix, du partage des vêtements et du vin vinaigré, on chercherait en vain dans l’EvPierre la dramatisation de ces items en petits épisodes qu'on trouve chez Jean. Si on ajoute à ces considérations les scènes de Jean absentes de l’EvPierre (la mère de Jésus et le disciple bien-aimé à la croix, la lance qui perce le côté de Jésus et duquel sortent du sang et de l’eau, Nicodème et les cent livres de myrrhe et d’aloès), il devient impossible qu’il y ait dépendance entre les deux évangiles.

      7. Items particuliers à l’évangile de Pierre et absent des évangiles canoniques
        • Hérode comme juge principal à qui Pilate doit demander le corps de Jésus
        • Citation du passage spécifique de la Loi sur le soleil qui ne se couche pas sur un condamné à mort
        • Les Juifs, non les Romains, s’occupent de toutes les actions de la crucifixion de la couronne d’épines à la flagellation et son enlèvement de la croix
        • Crucifié, le Seigneur garda silence et n’exprima aucune peine
        • L’obscurité au milieu du jour amène plusieurs à avoir besoin de lampes, croyant qu’il faisait nuit, de peur de tomber
        • Pierre et ses compagnons se cachent, recherchés comme malfaiteurs voulant mettre le feu au temple
        • Le centurion Petronius qui garde le sépulcre; sept sceaux de cire
        • La pierre roule d’elle-même; la grandeur extravagante des hommes célestes; description de la résurrection du Seigneur; sa prédication à ceux qui se sont endormis; la croix qui parle
        • La confession d’avoir péché par les autorités juives; leur peur d’être lapidées par le peuple juif
        • Les femmes qui viennent au tombeau avec la peur d’être vues par les Juifs
        • Le dernier jour des pains sans levain, elles retournent à la maison
        • La présence d’André et de Lévi d’Alphée à la mer

    3. Proposition d’ensemble sur la composition en se basant sur la séquence et le contenu

      L’auteur de l’évangile de Pierre s’est-il basé sur les évangiles canoniques ou sur une tradition indépendante? Les biblistes sont divisés sur la réponse à cette question, la majorité optant pour une dépendance aux récits canoniques. De plus, l’un d’eux a émis la théorie que tous ces récits canoniques seraient basés sur une forme primitive de l’évangile de Pierre, appelée « évangile de la croix ». Cette théorie doit être rejetée pour les raisons suivantes :

      1. Si les quatre évangiles canoniques ont vraiment utilisé cet « évangile de la croix » comme source principale, pourquoi aucun d’eux n’a emprunté le vocabulaire et l’ordre des mots de l’EvPierre, à l’exception parfois de deux ou trois mots?

      2. Si les évangélistes des récits canoniques ont vraiment copié des items de l’EvPierre, pourquoi ont-il négligé les items qui lui sont propres de la liste (g) et qui contiennent les éléments les plus « accrocheurs », en particuliers lorsqu’ils sont contigus à ce qu’ils copient? Par exemple, si Marc a copié le mot « centurion » de l’EvPierre, pourquoi n’a-t-il pas également copié son nom : Petronius? Si Matthieu a copié l’item du scellé du tombeau, pourquoi n’a-t-il pas copié également le fait qu’il y avait sept sceaux?

      3. Si Matthieu, Luc et Jean dépendent vraiment de cet « évangile de la croix », comment expliquer le fait que, lorsqu’ils présentent du matériel qu’on ne trouve pas chez Marc, jamais ils ne contredisent Marc? L’exemple de la source Q, cette source commune à Luc et Matthieu, est révélatrice : quand ces deux évangélistes y puisent une séquence, l’accord des items est impressionnant. Pourquoi n’en serait pas ainsi avec l’EvPierre, si vraiment il était la source des évangiles canoniques?

      S’il faut rejeter la théorie d’une dépendance des évangiles canoniques vis-à-vis de l’évangile de Pierre, faut-il alors affirmer l’inverse, i.e. l’évangile de Pierre dépend des quatre évangiles canoniques, ou du moins de trois d’entre eux? Mais alors comment expliquer la si grande différence dans le vocabulaire et la séquence des scènes, l’absence de beaucoup d’items qu’on trouve dans les évangiles canoniques, tout comme les items propres à l’évangile de Pierre? Par exemple, pourquoi a-t-il omis des personnages comme Barabbas ou Simon de Cyrène ou les femmes à la crucifixion ou au tombeau, tout comme les scènes d’apparition de Jésus au tombeau ou à Jérusalem? Comment expliquer toutes les modifications à certaines scènes, comme le fait que c’est maintenant Marie Madeleine qui est disciple du Seigneur (EvPierre 12, 50) et non plus Joseph d’Arimathie (Jn 19, 38); ou encore, selon Jn 19, 33 les Romains ne brisèrent pas les os de Jésus parce qu’il était déjà mort, mais selon EvPierre 4, 14 ce sont les Juifs qui ordonnent que les os de Jésus crucifié ne soit pas brisés, afin qu’il souffre plus longtemps. Quand un auteur prend pour base un évangile, on peut reconnaître dans le produit final le vocabulaire et la séquence de la source utilisée, comme nous en avons un exemple patent dans le Diatessaron de Tatien qui a cherché à combiner les quatre évangiles pour en faire un récit continu; ce n’est pas le cas pour l’évangile de Pierre.

      Qu’est-ce à dire? Il est peu probable que l’auteur de l’évangile de Pierre ait eu devant lui le texte même des évangiles, même s’il semble familier avec l’évangile selon Matthieu, un évangile qu’il aurait entendu plusieurs fois proclamé lors du rassemblement du dimanche et qui a fortement structuré sa pensée. Quant à Luc et Jean, il a pu avoir un écho de leur évangile à travers certaines personnes, peut-être des prédicateurs itinérants, qui auraient reformulés les récits les plus saisissants, ce qui lui aurait permis de connaître des éléments de leur contenu, mais sans saisir leur structure. L’arrière-plan oral de l’évangile de Pierre expliquerait le fait que le tiers de son contenu est en discours direct. Il faut se rappeler qu’avant l’an 150, très peu d’églises avaient des copies des évangiles pour être lus en public, et une copie écrite d’un évangile quelconque n’était accessible qu’à très peu d’individus. Ainsi, dans la tête de l’auteur de l’évangile de Pierre, au souvenir des récits évangéliques se seraient mêlées des fables populaires concernant des incidents lors de la passion, du même type que celles qu’on trouve chez Matthieu (par exemple, le rêve de la femme de Pilate, le suicide de Judas). Tout cela serait entré dans la composition de son évangile, qui n’était pas destiné à être lu dans un cadre liturgique, mais simplement à aider les gens à se donner une image de la carrière de Jésus. Un exemple typique de cette approche est le Protoévangile de Jacques (2e s.) qui reformule de manière imaginative le récit de l’enfance de Jésus en combinant les éléments de Matthieu et Luc avec des développements imagés populaires.

  3. Les aspects de la théologie de l’évangile de Pierre

    Nous ne disposons malheureusement que d’une petite section de cet évangile apocryphe qui semble avoir contenu même un récit de l’enfance où, s’il faut en croire Origène (In Matt. 10.17), il rapporte que Joseph, l’époux de Marie, aurait eu plusieurs enfants d’un mariage précédent. Et donc nous n’avons peu de matériel pour nous faire une idée de la théologie de l’auteur.

    1. Le débat ancien sur le docétisme de l’évangile de Pierre

      Ce débat ancien nous vient de Sérapion, évêque d’Antioche vers l’an 190, qui nous est connu par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique (6.12.2-6), et qui serait intervenu dans la petite ville de Rhossus sur le bord de la Méditerranée (aujourd’hui Arsuz en Turquie, à 48 km au nord-est d’Antioche), car certains faisaient une lecture docétiste de l’évangile de Pierre, en particulier certains passages ambigus; mais dans l’ensemble, Sérapion jugeait l’évangile orthodoxe. En fait certains passages qui pourraient être lus avec un biais docétiste peuvent également être interprétés de manière non docétiste. Par exemple, la phrase « Ma puissance, ô puissance, tu m’as abandonné » ne signifie pas nécessairement que la divinité a quitté le corps de Jésus avant sa mort, car le corps mort de Jésus a encore la capacité de provoquer un tremblement de terre et cet être qui sort du tombeau est surnaturel, et il a prêché entre sa mort et sa résurrection à ceux qui s’étaient endormis.

    2. Traits théologiques discernables dans l’évangile de Pierre

      1. Cet évangile exprime une christologie haute. On ne parle plus de Jésus, mais du Seigneur et du Fils de Dieu. L’un des co-crucifiés reconnaît en lui le « Sauveur des hommes ». La puissance divine habite tellement sa personne que lorsque son corps mort touche le sol, toute la terre tremble (6, 21).

      2. On y perçoit un sentiment antijuif, plus particulièrement à l’égard des autorités religieuses. Six fois l’auteur utilise l’expression hostile « les Juifs » qu’on trouve également dans l’évangile de Jean. Hérode et les Juifs sont ceux qui condamnent Jésus, se moquent de lui, crachent sur lui et le giflent. Ils complètent leurs péchés sur leur tête, et même après avoir vu Jésus ressuscité et sachant qu’il est Fils de Dieu, ils persuadent Pilate de garder silence, au prix de commettre le « plus grand des péchés aux yeux de Dieu » (EvPierre 11, 48)

      3. Il y a une connaissance des Écritures, surtout implicite. La citation la plus explicite (EvPierre 2, 5; 5, 15) est en fait une paraphrase de Dt 21, 23 (« Que son [pendu à la potence] corps n'y passe point la nuit ; enterrez-le le même jour ») avec la phraséologie de Dt 24, 15 (« que le soleil ne se couche pas sur son salaire »). EvPierre 5, 16 (« Faites-lui boire du fiel avec du vin vinaigré ») est une citation implicite et pas tout à fait exacte de Ps 69, 22 (« Et ils m'ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m'ont abreuvé de vinaigre »). La description de l’obscurité de EvPierre 5, 15 (« c’était le milieu du jour, et l’obscurité régnait… anxieux que le soleil ne se soit couché ») est différente de ce qu’on trouve dans les synoptiques et fait écho à Am 8, 9 (« Le soleil se couchera à Midi, et sur la terre, la lumière fera place aux ténèbres »). La référence aux partages des vêtements est loin de la phraséologie du Ps 22, 19, partageant seulement les verbes diamerizein (partager) et ballein (tirer) avec le texte de la Septante; c’est le même cas pour EvPierre 5, 19 (« Ma puissance, ô puissance, tu m’as abandonné ») par rapport au Ps 22, 2. Tout cela indique que l’auteur ne lisait pas tant l’Ancien Testament qu’il en avait plutôt entendu parler, ou qu’il connaissait certaines références à la version grecque qui faisaient probablement partie de son arrière-plan religieux.

      4. L’évangile de Pierre fait preuve de confusion sur les fêtes juives. Il fait référence au « premier jour de leur fête des Pains sans levain » (EvPierre 2, 5c), désignant ainsi une fête du peuple juif qu’il ne considère plus sienne en tant que chrétien. Ce premier jour devrait être logiquement le sabbat de 2, 5 qui est le lendemain. Pourtant, à la mort de Jésus, l’auteur écrit que les disciples du Seigneur jeûnaient et étaient assis « pleurant nuit et jour jusqu’au sabbat » (EvPierre 7, 27), alors qu’il n’y a que quelque heures séparant la mort de Jésus et le début du sabbat. De plus, l’auteur ne semble pas être sensible aux règles qui entourent l’observance du sabbat, puisque dès le début du sabbat dans la nuit du vendredi au samedi matin les scribes, les Pharisiens et les Anciens se rendent dans une tente pour garder le tombeau jusqu’au dimanche, et que le samedi matin une foule de Juifs viennent de Jérusalem et des environs pour voir le tombeau scellé de Jésus. Enfin, l’ensemble 12, 50 – 13, 57 et 14, 58 donne l’impression que le dimanche, jour du Seigneur, est le dernier jour de la fête des pains sans levain, alors que le samedi qui précède avait été présenté comme le premier jour de cette fête, ce qui nous donne une fête de deux jours, alors que selon Lv 23, 6 il s’agit d’une fête de sept jours.

      5. L’évangile de Pierre témoigne de la présence de certaines pratiques cultuelles des chrétiens, comme le « Jour du Seigneur » du dimanche (9, 35; 12, 5), le jeûne du samedi qui précède, correspondant au jour du sabbat, période entre la mort de Jésus et sa résurrection.

    3. Quand et où fut composé l’évangile de Pierre

      1. Date de composition

        Le récit autour de l’évêque Sérapion d’Antioche nous indique que le récit était en circulation avant l’an 200. Les comparaisons avec d’autres récits de la passion comme celui de l’Épitre de Barnabé ou l’Ascension d’Isaïe, ou dont témoigne Justin, nous confirme que l’évangile de Pierre a été composé avant l’an 150.

        Par contre, les erreurs sur la situation politique en Palestine à l’époque de Jésus (Hérode aurait été le chef suprême à Jérusalem avec Pilate sous ses ordres) rendent impossible une composition par un Juif avant l’an 100 en Palestine. Cela est confirmé par le fait que l’auteur a une vague connaissance des évangiles synoptiques dont la composition n’a été terminée que vers l’an 100.

        De plus, la période de l'an 100 à 150 convient bien aux traits théologiques que nous avons discernés dans cet écrit apocryphe. Par exemple, il partage avec le Protévangile de Jacques (vers l’an 150) la tendance à dramatiser visiblement la divinité de Jésus (la naissance de Jésus chez l’un, la résurrection de Jésus chez l’autre). Sa façon de faire référence à Jésus en l’appelant « le Seigneur » le rapproche de la Didachè (8, 2; 9, 5; 11, 2; 12, 1; etc.), tout comme le fait d’appeler le dimanche « le Jour du Seigneur » (Didachè 14, 1; voir aussi Ignace d’Antioche), ou encore la mention de la période de jeûne rattaché au jour de la mort de Jésus (Didachè, 8, 1). Enfin, son atmosphère antijuive est le reflet de l’atmosphère de la première moitié du 2e s. qu’on trouve également dans l’Épitre à Barnabé et chez Méliton de Sardes.

      2. Lieu de composition

        Beaucoup d’indices nous orientent vers la Syrie. Nous avons mentionné plutôt en parlant de l’évêque Sérapion que cet évangile apocryphe était connu à Rhossus et Antioche, et c’est lors d’une visite à Antioche qu’Origène fait connaissance avec cet évangile. Les Didascalia Apostolorum ont été écrites par un évêque de Syrie vers l’an 200-225, et cet écrit montre une connaissance de l’évangile de Pierre. À ces indices on peut ajouter les parallèles avec la Didachè et le Protévangile de Jacques dont la composition est aussi située en Syrie, ainsi qu’avec la christologie haute d’Ignace d’Antioche. Puis, il y a le fait que c’est l’évangile de Matthieu que l’auteur de l’évangile de Pierre connaît le mieux, un évangile fort probablement composé à Antioche de l’avis d’un grand nombre de biblistes. Enfin, il y a l’attribution de cet écrit apocryphe à l’apôtre Pierre qui était une figure proéminente à Antioche : Ga 2, 11-14 évoque la présence de Pierre à Antioche dans ce conflit avec Paul, et Pierre semble avoir marqué toute l’église du lieu, puisque Mt 16, 18 en fait le roc fondateur de l’Église du Christ; on peut comprendre alors que l’auteur de l’évangile de Pierre en ait fait son porte-parole.

        On peut alors poser la question : de quel milieu vient cet auteur? Même s’il cite directement ou indirectement l’Écriture, on ne peut assumer pour autant qu’il s’agisse d’un Juif chrétien. Car dès le début les œuvres utilisant l’Écriture s’adressaient bien souvent aux Gentils, comme on le voit avec l’épitre aux Galates, si bien qu’au début du 2e siècle la référence à l’Écriture était devenue la lingua franca chez les Chrétiens. L’Épitre de Barnabé en est un bel exemple, car truffée de citations scripturaires, il est probablement écrit par un Gentil qui s’adresse à des chrétiens Gentils de la région de Syro-Palestine. D’ailleurs la confusion qu’on a soulignée sur les fêtes juives dans l’évangile de Pierre pointe vers un auteur étranger au monde juif. Nous sommes probablement à une époque où il n’y avait plus de différence entre chrétiens d’origine païenne ou d’origine juive, si bien que le terme « Juif » désignait un non-chrétien.

        L’esprit qu’on trouve dans l’évangile de Pierre n’est pas loin de celui qu’on trouve dans le matériel populaire utilisé par Matthieu dans le récit de la passion (le suicide de Judas, les pièces d’argent contaminées par le sang innocent, le rêve de la femme de Pilate, le lavement des mains de Pilate, tous les phénomènes qui accompagnent la mort de Jésus, et la peur des gardes au tombeau) comme dans son récit de l’enfance (les mages, le massacre des innocents par Hérode). Ainsi, l’évangile selon Pierre reflèterait un christianisme populaire, un christianisme des gens ordinaires, non pas celui qu’on pouvait trouver à Antioche, où la lecture publique et la prédication pouvait exercer un certain contrôle, mais celui qu’on pouvait trouver dans les petites villes de Syrie, comme Rhossos. Il n’est pas pour autant hétérodoxe, mais il incorpore plusieurs éléments imaginatifs qui vont au-delà des évangiles canoniques et des écrits d’évêques comme Ignace. C’est ainsi qu’au cours des siècles, la perception de Jésus du chrétien ordinaire s’est différenciée de ce qui était proclamé en chaire et basé sur l’Écriture. Les éléments de la piété populaire et de l’imagination ont eu tendance à compléter le portrait de Jésus avec des couleurs qu’on ne peut justifier intellectuellement à partir des évangiles écrits, mais à leur façon ils apportaient un enrichissement extraordinaire. Ceci étant dit, de tels écrits ne sont pas destinés à devenir une proclamation officielle, et c’est le rôle d’un canon des Écriture, i.e. la collection des livres considérés par l’église comme exprimant la norme, de les mettre en question.

Manuscrit - Égypte de l'antiquité

Égypte de l'Antiquité

Manuscrit - évangile de Pierre

Première page du manuscrit sur l'évangile de Pierre