La Source Q: Le texte grec, sa traduction et des commentaires

Rappelons que, selon la théorie la plus acceptée dans le monde biblique, Marc aurait été le premier à publier son évangile, Matthieu et Luc auraient réutilisé une bonne part de l'oeuvre de Marc dans leur évangile, tout en intégrant une autre source, connue des deux et appelée « source Q », ainsi que d'autres sources qui leur sont propres, et enfin Jean aurait publié plus tard un évangile indépendant, sans connaître Marc, Matthieu et Luc, même s'il semble avoir eu accès à des sources semblables.

Nous présentons l'ensemble des textes attribués par une majorité de biblistes à la source Q, à la fois le texte grec translittéré et une traduction française littérale. Nous avons opté pour le texte grec de la 28e édition de Kurt Aland qui a fait certains choix parmi les variations. Tous les mots ou parties de mot identiques entre Matthieu et Luc ont été colorés en bleu. Mais la présence de mots identiques chez Matthieu et Luc ne signifient pas pour autant que nous sommes devant un texte de la source Q, car Matthieu et Luc peuvent avoir simplement copié Marc de la même façon. Aussi, avons-nous souligné les mots ou parties de mots qui se retrouvent également chez Marc. Enfin, la séquence des chapitres et versets est celui de Luc qui semble en général le plus respectueux de ses sources. Cela nous a donc obligé de placer parfois le texte de Matthieu hors séquence, ce que nous avons indiqué avec des parenthèses carrées. Mais rappelons que cette source Q ressemble à un cartable à feuilles volantes, et chaque évangéliste y pige des textes selon les besoins de sa narration. Enfin, notre traduction du texte grec est la plus littérale possible afin d'assurer une meilleure comparaison, même si elle nous donne un texte très rugueux.

Note: Une partie des commentaires rattachés à chaque péricope est redevable à l'ouvrage de Marie-Émile Boismard, Synopse des quatre évangiles, II. Paris: Cerf, 1972.

Légende
Couleur bleu: mots ou parties de mot identiques chez Matthieu et Luc
Couleur rouge: mots ou parties de mot de l'évangile selon Jean présents aussi chez Matthieu ou Luc
Souligné: mots ou parties de mot de Marc présents chez Matthieu ou Luc
*: péricope, après analyse, ne semble pas provenir de la source Q
[]: les parenthèses carrées indiquent un verset hors séquence.
Mots en italiques: citation scripturaire


Table des matières

1. Mt 3, 7b-12 || Lc 3, 7-9. 16-17 avertissements de Jean-Baptiste, promesse d'un autre à venir.
2. Mt 4, 2b-11a || Lc 4, 2-13 trois tentations (mises à l'épreuve) de Jésus par le diable (ordre différent).
3. Mt 5, 3. 6. 4. 11-12 || Lc 6, 20b-23 béatitudes (ordre différent, formulation différente).
4. Mt 5, 44. 39b-40. 42 || Lc 6, 27-30 amour des ennemis ; tendre l'autre joue ; donner son manteau ; donner aux mendiants.
5. Mt 7, 12 || Lc 6, 31 ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le leur.
6. Mt 5, 46-47. 45. 48 || Lc 6, 32-33. 35b-36 aimez plus que ceux qui vous aiment ; soyez miséricordieux comme le Père l'est.
7. Mt 7, 1-2 || Lc 6, 37a. 38c ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; la mesure donnée est la mesure reçue.
8. Mt 15, 14. 10. 24-25a || Lc 6, 39-40 un aveugle peut-il guider un aveugle ; le disciple n'est pas au-dessus du maître.
9. Mt 7, 3-5 || Lc 6, 41-42 Une brindille dans l'oeil d'un frère, une poutre dans le sien.
10. Mt 7, 16-20 (12, 33-35) || Lc 6, 43-45 aucun bon arbre ne porte de mauvais fruits ; aucune figue ne provient des épines.
11. Mt 7, 21. 24-27 || Lc 6, 46-49 m'appeler Seigneur et ne pas agir ; entendre mes paroles et les mettre en pratique.
12. Mt 8, 5a-10. 13 || Lc 7, 1-2. 6b-10 le centurion de Capharnaüm demande de l'aide pour son serviteur malade.
13. Mt 11, 2-11 || Lc 7, 18-28 disciples de Jean-Baptiste ; message pour lui ; éloge de Jean-Baptiste comme plus qu'un prophète.
14. Mt 11, 16-19 || Lc 7, 31-35 cette génération n'est satisfaite ni de Jean-Baptiste ni du Fils de l'Homme.
15. Mt 8, 19-22 || Lc 9, 57-60 le Fils de l'Homme n'a nulle part où poser la tête ; le suivre ; laisser les morts enterrer les morts.
16. Mt 9, 37-38; 10, 7-16 || Lc 10, 2-12 moisson abondante, ouvriers peu nombreux ; instructions de mission.
17. Mt 11, 21-23; 10, 40 || Lc 10, 13-16 malheur à Chorazin et Bethsaïda ; quiconque vous écoute, m'écoute.
18. Mt 11, 25-27; 13, 16-17 || Lc 10, 21-24 remercier le Père d'avoir révélé aux enfants ; tout est donné au Fils qui seul connaît le Père.
19. Mt 6, 9-13 || Lc 11, 2-4 la prière du Seigneur (différentes formes - celle de Matthieu est plus longue).
20. Mt 7, 7-11 || Lc 11, 9-13 demandez et il vous sera donné ; si vous faites de bons dons, combien plus le Père en fera-t-il ?.
21. Mt 12, 22-30 || Lc 11, 14-15. 17-23 les démons sont chassés par Béelzéboul un homme fort garde son palais ; pas avec moi est contre moi.
22. Mt 12, 43-45 || Lc 11, 24-26 un esprit impur sorti de quelqu'un revient et en amène sept autres.
23. Mt 12, 38-42 || Lc 11, 29-32 une génération cherche un signe ; signe de Jonas ; jugement des gens de Ninive ; reine du sud.
24. Mt 5, 15; 6, 22-23 || Lc 11, 33-35 ne pas mettre la lampe sous le boisseau ; lampe oculaire du corps, si elle est déréglée, ténèbres.
25. Mt 23, 25-26. 23. 6-7a. 27 || Lc 11, 39-44 les pharisiens purifient l'extérieur de la coupe ; malheur aux casuistes.
26. Mt 23, 4. 29-31 || Lc 11, 46-48 malheur aux légistes qui lient de lourds fardeaux et construisent les tombes des prophètes.
27. Mt 23, 34-36. 13 || Lc 11, 49-52 je parle / la sagesse de Dieu parle ; enverra des prophètes qui seront persécutés ; malheur aux légistes.
28. Mt 10, 26-33; 12, 32; 10, 19-20 || Lc 12, 2-12 tout ce qui est couvert sera révélé ; ne craignez pas les tueurs de corps ; me reconnaître devant Dieu.
29. Mt 6, 25-33 || Lc 12, 22-31 ne vous inquiétez pas pour le corps ; considérez les lys des champs ; le Père sait ce dont vous avez besoin.
30. Mt 6, 19-21 || Lc 12, 33-34 pas de trésors sur la terre mais dans le ciel.
31. Mt 24, 43-44. 45-51 || Lc 12, 39-40. 42-46 maître de maison et voleur ; fidèle serviteur se préparant à la venue du maître.
32. Mt 10, 34-36 || Lc 12, 51-53 ne vient pas apporter la paix mais l'épée ; divisions familiales.
33. Mt 16, 2-3 || Lc 12, 54-56 la capacité d'interpréter les signes météorologiques devrait permettre d'interpréter les temps présents.
34. Mt 5, 25-26 || Lc 12, 58-59 régler avant de se présenter devant le magistrat.
35. Mt 13, 31-33 || Lc 13, 18-21 royaume des cieux/Dieu comme la graine de moutarde ; comme le levain que la femme met dans la farine.
36. Mt 7, 13-14. 22-23; 8, 11-12 || Lc 13, 23-29 porte étroite; refus de ceux qui frappent ; personnes venant de partout entrant dans le royaume.
37. Mt 23, 37-39 || Lc 13, 34-35 Jérusalem tue les prophètes, doit bénir celui qui vient au nom du Seigneur.
38. Mt 22, 2-10 || Lc 14, 16-24 royaume des cieux/Dieu, un grand banquet, les invités s'excusent, d'autres sont invités.
39. Mt 10, 37-38 || Lc 14, 26-27 quiconque vient doit me préférer à sa famille et doit porter une croix.
40. Mt 5, 13 || Lc 14, 34-35 inutilité du sel qui a perdu sa saveur.
41. Mt 18, 12-14 || Lc 15, 4-7 l'homme qui laisse 99 brebis pour aller chercher celle qui est perdue.
42. Mt 6, 24 || Lc 16, 13 ne peut servir deux maîtres.
43. Mt 11, 12-13; 5, 18. 32 || Lc 16, 16-18 loi et prophètes jusqu'à Jean-Baptiste ; pas un point de la loi ne passera ; question du divorce.
44. Mt 18, 7. 15. 21-22 || Lc 17, 1. 3b-4 malheur aux tentateurs ; pardonner à un frère après l'avoir réprimandé; combien de fois pardonner.
45. Mt 17, 20 || Lc 17, 6 si vous aviez la foi comme un grain de moutarde, vous pourriez déplacer des montagnes.
46. Mt 24, 26-28 || Lc 17, 23-24. 37 signes de la venue du Fils de l'Homme.
47. Mt 24, 37-39 || Lc 17, 26-27. 30 comme au temps de Noé, ainsi sera la venue du Fils de l'Homme.
48. Mt 10, 39 || Lc 17, 33 celui qui trouve sa vie la perdra, celui qui la perd la trouvera.
49. Mt 24, 40-41 || Lc 17, 34-35 en cette nuit, parmi deux, l'un est pris et l'autre laissé.
50. Mt 25, 14-30 || Lc 19, 12-27 parabole des mines / talents.
51. Mt 19, 28 || Lc 22, 28. 30 les disciples sont demeurés avec lui, ils seront assis sur des trônes et jugeront les douze tribus d'Israël.

 

1. Avertissements de Jean-Baptiste, promesse d'un autre à venir

MatthieuLucMatthieuLuc
3, 7b gennēmata echidnōn, tis hypedeixen hymin phygein apo tēs mellousēs orgēs; 3, 7b gennēmata echidnōn, tis hypedeixen hymin phygein apo tēs mellousēs orgēs; 3, 7b Engence de vipères! Qui vous a suggéré d'échapper à la colère venant?3, 7b Engence de vipères! Qui vous a suggéré d'échapper à la colère venant?
3, 8 poiēsate oun karpon axion tēs metanoias 3, 8a poiēsate oun karpous axious tēs metanoias 3, 8 Faites donc un fruit digne du changement d'idée.3, 8a Faites donc des fruits dignes du changement d'idée.
3, 9 kai mē doxēte legein en heautois• patera echomen ton Abraam. legō gar hymin hoti dynatai ho theos ek tōn lithōn toutōn egeirai tekna tō Abraam. 3, 8b kai mē arxēsthe legein en heautois• patera echomen ton Abraam. legō gar hymin hoti dynatai ho theos ek tōn lithōn toutōn egeirai tekna tō Abraam. 3, 9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je dis à vous qu'il capable le Dieu hors de ces pierres-là susciter des enfants à Abraham.3, 8b et ne commencez pas à dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je dis à vous qu'il capable le Dieu hors de ces pierres-là susciter des enfants à Abraham.
3, 10 ēdē de hē axinē pros tēn rhizan tōn dendrōn keitai• pan oun dendron mē poioun karpon kalon ekkoptetai kai eis pyr balletai.3, 9 ēdē de kai hē axinē pros tēn rhizan tōn dendrōn keitai• pan oun dendron mē poioun karpon kalon ekkoptetai kai eis pyr balletai.3, 10 Puis, déjà la cognée se trouve à la racine des arbres? tout arbre donc ne faisant pas de fruit bon est coupé et jeté au feu.3, 9 Puis, déjà aussi la cognée se trouve à la racine des arbres? tout arbre donc ne faisant pas de fruit bon est coupé et jeté au feu.
3, 11 Egō men hymas baptizō en hydati eis metanoian, ho de opisō mou erchomenos ischyroteros mou estin, hou ouk eimi hikanos ta hypodēmata bastasaiautos hymas baptisei en pneumati hagiō kai pyri3, 16 apekrinato legōn pasin ho Iōannēsegō men hydati bapti hymaserchetai de ho ischyroteros mou, hou ouk eimi hikanos lysai ton himanta tōn hypodēmatōn autouautos hymas baptisei en pneumati hagiō kai pyri• 3, 11 Moi, certes, je vous baptise dans une eau en vue du changement d'idée, puis lui venant derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne de porter les chaussures. Lui-même vous baptisera en esprit saint et au feu. 3, 16 Le Jean répondit en disant à tous: Moi, certes je vous baptise à une eau, puis il vient le plus fort que moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie des chaussures de lui. Lui-même vous baptisera en esprit saint et au feu.
3, 12 hou to ptyon en tē cheiri autou kai diakathariei tēn halōna autou kai synaxei ton siton autou eis tēn apothēkēn, to de achyron katakausei pyri asbestō.3, 17 hou to ptyon en tē cheiri autou diakatharai tēn halōna autou kai synagagein ton siton eis tēn apothēkēn autou, to de achyron katakausei pyri asbestō.3, 12 Qui (tient) la pelle à vanner en la main de lui et il nettoiera l'aire de lui et rassemblera le blé de lui dans le grenier, puis les balles seront consumées au feu inextinguible.3, 17 Qui (tient) la pelle à vanner en la main de lui pour nettoyer l'aire de lui et pour rassembler le blé dans le grenier de lui, puis les balles seront consumées au feu inextinguible.

Commentaire
  • L'ensemble Mt 3, 7b-10 || Lc 3, 7b-9 est inséré par Matthieu et Luc après avoir recopié l'introduction de Marc sur Jean-Baptiste identifié au personnage des livre prophétiques de Ml 3, 1 et Is 40, 3

  • L'auteur de la source Q adopte le ton des invectives qu'on trouve chez des prophètes comme Amos et Jérémie dénonçant les injustices

  • L'accent est sur le jugement imminent qui vient et le ton est radical: le pécheur est jeté aux ordures avec son feu inextinguible

  • On remarquera que Mt 3, 11 || Lc 3, 16 est presqu'une copie du texte de Marc. Qu'est-ce-dire? Nous avons peut-être l'exemple d'une tradition ancienne qui avec le temps a pris diverses formes: Marc utilise une de ces formes, Jean également (ce qui explique certaines similitudes en couleur rouge), et la source Q nous offre sa version; ces diverses traditions peuvent présenter parfois les mêmes mots

  • Matthieu semble copier telle quelle la séquence de la source Q (Mt 3, 7b-12), alors que Luc interrompt cette séquence (Lc 3, 7b-9) avec un récit sur l'enseignement moral de Jean-Baptiste à l'égard de groupes particuliers (Lc 3, 10-14), puis, quand il reprend la séquence avec Lc 3, 16-17, il sent le besoin de l'introduire (Lc 3, 15) avec une de ses compositions

  • Dans la majorité des versets, le texte présenté par Matthieu et Luc est presque identifique, se distinguant seulement par le choix de certains mots. Mais il est difficile de déterminer lequel de ces mots provient vraiment de la source Q. Par exemple, le verbe "commencez" en Lc 3, 8b provient-il de la source Q, ou de la plume de Luc qui aime bien le verbe "commencer à" suivi d'un verbe à l'infinitif?

2. Trois tentations (mises à l'épreuve) de Jésus par le diable (ordre différent)

MatthieuLucMatthieuLuc
4, 1b-2 peirasthēnai hypo tou diabolou. kai nēsteusas hēmeras tesserakonta kai nyktas tesserakonta, hysteron epeinasen. 4, 2 hēmeras tesserakonta peirazomenos hypo tou diabolou. Kai ouk ephagen ouden en tais hēmerais ekeinais kai syntelestheisōn autōn epeinasen. 4.1b-2 pour être mis à l'épreuve par le diable. Et ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, finalement il eut faim.4, 2 quarante jours étant mis à l'épreuve par le diable. Et il ne mangea rien en les jours ceux-là et étant achevés eux il eût faim.
4, 3 kai proselthōn ho peirazōn eipen autō ei huios ei tou theou, eipe hina hoi lithoi houtoi artoi genōntai. 4, 3 eipen de autō ho diabolos• ei huios ei tou theou, eipelithō toutō hina genētai artos. 4, 3 Et s'étant approché le mettant à l'épreuve dit à lui: Si fils tu es de Dieu, dit afin que les pierres celles-là pains qu'elles deviennent4, 3 Puis, il dit à lui le diable: Si fils tu es de Dieu, dit à la pierre celle-là afin qu'elle devienne pain
4, 4 ho de apokritheis eipen• gegraptai• ouk epʼ artō monō zēsetai ho anthrōpos, allʼ epi panti rhēmati ekporeuomenō dia stomatos theou.4, 4 kai apekrithē pros auton ho Iēsous• gegraptai hoti ouk epʼ artō monō zēsetai ho anthrōpos. 4,4 Puis, lui ayant répondu il dit: il a été écrit: sur du pain seul l'homme ne vivra pas, mais sur toute parole provenant à travers bouche de Dieu.4, 4 Et il répondit en direction de lui le Jésus: il a été écrit que sur du pain seul l'homme ne vivra pas.
[4, 8-9 Palin paralambanei auton ho diabolos eis oros hypsēlon lian kai deiknysin autō pasas tas basileias tou kosmou kai tēn doxan autōn kai eipen autōtauta soi panta dōsō, ean pesōn proskynēsēs moi.]4, 5-7 Kai anagagōn auton edeixen autō pasas tas basileias tēs oikoumenēs en stigmē chronou kai eipen autō ho diabolossoi dōsō tēn exousian tautēn hapasan kai tēn doxan autōn, hoti emoi paradedotai kai hō ean thelō didōmi autēn• sy oun ean proskynēsēs enōpion emou, estai sou pasa. [4, 8-9 De nouveau le diable le prend avec lui vers une montagne très élevée et montre à lui tous les royaumes du monde et la gloire d'eux et il dit à lui: toutes ces choses-là à toi je donnerai, si tombant (à mes pieds) tu te prosternes à moi.]4, 5-7 Et ayant conduit lui vers le haut il montra à lui tous les royaumes de l'univers en un moment de temps et il dit à lui le diable: à toi je donnerai l'autorité cette chose-là toute et la gloire d'eux, parce qu'elle m'a été transmisse et à qui je veux je la donne. Donc, si tu te prosternes devant moi, tout sera à toi.
[4, 10 tote legei autō ho Iēsous• hypage, satana• gegraptai gar• kyrion ton theon sou proskynēseis kai autō monō latreuseis.]4, 8 kai apokritheis ho Iēsous eipen autō• gegraptai• kyrion ton theon sou proskynēseis kai autō monō latreuseis.[4, 10 Alors il dit à lui le Jésus: va-t'en, Satan. Car il a été écrit: au Seigneur le Dieu de toi tu te prosterneras et à lui seul tu rendras un culte]4, 8 Et ayant répondu le Jésus il dit à lui: il a été écrit: au Seigneur le Dieu de toi tu te prosterneras et à lui seul tu rendras un culte.
4, 5 Tote paralambanei auton ho diabolos eis tēn hagian polin kai estēsen auton epi to pterygion tou hierou 4, 9a Ēgagen de auton eis Ierousalēm kai estēsen epi to pterygion tou hierou 4, 5 Alors le diable le prend avec lui vers la ville sainte et il le plaça sur faîte du temple,4, 9a Puis, il le mena vers Jérusalem et plaça sur le faîte du temple,
4, 6 kai legei autō• ei huios ei tou theou, bale seauton katōgegraptai gar hoti tois angelois autou enteleitai peri sou kai epi cheirōn arousin se, mēpote proskopsēs pros lithon ton poda sou.4, 9b-11 kai eipen autō• ei huios ei tou theou, bale seauton enteuthen katō• gegraptai gar hoti tois angelois autou enteleitai peri sou tou diaphylaxai se kai hoti epi cheirōn arousin se, mēpote proskopsēs pros lithon ton poda sou.4, 6 et il dit à lui: si fils tu es de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit qu'aux anges de toi il ordonnera au sujet de toi et sur des mains ils porteront toi, de peur qu'il ne heurte contre une pierre le pied de toi.4, 9b-11 et il dit à lui: si fils tu es de Dieu, jette-toi d'ici en bas. Car il a été écrit qu'aux anges de toi il ordonnera au sujet de toi de garder toi et que sur des mains ils porteront toi, de peur qu'il ne heurte contre une pierre le pied de toi.
4, 7 ephē autō ho Iēsous• palin gegraptai• ouk ekpeiraseis kyrion ton theon sou.4, 12 kai apokritheis eipen autō ho Iēsous hoti eirētai• ouk ekpeiraseis kyrion ton theon sou.4, 7 Il déclarait à lui le Jésus: de nouveau il a été écrit: tu ne tenteras pas Seigneur le Dieu de toi.4, 12 Et ayant répondu il dit à lui le Jésus qu'il été dit: tu ne tenteras pas Seigneur le Dieu de toi.
4, 11 Tote aphiēsin auton ho diabolos, kai idou angeloi prosēlthon kai diēkonoun autō.4, 13 Kai syntelesas panta peirasmon ho diabolos apestē apʼ autou achri kairou.4, 11 Alors laissa lui le diable, et voici des anges s'approchèrent et servaient lui.4, 13 Et ayant achevé toutes épreuves le diable s'éloigna de lui jusqu'au moment opportun.

Commentaire
  • Marc nous offre un seul verset sur le récit de l'épreuve de Jésus dans un lieu désert, un récit très général. Matthieu et Luc connaissent ce verset, mais ont également sous les yeux un récit détaillé provenant de la source Q. Alors tous deux reprennent le début du verset de Marc sur l'épreuve de quarante jours auquel ils ajoutent le texte de la source Q qui prend la forme de trois épreuves: 1) la faim, 2) l'évitement de la mort et 3) la richesse et le pouvoir. Seul Matthieu termine son récit en reprenant la fin du verset de Marc sur les anges qui le servent. Notons que chez Luc l'ordre des tentations est légèrement différent de celui de Matthieu avec la séquence 1), 3), 2).

  • Chez Marc, le tentateur est Satan, alors que dans la source Q il s'agit du diable, une version hellénisée du Satan hébreu.

  • Dans les trois épreuves, la réponse de Jésus renvoit à un passage de l'AT (en italique): Mt 4, 4 || Lc 4, 4 (la faim) à Dt 8, 3; Mt 4, 10 || Lc 4, 8 (les richesses) à Dt 6, 13 et Mt 4, 7 || Lc 4, 12 (l'évitement de la mort) à Dt 6, 16. De plus, le diable cite également Ps 91 (LXX: 90), 11 en Mt 4, 6 || Lc 4, 10-11. Notons que toutes les citations de l'AT renvoit à la version grecque, i.e. la Septante. Notons également que, pour une raison difficile à déterminer, Matthieu 4, 6 ampute la citation de Ps 90 (91), 11 du verbe « de garder toi » (présent dans la citation de Luc), ce qui fait qu'on ne sait pas chez Matthieu ce qu'a ordonné Dieu.

  • Il est difficile de déterminer le texte exact de la source Q, car chaque évangéliste y a pu ajouter sa touche personnelle. Commençons par Matthieu qui a laissé la trace de son style avec un verbe comme "s'approcher" (v. 3 et 11), ou "prendre avec lui" (v. 5 et 8), ou "tombant" (v. 9) ou encore un adverbe comme "alors" (tote, v. 5, 10, 11), et même la référence au jeûne (v. 2) compréhensible dans son milieu juif. Luc, pour sa part, pourrait avoir éliminé la mention des "quarante jours et quarante nuits" qui reprend Ex 34, 28 (« Moïse resta là avec le Seigneur quarante jours et quarante nuits, sans rien manger ni boire ») et Dt 9, 9, car il voulait peut-être éviter un doublet (Luc a horreur des doublets) car il avait déjà fait référence au v. 2 aux quarante jours de Jésus dans le désert; il aurait remplacé cette référence par l'une de ses expressions: « en les jours ceux-là ». La citation de Dt 8, 3 lors de l'épreuve de la faim est abrégée chez Luc qui ne reprend pas la fin du verset (« mais sur toute parole provenant à travers bouche de Dieu »), peut-être parce qu'il entend l'utiliser plutôt en référence à Jésus en Lc 4, 22: « ils s'étonnaient des paroles de grâce provenant hors de la bouche de lui ». Enfin, certains mots lui sont propres: « univers » (v. 5), « devant moi » (enōpion, v. 7).

  • La conclusion à la fois de Matthieu et de Luc est un composition: en Mt 4, 11 Matthieu reprend un verbe qui lui est familier « laisser » tout en y ajoutant la fin de Mc 1, 13 sur les anges qui servent Jésus; Luc, pour sa part, utilise également un verbe qui lui est familier, « s'éloigner » et avec l'expression « jusqu'au moment opportun » il prépare le retour de Satan en Lc 22, 3. Il aurait omis la mension des anges, car il réserve au jardin de Gethsémani l'intervention de l'ange pour soutenir Jésus (Lc 22, 43).

  • Selon M.E. Boismard (Synopse des quatre évangiles, II, p. 87), c'est Luc qui aurait modifié l'ordre originel des épreuves en mettant l'évitement de la mort comme derrière épreuve, afin de terminer la scène avec la mention de Jérusalem et préparer sa conclusion du v. 13 qui évoque les tentations de Gethsémani.

3. Les béatitudes (ordre différent, formulation différente)

MatthieuLucMatthieuLuc
5, 3 Makarioi hoi ptōchoi tō pneumati, hoti autōn estin hē basileia tōn ouranōn.6, 20b Makarioi hoi ptōchoi, hoti hymetera estin hē basileia tou theou.5, 3 Heureux les pauvres en esprit, car à eux est le royaume des cieux6, 20b Heureux les pauvres, car vôtre est le royaume de Dieu.
[5, 6 makarioi hoi peinōntes kai dipsōntes tēn dikaiosynēn, hoti autoi chortasthēsontai.]6, 21a makarioi hoi peinōntes nyn, hoti chortasthēsesthe.[5, 6 Heureux les ayant faim et ayant soif de justice, car eux ils seront rassasiés.]6, 21a Heureux les ayant faim maintenant, car vous serez rassasiés.
5, 4 makarioi hoi penthountes, hoti autoi paraklēthēsontai.6, 21b makarioi hoi klaiontes nyn, hoti gelasete.5, 4 Heureux les étant affligés, car eux ils seront consolés.6, 21b Heureux les pleurant maintenant, car vous rirez.
5, 5 makarioi hoi praeis, hoti autoi klēronomēsousin tēn gēn. 5, 5 Heureux les doux, car eux ils hériteront de la terre. 
5, 7 makarioi hoi eleēmones, hoti autoi eleēthēsontai. 5, 7 Heureux les miséricordieux, car à eux il sera fait miséricorde. 
5, 8 makarioi hoi katharoi tē kardia, hoti autoi ton theon opsontai. 5, 8 Heureux les purs de cœur, car eux le Dieu ils verront. 
5, 9 makarioi hoi eirēnopoioi, hoti autoi huioi theou klēthēsontai. 5, 9 Heureux les faiseurs de paix, car eux fils de Dieu ils seront appelés 
5, 10 makarioi hoi dediōgmenoi heneken dikaiosynēs, hoti autōn estin hē basileia tōn ouranōn. 5, 10 Heureux les ayant été persécutés à cause de justice, car à eux est le royaume des cieux. 
5, 11 makarioi este hotan oneidisōsin hymas kai diōxōsin kai eipōsin pan ponēron kathʼ hymōn [pseudomenoi] heneken emou. 6, 22 makarioi este hotan misēsōsin hymas hoi anthrōpoi kai hotan aphorisōsin hymas kai oneidisōsin kai ekbalōsin to onoma hymōn hōs ponēron heneka tou huiou tou anthrōpou•5, 11 Heureux êtes-vous quand ils insulteront vous et persécuteront et diront toute chose mauvaise contre vous [mentant] à cause de moi. 6, 22 Heureux êtes-vous quand ils haïront vous les hommes et quand ils excluront vous et ils insulteront et rejetteront le nom de vous comme mauvais à cause du fils de l'homme.
5, 12 chairete kai agalliasthe, hoti ho misthos hymōn polys en tois ouranois• houtōs gar ediōxan tous prophētas tous pro hymōn.6, 23 charēte en ekeinē tē hēmera kai skirtēsate, idou gar ho misthos hymōn polys en tō ouranō• kata ta auta gar epoioun tois prophētais hoi pateres autōn.5, 12 Réjouissez-vous et exultez, car la récompense de vous (est) grande dans les cieux. Car ainsi ils ont persécutés les prophètes, ceux avant vous.6, 23 Réjouissez-vous en ce jour-là et bondissez (de joie), car voici la récompense de vous (est) grande dans le ciel. Car selon ces choses faisaient les prophètes les pères de vous.

Commentaire
  • Notons d'abord que Matthieu a 9 béatitudes (8 courtes, 1 longue), tandis que Luc a 4 béatitudes (3 courtes, 1 longue)

  • Ces béatitudes portent la marque du travail d'édition des évangélistes. Cependant la majorité des biblistes pensent que ces béatitudes sont basées sur le noyau des trois béatitudes suivantes qui auraient de bonnes chances de remonter au Jésus historique:
    Heureux les pauvres, car à eux est le royaume des Cieux
    Heureux les affligés, car ils seront consolés
    Heureux les affamés, car ils seront rassasiés
    (sur le sujet, voir J.P. Meier)

    Ces béatitudes du noyau originel reprennent les thèmes de Is 61, 1-2 (« L'Esprit du Seigneur est sur moi, car il m'a choisi pour son service ; il m'a donné pour mission d'apporter aux pauvres une bonne nouvelle et de prendre soin des désespérés ; ma mission est de proclamer aux captifs qu'ils seront libres désormais et de dire aux prisonniers que leurs cachots vont s'ouvrir ; ma mission est d'annoncer l'année où le Seigneur manifestera sa faveur à son peuple, le jour où notre Dieu prendra sa revanche sur ses ennemis ; je suis envoyé pour apporter un réconfort à ceux qui sont en deuil ») ainsi que le Ps 107, 9 (« Car il a donné à boire à l'assoiffé, il a comblé de biens l'affamé »). L'expression « Heureux..., car... » est bien connue des psaumes et de la littérature sapientielle où le bonheur est attendu dès cette vie, souvent lié à une restauration politique et terrestre de la domination d'Israël sur le monde. L'originalité de Jésus est de déplacer les attentes vers le monde de Dieu, une vie avec Dieu, qui seul peut assurer le vrai bonheur.

  • À ce noyau historique, l'auteur de la source Q aurait ajouté une quatrième béatitude liée aux persécutions: Mt 5, 11-12 || Lc 6, 22-23; ainsi, alors que les béatitudes initiales concernaient les humbes, ceux qui sont écrasés par la vie, la béatitude ajoutée par la source Q concerne les chrétiens en tant que tels, ceux qui seront haïs et maudits parce qu'ls sont chrétiens (M.E. Boismard, Synopse des quatre évangiles, II, p. 129).

  • Comment expliquer alors les quatre béatitudes propres à Matthieu (v. 5, 7, 8, 9)? Tout d'abord, notons que les trois béatitudes des v. 5, 7, 9 sont très différentes de celles des v. 3, 6, 4: il ne s'agit plus d'états de privation (pauvreté, affliction, faim), mais de qualité actives réglant les relations avec le prochain: miséricorde, pureté de coeur, pacifisme, et en conséquence, les récompenses promises n'impliquent plus un renversement de situation (possession du royaume, consolation, rassasiement), mais évoque une relation nouvelle établie entre l'homme et Dieu: il recevra miséricorde (de la part de Dieu), il verra Dieu, il sera fils de Dieu. Il est possible que Matthieu ait reçu ces béatitudes d'une tradition sur la prédication initiale de Jésus, mais ce qui est clair il a cherché à tout réinterpréter dans une perpective d'éthique universelle et quasi intemporelle. Dans ce cadre, les pauvres sont devenu des pauvres en esprit, i.e. des humbles soumis à Dieu, la faim est devenue une faim de justice typique d'une perspective juive, i.e. l'accomplissement parfait de la loi. Par la même occasion, Matthieu aurait également ajouté à la source Q le v. 10 sur les persécutés, un verset qui n'a rien d'original et sa finale ne fait que reprendre la finale de la première béatitude.

  • On aura peut-être remarqué que Luc, avec ses quatre béatitudes, est celui qui respecte le mieux les quatre béatitudes de la source Q. Il reste cependant qu'il apporte quelques modifications, dont la plus évidente est le passage au style direct: « vôtre est le royaume de Dieu », « vous serez rassasiés », « vous rirez »; cela lui permet d'harmoniser les trois première béatitudes avec la quatrième. Il aurait modifié le couple affligés/consolés par le couple pleurer/rire mieux adapté à son milieu grec. Enfin, il aurait ajouté l'adverbe « maintenant » qu'il affectionne particulièrment.

4. Amour des ennemis ; tendre l'autre joue ; donner son manteau ; donner aux mendiants

MatthieuLucMatthieuLuc
[5, 44 egō de legō hymin• agapate tous echthrous hymōn kai proseuchesthe hyper tōn diōkontōn hymas,] 6, 27-28 Alla hymin legō tois akouousin• agapate tous echthrous hymōn, kalōs poieite tois misousin hymas, eulogeite tous katarōmenous hymas, proseuchesthe peri tōn epēreazontōn hymas. [5, 44 Puis, Moi, je dis à vous: Aimez les ennemis de vous et priez en faveur des persécutant vous.]6, 27-28 Mais à vous je dis, à ceux écoutant, Aimez les ennemis de vous, du bien faites à ceux haïssant vous. Bénissez les maudissant vous, priez au sujet des calomniant vous.
5, 39b allʼ hostis se rhapizei eis tēn dexian siagona [sou], strepson autō kai tēn allēn29a tō typtonti se epi tēn siagona pareche kai tēn allēn,5, 39b Mais quiconque te gifle à la droite joue (de toi), tourne à lui aussi l'autre.6, 29a Au frappant toi sur la joue, présente aussi l'autre.
5, 40 kai tō thelonti soi krithēnai kai ton chitōna sou labein, aphes autō kai to himation6, 29b kai apo tou airontos sou to himation kai ton chitōna mē kōlysēs. 5, 40 Et celui voulant te faire un procès et la tunique de toi prendre, laisse à lui aussi le manteau.6, 29b Et de l'emportant le manteau de toi, ne refuse pas aussi la tunique.
5, 42 tō aitounti se dos, kai ton thelonta apo sou danisasthai mē apostraphēs.6, 30 panti aitounti se didou, kai apo tou airontos ta sa mē apaitei.5, 42 À celui demandant à toi donne, et celui voulant de toi emprunter, ne (te) détourne pas.6, 30 À toute (personne) demandant à toi, donne, et de l'emportant les (choses) de toi, ne redemande pas.

Commentaire

  • Rappelons le contexte: chez Matthieu il s'agit du discours de Jésus sur la montagne où il appelle son auditoire à dépasser l'enseignement reçu, chez Luc il s'agit du discours de Jésus dans la plaine.

  • M.E. Boismard (Synopse des quatre évangiles, II, p. 149) croit pouvoir reconstituer le texte de la source Q, non seulement à l'aide de Matthieu et Luc, mais également de la Didachè et de Justin. Ce texte aurait été inspiré d'un document qui eut une grande diffusion dans le monde juif contemporain de Jésus, puis dans le christianisme: les « Deux Voies ». Voici ce qu'il propose:
    AQuel merci, si vous aimez ceux qui aiment? Même les nations (païennes) ne le font-elles pas?
    BOr vous, aimez ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis.
    CÀ qui te gifle sur la joue, tourne-lui aussi l’autre;
    DEt qui te requiert pour (une course d’) un mille, fais-en deux avec lui;
    EEt à qui emporte ton manteau, ne refuse pas aussi la tunique.
    FÀ tout (homme) qui te demande, donne;
    GEt à qui désire t’emprunter, ne te détourne pas;
    G’[si quelqu’un a reçu de toi ce (qui est) tien, ne (lui) réclame pas]
    HSi vous prêtez à (ceux) dont vous espérez recevoir, quel merci vous revient? Même les publicains en font autant.

  • Reprenons les différents parallèles:
    • Mt 5, 44 || Lc 6, 27-28 (voir ligne B): la source Q avait probablement trois exhortations: aimez..., bénir, priez..., mais Matthieu n'aurait retenu que « aimez » et « priez », pour garder le rythme binaire (avec deux verbes) tout au long de cette section; de plus, sans doute pour actualiser les « ennemis » de la source Q, il oriente la prière vers ceux qui « persécutent » les chrétiens, un thème qui lui est cher. Quant à Luc, il nous présente quatre exhortations: aimez..., faites du bien..., bénissez..., priez... C'est comme si Luc avait dédoublé la première exhortation (selon R.E. Boismard, op. cit., p. 148, l'exhortation « Aimez vos ennemis » de Matthieu serait connue de Luc sous la version de Mt-intermédiaire, et Luc aurait en même temps voulu conserver la mention de « ceux qui vous haïssent » de la source Q, et donc pour éviter d'utiliser de nouveau « aimez », l'aurait remplacé par une expression synonyme qui lui est propre: « faites du bien »), et pour éviter de répéter à la fin le mot « ennemi », l'a remplacé par « ceux qui vous calomnient ».

    • Mt 5, 39b || Lc 6, 29a (voir ligne C): c'est Matthieu qui semble le mieux respecter la source Q. Luc aurait remplacé « gifler », qui n’apparaît pas du tout dans son évangile et les Actes par un mot de son vocabulaire « frapper », tout comme il aurait remplacé « tourner » (l’autre joue) par un verbe de son vocabulaire qui lui semblait plus approprié : « présenter » (l’autre joue).

    • Mt 5, 40 || Lc 6, 29b (voir ligne E): Luc serait celui qui respecte le mieux la formulation de la source Q qui a une structure sémitique, et qui est plus logique: on prend d'abord le manteau avant de prendre la tunique (qui est un sous-vêtement). Matthieu a surchargé le verset avec une référence à l'AT (Ex 22, 25; Dt 24, 12.17 et surtout Pr 20, 16) où la saisie du vêtement sert de gage pour celui qui a prêté de l'argent

    • Mt 5, 42 || Lc 6, 30 (voir lignes F et G/G'): il y a ici deux recommandations, d'abord donner à qui est dans le besoin, puis accepter la demande de qui veut emprunter. Mais la formulation de Lc 6, 30b est obscure, car on ne voit plus le lien avec Lc 6, 30a concernant une demande. Mais tout s'éclaire au lieu de lire « emporter » (le même verbe qu'en 29b: un cas de distraction?), qui dénote une certaine violence, on lit plutôt « recevoir »: le reçevant les (choses) de toi, ne redemande pas; il s'agirait d'un cas d'emprunt comme en témoigne Matthieu. C'est donc une reprise des lignes F et G, avec G' comme variante.

5. Ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le leur

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 12 Panta oun hosa ean thelēte hina poiōsin hymin hoi anthrōpoi, houtōs kai hymeis poieite autois• houtos gar estin ho nomos kai hoi prophētai.6, 31 Kai kathōs thelete hina poiōsin hymin hoi anthrōpoi poieite autois homoiōs. 7, 12 Toutes choses donc autant que si vous vouliez que fassent à vous les hommes, ainsi aussi vous-mêmes faites à eux. Car cela est la loi et les prophètes.6, 31 Et de même que voulez que vous fassent à vous les hommes, faites à eux semblablement.

Commentaire

  • Cette parole de Jésus a été souvent appelée la « règle d’or ». Elle était connue sous forme négative dans le judaïsme: « Ne fais à personne ce que tu détestes toi-même » (Tb 4, 15). De même, chez Hillel, un rabbi contemporain de Jésus, on peut dire: « Ce que tu hais pour toi, à ton prochain tu ne le feras pas. Ceci est toute la Loi » (Talmud, Shabbat 31a). Cette règle est aussi connue de La lettre d'Aristée (milieu du 2e s. av. JC), qui raconte la naissance de la Septante, et lors d'un repas un sage dit au roi : « Dans la mesure où vous ne souhaitez pas que des maux vous tombent dessus… mettez cela en pratique avec vos sujets » (n. 207). Cette règle d'or aurait fait partie du traité des Deux Voies connu à l'époque de Jésus.
  • La grande originalité de cette parole de Jésus est sa formulation, non pas négative, mais positive. Luc semble celui qui a le mieux respecté le texte originel de la source Q qui devait avoir cette forme: tout ce que tu veux qu'il t'arrive, fais-le à autrui (M.E. Boismard, op. cit., p. 155). Mais comme Matthieu et Luc insèrent cette phrase dans un discours à une foule, le singulier est transformé en pluriel. De plus, Matthieu a tenu à souligner les affinités de la « règle d’or » avec le traité des Deux Voies en ajoutant: « Car cela est la loi et les prophètes ». Pour sa part, Luc aurait ajouté deux mots qu'il utilise beaucoup, « de même que » au début, et « semblablement » à la fin.

6. Aimez plus que ceux qui vous aiment ; soyez miséricordieux comme le Père l'est

MatthieuLucMatthieuLuc
5, 46 ean gar agapēsēte tous agapōntas hymas, tina misthon echete? ouchi kai hoi telōnai to auto poiousin? 6, 32 kai ei agapate tous agapōntas hymas, poia hymin charis estin? kai gar hoi hamartōloi tous agapōntas autous agapōsin. 5, 46 Car que si vous aimiez les aimant vous, quelle récompense avez-vous? Les percepteurs d'impôt ne font-ils pas aussi la même chose?6, 32 Et si vous aimez les aimant vous, quelle sorte de merci à vous? Car aussi les pécheurs ceux aimant eux, ils aiment.
5, 47 kai ean aspasēsthe tous adelphous hymōn monon, ti perisson poieite? ouchi kai hoi ethnikoi to auto poiousin? 6, 33 kai [gar] ean agathopoiēte tous agathopoiountas hymas, poia hymin charis estin? kai hoi hamartōloi to auto poiousin. 5, 57 Et que si vous saluiez les frères de vous seulement, quoi extraordinaire faites-vous? Les nations ne font-ils pas aussi la même chose?6, 33 [Car] et que si vous fassiez du bien aux faisant du bien à vous, quoi à vous merci il est? Les pécheurs aussi font la même chose
[5, 45 hopōs genēsthe huioi tou patros hymōn tou en ouranois, hoti ton hēlion autou anatellei epi ponērous kai agathous kai brechei epi dikaious kai adikous. ]6, 35b kai esesthe huioi hypsistou, hoti autos chrēstos estin epi tous acharistous kai ponērous.[5, 45 de façon que vous deveniez fils du père de vous celui dans les cieux, parce que le soleil de lui il fait lever sur méchants et bons et fait pleuvoir sur justes et injustes]6, 35b et vous serez fils du Très-Haut, parce que lui-même bienfaisant est sur les ingrats et méchants.
5, 48 esesthe oun hymeis teleioi hōs ho patēr hymōn ho ouranios teleios estin.6, 36 Ginesthe oiktirmones kathōs [kai] ho patēr hymōn oiktirmōn estin. 5, 48 Vous serez donc vous-mêmes parfaits comme le père de vous le céleste parfait est.6, 36 Devenez miséricordieux de même qu'[aussi] le père de vous miséricordieux est.

Commentaire

  • Rappelons que le contexte est toujours celui du discours sur la montagne chez Matthieu, et le discours dans la plaine chez Luc

  • Si on en croit R.E. Boismard, op. cit., p. 145-151, la source Q pour ce passage devait avoir cette formulation:
    Quel merci, si vous aimez ceux qui aiment? Même les nations (païennes) ne le font-elles pas?

    Devenez bienfaisants et miséricordieux comme votre Père dans les cieux qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et fait pleuvoir sur les justes et les injustes

  • En admettant cette hypothèse, considérons les différents parallèles.
    • Mt 5, 46 || Lc 6, 32: Luc aurait remplacé « nations (païennes) » par « pécheurs », un thème qui lui est très cher, et « le font » par une répétition du début « aiment ceux qui les aiment », une façon d'être plus explicite. Matthieu, pour sa part, préfère parler de « récompense », un thème favori chez lui, plutòt que de « merci », et de « percepteurs d'impôt » plutôt que de « nations (païennes)».

    • Mt 5, 47 || Lc 6, 33: notons qu'il n'y pas vraiment de parallèle entre les deux textes, sinon la structure d'ensemble, et si on en croit Boismard, aucun ne reflète la source Q. En fait, Matthieu aurait créé une variante de son v. 47 (on salue ses amis) afin de garder la structure binaire qu'il a adoptée dans le discours de Jésus. Chez Luc, ce v. 33 serait une de ses créations qui reprendrait le thème « faire du bien » qu'il a introduit plus tôt au v. 27.

    • Mt 5, 45.48 || Lc 6, 35-36: en regard de ce qu'était peut-être la source Q (« Devenez bienfaisants et miséricordieux comme votre Père dans les cieux qui fait lever... », on note que Matthieu a scindé en deux cette exhortation, en utilisant la deuxième partie (« votre Père dans les cieux qui fait lever... ») pour son v. 45, et le début (« Devenez bienfaisants et miséricordieux ») pour sa conclusion du v. 48, tout en chanchant les deux adjectifs pour celui de « parfaits » un adjectif qu'il utilisera dans l'épisode du jeune homme riche (Mt 29, 21): la perfection est d'accomplir tous les perfectionnements de la Loi. Luc, pour sa part, aurait respecté les deux adjectifs (« bienfaisants et miséricordieux ») de la source Q, tout en gardant l'inversion qu'on trouve chez Matthieu (i.e. l'appel à « devenir » est gardé comme conclusion, et n'est plus au début de l'exhortation; rappelons que selon Boismard, Luc aurait connu une première édition de Matthieu appelée Mt-intermédiaire). Et si la reconstitution de la formulation de la source Q est juste, Luc aurait un peu synthétisé cette formulation. Quoi qu'il en soit, l'exhortation de la source Q est audacieuse: devenez comme Dieu.

7. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ; la mesure donnée est la mesure reçue

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 1 Mē krinete, hina mē krithēte6, 37 Kai mē krinete, kai ou mē krithēte• kai mē katadikazete, kai ou mē katadikasthēte. apolyete, kai apolythēsesthe• 7, 1 Ne jugez pas, afin que vous ne soyiez pas jugés.6, 37 Et ne jugez pas, et non que vous ne soyiez pas jugés? et ne condamnez pas, et non vous ne serez pas condamnés? pardonnez, et vous serez pardonnés.
7, 2 en hō gar krimati krinete krithēsesthe, kai en hō metrō metreite metrēthēsetai hymin. 6, 38 didote, kai dothēsetai hymin• metron kalon pepiesmenon sesaleumenon hyperekchynnomenon dōsousin eis ton kolpon hymōn• gar metrō metreite antimetrēthēsetai hymin.7, 2 Car dans lequel jugement que vous jugez, vous serez jugés, et dans laquelle mesure vous mesurez, il sera mesuré à vous.6, 38 Donnez, et il sera donné à vous: une mesure bonne, tassées, secouée, débordante, qu'ils donneront dans le pli de vous? car à laquelle mesure vous mesurez, il sera mesuré en retour à vous.

Commentaire

  • Rappelons que le contexte est toujours celui du discours sur la montagne chez Matthieu, et le discours dans la plaine chez Luc

  • Mt 7, 1 || Lc 6, 37: Notons d'abord chez Matthieu que son ensemble Mt 7, 1-2 est beaucoup homogène que chez Luc car il est centré sur le thème du jugement; on fait ici référence au jugement eschatologique de Dieu qui sera copié sur notre façon de juger. Luc reprend d'abord la source Q en 37a, même par la suite (37b) essaie de l'expliciter sous la forme de la non condamnation et du pardon.

  • Mt 7, 2 || Lc 6, 38: Mt 7, 2b reflète une loi juridique dont on trouve de nombreuses attestations dans les papyrus égyptiens (par exemple: « Je te donnerai tes 45 artabes de blé qui sont mentionnés ci-dessous, en grain pur, sans corps étranger ni paille… mesurées avec ta mesure avec laquelle tu as mesuré pour moi » Papyrus démotique, n. 31323); le sens est clair: celui qui donne ne sera pas lésé quand on lui rendra ce qu'il a prêté. On aura remarqué que Mt 7, 2b et Lc 6, 38c se retrouvent également chez Marc (partie soulignée). Qu'est-ce à dire? Il est possible que cette phrase ait appartenu à une tradition indépendante que connaissaient à la fois Marc et la source Q. Chez Luc, le verset 38ab provient de son travail de rédaction pour clarifier le verset 38c qui lui vient de source Q: cette mesure se comprend dans un contexte de don ou de prêt.

8. Un aveugle peut-il guider un aveugle ; le disciple n'est pas au-dessus du maître

MatthieuLucMatthieuLuc
[15, 14 aphete autous• typhloi eisin hodēgoi [typhlōn]• typhlos de typhlon ean hodēgē, amphoteroi eis bothynon pesountai.]6, 39 Eipen de kai parabolēn autois• mēti dynatai typhlos typhlon hodēgein? ouchi amphoteroi eis bothynon empesountai? [15, 14 Laissez eux: des aveugles ils sont, guides (d'aveugles). Puis, un aveugle que s'il guide un aveugle, tous les deux dans une fosse ils tomberont. ]6, 39 Puis, il dit aussi une parabole à eux: est-ce qu'il est capable un aveugle un aveugle guider? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans une fosse?
[10, 24 Ouk estin mathētēs hyper ton didaskalon oude doulos hyper ton kyrion autou. ]6, 40a ouk estin mathētēs hyper ton didaskalon[10, 24 Il n'est pas un disciple au-dessus du maître ni un serviteur au-dessus de seigneur de lui]6, 40a Il n'est pas un disciple au-dessus du maître.
[10, 25a arketon tō mathētē hina genētai hōs ho didaskalos autou kai ho doulos hōs ho kyrios autou. ]6, 40b katērtismenos de pas estai hōs ho didaskalos autou.[10, 25a (Il est) suffisant au disciple qu'il devienne comme le maître de lui et le serviteur comme le seigneur de lui.]6, 40b Puis, ayant été formé, tout (disciple) sera comme le maître de lui.

Commentaire

  • Nous avons ici deux textes tirés de la source Q que Matthieu et Luc ont insérés dans des contextes très différents. C'est une indication que la source Q ressemble à un grand cartable avec des feuilles volantes des paroles de Jésus, et chaque évangéliste les a utilisé à sa façon selon les besoin de sa catéchèse et sa vision théologique.

  • Mt 15, 14 || Lc 6, 39: Une première feuille volante de la source Q est l’image de l’aveugle conduisant un autre aveugle. Chez Luc l’image fait suite à une exhortation à ne pas juger les autres et elle est introduite par une expression qui lui est propre : « il leur dit une parabole » (voir Lc 4, 23; 5, 36; 8, 4; 12, 16; 13, 6; 14, 7; 15, 3; 18, 9; 19, 11; 20, 9; 21, 29). Cette parabole prend la forme de deux questions, dont la réponse est évidente : oui, les deux tomberont dans le trou. Matthieu (15, 14) insère cette image dans une controverse avec les Pharisiens qui sont scandalisés de voir les disciples ne pas faire les ablutions d’eau sur les mains avant le repas. Cette image est précédée par un de ses verbes favoris dans l'expression: « Laissez-les ». Elle est présentée sous forme d’une affirmation : les Pharisiens sont des aveugles conduisant d’autres aveugles, et donc tomberont dans un trou, i.e. ils se retrouveront dans un cul de sac. Ainsi, chez Luc l’image est appliquée aux disciples dans le cadre de leurs relations avec les autres, chez Matthieu elle est utilisée pour porter un jugement sur l’action de Pharisiens.

  • Mt 15, 24-25a || Lc 6, 40: Une deuxième feuille volante est l’image de la relation disciple-maître qui comporte deux affirmations : d’abord, le disciple n’est pas plus grand que le maître, mais au terme de sa formation, il sera comme son maître. Il est difficile de savoir qu’elle était la formulation exacte de la source Q, mais chez Luc la deuxième affirmation devient : lui aussi pourra être un maître avec des disciples. Comme cette image fait suite à celle de l’aveugle guidant un aveugle, le disciple devenu un maître ne sera plus aveugle et il pourra à son tour guider les autres. Matthieu (10, 24-25) a inséré cette image dans un discours adressé aux disciples qui reviennent de mission et à qui Jésus demande de ne pas être surpris de rencontrer l’opposition et la persécution. Il introduit le texte de la source Q par un adjectif qu'on trouve que chez lui: il est suffisant (arketos). Dès lors l’image de la relation disciple-maître devient ceci : dans la première affirmation sur le disciple qui n’est pas au-dessus du maître, Jésus se trouve à dire : si on m’a persécuté, on vous persécutera également; dans la deuxième affirmation sur le fait qu’il suffit pour le disciple d’être comme son maître, Jésus se trouve à dire : vous devez être satisfait de connaître le même sort que moi alors qu’on m’a traité de Béelzéboul. Comme on peut l’observer, la même image prend une signification différente selon le contexte dans laquel on l’insère.

9. Une brindille dans l'oeil d'un frère, une poutre dans le sien

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 3 ti de blepeis to karphos to en tō ophthalmō tou adelphou sou, tēn de en tōophthalmō dokon ou katanoeis? 6, 41 Ti de blepeis to karphos to en tō ophthalmō tou adelphou sou, tēn de dokon tēn en tō idiō ophthalmō ou katanoeis? 7, 3 Puis, pourquoi tu regardes la brindille celui dans l'oeil du frère de toi, puis la poutre dans ton oeil, tu ne l'examines pas?6, 41 Puis, pourquoi tu regardes la brindille celui dans l'oeil du frère de toi, puis la poutre celle dans le propre oeil, tu ne l'examines pas?
7, 4 ē pōs ereis tō adelphō souaphes ekbalō to karphos ek tou ophthalmou sou, kai idou hē dokos en tō ophthalmō sou? 6, 42a pōs dynasai legein tō adelphō sou• adelphe, aphes ekbalō to karphos to en tō ophthalmō sou, autos tēn en tō ophthalmō sou dokon ou blepōn? 7, 4 Ou bien, comment diras-tu au frère de toi : Laisse que je chasse la brindille hors de l’œil de toi, et voici la poutre dans l’œil de toi?6, 42a Comment est-tu capable de dire au frère de toi, frère, laisse que je chasse la brindille celle dans l'oeil de toi, toi-même celle dans l'oeil de toi, une poutre, tu n'es pas regardant?
7, 5 hypokrita, ekbale prōton ek tou ophthalmou sou tēn dokon, kai tote diablepseis ekbalein to karphos ek tou ophthalmou tou adelphou sou.6, 42b hypokrita, ekbale prōton tēn dokon ek tou ophthalmou sou, kai tote diablepseis to karphos to en tō ophthalmō tou adelphou sou ekbalein.7, 5 Hypocrite, chasse d'abord la poutre de l'oeil de toi, et alors tu verras clair pour chasser la brindille hors de l'oeil du frère de toi.6, 42b Hypocrite, chasse d'abord la poutre de l'oeil de toi, et alors tu verras clair la brindille celle dans l'oeil du frère de toi pour chasser.

Commentaire

  • L'utilisation de la source Q par Luc et Matthieu est assez claire. Rappelons que la source Q ressemble à un grand cartable avec des feuilles volantes des paroles de Jésus, et chaque évangéliste les a utilisé à sa façon selon les besoin de sa catéchèse et sa vision théologique.

  • La feuille volante ici fait référence à l’image de la brindille et de la poutre. Comme Luc a inséré cette image après la mention de la relation disciple-maître et du besoin de formation pour devenir à son tour un maître, l’image vient éclairer l’objectif de cette formation : apprendre à découvrir la poutre qui nous empêche de bien voir son prochain et de le guider comme un maître. Matthieu (7, 3-5) a inséré cette image après une exhortation de Jésus à ne pas juger afin de n’être pas jugés et en rappelant qu’on sera jugé de la même façon qu’on aura jugé les autres.

  • Remarquons néanmoins la similitude entre le contexte de Luc et Matthieu : juste avant notre péricope, Luc avait inséré la feuille volante des paroles de Jésus exhortant à ne pas juger et rappelant qu’on sera jugé de la façon dont on aura jugé les autres. Matthieu a collé cette feuille volante avec celle de la brindille et de la poutre. Ainsi, les deux évangélistes partagent le contexte général de l’agir dans les relations aux autres. Il y a même plus, l’image de la brindille et de la poutre fait partie chez Matthieu du sermon sur la montagne, ce grand discours sur l’agir chrétien qui commence avec les béatitudes, tout comme la même image fait partie chez Luc du grand discours dans la plaine adressé aux disciples et qui commence avec les béatitudes.

  • Malgré les similitudes entre les deux contextes, la différence est notoire : chez Luc, l’image de la brindille et de la poutre survient au milieu d’un ensemble bien construit autour d’une idée qui se développe progressivement et éclairera la façon de bien juger les autres avec un cœur imprégné de l’évangile; chez Matthieu, l’exhortation à ne pas juger et l’image de la brindille et de la poutre surviennent comme une météorite après l’invitation à ne pas s’inquiéter du lendemain, puis est suivi de cette parole surprenante de Jésus à ne pas jeter aux chiens ce qui est sacré, sans doute une demande d’éviter de partager son enseignement avec des gens incapables ou refusant de le recevoir.

10. Aucun bon arbre ne porte de mauvais fruits ; aucune figue ne provient des épines

MatthieuMatthieuLucMatthieuMatthieuLuc
7, 16a apo n karpōn autōn epignōsesthe autous. [6, 44a hekaston gar dendron ek tou idiou karpou ginōsketai•]7, 16a À partir des fruits d'eux vous les reconnaîtrez. 6, 44a Car chaque arbre hors du propre fruit il est connu.
7, 17 houtōs pan dendron agathon karpous kalous poiei, to de sapron dendron karpous ponērous poiei. [12, 33a Ē poiēsate to dendron kalon kai ton karpon autou kalon, ē poiēsate to dendron sapron kai ton karpon autou sapron• ] 7, 17 Ainsi, tout arbe bon fait des fruits de qualité, puis l'arbre pourri fait de mauvais fruits. [12, 33a Soit on fait un arbre de qualité et son fruit de qualité, soit on fait un arbre pourri et son fruit pourri.] 
7, 18 ou dynatai dendron agathon karpous ponērous poiein oude dendron sapron karpous kalous poiein.  6, 43 Ou gar estin dendron kalon poioun karpon sapron, oude palin dendron sapron poioun karpon kalon. 7, 18 Il ne peut pas un arbre bon de faire des fruits mauvais ni un arbre pourri de faire des fruits de qualité. 6, 43 car il n'est pas un arbre de qualité faisant un fruit pourri, ni même de nouveau un arbre pourri faisant un fruit de qualité.
7, 19 pan dendron mē poioun karpon kalon ekkoptetai kai eis pyr balletai. [3, 10 pan oun dendron mē poioun karpon kalon ekkoptetai kai eis pyr balletai.] 7, 19 Tout arbre ne faisant pas de fruit de qualité est coupé et jeté au feu.[3, 10b Tout arbre donc ne faisant pas de fruit de qualité est coup et jeté au feu.] 
7, 20 ara ge apo tōn karpōn autōn epignōsesthe autous.[12, 33b ek gar tou karpou to dendron ginōsketai.]6, 44a hekaston gar dendron ek tou idiou karpou ginōsketai7, 20 Ainsi donc à partir de leurs fruits vous les reconnaîtrez.[12, 33b Car hors du fruit l’arbre est connu.]6, 44a Car chaque arbre hors du propre fruit est connu
[7, 16b mēti syllegousin apo akanthōn staphylas ē apo tribolōn syka? ] 6, 44b ou gar ex akanthōn syllegousin syka oude ek batou staphylēn trygōsin. [7, 16b Est-ce qu’ils ne cueillent pas à partir des épines des grappes de raisin, ou à partir des chardons des figues?] 6, 44b Car hors des épines ils ne cueillent pas des figues, ni hors d'une ronce ils vendangent une grappe de raisin.
 12, 34a gennēmata echidnōn, pōs dynasthe agatha lalein ponēroi ontes?  [12, 34a Engences de vipères, comme pouvez-vous parler de bonnes (choses) étant mauvais?] 
 12, 35 ho agathos anthrōpos ek tou agathou thēsaurou ekballei agatha, kai ho ponēros anthrōpos ek tou ponērou thēsaurou ekballei ponēra. 6, 45a ho agathos anthrōpos ek tou agathou thēsaurou tēs kardias propherei to agathon, kai ho ponēros ek tou ponērou propherei to ponēron•  [12, 35 Le bon homme hors du bon trésor, il extrait de bonnes choses, et le mauvais homme hors du mauvais trésor extrait de mauvaises choses]6, 45a Le bon homme hors du bon trésor du coeur il met de l’avant le bon, et le mauvais hors du mauvais il met de l’avant le mauvais.
 [12, 34b ek gar tou perisseumatos tēs kardias to stoma lalei. ]6, 45b ek gar perisseumatos kardias lalei to stoma autou. [12, 34b Car hors de l'abondance du coeur parle la bouche.]6, 45b Car hors de l'abondance d’un coeur parle la bouche de lui.

Commentaire

  • Nous aurions ici deux logia de la source Q (cf M.E. Boismard, op.cit., p. 156):

    1. Au fruit l’arbre est connu. Car de l'abondance du coeur la bouche parle. L’homme bon du bon trésor de son coeur extrait de bonnes (choses), et l'homme mauvais, du mauvais trésor extrait de mauvaises (choses). (Mt 12, 33b.34b.35 || Lc 6, 44a.45)

    2. Il n'est pas un arbre de qualité faisant un fruit pourri, ni même de nouveau un arbre pourri faisant un fruit de qualité. Car chaque arbre est connu à son propre fruit. Sur des épines on ne cueille pas des figues, ni sur un chardon on ne vendange de raisin. (Mt 7, 18.20.16b || Lc 6, 43-44)

  • Le premier logion combine deux thèmes. Il y a d'abord celui de Mt 12, 33b.34b: « D’après le fruit, l’arbre est connu, car de l’abondance du cœur la bouche parle ». C'est un écho de Si 27, 6: « Le fruit de l’arbre révèle comment on l’a cultivé, de même la discussion les pensées du cœur de l’homme ». En un mot, la parole fait connaître la qualité bonne ou mauvaise du coeur humain. Le deuxième thème est celui de Mt 12, 35 || Lc 6, 45ab: « L’homme bon hors de son bon trésor extrait de bonnes (choses), et l'homme mauvais, du mauvais trésor extrait de mauvaises (choses) ». On trouve la même idée dans le Le Testament d'Asher : « Mais si l'inclination de l'homme est au mal, tout son agir est dans le mal... Mème s'il fait le bien, cela tourne au mal; car lorsqu'il commence à faire le bien, la finalité e son action le pousse au mal puisque le trésor de son inclination est plein d'esprit mauvais » (1, 8-9). L'« inclination » et le « coeur » sont synonymes et désignent le principe de l'agir moral. Bref, l'homme agit bien ou mal selon que son coeur est bon ou mauvais.

  • Le deuxième logion donne une expansion au proverbe populaire: « on reconnaît l'arbre à ses fruits ». C'est un thème bien connu de l'AT, par exemple la métaphore désigne le juste qui se nourrit de la Loi divine (Ps 1, 3; Jr 17, 7-8), ou encore Israël fidèle à Dieu (Ex 17, 22-23).

  • Notons que Matthieu présente de manière indépendante ces deux feuilles volantes que sont ces deux logia, le logion 1 présenté en Mt 12, et le logion 2 en Mt 7, tandis que Luc les a réunit ensemble en Lc 7. De plus, ils sont insérés dans des contextes différents. Regardons de plus près.

  • Matthieu (7, 16-20) a inséré le logion 2 dans le contexte du problème posé par les faux prophètes (voir v. 15 qui précède). En effet, la fonction de prophète, liée à la proclamation de la parole, était une fonction importante dans les premières communautés chrétiennes. Malheureusement, ces prophètes étaient de valeur inégale, d’où la nécessité de faire le tri. Matthieu se sert donc de l’image de l’arbre et de son fruit pour proposer un critère de discernement : ainsi donc c’est d’après leurs fruits vous les reconnaîtrez, i.e. leur actions. Pour faire l'intégration du logion avec ce contexte, Matthieu est obligé d'inverser l'ordre du logion 2 (a. Il n'est pas un arbre de qualité faisant un fruit pourri... b. Car chaque arbre est connu à son propre fruit. Sur des épines on ne cueille pas) pour d'abord utiliser b. (Car chaque arbre est connu à son propre fruit...) au tout début (v. 16), ce qui l'oblige à dédoubler cette affirmation (qui apparaît de nouveau au v. 20). On aura noté que Mt 7, 17.19 n'ont pas d'équivalent chez Luc; en fait ils sont des ajouts de Matthieu: le v. 17 sert à anticiper le thème du v. 18, et le v. 19 lui permet de donner une portée eschatologique à la scène.

  • Matthieu (12, 33-35) utilise de logion 1 dans un discours de Jésus s’adressant aux Pharisiens, qui accusent Jésus de chasser les démons par Béelzéboul, pour leur dire qu’ils ne peuvent dire de bonnes choses, car ils sont mauvais, comme l’arbre malade produit des fruits malades. À ce logion, Mt ajoute le v. 33 (une reprise de Mt 7, 17) et le v. 34a pour donner une portée eschatologique à la parole de Jésus.

  • Luc 6, 43-44 insère le logion 2 au moment Jésus vient d'utiliser l'image de la paille et de la poutre dans l'oeil, et donc le logion opère une transition entre, d’une part, l’affirmation qu’il faut d’abord regarder ses propres lacunes représentées par la poutre, et d’autre part, la raison pour laquelle il faut procéder ainsi : le fruit qu’est le jugement procède de l’arbre qu’est la personne, et tout comme l’arbre bon ou mauvais donne des fruits différents, l’homme bon ou mauvais produit un jugement différent.

  • Luc 6, 45 insère ici le logion 1 sur le fait qu’un homme bon profère de son trésor le bon, un homme mauvais profère de son trésor le mauvais, car ce qui dit une personne est le reflet de son cœur. Chez Luc, cette affirmation découle de l’image de l’arbre et de son fruit, donc accentue le lien entre le fruit qu’est le jugement sur une autre personne, et l’arbre qu’est son être représenté par son cœur. On comprend qu’il faut d’abord que le cœur soit transformé par la parole de Dieu pour qu’il puisse porter un bon fruit, i.e. un bon jugement sur son frère (cf l'image de la paille et de la poutre dans l'oeil dont Jésus a parlé plus tôt), et alors il sera comme un maître pouvant guider les autres, et non plus un aveugle, comme l'a affirmé Jésus au début de la péricope de Luc.

11. M'appeler Seigneur et ne pas agir ; entendre mes paroles et les mettre en pratique

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 21 Ou pas ho legōn moi• kyrie kyrie, eiseleusetai eis tēn basileian tōn ouranōn, allʼ ho poiōn to thelēma tou patros mou tou en tois ouranois. 6, 46 Ti de me kaleite• kyrie kyrie, kai ou poieite ha legō? 7, 21 Non tout (homme) celui disant à moi: Seigneur, Seigneur, entrera dans le royaume des cieux, mais celui faisant la volonté du père de moi celui dans les cieux.6, 46 Puis, pourquoi appelez-vous moi: Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que je vous dis?
7, 24a Pas oun hostis akouei mou tous logous toutous kai poiei autous, homoiōthēsetai 6, 47 Pas ho erchomenos pros me kai akouōn mou tōn logōn kai poiōn autous, hypodeixō hymin tini estin homoios• 7, 24a Donc tout (homme) qui que ce soit qui écoute de moi les paroles celles-là et fait elles, il sera ressemblant6, 47 Tout (homme) celui venant vers moi et écoutant de moi les paroles et faisant elles, je montrerai à vous à qui il est semblable.
7, 24b-25 andri phronimō, hostis ōkodomēsen autou tēn oikian epi tēn petran• kai katebē hē brochē kai ēlthon hoi potamoi kai epneusan hoi anemoi kai prosepesan tē oikia ekeinē, kai ouk epesen, tethemeliōto gar epi tēn petran. 6, 48 homoios estin anthrōpō oikodomounti oikian hos eskapsen kai ebathynen kai ethēken themelion epi tēn petran• plēmmyrēs de genomenēs proserēxen ho potamos tē oikia ekeinē, kai ouk ischysen saleusai autēn dia to kalōs oikodomēsthai autēn. 7, 24b-25 à un homme astucieux, qui que ce soit qui a construit de lui la maison sur le roc. Et est descendue la pluie et sont venus les torrents et soufflèrent les vents et se précipitèrent à la maison celle-là, et elle ne tomba pas, car avait été fondée sur le roc.6, 48 Il est semblable à une personne construisant une maison, qui a creusé et approfondi et posé une fondation sur le roc. Puis, une crue étant survenue, s'est rué le torrent à la maison celle-là, et il n'a pu ébranler elle à cause qu'avait été bien bâtie elle.
7, 26 kai pas ho akouōn mou tous logous toutous kai mē poiōn autous homoiōthēsetai andri mōrō, hostis ōkodomēsen autou tēn oikian epi tēn ammon• 6, 49a ho de akousas kai mē poiēsas homoios estin anthrōpō oikodomēsanti oikian epi tēn gēn chōris themeliou, 7, 26 Et tout (homme) celui écoutant de moi les paroles celles-là et ne faisant pas elles, il sera ressemblant à un homme irréfléchi, qui que ce soit a construit de lui la maison sur le sable.6, 49a Puis, celui ayant écouté et n'ayant pas fait, semblable il est à une personne ayant construit une maison sur la terre sans fondation,
7, 27 kai katebē hē brochē kai ēlthon hoi potamoi kai epneusan hoi anemoi kai prosekopsan tē oikia ekeinē, kai epesen kai ēn hē ptōsis autēs megalē.6, 49b hē proserēxen ho potamos, kai euthys synepesen kai egeneto to rhēgma s oikias ekeinēs mega.7, 27 et est descendue la pluie et sont venus les torrents et soufflèrent les vents et ils sont heurtté la maison celle-là, et elle tomba et fut la chute d'elle grande.6, 49b sur laquelle s'est rué le torrent et aussitôt elle tomba ensemble et survint la ruine de la maison celle-là grande.

Commentaire

  • Mt 7, 21 || Lc 6, 46 et Mt 7, 24-27 || Lc 6, 47-39 renvoient à deux logia différents de la source Q.

  • En Mt 7, 21 || Lc 6, 46, il y a une différence de ton entre Matthieu et Luc, car ce dernier, avec sa question, crée une atmosphère polémique. Luc reflète probablement mieux la source Q qui devait être située dans un contexte d'affrontement avec les scribes et les Pharisiens. Mais à l'origine, le titre donné à Jésus était probablement « maître » (rabbi), comme l'atteste le Papyrus Egerton 2 (voir M.E. Boismard, op. cit., p. 157), et non pas « Seigneur », un titre donné après Pâques. Notons que le texte de Luc, en respectant le ton polémique de ce logion de la source Q, cadre mal dans ce grand discours dans la plaine où il n'y pas vraiment d'adversaires. Matthieu, pour sa part, en intégrant ce logion dans le discours sur la montagne, s'est empressé de lui enlever son ton polémique tut en ajoutant un thème qui lui est cher: la volonté du Père.

  • Mt 7, 24-27 || Lc 6, 47-39. Ce logion servait probablement de conclusion au discours inaugural de Jésus dans la source Q: c'est une exhortation à mettre en pratique l'enseignement de Jésus. Même si l'idée est la même chez Matthieu et Luc, leur formulation est différente, car elle reflèterait des milieux géographiques différents. Matthieu a conservé une formulation plus archaïque en gardant la couleur palestinienne de la description: chez lui, l'enjeu est de bien choisir le sol rocheux, qui affleure partout en Palestine, plutôt que le sable qui ne saurait résister aux torrents éphémère mais violents provoqués par les fortes pluies hivernales. Luc semble avoir adapté la parabole à son milieu grec où le roc est en dessous du sol meuble, et où l'enjeu est de l'atteindre ou non, par des fondations creusées en profondeur; pour lui, la ruée de l'eau est moins le torrent faisant irruption dans un wady ordinairement à sec typique en Palestine, que la crue d'un fleuve permanent. Notons des éléments stylistiques propres à chaque évangéliste: chez Luc il y a « celui venant vers moi », une imitation du style sapientiel (Pr 9, 4-5; Si 24, 19) qu'on remarque ailleurs chez lui et le style direct de la fin du v. 47: « je vous montrerai »; chez Matthieu, les épithèses « astucieux/avisé » « irréfléchi/insensé » appartiennent à son vocabulaire (voir la parabole de dix vierges), ainsi que le verbe au passif: « être ressemblant » (v. 24.26; cf. 6, 8; 13, 24; 18, 23; 22, 2; 25, 1).

*12. Le centurion de Capharnaüm demande de l'aide pour son serviteur malade

MatthieuLucMatthieuLuc
8, 5 Eiselthontos de autou eis Kapharnaoum prosēlthen autō hekatontarchos parakalōn auton 7, 1b-3a eisēlthen eis Kapharnaoum. Hekatontarchou de tinos doulos kakōs echōn ēmellen teleutan, hos ēn autō entimos. akousas de peri tou Iēsou apesteilen pros auton presbyterous tōn Ioudaiōn8, 5 Puis, étant entré lui à Capharnaüm, vint vers lui un centurion suppliant lui7, 1b-3a Il entra à Capharnaüm. Puis un certain serviteur d'un centurion ayant mal était sur le point d'arriver à sa fin, lequel était à lui précieux. Puis, ayant entendu au sujet du Jésus, il envoya vers lui des anciens des Juifs
8, 6-7 kai legōn• kyrie, ho pais mou beblētai en tē oikia paralytikos, deinōs basanizomenos. kai legei autō• egō elthōn therapeusō auton. 7, 3 erōtōn auton hopōs elthōn diasōsē ton doulon autou. 8, 6-7 et disant: "Seigneur, l'enfant de moi a été déposé dans la maison, paralysé, terriblement tourmenté". Et il dit à lui: "Moi, étant venu, je prendrai soin de lui."7, 3 interrogeant lui comment étant venu il sauverait le serviteur de lui.
 7, 4 hoi de paragenomenoi pros ton Iēsoun parekaloun auton spoudaiōs legontes hoti axios estin hō parexē touto•  7, 4 Puis, les étant arrivés auprès du Jésus suppliaient lui instamment, disant qu'il est convenable celui à qui tu accorderas cela.
 7, 5 agapa gar to ethnos hēmōn kai tēn synagōgēn autos ōkodomēsen hēmin.  7, 5 Car il aime la nation de nous et la synagogue lui il a construit à nous.
 7, 6a ho de Iēsous eporeueto syn autois. ēdē de autou ou makran apechontos apo tēs oikias  7, 6a Puis, le Jésus allait avec eux. Puis, déjà lui non loin étant distant à partir de la maison,
8, 8 kai apokritheis ho hekatontarchos ephē• kyrie ouk eimi hikanos hina mou hypo tēn stegēn eiselthēs alla monon eipe logō, kai iathēsetai ho pais mou. 7, 6b-7 epempsen philous ho hekatontarchēs legōn autō• kyrie, mē skyllou, ou gar hikanos eimi hina hypo tēn stegēn mou eiselthēs• dio oude emauton ēxiōsa pros se elthein• alla eipe logō, kai iathēho pais mou. 8, 8 Et ayant répondu, le centurion déclarait: "Seigneur, je ne suis pas digne, que sous le toit de moi tu entres, mais seulement dit un parole, et sera guéri l'enfant de moi.7, 6b-7 il envoya des amis le centurion disant à lui: "Seigneur, ne te dérange pas, car pas digne je suis que sous le toit de moi tu entres. C'est pourquoi ni moi-même je me suis jugé digne vers toi de venir. Mais dit une parole, et que soit guéri l'enfant de moi.
8, 9 kai gar egō anthrōpos eimi hypo exousian, echōn hypʼ emauton stratiōtas, kai legō toutō• poreuthēti, kai poreuetai, kai allō• erchou, kai erchetai, kai tō doulō mou• poiēson touto, kai poiei. 7, 8 kai gar egō anthrōpos eimi hypo exousian tassomenos echōn hypʼ emauton stratiōtas, kai legō toutō• poreuthēti, kai poreuetai, kai allō• erchou, kai erchetai, kai tō doulō mou• poiēson touto, kai poiei. 8, 9 Car aussi moi un homme je suis sous autorité, ayant sous moi-même des soldats, et je dis à celui-ci: 'Va', et il va, et à un autre: 'Viens', et il vient, et au serviteur de moi: 'Fais ceci', et il fait".7, 8 Car aussi moi un homme je suis sous autorité placé, ayant sous moi-même des soldats, et je dis à celui-ci: 'Va', et il va, et à un autre: 'Viens', et il vient, et au serviteur de moi: 'Fais ceci', et il fait".
8, 10 akousas de ho Iēsous ethaumasen kai eipen tois akolouthousin• amēn legō hymin, parʼ oudeni tosautēn pistin en tō Israēl heuron. 7, 9 akousas de tauta ho Iēsous ethaumasen auton kai strapheis tō akolouthounti autō ochlō eipenlegō hymin, oude en tō Israēl tosautēn pistin heuron. 8, 10 Puis ayant entendu, le Jésus admira et dit à ceux suivant: "Amen, je dis à vous, de la part de personne une telle foi en Israël j'ai trouvée.7, 9 Puis ayant entendu, le Jésus admira lui et s'étant tourné il dit à la foule suivant lui : "Je dis à vous, pas même une telle foi en lsraël j'ai trouvée.
8, 11 legō de hymin hoti polloi apo anatolōn kai dysmōn hēxousin kai anaklithēsontai meta Abraam kai Isaak kai Iakōb en tē basileia tōn ouranōn,  8, 11 Puis, je dis à vous que plusieurs à partir du levant et du couchant arriveront et s'assièront à table avec Abraham et Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, 
8, 12 hoi de huioi tēs basileias ekblēthēsontai eis to skotos to exōteron• ekei estai ho klauthmos kai ho brygmos tōn odontōn.  8, 12 Puis, les fils du royaume seront jetés dans l'obscurité, celle extérieure. Là sera le pleur et le grincement des dents. 
8, 13 kai eipen ho Iēsous tō hekatontarchē• hypage, hōs episteusas genēthētō soi. kai iathē ho pais [autou] en tē hōra ekeinē.7, 10 Kai hypostrepsantes eis ton oikon hoi pemphthentes heuron ton doulon hygiainonta.8, 13 Et dit le Jésus au centurion: "Va, qu'il advienne à toi comme tu as cru. Et fut guéri l'enfant [de lui] à cette heure-là.7, 10 Et étant retournés à la maison, les envoyés trouvèrent le serviteur étant en bonne santé.

Commentaire

  • Commençons par un certain nombre d’observations.

    • Malgré plusieurs similitudes, le schéma du récit chez Matthieu et Luc est différent. Chez Matthieu, le centurion demande directement à Jésus de guérir son enfant, et c’est Jésus lui-même qui prend la décision d’aller chez le centurion guérir l’enfant. Enfin, c’est directement à Jésus que le centurion dit qu’il est indigne qu’il vienne chez lui. À l’inverse, chez Luc c’est le narrateur de l’évangile qui nous informe de la maladie, non pas de l’enfant, mais du serviteur du centurion. De plus, ce n’est plus le centurion, mais une délégation d’anciens qui fait la demande de guérison. Ensuite, l’aveu d’indignité est exprimé à travers une autre délégation, celle d’amis du centurion, si bien que le centurion n’est jamais vraiment présent sur les lieux de la scène.

    • Mt 8, 11-12 (« …plusieurs viendront du levant et du couchant…) n’a pas de parallèle chez Luc dans ce récit (Luc présentera plus loin ce logion en Lc 13, 28-29, que nous nous verrons dans notre section 37).

    • Le récit de Matthieu a une structure semblable à celle qu’il présente en Mt 15, 21-28 dans le récit de la guérison de la fille de la Cananéenne où une païenne (comme le centurion) a une fille (fils pour le centurion) malade et demande à Jésus sa guérison. Les deux récits sont marqués par l’émerveillement de Jésus devant la foi de la personne qui fait la demande (Mt 15, 28 : « O femme, grande est ta foi; Mt 8, 10 « Jésus admira… chez personne je n’ai trouvé pareille foi en Israël »). Les deux récits se terminent de manière presqu’identique : « Qu’il t’arrive comme tu veux » (Mt 15, 28); « Va, qu’il t’advienne comme tu as cru » (Mt 8, 13).

    • Enfin, notons que ce récit se retrouve également en Jn 4, 46-54 sous la forme de la guérison du fils d’un fonctionnaire royal à Capharnaüm, alors que Jésus est à Cana, et constituera selon l’évangéliste le deuxième signe de Jésus.

  • Que faire de ces observations?

    • Tout d’abord, la source Q est avant tout une collection de paroles et d’enseignements de Jésus. Le récit sur le centurion de Capharnaüm est un récit de guérison, et donc apparaît comme une anomalie dans une telle collection, ce qui nous permet de douter qu’il appartienne vraiment à la source Q.

    • Comme les v. 11-12 (« …plusieurs viendront du levant et du couchant…) de Mt se retrouvent ailleurs en Lc 13, 28-29 et sont des paroles de Jésus, on peut affirmer qu’ils n’appartiennent pas au récit originel, mais proviennent de la source Q, et que Matthieu a décidé d’insérer ici pour faire du centurion la figure qui anticipe l’arrivée des païens dans l’Église.

    • Avec une fin de récit au v. 13 semblable à Mt 15, 28, Matthieu semble reconnaître la parenté des deux récits, et donc la parenté de provenance.

  • Proposition de solution

    • On peut penser qu’il existait dans l’église primitive un certain de collections, soit de paroles de Jésus, soit de récits de miracle, dans lesquels ont pigé les rédacteurs des évangiles dont aucun n’a été témoins directs du ministère de Jésus. Un bibliste comme M.E. Boismard a identifié quatre de ces collections qu’il a nommées les documents A, B, C et Q.

    • Selon Boismard, op. cit., p. 159-161, la base du récit sur le centurion de Capharnaüm proviendrait du document C, un document dont s’est servi l’évangéliste Jean. Dans ce document, le récit pouvait avoir la formulation suivante.

      Un fonctionnaire royal, dont le fils était malade, ayant entendu (parler) de Jésus, vint à lui et il lui demandait que, étant venu, il guérisse son fils. Jésus lui dit: « Va, ton fils est guéri. » Et, étant revenu à sa maison, il trouva son fils en bonne santé.

      Dans ce récit, l’accent est sur la toute-puissance de Jésus qui guérit à distance par le simple pouvoir de sa parole Ce récit aurait été repris par le recueil du Document A qui aurait fait du fonctionnaire royal un centurion, donc un païen, et aurait ajouté la parole témoignant de la foi du centurion et l’admiration de Jésus, utilisant peut-être des données traditionnelles.

      Un centurion, dont le fils était malade, ayant entendu (parler) de Jésus, vint à lui et il lui demandait qu’il guérisse son fils. Jésus lui dit: « Moi, étant venu, je prendrai soin de lui ». Et ayant répondu, le centurion dit : « Seigneur, je ne suis pas digne, que tu entres sous mon toit, mais dit une parole, et que mon enfant soit guéri. Car moi un homme je suis aussi sous autorité, ayant sous moi-même des soldats, et je dis à celui-ci: 'Va', et il va, et à un autre: 'Viens', et il vient, et à mon serviteur : 'Fais ceci', et il fait ». Puis ayant entendu, Jésus admira et dit à ceux qui le suivaient : « Je vous dit, de la part de personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi ». Et Jésus dit au centurion : « Va, ton fils est guéri ». Et, étant revenu à sa maison, il trouva son fils en bonne santé.

    • À ce document A, chaque évangéliste a ajouté sa touche personnelle. Chez Matthieu, les changements les plus notables concernent l’ajout des v. 11-12 (« …plusieurs viendront du levant et du couchant…) tirés de la source Q, pour faire du centurion la figure qui anticipe l’arrivée des païens dans l’Église, et sa finale (v. 13) avec l’emploi d’expressions typiques : « Qu'il t’advienne comme… » (voir Mt 9, 29; 15, 28), ou encore « fut guéri à cette heure-là » (voir Mt 9, 13b; 15, 28c).

    • Les modifications apportées au récit par Luc sont importantes. Tout d’abord, les relations du centurion avec Jésus se font par délégation. Cela commence avec la délégation des anciens des Juifs (voir Ac 25, 15 où une délégation des anciens des Juifs veulent condamner Paul) qui lui permet de faire l’éloge du centurion païen et justifier la guérison, et ensuite la délégation d’amis transmettant les paroles du centurion sur son indignité, afin de garder la guérison à distance. À plusieurs endroits du récit, on trouve son vocabulaire ou son style : v. 4 « étant arrivés », « tu accorderas cela », v. 5 « nation »; v. 6 « il envoya », « amis », « alors que déjà il n’était plus loin de… » (voir Lc 15, 20). Alors que le récit du document A parlait d’enfant (pais en grec, qui peut désigner soit un enfant, soit un serviteur), Luc enlève toute ambiguïté en parlant au v. 2 de « serviteur » (doulos). En même temps, pour justifier la guérison d’un serviteur et accentuer l’urgence d’intervenir, il ajoute la mention : « qui lui était précieux » et « était sur le point d’arriver à sa fin, i.e. mourir » (v. 2).

13. Disciples de Jean-Baptiste ; message pour lui ; éloge de Jean-Baptiste comme plus qu'un prophète

MatthieuLucMatthieuLuc
11, 2 Ho de Iōannēs akousas en tō desmōtēriō ta erga tou Christou pempsas dia tōn mathētōn autou 7, 18 Kai apēngeilan Iōannē hoi mathētai autou peri pantōn toutōn. kai proskalesamenos dyo tinas tōn mathētōn autou ho Iōannēs 11, 2 Puis, le Jean ayant entendu dans la prison les œuvres du Christ ayant expédié par les disciples de lui7, 18 Et ils racontèrent à Jean les disciples de lui au sujet de toutes ces choses. Et appelant vers lui deux de certains des disciples de lui le Jean
11, 3 eipen autō• sy ei ho erchomenos ē heteron prosdokōmen? 7, 19 epempsen pros ton kyrion legōn• sy ei ho erchomenos ē allon prosdokōmen? 11, 3 dit à lui: "Es-tu le venant ou un autre attendons-nous?7, 19 il expédia vers le Seigneur disant: "Es-tu le venant ou un différent attendons-nous?
 7, 20-21 paragenomenoi de pros auton hoi andres eipan• Iōannēs ho baptistēs apesteilen hēmas pros se legōn• sy ei ho erchomenos ē allon prosdokōmen? en ekeinē tē hōra etherapeusen pollous apo nosōn kai mastigōn kai pneumatōn ponērōn kai typhlois pollois echarisato blepein.  7, 20-21 Puis, étant arrivés vers lui, les hommes dirent: "Jean le Baptiste a envoyé nous vers toi disant: es-tu le venant ou un différent attendons-nous? À cette heure-là il guérit beaucoup de maladies et d'infirmités et d'esprits mauvais et à des aveugles nombreux il accorda d'apercevoir.
11, 4 kai apokritheis ho Iēsous eipen autoisporeuthentes apangeilate Iōannē ha akouete kai blepete• 7, 22a kai apokritheis eipen autoisporeuthentes apangeilate Iōannē ha eidete kai ēkousate• 11, 4 Et ayant répondu le Jésus dit à eux: "Étant partis, racontez à Jean ce que vous entendez et percevez:7, 22a Et ayant répondu il dit à eux: "Étant partis, racontez à Jean ce que vous avez vu et entendu:
11, 5 typhloi anablepousin kai chōloi peripatousin, leproi katharizontai kai kōphoi akouousin, kai nekroi egeirontai kai ptōchoi euangelizontai7, 22b typhloi anablepousin, chōloi peripatousin, leproi katharizontai kai kōphoi akouousin, nekroi egeirontai, ptōchoi euangelizontai11, 5 des aveugles aperçoivent et des boiteux marchent, des lépreux sont purifiés et des sourds entendent, et des morts se réveillent et des pauvres sont évangélisés.7, 22b des aveugles aperçoivent, des boiteux marchent, des lépreux sont purifiés et des sourds entendent, des morts se réveillent, des pauvres sont évangélisés.
11, 6 kai makarios estin hos ean mē skandalisthē en emoi.7, 23 kai makarios estin hos ean mē skandalisthē en emoi.11, 6 et heureux celui que s'il n'est pas scandalisé en moi.7, 23 et heureux est celui que s'il n'est pas scandalisé en moi.
11, 7 Toutōn de poreuomenōn ērxato ho Iēsous legein tois ochlois peri Iōannou• ti exēlthate eis tēn erēmon theasasthai? kalamon hypo anemou saleuomenon? 7, 24 Apelthontōn de tōn angelōn Iōannou ērxato legein pros tous ochlous peri Iōannou• ti exēlthate eis tēn erēmon theasasthai? kalamon hypo anemou saleuomenon? 11, 7 Puis, ceux-là partant, commença le Jésus à dire aux foules au sujet de Jean: "Qui êtes-vous sortis dans le désert contempler? Un roseau sous le vent étant agité?7, 24 Puis, s'en étant allés les messagers de Jean, il commença à dire à l'adresse des foules au sujet de Jean: "Qui êtes-vous sortis dans le désert contempler? Un roseau sous le vent étant agité?
11, 8 alla ti exēlthate idein? anthrōpon en malakois ēmphiesmenon? idou hoi ta malaka phorountes en tois oikois tōn basileōn eisin. 7, 25 alla ti exēlthate idein? anthrōpon en malakois himatiois ēmphiesmenon? idou hoi en himatismō endoxō kai tryphē hyparchontes en tois basileiois eisin. 11, 8 Mais qui êtes-vous sortis voir? Un homme en (choses) délicates ayant été habillé? Voici ceux les (choses) délicates portant dans les maisons des rois ils sont.7, 25 Mais qui êtes-vous sortis voir? Un homme en vêtements délicats ayant été habillés? Voici ceux en vêtement sompteux et le luxe vivant, dans les (palais) royaux ils sont.
11, 9 alla ti exēlthate idein? prophētēn? nai legō hymin, kai perissoteron prophētou. 7, 26 alla ti exēlthate idein? prophētēn? nai legō hymin, kai perissoteron prophētou. 11, 9 Mais qui êtes-vous sortis voir? Un prophète? Oui, je dis à vous, et plus qu'un prophète.7, 26 Mais qui êtes-vous sortis voir? Un prophète? Oui, je dis à vous, et plus qu'un prophète.
11, 10 houtos estin peri hou gegraptai• idou egō apostellō ton angelon mou pro prosōpou sou, hos kataskeuasei tēn hodon sou emprosthen sou.7, 27 houtos estin peri hou gegraptai• idou apostellō ton angelon mou pro prosōpou sou, hos kataskeuasei tēn hodon sou emprosthen sou.11, 10 Lui est au sujet duquel il a été écrit: Voici, moi j'envoie le messager de moi avant face de toi, celui qui préparera le chemin de toi devant toi.7, 27 Lui est au sujet duquel il a été écrit: Voici, j'envoie le messager de moi avant face de toi, celui qui préparera le chemin de toi devant toi.
11, 11 Amēn legō hyminouk egēgertai en gennētois gynaikōn meizōn Iōannou tou baptistou• ho de mikroteros en tē basileia tōn ouranōn meizōn autou estin. 7, 28 legō hymin, meizōn en gennētois gynaikōn Iōannou oudeis estin• ho de mikroteros en tē basileia tou theou meizōn autou estin.11, 11 Amen, je dis à vous, il ne s'est pas réveillé dans (ceux) nés de femmes plus grand que Jean le Baptiste. Puis, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui il est.7, 28 Je dis à vous, plus grand dans (ceux) nés de femmes que Jean personne n'est. Puis, le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui il est.

Commentaire

  • Nous avons ici deux péricopes : Mt 11, 2-6 || Lc 7, 18-23 (Questions de Jean-Baptiste à Jésus) et Mt 11, 7-11 || Lc 7, 24-28 (Témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste); la base de ces deux péricopes provient de la source Q.

  • Mt 11, 2-6 || Lc 7, 18-23 (Questions de Jean-Baptiste à Jésus)

    • Comme on peut le constater, l’introduction de la péricope chez Matthieu et Luc a été remanié. À l’origine le texte se lisait sans doute ainsi :
      Or, Jean, ayant expédié par ses disciples, dit à Jésus

      En Mt 11, 2 c’est Matthieu qui aurait ajouté : « ayant entendu dans la prison les œuvres du Christ » (en raison de mots ou expressions inhabituels, comme le participe « ayant entendu » redondant avec le participe « ayant expédié », le terme desmoterion pour désigner la prison, et Christ, un terme de haute christologie). En Lc 7, 18 notons les expressions lucaniennes : « ils racontèrent », « au sujet de », « toutes ces choses », « appelant vers lui », « certains des ». En Lc 7, 19, Luc change l’expression sémique « expédier par » par « expédier vers », et désigne Jésus avec le titre « Seigneur », ce qu’il fait régulièrement dans son évangile.

    • Lc 7, 20-21 est un ajout clair de Luc avec son vocabulaire ou style particulier : « étant arrivés vers », « homme » au sens de personne de sexe masculin (anēr), « envoyer » pour utiliser un verbe différent de « expédier », « guérir de », « esprit mauvais », « accorder ». Au v. 20 il répète le v. 19 sans doute pour montrer que les envoyés de Jean ont bien exécuté leur mission. Au v. 21, Luc nous présente un Jésus qui se met aussitôt (« à cette heure-là ») à guérir les gens de maladies, d’infirmités, d’esprits mauvais ainsi que des aveugles. Pourquoi? Jusqu’ici dans son évangile, Luc n’a mentionné que deux miracles, la guérison du lépreux (5, 12-16) et celle du paralytique (5, 17-26), auquel il vient d’ajouter (7, 11-17) la ressuscitation du fils de la veuve de Naïm. Or, dans la citation de Is 26, 19 au verset qui suit, on y parle aussi d’aveugles, de boiteux, de sourds. Alors il est important de mentionner que Jésus a effectivement guéri ces gens, c’est ce qu’il fait au v. 21 en parlant de maladies, d’infirmités, d’esprits mauvais et d’aveugles. Mais en faisant cela, il est obligé de modifier le temps des verbes au v. 22 : alors que chez Mt 11, 4 le temps des verbes sont au présent (« ce que vous entendez et percevez »), Luc doit mettre les verbes au passé (« ce que vous avez vu et entendu ») pour faire référence à ce qui vient de se passer au v. 21.

    • Quel est le sens de la question (« es-tu celui qui vient? ») posée par Jean-Baptiste? L’expression « celui qui vient » évoque plusieurs textes de l’AT.
      • Ps 118, 26 : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur »
      • Gn 40, 10 : « Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda ni le bâton de chef d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est, et lui (est) l’attente des peuples. »
      • Ml 3, 1-3 : « …et l’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient… il est comme le feu du fondeur ».

      Celui qui vient a pour fonction de purifier le peuple de Dieu par le feu, d’exercer le grand jugement eschatologique, une fonction que semble incarner Jean-Baptiste. Mais Jésus apprend plutôt aux foules l’amour de Dieu, d’où le doute dans l’esprit de Jean-Baptiste.

    • La réponse de Jésus (Mt 11, 4-5 || Lc 7, 22-23) à cette question est indirecte. Car il énumère plutôt son activité thaumaturgique, un écho du prophète Isaïe :
      • Is 35, 5-6 : « Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe. »
      • Is 29, 18-19 : « En ce jour-là, les sourds entendront la lecture du livre et, sortant de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. De plus en plus, les humbles se réjouiront dans le Seigneur, et les pauvres gens exulteront à cause du Saint d’Israël,
      • Is 61, 1-2 : « L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi. Le Seigneur, en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs l’évasion, aux prisonniers l’éblouissement, proclamer l’année de la faveur du Seigneur, le jour de la vengeance de notre Dieu, réconforter tous les endeuillés »

      Avec cette référence à Isaïe, Jésus affirme qu’il est bien celui que Dieu avait annoncé, qu’il ne faut pas en attendre un autre.

    • La conclusion de la péricope (Mt 11, 6 || Lc 7, 24 : « Heureux celui qui ne sera pas scandalisé à cause de moi ») peut surprendre. En fait, en proclamant le royaume céleste et les conditions pour y entrer (amour des autres, non-violence), Jésus risque de heurter les attentes de beaucoup de gens, ceux qui attendent un jugement pour faire le tri entre les bons et les méchants, ainsi que ceux qui espèrent la venue d’un messie libérateur de l’oppression romaine et du rétablissement de la royauté en faveur d’Israël.

  • Mt 11, 7-11 || Lc 7, 24-28 (Témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste). Notons tout de suite que cet ensemble n’est pas vraiment la suite de ce qui précède (Mt 11, 2-6 || Lc 7, 18-23), et c’est seulement le mot-crochet « Jean-Baptiste » qui les unit. De plus, il faut séparer cette péricope en deux logia : Mt 11, 7-10 || Lc 7, 24-27 et Mt 11, 11 || Lc 7, 28.

    • Mt 11, 7-10 || Lc 7, 24-27

      • Chaque évangéliste apporte quelques retouches au texte de la source Q. Chez Mt, c’est l’expression « ceux-là partant » (v. 7) qui lui est typique (voir Mt 28, 11). Chez Luc, c’est d’abord l’expression « s'en étant allés » qu’il utilise très souvent, mais c’est surtout toutes les précisions qu’il apporte : « vêtements » (délicats), « vivant dans un vêtement somptueux et le luxe ».

      • Ce logion est centré sur la place de Jean-Baptiste par rapport à Jésus et est introduite par trois questions de plus en plus pressante de Jésus, dont les deux premières appellent une réponse négative (il n’est pas un homme se pliant aux désirs des grands, il n’est pas un courtisan qu’on trouve dans les palais), et la troisième une réponse positive (il est prophète), qui est amplifiée par une citation de Ml 3, 1 en Mt 11, 10 || Lc 7, 27 (« Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi »). Notons que la citation de Malachie a été légèrement modifiée pour l’appliquer à Jésus, car le texte de l’AT fait référence à Dieu avec la première personne du singulier, et donc parle de « en avant de moi », « le chemin devant moi ».

    • Mt 11, 11 || Lc 7, 28. Il faut considérer ce logion comme différent de qui précède, car le sujet n’est plus vraiment la place de Jean-Baptiste par rapport à Jésus, mais plutôt la comparaison de deux périodes dans l’histoire du salut, celle qui va d’Adam jusqu’à Jean-Baptiste, où ce dernier dépasse en grandeur prophètes et patriarche, et celle inaugurée par Jésus. De plus, ce logion apparaît de manière indépendante dans L’évangile de Thomas (46).

14. Cette génération n'est satisfaite ni de Jean-Baptiste ni du Fils de l'Homme

MatthieuLucMatthieuLuc
11, 16a Tini de homoiōsō tēn genean tautēn? 7, 31 Tini oun homoiōsō tous anthrōpous tēs geneas tautēs kai tini eisin homoioi? 11, 16a Puis, à qui je comparerai la génération celle-là?7, 31 Donc, à qui je comparerai les hommes de la génération celle-là et à qui ils sont semblables?
11, 16b homoia estin paidiois kathēmenois en tais agorais ha prosphōnounta tois heterois 7, 32a homoioi eisin paidiois tois en agora kathēmenois kai prosphōnousin allēlois 11, 16b Semblable elle est à des enfants étant assis dans les places publiques qui interpellant les autres7, 32a Ils sont semblables à des enfants, qui dans une place publique étant assis et s'interpellent mutuellement
11, 17 legousin• ēylēsamen hymin kai ouk ōrchēsasthe, ethrēnēsamen kai ouk ekopsasthe.7, 32b ha legei• ēylēsamen hymin kai ouk ōrchēsasthe, ethrēnēsamen kai ouk eklausate.11, 17 ils disent: "Nous avons joué pour vous de la flûte et vous n'avez pas dansé, nous nous sommes lamentés et vous n'avez pas frappé (la poitrine).7, 32b dont l'un dit, 'Nous avons joué pour vous de la flûte et vous n'avez pas dansé, nous nous sommes lamentés et vous n'avez pas pleuré.
11, 18 ēlthen gar Iōannēs mēte esthiōn mēte pinōn, kai legousin• daimonion echei. 7, 33 elēlythen gar Iōannēs ho baptistēs mē esthiōn arton mēte pinōn oinon, kai legete• daimonion echei. 11, 18 Car vint Jean ni ne mangeant ni ne buvant, et ils disent: 'Il a un démon'.7, 33 Car est venu Jean le Baptiste ne mangeant de pain ni ne buvant de vin, et vous dites: 'Il a un démon'.
11, 19a ēlthen ho huios tou anthrōpou esthiōn kai pinōn, kai legousin• idou anthrōpos phagos kai oinopotēs, telōnōn philos kai hamartōlōn. 7, 34 elēlythen ho huios tou anthrōpou esthiōn kai pinōn, kai legete• idou anthrōpos phagos kai oinopotēs, philos telōnōn kai hamartōlōn. 11, 19a Vint le fils de l'homme mangeant et buvant, et ils disent: 'Voici un homme glouton et ivrogne, des collecteurs d'impôt un ami et des pécheurs.'7, 34 Est venu le fils de l'homme mangeant et buvant, et vous dites: 'Voici un homme glouton et ivrogne, des collecteurs d'impôt un ami et des pécheurs.'
11, 19b kai edikaiōthē hē sophia apo tōn ergōn autēs.7, 35 kai edikaiōthē hē sophia apo pantōn tōn teknōn autēs.11, 19b Et a été justifiée la sagesse à partir des œuvres d'elle."7, 35 Et a été justifiée la sagesse à partir de tous les enfants d'elle.

Commentaire

  • Dans l’ensemble Matthieu semble le mieux respecter la formulation de la source Q. Luc aurait apporté un ensemble de petites modifications :
    • en 7, 31b il répète la question (« et à qui ils sont semblables ») de 31a, comme il l’a fait plutôt en Lc 6, 47-48
    • en 7, 31 il précise « les hommes » de cette génération
    • en 7, 32a il corrige l’expression peu correcte « interpeller les autres » par « s’interpeller mutuellement »
    • en 7, 32b il remplace le geste trop sémitique « se frapper la poitrine » par le geste plus universel « pleurer »
    • en 7, 33 le temps du verbe au passé (vint Jean) est remplacé par un verbe au parfait (est venu), car il considère que la période de Jean-Baptiste est révolue
    • en 7, 33 l’expression « ils disent » est remplacée par « vous dites », pour préciser le sujet du verbe
    • en 7, 33 il précise « de pain » et « de vin » pour éviter qu’on pense que Jean n’aurait jamais mangé ou bu.
    • en 7, 35 il remplace « œuvres » par « enfants », afin de monter qu’une partie de la population a été ouvert à son enseignement et l’a suivi. Pour Luc, le refus vient des Pharisiens et des légistes, ce qu’il a fait juste en 7, 30, juste avant le début de notre péricope.

  • Le texte de la source Q commence par une courte parabole de deux groupes d’enfants qui se reprochent mutuellement de refuser le jeu que l’autre groupe propose, une image de la génération de Jésus qui a refusé les deux envoyés de Dieu, Jean et Jésus, l’un invitant à la pénitence, l’autre à la joie des temps messianiques. Malgré tout, cela n’a pas empêché Jean-Baptiste et Jésus d’agir, i.e. de manifester leurs œuvres.

  • Notons que selon M.E. Boismard, op. cit., p. 167, la phrase « un ami des collecteurs d'impôt et des pécheurs » (Mt 11, 19a || Lc 7, 34b) n’était pas dans le texte de la source Q, car il serait anormal qu’une phrase de la source Q fasse référence à une situation qui n’appartient pas à la source Q (Mt 9, 11 || Mc 2, 15 || Lc 5, 30 : Jésus mange avec les collecteurs d’impôt et les pécheurs). Selon Boismard, la phrase aurait été ajoutée par l’ultime rédacteur de l’école lucanienne qui aurait ainsi donné une touche finale aux évangiles synoptiques.

15. Le Fils de l'Homme n'a nulle part où poser la tête ; le suivre ; laisser les morts enterrer les morts

MatthieuLucMatthieuLuc
8, 19 kai proselthōn heis grammateus eipen autō• didaskale, akolouthēsō soi hopou ean aperchē. 9, 57 Kai poreuomenōn autōn en tē hodō eipen tis pros auton• akolouthēsō soi hopou ean aperchē. 8, 19 Et s'étant approché un scribe dit à lui: "Maître, je suivrai toi là où que tu ailles.9, 57 Et allant eux sur la route, il dit quelqu'un à l'adresse de lui: "Je suivrai toi là où que tu ailles".
8, 20 kai legei autō ho Iēsous• hai alōpekes phōleous echousin kai ta peteina tou ouranou kataskēnōseis, ho de huios tou anthrōpou ouk echei pou tēn kephalēn klinē. 9, 58 kai eipen autō ho Iēsous• hai alōpekes phōleous echousin kai ta peteina tou ouranou kataskēnōseis, ho de huios tou anthrōpou ouk echei pou tēn kephalēn klinē. 8, 20 Et il dit à lui le Jésus: "Les renards des tanières ont et les oiseaux du ciel des nids, puis le fils de l'homme n'a pas où la tête qu'il puisse poser".9, 58 Et dit à lui le Jésus: "Les renards des tanières ont et les oiseaux du ciel des nids, puis le fils de l'homme n'a pas où la tête qu'il puisse poser".
8, 21 heteros de tōn mathētōn [autou] eipen autō• kyrie, epitrepson moi prōton apelthein kai thapsai ton patera mou. 9, 59 Eipen de pros heteron• akolouthei moi. ho de eipen• [kyrie,] epitrepson moi apelthonti prōton thapsai ton patera mou. 8, 21 Puis, un autre des disciples [de lui] dit à lui: "Seigneur, permets-moi d'abord de partir et d'enterrer mon père".9, 59 Puis il dit à l'adresse d'un autre: "Suis-moi. Puis, lui il dit: [Seigneur,] permets-moi étant parti de d'abord enterrer mon père".
8, 22 ho de Iēsous legei autō• akolouthei moi kai aphes tous nekrous thapsai tous heautōn nekrous.9, 60 eipen de autō• aphes tous nekrous thapsai tous heautōn nekrous, sy de apelthōn diangelle tēn basileian tou theou. 8, 22 Puis, le Jésus dit à lui: "Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs propres morts."9, 60 Puis, il dit à lui: "Laisse les morts enterrer leurs propres morts, puis toi, étant parti, annonce le royaume de Dieu."
 9, 61 Eipen de kai heteros• akolouthēsō soi, kyrie• prōton de epitrepson moi apotaxasthai tois eis ton oikon mou.  9, 61 Puis, dit aussi un autre: "Je suivrai toi, Seigneur, d'abord permets-moi de prendre congés de ceux dans la maison de moi.
 9, 62 eipen de [pros auton] ho Iēsous• oudeis epibalōn tēn cheira epʼ arotron kai blepōn eis ta opisō euthetos estin tē basileia tou theou. 9, 62 Puis, dit [à l'adresse] de lui le Jésus: "Personne ayant mis la main sur la charrue et regardant en arrière, apte il est au royaume de Dieu".

Commentaire

  • La formulation de Luc semble la plus fidèle à la source Q avec ses trois exemples de la condition du disciple. Matthieu, pour sa part, a supprimé le dernier exemple. Néanmoins, on peut noter la trace du style de Luc:
    • la construction « il dit à l’adresse de » lui est typique
    • la construction « permets-moi étant parti de » se retrouve ailleurs chez lui (Ac 27, 3)
    • il aurait ajouté « puis toi, étant parti, annonce le royaume de Dieu » afin de faire le lien avec l’épisode qui suit
    • au v. 61 l’expression « Puis… aussi » est typique de son style

  • Les trois exemples expriment la condition du disciple: il n'aura ni demeure, ni famille et devra être prêt à partir sur-le-champ. Le dernier exemple contient peut-être une allusion à la vocation d'Élisée par Élie (1 R 19, 20).

16. Moisson abondante, ouvriers peu nombreux ; instructions de mission

MatthieuLucMatthieuLuc
9, 37 tote legei tois mathētais autou• ho men therismos polys, hoi de ergatai oligoi• 10, 2a elegen de pros autous• ho men therismos polys, hoi de ergatai oligoi•9, 37 Alors il dit aux disciples de lui : certes la moisson nombreuse, mais les ouvriers peu (nombreux).2a Puis, il disait à l'adresse d'eux: certes la moisson nombreuse, mais les ouvriers peu (nombreux).
9, 38 deēthēte oun tou kyriou tou therismou hopōs ekbalē ergatas eis ton therismon autou.10, 2b deēthēte oun tou kyriou tou therismou hopōs ergatas ekbalē eis ton therismon autou. 9, 38 Priez donc le seigneur de la moisson, de sorte que des ouvriers qu'il fasse sortir vers la moisson de lui.2b Priez donc le seigneur de la moisson, de sorte que des ouvriers qu'il fasse sortir vers la moisson de lui.
10, 16 Idou egō apostellō hymas hōs probata en mesō lykōn• ginesthe oun phronimoi hōs hoi opheis kai akeraioi hōs hai peristerai.10, 3 hypagete• idou apostellō hymas hōs arnas en mesō lykōn. 10, 16 Voici que moi je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Devenez donc astucieux comme des serpents et candides comme des colombes.3 Allez! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
10, 9-10a ktēsēsthe chryson de argyron de chalkon eis tas zōnas hymōn, mē pēran eis hodon10, 4a bastazete ballantion, mē pēran, 10, 9-10a Ne vous procurez ni or, ni argent, ni (monnaie de) bronze aux ceintures de vous, pas de sac pour (la) route.4a Ne portez pas de bourse, pas de sac
10, 10b de dyo chitōnas mēde hypodēmata mēde rhabdon10, 4b hypodēmata, kai mēdena kata tēn hodon aspasēsthe. 10, 10b pas même deux tuniques, pas même des chaussures, pas même un bâton4b ni chaussures et personne le long de la route que vous saluiez.
10, 11-12 eis hēn dʼ an polin ē kōmēn eiselthēte, exetasate tis en autē axios estin• kakei meinate heōs an exelthēte. eiserchomenoi de eis tēn oikian aspasasthe autēn• 10, 5 eis hēn dʼ an eiselthēte oikian, prōton legete• eirēnē tō oikō toutō. 10, 11-12 Puis, le cas échéant, dans n’importe quelle ville ou village que vous entriez, renseignez-vous (si) quelqu’un en elle est digne. Et là demeurez jusqu’à ce que le cas échéant vous sortiez. Puis, entrant dans la maison, saluez elle.5 Puis, le cas échéant, dans n'importe quelle maison que vous entriez, d'abord dites paix à cette maison.
10, 13 kai ean men ē hē oikia axia, elthatō hē eirēnē hymōn epʼ autēn, ean de mē ē axia, hē eirēnē hymōn pros hymas epistraphētō. 10, 6 kai ean ekei ē huios eirēnēs, epanapaēsetai epʼ auton hē eirēnē hymōn• ei de mē ge, ephʼ hymas anakampsei. 10, 13 Et si vraiment la maison est digne, que la paix de vous sur elle, puis si elle n’est pas digne, la paix de vous vers vous qu’elle revienne.6 Et si là qu'il soit un fils de paix, elle se reposera sur lui la paix de vous. Puis, sinon effet, sur vous elle retournera.
[10, 10c axios gar ho ergatēs tēs trophēs autou.]10, 7 en autē de tē oikia menete esthiontes kai pinontes ta parʼ autōn• axios gar ho ergatēs tou misthou autou. mē metabainete ex oikias eis oikian. [10, 10c car digne (est) l’ouvrier de la nourriture de lui]7 Puis, dans cette maison demeurez, mangeant et buvant les choses de leur part? car digne (est) l'ouvrier du salaire de lui. Ne vous déplacez pas hors d'une maison vers une maison.
 10, 8 kai eis hēn an polin eiserchēsthe kai dechōntai hymas, esthiete ta paratithemena hymin  10, 8 Et vers n'importe quelle ville le cas échéant vous entriez et qu'ils vous reçoivent, mangez les choses vous étant offertes.
 10, 9 kai therapeuete tous en autē astheneis kai legete autois• ēngiken ephʼ hymas hē basileia tou theou.  10, 9 Et guérissez les malades en elle et dites-leur: il s'est approché sur vous le royaume du Dieu.
10, 14 kai hos an mē dexētai hymas mēde akousē tous logous hymōn, exerchomenoi exō tēs oikias ē tēs poleōs ekeinēs ektinaxate ton koniorton n podōn hymōn. 10, 10-11a eis hēn dʼ an polin eiselthēte kai mē dechōntai hymas, exelthontes eis tas plateias autēs eipate• kai ton koniorton ton kollēthenta hēmin ek tēs poleōs hymōn eis tous podas apomassometha hymin•10, 14 Et quelque (personne), le cas échéant, qui ne reçoit pas vous, qu’il n’écoute même pas les paroles de vous, sortant à l’extérieur de la maison ou de la ville celle-là, secouez (pour enlever) la poussière des pieds de vous.10-11a Puis, dans quelque ville le cas échéant vous entriez, et qu'elle ne vous reçoive pas, étant sortis hors vers les grand-rues d'elle, dites: Et la poussière celle qui ayant été collée à nous, en provenance de la ville de vous aux pieds, nous essuyons sur vous?
 10, 11b plēn touto ginōskete hoti ēngiken hē basileia tou theou.  11b pourtant cela sachez que s'est approché le royaume de Dieu.
10, 15 amēn legō hymin, anektoteron estaiSodomōn kai Gomorrōn en hēmera kriseōs ē tē polei ekeinē.10, 12 legō hymin hoti Sodomois enhēmera ekeinē anektoteron estai ē tē polei ekeinē.10, 15 Amen je dis à vous, plus tolérable sera terre de Sodome et Gomorrhe aux jours de jugement que cette ville-là10, 12 Je dis à vous que Sodome en ces jours-là plus tolérable elle sera que cette ville-là.

Commentaire

  • Ce texte de la source Q concernait originellement l'envoi des Douze, un récit que Marc, repris par Luc, nous a raconté à partir d'un autre document (appelé Document A par M.E. Boismard). C'est Luc qui aurait changé les « Douze » dans la source Q en « Soixante-deux » pour éviter un doublet flagrant dans son évangile, et surtout pour justifier les nombreux missionnaires non-Juifs qui sillonnent les communautés chrétiennes à son époque.

  • En Lc 10, 2-3 nous avons deux logias, car Matthieu les a insérés dans des endroits différents dans son évangile.
    • Mt 9, 37-38 || Lc 10, 2 (« la moisson est nombreuse... priez le Seigneur de la moisson... »). La moisson ne signifie pas ici le grand Jugement eschatologique, comme en Mt 13, 30.39 ou encore dans l'AT, mais l'ensemble des gens qui ont cru à la prédication évangélique, le même type de moisson dont parle Jn 4, 35-38.

    • Mt 10, 16a || Lc 10, 3 (« ...Voici que je vous envoie comme des agneaux... »). L'agneau est le symbole de l'être sans défense qu’on peut facilement écraser. Il faisait partie des animaux qu'on offrait en holocauste, donc des êtres sacrifiés. Is 11, 6 l'utilise pour symboliser la paix et l'harmonie paradisiaque: « Et le loup broutera avec l'agneau » (voir aussi Is 65, 25). Si le symbole d'Isaïe est très fort, c'est qu'en réalité le loup est dans une chasse sans merci contre l'agneau. On peut donc conclure que le travail du missionnaire se déroule dans un milieu extrêmement hostile où il sera l’objet d’attaques violentes dont il lui sera difficile de se protéger.

  • Mt 10, 9-10 || Lc 10, 4 (« ne portez pas de bourse... »). Il s'agit de ne rien emporter, car les destinataires de la prédication pourvoiront aux besoins du missionnaire. Le fait de recommander de ne pas porter de chaussure, une recommandation différente de ce qu'on trouve chez Marc, signifie peut-être que la chaussure est vue comme une entrave, puisqu'un oriental est habitué de marcher pied nu. En tout cas, ce qui suit met l'accent sur l'urgence de la mission, au point de demander de ne pas s'arrêter en route pour saluer les gens. Ce dernier point est absent de Matthieu, ce qui suggère un ajout de Luc, probablement inspiré de 2 R 4, 29, où Élizée recommande à son serviteur de ne saluer personne en route en raison de l'urgence de sa mission.

  • Mt 10, 11-13 || Lc 10, 5-6 (« ...dites paix à cette maison... »). Luc semble plus fidèle à la formulation de la source Q avec ses sémitismes: « paix à cette maison », « fils de paix ». Matthieu a transformé le style en formules grecques. Notons que « pour les sémites, toute parole, bénédictin ou malédiction, revêtait une certaine efficacité; si elle n'atteignait pas son but, elle revenait sur celui qui l'avait prononcée » (M.E. Boismard, op.cit., p. 272).

  • Lc 10, 7-9 (« ...demeurez dans cette maison, mangeant et buvant... »). Ces trois versets sont probablement une composition lucanienne, car ils n'apparaissent pas vraiment chez Matthieu.

    • Seul le logion sur le fait que l'ouvrier mérite son salaire se retrouve également chez Matthieu, mais ce dernier l'a inséré au moment où Jésus demande de ne rien emporter sur la route, une façon de clarifier pourquoi il n'est pas nécessaire d'emporter quoi que ce soit; tout cela suggère que nous sommes peut-être devant un logion indépendant. Matthieu aurait remmplacé le mot « salaire », qui est traditionnel, puisqu'on le retrouve en 1 Tm 5, 18, par « nourriture » afin d'adapter l'affirmation au contexte où on demande au missionnaire de ne rien emporter pour la route.

    • Pourquoi Luc aurait composé ces v. 7-9? Tout d'abord, il faut distinguer le v. 7 des v. 8-9. En effet, le v. 7 concerne les règles missionnaires à la maison. Et ici Luc sent le besoin de compléter pour les soixante-douze ce qui a été dit pour les Douze, et qu'il tient de Marc (ou le Document A selon Boismard): demeurer à la maison tout le temps qu'il faut, que Luc clarifie en mettant en gardant contre la tendance à être sélectif (choisir la maison qui gâte le plus le missionnaire). C'est dans ce cadre qu'il aurait insérer le logion indépendant de la source Q sur l'ouvrier qui mérite son salaire.

    • Avec les v. 8-9 le contexte n'est plus celui de la maison, mais celui de la ville. Or, si on se fit à Mt 10, 9-15, après parlé des règles dans le cadre de l'accueil d'une maison, la source Q aborde maintenant de cas des maisons et des villes qui refusent l'annonce évangélique et se termine avec une malédiction sur ces villes qui connaîtront un jugement plus dure que Sodome. Pour Luc, cette transition est sans doute trop abrute. Lui qui aime l'équilibre entre une scène avec un homme et une autre avec une femme, il tient également à un équilibre entre l'élément positif et l'élément négatif. C'est ce qu'on observe ici: avant d'introduire le refus des villes mentionnés par la source Q, il veut d'abord parler des villes qui accueillent le message évangélique. Comment s'y prend-il?

    • Après les règles concernant la maison, Luc trouve important de spécifier les règles qui concernent la ville, qui est le nouveau contexte missionnaire du monde grec. Pour ce faire, il reprend en partie ce qui a été dit pour les Douze, mais avec certaines adaptations, comme la formule « mangez les choses vous étant offertes », la même expression qu'utilise Paul en 1 Co 10, 27 à propos des viandes offertes aux idoles; rappelons que dans le monde antique, la boucherie était souvent un geste sacré, car elle pouvait se faire dans un cadre religieux païen, et les viandes qui se retrouvaient au marché était souvent passées par ces rituels. Alors que dit-on ici au v. 8: n’ayez pas peur de manger, même si c’est de la nourriture probablement issue d’un culte païen. Au v. 9 Luc rerpend ce qui a constitué l'essentiel de la mission de Jésus: guérir et annoncer que le règne de Dieu est proche, ce que les soixante-douze missionnaires doivent poursuivre.

  • Mt 10, 14 || Lc 10, 10-11a (« ...ne vous reçoit pas... »). Matthieu et Luc semblent avoir fusionné ce qui provenait de Marc et de la source Q. Mais la tradition marcienne est uniquement centrée sur la maison, alors que la source Q est centrée sur la ville. En fusionnant les deux traditions, Matthien garde les deux mentions: « sortant à l’extérieur de la maison ou de cette ville-là », tandis que Luc, de manière plus ordonnée, est centré uniquement sur la ville, ayant terminé plus tôt la section sur la maison. La tradition marcienne parle de la terre aux pieds qu'il faut secouer, la tradition Q parle plutôt de la poussière qu'il faut essuyer des pieds. Encore une fois, Matthieu semble avoir fusionné le « secouer » de la tradition marcienne et la « poussière » de la source Q. Quoi qu'il en soit l'idée est la même: on affirme clairement qu'il y a rupture de la relation avec ceux qui ont refusé, en ne gardant rien sur soi qui provient de la ville.

  • Lc 10, 11b (« pourtant, sachez que le règne... »). Nous sommes clairement devant une addition de Luc introduite par un mot de son vocabulaire: « pourtant » (plēn). Pourquoi cette addition ? Au milieu d'une scène de refus, Luc tient à affirmer que, néanmoins, la mission réussira et que l'action de Dieu se poursuivra.

  • Mt 10, 15 || Lc 10, 12 (« ...Je vous dis que Sodome... »). Cette référence à Sodome provient de la source Q. Cependant, elle ne semble pas être à la place qu'elle occupait dans la source Q, comme on peut le deviner avec Mt 11, 21-24 où elle apparaît comme conclusion des invectives contre Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm (mentionnées également par Luc aux versets suivants: 13-15), et devait se lire ainsi: « Je vous dis que pour Sodome ce sera plus tolérable au jugement que pour toi ». Luc aurait déplacé cette conclusion pour le mettre en tête, avant d'insérer les invectives. En faisant cela, il est obligé de modifier le style direct (« ce sera plus tolérable que pour toi ») du v. 12b en style indirect (« ce sera plus tolérable que pour cette ville-là »). Comment expliquer alors le texte similaire de Mt 10, 15? Selon M.E. Boismard, op.cit., p. 168, c'est l'éditeur final du texte de Matthieu, qui aurait connu une première édition de l'évangile de Luc (appelée: proto-Luc) qui aurait copié ce verset de Luc, tout en apportant certaines modifications, comme le mot « Amen » qui précère régulièrement « Je vous dis » dans son évangile, ainsi que « Gomorrhe » qui apparaît presque toujours en couple dans l'AT.

17. Malheur à Chorazin et Bethsaïda ; quiconque vous écoute, m'écoute

MatthieuLucMatthieuLuc
11, 21 ouai soi, Chorazin, ouai soi, Bēthsaida• hoti ei en Tyrō kai Sidōni egenonto hai dynameis hai genomenai en hymin, palai an en sakkō kai spodō metenoēsan. 10, 13 Ouai soi, Chorazin, ouai soi, Bēthsaida• hoti ei en Tyrō kai Sidōni egenēthēsan hai dynameis hai genomenai en hymin, palai an en sakkō kai spodō kathēmenoi metenoēsan. 11, 21 Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi Bethsaïda, car si à Tyr et Sidon étaient advenus les actes de puissance ceux étant advenus chez toi, il y a bien longtemps le cas échéant dans un sac et cendre, ils auraient changé d'idée.10, 13 Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi Bethsaïda, car si à Tyr et Sidon étaient advenus les actes de puissance ceux étant advenus chez toi, il y a bien longtemps le cas échéant dans un sac et cendre étant assis, ils auraient changé d'idée.
11, 22 plēn legō hymin, Tyrō kai Sidōni anektoteron estai en hēmera kriseōs ē hymin. 10, 14 plēn Tyrō kai Sidōni anektoteron estai en tē krisei ē hymin. 11, 22 Toutefois, je dis à vous, pour Tyr et Sidon plus tolérable il sera au jour du jugement que pour vous.10, 14 Toutefois pour Tyr et Sidon plus tolérable il sera au jugement que pour vous.
11, 23a kai sy, Kapharnaoum, mē heōs ouranou hypsōthēsē? heōs hadou katabēsē•10, 15 kai sy, Kapharnaoum, mē heōs ouranou hypsōthēsē? heōs tou hadou katabibasthēsē.11, 23a Et toi, Capharnaüm, jusqu'au ciel tu ne seras pas élevée? jusqu'à l'Hadès tu seras abaissée.10, 15 Et toi Capharnaüm jusqu'au ciel tu ne seras pas élevée? jusqu'à l'Hadès tu seras précipitée.
11, 23b hoti ei en Sodomois egenēthēsan hai dynameis hai genomenai en soi, emeinen an mechri tēs sēmeron.  11, 23b Car si à Sodome était arrivés les actes de puissance étant arrivés en toi, il serait demeuré le cas échéant jusqu'à aujourd'hui. 
11, 40 Ho dechomenos hymas eme dechetai, kai ho eme dechomenos dechetai ton aposteilanta me. 10, 16 Ho akouōn hymōn emou akouei, kai ho athetōn hymas eme athetei• ho de eme athetōn athetei ton aposteilanta me.10, 40 Celui recevant vous, me reçoit, et celui me recevant reçoit l’ayant envoyé moi.10, 16 Celui écoutant vous, moi il écoute, et celui rejetant vous, il me rejette. Puis, celui me rejetant, il rejette l’ayant envoyé moi.

Commentaire

  • Cette section présente deux logia différents de la source Q, car ces paroles ont été insérées dans des lieux différents dans l'évangile de Matthieu et Luc.

  • Mt 11, 21-23 || Lc 10, 13-15 (« Malheur à toi, Chorazin... »)

    • Matthieu a gardé intact cette parole sur les invectives de Jésus à l'égard de certaines villes. Luc, pour sa part, comme on l'a vu à la section précédente, a préféré déplacer la finale (« Car si à Sodome était advenus les actes de puissance... », Mt 11, 23b) pour la mettre au début, i.e. Lc 11, 12 que nous avons vu à la section précédente. De plus, le fait d'insérer telles quelles ces invectives dans un style direct (« Malheur à toi... »), dans une scène au style indirect des règles missionnaires, cela créé une forme abrupte du rupture dans le style. Matthieu a préféré insérer ce logion dans un tout autre contexte, une scène où Jésus rencontre de l'opposition et qu'il introduit ainsi: « Alors il se mit à invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas converties ».

    • L'ensemble Mt 11, 21-23 || Lc 10, 13-15 est presqu'identique, sauf sur certains détails. En Mt 11, 21 || Lc 10, 13, le verbe « étaient advenus » est exprimé en grec par deux formes différentes de l'aoriste passif, des formes impossibles à traduire dans le langage courant; la forme chez Luc ne reflète pas son style, et donc on peut assumer qu'elle provient de la source Q, tandis que la forme chez Matthieu est plus courante, et donc on peut assumer que la modification vient de lui. De plus, on trouve dans la version de Luc le verbe « étant assis » (dans le sac et la cendre), qui n'apparaît pas dans la version de Matthieu. Encore une fois, ce verbe n'est pas particulièrement lucanien, et donc on peut assumer qu'il provient de la source Q, et c'est Matthieu qui l'aurait supprimé, le trouvant probablement redondant.

    • En Mt 11, 22 || Lc 10, 14 (« Toutefois... ») deux expressions apparaissent chez Matthieu, absentes de la version de Luc. Il y a d'abord « je dis à vous » typique de Matthieu qu'il ajoute régulièrement à ses sources, puis « jour du » (jugement) qui exprime sa tendance à être plus précis, ce qu'il fait également régulièrement avec ses sources.

    • En Mt 11, 23a || Lc 10, 15 (« Et toi, Capharnaüm... »), on a le verbe « précipiter » chez Luc, « abaisser » chez Matthieu. Il s'agit d'un problème de critique textuelle et plusieurs biblistes ont opté pour « précipiter » chez Matthieu et Luc, ou à l'inverse « abaisser ». On se réfèrera à notre analyse de critique textuelle de Lc 10, 15. Qu'il nous suffise de présenter notre conclusion. L'auteur de la source Q s'est probablement inspiré pour ce verset concernant Capharnaüm d'Ez 31, 15 (LXX) qui raconte la parabole d'un grand cèdre (l'Égypte) dont le sommet s'élevait (hypsoō) jusqu'au ciel, et que Dieu a précipité (katabibazō) au séjour des morts, exactement le couple « élever/descendre » de la source Q sur Capharnaüm. Si c'est le cas, pourquoi Matthieu aurait remplacé « précipiter » par « abaisser »? Pour Matthieu, cette invectivve évoquait peut-être celle d'Isaïe (LXX:14, 3-23) dont le contexte est celui d'invectives contre les prétentions du roi de Babylone à qui Dieu dit: « Et maintenant tu es descendu [katabainō] jusqu'à l'Hadès »; la présence du mot « Hadès » aurait peut-être contribué à l'évocation de ce passage d'Isaïe. Notons les choix différents faits par les traducteurs de nos bibles. Du côté français, la Bible de Jérusalem, la Traduction Oecuménique de la Bible, la Nouvelle Traduction de la Bible ont opté pour « descendre » ; ce choix s’explique peut-être par la réputation du codex Vaticanus qui nous offre cette recension. Par contre, Louis Segond, Maredsous et André Chouraqui ont opté pour « précipiter ». Du côté anglais, seuls la New American Bible et la New International version ont opté pour « descendre », tandis que la New Revised Standard Version, l’American Standard Version et la King James ont opté pour « précipiter ».

  • Mt 10, 40 || Lc 10, 16 (« Celui qui vous écoute... »)

    • Ce logion de la source Q a été inséré dans deux contextes différents chez Matthieu et Luc. Matthieu l'a inséré comme conclusion à son grand discours sur la mission (Mt 10, 1-42), alors que Luc l'insère à la fin des règles de mission pour les soixante-douze.

    • On aura noté certaines différences entre la version de Matthieu et celle de Luc. Alors que le logion de Matthieu a un ton uniquement positif et ne parle que de « d'accueillir » le missionnaire, celui de Luc alterne entre le positive et le négatif (« rejeter »), et plutôt que de parle d'accueil, il parle d'écoute. Quelle était la version de la source Q?

      • Il est probable que la source Q faisait référence à l'écoute, car le verbe « écouter » n'est pas particulièrement lucanien. De plus, il est facile d'expliquer pourquoi Matthieu aurait remplacé « écouter » par « recevoir ». En effet, Matthieu a décidé d’insérer ce verset de la source Q dans sa conclusion au grand discours missionnaire (Mt 10, 40-42) où il insiste sur l’accueil et le soutien du missionnaire; plus précisément, il l’insère juste avant cette parole de Jésus : « Qui reçoit un prophète en sa qualité de prophète obtiendra une récompense de prophète, et qui reçoit un juste en sa qualité de juste obtiendra une récompense de juste ». Il était donc tout à fait normal, par souci d’unifier sa conclusion sous le thème de l’accueil du missionnaire, de modifier ainsi le verbe de la source Q.

      • Un autre argument soutenant l'appartenance à la source Q de la version de Luc vient de la structure binaire: écouter la parole / la rejeter. Cette structure se retrouve également chez Jean 12, 48 (« Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles »). De plus, quand on parcourt les différents textes attribués à la source Q, on note qu’il est habituel de présenter ensemble les deux attitudes possibles face à Jésus et son message: Mt 7, 21.24-27 || Lc 6, 46-49 (construire sur le roc / sur le sable); Mt 12, 30 || Lc 11, 23 (Qui n’est pas avec moi est contre moi et qui ne rassemble pas avec moi disperse); Mt 10, 32-33 || Lc 12, 8-9 (celui qui se déclarera pour moi... celui qui me reniera); Mt 6, 24 || Lc 16, 13 (Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre); Mt 10, 39 || Lc 17, 33 : (Qui cherchera à conserver sa vie la perdra); Mt 25, 29 || Lc 19, 26 : (à tout homme qui a, l’on donnera, mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré). Ainsi, la structure binaire appartient au style de la source Q, et c'est ce style que nous aurions ici en Lc 10, 16. Alors pourquoi Matthieu n’aurait-il pas retenu la partie négative? Il est probable qu’en insérant ce verset à la fin de son discours missionnaire (Mt 10, 40) et l’associant aux diverses façons d’accueillir les missionnaires (comme prophète et comme disciple, et veillant à ses besoins) dans sa conclusion, Matthieu ne pouvait plus mentionner le rejet sans paraître dissonant et hors propos.

18. Remercier le Père d'avoir révélé aux enfants ; tout est donné au Fils qui seul connaît le Père ; bénis soient les yeux qui voient ce que vous voyez

MatthieuLucMatthieuLuc
11, 25 En ekeinō tō kairō apokritheis ho Iēsous eipen• exomologoumai soi, pater, kyrie tou ouranou kai tēs gēs, hoti ekrypsas tauta apo sophōn kai synetōn kai apekalypsas auta nēpiois10, 21a En autē tē hōra ēgalliasato [en] tō pneumati tō hagiō kai eipen• exomologoumai soi, pater, kyrie tou ouranou kai tēs gēs, hoti apekrypsas tauta apo sophōn kai synetōn kai apekalypsas auta nēpiois11, 25 En ce temps-là, ayant répondu, le Jésus dit: "Je loue toi, Père, Seigneur du ciel et de la terre, que tu as caché ces choses loin des sages et des habiles et tu l'as révélées aux tout petits.10, 21a À l'heure même il jubila [dans] l'esprit le saint et dit: "Je loue toi, Père, Seigneur du ciel et de la terre, que tu as caché ces choses loin des sages et des habiles et tu l'as révélées aux tout petits.
11, 26 nai ho patēr, hoti houtōs eudokia egeneto emprosthen sou. 10, 22b nai ho patēr, hoti houtōs eudokia egeneto emprosthen sou. 11, 26 Oui, le Père, car ainsi bon plaisir advint devant toi.10, 22b Oui, le Père, car ainsi bon plaisir advint devant toi.
11, 27 Panta moi paredothē hypo tou patros mou, kai oudeis epiginōskei ton huion ei mē ho patēr, oude ton patera tis epiginōskei ei mē ho huios kai hō ean boulētai ho huios apokalypsai.10, 22 panta moi paredothē hypo tou patros mou, kai oudeis ginōskei tis estin ho huios ei mē ho patēr, kai tis estin ho patēr ei mē ho huios kai hō ean boulētai ho huios apokalypsai.11, 27 Tout à moi fut remis par le Père de moi, et personne ne connaît profondément le fils si ce n'est le Père, ni quelqu'un ne connaît profondément le Père si ce n'est le fils et à qui si le fils voudrait révéler."10, 22 Tout à moi fut remis par le Père de moi, et personne ne connaît qui est le fils si ce n'est le Père et qui est le Père si ce n'est le fils et à qui si le fils voudrait révéler."
 10, 23a Kai strapheis pros tous mathētas katʼ idian eipen•  10, 23a Et s'étant tourné vers les disciples à part il dit:
[13, 16 hymōn de makarioi hoi ophthalmoi hoti blepousin kai ta ōta hymōn hoti akouousin.]10, 23b makarioi hoi ophthalmoi hoi blepontes ha blepete. [13, 16 "Puis heureux les yeux de vous, parce qu'ils regardent et les oreilles de vous parce qu'ils entendent]10, 23b "Heureux les yeux ceux qui regardant ce que vous regardez.
[13, 17 amēn gar legō hymin hoti polloi prophētai kai dikaioi epethymēsan idein ha blepete kai ouk eidan, kai akousai ha akouete kai ouk ēkousan.]10, 24 legō gar hymin hoti polloi prophētai kai basileis ēthelēsan idein ha hymeis blepete kai ouk eidan, kai akousai ha akouete kai ouk ēkousan.[13, 17 Car amen je dis à vous que plusieurs prophètes et des justes ont désiré voir ce que vous regardez et ils n'ont pas vu, et entendre ce que vous entendez et n'ont pas entendu".]10, 24 Car je dis à vous que plusieurs prophètes et des rois ont voulu voir ce que vous-même vous regardez et ils n'ont pas vu, et entendre ce que vous entendez et n'ont pas entendu"

Commentaire

  • Cette péricope présente deux logia provenant de la source Q, car ils ont été placés dans des lieux différents dans leur évangile par Matthieu et Jean.

  • Mt 11, 25-27 || Lc 10, 21-22 (« Je te loue, Père... ») forment le premier logion.

    • Matthieu l'a inséré dans un contexte polémique, après les invectives contre les villes qui ont refusé le message évangélique. Mais en même temps, il présente ce logion comme une nouvelle scène de son évangile avec l'expression: « En ce temps-là », si bien qu'on ne sait plus très bien à quels tout-petits il fait référence. Luc, pour sa part, a inséré ce logion à la suite du retour des soixante-douze à qui Jésus vient de dire: « réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux ». Et pour s'assurer que le logion de la source Q est bien connecté avec ce qu'il vient de raconter, il écrit: « À l'heure même », une façon de dire que la réaction de Jésus est liée à ce qui précède. Alors les tout-petits désignent les soixante-douze missionnaires.

    • Chaque évangéliste a introduit la source Q à sa façon. Matthieu utilise une expression très fréquente chez lui: « ayant répondu, Jésus dit » ; en fait, Jésus ne répond à personne, mais c'est sa façon à lui de dire: « Jésus reprit la parole pour dire ». Luc, pour sa part, a recours au verbe « jubiler », le même mot qu'il met sur les lèvres d'Élisabeth (Lc 1, 44) a propos de l'enfant qu'il porte ainsi que sur les lèvres de Marie dans le Magnificat (Lc 1, 47). De plus, il met la réaction de Jésus sous l'influence de l'Esprit Saint, ce qu'il fait régulièrement dans son évangile.

    • Une analyse attentive de ce logion montre que nous sommes néanmoins devant deux morceaux différents, même si ces deux morceaux étaient réunis dans la source Q. En effet, le ton n'est pas le même entre Mt 11, 25-26 || Lc 10, 21 (« Je te loue, Père... ») et Mt 11, 27 || Lc 10, 22 (« Tout me fut remis par mon Père... »). Regardons de plus près.

      1. Mt 11, 25-26 || Lc 10, 21 (« Je te loue, Père... ») est probablement un écho de Dn 2, 20-23:

        (LXX) Que le nom de Dieu soit béni de siècle en siècle car à lui sont la sagesse et la force. C'est lui... qui donne aux sages la sagesse et la science à ceux qui savent discerner. Lui qui révèle profondeurs et secrets, connaît ce qui est dans les ténèbres, et la lumière est en lui. Toi, Dieu de mes pères, je te loue (soi.. exomologoumai) et je te glorifie de m'avoir accordé sagesse et intelligence: voici tu m'as fait connaître ce pour quoi nous t'avons imploré...

        Si ce texte vétérotestamentaire est vraiment le contexte de notre logion, cela permet de comprendre la phrase: « tu as caché ces choses loin des sages et des habiles et tu as révélées ces choses aux tout petits ». Car à quoi fait référence « ces choses ». Dans le livre de Daniel, il s'agit de l'avènement du royaume de Dieu selon le sens du songe de Nabuchodonosor, et ce royaume ne sera jamais détruit. Mais à la différence du livre de Daniel, les sages et les habiles ne sont plus les mages de Chaldée, mais les scribes et les Pharisiens qui prétendaient connaître les secrets de la science de Dieu.

      2. Mt 11, 27 || Lc 10, 22 (« Tout me fut remis par mon Père... ») n'est plus centré sur la révélation du royaume de Dieu, mais sur la connaissance du Père par l'intermédiaire du fils, même si le lien est très fort avec le première partie du logion, car c'est parce que Dieu est Seigneur, maître du ciel et de la terre qu'il peut tout remettre à Jésus.

        • Cette partie de logion a une saveur très johannique avec l'espression: « Tout me fut remis par mon Père »; en Jn 3, 35, on peut lire: « Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main » (voir aussi 13, 1). L'emploi absolu du mot « Fils » pour désigner Jésus ne se rencontre presqu'exclusivement chez Jean. De même, le thème de la connaissance réciproque du Père et du Fils revient à quelques reprises chez Jean (Jn 10, 15 : « comme mon Père me connaît et que je connais mon Père... », voir aussi Jn 17, 25). Bref, l'ensemble de ce logion de la source Q se situerait dans la ligne de la pensée johannique.

        • La formulation de cette deuxième partie du logion est presqu'identique chez Matthieu et Luc, sauf sur des points mineurs. Tout d'abord, chez Luc on a l'expression « connaître qui est le fils » alors que chez Matthieu l'expression plus concise: « connaître le fils ». Il est légitime de penser que l'expression « qui est le fils » remonte à la source Q, car c'est une expression tout à fait johannique (6 fois dans son évangile) et toute cette partie de la source Q a une saveur johannique, tandis que Matthieu opte souvent pour la concision. On peut noter ensuite que chez Luc on a le verbe gignōskō (connaître), mais chez Matthieu epigignōskō (connaître en profondeur). Encore une fois, il est probable que c'est gignōskō (connaître) qu'on lisait dans cette partie de la source Q qui a une saveur johannique, car Jean utilise toujours gignōskō, jamais epigignōskō, alors que epigignōskō apparaît un certain nombre de fois sous la plume de Matthieu. On a un cas similaire avec un autre texte de la source Q, Mt 7, 16a || Lc 6, 44a: chez Luc on a « Chaque arbre en effet est connu (gignōskō) depuis son fruit », alors que Matthieu nous offre: « C'est à partir de leurs fruit que vous les reconnaîtrez (epigignōskō ) ».

  • Mt 13, 16-17 || Lc 10, 23-24 (« Heureux les yeux qui regardent ce que vous regardez... ») forment le deuxième logion.

    • Observons d'abord que ce logion a été inséré dans un contexte différent chez Luc et Matthieu. Chez Luc, il fait suite à la réaction de Jésus devant les soixante-douze qui reviennent de mission, et maintenant Jésus semble s'adresser en privé à ses disciples. Chez Matthieu, le logion a été inséré dans le discours de Jésus en paraboles, au moment où il explique à ses disciples pourquoi il parle en paraboles en citant Is 6, 10: « de peur qu'ils ne voient de leur yeux et entendent de leur oreilles... »; en contraste, les disciples sont ceux qui voient et entendent, et pour adapter ce texte de la source Q au contexte de la citation d'Isaïe, Matthieu modifie la formulation générale de la source Q « les yeux qui regardent » qu'on trouve chez Luc pour qu'elle devienne « vos yeux parce qu'ils regardent ». De plus, comme le texte d'Isaïe parlait également d'oreilles, il ajoute en 13, 16 à la source Q la mention des oreilles.

    • Selon M.E. Boismard, op.cit., p. 273, il est possible que ce logion de la source Q soit une traduction de l'araméen. Une telle hypothèse permettrait d'expliquer un certain nommbre de choses:
      • elle expliquerait pourquoi on trouve en Mt 13, 16a « parce que » et en Lc 10, 23a « ceux qui », car la particule araméenne di peut être traduite soit par une particule causale, soit par un pronom relatif
      • elle expliquerait pourquoi on trouve « ont désiré » en Mt 13, 17 et « ont voulu » en Lc 10, 24, car le verbe araméen be`a’ peut être traduit des deux façons.
      • elle expliquerait pourquoi on trouve chez Luc la mention surprenante des "rois" en Lc 10, 24, alors qu'ont devrait s'attendre à voir les « anges » comme en 1 P 11-12 qui parlent des prophètent qui ont cherché à quel temps se réaliserait ce qu'ils ont prophétisé et des anges qui désiraient y plonger leur regard; or, en araméen « ange » se dit ml’k et « roi » se dit mlk, et donc le traducteur aurait confondu les deux.

        Dans une telle hypothèse, Matthieu et Luc aurait eu deux versions différentes de la source Q.

    • Notons enfin que Luc aurait fourni une introduction à ce logion avec « et s'étant tourné vers les disciples à part il dit: » où « se tourner » est typique de son vocabulaire, alors que Matthieu aurait remplacé la référence aux « rois » par les « justes », trouvant sans doute incompréhensible la mention des rois dans la révélation, leur préféréant les « justes », l'idéal pour un juif, et un personnage important de son évangile.

19. La prière du Seigneur (différentes formes - celle de Matthieu est plus longue)

MatthieuLucMatthieuLuc
6, 9 Houtōs oun proseuchesthe hymeis• Pater hēmōn ho en tois ouranois• hagiasthētō to onoma sou11, 2a eipen de autois• hotan proseuchēsthe legete• Pater, hagiasthētō to onoma sou6, 9 "Ainsi donc priez vous-mêmes, 'Père de nous, celui dans les cieux. Que soit sanctifié le nom de toi.11, 2a Puis il dit à eux: "Quand que vous priiez, dites: 'Père, que soit sanctifié le nom de toi.
6, 10 elthetō hē basileia sou• genēthētō to thelēma sou, hōs en ouranō kai epi gēs•11, 2b elthetō hē basileia sou6, 10 Que vienne le règne de toi. Qu'advienne la volonté de toi, comme au ciel ainsi sur terre.11, 2b Que vienne le règne de toi.
6, 11 ton arton hēmōn ton epiousion dos hēmin sēmeron•11, 3 ton arton hēmōn ton epiousion didou hēmin to kathʼ hēmeran•6, 11 Le pain de nous suffisant donne à nous aujourd'hui.11, 3 Le pain de nous suffisant donne à nous le par jour.
6, 12 kai aphes hēmin ta opheilēmata hēmōn, hōs kai hēmeis aphēkamen tois opheiletais hēmōn•11, 4a kai aphes hēmin tas hamartias hēmōn, kai gar autoi aphiomen panti opheilonti hēmin• 6, 12 Et remets à nous les dettes de nous, comme aussi nous, nous remettons aux débiteurs de nous.11, 4a Et remets à nous nous les péchés de nous, car aussi nous-mêmes nous remettons à tous ceux sont redevables à nous.
6, 13 kai mē eisenenkēs hēmas eis peirasmon, alla rhysai hēmas apo tou ponērou.11, 4b kai mē eisenenkēs hēmas eis peirasmon.6, 13 Et que tu n'entraînes pas nous dans une épreuve, mais délivre nous loin du mauvais.'"11, 4b Et que tu n'entraînes pas nous dans une épreuve'".

Commentaire

  • Une première constation s'impose: alors que Luc nous présente cinq demandes dans la prière de Jésus (1. le nom sanctifié; 2. le règne vienne; 3. le pain suffisant; 4. la remise des péchés; 5. l'évitement de l'épreuve), Matthieu nous en présente sept (1. le nom sanctifié; 2. le règne vienne; 3. faire la volonté de Dieu; 4. le pain suffisant; 5. la remise des péchés; 6. l'évitement de l'épreuve; 7. la délivrance du mauvais). La source Q contenait-elle cinq ou sept demandes? Il est fort probable que la réponse est: cinq demandes; c'est Matthieu qui aurait fait l'ajout de demandes pour les raisons suivantes:

    1. Comme il l'a fait avec les Béatitudes, Matthieu amplifie parfois ce qu'il reçoit de la source Q. Et sa première amplification concerne la demande de faire la volonté de Dieu (Mt 6, 10), un écho de la prière à Gethsémani, et surtout à Mt 26, 42d (« Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté se réalise ! »). L'idée de faire la volonté du Père est typique de la théologie de Matthieu (voir Mt 7, 21; 18, 14; 21, 31).

    2. La deuxième amplification de Matthieu concerne la délivrance du Mauvais, qui désigne fondamentalement Satan, le tentateur, comme il l'indique dans le récit des épreuves / tentations de Jésus (Mt 4, 10). Le terme Mauvais apparaît chez lui dans la parabole de l'ivraie, car c'est lui qui sème l'ivraie. Jamais ailleurs dans les évangiles le terme « mauvais » désigne une personne.

  • À part les amplifications de Matthieu, chaque évangéliste fait de légères retouches au texte de la source Q. Rappelons qu'il y a un consensus chez les biblistes pour dire que cette prière de Jésus devait avoir à l'origine la forme suivante:

    Père,
    que soit sanctifié ton nom,
    qu'arrive ton règne,
    notre pain dont nous avons besoin, donne-le nous aujourd'hui,
    et remets-nous nos dettes,
    et ne nous entraîne pas en épreuve.

  • En analysant comment Matthieu et Luc ont repris la source Q on peut faire les remarques suivantes.

    • Luc écrit « Père », mais Matthieu « notre Père dans les cieux ». La formule brève de Luc est confirmée par Jn 17, 1 (« Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils... » et Mc 14, 36 (« Il disait : « Abba, Père, à toi tout est possible »); dans la bouche de Jésus, c'est probablement le terme araméen abba (papa) qu'on devait trouver. Par contre, Matthieu est seul à employer l'expression « notre Père dans les cieux » qui lui est typique.

    • Sur le pain suffisant ou le pain dont nous avons besoin, Luc écrit: « le par jour », i.e. quotidien, tandis que Matthieu écrit: « aujourd'hui ». Or, l'expression « le par jour » (to kathʼ hēmeran) est une expression lucanienne (voir Lc 9, 23; 16, 19; 19, 47; 22, 53; Ac 2, 46.47; 3, 2; 16, 5; 17, 11; 19, 9). C'est donc Matthieu qui aurait conservé la formulation originelle de la source Q. Pourquoi une telle modification chez Luc? Il est possible que Luc ait pensé que demander le pain seulement pour aujourd'hui était un peu limité, et qu'il était préférable de demander d'avoir le pain « chaque jour ».

    • Il y a aussi une légère divergence en Mt 6, 12 || Lc 11, 4a. Luc parle de remise de « péchés » et Matthieu de remise de « dettes ». Or, en araméen, le mot « dette » était souvent compris au sens de « péchés ». Donc, dans la source Q c'est le mot « dettes » qui devait s'y trouver et Luc a voulu en interpréter le sens pour son auditoire grec. D'ailleurs il revient au mot « dettes » à la fin de 11, 4a.

    • M.E. Boismard, op.cit., p. 275, soulève un problème avec Mt 6, 12 || Lc 11, 4a quand la remise de dettes est conditionnée à notre action de remise de dettes à ceux qui nous doivent. Tout d'abord, cela rompt avec la simplicité des demandes. Ensuite, ce serait le seul cas où une demande est accompagnée d'un considérant. On ne peut nier que cette phrase fasse partie de la source Q. Mais remonte-t-elle à Jésus? On peut en douter.

  • Considérons maintenant les différents éléments de la prière.

    • La prière s'adresse à Dieu comme un enfant à son père, et donc présuppose que nous sommes ses enfants. On trouve cette perception dans tout l'AT, par exemple: « Éphraïm est-il pour moi un fils chéri, un enfant qui fait mes délices ? Chaque fois que j’en parle, je dois encore et encore prononcer son nom ; et en mon cœur, quel émoi pour lui ! Je l’aime, oui, je l’aime – oracle du Seigneur » (Jr 31, 20).

    • Les deux demandes concernant la sanctification du nom et la venue du règne de Dieu sont synonymes. C'est un écho de la prière juive du Qaddish qui terminait la prière à la synagogue et que Jésus a probablement connu :

      Que soit glorifié et sanctifié son grand Nom dans le monde qu'il a créé selon sa volonté. Qu'il fasse prévaloir son Règne en votre vie et dans vos jours et dans la vie de toute la maison d'Israël bientôt et dans un temps prochain.

      La venue du règne de Dieu est donc conditionnée à la reconnaissance par les humains de la transcendance du nom de Dieu, i.e. son être, et l'acceptation qu'il est le maître de l'univers (cf Jn 17, 1-6).

    • En Mt 6, 11 || Lc 11, 3 on parle de « pain suffisant », le pain dont nous avons besoin. De quel pain parle-t-on? Les biblistes ont noté que le terme araméen mahar (demain) dans L'évangile des Nazaréens, dont l'équivalent grec est epousios (quotidien), désigne le pain futur, donc le pain de vie dans le monde eschatologique. C'est l'équivalent du pain de vie dont parle Jn 6, 34.

    • Mt 6, 12 || Lc 11, 4a: « Remets-nous nos dettes comme nous aussi avons remis à nos débiteurs ». On ne dit pas ici: « remets-nous nos dettes à condition que nous les remettions à nos débiteurs », mais on demande à Dieu d'agir comme nous le faisons quand nous suivons son appel à oublier les dettes, tel que formulé en Dt 15, 1 avec l'année jubiliaire tous les septs où toutes les dettes étaient remises; en d'autres mots, on demande à Dieu de suivre sa propre politique.

    • Mt 6, 13 || Lc 11, 4b: « Et ne nous entraîne pas en épreuve ». La phrase est ambigüe, car elle pourrait laisser croire que c'est Dieu qui nous entraîne en épreuve. Mais l'original hébreu du verbe « entraîner » était probablement à un mode appelé « hiphil », donc un mode causatif; et donc la phrase signifierait: « fais que nous ne soyons pas entraînés en épreuve ». Cette signification rejoindrait Mc 14,36 (« Veillez et priez afin de ne pas venir en épreuve ») et Ps 141, 4 (« Fais que mon coeur ne tende pas à une chose mauvaise »).

20. Demandez et il vous sera donné ; si vous faites de bons dons, combien plus le Père en fera-t-il ?

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 7 Aiteite kai dothēsetai hymin, zēteite kai heurēsete, krouete kai anoigēsetai hymin11, 19 Kagō hymin legō, aiteite kai dothēsetai hymin, zēteite kai heurēsete, krouete kai anoigēsetai hymin7, 7 Demandez et il sera donné à vous? cherchez et vous trouverez? frappez et il sera ouvert à vous.11, 9 Et moi à vous je dis: Demandez et il sera donné à vous? cherchez et vous trouverez? frappez et il sera ouvert à vous.
7, 8 pas gar ho aitōn lambanei kai ho zētōn heuriskei kai tō krouonti anoigēsetai. 11, 10 pas gar ho aitōn lambanei kai ho zētōn heuriskei kai tō krouonti anoig[ēs]etai. 7, 8 Car quiconque (est) celui demandant, il reçoit, et le cherchant, il trouve, et au frapprant, il sera ouvert.11, 10 Car quiconque (est) celui demandant, il reçoit, et le cherchant, il trouve, et au frapprant, il sera ouvert.
7, 9 ē tis estin ex hymōn anthrōpos, hon aitēsei ho huios autou arton, mē lithon epidōsei autō? 11, 11 tina de ex hymōn ton patera aitēsei ho huios ichthyn, kai anti ichthyos ophin autō epidōsei? 7, 9 Ou quel est d'entre vous un homme, à qui demandera le fils de lui du pain, une pierre présentera-t-il à lui?11, 11 Puis à quel père d'entre vous demandera le fils un poisson, et au lieu de poisson un serpent présentera-t-il à lui?
7, 10 ē kai ichthyn aitēsei, mē ophin epidōsei autō? 11, 12 ē kai aitēsei ōon, epidōsei autō skorpion? 7, 10 Ou aussi un poisson il demandra, un serpent offrira-t-il à lui?11, 12 Ou aussi il demandera un œuf, présentera-t-il à lui un scorpion?
7, 11 ei oun hymeis ponēroi ontes oidate domata agatha didonai tois teknois hymōn, posō mallon ho patēr hymōn ho en tois ouranois dōsei agatha tois aitousin auton.11, 13 ei oun hymeis ponēroi hyparchontes oidate domata agatha didonai tois teknois hymōn, posō mallon ho patēr [ho] ex ouranou dōsei pneuma hagion tois aitousin auton.7, 11 Si donc vous, mauvais étant, vous savez des dons bons présenter aux enfants de vous, combien plus le père de vous celui dans les cieux donnera-t-il des bonnes (choses) à ceux demandant à lui.11, 13 Si donc vous, mauvais existant, vous savez des dons bons présenter aux enfants de vous, combien plus le père de vous (celui) hors du ciel donnera-t-il un esprit saint à ceux demandant à lui.

Commentaire

  • Matthieu et Luc ont inséré cette péricope de la source Q dans deux contextes différents. Matthieu l'a placé dans son discours sur la montagne, à la suite d'une série de recommandations éparses, en particulier celles de ne pas juger; elle devient donc un bloc de recommandations générales parmi tant d'autres. Luc l'a placée à la suite de l'enseignement de Jésus sur le « Notre Père » et d'une courte parabole sur celui qui réveille un ami en pleine nuit, car il n'a rien à offrir à un visiteur, et finit par obtenir ce qu'il veut en raison de son sans gêne. Chez Luc, cette péricope vient soutenir l'enseignement sur la prière.

  • Considérons la structure d'ensemble de cette péricope. On note trois parties.

    1. Mt 7, 7 || Lc 11, 9 (« Demandez et il sera donné... ») comprend trois phrases parallèles: 1) demander || être donné; 2) chercher || trouver; 3) frapper || ouvrir. Les deux passifs interpersonnels (« il sera donné », « il sera ouvert ») renvoie à l'action de Dieu: c'est Dieu qui donne, c'est Dieu qui ouvre. Tout est centré sur la prière de demande.

    2. Mt 7, 8 || Lc 11, 10 (« Car quiconque demande... ») fournit le fondement ou la justification de ce qui a été dit au verset précédent en reprenant chacune des phrases parallèles. La signification est claire: il vaut la peine de demander, car on reçoit toujours.

    3. Mt 7, 9-11 || Lc 11, 11-13 (« Qui d'entre vous... ») tirent les conclusions pratiques de ce qui a été aux versets précédents sous une forme parabolique, en utilisant l'argument a fortiori (« combien plus ») qu'on retrouve à plusieurs reprises dans la source Q (par exemple: Mt 6, 26.30 || Lc 12, 24.28; Mt 10, 25 || Lc 6, 40).

  • Considérons maintenant comment chaque évangéliste a repris cette péricope.

    • En Lc 11, 9 Luc doit insérer une phrase de transition (« Et moi je vous dis... ») pour faire le lien avec la parabole qui vient d'être racontée et pour indiquer que le même thème se poursuit.

    • Mt 7, 8 (« quel d'entre vous un homme... ») et Lc 11, 11 (« quel père d'entre vous... ») présentent deux expressions différentes. Il semble que c'est Matthieu qui a gardé l'expression originelle de la source Q, car c'est ainsi que les paraboles sont souvent introduites (voir Mt 12, 11; Lc 15, 4).

    • En Mt 7, 9-10 || Lc 11, 11-12 on note l'ordre inverse pour la demande de poisson, qui est deuxième chez Matthieu et première chez Luc; impossible de déterminer l'ordre originel dans la source Q. De plus, alors que Matthieu présente le groupe pain/pierre qui semble naturel et qu'on trouve également ailleurs dans la source Q à l'intérieur du récit de la tentation de Jésus (Mt 4, 3 || Lc 4, 3), Luc aurait remplacé ce groupe par celui oeuf/scorpion; notons qu'un scorpion immobile peut avoir une couleur blanchâtre qui pourrait le confondre à un œuf. Quoi qu'il en soit, l'idée est la même: jamais un parent donnerait à son enfant ce qui fait du tort à la place de ce qui nourrit.

    • En Mt 7, 11 || Lc 11, 13 (« Si donc vous étant mauvais... »). Luc, plutôt que d'avoir le verbe « être » dans l'expression « étant mauvais », a préféré écrire « existant mauvais » avec le verbe grec hyparchō (être, exister), un verbe qui appartient à son vocabulaire et qu'il utilise régulièrement tant dans son évangile que dans ses Actes.

    • Lc 11, 13 aurait remplacé « des bonnes (choses) » que donne le Père à ceux qui leur demande par « un esprit saint ». Il a sans doute trouvé l'objet de la demande de la source Q trop générale, et lui a préféré « un esprit saint » qui est pour lui la demande idéale. Notons que chez Luc l'expression « esprit saint » n'est habituellement pas précédé d'un article, et donc on ne peut parler de l'Esprit Saint comme personne distincte. Car le mot « esprit » désigne une force spirituelle qui peut être bonne ou mauvaise. En parlant d'esprit saint, on désigne la force spirituelle qui vient de Dieu, le Saint.

    • Enfin, en Lc 11, 13 on est surpris de voir sous sa plume l'expression « votre Père du ciel », un formule inhabituelle à la fois dans la source Q et chez Luc. Selon Boismard, op. cit., p. 277, Luc aurait eu accès à cette péricope de la source Q à travers une première édition de l'évangile de Matthieu, appelée Mt-intermédiaire, qui utilisait l'expression « Père qui est dans le ciel ». L'expression « Père qui est dans les cieux » proviendrait de l'édition finale de Matthieu.

21. Les démons sont chassés par Béelzéboul un homme fort garde son palais ; pas avec moi est contre moi

MatthieuLucMatthieuLuc
12, 22 Tote prosēnechthē autō daimonizomenos typhlos kai kōphos, kai etherapeusen auton, hōste ton kōphon lalein kai blepein. 11, 14a Kai ēn ekballōn daimonion [kai auto ēn] kōphon• egeneto de tou daimoniou exelthontos elalēsen ho kōphos 12, 22 Alors fut présenté à lui un étant possédé d'un démon aveugle et muet, et il guérit lui, si bien que le muet (se mit) à parler et à voir,11, 14a Et il était chassant un démon [et celui-ci était] muet. Puis il arriva, le démon étant sorti, que parla le muet,
12, 23 kai existanto pantes hoi ochloi kai elegon• mēti houtos estin ho huios Dauid? 11, 14b kai ethaumasan hoi ochloi. 12, 23 et étaient stupéfiés toutes les foules et ils disaient: "est-ce que celui-là n'est-il pas le fils de David?11, 14b et s'émerveillèrent les foules.
12, 24 hoi de Pharisaioi akousantes eipon• houtos ouk ekballei ta daimonia ei mē enBeelzeboul archonti tōn daimoniōn. 11, 15 tines de ex autōn eiponen Beelzeboul tō archonti tōn daimoniōn ekballei ta daimonia12, 24 Puis les Pharisiens ayant entendu dirent: "Celui-là ne chasse pas les démons sinon en le Béelzéboul prince des démons".11, 15 Puis certains d'eux dirent: "En Béelzéboul le prince des démons il chasse les démons.
 11, 16 heteroi de peirazontes sēmeion ex ouranou ezētoun parʼ autou.  11, 16 Puis, d'autres mettant à l'épreuve, un signe du ciel ils cherchaient de la part de lui.
12, 25a eidōs de tas enthymēseis autōn eipen autois11, 17a autos de eidōs autōn ta dianoēmata eipen autois12, 25a Puis, ayant su les pensées d'eux, il dit à eux:11, 17a Puis lui, ayant su d'eux les réflexions il dit à eux:
12, 25b pasa basileia meristheisa kathʼ heautēs erēmoutai 11, 17b pasa basileia ephʼ heautēn diameristheisa erēmoutai 12, 25b "Tout royaume ayant été divisé contre lui-même se désertifie.11, 17b "Tout royaume sur lui-même lui-même ayant été subdivisé, se désertifie.
12, 25c kai pasa polis ē oikia meristheisa kathʼ heautēs ou stathēsetai. 11, 17c kai oikos epi oikon piptei. 12, 25c Et toute ville ou maison ayant été divisée contre elle-même ne tiendra pas (debout).11, 17c Et une maison sur une maison tombe.
12, 26 kai ei ho satanas ton satanan ekballei, ephʼ heauton emeristhēpōs oun stathēsetai hē basileia autou? 11, 18 ei de kai ho satanas ephʼ heauton diemeristhē, pōs stathēsetai hē basileia autou? hoti legete en Beelzeboul ekballein me ta daimonia. 12, 26 Et si le Satan le Satan il chasse, sur lui-même il s'est divisé, comment donc tiendra (debout) le royaume de lui?11, 18 Puis, si aussi le Satan sur lui-même s'est subdivisé, comment tiendra (debout) le royaume de lui? Car vous dites en Béelzéboul moi chasser les démons.
12, 27 kai ei egō en Beelzeboul ekballō ta daimonia, hoi huioi hymōn en tini ekballousin? dia touto autoi kritai esontai hymōn. 11, 19 ei de egō en Beelzeboul ekballō ta daimonia, hoi huioi hymōn en tini ekballousin? dia touto autoi hymōn kritai esontai. 12, 27 Et si moi en Béelzéboul je chasse les démons, les fils de vous en qui chassent-ils? C'est pourquoi eux des juges ils seront à vous.11, 19 Puis, si moi en Béelzéboul je chasse les démons, les fils de vous en qui chassent-ils? C'est pourquoi eux des juges ils seront.
12, 28 ei de en pneumati theou egō ekballō ta daimonia, ara ephthasen ephʼ hymas hē basileia tou theou. 11, 20 ei de en daktylō theou [egō] ekballō ta daimonia, ara ephthasen ephʼ hymas hē basileia tou theou. 12, 28 Puis, si en esprit de Dieu moi, je chasse les démons, par conséquent est arrivé sur vous le royaume de Dieu.11, 20 Puis, si en doigt de Dieu moi, je chasse les démons, par conséquent est arrivé sur vous le royaume de Dieu.
12, 29 ē pōs dynatai tis eiselthein eis tēn oikian tou ischyrou kai ta skeuē autou harpasai, ean mē prōton dēsē ton ischyron? kai tote tēn oikian autou diarpasei. 11, 21 hotan ho ischyros kathōplismenos phylassē tēn heautou aulēn, en eirēnē estin ta hyparchonta autou• 12, 29 Ou comment il est capable quelqu'un d'entrer dans la maison de l'(homme) fort et les affaires de lui s'emparer, si d'abord qu'il n'ait pas lié l'(homme) fort? Et alors la maison de lui il pillera.11, 21 Quand l'(homme) fort ayant revêtu ses armes qu'il garde son propre palais, en paix est les possessions de lui.
 11, 22 epan de ischyroteros autou epelthōn nikēsē auton, tēn panoplian autou airei ephʼ hē epepoithei kai ta skyla autou diadidōsin. , 11, 22 Puis, quand un (homme) plus fort que lui étant survenu qu'il vainque lui, l'armure de lui il emporte sur laquelle ils s'était confié et les dépouilles de lui il distribue.
12, 30 ho mē ōn metʼ emou katʼ emou estin, kai ho mē synagōn metʼ emou skorpizei.11, 23 Ho mē ōn metʼ emou katʼ emou estin, kai ho mē synagōn metʼ emou skorpizei.12, 30 Celui n'étant pas avec moi, contre moi il est, et celui n'amassant pas avec moi, il dissipe."11, 23 Celui n'étant pas avec moi, contre moi il est, et celui n'amassant pas avec moi, il dissipe."

Commentaire

  • Cette péricope a été insérée dans deux contextes différents par Matthieu et Luc. Chez Matthieu, elle apparaît dans un contexte de controverse autour du sabbat, les épis arrachés et le guérison d'un homme à la main paralysée, au point que les Pharisiens veulent faire mourir Jésus. Ce sont les mêmes Pharisiens qui confrontent maintenant Jésus dans notre péricope. Chez Luc, la péricope fait suite à l'enseignement sur la prière et semble amorcer un nouveau récit.

  • Cette péricope est une variante d’une tradition qu’on retrouve également en Mc 3, 22-27 avec l’accusation à l’égard de Jésus de faire des exorcismes par Béelzéboul et du logion sur Satan qui expulserait Satan et donc verrait son royaume divisé, pour se terminer avec la parabole de l’homme fort. La péricope présente ici cette structure :
    1. Introduction à la controverse par un exorcisme : Mt 12, 22-23 || Lc 11, 14
    2. Accusation de chasser les démons par Béelzéboul : Mt 12, 24 || Lc 11, 15
    3. Réponse de Jésus : Mt 12, 25-29 || Lc 11, 15-22
      1. Tout royaume ou maison divisée ne peut subsister, et donc si Satan est divisé son royaume ne peut subsister : Mt 12, 25-26 || Lc 11, 17-18
      2. Par qui les fils des accusateurs chassent-ils les démons? Ils seront leurs juges : Mt 12, 27 || Lc 11, 19
      3. Si c’est par le doigt de Dieu qui Jésus chasse les démons, c’est le signe de l’arrivée du royaume de Dieu : Mt 12, 28 || Lc 11, 20
      4. Parabole de l'homme fort : Mt 12, 29 || Lc 11, 21-22
    4. Conclusion : qui n’est pas avec moi, est contre moi : Mt 12, 30 || Lc 11, 23

  • Mais étant donné l'influence de la source marcienne, on ne peut attribuer avec un certain degré de certitude à la source Q que les passages suivants: Mt 12, 22-23 || Lc 11, 14 (guérison d'un démoniaque meut), Mt 12, 24 || Lc 11, 15 (accusation de chasser par Béelzéboul), Mt 12, 27-28 || Lc 11, 19-20 (expulsions faites par les fils de Pharisiens), et Mt 12, 30 || Lc 11, 23 (qui n'est pas avec moi).

  • Mt 12, 22-23 || Lc 11, 14 (introduction à la controverse: un exorcisme). Chaque évangéliste a modifié cette introduction avec son vocabulaire. Chez Luc, on note les expressions: « et celui-ci », « puis, il arriva que ». Chez Matthieu, on note les expressions: « fut présenté », « un étant possédé d'un démon », « ils étaient stupéfiés », « toutes » (les foules), « celui-là n’est-il pas le fils de David »; ce dernier point reflète son insistance sur Jésus comme messie.

  • Mt 12, 24 || Lc 11, 15 (Accusation de chasser les démons par Béelzéboul). Le texte de la source Q est très semblable à la source marcienne, comme le reflète les mots soulignés. C'est une accusation qui proviendrait des Pharisiens selon Matthieu, peut-être le reflet du texte originel (chez Marc, il s'agit des scribes), une accusation que Luc aurait atténué avec « Puis certains d'eux (les foules) ». Quelle est la réponse de Jésus? D'après notre péricope, cette réponse commencerait avec la référence à la division dans le royaume de Satan. Mais cette réponse ne répond pas directement à l'accusation. C'est plutôt en Mt 12, 27 || Lc 11, 19 (« Si moi c’est par Béelzéboul que je chasse les démons, vos fils par qui les chassent-ils? ») que nous avons la réponse directe. Dès lors on saisit la logique de la réponse de Jésus qui met les Pharisiens face à leur propre contradiction, puisque leurs adeptes (« leurs fils ») font également des exorcismes. Ainsi, il est probable que dans la source Q le verset Mt 12, 24 || Lc 11, 15 (accusation) était tout de suite suivi par Mt 12, 27 || Lc 11, 19 (vos fils par qui chassent-ils?). Dès lors, Mt 12, 25-26 || Lc 11, 17-18 apparaît comme une interpolation. Regardons de plus près.

  • Mt 12, 25-26 || Lc 11, 17-18 (Tout royaume divisé contre lui-même). Le logion se rencontre presque tel quel chez Mc 3, 23-26 qui est présenté comme une parabole. Si on croit M.E. Boismard, op. cit., p. 172, ce logion provenant d'une source marcienne aurait inséré dans le texte de la source Q lors d'une première édition de l'évangile de Matthieu (appelé: Mt-intermédiaire) qui aurait ajouté « ayant su leurs pensées » pour l'introduire. Quant à Luc, il dépendrait à la fois de Mt-intermédiaire et de la source Q.

  • Lc 11, 16 (« d’autres pour le mettre à l’épreuve »), qui est propre à Luc, serait un ajout à la péricope lors de l'édition finale de son évangile. C'est une reprise de Mc 8, 11. En mettant en parallèle « certains d'entre eux » et « d'autres », Luc semble vouloir souligner l'ampleur et la variété de l'opposition, et donc bien établir le contexte. Et surtout il prépare la scène de la demande de signe qui viendra bientôt.

  • Mt 12, 28 || Lc 11, 20 (« Puis, si c’est par le doigt de Dieu que, moi, je chasse les démons »). Matthieu et Luc présentent un texte très semblable, sauf que Matthieu a « esprit » de Dieu plutôt que « doigt » de Dieu. Il faut préférer la version de Luc qui reflète plusieurs passages de l'At, comme Ex 8, 15: « Les magiciens dirent au Pharaon : "C’est le doigt de Dieu." Mais le cœur du Pharaon resta endurci. Il n’écouta pas Moïse et Aaron, comme l’avait dit le Seigneur ». Quoi qu'il en soit, parler de « esprit » de Dieu ou de « doigt » de Dieu renvoie dans les deux cas à la puissance de Dieu, et l'expulsion de Satan signifie que son règne prend fin.

  • Mt 12, 29 || Lc 11, 21-22 (l'homme fort). Tout le texte de Mt 12, 29 semble une copie de ce qu'on trouve chez Marc (souligné). Cela confirme le fait que ce logion n'appartient pas à la source Q. Luc aurait également connu ce logion parabolique, mais l'aurait édité en utilisant son vocabulaire comme « garder », « paix », « possessions », « survenir », « se confier », « distribuer ». Il reflète un thème qui proviendrait d'Isaïe 49, 24-26:
    Quelqu'un prendra-t-il les dépouilles d'un géant ? Et si quelqu'un fait injustement un prisonnier, sera-t-il délivré ? Car ainsi parle le Seigneur : si quelqu'un fait captif un géant, il prendra les dépouilles, et celui qui prend les dépouilles à un homme fort sera délivré ; car je défendrai ta cause, et je délivrerai tes enfants. Ceux qui t'ont affligé mangeront leur propre chair, et ils boiront leur propre sang comme du vin nouveau, et ils s'enivreront ; et toute chair saura que je suis le Seigneur qui te délivre, et qui soutient la force de Jacob.

    Chez Marc, le fort désigne Satan qui tient les hommes captifs; si Jésus expulse les démons et délivre les hommes de l'emprise de Satan, c'est que Satan est mantenant vaincu et réduit à l'impuissance.

  • Mt 12, 30 || Lc 11, 23 (qui n'est pas avec moi est contre moi). Ce logion de la source Q est quelque peu différent de celui de Mc 9, 40 malgré les similitudes (soulignées) : « Car qui n’est pas contre nous est pour nous ». Le contexte n'est pas le même, car chez Marc il s'agit d'exorcismes opérés peut-être par des disciples de Pharisiens au nom de Jésus, et donc Jésus demande à ses disciples de ne pas les empêcher. Ici, dans notre péricope, nous sommes dans un contexte de controverse où on refuse d'accueillir l'action d'exorciste de Jésus comme signe de l'action de Dieu, et donc ce refus est une attaque sur sa personne.

22. Un esprit impur sorti de quelqu'un revient et en amène sept autres

MatthieuLucMatthieuLuc
12, 43 Hotan de to akatharton pneuma exelthē apo tou anthrōpou, dierchetai diʼ anydrōn topōn zētoun anapausin kai ouch heuriskei. 11, 24a Hotan to akatharton pneuma exelthē apo tou anthrōpou, dierchetai diʼ anydrōn topōn zētoun anapausin kaiheuriskon• 12, 43 Puis, quand l'esprit impur qu'il sorte à partir de l'homme, il traverses à travers des lieux sans eau cherchant un repos et il ne trouve pas.11, 24a Puis, quand l'esprit impur qu'il sorte à partir de l'homme, il traverses à travers des lieux sans eau cherchant un repos et ne trouvant pas,
12, 44 tote legei• eis ton oikon mou epistrepsō hothen exēlthonkai elthon heuriskei scholazonta sesarōmenon kai kekosmēmenon. 11, 24b-25 [tote] legei• hypostrepsō eis ton oikon mou hothen exēlthonkai elthon heuriskei sesarōmenon kai kekosmēmenon. 12, 44 Alors il dit: "Vers la maison de moi je retournerai d'où je suis sorti." Et venant, il trouve étant libre ayant été nettoyé et ayant été mis en ordre.11, 24b-25 [alors] il dit: "Vers la maison de moi je reviendrai d'où je suis sorti." Et venant, il trouve ayant été nettoyé et ayant été mis en ordre.
12, 45 tote poreuetai kai paralambanei methʼ heautou hepta hetera pneumata ponērotera heautou kai eiselthonta katoikei ekei• kai ginetai ta eschata tou anthrōpou ekeinou cheirona tōn prōtōn. houtōs estai kai tē genea tautē tē ponēra.11, 26 tote poreuetai kai paralambanei hetera pneumata ponērotera heautou hepta kai eiselthonta katoikei ekeikai ginetai ta eschata tou anthrōpou ekeinou cheirona tōn prōtōn.12, 45 Alors il va et il prend avec lui-même sept autres esprits plus mauvais que lui-mêmes et étant entré il habite là. Et devient l'(état) final de l'homme celui-là que les premiers. Ainsi sera aussi la génération celle-là la mauvaise.11, 26 Alors il va et il prend sept autres esprits plus mauvais que lui-mêmes et étant entré il habite là. Et devient l'(état) final de l'homme celui-là que les premiers.

Commentaire

  • Considérons le contexte où cette péricope a été insérée par chacun des évangélistes. Matthieu l'a insérée dans le contexte d'une suite de controverses avec les Pharisiens, et plus particulièrement après le reproche de Jésus de demander un signe, reflet de leur absence de conversion. Dès lors, le récit sur le retour de l'esprit impur devient une description de leur état. Et en ajoutant à la fin la phrase: « Ainsi en sera-t-il également de cette génération mauvaise » (v. 26b), Matthieu associe clairement l'homme habité par sept esprits impurs avec cette génération de Pharisiens. Luc, pour sa part, insère cette péricope dans le contexte des exorcismes de Jésus attribués à Béelzéboul par certains, mais que Jésus associe à l'arrivée du règne de Dieu et à l'homme fort qui réduit Satan à l'impuissance. Dès lors, le récit sur le retour de l'esprit impur entend exprimer que cette victoire sur Satan n'est pas garantie pour toujours: si, depuis le départ de l'esprit impur, la parole de Dieu n'a pas pris racine et n'a pas fructifié, le risque est grand que l'esprit impur fasse un retour avec encore plus de virulence. Cette interprétation est confirmée par le récit qui suit sur le véritable disciple (« Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent ! », Lc 11, 28).

  • Les version de Matthieu et Luc de la source Q sont pratiquement identiques, sauf quelques remaniements stylistiques.
    • En Mt 12, 43 || Lc 11, 24a, Matthieu nous présente un verbe au présent « il ne trouve pas » et Luc au participe présent « ne trouvant pas »; Matthieu termine donc une phrase et nous oblige à commencer une nouvelle phrase, tandis que Luc nous oblige à enchaîner tout de suite avec les conséquences de l'absence de repos.

    • En Mt 12, 44 || Lc 11, 24b, Matthieu utilise le verbe epistrephō, formé de l’adverbe epi (sur) et du verbe strephō (tourner), que nous avons traduit par : retourner. Luc, pour sa part, utilise le verbe hypostrephō, formé de l’adverbe hypo (sous) et du verbe strephō (tourner), que nous avons traduit par : revenir. Il est entendu que ce sont deux synonymes. Mais Luc est seul à utiliser hypostrephō dans les évangiles et donc on peut penser que Matthieu reflète ici mieux la source Q, alors que c’est Luc qui a remplacé ce verbe par un verbe qu’il préfère. En revanche, c’est probablement Matthieu qui a ajouté l’expression scholazonta (étant libre) pour clarifier les choses, comme il le fait souvent, au risque d’avoir une phrase plus lourde (deux participes qui se suivent)

    • En Mt 12, 45 || Lc 11, 26 le texte de Matthieu affiche l'expression « avec lui-même » qui accompagne le verbe paralambanō (prendre avec soi). Ceci est surprenant, car le verbe paralambanō inclut l'idée « avec soi », et donc l'ajout de « avec lui-même » est redondant. Par exemple, quand Jésus prend avec lui Pierre, Jean et Jacques dans le récit de la transfiguration (Mc 8, 27-31 || Mt 16, 31-21 || Lc 9, 18-22) seul le verbe est utilisé. Une hypothèse possible serait que nous aurions ici le signe d'un milieu dont le grec n'est pas la langue de naissance, et donc proviendrait d'un des auteurs de la source Q que Matthieu se serait contenté de copier tel quel, alors que Luc, un grécophone, l'aurait supprimé, voyant le pléonasme. Notons qu'il y a une autre occurence chez Matthieu de l'expression « avec lui-même » qui accompagne le verbe « prendre avec soi » en Mt 18, 16: « S’il ne t’écoute pas, prends (paralambanō) encore avec toi (meta sou) une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins ». Ici, Matthieu copie peut-être simplement le petit code de droit canon de la communauté chrétienne d'Antioche dont une partie était formée de Juifs convertis.

  • Cette péricope met en vedette l'esprit impur, qui en fait désigne habituellement le démon. Dans les récits synoptiques (l'esprit impur est absent de l'évangile de Jean), le démon est associé à la maladie (sur le démon, voir le Glossaire). Mais ici il semble avoir un rôle plus large, signe de l'influence du milieu sémitique où on ne distingue pas entre le démon et le diable comme dans le milieu gréco-romain, et où tout semble regroupé sous cette force adverse qu'est Satan. Notons qu'il est habituel pour le démon, s'il ne peut habiter une personne, de se retrouver dans des lieux de désolations, puisque sa patrie n'est pas le ciel comme Satan. Enfin, la référence au chiffre sept, qui est un symbole de totalité dans le monde sémitique, signife que c'est avec une force maximale que l'esprit impur retourne dans l'homme.

23. Une génération cherche un signe ; signe de Jonas ; jugement des gens de Ninive ; reine du sud

MatthieuLucMatthieuLuc
12, 38 Tote apekrithēsan autō tines tōn grammateōn kai Pharisaiōn legontes• didaskale, thelomen apo sou sēmeion idein. [11, 16 heteroi de peirazontes sēmeion ex ouranou ezētoun parʼ autou.]12, 38 Alors répondirent à lui certains des scribes et des Pharisiens disant: "Maître, nous voulons de toi un signe voir".[11, 16 Puis, d'autres mettant à l'épreuve, un signe du ciel ils cherchaient de la part de lui.]
12, 39 ho de apokritheis eipen autois• genea ponēra kai moichalis sēmeion epizētei, kai sēmeion ou dothēsetai autē ei mē to sēmeion Iōna tou prophētou. 11, 29 Tōn de ochlōn epathroizomenōn ērxato legein• hē genea hautē genea ponēra estin• sēmeion zētei, kai sēmeion ou dothēsetai autē ei mē to sēmeion Iōna. 12, 39 Puis, lui ayant répondu, il dit à eux: "Une génération mauvaise et adultère un signe elle recherche, et un signe il ne sera pas donné à elle sinon le signe de Jonas le prophète.11, 29 Puis, les foules s'assemblant, il commença à dire: "Cette génération une génération mauvaise elle est. Un signe elle cherche, et un signe ne sera pas donné à elle sinon le de Jonas.
12, 40 hōsper gar ēn Iōnas en tē koilia tou kētous treis hēmeras kai treis nyktas, houtōs estai ho huios tou anthrōpou en tē kardia tēs gēs treis hēmeras kai treis nyktas. 11, 30 kathōs gar egeneto Iōnas tois Nineuitais sēmeion, houtōs estai kai ho huios tou anthrōpou tē genea tautē. 12, 40 Car comme était Jonas dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi sera le fils de l'homme dans le cœur de la terre trois jours et trois nuits.11, 30 Car de même que devint Jonas aux Ninivites un signe, ainsi sera aussi le fils de l'homme à la génération celle-là.
[12, 42 basilissa notou egerthēsetai en tē krisei meta tēs geneas tautēs kai katakrinei autēn, hoti ēlthen ek tōn peratōn tēs gēs akousai tēn sophian Solomōnos, kai idou pleion Solomōnos hōde.]11, 31 basilissa notou egerthēsetai en tē krisei meta tōn andrōn tēs geneas tautēs kai katakrinei autous, hoti ēlthen ek tōn peratōn tēs gēs akousai tēn sophian Solomōnos, kai idou pleion Solomōnos hōde.[12, 42 Une reine du sud se réveillera au jugement avec la génération celle-là et elle condamnera elle, car elle est venu des confins de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et voici plus que Salomon ici.]11, 31 Une reine du sud se réveillera au jugement avec les hommes de la génération celle-là et elle condamnera elle, car elle est venu des confins de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et voici plus que Salomon ici.
12, 41 andres Nineuitai anastēsontai en tē krisei meta tēs geneas tautēs kai katakrinousin autēn, hoti metenoēsan eis to kērygma Iōna, kai idou pleion Iōna hōde. 11, 32 andres Nineuitai anastēsontai en tē krisei meta tēs geneas tautēs kai katakrinousin autēn• hoti metenoēsan eis to kērygma Iōna, kai idou pleion Iōna hōde.12, 41 Des hommes Ninivites se lèveront au jugement avec la génération celle-là et ils condamneront elle, car ils ont changé d'idée vers la prédication de Jonas et voici plus que Jonas ici."11, 32 Des hommes Ninivites se lèveront au jugement avec la génération celle-là et ils condamneront elle, car ils ont changé d'idée vers la prédication de Jonas et voici plus que Jonas ici."

Commentaire

  • Cette péricope sur une demande de signe a été placée dans des contextes différents par Matthieu et Luc. Chez Matthieu, Jésus vient de dire que ce qui sort de la bouche reflète le cœur d’une personne, et c’est d’après ses paroles qu’une personne sera condamné. Et c’est alors que les scribes et les Pharisiens demandent à Jésus qu’il fasse un signe, i.e. un miracle, car autrement ils n’arrivent pas à croire en lui. Le style direct, car on interpelle directement Jésus comme « maître » et on demande un signe qui vienne de lui, tout cela peut être l’indice d’une tradition ancienne. Chez Luc, le désir d’un signe a été mentionné plutôt (Lc 11, 16) alors que certains l’accusent de chasser les démons par Béelzéboul, et que d’autres, pour le mettre à l’épreuve, lui demandent un signe du ciel, i.e. un événement cosmique bouleversant. La réponse de Jésus à cette requête intervient donc 13 versets plus loin. Luc a voulu montrer que l’accusation de chasser par Béelzéboul et la demande de signe appartiennent au même ensemble. Il est clair que Lc 11, 16 est une composition de Luc qui s’est inspiré de Mc 8, 11 (« Les Pharisiens vinrent et se mirent à discuter avec Jésus ; pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandent un signe qui vienne du ciel »).

  • Le logion de la source Q Mt 12, 39 || Lc 11, 29 (« une génération mauvaise ») est très semblable chez les deux évangélistes. Matthieu aurait ajouté « le prophète » à la suite du nom « Jonas », pour préciser de qui il s’agit, ce qu’il fait très souvent. En revanche, Luc aurait supprimé l’adjectif « adultère », une évocation du thème biblique d’Israël épouse de Yahvé, une évocation qui risquait d’être incomprise de son auditoire grec. On aura peut-être remarqué que dans ce logion Matthieu nous présente le verbe epizēteō (chercher avec soin, que nous avons traduit par: rechercher), et Luc le verbe zēteō (chercher); il est probable que Matthieu reflète mieux la source Q, car epizēteō apparaît toujours chez lui dans un contexte où il copie la source Q, tandis que Luc utilise fréquemment dans son évangile le verbe zēteō.

  • Le parallèle Mt 12, 40 || Lc 11, 30 présente plusieurs divergences. Mais les deux textes comparent Jonas au fils de l’homme. Luc reflète probablement le mieux la source Q, alors que Matthieu a voulu clarifier et préciser le lien avec la mort et la résurrection de Jésus. De plus, l’ensemble Lc 11, 29-30 apparaît comme une construction en chiasme, signe de son caractère ancien :
    a. une génération mauvaise
      b. signe ne sera pas donné
        c. sinon Jonas
        c'. Jonas aux Ninivites
      b'. un signe sera le fils de l’homme
    a'. pour cette génération

  • Notons que dans la tradition rabbinique, Jonas était une figure célèbre chez les Juifs en raison de son merveilleux séjour dans le ventre du grand poisson, et donc évoque une destinée de catastrophe et de salut. Aussi, il n’est pas impossible que Jésus ait pu associer son sort à celui de Jonas. Sur le plan historique, Jésus aurait donc refusé tout signe ostentatoire et aurait fait une allusion voilée au « signe » de Jonas. C’est seulement la réflexion chrétienne, après Pâques, qui aurait explicité le lien entre le séjour de Jonas dans le ventre du grand poisson et la mort / résurrection de Jésus avec la mention des trois jours et trois nuits.

  • L’ensemble Mt 12, 41-42 || Lc 11, 31-32 contient deux logia qui appartiennent à un contexte différent, et en les intégrant à la suite du signe de Jonas, l’auteur de la source Q modifie la signification symbolique de Jonas. En effet, ce n’est plus en raison de son séjour dans le ventre du grand poisson qu’on évoque Jonas, mais en raison de sa prédication aux païens de Ninive et du succès de cette prédication (voir Jn 3, 5). De même, la reine païenne du Sud (Saba) (voir 1 R 10, 1-10) est évoquée parce qu’elle s’est déplacée pour se mettre à l’écoute de la sagesse de Salomon. Ces deux logia affichent la même structure et se terminent par un argument « a fortiori » : « ici il y a plus que… ». Le signe offert est d’une part la prédication de Jonas, et d’autre part la sagesse de Salomon. Des païens ont vu ce signe et y ont répondu. Voilà pourquoi au jour du jugement ils seront en mesure de se tenir debout et d’accuser les contemporains de Jésus, comme c’était la coutume dans les tribunaux Juifs. Notons que l’ordre des deux logia est différent chez les deux évangélistes : c’est probablement Luc qui a conservé l’ordre de la source Q, Matthieu l’ayant inversé sans doute pour faire mieux sentir la transition vers ces nouveaux signes que sont la sagesse de Salomon et la prédication de Jonas.

24. Ne pas mettre la lampe sous le boisseau ; lampe oculaire du corps, si elle est déréglée, ténèbres

MatthieuLucMatthieuLuc
5, 15 oude kaiousin lychnon kai titheasin auton hypo ton modion allʼ epi tēn lychnian, kai lampei pasin tois en tē oikia. 11, 33 Oudeis lychnon hapsas eis kryptēn tithēsin [oude hypo ton modion] allʼ epi tēn lychnian, hina hoi eisporeuomenoi to phōs blepōsin.5, 15 Ni ils n’allument une lampe et la mettent sous le boisseau, mais sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui [sont] dans la maison11, 33 Personne, ayant enflammé une lampe, ne [la] met dans une cachette [ni sous le boisseau], mais sur le lampadaire afin que ceux qui sont entrant voient la lumière.
6, 22 Ho lychnos tou sōmatos estin ho ophthalmos. ean oun ē ho ophthalmos sou haplous, holon to sōma sou phōteinon estai• 11, 34a Ho lychnos tou sōmatos estin ho ophthalmos sou. hotan ho ophthalmos sou haplous ē, kai holon to sōma sou phōteinon estin• 6, 22 La lampe du corps est l'œil. Que si donc soit l'œil de toi simple, tout entier le corps de toi lumineux sera11, 34a La lampe du corps est l'œil de toi. Quand l'œil de toi simple qu'il soit, aussi tout entier le corps de toi lumineux il est.
6, 23 ean de ho ophthalmos sou ponēros ē, holon to sōma sou skoteinon estai. ei oun to phōs to en soi skotos estin, to skotos poson.11, 34b-35 epan de ponēros ē, kai to sōma sou skoteinon. skopei ounto phōs to en soi skotos estin. 6, 23 Puis que si l'œil de toi mauvais qu'il soit, tout entier le corps de toi ténébreux sera. Si donc la lumière celle en toi ténèbre est, la ténèbre combien grande!11, 34b-35 Puis, lorsque mauvais qu'il soit, aussi le corps de toi ténébreux. Examine donc si la lumière celle en toi n'est pas ténèbre.

Commentaire

  • Cette péricope est formée de deux logia unis par le thème de la « lampe », que Luc a gardé ensemble, mais que Matthieu a placé dans deux endroits différents dans son sermon sur la montagne. Comme les contextes sont différents, les significations sont différentes.

  • Mt 5, 15 || Lc 11, 33 est un logion dont nous avons deux versions, celle représentée par Mc 4, 21, et celle de la source Q que nous avons ici. Chez Marc, cette parole de Jésus est placée après la parabole du semeur. La lampe c’est l’enseignement de Jésus. Mais les paraboles sont difficiles à comprendre, et donc cette lumière apparaît comme cachée derrière le lit ou le boisseau (le boisseau étant un meuble formé d’une cuve de bois soutenue par des pattes). Quand Jésus donnera l’explication des paraboles, alors la lampe ne sera plus cachée, mais sur le lampadaire. Matthieu, pour sa part, place cette parole de Jésus après l’enseignement sur les béatitudes, alors qu’il dit à ses disciples qu’ils sont le sel de la terre et la lumière du monde. Dès lors, la lumière de la lampe désigne l’enseignement de Jésus qui doit s’incarner dans l’agir des disciples et être visible par tous, en particulier ceux qui sont dans la maison qu’est la communauté chrétienne. Quant à Luc, cette parole fait suite au signe qu’est Jésus que ses contemporains ne voient pas et sera suivie d’une parole affirmant que la capacité de voir dépend de l’œil humain, i.e. de la limpidité de son cœur. Dès lors, la lampe désigne l’enseignement et l’agir de Jésus qui ne sont pas cachés, mais accessibles à tous pour y voir un signe de Dieu.

  • Mt 6, 22-23 || Lc 11, 34a-35 constitue le deuxième logion de la source Q que Matthieu et Luc utilisent de manière différente. Notons que dans le monde sémitique l’œil est compris comme l’organe de discernement, et donc est lié à son orientation dans la vie et à son cœur. Quant au corps, il désigne tout l’être d’une personne. Or, Matthieu a placé cette parole de Jésus dans son sermon sur la montagne à la suite d’une mise en garde concernant les richesses : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre… mais… dans le ciel. Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 19-21). Dès lors, l’œil « simple », qui est libéral, généreux, sachant donner, est opposé à l’œil « mauvais » qui est envieux, avare et répugne à donner (voir par exemple Pr 22, 9 : « Celui dont l’œil est bienveillant sera béni pour avoir donné de son pain au pauvre »). En revanche chez Luc, le thème œil/corps suit celui de la lampe et appartient au contexte du signe qu’est Jésus. Donc Luc propose une explication sur l’acceptation ou le refus du signe qu’est Jésus : l’œil « simple », donc droit et franc, est capable de voir ce signe, tandis que l’œil mauvais en est incapable. D’où la conclusion de Luc : examine (skopeō) si la lumière en toi n’est pas ténèbre. Il est probable que le verbe skopeō ne soit pas de la source Q, mais de Luc lui-même : il ne se rencontre nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, sinon dans les lettres de Paul, en particulier en Ga 6, 1 : « Examine-toi toi-même afin que toi aussi tu ne sois pas mis à l’épreuve ».

25. Les pharisiens purifient l'extérieur de la coupe ; malheur aux personnes qui payent la dîme sans importance

MatthieuLucMatthieuLuc
23, 25 Ouai hymin, grammateis kai Pharisaioi hypokritai, hoti katharizete to exōthen tou potēriou kai tēs paropsidos, esōthen de gemousin ex harpagēs kai akrasias. 11, 39 eipen de ho kyrios pros auton• nyn hymeis hoi Pharisaioi to exōthen tou potēriou kai tou pinakos katharizete, to de esōthen hymōn gemei harpagēs kai ponērias. 23, 25 Malheur à vous, scibes et Pharisiens, hypocrites, parce que vous purifiez l'extérieur de la coupe et de l'assiette, puis à l'intérieur elles sont pleins de rapine et d'intempérance.11, 39 Puis, il dit le Seigneur à l'adresse de lui: "Maintenant vous les Pharisiens l'extérieur de la coupe et du plat vous purifiez, puis l'intérieur de vous est plein de rapine et de méchanceté.
23, 26 Pharisaie typhle, katharison prōton to entos tou potēriou, hina genētai kai to ektos autou katharon.11, 40 aphrones, ouch ho poiēsas to exōthen kai to esōthen epoiēsen? 23, 26 Pharisien aveugle! Purifiez d'abord le dedans de la coupe, afin que puisse devenir le dehors aussi de lui pur.11, 40 Stupides, celui ayant fait l'extérieur n'a-t-il pas fait aussi l'intérieur?
 11, 41 plēn ta enonta dote eleēmosynēn, kai idou panta kathara hymin estin. 11, 41 Aussi les (choses) étant dans (vous) donnez (comme) aumône, et voici toute (chose) pure à vous est.
23, 23 Ouai hymin, grammateis kai Pharisaioi hypokritai, hoti apodekatoute to hēdyosmon kai to anēthon kai to kyminon kai aphēkate ta barytera tou nomou, tēn krisin kai to eleos kai tēn pistin• tauta [de] edei poiēsai kakeina mē aphienai. 11, 42 alla ouai hymin tois Pharisaiois, hoti apodekatoute to hēdyosmon kai to pēganon kai pan lachanon kai parerchesthe tēn krisin kai tēn agapēn tou theou• tauta de edei poiēsai kakeina mē pareinai.23, 23 Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme de la mente et du fenouil et du cumin et vous avez délaissez les (choses) les plus graves de la loi, la justice et la compassion et la confiance. [Puis,] ces choses-là il fallait faire et ceux-là ne pas délaisser.11, 42 Mais malheur à vous les Pharisiens, parce que vous payez la dîme sur la menthe et la rue et tout légume et vous passez à côté de la justice et de l'amur de Dieu. Puis, ces choses-là il fallait faire et ceux-là ne pas laisser aller.
23, 6 philousin de tēn prōtoklisian en tois deipnois kai tas prōtokathedrias en tais synagōgais 11, 43a Ouai hymin tois Pharisaiois, hoti agapate tēn prōtokathedrian en tais synagōgais 23, 6 Puis, ils affectionnent la place d'honneur à table dans les banquets et les premières places dans les synagogues.11, 43a Malheur à vous les Pharisiens, parce que vous aimez la première place dans les synagogues
23, 7 kai tous aspasmous en tais agorais kai kaleisthai hypo tōn anthrōpōn rhabbi.11, 43b kai tous aspasmous en tais agorais.23, 7 et les salutations dans les places publiques et être appelé par les hommes 'rabbi'.11, 43b et les salutations dans les places publiques.
23, 27 Ouai hymin, grammateis kai Pharisaioi hypokritai, hoti paromoiazete taphois kekoniamenois, hoitines exōthen men phainontai hōraioi, esōthen de gemousin osteōn nekrōn kai pasēs akatharsias. 11, 44 Ouai hymin, hoti este hōs ta mnēmeia ta adēla, kai hoi anthrōpoi [hoi] peripatountes epanō ouk oidasin.23, 27 Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres ayant été blanchis, lesquels d'une part à l'extérieur paraissent d'un bel aspect, mais d'autre part à l'intérieur sont pleins d'ossements de morts et de toute impureté. 11, 44 Malheur à vous, parce que vous êtes comme les tombeaux les non visibles, et les hommes [les] marchant au-dessus ils ne voient pas.

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q nous présente trois malédictions contre les Pharisiens centrées sur leur hypocrisie: Mt 23, 25-26 || Lc 11, 39-41 (ils purifient l'extérieur de la coupe, mais l'intérieur est plein de rapine); Mt 23, 23 || Lc 11, 42 (ils s'acquittent de la dîme, mais négligent la justice); Mt 23, 27 || Lc 11, 44 (ils sont comme des tombeaux). C'est probablement Luc qui reflète le mieux l'ordre de la source Q. Matthieu a quelque peu bouleversé cet ordre, car il a voulu rapprocher des malédictions comportant des expressions semblables: Mt 23, 23-24 regroupe les malédictions autour du thème « détail / ce qui est essentiel », alors que Mt 23, 25-27 partagent le thème « extérieur / intérieur, visible / invisible ».

  • Mt 23, 25-26 || Lc 11, 39-41 (ils purifient l'extérieur de la coupe, mais l'intérieur est plein de rapine). C'est probablement Matthieu qui a mieux préservé la formulation originelle de cette malédiction dans la source Q. Elle fait référence aux nombreuses règles de purification rituelle, et donc les Pharisiens se montrent scrupuleux dans l'observance de ces petites règles, qui sont visibles aux autres, mais négligent la conversion du coeur. Luc a probablement trouvé cette malédiction un peu vague: si on pouvait comprendre la signification de ce qui est extérieur et visible, la référence à la purification de l'intérieur pouvait paraître floue. Alors, plutôt que de reprendre l'idée générale d'une purification intérieure, il fait deux choses: d'abord au v. 40 il dénonce l'accent sur les règles extérieures en affirmant que les règles intérieures sont aussi importantes, puisque Dieu est l'auteur des deux; ensuite, au v. 41 il précise la règle intérieure principale, celle montrée par un coeur généreux qui fait l'aumône aux pauvres, un des thèmes importants de son évangile, et cela semble éliminer la nécessité des rites de purification (« et voici que tout est pur pour vous »). Notons que c'est probablement Luc qui a remplacé le terme akrasia (intempérence, dérèglement), un terme général, par celui plus spécifique de ponēria (méchanceté) que Paul attribue à l'homme ancien.

  • Mt 23, 23 || Lc 11, 42 (ils s'acquittent de la dîme, mais négligent la justice). C'est probablement Matthieu qui reflète le mieux cette malédiction avec le détail sur les plantes, alors que Luc a probablement voulu l'abréger pour son auditoire grec, en particulier avec le mot générique « légume » pour couvrir plusieurs plantes.

  • Mt 23, 6-7 || Lc 11, 43 (ils aiment les premières places et les salutations). Cette malédiction cadre mal avec les autres: on ne parle plus d'hypocrisie, mais de vanité. De plus, elle reprend presque littéralement ce qu'on trouve en Mc 12, 38b.39a. Aussi, il est probable qu'elle ne faisait pas partie de la source Q originelle et fut ajouté après coup. Comme cette copie de Marc se retrouve de manière presqu'identique chez Matthieu et chez Luc, M.E. Boismard (op. cit., p. 357) croit que cet ajout est apparu lors de la première édition de l'évangile de Matthieu, qu'il appelle Mt-intermédiaire, et c'est à partir de cette édition que Luc a mis à jour son évangile.

  • Mt 23, 27 || Lc 11, 44 (ils sont comme des sépulcres). Matthieu reflète probablement le mieux la formulation originelle de la malédiction avec cette référence au sépulcre blanchi pour mieux les voir pendant la nuit, et éviter le contact avec ce qui est impur; nous sommes dans un milieu palestinien. Dès lors on comprend l'idée: le blanchiment améliore la beauté du sépulcre, mais n'enlève pas le fait que c'est seulement de la pourriture à l'intérieur. Luc, pour sa part, a probablement jugé que ce contenu apparaîtrait exotique pour son auditoire grec, et a donc orienté la malédiction vers des tombeaux sous terre qu'on ne voient pas, auxquels son auditoire pouvait se référer, et donc permet de comprendre que même si on ne voit pas une chose, celle-ci peut être remplie de pourriture, et donc être une image de l'hypocrisie.

26. Malheur aux légistes qui lient de lourds fardeaux et construisent les tombes des prophètes

MatthieuLucMatthieuLuc
23, 4 desmeuousin de phortia barea [kai dysbastakta] kai epititheasin epi tous ōmous tōn anthrōpōn, autoi de tō daktylō autōn ou thelousin kinēsai auta. 11, 46 ho de eipen• kai hymin tois nomikois ouai, hoti phortizete tous anthrōpous phortia dysbastakta, kai autoi heni n daktylōn hymōn ou prospsauete tois phortiois. 23, 4 Puis, il lient des charges lourdes [et exigentes] et les mettent sur les épaules des hommes, puis eux-mêmes du doigt d'eux ils ne veulent pas remuer elles.11, 46 Puis, lui il dit: "À vous aussi les légistes malheur, parce que vous chargez les hommes de charges exigentes et vous-mêmes d’un des doigts de vous ne touchez pas aux charges .
23, 29-30 Ouai hymin, grammateis kai Pharisaioi hypokritai, hoti oikodomeite tous taphous tōn prophētōn kai kosmeite ta mnēmeia tōn dikaiōn, kai legete• ei ēmetha en tais hēmerais tōn paterōn hēmōn, ouk an ēmetha autōn koinōnoi en tō haimati tōn prophētōn. 11, 47 Ouai hymin, hoti oikodomeite ta mnēmeia tōn prophētōn, hoi de pateres hymōn apekteinan autous. 23, 29-30 Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous construisez les sépulcres des prophètes et vous décorez les tombeaux des justes, mais vous dites: si nous étions dans les jours des pères de nous, le cas échéant nous ne serions pas d'eux associés dans le sang des prophètes,11, 47 Malheur à vous, parce que vous construisez les tombeaux des prophètes, puis les pères de vous ils ont fait périr eux.
23, 31 hōste martyreite heautois hoti huioi este tōn phoneusantōn tous prophētas. 11, 48 ara martyres este kai syneudokeite tois ergois tōn paterōn hymōn, hoti autoi men apekteinan autous, hymeis de oikodomeite. 23, 31 si bien que vous témoignez à vous-mêmes que fils vous êtes de ceux ayant tué les prophètes.11, 48 Par conséquent témoins vous êtes et vous consentez aux œuvres des pères de vous, car eux, d'une part, ils ont fait périr eux (les prophètes), vous-mêmes, d'autre part, vous construisez (leurs tombeaux).

Commentaire

  • Après les trois malédictions adressées aux Pharisiens (péricope 25), suivent trois malédictions adressées (deux dans cette péricope 26 et une autre que nous verrons à la péricope 27) aux scribes (légistes chez Luc). Alors que les trois première malédictions concernaient le scrupule face aux petites observations, en oubliant les observations majeures, et opposant aussi ce qui est visible à ce qui ne se voit pas, le coeur de la personne, les trois nouvelles malédictions attaquent la façon dont les scribes interprètent la Loi, la surchargeant d'annexes si bien qu'elle est devenue un fardeau impossible à porter. Et pour empêcher qu'on change cette façon de faire, ils ont tué les prophètes venus rappeler le vrai sens de la Loi. Rappelons que c'est Luc qui respecte l'ordre des malédictions de la source Q.

  • Mt 23, 4 || Lc 11, 46 (les charges exigentes). Cette quatrième malédiction appartient à des contextes différents chez Matthieu et Luc. Matthieu l'a déplacé pour la mettre dans le discours de Jésus adressée aux foules et à ses disciples et où ils reprochent aux scribes et aux Pharisiens de s'être assis dans la chaire de Moïse, mais ils disent et ne font pas. Comme le discours n'est plus au style direct, Matthieu a été obligé d'éliminer le « Malheur à vous ». Notons que dans le monde Juif, les règles légales étaient vues comme un joug similaire à celui qu'un animal porte sur ses épaules. Aussi, il est probable que la formulation de Matthieu reflète le mieux la source Q, alors que Luc apporte quelques modifications: il élimine la mention des épaules, une référence au côté animal du joug, mais préfère accentuer les constrastes, d'abord avec le jeu de mots « ils chargent des charges », ensuite en remplaçant « remuer » par « toucher », i.e. non seulement ils ne veulent pas les remuer ou les mettre en pratique partiellement, mais ils ne veulent même pas y toucher, enfin en remplaçant « du doigt » par « un de leur doigt », une façon d’accentuer leur répugnance à prendre même contact avec les observances. Mais l'idée est la même: les scribes multiplient les observances légales, mais eux-mêmes ne font absolument rien.

  • Mt 23, 29-31 || Lc 11, 47-48 (vous construisez les tombeaux des prophètes). Cette malédiction peut sembler obscure: en quoi le fait de construire des monuments aux prophètes, un phénomène qui s'est accentuer à l'époque d'Hérode le Grand, témoigne-t-il de la complicité des scribes dans le meurtre des prophètes? Il faut se rappeler le message des prophètes: ils ont constamment dénoncé l'attitude où on met l'accent sur les pratiques religieuses en oubliant l'amour et la justice (voir Os 6, 7; Am 5, 22). Ce message est gênant pour les scribes pour qui les observances religieuses sont fondamentales. Alors ils sont heureux de la disparition des prophètes, et leur construire des monuments est un geste hypocrite pour couvrir leurs vrais sentiments. Matthieu semble mieux refléter la formulation originelle de la source Q avec les détails de milieu palestinien où on décorait ces monuments et où les scribes pouvaient discuter du sort de leurs ancêtres. Luc semble avoir fait deux choses: il a résumé en une phrase le récit de la source Q, i.e. les légistes construisent les tombeaux des prophètes, leurs pères les ont tués; puis, à la fin, il offre une conclusion affirmant que la culpabilité des légistes, même s'ils n'ont pas vécu à l'époque des prophètes, est de consentir à leur meutre, et alors il reprend ce qui a été dit, mais en inversant l'ordre comme une forme de chiasme: leurs pères ont fait périr les prophètes, eux construisent leurs monuments.

27. Je parle / la sagesse de Dieu parle ; enverra des prophètes qui seront persécutés ; malheur aux légistes

MatthieuLucMatthieuLuc
23, 34 Dia touto idou egō apostellō pros hymas prophētas kai sophous kai grammateis• ex autōn apokteneite kai staurōsete kai ex autōn mastigōsete en tais synagōgais hymōn kai diōxete apo poleōs eis polin• 11, 49 dia touto kai hē sophia tou theou eipen• apostelō eis autous prophētas kai apostolous, kai ex autōn apoktenousin kai diōxousin, 23, 34 C'est pourquoi voici que, moi, j'envoie vers vous des prophètes et des sages et des scribes; parmi eux vous ferez périr et vous crucifierez et parmi eux vous fouetterez dans les synagogues de vous et vous persécuterez de villes en ville,11, 49 C'est pourquoi aussi la sagesse de Dieu a dit: 'J'enverrai à eux des prophètes et des apôtres, et parmi eux ils feront périr et ils persécuteront,
23, 35 hopōs elthē ephʼ hymas pan haima dikaion ekchynnomenon epi tēs gēs apo tou haimatos Habel tou dikaiou heōs tou haimatos Zachariou huiou Barachiou, hon ephoneusate metaxy tou naou kai tou thysiastēriou. 11, 50-51a hina ekzētēthē to haima pantōn tōn prophētōn to ekkechymenon apo katabolēs kosmou apo tēs geneas tautēs, apo haimatos Habel heōs haimatos Zachariou tou apolomenou metaxy tou thysiastēriou kai tou oikou• 23, 35 de sorte que vienne sur vous tout sang juste étant versé sur la terre à partir du sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie fils de Barachias, lequel vous avez tué entre le sanctuaire et l'autel.11, 50-51a afin que soit demandé compte du sang de tous les prophètes, celui ayant été versé à partir du commencement du monde à partir de la génération celle-là, à partir du sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie l'ayant péri entre l'autel et la Maison.
23, 36 amēn legō hymin, hēxei tauta panta epi n genean tautēn.11, 51b nai legō hymin, ekzētēthēsetai apo s geneas tautēs.23, 36 Amen je dis à vous, (cela) arrivera toutes ces hoses sur la génération celle-là.11, 51b Oui, je dis à vous, il sera demandé compte de la génération celle-là.
23, 13 Ouai de hymin, grammateis kai PHarisaioi hypokritai, hoti kleiete tēn basileian tōn ouranōn emprosthen tōn anthrōpōn• hymeis gar ouk eiserchesthe oude tous eiserchomenous aphiete eiselthein.11, 52 Ouai hymin tois nomikois, hoti ērate tēn kleida tēs gnōseōs• autoi ouk eisēlthate kai tous eiserchomenous ekōlysate.23, 13 Puis, malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous fermez à clé le royaume des cieux devant les hommes. Car vous-mêmes vous n'entrez pas ni, ceux entrant, vous laissez entrer (eux).11, 52 Malheur à vous les légistes, parce que vous avez emporté la clé de la connaissance. Vous-même, vous n'êtes pas entrés et ceux entrant, vous avez empêchés.

Commentaire

  • Cette péricope se divise en deux parties. La première partie (Mt 23, 34-36 || Lc 11, 49-51) termine la cinquième malédiction que nous avons analysée à la péricope précédente sur le fait que les scribes ont construit le tombeau des prophètes, mais sont complices du meurtre des prophètes. La deuxième partie (Mt 23, 13 || Lc 11, 52) présente la sixième malédiction contre les scribes ou légistes qui empêchent les gens d'entrer dans le royaume en raison de leur casuistique.

  • Mt 23, 34-36 || Lc 11, 49-51 (Je vous envoie des prophètes...). Cet ensemble est une expansion de la cinquième malédiction adressée aux scribes à qui Jésus reproche d'être associés aux meurtres des prophètes. D'une certaine façon, il n'ajoute rien de nouveau, sinon il fournit plus de détails à ce qu'on sait déjà. Selon M.E. Boismard (op. cit., p. 358), cet ensemble n'appartient pas à la source Q, mais proviendrait d'une première édition de l'évangile de Matthieu (Mt-intermédiaire) à laquelle Luc a eu accès, ce qui explique le parallèle dans son évangile. De plus, les différences entre les versions de Matthieu et Luc s'expliquent non seulement par certaines retouches de Luc, mais également par le fait que le rédacteur final de l'évangile de Matthieu a apporté certaines modifications en regard ce qu'il observe sur les persécutions chrétiennes à son époque : « vous crucifierez », « vous fouetterez dans les synagogues », vous persécuterez « de villes en ville »; c'est encore lui qui aurait introduit le style direct: « J’envoie vers vous », alors que le Mt-intermédiaire que Luc a sous les yeux utilise le style indirect : « Je leur enverrai ». Luc, pour sa part, aurait christianisé la liste des envoyés avec l'ajout des apôtres, et aurait clarifié la formule sémitique obscure « de sorte que vienne sur vous tout sang juste étant versé sur la terre » par une formule biblique plus claire: « afin que soit demandé compte du sang » (voir 2 S 4, 11: « Ne dois-je pas maintenant vous demander compte de son sang, qui est sur vos mains, et vous supprimer de la terre ? ».

  • Mt 23, 13 || Lc 11, 52 (Vous avez emporté la clé de la connaissance). Voici la sixième et dernière malédiction de la source Q. Rappelons qu'elle est adressée aux scribes, que Luc appelle: légistes, alors que Matthieu ne les distingue pas des Pharisiens. Ce dernier a modifié la place de cette malédiction dans la source Q en la déplaçant afin qu'elle soit en tête d'une série de malédictions qui lui sont propres et concernent la casuistique des scribes: on peut jurer par le sanctuaire, mais pas par l'or du sanctuaire; on peut jurer par l'autel, mais pas par l'offrande sur l'autel. Quel est le contenu de cette malédiction? Avoir fermé à clé le royaume des cieux. Qu'est-ce à dire? Matthieu nous donne une certaine explication au v. 15 qui suit: « vous qui parcourez mers et continents pour gagner un seul prosélyte, et, quand il l’est devenu, vous le rendez digne de la géhenne, deux fois plus que vous ». En faisant des disciples, et donc d'autres casuistes, les scribes ferment à clé la porte du royaume, car la casuistique n'est pas un chemin pour entrer dans le royaume de Dieu. Qu'en est-il chez Luc? Il ne s'agit pas de fermer à clé la porte du royaume, mais « d’emporter la clé de la connaissance ». Qu'est-ce à dire? Pour Luc, l'Ancien Testament se trouve à annoncer l'événement du salut en Jésus, et est donc un chemin vers lui. C'est ce que symbolise Jean-Baptiste comme l'exprime son père Zacharie: « car tu marcheras par devant sous le regard du Seigneur, pour préparer ses routes, pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon des péchés » (Lc 1, 76-77). Mais les scribes, spécialistes de la Bible, ont refusé d'entrer dans cette compréhension de l'AT, et par là ont emporté la clé d'interprétation ouvrant au salut en Jésus. Il y a même plus. Non seulement ils ont refusé d'entrer dans la bonne interprétation de l'AT, mais ils empêchent les gens de suivre Jésus.

28. Tout ce qui est couvert sera révélé ; ne craignez pas les tueurs de corps ; me reconnaître devant Dieu; l'esprit saint aidera

MatthieuLucMatthieuLuc
10, 26 Mē oun phobēthēte autous• ouden gar estin kekalymmenon ho ouk apokalyphthēsetai kai krypton ho ou gnōsthēsetai. ]12, 2 Ouden de synkekalymmenon estin ho ouk apokalyphthēsetai kai krypton ho ou gnōsthēsetai. 10, 26 Que vous ne craigniez donc pas eux. Car rien est ayant été voilé qui ne sera pas dévoilé et caché qui ne sera pas connu.12, 2 Puis, rien ayant été voilé complètement est qui ne sera pas dévoilé et caché qui ne sera pas connu.
10, 27 ho legō hymin en tē skotia eipate en tō phōti, kai ho eis to ous akouete kēryxate epi tōn dōmatōn. ]12, 3 anthʼ hōn hosa en tē skotia eipate en tō phōti akousthēsetai, kai ho pros to ous elalēsate en tois tameiois kērychthēsetai epi tōn dōmatōn.10, 27 Ce que je dis à vous dans l'obscurité dites dans la lumière, et ce vers l'oreille vous entendez proclamez sur les terrasses.12, 3 Au contraire, ce que dans l'obscurité vous avez dit, dans la lumière sera entendu, et ce à l'adresse de l'oreille vous avez parlé dans les chambres, sera proclamé sur les terrasses.
10, 28 kai mē phobeisthe apo tōn apoktennontōn to sōma, tēn de psychēn mē dynamenōn apokteinai• phobeisthe de mallon ton dynamenon kai psychēn kai sōma apolesai en geennē.]12, 4-5 Legō de hymin tois philois mou, mē phobēthēte apo tōn apokteinontōn to sōma kai meta tauta mē echontōn perissoteron ti poiēsai. hypodeixō de hymin tina phobēthēte• phobēthēte ton meta to apokteinai echonta exousian embalein eis tēn geennan. nai legō hymin, touton phobēthēte. 10, 28 Et ne craignez pas de la part des faisant périr le corps, puis l'âme n'étant pas capable de faire périr. Puis craignez plutôt l'étant capable et l'âme et le corps de détruire en géhenne.12, 4-5 Puis, je dis à vous les amis de moi, ne craignez pas de la part des faisant périr le corps mais après ces choses n'ayant rien de plus quoi faire faire. Puis je montrerai à vous qui vous devriez craindre. Craignez celui après avoir fait périr ayant pouvoir de jeter dans la géhenne. Oui, je dis à vous, celui-là craignez.
10, 29 ouchi dyo strouthia assariou pōleitai? kai hen ex autōn ou peseitai epi tēn gēn aneu tou patros hymōn.]12, 6 ouchi pente strouthia pōlountai assariōn dyo? kai hen ex autōn ouk estin epilelēsmenon enōpion tou theou. 10, 29 Deux moineaux un as ne se vend-il pas? Et un parmi eux ne tombera pas sur le sol sans le père de vous.12, 6 Cinq moineaux ne se vendent-ils pas deux as? Et un parmi eux n'est pas ayant été oublié devant le Dieu.
10, 30-31 hymōn de kai hai triches tēs kephalēs pasai ērithmēmenai eisin. oun phobeisthe• pollōn strouthiōn diapherete hymeis.]12, 7 alla kai hai triches tēs kephalēs hymōn pasai ērithmēntai. mē phobeisthe• pollōn strouthiōn diapherete.10, 30-31 Puis de vous aussi les cheveux de la tête tous ayant été comptés ils sont. Donc ne craignez pas. De beaucoup de moineaux vous différez, vous.12, 7 Mais aussi les cheveux de la tête de vous tous ont été comptés. Ne craignez pas. De beaucoup de moineaux vous différez.
10, 32 Pas oun hostis homologēsei en emoi emprosthen tōn anthrōpōn, homologēsō kaen autō emprosthen tou patros mou tou en [tois] ouranois•] 12, 8 Legō de hymin, pas hos an homologēsē en emoi emprosthen tōn anthrōpōn, kai ho huios tou anthrōpou homologēsei en autō emprosthen tōn angelōn tou theou• 10, 32 Donc quiconque reconnaîtra en moi devant les hommes, je le reconnaîtrai moi aussi en lui devant le père de moi celui dans [les] cieux.12, 8 Puis, je dis à vous, quicoque le cas échéant qu'il reconnaisse en moi devant les hommes, aussi le fils de l'homme reconnaîtra en lui devant les anges de Dieu.
10, 33 hostis an arnēsētai me emprosthen tōn anthrōpōn, arnēsomai kagō auton emprosthen tou patros mou tou en [tois] ouranois.]12, 9 ho de arnēsamenos me enōpion tōn anthrōpōn aparnēthēsetai enōpion tōn angelōn tou theou.10, 33 Puis, celui le cas échéant qu'il renie moi devant les hommes, je renierai moi aussi lui devant le père de moi celui dans [les] cieux.12, 9 Puis, l'ayant renié moi en face des hommes, il sera renié complètement en face des anges de Dieu.
[12, 32 kai hos ean eipē logon kata tou huiou tou anthrōpou, aphethēsetai autō• hos an eipē kata tou pneumatos tou hagiou, ouk aphethēsetai autō oute en toutō tō aiōni oute en tō mellonti.]12, 10 Kai pas hos erei logon eis ton huion tou anthrōpou, aphethēsetai autō• tō de eis to hagion pneuma blasphēmēsanti ouk aphethēsetai.[12, 32 Et qui qu'il dise une parole contre le fils de l'homme, il sera remis à lui. Puis, qui le cas échéant qu'il dise contre l'esprit le saint, il ne sera pas remis à lui ni en cette ère ni en celle venant.]12, 10 Et quiconque dira une parole vers le fils de l'homme, il sera remis à lui. Puis, à celui vers le saint esprit ayant injurié, il ne sera pas remis.
[10, 19a hotan de paradōsin hymas, mē merimnēsēte pōs ē ti lalēsēte•]12, 11 Hotan de eispherōsin hymas epi tas synagōgas kai tas archas kai tas exousias, mē merimnēsēte pōs ē ti apologēsēsthe ē ti eipēte• [10, 19a Puis, quand qu'ils livrent vous, ne vous souciez pas comment ou quoi vous devriez parler.]12, 11 Puis, quand qu'ils introduisent vous en présence des synagogues et les magistrats et les autorités, ne vous souciez pas comment ou quoi vous plaideriez ou quoi vous diriez.
[10, 19b-20 dothēsetai gar hymin en ekeinē tē hōra ti lalēsēte• ou gar hymeis este hoi lalountes alla to pneuma tou patros hymōn to laloun en hymin.]12, 12 to gar hagion pneuma didaxei hymas en autē tē hōra ha dei eipein.[10, 19b-20 Car sera donné à vous à cette heure-là quoi vous devriez parler. Car pas vous vous serez les parlant, mais l'esprit du père de vous le parlant en vous]12, 12 Car le saint esprit enseignera à vous à l'heure même les choses qu'il est nécessaire de dire.

Commentaire

  • Cette péricope, dans la base provient de la source Q, apparaît dans des contextes différents chez Matthieu et Luc. Matthieu a placé l'ensemble de cette péricope dans son discours missionnaire, et donc devient un enseignement adressé à disciples pour les guider dans leur travail missionnaire. En revanche, Luc l'a placé dans un contexte où Jésus mets en garde ses disciples contre le levain des Pharisiens qui sont hypocrites. Dès lors, cette péricope fait référence aux Pharisiens.

  • Comme on a pu le sentir, cette péricope est un assemblage de plusieurs logia, en fait quatre logia: Mt 10, 26-27 || Lc 12, 2-3 (il n'y a rien de voilé qui ne sera dévoilé); Mt 10, 28-31 || Lc 12, 4-7 (ne craignez pas ceux qui font périr le corps); Mt 10, 32-33; 12, 32 || Lc 12, 8-10 (qui me reconnaît devant les hommes); Mt 10, 19-20 || Lc 12, 11-12 (ne vous souciez pas quoi dire). Regardons de plus près.

  • Mt 10, 26-27 || Lc 12, 2-3 (il n'y a rien de voilé qui ne sera dévoilé). En raison de l'insertion de ce logion dans des contextes différents, les évangélistes sont forcés de changer les verbes en des modes et des personnes différentes. Ainsi, comme le discours de Jésus s'adresse aux disciples chez Matthieu, il utilise le « vous » et les verbes à l'impératif sous forme d'exhortation (« dites dans la lumière... proclamez sur les terrasses »). La signification est claire: les missionnaires sont appelés à répéter en pleine lumière tout ce que Jésus leur aura dit en cachette; tout le mystère de l'évangile sera un jour connu et répandu dans le monde. Luc, pour sa part, s'adresse aux disciples et fait référence aux pharisiens, et donc utilise des verbes à la 3e personne et au futur (« sera entendu... sera proclamé »). Ainsi, Jésus se trouve à dire qu'est hypocrite celui qui cache aux yeux des autres ses mauvaises actions sous le voile d'une conduite irréproche, mais les paroles et les actions les plus secrètes seront manifestées un jour, ne serait-ce que devant Dieu au jour du jugement. Notons enfin que, en raison des différentes significations qu'on voulu donner les évangélistes à ce logion, il est pratiquement impossible de reconstituer la formulation originelle de la source Q.

  • Mt 10, 28-31 || Lc 12, 4-7 (ne craignez pas ceux qui font périr le corps). Ce logion comporte deux parties. La première partie (Mt 10, 28 || Lc 12, 4-5) pourrait avoir eu cette formulation dans la source Q, si on en croit M.E. Boimard (op.cit., p. 279-280), qui se base sur une comparaison avec Justin et 2 Clément:
    Ne craignez (rien) de ceux qui tuent, et après cela ne peuvent rien faire; craignez celui qui, après avoir tué, a pouvoir de jeter dans la géhenne.

    Le texte de la source Q reprendrait une tradition qui se situerait dans un contexte de persécution et mettrait en garde contre le danger d'apostasie, et donc affirme que le persécuteur ne peut que tuer la personne, mais Dieu a pouvoir de jeter dans la géhenne après la mort. En plaçant ce texte dans le contexte de l'envoi missionnaire, Matthieu entend mettre les disciples en garde sur les difficultés qui les attendent et les choix qu'ils auront à faire. Luc, pour sa part, met son auditoire en garde contre les Pharisiens, qui non seulement peuvent faire mourir (par exemple, le Pharisien Paul et la lapidation d'Étienne), mais peuvent conduire à la géhenne par leur enseignement.

    En reprenant le texte de la source Q, chaque évangéliste aurait fait des modifications à ce texte originel. Matthéen aurait ajouté la distinction corps et âme qui n'est pas sémitique, mais provient de la philophie platonicienne, et en faisant cela, il est forcé de remplacer « jeter l’âme dans la géhenne », un réalisme trop physique, par « détruire l’âme dans la « géhenne ». Pour sa part, Luc introduit un certain nombre de mots et d'expressions provenant de son vocabulaire et de son style: « je vous dis mes amis », « je vous montrerez qui vous devriez craindre », « Oui, je vous le dis, celui-là, craignez-le ».

    La deuxième partie (Mt 10, 29-30 || Lc 12, 6-7) serait une addition de l'auteur de la source Q, car elle ne peut appartenir à la tradition dont fait écho la première partie sur les persécutions. Cette deuxième partie constitue un argument a fortiori qui vient tempérer la dureté de la première partie. Pour mieux le voir, comparons le texte de Luc avec celui qu'il nous présente en Lc 12, 22-24, également de la source Q:

    Luc 12, 4-7Luc 12, 23-24
    4b Ne craignez rien de ceux qui tuent…23b Ne vous inquiétez pas pour la vie de ce que vous mangerez…
    5 Est-ce cinq moineaux ne se vendent pas deux as? Et pas un n’est oublié en face de Dieu.24a Observez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent et Dieu les nourrit…
    7b Ne craignez pas, vous valez mieux que (ou différez de) beaucoup de moineaux.24c Que vous valez plus que ou différez de) des oiseaux!

    Ainsi, devant les dangers qui attendent les disciples, ceux-ci peuvent être assurés de la protection de Dieu. Les modifications des évangélistes sont mineures. Ainsi, Luc a remplacé l'expression sémitique « ne tombera-t-il pas au sol sans votre Père » (voir Am 3, 5: « Un oiseau tombe-t-il à terre sur un piège sans qu’il y ait un appât ? ») par l'expression « n'est oublié en face de Dieu » et où il utilise une préposition fréquente de son vocabulaire : en face de (enōpion) qui remplace celle de la source Q : devant (emprosthen).

  • Mt 10, 32-33; 12, 32 || Lc 12, 8-10 (qui me reconnaît devant les hommes). Il y a ici deux logia que l'auteur de la source Q aurait réunis, car la parole de Jésus sur la faute contre l'esprit ne fait pas totalement corps avec celle sur le reniement, même si on comprend qu'il peut y avoir un certain lien. Et Matthieu ne s'est pas gêné pour placer le logion sur la faute contre l'esprit dans un autre contexte.

    • Commençons avec Mt 10, 32-33 || Lc 12, 8-9. L'atmosphère est la même que celle que nous avions au début avec l'exhortation à ne pas craindre ceux qui peuvent tuer le corps, mais à craindre ceux qui peuvent jeter dans la géhenne. Sur le plan du style, on reconnaît une formulation antithétique facile à mémoriser: qui me reconnaît devant les hommes... je le reconnaîtrai (lors du jugement); qui ne me reconnaît pas (i.e. me renie)... je ne le reconnaîtrait pas (i.e. renierai)(lors du jugement). Voilà une parole qui a pu avoir une vie indépendante, mais l'auteur de la source Q l'a placée dans son contexte de persécutions, insistant sur le fait que la position qu'on prend face à Jésus a des conséquences après la mort. Ici, on ne spécifie pas de quel jugement il s'agit, celui lors du retour triomphal du Christ, ou celui qui suit la mort. Comme Matthieu situe cette péricope dans le contexte du discours missionnaire, on peut penser que le Jésus de Matthieu vise à soutenir le témoignage de ses envoyés avec la garantie qu'ils auront en lui un avocat lors du jugement dans l’autre vie. En même temps, il est surprenant que le reniement de certains soient évoqués, mais cela était sans doute possible comme Pierre en est l’exemple. Chez Luc, le contexte est celui du discours de Jésus à ses disciples concernant les pharisiens. Il faut imaginer que le reniement possible serait la conséquence de la pression exercée par les Pharisiens. Notons que Matthieu et Luc ont une formulation très semblable, mais Matthieu a introduit son expression familière : « mon Père qui est dans les cieux », alors que Luc a probablement conservé l’expression de la source Q : « les anges de Dieu », un écho du monde biblique où les anges font partie de la cour de Dieu comme celui d’un roi, et donc participent au jugement, comme on le voit en Job 2, 1 (« Le jour advint où les Fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur. Le Satan vint aussi parmi eux à l’audience du Seigneur »). Notons que c’est probablement Luc qui a remplacé le verbe arneomai (renier) par aparneomai (renier complètement) pour donner une plus grande force au jugement de Jésus, tout comme il a remplacé emprosthen (devant) par enōpion (en face de) comme il l’a fait précédemment.

    • Mt 12, 32 || Lc 12, 10 sur la faute contre l’esprit reflète une ancienne tradition qu’on retrouve également en Mc 3, 28-29. Mais il est important de préciser que la notion d’esprit, ou encore d’esprit saint, n’est pas celle qui sera développée beaucoup plus tard avec celle de la troisième personne de la trinité. D’ailleurs, très souvent l’expression « esprit saint » n’a pas d’article, et donc devrait être traduit par : un esprit saint. De quoi s’agit-il? Le mot « esprit » signifie : souffle, et « saint » désigne Dieu. Ainsi, il s’agit du souffle de Dieu qui intervient intérieurement pour guider les humains. Que signifie donc une faute contre ce souffle de Dieu? Cette faute est mise en contraste avec une parole contre le fils de l’homme. Or, une parole contre le fils de l’homme peut être n’importe quoi comme on le voit régulièrement dans les évangiles : lui reprocher de manger avec les pécheurs ou de ne pas respecter les règles de pureté rituelle, guérir un jour de sabbat ou pardonner aux pécheurs. Ces reproches naissent d’événements extérieurs qui heurtent les convictions d’une personne. Mais parler du souffle de Dieu, c’est parler d’un événement intérieur, et donc de l’action même de Dieu dans le cœur d’une personne. Or si une personne refuse cette action, jamais elle ne sera en mesure d’accueillir le royaume de Dieu ou toute parole sortant de la bouche de Jésus. Il semble que l’auteur de la source Q a vu un lien entre le refus du souffle de Dieu et le reniement, qui est un refus de reconnaître Jésus sous la pression de la persécution. Bien sûr, ce n’est pas la même chose, car le refus du souffle de Dieu n’est pas associé à une persécution. Mais, probablement pour l’auteur de la source Q, il fait partie avec le reniement du péché des hommes, même s’il est beaucoup plus grave. Matthieu a placé cette parole, tout comme Marc d’ailleurs, dans le contexte d’un controverse avec les Pharisiens à propos des exorcismes de Jésus qui seraient l’œuvre de Béelzéboul. Après la déconstruction de l’argument de des Pharisiens, donc après la démonstration de son côté illogique, cette faute contre le souffle de Dieu est insérée : la faute n’est plus au niveau de l’intelligence, mais du cœur qui refuse la lumière offerte. Chez Luc, le discours de Jésus faisait référence aux Pharisiens au tout début, et donc il est possible que la faute contre le souffle de Dieu entende expliquer leur attitude. Notons que la formulation de cette faute chez Matthieu et Luc est assez semblable, sauf que Matthieu semble avoir fusionné avec la source Q une formulation (« ni en cette ère ni en celle qui vient ») qui provient de Marc 3, 29.

  • Mt 10, 19-20 || Lc 12, 11-12 (ne vous souciez pas quoi dire). L'auteur de la source Q nous garde dans un contexte de persécution avec ce logion. Comme il l'a fait auparavant, il donne l'assurance du soutien de Dieu. Matthieu a inséré ce logion dans son discours missionnaire aux disciples, après que Jésus les eût averti qu'ils seront livrés aux sanhédrins, flagellés dans les synagogues et conduits devant les gouverneurs et les rois. Mais ils peuvent être assurés du soutien de Dieu, non pas pour éviter la souffrance, mais pour savoir ce qu'il faut dire comme témoignage. Chez Luc, Jésus s'adresse également aux disciples, mais comme le contexte est celui d'une référence aux Pharisiens, les « persécuteurs » sont identifiés aux Pharisiens, et c’est pour leur faire face que le soutien de la force ou du souffle de Dieu est assuré. Notons que si l'idée est la même chez Matthieu et Luc, il y a certaines divergences dans la formulation. Signalons les plus notables.

    • Le texte de Luc fait référence aux « synagogues, magistrats et autorités », alors que ce détail est absent de Matthieu. Nous avons ici un écho d'une situation qu'a vécu Paul et que probablement plusieurs chrétiens de l'Église primitive ont vécu. Il est probable que cette référence provient de la source Q, car ce vocabulaire n'est pas celui de Luc. Alors c'est Matthieu qui aurait éliminé cette référence et cela se comprend parfaitement: Matthieu a inséré ce logion après les versets où il décrit les disciples livrés aux tribunaux, aux synagogues, aux gouverneurs et aux rois, et donc la référence de la source Q devenait totalement redondante.

    • Alors que Luc au v. 12 parle du saint esprit, un reflet probable du texte de la source Q, Matthieu parle plutôt de l'esprit de votre Père. Cela est typique de Matthieu qui aime insister sur l'action de notre Père dans les cieux. Mais c'est la même réalité décrite, car le mot « saint » désigne Dieu, et donc l’expression « esprit saint » signifie : l’esprit ou le souffle de Dieu. Luc et Matthieu affirment donc que Dieu (Père) inspirera ce qu'il faut lorsque les disciples auront à témoigner.

    • On note aussi le vocabulaire lucanien: « qu’ils vous introduisent », « vous plaideriez », « enseignera », « il est nécessaire ».

    On aura noté les nombreux mots soulignés, surtout chez Matthieu, indications des parallèles avec Mc 13, 11. Qu'est-ce à dire? On pourrait avoir l'impression que Matthieu aurait modifié la source Q pour l'adapter au texte de Marc. Mais selon M.E. Boismard (op. cit., p. 363), c'est plutôt l'inverse: le texte de Mt 10, 19-20 serait un écho de la source Q et proviendrait d'une première édition de l'évangile de Matthieu (appelée Mt-intermédiaire) et l'ultime rédacteur de Marc aurait connu cette édition, et donc aurait inséré ce texte de Mt 10, 19-20 dans son grand discours eschatologique.

29. Ne vous inquiétez pas pour le corps ; considérez les lys des champs ; le Père sait ce dont vous avez besoin

MatthieuLucMatthieuLuc
6, 25a Dia touto legō hymin• mē merimnate tē psychē hymōn ti phagēte [ē ti piēte], mēde tō sōmati hymōn ti endysēsthe. 12, 22 Eipen de pros tous mathētas [autou]• dia touto legō hymin• mē merimnate tē psychē ti phagēte, mēde tō sōmati ti endysēsthe. 6, 25a C'est pourquoi je dis à vous, ne vous souciez pas de la vie de vous quoi vous pourriez manger [ou quoi vous pourriez boire], ni pour le corps de vous quoi vous pourriez revêtir.12, 22 Puis, il dit à l'adresse des disciples [de lui]: "C'est pourquoi je dis à vous, ne vous souciez pas de la vie, quoi vous pourriez manger, ni pour le corps quoi vous pourriez revêtir.
6, 25b ouchi hē psychē pleion estin tēs trophēs kai to sōma tou endymatos; 12, 23 gar psychē pleion estin tēs trophēs kai to sōma tou endymatos. 6, 25b La vie plus n'est-elle pas que la nourriture et le corps (plus) que le vêtement?12, 23 Car la vie plus est que la nourriture et le corps (plus) que le vêtement.
6, 26 emblepsate eis ta peteina tou ouranou hoti ou speirousin oude therizousin oude synagousin eis apothēkas, kai ho patēr hymōn ho ouranios trephei auta• ouch hymeis mallon diapherete autōn; 12, 24 katanoēsate tous korakas hoti ou speirousin oude therizousin, hois ouk estin tameion oude apothēkē, kai ho theos trephei autous• posō mallon hymeis diapherete tōn peteinōn. 6, 26 Regardez vers les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent ni ne rassemblent vers des greniers, et le père de vous le céleste nourrit eux. Vous, plus encore ne valez-vous pas qu'eux?12, 24 Observez les corbeaux qui ne sèment pas ni ne moissonnent, à eux il n'est pas de cellier ni grenier, et le Dieu nourrit eux. Combien, vous, vous valez encore plus que les oiseaux.
6, 27 tis de ex hymōn merimnōn dynatai prostheinai epi tēn hēlikian autou pēchyn hena; 12, 25 tis de ex hymōn merimnōn dynatai epi tēn hēlikian autou prostheinai pēchyn; 6, 27 Puis, qui parmi vous, en se souciant, il est capable d'ajouter la durée de vie de lui une coudée, une (seule)?12, 25 Puis, qui parmi vous, en se souciant, il est capable sur la durée de vie de lui d'ajouter une coudée?
6, 28a kai peri endymatos ti merimnate; 12, 26 ei oun oude elachiston dynasthe, ti peri tōn loipōn merimnate; 6, 28a Et au sujet du vêtement, pourquoi vous souciez?12, 26 Donc, si pas même la moindre chose vous êtes capable, pourquoi au sujet des choses qui restent vous souciez?
6, 28b-29 katamathete ta krina tou agrou pōs auxanousin• ou kopiōsin oude nēthousin• legō de hymin hoti oude Solomōn en pasē tē doxē autou periebaleto hōs hen toutōn. 12, 27 katanoēsate ta krina pōs auxanei• ou kopia oude nēthei• legō de hymin, oude Solomōn en pasē tē doxē autou periebaleto hōs hen toutōn. 6, 28b-29 Instruisez-vous des lis du champ, comment ils croissent. Ils ne se fatiguent pas ni ne filent. Puis, je dis à vous que pas même Salomon dans toute la gloire de lui n'a été vêtu comme un de ceux-là.12, 27 Instruisez-vous des lis comment cela croît. Cela ne se fatigue pas ni ne file. Puis Je dis à vous, pas même Salomon dans toute la gloire de lui n'a été vêtu comme un de ceux-là.
6, 30 ei de ton chorton tou agrou sēmeron onta kai ayrion eis klibanon ballomenon ho theos houtōs amphiennysin, ou pollō mallon hymas, oligopistoi; 12, 28 ei de en agrō ton chorton onta sēmeron kai ayrion eis klibanon ballomenon ho theos houtōs amphiezei, posō mallon hymas, oligopistoi. 6, 30 Puis, si l'herbe du champ, aujourd'hui étant et demain vers un four étant jeté, le Dieu ainsi habille, (ne le fait-il) pas encore beaucoup plus pour vous, (gens) de peu de foi?12, 28 Puis, si dans un champ l'herbe étant aujourd'hui et demain vers un four étant jeté, le Dieu ainsi habille, combien plus encore pour vous, (gens) de peu de foi.
6, 31 mē oun merimnēsēte legontes• ti phagōmen? ē• ti piōmen? ē• ti peribalōmetha; 12, 29 kai hymeis mē zēteite ti phagēte kai ti piēte kai mē meteōrizesthe• 6, 31 Donc, vous ne devriez pas vous soucier en disant: "Quoi devrions-nous manger? Ou que devrions-nous boire? Ou que devrions-nous revêtir?"12, 29 Et vous, ne cherchez pas quoi vous devriez manger et quoi vous devriez boire et ne soyez pas suspendu (d'inquiétude).
6, 32 panta gar tauta ta ethnē epizētousinoiden gar ho patēr hymōn ho ouranios hoti chrēzete toutōn hapantōn. 12, 30 tauta gar panta ta ethnē tou kosmou epizētousin, hymōn de ho patēr oiden hoti chrēzete toutōn. 6, 32 Car toutes ces choses-là les nations recherchent. Car sait le Père de vous le céleste que vous avez besoin de toutes ces choses.12, 30 Car toutes ces choses les nations du monde recherchent, puis de vous le père sait que vous avez besoin de ces choses.
6, 33 zēteite de prōton tēn basileian [tou theou] kai tēn dikaiosynēn autou, kai tauta panta prostethēsetai hymin. 12, 31 plēn zēteite tēn basileian autou, kai tauta prostethēsetai hymin. 6, 33 Puis, cherchez d'abord le règne [de Dieu] et la justice de lui, et toutes ces choses, ce sera donné en plus à vous.12, 31 Aussi, cherchez le règne de lui, et ces choses, ce sera donné en plus à vous.

Commentaire

  • On peut déceler dans cette péricope de la source Q une certaine structure. En voici une possible.
    1. Exortation à ne pas se soucier de se nourrir et de se vêtir
    2. Justification
      1. La nourriture est au service de la vie, et non l'inverse
      2. Le vêtement est au service de corps, et non l'inverse
    3. Des exemples
      1. Exemple concernant la nourriture
        1. Situation: les oiseaux ne travaillent pas comme les agriculteurs, pourtant Dieu s'occupe de les nourrir
        2. Conclusion a fortiori: vous valez plus que les oiseaux aux yeux de Dieu
        Interpollation: exemple de l'inutilité des soucis pour allonger sa vie
      2. Exemple concernant le vêtement
        1. Situation: les lis ne travaillent pas pour faire des vêtements, pourtant ils sont mieux habillés que le plus grand des rois
        2. Conclusion a fortiori: si Dieu s’occupe ainsi des plantes éphémères, combien plus il s’occupera de vous
    4. Conclusion générale: Retour sur l'exhortation initiale et proposition de la véritable priorité
      1. Ne recherchez pas ce que tous paîens recherchent, car votre Père connaît vos besoins
      2. Recherchez d'abord le règne de Dieu, le reste vous sera donné en plus

  • Matthieu et Luc ont inséré cette péricope dans des contextes différents. Matthieu l'a insérée dans son sermon sur la montagne, après l'avertissement qu'on ne peut servir Dieu et l'argent. Dès lors, cette péricope offre aux disciples une voie pour se libérer de l'emprise de l'argent. Luc l'a inséré dans un discours qui est une réponse à quelqu'un de la foule qui demande à Jésus de dire à son frère de partager avec lui l'héritage. Alors Jésus commence par exhorter à se garder de toute avidité, car la vie n'est pas garantie par ses biens, puis présente la parabole du riche insensé dont les terres ont beaucoup rapporté, mais meurt avant de jouir du résultat; c'est à ce moment-ci que Luc insère notre péricope. Ainsi, il est mis en contraste avec l'homme dont les terres ont beaucoup rapporté et qui se met en peine d'agrandir ses greniers.

  • Cette péricope de la source Q reçoit un écho chez Justin de Naplouse, aussi appelé Justin Martyr (100-165), qui la formule ainsi:
    Ne vous inquiétez pas
    de ce que vous mangerez
    ou de quoi vous vous vêtirez;
    ne valez-vous pas plus,
    vous que les oiseaux et les bêtes sauvage?
    Et Dieu les nourrit.

    Selon M.E. Boismard (op.cit., p. 281-282), Justin a l'habitude de citer assez fidèlement la source Q, et cela l'amène à se demander si tout le reste de notre péricope ne comprend pas plusieurs additions à la version originelle de la source Q, des additions qu'aurait fait l'auteur de la première édition de l'évangile de Matthieu (appelée Mt-intermédiaire) et que copie Luc. Sans aller jusque là, nous pouvons faire deux observations.

    • Le logion Mt 6, 25b || Lc 12, 33 (Car la vie plus est que la nourriture et le corps que le vêtement), que nous avons considéré comme une justification de l'exhortation initiale, cadre mal avec l'ensemble. D'une part, elle détonne avec l'argument central qui est d'ordre champêtre: si Dieu s'occupe des oiseaux et des plantes, combien il s'occupera d'avantage des humains. D'autre part, elle est d'ordre philosophique (la vie est supérieure à la nourriture, le corps supérieur aux vêtements), et convaincra difficilement l'auditoire habituel de Jésus. On peut accepter l'argument de Boismard qu'il proviendrait de Mt-intermédaire (et que Luc copie), d'autant plus qu'il est le seul dans les évangiles à utiliser le mot: vêtement (endyma) (la seule autre occurrence est ici chez Luc, alors qu'il copie le Mt-intermédiaire) et l'opposition: âme-vie/corps (la seule autre occurrence est ici chez Luc, alors qu'il copie le Mt-intermédiaire). Alors il est possible que Mt 6, 25b || Lc 12, 33 ne fait pas partie du texte originel de la source Q et serait une addition du Mt-intermédiaire.

      Le logion Mt 6, 27 || Lc 12, 25 (qui parmi vous, en se souciant, est capable d'ajouter une coudée à sa durée de vie). Dans notre proposition d'une structure possible de la péricope, il nous a fallu la placer comme interpolation, tellement elle ne cadrait pas avec le mouvement de l'argumentaire centré sur les oiseaux et les plantes. Ce logion a probablement eut une vie indépendante, et elle a été rattachée à cette péricope par le mot-crochet « se soucier », et donc venait renforcer l'inutilité des soucis. Si on en croit Boismard, cette addition serait l'oeuvre du Mt-intermédiaire que copie Luc.

  • Mt 6, 32-33 || Lc 12, 30-31 (Car toutes ces choses-là les nations recherchent...). Cette conclusion insiste sur deux points: 1) pour la vie physique, inutile de demander, Dieu y pourvoit déjà; la priorité de tous les efforts doit concerner le règne de Dieu. On aura remarqué que Matthieu ajoute « et sa justice ». En fait il s'agit simplement d'un synonyme du règne de Dieu en relation avec la vie pratique, i.e. ce que le règne de Dieu implique sur la vie de tous les jours. Dans son ensemble, cette péricope ne fait que refléter la vie de Jésus et ce qui fut sa priorité. C'est un appel à le suivre sur le chemin qui fut le sien.

30. Pas de trésors sur la terre mais dans le ciel

MatthieuLucMatthieuLuc
6, 19 Mē thēsaurizete hymin thēsaurous epi tēs gēs, hopou sēs kai brōsis aphanizei kai hopou kleptai dioryssousin kai kleptousin• 12, 33a Pōlēsate ta hyparchonta hymōn kai dote eleēmosynēn• poiēsate heautois ballantia mē palaioumena, 6, 19 Ne thésaurisez pas à vous des trésors sur la terre, où mite et décomposition ça détruit et où des voleurs percent et volent.12, 33a Vendez les possessions de vous et donnez une aumône. Faites à vous-mêmes des bourses ne devenant pas périmée,
6, 20 thēsaurizete de hymin thēsaurous en ouranō, hopou oute sēs oute brōsis aphanizei kai hopou kleptai ou dioryssousin oude kleptousin• 12, 33b thēsauron anekleipton en tois ouranois, hopou kleptēs ouk engizei oude sēs diaphtheirei• 6, 20 Puis, thésaurisez à vous des trésors dans ciel, où ni mite ni décomposition (ça) détruit et où voleurs ne percent ni volent.12, 33b un trésor inépuisable dans les cieux, là un voleur ne s'approche pas ni une mite endommage.
6, 21 hopou gar estin ho thēsauros sou, ekei estai kai hē kardia sou.12, 34 hopou gar estin ho thēsauros hymōn, ekei kai hē kardia hymōn estai.6, 21 Car là où est un trésor de toi, là sera aussi le cœur de toi.12, 34 Car là où est le trésor de vous, là aussi le cœur de vous sera.

Commentaire

  • Les idées exprimées par cette péricope ne sont pas nouvelles, car on les retrouve déjà dans la tradition sapientielle:
    Fais l'aumône de tes possessions ; et quand tu fais l'aumône, que ton œil ne soit pas envieux, et ne détourne pas ton visage d'un pauvre, et la face de Dieu ne se détournera pas de toi ... ne crains pas de faire l’aumône selon ce peu de possession. Car tu thésaurise pour le jour de la nécessité. (Tb 4, 7-9)

    Sois prêt à perdre de l’argent pour un frère ou un ami, plutôt que de le perdre en le laissant rouiller sous une pierre. Dispose de ton trésor selon les préceptes du Très-Haut : ainsi te sera-t-il plus profitable que l’or. Enferme tes aumônes dans tes greniers ; ce sont elles qui te délivreront de tout malheur. (Si 29, 10-12)

    Comme la croyance en une vie après la mort n'est pas encore développée, amasser un trésor aux de Dieu signfie simplement que Dieu viendra à notre aide quand à notre tour nous serons dans le besoin. Chez Ben Sirach s'ajoute l'idée de la rouille qui s'accumule sur l'argent qu'au thésaurise. Il faut attendre la période apocalyptique (2e siècle av. JC au 2e siècle de notre ère) et la croyance en une vie après la mort pour voir se développer l'idée d'un trésor au ciel.

    Les justes attendent volontiers la fin et quittent sans crainte cette vie parce qu'ils ont un trésor de bonnes oeuvres auprès de toi... (Apoc. Baruch 14, 12)

    (C'est le roi Monobaze qui parle, après avoir distribué tous ses biens en aumône) ...mes pères ont amassé des trésors dans ce monde en moi j'ai amassé des trésors pour le monde à venir; non que l'aummône délivre de la mort, mais elle donne de ne pas mourir au futur à venir (Talmud de Jérusalem, Peah 4, 18)

  • Matthieu et Luc ont placé cette péricope dans des contextes différents. Matthieu l'a placée dans son sermon sur la montagne, après que Jésus eût montré l'attitude à avoir face aux trois grandes pratiques du judaïsme: l'aumône, la prière et le jeûne; à chaque fois, Jésus insiste pour dire que ces pratiques doivent être faites en secret, et le Père, qui voit dans le secret, verra à leur donner une suite. Dès lors, parler d'un trésor dans le ciel est une suite logique: toute action vise à plaire à Dieu qui voit tout et n'oublie rien. Luc, pour sa part, insère cette péricope à la suite de celle invitant à éviter les soucis et à se fier à la providence de Dieu, et donc ouvre logiquement sur l'idée qu'accumuler les possessions est totalement inutile, et donc qu'il vaut mieux les donner en aumône, et que les seules richesses sont au ciel.

  • La péricope comporte deux parties: Mt 6, 19-20 || Lc 12, 33 (se faire un trésor au ciel) et Mt 6, 21 || Lc 12, 34 (là où est ton trésor).
    • Ce qui retient l'attention avec Mt 6, 19-20 || Lc 12, 33 est la différence entre le texte des deux évangélistes. En particulier, Matthieu nous présente un texte avec un paralléliste parfaitement binaire:
      Mt 6, 19Mt 6, 20
      Ne vous thésaurisez pas Thésaurisez vous
      des trésors sur la terre, des trésors dans ciel,
      où mite et décomposition détruisentoù ni mite ni décomposition détruisent
      et où des voleurs percent et volent.et où voleurs ne percent ni volent.

      Ce parallélisme n'est pas nécessairement un indice d'ancienneté, car Matthieu est capable de créer de telles parallélismes comme on peut le voir dans le sermon sur la montange: « Vous avez appris… moi je vous dis ». De plus, on comprendrait mal que Luc ait éliminé ce parallélisme s'il avait été présent dans la source Q. Notons qu'on trouve dans le texte de Luc l'expression « dans les cieux », une expression sémitique à laquelle il préfère presque toujours « dans le ciel », et donc serait un indice d'ancienneté (chez Matthieu on a presque toujours le pluriel « les cieux » typique du judaïsme, mais le singulier « le ciel » ici s'expliquerai par le fait que « ciel » est toujours au singulier quand il est opposé à la terre). Aussi, il est plus probable que c'est Luc qui a mieux préservé la formulation de la source Q.

      Malgré tout, on note le travail éditorial de Luc: le verbe « percer » (qui est approprié pour les maisons palestiniennes) a été remplacé par « s’approcher »; il utilise des expressions de son vocabulaire « les bourses qui deviennent périmées », « inépuisable » (un écho à Sg 7, 14 sur la sagesse).

    • Mt 6, 21 || Lc 12, 34 introduit une nouvelle idée: le trésor n'est plus ce que Dieu donnera en retour, mais ce que nous valorisons en cette vie en nous y attachant, et vient du coeur, principe de la direction que nous donnons à notre vie et qui nous fait agir. L'indice qu'il s'agit d'un logion indépendant est donné par le fait qu'il était à la 2e personne du singulier : « ton trésor », comme on le voit chez Matthieu, alors que toute la péricope est à la 2e personne du pluriel (Luc a veillé à l'harmoniser avec le reste). Ce logion a probablement été ajouté par l'auteur de la source Q en raison du mot-crochet: trésor. En l'ajoutant comme conclusion à la péricope, l'auteur de la source Q lui a donné une nouvelle signification : après avoir mis la priorité sur le trésor du ciel, le coeur s'orientera forcément vers le ciel et en fera sa direction et le principe de son action.

31. Maître de maison et voleur ; fidèle serviteur se préparant à la venue du maître

MatthieuLucMatthieuLuc
24, 43 Ekeino de ginōskete hoti ei ēdei ho oikodespotēs poia phylakē ho kleptēs erchetai, egrēgorēsen an kai ouk an eiasen diorychthēnai tēn oikian autou. 12, 39 touto de ginōskete hoti ei ēdei ho oikodespotēs poia hōra ho kleptēs erchetai, ouk an aphēken diorychthēnai ton oikon autou. 24, 43 "Puis cette chose-là sachez que que s'il avait su le maître de maison à quelle garde (de la nuit) le voleur vient, il aurait veillé le cas échéant et le cas échéant il n'aurait pas permis être percé la maison de lui.12, 39 "Puis, ceci sachez que s'il avait sur le maître de maison à quelle heure le voleur vient, le cas échéant il n'aurait pas laissé être percée la maison de lui.
24, 44 dia touto kai hymeis ginesthe hetoimoi, hoti hē ou dokeite hōra ho huios tou anthrōpou erchetai.12, 40 kai hymeis ginesthe hetoimoi, hoti hē hōra ou dokeite ho huios tou anthrōpou erchetai.24, 44 C'est pourquoi aussi vous-même devenez prêts, car à l'heure que vous ne pensez pas le fils de l'homme vient.12, 40 Et vous-même devenez prêts, car à l'heure que vous ne pensez pas le fils de l'homme vient".
 12, 41-42a Eipen de ho Petros• kyrie, pros hēmas tēn parabolēn tautēn legeis ē kai pros pantas; kai eipen ho kyrios•, 12, 41-42a Puis il dit le Pierre: "Seigneur, à l'adresse de nous la parabole-là tu dis ou aussi à l'adresse de tous?" Et dit le Seigneur:
24, 45 Tis ara estin ho pistos doulos kai phronimos hon katestēsen ho kyrios epi tēs oiketeias autou tou dounai autois tēn trophēn en kairō; 12, 42b tis ara estin ho pistos oikonomos ho phronimos, hon katastēsei ho kyrios epi tēs therapeias autou tou didonai en kairō [to] sitometrion; 24, 45 Qui par conséquent est le fidèle serviteur et sage qu'a établi le seigneur sur la domesticité de lui pour donner à eux la nourriture au bon moment?12, 42b "Qui par conséquent est le fidèle intendant le sage qu'il établira le seigneur sur la maisonnée de lui pour donner au bon moment [la] ration de blé?
24, 46 makarios ho doulos ekeinos hon elthōn ho kyrios autou heurēsei houtōs poiounta12, 43 makarios ho doulos ekeinos, hon elthōn ho kyrios autou heurēsei poiounta houtōs. 24, 46 Heureux le serviteur celui-là que, étant venu le seigneur de lui, il trouvera ainsi faisant.12, 43 Heureux le serviteur celui-là que, étant venu le seigneur de lui, il trouvera faisant ainsi.
24, 47 amēn legō hymin hoti epi pasin tois hyparchousin autou katastēsei auton. 12, 44 alēthōs legō hymin hoti epi pasin tois hyparchousin autou katastēsei auton. 24, 47 Amen je dis à vous que sur toutes les choses possédant de lui il établira lui.12, 44 Vraiment je dis à vous que sur toutes les choses possédant de lui il établira lui.
24, 48-49 ean de eipē ho kakos doulos ekeinos en tē kardia autou• chronizei mou ho kyrios, kai arxētai typtein tous syndoulous autou, esthiē de kai pinē meta tōn methyontōn, 12, 45 ean de eipē ho doulos ekeinos en tē kardia autou• chronizei ho kyrios mou erchesthai, kai arxētai typtein tous paidas kai tas paidiskas, esthiein te kai pinein kai methyskesthai, 24, 48-49 Puis, s'il disait le mauvais serviteur celui-là dans le cœur de lui: 'Il tarde de moi le seigneur', et qu'il commence à frapper les compagnons de service de lui, puis qu'il mange et qu'il boive avec ceux étant ivres, 12, 45 Puis, s'il disait le serviteur celui-là dans le cœur de lui: 'Il tarde de seigneur de moi à venir', et qu'il commence à frapper les servants et les servantes, à manger comme aussi à boire et à s'enivrer.
24, 50-51 hēxei ho kyrios tou doulou ekeinou en hēmera hē ou prosdoka kai en hōra hē ou ginōskei, kai dichotomēsei auton kai to meros autou meta tōn hypokritōn thēsei• ekei estai ho klauthmos kai ho brygmos tōn odontōn.12, 46 hēxei ho kyrios tou doulou ekeinou en hēmera hē ou prosdoka kai en hōra hē ou ginōskei, kai dichotomēsei auton kai to meros autou meta tōn apistōn thēsei.24, 50-51 il viendra le seigneur du serviteur celui-là dans un jour qu'il n'attend pas et à une heure qu'il ne connaît pas, et il retranchera lui et la part de lui avec les hypocrites il placera. Là sera les pleurs et le grincement des dents."12, 46 il viendra le seigneur du serviteur celui-là dans un jour qu'il n'attend pas et à une heure qu'il ne connaît pas, et il retranchera lui et la part de lui avec les infidèles il placera."

Commentaire

  • Cette péricope nous présente deux paraboles que Luc a pris soint de séparer. Il y a d'abord la parabole de Mt 24, 43-44 || Lc 12, 39-40 centrée sur l'événement d'une maison qui a été cambriolée, et celle de Mt 24, 45-51 || Lc 12, 42-46 centrée sur un intendant qui reçoit la responsabilité de la gouvernance d'une maisonnée pendant l'absence du maître.

  • Cette péricope qui provient de la source Q a été insérée dans des contextes différents chez Matthieu et Luc. Matthieu l'a placée dans son discours eschatologique, alors que Jésus est à Jérusalem, quelques jours avant sa mort. Jésus vient d'affirmer que nul ne connaît le jour et l'heure de la venue du fils de l'homme, et donne l'exemple du déluge au temps de Noé qui est arrivé sans qu'on doute de quoi que ce soit, avant d'exhorter à veiller. Ainsi, le contexte est celui d'une catastrophe où il faut éviter d'être pris au dépourvu. Cette atmosphère se prolonge avec l'image du voleur dans notre péricope. Luc a placé cette péricope dans une suite d'enseignements de Jésus alors qu'il est en marche vers Jérusalem, qu'il atteindra seulement dix chapitres plus tard, où est concentré l'héritage qu'il veut laisser à ses disciples sur la vie chrétienne. Il vient de les exhorter (Lc 12, 35) à rester en tenue de travail et garder les lampes allumées pour accueillir le maître au retour des noces peu importe l'heure de la nuit. Dès lors, la première parabole, même si elle parle de voleur, est placée dans le contexte positif du retour des noces du maître.

  • Dans la source Q, il est possible que la première parabole de Mt 24, 43-44 || Lc 12, 39-40 suivait immédiatement le texte sur le trésor dans le ciel que le voleur ne peut n'y percer ni voler, et donc la transition se faisait par les mots-crochets « voleur », « percer » et « voler ». Que représente la figure du voleur de la parabole? On peut imaginer que la maison représente sa propre personne, et donc l'action de « percer » ou « voler » renvoie à la mort physique. Dans ce cas, que signifie le « devenez prêts »? Comme l'auteur de la source Q parle du retour du fils de l'homme, il s'agit donc de faire face à la figure du juge, et donc de présenter une vie orientée vers le chemin qu'il a proposé et d'avoir un bon trésor dans le ciel. Matthieu a renforcé cette signification en insérant cette parabole dans son discours sur la fin des temps, décrivant le jugement par la scène où deux personnes, exerçant la même activité, l'une est choisie et l'autre rejetée et en concluant: « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir ». Pour montrer le lien de la parabole avec ce qui précède, il lui ajoute « il aurait veillé ». Luc semble se contenter de reproduire tel quel le texte de la source Q. Mais quelques versets plutôt il a parlé du riche insenté à qui Dieu dit: « Insensé, cette nuit même on te redemande ta vie, et ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? » (Lc 12, 20). Tout cela colore la parabole: nous sommes plus dans un contexte de mort personnelle et de jugement individuel, et la façon d'être prêt est de partager et donner ce qu'on a, alors que c'est encore possible.

  • La parabole de Mt 24, 45-51 || Lc 12, 42-46 a une toute autre signification, car le point de départ est une responsabilité qui a été confiée par le seigneur. L'utilisation par l'auteur de la source Q du titre de « seigneur » n’est pas innocent, car même si le terme peut désigner toute personne, comme notre terme moderne « monsieur » (« mon Seigneur » nous a donné « mon sieur » qui nous a donné « monsieur »), il évoque le Christ ressuscité. Ainsi, pour l'auteur de la source Q, cette période, où le Seigneur est absent, est une période active pour les chrétiens, et non pas une période de relâchement: chacun a sa tâche à exercer. Chez Matthieu, dans le contexte eschatologique où il a inséré la parabole, l'accent est sur le jugement concernant l'agir: celui qui a su faire la volonté du maître sera promu, celui qui a mené une vie dissolue sera retranchée de la communauté, bon seulement à rejoindre les hypocrites ou faux chrétiens. Luc, pour sa part, s'est permis de composer une introduction à la parabole dans un dialogue entre Pierre et Jésus où le chef des apôtres demande si Jésus s'adresse à son groupe particulier, aux responsables de l'Église. La parabole qui suit doit donc être comprise en ce sens. C'est ainsi que chez Luc le serviteur devient un « intendant », une fonction que Paul se donne à lui-même (1 Co 4, 1-2), que la lettre de Titre attribut aux « épiscopes » (Tt 1, 7); d'après 1 P 4, 2, c'est ainsi que l'on considérait les différentes fonctions dans la communauté chrétienne, comme un exercice d'intendance. Ainsi, la responsabilité confiée par le Seigneur ne s'exerce plus vis-à-vis des « compagnons », i.e. des égaux, comme chez Matthieu, mais vis-à-vis des « servant » et « servantes », donc des gens d'un rang subalterne. Chez Luc, il s'agit donc d'une parabole à l'adresse des responsables des communautés chrétiennes les mettant en garde contre l'échec à exercer adéquatement leur responsabilité, à nourrir la foi des chrétiens, auquel cas ils ne seront pas mieux que les non chrétiens, et donc devraient les rejoindre.

32. Ne vient pas apporter la paix mais l'épée ; divisions familiales

MatthieuLucMatthieuLuc
10, 34 Mē nomisēte hoti ēlthon balein eirēnēn epi n n• ouk ēlthon balein eirēnēn alla machairan. 12, 51 dokeite hoti eirēnēn paregenomēn dounai en tē gē; ouchi, legō hymin, allʼ ē diamerismon. 10, 34 Que vous ne croyiez pas que je suis venu jeter une paix sur la terre. Je ne suis pas venu jeter une paix mais une épée.12, 51 Pensez-vous qu'une paix je me suis présenté pour donner à la terre? Non, je dis à vous, mais plutôt une division.
10, 35a ēlthon gar12, 52 esontai gar apo tou nyn pente en heni oikō diamemerismenoi, treis epi dysin kai dyo epi trisin, 10, 35a Car je suis venu12, 52 Car ils seront à partir du maintenant cinq dans une seule maison ayant été divisés, trois sur deux et deux sur trois.
10, 35b-36 dichasai anthrōpon kata tou patros autou kai thygatera kata s mētros autēs kai nymphēn kata s pentheras autēs, kai echthroi tou anthrōpou hoi oikiakoi autou.12, 53 diameristhēsontai patēr epi huiō kai huios epi patri, mētēr epi tēn thygatera kai thygatēr epi n mētera, penthera epi tēn nymphēn autēs kai nymphē epi n pentheran.10, 35b-36 séparer un homme contre le père de lui et une fille contre la mère d'elle et une bru contre la belle-mère d'elle, et des ennemis de l'homme (seront) les membres de la famille de lui.12, 53 Ils seront divisés un père sur un fils et un fils sur un père, une mère sur la fille et une fille sur la mère, une belle-mère sur la bru d'elle et une bru sur la belle-mère.

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q comporte deux parties: d'abord un logion (Mt 10, 34 || Lc 12, 51) où Jésus aurait affirmé que ses actions et ses paroles seraient une source de division, forçant les gens à prendre position par rapport à lui, suivi d'un exemple de division dans une famille (Mt 10, 35-36 || Lc 12, 52-53), un exemple qui est tiré du prophète Michée 7, 6.

  • Cette péricope a été insérée dans deux contextes différents par Matthieu et Luc. Matthieu l'a insérée à la fin de son discours missionnaire du ch. 10, après avoir averti ses envoyés qu'ils connaîtront la persécution et qu'ils auront à témoigner devant les hommes. Dès lors, cette péricope signifie qu'ils n'ont pas à être surpris, car c'est la nature même de l'action et du message de Jésus de créer une telle situation. Chez Luc cette péricope fait suite à la parabole sur l'intendant qui a la responsabilité de nourrir les membres de la maison. Et pour assurer une bonne transition, Luc ajoute un logion où Jésus exprime la signification de sa mission, celle d'allumer un feu sur terre, i.e. l'envoi de l'Esprit Saint qui sera lié à son baptême, i.e. à sa mort. Dès lors, notre péricope vient expliciter la signification de ce feu de l'Esprit, une force transformatrice qui sera source de division, certains la refusant. Tout cela ne fait qu'accentuer les exigences de la responsabilité confiée à l'intendant de la maison.

  • Mt 10, 34 || Lc 12, 51: la formulation du logion de la source Q par Matthieu et Luc est assez semblable. Luc semble un peu mieux respecter la formulation originelle de la source Q, alors que Matthieu emploie une structure qui lui est propre. Comparons Mt 10, 34 et Mt 5, 17 (nous avons souligné les mots identiques).
    Mt 10, 34Mt 5, 17Mt 10, 34M 5, 17
    Mē nomisēte hoti ēlthon balein eirēnēn epi tēn gēnMē nomisēte hoti ēlthon katalysai ton nomon ē tous prophētas•Que vous ne croyiez pas que je suis venu jeter une paix sur la terre.Que vous ne croyiez pas que je suis venu abolir la Loi et les Prophètes.
    ouk ēlthon balein eirēnēn alla machairan.ouk ēlthon katalysai alla plērōsai.Je ne suis pas venu jeter une paix mais une épée.Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.

    Par contre, sur le plan du vocabulaire, Matthieu semble avoir mieux respecté le vocabulaire sémitique de la source Q avec le verbe « jeter » (la paix) et le mot « épée ». Luc, en revanche a opéré certains changements : « je me suis présenté » au lieu de « je suis venu », « donner » au lieu de « jeter », « division » au lieu de « épée ».

  • Mt 10, 35-36 || Lc 12, 52-53 nous offre un exemple de division dans une maison. Cet exemple provient de Mi 7, 6. Rappelons que le prophète dénonce la perversion au sein du peuple, notant que le fidèle a disparu du pays et que les conflits sont généralisés. Remarquons la similitude du vocabulaire avec le texte de la source Q.
    Texte grec de la SeptanteTraduction
    dioti huios atimazei patera, Parce qu’un fils déshonore un père,
    thygatēr epanastēsetai epi tēn mētera autēs, une fille s’élève sur la mère d’elle,
    nymphē epi tēn pentheran autēs, la bru sur la belle-mère d’elle,
    echthroi andros pantes hoi andres hoi en tō oikō autou.tous les hommes ennemis (sont) les hommes ceux dans la maison de lui

    Faisons quelques observations.

    • Reconnaissons d'abord que le contexte de Michée et celui dont parle la source Q n'est pas le même; car celle-ci ne parle pas d'une perversité généralisée, mais du conflit suscité par le fait que certains au sein d'une même famille prendront position pour Jésus, et d'autres contre lui;

    • Luc aurait le mieux respecté le vocabulaire de Michée, et donc probablement de la source Q, avec la préposition epi (sur) pour exprimer l'antagonisme entre deux personnes (être sur une autre personne exprime l'idée d'un combat), alors que Matthieu a opté pour kata (qui décrit un mouvement de haut en bas, un peu la même idée que « sur », mais traduit habituellement par « contre »).

    • En Lc 12, 52, un texte qui n'est pas de la source Q, Luc a amplifié l'exemple en lui donnant d'abord une introduction qu'il aurait composée (une expression comme « à partir du maintenant » [apo tou nyn] est typique de son style) et où il joue au mathématicien. Ainsi, la maison du conflit serait composée de cinq personnes qu'il identifiera au verset suivant: le fils, le père, la mère qui joue également le rôle de belle-mère, et la fille. Puis, il donne le détail du conflit alors que trois personnes forment un groupe uni contre l'autre groupe de deux personnes. On peut être surpris de constater que Luc répète le conflit deux sur trois, après la mention du conflit trois sur deux, comme s'il pouvait y avoir une différence. Il est possible que l'intention de Luc est de montrer l'ampleur du conflit: il ne s'agit pas simplement d'un groupe qui attaque l'autre groupe qui se contente de recevoir passivement l'attaque; car les deux groupes sont actifs dans le conflit.

    • Mt 10, 35 || Lc 12, 53 présentent les personnages du conflit: fils contre père, fille contre mère, bru ou belle-fille contre belle-mère. On aura remarqué qu'à la suite du texte de Michée, c'est la personne la plus jeune qui est en conflit contre la plus âgée, et donc exprime la révolte contre une certaine forme d'autorité. Avec le regroupement de Luc de trois contre deux, c'est le groupe des jeunes contre le groupe des vieux. Peut-on considérer cela comme un écho des conflits religieux où ce sont les plus jeunes qui se sont ouverts à l'enseignement chrétien? Impossible de le confirmer. Comme il l'a fait au verset précédent, Luc répète les personnages qui s'opposent, c'est non seulement père contre fils, mais c'est aussi fils contre père. Pourquoi? Comme nous l'avons fait remarquer, les deux personnages du conflit sont actifs dans cet affrontement pour Luc. Et dans sa présentation du conflit, Luc commence toujours par le plus vieux, peut-être pour identifier d'abord la partie la plus coriace.

    • Dans la présentation des personnages du conflit, Matthieu est peut-être celui qui respecte mieux le texte de la source Q qui devait ressembler au texte de Mi 7, 6, et surtout contenir la mention finale de ennemis au sein de sa famille, une mention que Luc a éliminée sans doute parce qu'elle brouillait le bel ordre arithmétique qu'il voyait dans le conflit.

33. La capacité d'interpréter les signes météorologiques devrait permettre d'interpréter les temps présents

MatthieuLucMatthieuLuc
16, 2 ho de apokritheis eipen autois• opsias genomenēs legete• eudia, pyrrazei gar ho ouranos• 12, 54 Elegen de kai tois ochlois• hotan idēte [tēn] nephelēn anatellousan epi dysmōn, eutheōs legete hoti ombros erchetai, kai ginetai houtōs• 16, 3 Puis, lui, ayant répondu, il dit à eux: "Un soir étant arrivé, vous dîtes: 'Beau temps, car il est rougeoyant le ciel'.12, 54 Puis, il disait aussi aux foules, "Quand vous verriez [le] nuage se levant sur un couchant, aussitôt vous dites qu'une pluie vient et ça advient ainsi.
16, 3a kai prōi• sēmeron cheimōn, pyrrazei gar stygnazōn ho ouranos. 12, 55 kai hotan noton pneonta, legete hoti kausōn estai, kai ginetai. 16, 3a Et tôt le matin: 'Aujourd'hui tempête, car est rougeoyant étant sombre le ciel.'12, 55 Et quand un vent du sud soufflant, vous dites qu'une chaleur sera, et ça advient.
16, 3b to men prosōpon tou ouranou ginōskete diakrinein, ta de sēmeia tōn kairōn ou dynasthe; 12, 56 hypokritai, to prosōpon tēs gēs kai tou ouranou oidate dokimazein, ton kairon de touton pōs ouk oidate dokimazein;16, 3b D'une part, le visage du ciel vous savez discerner, mais d'autre part, les signes des temps vous n'êtes pas capable?12, 56 Hypocrites, le visage de la terre et du ciel vous savez reconnaître, puis le temps celui-là comment ne savez-vous pas reconnaître?"

Commentaire

  • La première chose qui attire l'attention dans cet ensemble est le peu de mots communs. On comprend que le texte de Matthieu et celui de Luc énumère les observations météorologiques que peut faire un paysan palestinien pour anticiper le temps qu'il fera: chez Matthieu, la prévision météorologique est basée sur la couleur du ciel soit le soir, soit le matin, alors que chez Luc elle est basée sur la présence de nuages à l'ouest ou la direction du vent. Le seul véritable point commun des textes de Matthieu et Luc est le reproche de Jésus mettant en contraste la capacité des gens de discerner le temps qu'il fera et leur incapacité de reconnaître la signification de l'action et de la prédication de Jésus. Bref, si Matthieu et Luc présentent la même idée, leur formulation a peu de points communs. Comment expliquer ce fait?

    • Un première indice nous vient de la critique textuelle: le texte de Mt 16, 2b-3 est absent d'importants manuscrits comme les codex Vaticanus (4e s.) et Sinaïticus (4e s.) et de plusieurs traductions syriaques (3e/4e s.) et coptes (3e s.), et absent des textes d'Origène. M.E. Boismard (op. cit., p. 240) croit qu'il s'agit de l'ajout d'un scribe, et de fait le récit de Matthieu se poursuit de manière fluide en omettant ce passage.

    • Le moins que nous puissions dire est que nous ne sommes pas devant un texte de la source Q, et donc il est normal de trouver peu de points communs entre le texte de Matthieu et celui de Luc.

    • Il est évident que nous sommes devant une addition tardive au texte de l'évangile de Matthieu. Cela ne signifie pas pour autant que le texte est une pure invention. Car même en admettant l'oeuvre d'un scribe, il est coutume que les scribes tentent d'harmoniser les évangiles. Or le texte de Matthieu n'est pas une copie de Luc. La source de l'addition pourrait provenir d'une tradition ancienne semblable à ce qu'on trouve chez Luc, mais qui a une histoire indépendante.

  • Même en reconnaissant que le texte Matthieu est une addition tardive, soit du rédacteur final de l'évangile, soit d'un scribe quelconque, il faut reconnaître que leur insertion dans des contextes différents chez Matthieu et Luc colore leur signification. Ainsi, chez Matthieu, Jésus vient de nourrir la foule pour la 2e fois, et les Pharisiens ainsi que les Sadducéens, toujours incrédules, tendent un piège à Jésus et lui demandent un signe qui vienne du ciel. Nous sommes dans une atmosphère de controverse et la réponse de Jésus a quelque chose d'ironique: vous savez lire les signes de la nature pour prévoir la météo, mais vous êtes incapables de lire les signes clairs de ma mission. En revanche, Luc utilise cette péricope pour introduire une nouvelle séquence d'événements (« il dit encore aux foules ») axée sur l'importance de bien juger chaque situation et de l'urgence de bien réagir face aux différents événements: si on est convoqué en cour, il vaut mieux s'entendre au plus vite avec son adversaire (Lc 12, 57-59); il faut interpréter certaines catastrophes (le massacre des Galiléens par Pilate et l'écroulement de la tour de Siloé) comme un appel urgent à la conversion (Lc 13, 1-5); la parabole du figuier est un rappel que nous sommes dans une période de dernière chance avant le jugement (Lc 13, 6-9). Ainsi, notre péricope devient une exhortation à la foule à bien utiliser leur capacité de discernement devant ce que Jésus fait et enseigne, et devant les événements de leur vie.

34. Régler avant de se présenter devant le magistrat

MatthieuLucMatthieuLuc
5, 25 isthi eunoōn tō antidikō sou tachy, heōs hotou ei metʼ autou en tē hodō, mēpote se paradō ho antidikos tō kritē kai ho kritēs tō hypēretē kai eis phylakēn blēthēsē• 12, 58 hōs gar hypageis meta tou antidikou sou epʼ archonta, en tē hodō dos ergasian apēllachthai apʼ autou, mēpote katasyrē se pros ton kritēn, kai ho kritēs se paradōsei praktori, kai ho praktōr se balei eis phylakēn. 5, 25 Sois étant d'accord avec l'adversaire de toi rapidement, pendant (le temps) que tu es avec lui dans le chemin, de peur que toi qu'il livre l'adversaire au juge et le juge au garde et en prison tu seras jeté.12, 58 Car alors que tu vas avec l'adversaire de toi sur un magistrat, dans le chemin donne une effort d'être délivré à partir de lui, de peur qu'il traîne de force toi vers le juge, et le judge toi il livrera l'exécuteur et l'exécuteur toi il jettera en prison.
5, 26 amēn legō soi, ou mē exelthēs ekeithen, heōs an apodōs ton eschaton kodrantēn.12, 5 legō soi, ou mē exelthēs ekeithen, heōs kai to eschaton lepton apodōs.5, 26 Amen, je dis à toi, non tu ne sortiras pas de là jusqu'à ce que le cas échéant tu aies restitué le dernier quadrant.12, 59 Je dis à toi, non tu ne sortiras pas de là jusqu'à même le dernier lepte tu aies restitué.

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q reflète la sagesse pratique populaire dans le judaïsme, comme en témoigne le livre des Proverbes 17, 14 :
    C’est ouvrir une digue qu’entamer un procès; avant qu’il ne s’engage, désiste-toi.

    Si elle relève d’une tradition ancienne et est un écho de la pensée de Jésus, quelle signification a-t-elle? On peut penser que Jésus n’a pas voulu donner une simple parole de sagesse pratique, d’autant plus qu’il y a une forme d’urgence (« rapidement »). Dans la pensée juive, les autres membres de la communauté sont des « frères », et cela inclut les adversaires. Or, Jésus a prêché l’arrivée du règne de Dieu, et donc de son intervention, ce qui inclut également son jugement. On ne peut se présenter à ce jugement sans être totalement réconcilié avec ses frères. Il est donc probable qu’on doit lire cette exhortation transmise par la source Q dans un contexte eschatologique : face au jugement final, il est urgent d’être en bons termes avec ses frères, sinon ils témoigneront contre nous.

  • Matthieu et Luc ont inséré cette péricope dans des contextes tout à fait différents. Matthieu l’a placée dans son sermon sur la montagne, après un appel à dépasser le commandement de ne pas tuer en refusant de se mettre en colère contre son frère, de l’appeler « imbécile » ou « fou ». Puis, viens la règle : « Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24). Ainsi, notre péricope devient un exemple de réconciliation avec son frère, afin d’être en mesure de présenter son offrande à Dieu. Cette réconciliation a donc une dimension morale et religieuse. Chez Luc, la péricope fait suite à l’appel de Jésus à bien juger chaque situation et à bien réagir face aux différents événements de la vie, comme l’agriculteur qui sait discerner le temps qu’il fera. Pour bien s’assurer que son lecteur utilise ce critère d’interprétation, il introduit ainsi notre péricope : « Pourquoi aussi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste ? » (Lc 12, 57). Puis, cette péricope sera suivie de la présentation de deux catastrophes, le massacre des Galiléens par Pilate et l'écroulement de la tour de Siloé, qui doivent être interprétées comme un appel à la conversion. Ainsi, le conflit avec un adversaire dans notre péricope doit être interprété comme un appel à changer son attitude alors qu’il est encore temps. L’urgence est imposée par la perspective du jugement final.

  • C’est Matthieu qui semble respecter le mieux la formulation de la source Q, à l’exception de « Amen » typique de son évangile. Luc a actualisé la formulation en fonction de son vocabulaire et de son milieu grec : « magistrat » et « exécuteur », des termes techniques de l’administration gréco-romaine, « donner effort », i.e. faire effort, « d'être délivré de », i.e. « d’en finir avec », et l’utilisation de « lepte » comme monnaie, plus correcte en grec que le latin « quadrant ».

35. Royaume des cieux/Dieu comme la graine de moutarde ; comme le levain que la femme met dans la farine

MatthieuLucMatthieuLuc
13, 31a Allēn parabolēn parethēken autois legōn• 13, 18 Elegen oun• tini homoia estin hē basileia tou theou kai tini homoiōsō autēn; 13, 31a Une autre parabole il mit de l'avant à eux disant:13, 18 Il disait donc: "À quoi comparable est le royaume de Dieu et à quoi le comparerai-je?
13, 31b-32 homoia estin hē basileia tōn ouranōn kokkō sinapeōs, hon labōn anthrōpos espeiren en tō agrō autou• ho mikroteron men estin pantōn tōn spermatōn, hotan de auxēthē meizon tōn lachanōn estin kai ginetai dendron, hōste elthein ta peteina tou ouranou kai kataskēnoun en tois kladois autou.13, 19 homoia estin kokkō sinapeōs, hon labōn anthrōpos ebalen eis kēpon heautou, kai ēyxēsen kai egeneto eis dendron, kai ta peteina tou ouranou kateskēnōsen en tois kladois autou.13, 31b-32 "Comparable est le royaume des cieux à une graine qu'ayant pris un homme a semé dans le champ de lui. D'une part, la plus petite elle est de toutes les semences, d'autre part, quand elle s'est accru, plus grande des plantes potagères elle est et elle devient un arbre, au point de venir les oiseaux du ciel et de s'abriter dans les branches de lui."13, 19 Comparable il est à une graine de moutarde qu'ayant pris un homme, il jeta vers jardin de lui, et elle s'accrut et devint vers un arbre, et les oiseaux du ciel s'abritèrent dans les branches de lui."
13, 33a Allēn parabolēn elalēsen autois• 13, 20 Kai palin eipen• tini homoiōsō tēn basileian tou theou; 13, 33a Une autre parabole il parla à eux:13, 20 Et de nouveau il dit: "À quoi comparerai-je le royaume de Dieu?
13, 33b homoia estin hē basileia tōn ouranōn zymē, hēn labousa gynē enekrypsen eis aleurou sata tria heōs hou ezymōthē holon. 13, 21 homoia estin zymē, hēn labousa gynē [en]ekrypsen eis aleurou sata tria heōs hou ezymōthē holon.13, 33b "Comparable est le royaume des cieux à du levain, qu'ayant pris une femme elle a caché dans une farine trois mesures jusqu'à cela fut pétri tout entier avec le levain."13, 21 Comparable il est à du levain, qu'ayant pris une femme elle a caché dans une farine trois mesures jusqu'à cela fut pétri tout entier avec du levain."

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q contient deux paraboles pour faire comprendre ce qu’est le royaume de Dieu, l’une ayant un homme comme sujet, l’autre une femme. Les deux paraboles ont la même structure qui ressemble à ceci :
    Lc 13, 19Lc 13, 21
    Il est semblableIl est semblable
    à une graine de moutardeà du levain
    qu’un hommequ'une femme
    ayant pris, a jetéayant pris, a caché
    dans son jardin,dans trois mesures de farine
    et il a grandi et il estjusqu’à ce que le tout ait levé
    devenu un arbre 

    La pointe de la parabole est le contraste entre le début, qui apparaît petit et humble, et la fin, qui est immense et extraordinaire. Ainsi, le royaume de Dieu, malgré son début humble et presqu’invisible aura une fin éclatante. C’est donc un appel à la confiance que le royaume de Dieu, malgré les apparences, fait son chemin et réussira.

  • On aura remarqué les nombreux mots soulignés dans la parabole de la graine de moutarde. C’est l’indication de parallèles avec ce qu’on trouve dans l’évangile de Marc. Qu’est-ce à dire? La parabole de la graine de moutarde est connue sous deux traditions, celle reflétée par Marc (que M.E. Boismard, op. cit., p. 192-193 attribue au document A), et celle reflétée par la source Q. Chacune a son histoire propre. Voici ce que propose Boismard.

    • Luc est celui qui respecte le mieux la formulation de la source Q. Cependant la parabole de la graine de moutarde s’arrêtait avant la mention des oiseaux, qui apparaît comme un ajout, en nous basant sur le parallèle des deux paraboles présenté plus haut où l'ajout des oiseaux briserait l'équilibre d'ensemble.

    • Le document A, qui est l’une des sources de Marc, contenait également une version de la parabole de la graine de moutarde, et elle se terminait par une évocation d’Ez 17, 22-24 où la restauration du peuple de Dieu, sous l’impulsion de son roi, est comparée à un cèdre nouvellement planté, et le texte se termine ainsi : « Il portera des rameaux, produira du fruit, deviendra un cèdre magnifique. Toutes sortes d’oiseaux y demeureront, ils demeureront à l’ombre de ses branches ». C’est le thème de ce qui est petit qui devient grand sous l’action de Dieu, et l’image des oiseaux est celle des peuples de la terre qui viennent trouver protection à son ombre. Ce texte du document A devait à l’origine probablement avoir la forme suivante :

      Il est comme une graine de moutarde qui, quand elle est semée sur la terre, monte et fait de grandes branches en sorte que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre.
    • L’auteur de la première édition de l’évangile de Matthieu (appelé Mt-intermédiaire), qui connaissait à la fois la source Q et le document A, a décidé de modifier la source Q pour y ajouter la mention des oiseaux du ciel dont parlait ce document A. Mais au lieu de copier la version du document A inspirée d’Ez 17, 22-24, il lui a préféré Dn 4, 7-9 (LXX : Dn 4, 10-12) : c’est le récit d’un arbre qui devient immense, image du royaume de Nabuchodonosor, et qui se termine ainsi : « et dans ses branches s’abritaient les oiseaux du ciel ». On aura noté qu’on ne parle pas ici de s’abriter sous l’ombre des branches, mais simplement de s’abriter dans ses branches. C’est cette version de la source Q avec l’addition du Mt-intermédiaire que Luc présente.

    • Le document A a été aussi repris dans une première édition de l’évangile de Marc (appelée Mc-intermédiaire). Mais comme l’auditoire n’était plus celui du monde paysan de Galilée, l’auteur a senti le besoin d’expliquer la parabole pour un milieu urbain qui ne connaissait peut-être pas ce qu’est une graine de moutarde. Alors il fait deux ajouts : « elle est la plus petite de toutes les semences », et « elle est la plus grande des plantes potagères »; cela lui permet de s’assurer qu’on comprend le contraste entre le point de départ et le point d’arrivée.

    • Enfin, le rédacteur final de l’évangile de Matthieu, responsable du texte que nous avons sous les yeux, a repris le texte du Mt-intermédiaire, mais, connaissant également le texte du Mc-intermédiaire, il a créé une synthèse, tout en modifiant les termes trop sémitiques : ainsi « jeter » (vers les jardin) est devenu « semer », ou encore « devint vers un arbre » est devenu simplement « devient un arbre », ou encore la conjonction « et » (les oiseaux du ciel) est devenu « au point de venir » (les oiseaux du ciel).

    On peut être hésitant devant le nombre d’hypothèses de la proposition de Boismard, mais elle a le mérite d’expliquer un certain nombre de choses : les similitudes avec l’évangile de Marc, en particulier chez Matthieu, et en même temps la différence dans le comportement des oiseaux du ciel, aussi toutes les différences entre la version de Luc et celle de Matthieu, et enfin, dans le texte de Marc certaines redondances (on a deux fois « sur la terre » et deux fois « et quand elle est semée ») qui sont habituellement le signe d’ajouts ultérieurs.

  • Cette péricope de Matthieu et Luc a été placée dans deux contextes différents. Matthieu l’a insérée dans son discours en paraboles où sont regroupées la plupart des paraboles de Jésus. Elle vient après la parole de l’ivraie où un ennemi vient perturber le travail du fermier, et donc introduit une note d’optimisme : rien n’empêchera le royaume de se déployer dans toute sa splendeur. Luc, pour sa part, l’a insérée dans cette séquence où Jésus est en route pour Jérusalem, après la guérison d’une femme courbée dans une synagogue le jour du sabbat (Lc 13, 10-17), ce qui suscite une controverse : les adversaires de Jésus sont couverts de honte après la réplique de Jésus à leurs protestations, tandis que la foule se réjouit des merveilles qu’elle voit. Dans ce contexte, les deux paraboles de la graine de moutarde et du levain dans la pâte viennent dévoiler le mystère à l’œuvre : ce qu’on a observé à la synagogue est le signe que le dynamisme du royaume est à l’œuvre et atteindra bientôt sa pleine stature.

36. Porte étroite par laquelle peu entreront ; maître de maison refusant ceux qui frappent ; personnes venant de toutes les directions pour entrer dans le royaume des cieux/Dieu

MatthieuLucMatthieuLuc
7, 13-14 Eiselthate dia tēs stenēs pylēs• hoti plateia hē pylē kai eurychōros hē hodos hē apagousa eis tēn apōleian kai polloi eisin hoi eiserchomenoi diʼ autēs• hoti stenē hē pylē kai tethlimmenē hē hodos hē apagousa eis tēn zōēn kai oligoi eisin hoi heuriskontes autēn.13, 24 agōnizesthe eiselthein dia tēs stenēs thyras, hoti polloi, legō hymin, zētēsousin eiselthein kai ouk ischysousin. 7, 13-14 "Entrez à travers l'étroite porte, car large la porte et spacieux le chemin celui emmenant vers la perdition et nombreux sont ceux entrant à travers elle. Car étroite la porte et ayant été resserré le chemin celui emmenant vers la vie et peu sont ceux trouvant elle.13, 24 "Luttez pour entrer à travers l'étroite entrée, car nombreux, je dis à vous, chercheront à entrer et ils ne pourront pas.
[25, 10b-12 ...kai hai hetoimoi eisēlthon metʼ autou eis tous gamous kai ekleisthē hē thyra. hysteron de erchontai kai hai loipai parthenoi legousai• kyrie kyrie, anoixon hēmin. ho de apokritheis eipen• amēn legō hymin, ouk oida hymas.] 13, 25 aphʼ hou an egerthē ho oikodespotēs kai apokleisē tēn thyran kai arxēsthe exō hestanai kai krouein tēn thyran legontes• kyrie, anoixon hēmin, kai apokritheis erei hymin• ouk oida hymas pothen este. [25, 10b-12 …et celles prêtes entrèrent avec lui dans les noces et fut fermé complètement l'entrée. Puis, finalement arrivent aussi les autres vierges en disant: "Seigneur, seigneur, ouvre à nous. Puis, lui ayant répondu il dit: "Amen je dis à vous, je ne sais pas vous."]13, 25 À partir de ce que le cas échéant se réveille de maître de maison et qu'il ferme l'entrée et que vous commenciez dehors à (vous) tenir et frapper l'entrée disant: 'Seigneur, ouvre à nous,' et ayant répondu il dira à vous: 'Je ne sais pas vous d'où vous êtes.'
7, 22 polloi erousin moi en ekeinē tē hēmera• kyrie kyrie, ou tō sō onomati eprophēteusamen, kai tō sō onomati daimonia exebalomen, kai tō sō onomati dynameis pollas epoiēsamen; 13, 26 tote arxesthe legein• ephagomen enōpion sou kai epiomen kai en tais plateiais hēmōn edidaxas• 7, 22 Nombreux diront à moi en ce jour-là: 'Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, et en ton nom des démons nous avons expulsés, et en ton nom des actes de puissance nombreux nous avons faits?'13, 26 Alors vous commencerez à dire: 'Nous avons mangé devant toi et avons bu et dans les grand-rues de nous tu as enseigné.'
7, 23 kai tote homologēsō autois hoti oudepote egnōn hymas• apochōreite apʼ emou hoi ergazomenoi tēn anomian.13, 27 kai erei legōn hymin• ouk oida [hymas] pothen este• apostēte apʼ emou pantes ergatai adikias. 7, 23 Et alors je professerai à eux que jamais je n'ai connu eux. Écartez-vous à partir de moi les oeuvrant de l'injustice.13, 27 Et je dirai disant à vous: 'Je ne sais pas [vous] d'où vous êtes. Éloignez-vous à partir de moi tous ouvriers d'injustice.
[8, 12 hoi de huioi tēs basileias ekblēthēsontai eis to skotos to exōteron• ekei estai ho klauthmos kai ho brygmos tōn odontōn.] 13, 28a ekei estai ho klauthmos kai ho brygmos tōn odontōn, [8, 12 Puis, les fils du royaume seront expulsés vers la ténèbre l'extérieure. Là sera le pleur et le grincement des dents.]13, 28a Là sera le pleur et le grincement des dents,
[8, 11 legō de hymin hoti polloi apo anatolōn kai dysmōn hēxousin kai anaklithēsontai meta Abraam kai Isaak kai Iakōb en tē basileia tōn ouranōn,] 13, 28b-29 hotan opsēsthe Abraam kai Isaak kai Iakōb kai pantas tous prophētas en tē basileia tou theou, hymas de ekballomenous exō. kai hēxousin apo anatolōn kai dysmōn kai apo borra kai notou kai anaklithēsontai en tē basileia tou theou. [8, 11 Puis, je dis à vous que nombreux à partir d'orient et d'occident viendront et s'assiéront à table avec Abraham et Isaac et Jacob dans le royaume des cieux.]13, 28b-29 quand vous verrez Abraham et Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, puis vous étant expulsé dehors. Et ils viendront à partir d'orient et d'occident et à partir du nord et du sud et ils s'assiéront à table dans le royaume de Dieu.

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q contient en fait quatre logia qui sont réunis ensemble chez Luc, mais qu'on retrouve chez Matthieu dans quatre lieux différents: Mt 7, 13-14 || Lc 13, 24 (la porte étroite); Mt 25, 10b-12 || Lc 13, 25 (Seigneur, ouvre-nous); Mt 7, 22-23 || Lc 13, 26-27 (nous avons mangé avec toi); Mt 8, 11-12 || Lc 13, 28-29 (ils viendront d'orient et d'occident). Regardons individuellement chaque logion.

  • Mt 7, 13-14 || Lc 13, 24 (la porte étroite). Comme en témoigne la version de Luc, le thème de la porte étroite est introduite par une question: « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? ». C'était une question débattue dans les milieux rabbiniques. Pour un Juif, seuls ceux appartenant au peuple juif pouvaient être sauvés, et rare étaient les païens qui pouvaient l'être. Aussi, la question sur le salut signifie ceci: combien parmi les Juifs seront sauvés. D'ailleurs les autres logia de la péricope assument que nous sommes dans un milieu juif: nous avons mangé et bu avec toi. La réponse de Jésus laisse entendre que l'entrée dans le royaume est difficile, mais sans répondre directement à la question du nombre. La difficulté vient de l'étroitesse de la porte, sans doute une allusion aux critères d'entrée. On notera que le terme « entrée » (thyra) désigne la maison, une référence au banquet eschatologique, image du royaume.

    Chez Mt 7, 13-14, la question sur le nombre de personnes qui seront sauvées est absente. Matthieu a placé ce logion dans le sermon sur la montagne de Jésus, après que Jésus eut résumé ainsi la Bible hébraïque, appellée la Loi et les Prophètes, un écho du Traité des deux voies : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes ». Dès lors le chemin étroit est précisé par cette règle d'or de l'éthique juive, une règle qui se veut universelle. Mais alors que la source Q fait référence à l'entrée à la maison du banquet eschatologique, Matthieu (le Mt-intermédiaire, selon Boismard) modifie ce thème en parlant de la « porte » (pylē) d'une ville, vers laquelle mène une route difficile; l'accent est donc sur l'agir de tous les jours. De plus, il semble être influencé par le Traité des deux voies qui était connu à l'époque de Jésus, et donc dans cette ligne ajoute les phrases suivantes: « car large est la porte et spacieux le chemin qui mène vers la perdition... étroite est la porte et resserré le chemin menant vers la vie ». Nous sommes dans une tradition sapientielle qui s'adresse à toute l'humanité.

  • Mt 25, 10b-12 || Lc 13, 25 (Seigneur, ouvre-nous). Même si ce logion parle encore de « entrée », le thème a changé: il ne s'agit plus des critères de l'entrée dans le banquet eschatologique, mais d'une entrée fermée. Chez Luc, la figure du maître de maison désigne Jésus. Et le thème est celui du temps limité accordé au peuple Juif pour discerner l'envoyé de Dieu, un thème connu dans le Judaïsme. Une fois le temps passé, il sera trop tard (voir Pr 1, 9; Os 5, 6), l'entrée sera fermée. Il s'agit probablement d'une allussion au ministère de Jésus, une période où il était possible d'accueillir son message, une période qui s'est terminée avec sa mort. Luc dans les versets précédents a beaucoup insisté sur cette période de discernement en commençant avec l'image du fermier qui discerne le temps qu'il fera, qui s'est poursuivi avec l'image de celui qui discerne que c'est maintenant le temps de régler le conflit avec l'adversaire avant de faire face au juge, que c'est maintenant le temps de se convertir avant que n'arrivent des catastrophes comme celle subie par ceux que Pilate a massacrés ou sur qui la tour de Siloé est tombée, et enfin l'image du figuier stérile à qui on donne une dernière chance avant de le couper. Dans notre logion, on aura noté l'expression « Je ne sais pas d'où vous êtes », une expression sémitique pour exprimer la connaissance qu'on a de quelqu'un. Ainsi, le temps avant l'échéance finale est un temps où se construit la relation avec Jésus, et donc l'identité chrétienne. Et pour l'auteur de la source Q, ce temps est limité, d'où l'urgence d'agir. Ce logion, placé après le thème de l'entrée étroite, prend alors la couleur d'un critère d'entrée dans le royaume: celui de la relation avec Jésus.

    Chez Matthieu, les éléments de ce logion furent placés dans la parabole des dix vierges (Mt 25, 1-13) qui appartient au dicours eschatologique de Jésus. Cette parabole serait une composition du rédacteur final de l'évangile de Matthieu. Elle oppose des femmes « avisés » à des femmes « folles », un thème typique de la tradition sapientielle. Or, dans cette tradition, la personne avisée est celle qui demeure à l'écoute de la Sagesse, i.e. la Loi, et la met en pratique. Dans la parabole des 10 vierges, le reproche aux cinq vierges folles n'est pas de ne pas avoir veillé, car les vierges avisées étaient également endormies à l'arrivée de l'époux, mais de ne pas avoir de provision d'huile: dans la tradition sapientiale cela se traduit par ne pas avoir fait la volonté de Dieu, un peu à la manière dont on se construit un capital. La conclusion confirme ce point, car la phrase « je ne sais pas qui vous êtes » apparaît également dans le sermon sur la montage (voir Mt 7, 23) et est liée à cette autre phrase: « Il ne suffit pas de me dire : 'Seigneur, Seigneur !' pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Ainsi, les vierges folles sont rejetées pour n'avoir pas fait la volonté de Dieu, et donc sur la base de leur agir, un thème typiquement matthéen.

  • Mt 7, 22-23 || Lc 13, 26-27 (nous avons mangé avec toi). Nous sommes devant un thème connu du Judaïsme où certains s'imaginaient qu'il suffisait d'être de la race d'Abraham pour être assuré de son salut. Selon Rabbi Meir « Peut être tenu pour un fils du monde à venir (= le royaume) celui qui habite dans le pays d'Israël, parle la langue sainte, et lit matin et soir la prière du Shema ». C'est un thème qui revient souvent dans la source Q et l'attitude est vivement dénoncée : cette attitude est dénoncée par Jean-Baptiste (Lc 3, 7-8), par Jésus dans ses invectives contre les villes de Chorazin, Bethsaïda et Capharnaüm (Lc 10, 13-15). Cette dénonciation apparaît également ici dans notre logion. Chez Luc, le public visé semble être d'abord les concitoyens de Jésus qui l'ont fréquenté, ont partagé ses repas, ont entendu son enseignement. Mais l'auteur de la source Q semble aussi viser les chrétiens qui ont été baptisés, ont participé à l'eucharistie et ont reçu une catéchèse. La conclusion est claire: il ne suffit pas d'être membre d'un peuple ou d'une communauté pour être disciple de Jésus, il faut marcher dans ses pas. La phrase: « Je ne sais pas d'où vous êtes. Éloignez-vous de moi vous tous ouvriers d'injustice » affirme que Jésus ne peut reconnaître quelqu'un comme disciple s'il n'agit pas comme lui.

    Chez Matthieu, ce logion a été placé dans le sermon sur la montagne, et sert d'introduction à la parabole où un homme construit sa maison sur le roc, et l'autre sur le sable, image de la personne qui met en pratique ou non les paroles de Jésus. Si la conclusion est semblable à ce qu'on trouve chez Luc (Jésus ne reconnaîtra pas comme siens ceux qui n'ont pas mis en pratique son enseignement), l'image de la familiarité avec Jésus est différente. Matthieu s'est éloigné de l'image des compatriotes juifs de Jésus qu'on trouvait dans la source Q, et que reprend Luc, pour opter pour l'image explicite des apôtres qui ont accompagné Jésus, émettant des prophéties, guérissant, faisant des exorcismes, et une image qui représente des fonctions importantes dans l'église primitive. Ainsi, Matthieu est beaucoup plus clair et incisif dans sa dénonciation.

  • Mt 8, 11-12 || Lc 13, 28-29 (ils viendront d'orient et d'occident). Chez Luc, et probablement dans la source Q que Luc semble assez bien respecter, ce logion apparaît comme une conclusion de tout ce qui vient d'être dit:
    • l'entrée dans le royaume est une entrée étroite, ce qui signifie que beaucoup ne pourront pas y accéder;
    • parmi ceux qui ne pourront pas y accéder, il y a d'abord les Juifs qui n'ont pas reconnu à temps lors du ministère de Jésus qu'il était l'envoyé de Dieu, et maintenant tous ceux qui ont accès à son enseignement et ne donne aucune suite à temps, avant leur mort;
    • parmi ceux qui ne pourront pas y accéder, il a les compatriotes juifs de Jésus qui ont eu la chance de le fréquenter et d'entendre son enseignement, mais n'ont rien fait de son enseignement; mais les chrétiens peuvent se sentir visés, eux qui fréquentent l'eucharistie et reçoivent une catéchèse, si cela ne se traduit pas concrètement dans leur vie.

    Ainsi, beaucoup se rendront compte trop tard de leur faute et seront en deuil en se voyant expulsés du royaume. Est-ce un échec complet? Non, car les non-Juifs seront conviés à ce grand banquet du royaume. C'est donc sur une note optimiste que se termine cette péricope. Et pour l'auditoire grec de Luc, c'est une justification de leur appartenance à ce nouveau peuple de Dieu.

    Matthieu a placé de logion comme conclusion au récit de guérison du serviteur du centurion de Capharnaüm (Mt 8, 5-13). Rappelons que le centurion est un païen dont la foi émerveille Jésus. Alors la foi du centurion est mise en contraste avec l'incrédulité des Juifs (« chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi »). Matthieu présente alors le centurion comme l'image de tous ceux qui « viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux », en contraste avec les Juifs, « les héritiers du Royaume », qui seront jetés dans les ténèbres du dehors.

37. Jérusalem tue les prophètes, doit bénir celui qui vient au nom du Seigneur

MatthieuLucMatthieuLuc
23, 37 Ierousalēm Ierousalēm, hē apokteinousa tous prophētas kai lithobolousa tous apestalmenous pros autēn, posakis ēthelēsa episynagagein ta tekna sou, hon tropon ornis episynagei ta nossia autēs hypo tas pterygas, kai ouk ēthelēsate. 13, 34 Ierousalēm Ierousalēm, hē apokteinousa tous prophētas kai lithobolousa tous apestalmenous pros autēn, posakis ēthelēsa episynaxai ta tekna sou hon tropon ornis tēn heautēs nossian hypo tas pterygas, kai ouk ēthelēsate. 23, 37 "Jérusalem, Jérusalem, celle tuant les prophètes et lapidant ceux ayant été envoyés vers elle, combien de fois j'ai voulu rassembler ensemble les enfants de toi, à la manière d'une poule rassemble ensemble les poussins d'elle sous les ailes, et vous n'avez pas voulu13, 34 "Jérusalem, Jérusalem, celle tuant les prophètes et lapidant ceux ayant été envoyés vers elle, combien de fois j'ai voulu rassembler ensemble les enfants de toi, à la manière d'une poule la d'elle-même couvée sous les ailes, et vous n'avez pas voulu
23, 38-39 idou aphietai hymin ho oikos hymōn erēmos. legō gar hymin, ou mē me idēte apʼ arti heōs an eipēte•eulogēmenos ho erchomenos en onomati kyriou.13, 35 idou aphietai hymin ho oikos hymōn. legō [de] hymin, ou mē idēte me heōs [hēxei hote] eipēte•eulogēmenos ho erchomenos en onomati kyriou.23, 38-39 Voici est laissée à vous la maison de vous déserte. Car je dis à vous, non, vous ne me verrez plus à partir de maintenant jusqu'à ce que le cas échéant vous disiez: 'Béni celui venant au nom du Seigneur'".13, 35 Voici est laissée à vous la maison de vous. [Puis], je dis à vous, non, vous ne me verrez plus jusqu'à [arrivera que] vous disiez: 'Béni celui venant au nom du Seigneur'".

Commentaire

  • Une première observation s'impose: la formulation de ce logion chez Matthieu et Luc est presqu'identique, sauf sur quelques détails mineurs. Mais une deuxième observation, liée à la première, pose problème: alors qu'on s'attendrait à retrouver ainsi sans difficulté le texte de la source Q, le texte que nous avons sous les yeux porte la marque du vocabulaire de Luc. Par exemples:

    • Commençons avec le nom « Jérusalem ». Dans le Nouveau Testament, et dans les évangiles-Actes en particulier, il y a deux façons en grec de désigner Jérusalem : il y a d’abord Hierosolyma, la forme hellénisée de la ville sainte (Mt = 10; Mc = 10; Lc = 4; Jn = 12; Ac = 21; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0;) et il y a Ierousalēm, la forme sémitique (Mt = 2; Mc = 0; Lc = 27; Jn = 0; Ac = 37; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0). Que note-t-on? Luc est le seul évangéliste à utiliser la forme sémitique de Jérusalem, les deux occurrences de Matthieu provenant de notre logion;

    • Le verbe « lapider » est tout à fait lucanien (Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) et les deux occurrences de Mt s’explique par sa présence ici et en Mt 21, 25 par l’influence de notre logion;

    • Dans l’expression « ceux ayant été envoyés », le verbe « envoyer » est au participe parfait passif. Or, dans les Synoptiques, Luc est le seul à utiliser ce verbe au parfait : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 7; Ac = 5; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0; et même, en Lc 19, 32 il l’ajoute au texte de Marc qu’il copie. La seule occurrence de Matthieu se trouve ici dans notre logion;

    • L’emploi de l’expressions « enfants » au sens métaphorique pour désigner des habitants de Jérusalem a son équivalent exact qu’en 19, 44 (« Ils t'écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi »);

    • L’expression « à la manière de » n’apparaît que chez Luc (Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) et 2 Tm 3, 8 dans tout le Nouveau Testament, l’occurrence de Mt étant celle de notre logion;

    • Enfin, les thèmes de ce logion sont tout à fait lucaniens :
      • « Voici que vous est laissée déserte votre maison (=temple) » : le thème de l’inutilité du temple est repris en Ac 7, 48-40 (« le Très-Haut n’habite pas des demeures construites par la main des hommes… »)
      • La persécution et la mise à mort des prophètes : ce thème est repris par Ac 7, 51-52 (« vous êtes bien comme vos pères. Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté »)
      • La lapidation : voir la lapidation d’Étienne en Ac 7, 58-59.

  • Comment interpréter la présence d'un vocabulaire si Lucanien même chez Matthieu? Selon M.E. Boismard (op. cit., p. 289-290), notre logion ne proviendrait pas de la source Q, mais d'une première version de l'évangile de Luc (appelé proto-Lc) qu'aurait connu et copié le rédacteur de l'évangile de Matthieu.

  • Matthieu a placé ce logion comme conclusion à une suite de malédictions adressées aux scribes et aux Pharisiens (Mt 23, 13-36), et juste avant l'annonce de la destruction du temple (Mt 24, 1-2). Il confirme donc une forme d'échec du ministère de Jésus qui fait suite aux prophètes précédents, et comme ces prophètes ont été tués, il annonce implicitement que lui aussi sera mis à mort. Le refus de la mission de Jésus a pour conséquence que Dieu abandonne son lieu de résidence, le temple de Jérusalem, et justifie le châtiment que sera la ruine du temple. Mais que signifie la phrase: « Car, je vous le dis, désormais vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit, au nom du Seigneur, celui qui vient ! » En effet, chez Matthieu, les foules ont déjà proclamé cette citation du Ps 118, 26 (« Béni soit, au nom du Seigneur, celui qui vient ») lors de l'entrée triomphale plus tôt de Jésus à Jérusalem. À quelle nouvelle venue Matthieu fait-il maintenant référence? N'oublions pas que Jésus s'adresse à Jérusalem et aux Juifs. De plus, l'expression « à partir de maintenant jusqu'au cas échéant » introduit une situation conditionnelle (voir Mt 5, 26: « je dis à toi, non tu ne sortiras pas de là jusqu'à ce que le cas échéant tu aies restitué le dernier quadrant »). Aussi, cette phrase pourrait exprimer un appel à la conversion adressé à Jérusalem et aux Juifs: vous ne me verrez plus à moins qu'un jour vous me reconnaissiez comme le messie, l'envoyé de Dieu.

    Notons en terminant les modifications qu'aurait apportées Matthieu au texte du proto-Luc, en admettant cette hypothèse : il aurait répété pour plus de clarté le verbe « rassembler ensemble » au moment de la comparaison avec la poule et ses poussins (Luc assume qu’il n’est pas nécessaire de répéter, le lecteur comprenant que c’est ce que fait la poule avec ses poussins); il préfère le mot « poussins » à « couvée », peut-être parce la mention de plusieurs poussins évoque mieux l'idée de rassembler ensemble; il ajoute l’adjectif « déserte » pour associer plus clairement la phrase à une citation de Jérémie 22, 5 (« cette maison sera déserte »); il ajoute la conjonction « car » dont il est extrêmement friand, afin d’associer le lieu désert avec l’absence de Jésus; enfin, il ajoute l’expression « à partir de maintenant jusqu'au cas échéant » afin de traduire la situation actuelle des Juifs : maintenant ils ne voient plus Jésus, à moins qu’un jour ils se convertissent et le reconnaissent comme le messie de Dieu.

  • Luc a placé ce logion dans cette longue marche de Jésus vers Jérusalem, après que quelques Pharisiens eurent averti Jésus de s'enfuir, car le roi Hérode veut le tuer, et que Jésus leur eut répondu qu'il doit poursuivre sa route vers Jérusalem, « car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem »; le logion est suivi de l'annonce de la ruine du temple (Mt 14, 1-2). Le nom « Jérusalem » sert donc de mot-crochet pour introduire notre logion, mais en même temps le contexte est celui de la mort prochaine de Jésus et la destruction du temple. Aussi, le logion chez Luc, en faisant référence aux prophètes qui ont été tués, associe plus clairement Jésus à la liste des prophètes tués par l'affirmation précédente de Jésus: « car il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de Jérusalem ». Le rôle de ce prophète était un rôle pastoral: recréer le peuple de l'alliance (le mot « couvée » traduit bien l’idée d’une communauté). Le fait que Dieu n'habite plus le temple signifie la rupture de l'alliance ancienne entre Dieu et son peuple. Mais que signifie la référence finale au Ps 110, 26: « non, vous ne me verrez plus jusqu'à [arrivera que] vous disiez: 'Béni celui venant au nom du Seigneur' »? Comme Jésus n'est pas encore arrivé à Jérusalem, on pourrait penser que Jésus anticipe ici son entrée triomphale à Jérusalem plus de cinq chapitres plus loin. Le problème est justement que Jésus n'est pas à Jérusalem (comme chez Matthieu), et donc le fait qu'il s'adresse à Jérusalem a quelque chose d'incongru. Cette interprétation présuppose que Jésus est allé plusieurs fois à Jérusalem (comme chez Jean), et que cette phrase aurait été prononcée l'avant dernière fois qu'il y était, et donc ferait référence à sa dernière visite. Comme ce logion proviendrait du protoLuc, donc d'une première édition de l'évangile de Luc, on ne connaît pas dans quel contexte géographique aurait été mis ce logion. Bref, nous n'avons pas l'information nécessaire pour conclure.

38. Royaume des cieux/Dieu, un grand banquet, les invités s'excusent, d'autres sont invités

MatthieuLucMatthieuLuc
22, 2 hōmoiōthē hē basileia tōn ouranōn anthrōpō basilei, hostis epoiēsen gamous tō huiō autou. 14, 16 Ho de eipen autō• anthrōpos tis epoiei deipnon mega, kai ekalesen pollous 22, 2 A été comparé le royaume des cieux à un homme roi qui a fait des noces au fils de lui.14, 16 Puis, lui, il dit à lui: "Un certain homme faisait un festin grand, et il invita beaucoup (de gens).
22, 3 kai apesteilen tous doulous autou kalesai tous keklēmenous eis tous gamous, kai ouk ēthelon elthein. 14, 17-18a kai apesteilen ton doulon autou tē hōra tou deipnou eipein tois keklēmenois• erchesthe, hoti ēdē hetoima estin. kai ērxanto apo mias pantes paraiteisthai. 22, 3 Et il envoya les serviteurs de lui inviter les ayant été invités vers les noces, et ils ne voulaient pas venir.14, 17-18a Et il envoya le serviteur de lui à l'heure du festin pour dire aux ayant été invités: 'Venez, car déjà prêt il est.' Et ils commencèrent d'une (voix) à s'excuser.
22, 4-5 palin apesteilen allous doulous legōn• eipate tois keklēmenois• idou to ariston mou hētoimaka, hoi tauroi mou kai ta sitista tethymena kai panta hetoima• deute eis tous gamous. hoi de amelēsantes apēlthon, hos men eis ton idion agron, hos de epi tēn emporian autou• 14, 18b ho prōtos eipen autō• agron ēgorasa kai echō anankēn exelthōn idein auton• erōtō se, eche me parētēmenon. 22, 4-5 De nouveau il envoya d'autres serviteurs disant: Dites aux ayant été appelés: 'Voici le repas de moi j'ai préparé, les taureaux de moi et les (bêtes) engraissés ont été tués et toutes (choses) (sont) prêtes. Venez vers les noces.' Puis les étant demeurés indifférents partirent, d'une part qui vers le propre champ, d'autre part, qui sur le commerce de lui.14, 18b Le premier dit à lui: 'Un champ j'ai acheté et j'ai une nécessité étant sorti de voir lui. Je prie toi, ai moi (comme) ayant été excusé.
 14, 19 kai heteros eipen• zeugē boōn ēgorasa pente kai poreuomai dokimasai auta• erōtō se, eche me parētēmenon.  14, 19 Et un autre dit: 'Une paire de bœufs j'ai acheté cinq et je vais mettre à l'essai eux. Je prie toi, ai moi (comme) ayant été excusé.
22, 6 hoi de loipoi kratēsantes tous doulous autou hybrisan kai apekteinan. 14, 20 kai heteros eipen• gynaika egēma kai dia touto ou dynamai elthein. 22, 6 Puis, ceux qui restent s'étant emparés des serviteurs de lui maltraitèrent et tuèrent.14, 20 Et un autre dit: 'Une femme j'ai épousé et à cause de cela je ne peux pas venir.
22, 7 ho de basileus ōrgisthē kai pempsas ta strateumata autou apōlesen tous phoneis ekeinous kai tēn polin autōn eneprēsen. 14, 21 kai paragenomenos ho doulos apēngeilen tō kyriō autou tauta. tote orgistheis ho oikodespotēs eipen tō doulō autou• exelthe tacheōs eis tas plateias kai rhymas tēs poleōs kai tous ptōchous kai anapeirous kai typhlous kai chōlous eisagage hōde. 22, 7 Puis le roi s'irrita et ayant envoyé les troupes de lui, il fit périr les meurtriers ceux-là et la ville d'eux il détruisit par le feu.14, 21 Et s'étant présenté le serviteur, il rapporta au seigneur de lui ces choses. Alors s'étant irrité le maître de maison dit au serviteur de lui: sort rapidement vers les grand-rues et les ruelles des villes et les pauvres et des estropiés et des aveugles et des boiteux introduis ici.
22, 8 tote legei tois doulois autou• ho men gamos hetoimos estin, hoi de keklēmenoi ouk ēsan axioi•14, 22 kai eipen ho doulos• kyrie, gegonen ho epetaxas, kai eti topos estin. 22, 8 Alors il dit aux serviteurs de lui: d'une part la noce prête elle est, d'autre part, les ayant été invités n'étaient pas convenables.14, 22 Et dit le serviteur: 'Seigneur, est devenu ce que tu as ordonné, et encore place il est.
22, 9-10 poreuesthe oun epi tas diexodous tōn hodōn kai hosous ean heurēte kalesate eis tous gamous. kai exelthontes hoi douloi ekeinoi eis tas hodous synēgagon pantas hous heuron, ponērous te kai agathous• kai eplēsthē ho gamos anakeimenōn. 14, 23 kai eipen ho kyrios pros ton doulon• exelthe eis tas hodous kai phragmous kai anankason eiselthein, hina gemisthē mou ho oikos• 22, 9-10 Allez donc sur les carrefours des chemins et, autant que vous trouviez, invitez vers les noces. Et étant sortis les serviteurs ceux-là vers les chemins ils rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, à la fois mauvais et bons, et fut pleine la (salle de) noce d'étant allongés.14, 23 Et il dit le seigneur à l'adresse du serviteur: 'Sors vers les chemins et des clôtures et contrains à entrer, afin que soit remplie de moi la maison.
 14, 24 legō gar hymin hoti oudeis tōn andrōn ekeinōn tōn keklēmenōn geusetai mou tou deipnou. 14, 24 Car je dis à vous que personne des hommes ceux-là les ayant été invités goûtera de moi le festin.

Commentaire

  • Quand on observe le peu de mots communs (en bleu) des versions de Matthieu et Luc de la parabole des invités à un repas de fête, on serait tenté de penser qu'il s'agit de deux paraboles différentes. Pourtant, il y a une trame commune qui pointe vers la même parabole:
    • dans les deux versions de Matthieu et Luc il s'agit de quelqu'un qui organise un repas et qui envoie un ou des serviteurs pour dire aux invités de venir;
    • mais les invités se dérobent tous pour des raisons diverses;
    • l'organisateur du festin envoie alors son ou ses serviteurs chercher tous ceux qu'ils trouveront sur les chemins, pour prendre la place de ceux qui ont été invités.

  • Divisons le récit en trois parties et considérons leur degré de similitude sur le plan littéraire.
    1. L'invitation. C'est la partie qui offre le plus de similitudes. Les deux versions ont un vocabulaire similaire même s'il n'est pas identique. Quelqu'un fait un banquet (les mots: noces/festin, pourraient provenir de la même racine araméenne). Dans les deux versions, on envoie des invitations. Dans les deux versions, on annonce aux invités que le repas est prêt, suivi de l'impératif: « venez ».

    2. Le refus des invités. C'est dans cette partie que les similitudes littéraires sont les plus rares. Le refus des invités est exprimé chez Matthieu de manière très concise, alors que chez Luc il y a trois types de refus. Le mot commun est celui de « champ ».

    3. L'invitation des inconnus. Dans cette partie, la différence la plus notable est qu'il y a chez Luc deux envois après le refus des premiers invités, contre un seul chez Mt. En revanche, il y a un certain nombre de similitudes: l'organisateur demande au(x) serviteur(s) d'aller chercher tous ceux qu'ils trouveront pour participer à la fête; et on demande de les trouver sur les chemins; et à la fin, la salle est pleine/remplie.

    Les différences entre les versions sont un indice du travail rédactionnel des évangélistes.

  • Il est probable que nous sommes devant un récit unique provenant de la source Q, que Luc, et surtout Matthieu, auraient modifié. Voici les éléments communs de Matthieu et Luc qui nous permettraient de remonter à cette source Q.
    • Un homme veut faire un grand repas et invite beaucoup de gens;
    • À l'heure du repas, il envoie son serviteur les prévenir que tout est prêt, mais ils s'excusent tous en prétextant des affaire urgentes;
    • En colère, l'homme dépêche à nouveau son serviteur pour inviter ceux qu'il trouvera par les chemins, et la salle du festin est fiinalement remplie, mais de gens qui n'avaient pas été invités.

    Au niveau de la source Q, quelle pouvait être la pointe de cette parabole? Le contraste entre ceux qui ont été invités mais qui ne viennent pas, et ceux qui n'avaient pas été invités mais qui remplissent la salle du banquet nous renvoie à la situation du peuple d'Israël qui, invité à particper au royaume, se verra à cause de son refus massif, supplanté par les païens qui eux n'avaient pas été invités. C'est un portrait de la situation ecclésiale qu'observe l'auteur de la source Q. Quel est le motif du refus juif? Les intérêts commerciaux et financiers.

  • C'est ce récit de base qu'auraient modifié Matthieu et Luc. Considérons ces modifications par l'analyse littéraire.

    • L'activité littéraire de Matthieu pourrait être résumée ainsi:

      • V. 2: L'utilisation verbe « il est comparable » lui est habituel pour introduire une parabole, et les expressions « royaume des cieux » et « homme roi » lui sont typiques. Les thèmes du « roi », des « noces » et du « fils » se rencontrent souvent chez Matthieu et ont une portée messianique. Et surtout la mention du roi prépare les v. 6-7 sur l’intervention du roi et de son armée, une intervention, comme nous le verrons, qui est une composition de Matthieu.

      • V. 3-5: Rappelons que chez Matthieu, contrairement à la version de Luc, il y a deux envois vers ceux qui avaient été invités. De plus, ce sont plusieurs serviteurs, et non un seul, qui sont envoyés. On retrouve ici le même style qu'utilise Matthieu dans sa version de la parabole des vignerons homicides (Mt 21, 33-46): il y a changé le singulier de la source Q en un pluriel, et le même vocabulaire pour les deux envois (v. 34: « il envoya ses serviteurs »; v. 36: « il envoya encore d’autres serviteurs »). L'intention est claire: il veut faire référence aux nombreux prophètes envoyés par Dieu à son peuple. On notera également de nombreux mots de son vocabulaire: « Venez » (vers les noces)(Mt = 6; Mc = 3; Lc = 0; Jn = 2; Ac = 0), « étant demeurés indifférents partirent » (voir Mt 21, 29, une parabole propre à Matthieu: « étant pris de remord partirent »), « partirent vers » (leur propre champ) (Mt = 12; Mc = 8; Lc = 4; Jn = 6; Ac = 0). Enfin, au v. 5, Matthieu semble simplement résumer en une phrase les motifs financier et commerciaux de Lc 14, 18b-19.

      • V. 6-7: il s'agit des invités qui tuent les serviteurs envoyés, et que le roi par la suite fait périr et incendie leurs villes. La majorité des biblistes reconnaissent ici une additionne matthéenne à la parabole primitive. D'ailleurs, quand on supprime ces deux versets, la séquence du récit se poursuit logiquement. Le v. 6 fait allusion aux prophètes envoyés par Dieu et mis à mort par Israël, tandis que le v. 7 évoque la ruine de Jérusalem réalisée en 70 par les Romains.

      • V. 8-10: on trouve ici de nombreux traits du style matthéen, comme « les invités n'étaient pas convenables » (voir Mt 10, 11.13), « invitez vers les noces » qui reprend simplement le v 3, « rassembler » (Mt = 24; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7; Ac = 11), le couple « mauvais et bons » (voir Mt 5, 45).

    • L'activité rédactionnelle de Luc est beaucoup moins importante que ce qu'on a vu chez Matthieu, et donc sa version de la parabole est celle qui se rapproche le plus du texte de la source Q. Néanmoins on peut repérer un certain nombre de retouches à la parabole initiale.

      • Avec l'expression « à l'heure du festin » pour l'envoi du serviteur, qui est distingué de l'invitation faite longtemps d'avance, Luc souligne le caractère eschatologique de ce repas, qui est accentué par l'expression « sort rapidement », comme si c'était urgent et que l'événement était imminent.

      • Chez Luc, il y a trois types d'excuse: l'achat d'un champ, l'achat de cinq paires de boeufs, et un mariage. La formulation des deux premières excuses suit un parallélisme exact, tandis que la troisième détonne par sa formulation. Or, la question du mariage est un thème très lucanien: dans le récit sur la résurrection des morts, il ajoute cette phrase: « Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari » (Lc 20, 33); dans les conditions pour suivre Jésus, il est le seul à mentionner qu'il faut être prêt à préférer Jésus à « sa femme » (Lc 14, 26); pour lui, le fait de se marier serait un inconvénient à l'appel de Dieu. Ainsi, dans notre parabole, la troisième excuse serait une addition de Luc, alors que les deux premières remonteraient à la parabole originelle.

      • Il y a chez Luc deux envois chez ceux qui n'avaient pas été invités à l'origine, contre un seul chez Matthieu. Qu'en était-il dans la parabole originelle? Notons d'abord les indices lucaniens: au v. 21 les verbes « s'étant présenté » (Mt = 3; Mc = 1; Lc = 8; Jn = 2; Ac = 20), et « il rapporta » (Mt = 8; Mc = 5; Lc = 11; Jn = 1; Ac = 16), le nom « seigneur » (Mt = 80; Mc = 18; Lc = 104; Jn = 52; Ac = 107) et l'expression « sortir vers les grand-rues » qu'il a également utilisé en Lc 10, 10. De plus, dans ce premier envoi du v. 21 on retrouve le souci de Luc pour les indigents et le fait dans une énumération qu'on trouve aussi en Lc 14, 13 (« quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles »). Il faut donc admettre avec la majorité des biblistes que Luc a dédoublé l'envoi du serviteur. Pour ce faire, après l'irritation de l'organisateur du festin, qui fait partie de la parabole originelle, comme on le voit chez Matthieu, il a inséré son thème récurrent de l'invitation au repas des indigents, puis l'a raccordé à la suite de la parabole originelle avec son expression typique « et le seigneur dit à l'adresse du serviteur ». Dès lors il reprend la parabole avec son appel d'aller par les chemins, qu'on trouve également chez Matthieu.

      • Le v. 24, adressé à l'auditoire du v. 13 qui servait d'introduction à la parabole, une introduction de la plume de Luc, serait également une composition de Luc pour conclure la parabole

  • Matthieu et Luc ont placé cette parabole dans des contexte différents.

    • Chez Matthieu, la parabole a été insérée à la suite de deux paraboles adressées aux grands prêtres et aux anciens, celle des deux fils qui se termine par « En vérité, je vous le déclare, collecteurs d’impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu » (Mt 21, 32) et celle des vignerons homicides qui se termine par « le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits » (Mt 21, 43). Ainsi, Matthieu poursuit sa polémique contre « son peuple », en rappelant encore une fois les nombreux envois des prophètes, dont certains seront mis à mort, et le châtiment de ce peuple à la nuque raide par la destruction de la ville de Jérusalem. Les invités qui refusent l'invitation sont les Juifs, tandis que ceux qui sont appelés en dernier sont les païens.

    • Luc a inséré cette parabole dans le contexte d'un repas de Jésus chez un Pharisien un jour de sabbat où il lance un appel à celui qui l'avait invité à inviter d'abord les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. Puis, pour introduire notre parabole, il met dans la bouche d'un convive cette parole adressée à Jésus: « Heureux qui prendra part au repas dans le royaume de Dieu ! ». Ainsi, d'une part, la parabole prend une dimension eschatologique, celle du repas dans le royaume, d'autre part, elle est colorée par les indigents qui seront les premiers à participer à ce banquet. L'allusion à ceux qui ont été invités et ont décliné l'invitation, i.e. « le peuple élu » est présente dans la conclusion, mais chez Luc ils ont été remplacés en priorité par les indigents, même si « d'autres » se joindront à eux pour que la salle soit pleine. S'il y a une dimension polémique chez Luc, elle est à l'égard des richesses.

39. Quiconque vient doit me préférer à sa famille et doit porter une croix

MatthieuLucMatthieuLuc
10, 37 Ho philōn patera ē mētera hyper eme ouk estin mou axios, kai ho philōn huion ē thygatera hyper eme ouk estin mou axios• 14, 26 ei tis erchetai pros me kai ou misei ton patera heautou kai tēn mētera kai tēn gynaika kai ta tekna kai tous adelphous kai tas adelphas eti te kai tēn psychēn heautou, ou dynatai einai mou mathētēs. 10, 37 L'affectionnant un père ou une mère plus que moi n'est pas digne de moi, et l'affectionnant un fils ou une fille plus que moi n'est pas digne de moi.14, 26 Si quelqu'un vient vers moi et ne hait pas le père de lui-même et la mère et la femme et les enfants et les frères et les sœurs et encore aussi la vie de lui-même, il ne peut pas être mon disciple.
10, 38 kai hos ou lambanei ton stauron autou kai akolouthei opisō mou, ouk estin mou axios. 14,27 hostis ou bastazei ton stauron heautou kai erchetai opisō mou, ou dynatai einai mou mathētēs.10, 38 Et qui ne prend pas la croix de lui et ne suit pas derrière moi, il n'est pas digne de moi.14, 27 Quiconque ne porte pas la croix de lui-même et ne vient pas derrière moi, il n'est pas capable d'être mon disciple.

Commentaire

  • Malgré des formulations différentes, les versions de Matthieu et Luc de cette péricope traduisent la même idée: quand il y a conflit entre l'attachement à Jésus et à sa famille, il faut préférer Jésus. Ça peut impliquer quitter sa famille et devenir comme un croix qu'il faut porter.

  • La version de Matthieu serait la plus fidèle à la formulation de la source Q avec sa structure ternaire:
    1. l'affectionnant un père ou une mère plus que moi n'est pas digne de moi
    2. l'affectionnant un fils ou une fille plus que moi n'est pas digne de moi
    3. qui ne prend pas la croix de lui et ne suit pas derrière moi n'est pas digne de moi

  • Luc a opéré certaines modifications. Tout d'abord, au v. 26 il a fusionné les deux premiers stiques de Matthieu en un seul, et il a complété la liste des membres de la famille sur le modèle de Mc 10, 29 qui énumère tout ce à quoi le disciple est appelé à renoncer (enfants, frères, soeurs en plus de père et mère), une liste qu'il complète par la mention qui lui est typique, la femme, une allusion au mariage qui peut être un obstacle selon lui à suivre Jésus. De plus, à la formule « n’est pas digne de moi », il lui a préféré la formule « ne peut être mon disciple ». Son deuxième stique (v. 27) correspond à Mt 10, 38. Il y aurait chez Luc un troisième stique plus loin au v. 33: « Ainsi donc, quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple ». D'après M.E. Boismard (op. cit., p. 293), ce verset suivait le v. 27 (le 2e stique) pour former le 3e stique lors de la première édition de l'évangile de Luc, et c'est le rédacteur final de l'évangile qui a inséré entre ces deux stiques la parabole de Lc 14, 28-32 (il faut faire de bons calculs avant de décider quoi que ce soit).

    On peut observer d'autres changements chez Luc. Le verbe « affectionner » a été remplacé par « haïr » avec la même signification que Jn 12, 25: « qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle », i.e. n'en fait pas une priorité, et donc la relativise par rapport à d'autres priorités. De même, Luc a ajouté: « (qui ne hait pas) encore aussi sa propre vie », une expression qui ressemble beaucoup à Lc 12, 25 que nous venons de citer, un verset qui précède le v. 26 sur la suite de Jésus. Enfin, Luc remplace l'expression « prendre » (sa croix) l'expression « porter » (sa croix), une expression également utilisée par Jn 19, 17. Il est donc possible que Luc emprunte dans ce logion un thème d'une source que connaît également l'évangile de Jean, une source que Boismard appelle: Document C.

  • Matthieu et Luc ont placé ce logion dans des contextes différents.

    • Matthieu a inséré ce logion à la fin du discours missionnaire de Jésus, aprês avoir averti ses envoyés que ce n'est pas la paix qu'il est venu apporter, mais le glaive, et plus spécifiquement il est venu « séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère » (Mt 10, 35). Ainsi, certains membres de la famille prendront parti pour Jésus, d'autres seront contre. Alors, un envoyé, qui par attachement familial, recononcerait à sa mission, n'est pas digne de lui.

    • Luc a inséré ce logion dans cette longue marche de Jésus vers Jérusalem où il concentre son enseignement sur la vie chrétienne. Il prend la peine d'introduire ainsi ce logion: « Une foule de gens faisait route avec Jésus. Il se retourna et dit à l'adresse de tous » (Lc 14, 25). Le fait que Jésus se retourne entend accentuer l'importance de l'enseignement qui suit. De plus, Jésus s'adresse « à tous », pas seulement aux envoyés ou disciples immédiats, mais à tous ceux qui ont mis leur confiance en lui. Enfin, il s'adresse aux gens qui marchent derrière lui, et donc tout cela introduit le thème des exigences pour suivre Jésus. Ces exigences se résument à trois: préférer Jésus aux liens familiaux et conjugaux s'il y a conflit (v. 26), porter la croix de ces exigences (v. 27), être prêt à renoncer à tous ses biens (v. 33).

40. Inutilité du sel qui a perdu sa saveur

MatthieuLucMatthieuLuc
5, 13 Hymeis este to halas tēs gēsean de to halas mōranthē, en tini halisthēsetai; eis ouden ischyei eti ei mē blēthen exō katapateisthai hypo tōn anthrōpōn.14, 34-35 Kalon oun to halasean de kai to halas mōranthē, en tini artythēsetai; oute eis gēn oute eis koprian eutheton estin, exō ballousin auto. ho echōn ōta akouein akouetō.5, 13 Vous, vous êtes le sel de la terre. Puis, si le sel devenait fou, en quoi sera-t-il salé? Vers rien il n’est fort, si ce n’est, qu’ayant été jeté dehors, d’être piétiné sous les hommes.14, 34-35 Donc, bon (est) le sel. Puis, si le sel devenait fou, avec quoi sera-t-il assaisonné? Ni vers une terre ni vers du fumier il n’est apte, dehors on le jette. L’ayant des oreilles pour entendre, qu’il entende.

Commentaire

  • Un premier regard sur cette péricope montre que la parole de Jésus sur le sel nous est parvenue sous deux traditions, celle de Marc (reflétée par les mots soulignés), et celle de la source Q (le mots colorés en bleu). Seul Luc semble intégrer les deux traditions puisqu'on y trouve des mots qui ne font partie de la source Q (mots soulignés, mais colorés en noir), car chez Matthieu tous les mots qui se retrouvent chez Marc (soulignés) se retrouvent également dans la source Q (colorés en bleu).

  • Cette source Q pourrait être reconstituée ainsi:
    Si le sel devient fou (s'affadit), avec quoi sera-t-il salé? Ni pour la terre, ni pour le fumier il n'est apte: dehors on le jette.

  • Notre compréhension de ce logion repose sur le sens que revêt le mot « sel » dans la source Q. Dans notre monde moderne, le sel est vu comme ce qui donne sa saveur aux aliments, ou encore ce qui est utilisé pour conserver ou confire les aliments. Mais il semble que dans notre péricope la signification soit différente, car si le sel perd ses propriétés, « ni pour la terre, ni pour le fumier il n'est apte », ce qui n'a rien à voir avec les saveurs ou la conservation des aliments. Or, il y a une pratique agricole attestée en Égypte et en Palestine dès le premier siècle où on ajoutait du sel au fumier afin de le rendre plus apte à féconder la terre. Mais si l'image du sel provient d'un milieu agricole, dans quel but est-elle utilisée? Quelle valeur symbolique lui donne-t-on dans notre péricope? L'indice nous est donné par l'expression « si le sel devient fou » (on le traduit habituellement par s'affadir, mais on s'éloigne du sens littéral). Or, dans l'AT comme dans le NT, on parle de devenir fou ou stupide dans un contexte de sagesse:

    • Is 19, 11-12b: (LXX) Et les princes de Tanis, sages conseillers du roi, deviendront fous ; leur conseil sera folie. Comment pourrez-vous dire au roi : Nous sommes les fils des sages, les fils des anciens rois ?
    • Jr 10, 14: LXX) Tout homme n'est qu'un insensé en fait de science ; l'orfèvre a été confondu dans ses idoles ; car il a fait des choses mensongères, des corps sans vie.
    • Si 23, 14 : (LXX) Souviens-toi de ton père et de ta mère, quand tu sièges au milieu des grands, de peur que, les oubliant en leur présence, tu ne fasses des sottises par l'effet de l'habitude, et que tu n'en viennes à souhaiter de n'être pas né, et à maudire le jour de ta naissance.
    • 1 Co 1, 20 : (LXX) Où est-il, le sage? Où est-il, l'homme cultivé? Où est-il, le raisonneur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde?
    • Rm 1, 22 : (LXX) dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous

    Ainsi, le sel désigne la sagesse des disciples qu'ils ont reçue de leur maître, Jésus. Dans la source Q, le logion devient un avertissement adressé aux croyants: s'ils oublient l'enseignement reçu de Jésus, ils perdent leur identité (ils ne sont plus salés) et leur entrée dans le royaume est mise en cause (ils sont jetés dehors).

  • Ce logion a été inséré dans deux contextes différents par Matthieu et Luc

    • Matthieu a placé ce logion dans son sermon sur la montagne, immédiatement après les béatitudes. La signification du sel est claire: c'est la sagesse des béatitudes. Et en utilisant l'expression « vous êtes le sel de la terre » suivie de l'expression « vous êtes la lumière du monde », Matthieu s'adresse à ses disciples pour leur rappeler leur mission: faire connaître au monde la sagesse des béatitudes, ce qui permettra au monde de porter tous ses fruits. Notons que Matthieu a supprimé le mot « fumier, ou bien parce qu'il était mal à l'aise avec le mot, ou bien il trouvait que cela l'éloignait de son propos.

    • Luc a placé ce logion à la suite de la présentation des trois exigences du disciple : préférer Jésus aux liens familiaux et conjugaux s'il y a conflit (v. 26), porter la croix de ces exigences (v. 27), être prêt à renoncer à tous ses biens (v. 33). Dès lors, le sel désigne la sagesse du disciples qui donne la priorité à Jésus, porte sa croix et renonce à tous ses biens. Si le disciple perd ces propriétés, il ne porte plus les fruits du disciple, il perd son identité et ne fait plus partie de la suite de Jésus.

41. L'homme qui laisse 99 brebis pour aller chercher celle qui est perdue

MatthieuLucMatthieuLuc
18, 12 Ti hymin dokei; ean genētai tini anthrōpō hekaton probata kai planēthē hen ex autōn, ouchi aphēsei ta enenēkonta ennea epi ta orē kai poreutheis zētei to planōmenon; 15, 4 tis anthrōpos ex hymōn echōn hekaton probata kai apolesas ex autōn hen ou kataleipei ta enenēkonta ennea en tē erēmō kai poreuetai epi to apolōlos heōs heurē auto; 18, 12 "Quoi à vous il semble? S'il advenait à un certain homme cent brebis et que s'égare une parmi elles, ne laissera-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf sur les montagnes et étant allé il cherche l'étant égaré?15, 4 "Quel homme parmi vous ayant cent brebis et ayant perdu parmi elles une n'abandonnera-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf dans le désert et il va sur l'ayant été perdu jusqu'à ce qu'il trouve elle?
18, 13a kai ean genētai heurein auto, 15, 4 kai heurōn epitithēsin epi tous ōmous autou chairōn 18, 13a Et s'il lui arrive de trouver elle, 15, 5 Et ayant trouvé, il met sur les épaules de lui se réjouissant,
 15, 6 kai elthōn eis ton oikon synkalei tous philous kai tous geitonas legōn autois• syncharēte moi, hoti heuron to probaton mou to apolōlos.  15, 6 et étant venu vers la maison il convoque les amis et les voisins disant à eux: 'Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la brebis de moi l'ayant été perdu.'
18, 13b-14 amēn legō hymin hoti chairei epʼ autō mallon ē epi tois enenēkonta ennea tois mē peplanēmenois. houtōs ouk estin thelēma emprosthen tou patros hymōn tou en ouranois hina apolētai hen tōn mikrōn toutōn.15, 7 legō hymin hoti houtōs chara enouranō estai epi heni hamartōlō metanoounti ē epi enenēkonta ennea dikaiois hoitines ou chreian echousin metanoias.18, 13b-14 amen, je dis à vous qu'il se réjouit sur elle plus que sur les quatre-vingt-dix-neuf ceux n'ayant pas été égarés. Ainsi il n'est pas de volonté en présence du père de moi celui dans des cieux, que périsse un des petits ceux-là."15, 7 Je dis à vous qu'ainsi une joie dans le ciel sera sur un pécheur changeant d'idée que sur quatre-vingt-dix-neuf justes lesquels n'ont pas besoin d'un changement d'idée."

Commentaire

  • La parabole de la brebis égarée/perdue est bien connue, et dans la source Q elle devait être jumelée avec la parabole de la drachme perdue, comme on le voit chez Luc, car toutes deux ont une structure identique; Matthieu a jugé bon de ne pas retenir la deuxième. Quelle était la formulation de la première dans la source Q? Pour obtenir une réponse, il faut repérer ce que chaque évangéliste semble avoir ajouté ou modifié à la parabole.

  • En Lc 15, 7, nous avons la phrase: « pour un pécheur changeant d'idée que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin d'un changement d'idée ». Or, Luc reprend ici la même idée qu'en Lc 5, 32 (« Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils changent d'idée »). Dans la parabole initiale, on devait seulement parler de la plus grande joie de retrouver la brebis perdue que pour celles qui ne s'étaient pas perdues. De même, on remarque que Lc 15, 6 (la convocation à une fête dans le village) n'a pas d'équivalent chez Matthieu. Et de fait, on y retrouve un vocabulaire très lucanien: « convoquer » (Mt = 0; Mc = 1; Lc = 4; Jn = 0; Ac = 3), « amis » (Mt = 1; Mc = 0; Lc = 15; Jn = 6; Ac = 3), le couple « amis et les voisins » (voir Lc 14, 12), « se réjouir avec » (voir Lc 1, 58). Enfin, il est possible que la parabole originelle avait le verbe « égarer » que Luc aurait changé en « perdre » pour l'harmoniser avec la parabole de la drachme perdue.

  • Matthieu aurait également apporté certaines modifications. Ainsi l'expression « que vous en semble » est typiquement matthéen (Mt 17, 25; 21, 28; 22, 17.42; 26, 66). La parabole originelle devait plutôt avoir la formule qu'on a chez Luc (« Quel homme parmi vous ayant... »), une formule qu'on trouve dans un extrait de la source Q en Mt 12, 11. Enfin, la finale de Mt 18, 14 (« Ainsi ce n'est pas la volonté de mon père aux cieux, que périsse un ce ces petits ») serait une composition de Matthieu: il a introduit « petits » en raison du contexte que nous verrons plus bas, et « volonté de Dieu » est un des grands thèmes de Matthieu (voir par exemple son Notre Père).

  • Ainsi, la parabole originelle aurait la forme de Lc 15, 4-5; Mt 18, 13b.

  • Quelle pouvait être la signfication de la parabole dans la source Q? Tout d'abord, il est important de retrouver un certain nombre de parallèles dans l'AT. C'est le prophète Ézéchiel qui nous offre les meilleurs parallèles.
    • Ez 34, 16: (LXX) « Je chercherai la brebis perdue, je récupérerai celle qui s'est égarée, ...je fortifierai celle qui est défaillante... »
    • Ez 34, 6: (LXX) « Mes brebis étaient dispersées sur toutes les montagnes et sur toutes les collines élevées »
    • Ez 34, 25: (LXX) « elles habiteront dans le désert... »
    • Ez 33, 11: (LXX) « Je ne désire pas la mort de l'impie, mais que l'impie se détourne de sa voie et vive »

    Tous ces passages d'Ézéchiel font référence à Yahvé comme pasteur qui doit intervenir en raison de la négligences des pasteurs d'Israël. Pour sa part, Jésus s'est montré un véritable pasteur et cette parabole centrée sur un véritable pasteur servait certainement à expliquer son action. La pointe de la parabole est dans la joie du berger de retrouver la brebis égarée/perdue. En ce sens, elle ne peut qu'inviter celui qui s'est éloigné des sentiers de Dieu à revenir dans la bergerie. Mais dans quel contexte l'auteur de la source Q a-t-il placé cette parabole? Comme nous n'avons aucune copie de cette source Q, on peut seulement imaginer qu'elle avait une saveur polémique contre les Pharisiens, eux qui se croyaient « justes », et donc ne faisaient pas partie les égarés ou les perdus. Cela expliquerait le paradoxe de la joie. En effet, comment un égaré/perdu peut-il être une plus grande source de joie que les non égarés/perdus? C'est dévalorisant pour les non égarés/perdus. Mais l'expression de la joie prendrait tout sens sens si la parabole avait connonation ironique: il y a plus de joie pour quelqu'un qui reconnaît son égarement et change d'attitude que pour tous ceux qui s'imaginent à tort qu'ils n'ont pas besoin de changer. Ce serait donc une attaque frontale contre les Pharisiens.

  • Matthieu et Luc ont placé cette parabole dans des contextes différents.

    • Matthieu a placé cette parabole dans son discours sur la vie fraternelle (ch. 18). Elle est précédée d'une mise en garde de ne pas entraîner la chute d'un seul de ces « petits » qui croient en Jésus (Mt 18, 6-9) et est suivie par les règles sur la correction fraternelle (Mt 18, 15-18). Ainsi, le contexte est celui de la vie chrétienne, et le discours s'adresse aux disciples, et donc aux responsables de communauté. La parabole veut inciter les chefs de communauté à être de véritables pasteurs en ramenant vers Dieu leurs frères égarés, usant d'autant de sollicitude que le berger pour retrouver la brebis égarée. C'est une bonne introduction à la séquence sur la correction fraternelle qui suit. Les « petits » de la communauté semblent être ceux dont la foi est fragile et qui peuvent facilement s'égarer au contact des gens hors de la communauté.

    • Luc semble avoir mieux respecté le contexte polémique de la source Q. Pour bien définir le contexte, il compose une introduction (Lc 15, 1-3) où les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchent de Jésus, ce qui suscite l'irritation des Pharisiens et des scribes pour qui fréquenter ces gens rend quelqu'un impur. La parabole a pour effet, d'une part, d'expliquer et de justifier le comportement de Jésus qui doit fréquenter les gens « impurs » pour les ramener à Dieu, et d'autre part, avec une pointe d'ironie, de mettre dans l'embarras les Pharisiens et les scribes en les amenant à s'identifier avec ceux qui n'ont pas besoin de changer, donc ceux pour lesquels Dieu n'a pas besoin d'intervenir.

42. Ne peut servir deux maîtres

MatthieuLucMatthieuLuc
6, 24 Oudeis dynatai dysi kyriois douleuein• ē gar ton hena misēsei kai ton heteron agapēsei, ē henos anthexetai kai tou heterou kataphronēsei. ou dynasthe theō douleuein kai mamōna.16, 13 Oudeis oiketēs dynatai dysi kyriois douleuein• ē gar ton hena misēsei kai ton heteron agapēsei, ē henos anthexetai kai tou heterou kataphronēsei. ou dynasthe theō douleuein kai mamōna.6, 24 "Aucun n'est capable deux seigneurs de servir. Car ou l'un il haïra et l'autre il aimera. Ou à l'un il s'attachera et l'autre il méprisera. Vous n'êtes pas capale Dieu de servir et Mammon."16, 13 "Aucun domestique n'est capable deux seigneurs de servir. Car ou l'un il haïra et l'autre il aimera. Ou à l'un il s'attachera et l'autre il méprisera. Vous n'êtes pas capale Dieu de servir et Mammon."

Commentaire

  • Les versions de Matthieu et Luc de ce logion de la source Q sont presqu'identiques. C'est Luc qui aurait ajouté « domestique » pour faire le lien avec la parabole précédente (l'intendant astucieux). Notons que le nom « Mammon » vient de l'araméen et il signifie: richesse; il est lié à la racine 'mn (d'où le mot « amen ») et fait référence à ce qui est sûr, ce sur quoi on peut compter. La signification du logion est claire: il y a dans la recherche des richesses une logique totalement incompatible avec la voie proposée par Jésus: l'une cherche à acquérir, l'autre à donner; l'une est centrée sur soi, l'autre sur le prochain, l'un veut protéger le status quo et développe la suspicion, l'autre s'ouvre au changement et fait confiance. Malheureusement, on ne connaît pas les circonstances où une telle parole ou son équivalent aurait pu être prononcée par Jésus, ou encore dans quel contexte l'auteur de la source Q l'aurait placée.

  • Matthieu et Luc ont placé ce logion dans deux contexte différents.

    • Matthieu l'a placé dans son sermon sur la montagne où il sert d'introduction à son exhortation à éviter les soucis à l'égard de ce qu'on mangera ou de ce qu'on aura comme vêtement. L'évangéliste semble assumer qu'on cherche à s'enréchir par souci de bien se nourir et bien se vêtir. Et donc, en éliminant ces soucis, on ne sera plus intéressé par l'argent. De plus, l'enseignement sur les soucis propose de faire confiance au Père du ciel, comme les oiseaux et les plantes. Cela signifie que servir l'argent exprime l'absence de foi.

    • Luc l'a placé dans un séquence autour de l'argent. Il suit la parabole de l'intendant astucieux qui avait utilisé habilement l'argent pour se sortir d'une mauvaise situation, et d'un enseignement concernant l'argent comme critère de sa capacité à gérer le bien véritable, et sera suivi de la mention que les Pharisiens aimaient l'argent. Tout au long de cette séquence le mot « argent trompeur » revient comme un leitmotiv. Ainsi, contrairement à Matthieu, Luc ne se contente pas seulement de parler d'incompatibilité entre l'argent et Dieu, mais parle plutôt de bonne gestion au service du royaume, en évitant les illusions (trompeuses) qu'il suscite.

43. Loi et prophètes jusqu'à Jean-Baptiste ; pas un point de la loi ne passera ; divorcer d'une femme et en épouser une autre est un adultère

MatthieuLucMatthieuLuc
[11, 12-13 apo de tōn hēmerōn Iōannou tou baptistou heōs arti hē basileia tōn ouranōn biazetai kai biastai harpazousin autēn. pantes gar hoi prophētai kai ho nomos heōs Iōannou eprophēteusan•]16, 16 Ho nomos kai hoi prophētai mechri Iōannou• apo tote hē basileia tou theou euangelizetai kai pas eis autēn biazetai. [11, 12-13 Puis, à partir des jours de Jean le Baptiste jusqu'à maintenant le royaume des cieux souffre violence et des violents s'emparent de lui. Car tous les prophètes et la loi jusqu'à Jean ont prophétisé.]16, 16 La loi et les prophètes aussi loin que Jean. À partir d'alors le royaume de Dieu est annoncé et tout (être) vers lui souffre violence.
[5, 18 amēn gar legō hymin• heōs an parelthē ho ouranos kai hē gē, iōta hen ē mia keraia ou mē parelthē apo tou nomou, heōs an panta genētai.] 16, 17 eukopōteron de estin ton ouranon kai tēn n parelthein ē tou nomou mian keraian pesein.[5, 18 Car amen je dis à vous: jusqu'à ce que le cas échéant passe le ciel et la terre, un seul iota ou un seul trait, non, ne passera pas à partir de la loi, jusqu'à ce que le cas échéant toutes choses deviennent.]16, 17 Puis plus facile il est le ciel et la terre de passer que de la loi un seul trait de tomber.
[5, 32 egō de legō hymin hoti pas ho apolyōn tēn gynaika autou parektos logou porneias poiei autēn moicheuthēnai, kai hos ean apolelymenēn gamēsē, moichatai.]16, 18 Pas ho apolyōn tēn gynaika autou kai gamōn heteran moicheuei, kai ho apolelymenēn apo andros gamōn moicheuei.[5, 32 Puis, moi je dis à vous que tout (homme) répudiant la femme de lui, excepté en cas d'immoralité, il fait elle être adultère, et qui, s'il une ayant été répudiée épouse, devient adultère]16, 18 Tout (homme) le répudiant la femme de lui et épousant une autre commet l'adultère, et l'ayant été répudiée du mari épousant, il commet l'adultère.

Commentaire

  • Cette péricope contient trois logia (Mt 11, 12-13 || Lc 16, 16 : de la loi et les prophètes jusqu'à Jean Baptiste; Mt 5, 18 || Lc 16, 17 : pas un seul trait de la loi ne passera; Mt 5, 32 || Lc 16, 18 : qui répudie sa femme et en épouse une autre commet l'adultère), et aborde trois sujets différents. Luc a fait le choix de les regrouper. Chez Matthieu ils se retrouvent dans trois lieux différents. Aussi faut-il analyser chacun d'eux de manière indépendante.

  • Mt 11, 12-13 || Lc 16, 16 : de la loi et les prophètes jusqu'à Jean Baptiste

    • On aura remarqué que ce logion comprend deux phrases, mais en comparant Matthieu et Luc on note que l'ordre est inversé. Il semble que ce soit Matthieu qui ait inversé l'ordre si on prend Justin comme témoin:
      « La Loi et les prophètes (sont) jusqu’à Jean le Baptiste; désormais, le royaume des Cieux souffre violence et des violents s’en emparent. Et si vous voulez m’en croire, c’est lui, Élie, qui doit venir. Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! » (Dial. 51, 3)

      Quelle était la signification de ce logion dans la source Q? Comme on ne connaît pas son contexte, il est difficile de répondre. Pour les premiers chrétiens, parler de la loi et des prophètes, c'est faire référence à l'AT. Ainsi, on démarque clairement deux périodes: celle de l'AT, et celle inaugurée par Jésus et qui commence avec son précurseur, Jean-Baptiste. Avec Jésus, le royaume de Dieu s'est approché. Mais à quoi fait référence la violence dont parle ce logion? Et si le logion remonte au Jésus historique, à quoi fait-il allusion? Une réponse possible vient du contexte eschatologique dans lequel Jésus se situait et qui marque les premiers écrits chrétiens. La période de la fin des temps est une période de turbulence, une période d'affrontements où certains se proclament « messie » (voir Mc 13, 21-22; Ac 5, 34) et prétendent montrer la voie vers le royaume; certains de ces groupes seront réprimés dans la violence. Mais cela, reconnaissons-le, reste conjectural.

    • Matthieu a fait quelques modifications. En plus d'inverser l'ordre, afin que son verset 13 puisse introduire son v. 14 où il fait le lien entre Jean-Baptiste et Élie, il emploie au v. 12 une expression typique de son style: « à partir… jusqu’à » (Mt = 8; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 1; Ac = 3). Mais surtout, il a inséré ce logion dans une section consacrée à Jean Baptiste, après que Jésus eut répondu aux envoyés de Jean-Baptiste en prison sur sa messianité et l'eut présenté comme le plus grand des prophètes, avant de reprocher à cette génération sa mauvaise foi en n'ayant pas accueilli le baptiste. Ainsi, le fait que Jean-Baptiste soit en prison et que certains le rejettent fournit un certain contexte à violence dont parle le logion.

    • Selon son habitude, Luc aime adoucir les angles. La mention de « violents qui s’emparent du royaume » a été éliminée, si bien que la période actuelle est caractérisée par « le royaume de Dieu est annoncé ». Que signifie alors « tout (être) vers lui souffre violence », i.e. c’est par la violence qu’on entre dans le royaume? Dans son récit sur les disciples d'Emmaüs, Luc utilise un verbe de même racine pour décrire le fait que les disciples « contraignent » Jésus à demeurer chez eux (Lc 24, 29); de même, en Ac 16, 15 Lydie, après son baptême, « contraint » Paul à demeurer chez elle. Dès lors, dans le cas de l'entrée dans le royaume, Luc semble suggérer que l'entrée dans le royaume exerce des contraintes, elle force les gens à des choix déchirants. En particulier, ce logion a été placé dans une section sur l'argent trompeur.

  • Mt 5, 18 || Lc 16, 17 : pas un seul trait de la loi ne passera

    • Le noyau de ce logion est clair: le ciel et la terre (i.e. l'univers) sont appelés à disparaître, mais rien ce qui est contenu dans la loi (i.e. le Décalogue ou les Dix commandements) ne disparaîtra. Pourquoi? Le logion ne le dit pas, mais on peut assumer que le Décalogue soutient la vision de Dieu sur l'être humain et de sa relation avec les autres. De plus, dans les évangiles ont présentera Jésus comme celui qui est venu parfaire la loi, i.e. la développer dans la direction où elle pointait pour qu'elle reflète totalement la volonté de Dieu. L'auteur de ce logion dans la source Q était fort probablement un chrétien d'origine juive et n'a pas vu la loi fondamentale transmise par Moïse au Sinaï comme un obstacle à sa foi en Jésus: au contraire, cette loi a pris une nouvelle dimension. Cette tradition que Jésus n'est pas venu abolir la loi se retrouve également chez Marc comme le montre les mots soulignés; c'est le signe qu'elle était généralement assez répandue.

    • Matthieu a placé ce logion dans son sermon sur la montagne pour introduire cette séquence où Jésus énumère les nombreux points de la loi ou de la tradition juive qu'il est venu mener à son accomplissement, et qui se termine avec l'exhortation: « Vous serez parfait comme votre Père céleste est parfait ». Il fait précéder notre logion de la parole: « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir ». De plus, il ajoute à la fin de notre logion (5, 18b): « jusqu'à ce que le cas échéant toutes choses deviennent », la même formule lorsqu'il cite l'Écriture: « afin que s'accomplisse ce qui a été écrit ». Ainsi, avec le NT, l'AT prend toutes sa signification, celle de préparer l'arrivée de Jésus. Notons qu'une partie de la communauté de Matthieu était d'origine juive, et certains (sous l'influence de Paul?), aurait été tenté de jeter par dessus bord leur héritage juif. Matthieu leur rappelle que Jésus n'est pas venu jeter la loi juive, mais lui faire exprimer sa signification profonde qui tourne autour de l'amour du frère et de Dieu.

    • La version de Luc reflète problement le logion dans la source Q. On peut penser qu'il a éliminé le mot « iota », une des lettres de l'alphabet hébraïque, un mot qui était inconnu dans son milieu grec. C'est peut-être le mot crochet « loi » du verset précédent qui a amené Luc à insérer ce logion dans cette séquence où Jésus dénonce l'hypocrisie des Pharisiens qui se montrent justes aux yeux des hommes mais qui ne vivent pas vraiment l'intention profonde de la loi, et où il annonce que la période actuelle succède à celle de la loi et des prophètes. Tout cela entre dans le plan de Luc où la période de Jésus est la suite harmonieuse de celle de l'AT.

  • Mt 5, 32 || Lc 16, 18 : qui répudie sa femme et en épouse une autre commet l'adultère

    • Les versions de Matthieu et Luc disent essentiellement la même chose, mais c'est probablement la version de Matthieu qui reflète le mieux la formulation de la source Q, si on omet l'exception qu'il a introduite:
      Tout homme qui qui répudie sa femme, la fait être adultère
      et qui épouserait une répudié fait un adultère.

      Pourquoi répudier une femme la fait être adultère? Rappelons que dans le milieu palestinien, la femme n'a aucun statut social et sa seule façon de subvenir à ses besoins se fait à travers un mari. Or, si elle est répudiée, elle n'a plus de mari pour subvenir à ses besoins, et donc de toute urgence elle doit en trouver un autre si elle veut survivre. Ainsi, elle n'a pas le choix, elle est condamné à l'adultère.

      La source Q reflète ici un début de droit canon chez les premières communautés chrétiennes d'origine juive, des régles qui se basent sur l'enseignement de Jésus sur le mariage. Ici, il est important de distinguer l'enseignement de Jésus et les règles établies par la suite par les communautés chrétiennes. Marc est celui qui nous donne le détail de cet enseignement. Rappelons le récit de Mc 10, 1-9 où des Pharisiens demandent à Jésus ce qu'il pense du billet de répudiation d'une femme qu'exigeait la loi juive et qu'on faisait remonter à Moïse. Il faut savoir que dans les milieux juifs seul l'homme pouvait répudier sa conjointe, et le motif pouvait être n'importe quoi, y compris le fait qu'une femme avait brûlé un plat ou que l'homme avait trouvé une plus belle femme (c'est comme ça qu'on interprétait Dt 24, 1 qui parle de « tare » ou « quelque chose qui fait honte » chez l’épouse; voir Philon d’Alexandrie, Des lois spéciales, 3.5 #30-31 et Mishna, Nachin). Or, travers Gn 1, 27 et Gn 2, 24, Jésus rappelle comme prophète l'engagement profond voulu par Dieu qu'implique le mariage où l'homme quitte sa famille pour ne faire qu'un avec femme. Le récit se termine avec cette parole de Jésus: « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ».

      L'intervention de Jésus avait quelque chose de révolutionnaire étant donné le statut de la femme qui n'était plus ou moins qu'une marchandise aux mains de l'homme. Mais Jésus n'a agi que comme prophète en présentant la vision de Dieu sur l'homme et la femme. Qu'est-ce que cela impliquait dans la vie de tous les jours? Cela a été laissé aux communautés chrétiennes. C'est ce qu'indique Marc en Mc 10, 10: « Et à la maison de nouveau les disciples l'interrogeaient sur cela ». Ainsi, Marc distingue l'enseignement de Jésus et les explications données à la « maison », image des communautés chrétiennes où on discuta des suites à donner à cet enseignement. Comme Marc écrit probablement pour la communauté romaine, le mini droit canon qui y est élaboré doit tenir compte de la situation romaine où, contrairement au milieu palestinien, la femme pouvait répudier son mari; et c'est ainsi que la communauté est arrivée avec cette règle: « Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ; et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère » (Mc 10, 11-12). Bien sûr, cette règle est mise dans la bouche de Jésus pour lui donner une certaine autorité.

      Matthieu et Luc, en reprenant le texte de la source Q, apportent quelques modifications et l'insèrent dans des contexte différents.

      • Matthieu, qui aurait peut-être écrit son évangile à Antioche, appartient à un milieu où une partie de la communauté chrétienne était d'origine juive et à laquelle Paul s'est buté en raison de son conservatisme. Or, l'évangéliste, en reprenant le texte de source Q, introduit une exception au mini droit canon, comme il le fait d'ailleurs lorsqu'il reprend le texte de Marc sur le divorce (Mt 19, 9) : l'homme ne peut répudier sa femme sauf en cas de porneia. Que signifie le mot grec porneia? De manière générale, il désigne toute forme d'immoralité sexuelle. Dans la Septante, cette traduction grecque de l'AT, le terme désigne la prostitution. C'est la même signification qu'on retrouve dans l'Apocalypse, même si nous sommes sur le plan symbolique (2, 21; 9, 21; 14, 8; 17, 2.4; 18, 3; 19, 2) ou chez Jean (8, 41). Paul, pour sa part désigne par ce terme la débauche et la fornication, par exemple dans le cadre de la fréquentation des prostituées à Corinthe (1 Co 6, 18), ou encore dans le contexte du danger pour l'homme qui n'a pas sa conjointe avec lui (1 Co 7, 2); il l'utilise aussi quand il énumère un certain nombre d'inconduites comme la fornication (2 Co 12, 21). Dans l'évangile de Marc, il s'agit d'un cas d'inconduite sexuelle rangée avec les intentions mauvaises, le vol et le meurtre. C'est ce mot qui est utilisé dans les Actes des Apôtres dans la liste des exigences minimales adressées aux païens qui deviennent chrétiens lors du concile de Jérusalem : « Écrivons-leur simplement de s’abstenir des souillures de l’idolâtrie, de la porneia, de la viande étouffée et du sang » (Ac 15, 20). Dans le passé, plusieurs bibles ont traduit porneia par « unions illégitimes », car les mariages consanguins étaient prohibés dans le Judaïsme (voir Lv 18, 6-18). Mais jamais le terme porneia ne désigne strictement et simplement les unions illégitimes. Aujourd'hui pratiquement toutes les bibles traduisent ce mot par « débauche » ou « immoralité sexuelle ». Qu'en est-il de Matthieu? Malheureusement, sur les trois occurrences du mot, deux concernent cette exception à la règle (Mt 5, 32; 19, 9), ce qui nous laisse seulement Mt 15, 19: « Du cœur en effet proviennent intentions mauvaises, meurtres, adultères, porneia, vols, faux témoignages, injures ». Encore ici, nos bibles ont traduit le terme par « débauche » ou « inconduite ». Ce qui est clair, dans ce passage Matthieu distingue porneia de l'adultère.

        Que conclure? Il vaut mieux garder au terme porneia sa définition générale d'inconduite sexuelle. Les efforts modernes pour préciser ce terme proviennent d'un faux problème: on aimerait connaître dans quel cas Jésus aurait permis le divorce. Mais comme nous l'avons montré plus haut, nous ne sommes pas devant un enseignement de Jésus, mais devant un effort d'application de cet enseignement dans la vie quotidienne par les première communauté chrétiennes. La communauté de Matthieu, même si elle accueille l'enseignement de Jésus sur le mariage comme engagement pour la vie, a cru bon d'avoir un mini droit canon qui inclut une exception de nature sexuelle. Paul, pour sa part, après avoir fait référence à l'enseignement de Jésus (« que la femme ne se sépare pas de son mari », 1 Co 7, 10), affirme ceci dans le cas d'un mariage mixte (croyant - non-croyant): « Si le non-croyant veut se séparer, qu’il le fasse ! Le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ce cas : c’est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés » (1 Co 7, 15). Que dit donc Paul? Même si Jésus dit que l'homme et la femme mariés ne doivent pas être séparés, cette vision ne s'applique pas dans le cas concret d'un mariage mixte où un partenaire non croyant refuse de continuer à vivre avec l'autre qui est croyant, et la raison invoquée: c'est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés, et non pour vivre dans un milieu de conflits incessants (la vie sociale autour des dieux était importante dans l'Antiquité). Ainsi, à la fois Matthieu et Luc distinguent l'enseignement de Jésus, la vision du couple aux yeux de Dieu, et les aléas de la vie quotidienne qui commande certaines règles où l'engagement pour la vie n'est plus possible.

        Matthieu a inséré ce logion dans son sermon sur la montagne alors que Jésus nomme différents éléments de la loi et de la tradition juive et lance un appel à les dépasser. Or, ce logion est inséré après que Jésus eut cité le commandement « Tu ne commettras pas d'adultère » qu'il exhorte à dépasser en ne regardant même pas une femme avec convoitise, car ceci est aussi une forme d'adultère (Mt 5, 27-28). Puis, il introduit ainsi notre logion: « il a été dit : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui remette un certificat de répudiation ». Dès lors, le rejet de la répudiation devient une façon de dépasser la tradition juive d'émettre un certification de répudiation.

      • Luc, pour sa part, n'est pas du tout intéressé par les questions du mariage et du divorce. Il est l'évangéliste qui voit le mariage comme un obstacle pour suivre Jésus (voir l'excuse pour ne pas aller au banquet en Lc 14, 20 et le fait qu'il est seul à ajouter la femme parmi les membres de la famille auxquelles le disciple doit renoncer en Lc 14, 26). Puis, il élimine le récit qu'on trouve en Mc 10, 1-9 sur la question du divorce et de la présentation de Jésus sur l'engagement total de l'homme vis-à-vis de la femme. Et ici, avec ce logion de la source Q, il apporte une légère modification. Comparons les formulations chez Matthieu et Luc.
        Matthieu 5, 32Luc 16, 18
        a. Tout homme qui qui répudie sa femme, la fait être adultèrea. Tout homme qui qui répudie sa femme et en épouse une autre commet l'adultère
        b. et qui épouserait une répudiée fait un adultèreb. et celui qui épouse une répudiée par son mari commet un adultère

        Que remarque-t-on? En Mt 5, 32a l’adultère est du côté de la femme, car la femme palestinienne, n’ayant pas de moyens de subsistance, doit immédiatement se trouver un nouveau partenaire. Luc, pour sa part, appartient à un milieu grec où la femme avait beaucoup d’autonomie et certaines femmes étaient mêmes des entrepreneurs : pensons à Lydie, une négociante en pourpre, de la ville de Thyatire (Ac 16, 14), ou Phébée (Rm 16, 1), diaconesse de l'église de Cenchrées (la première épitre aux Corinthiens nous présente des femmes très actives et très engagées). Alors la situation dont parle Matthieu ne s’applique pas au milieu de Luc. Aussi écarte-t-il la mention qu’une répudiation fait être une femme adultère en disant simplement et clairement : que l’homme est adultère quand il répudie une femme pour en épouser une autre.

        Chez Luc, ce logion apparaît à la suite de deux logia qui ont le mot « loi » comme mot-crochet. Sans doute Luc a jugé comme moment propice dans son évangile d'insérer la « règle » sur le divorce après la mention que pas un seul trait de la loi ne tombera. Cette section apparaît un peu comme un « fourre-tout », et cela semble convenir pour l'évangéliste qui accorde peu d'intérêt à ces questions.

44. Malheur aux tentateurs ; pardonner à un frère après l'avoir réprimandé ; Pierre : combien de fois faut-il pardonner ?

MatthieuLucMatthieuLuc
18, 7 Ouai tō kosmō apo tōn skandalōn• anankē gar elthein ta skandala, plēn ouai tō anthrōpō diʼ hou to skandalon erchetai. 17, 1 Eipen de pros tous mathētas autou• anendekton estin tou ta skandalaelthein, plēn ouai diʼ hou erchetai18, 7 "Malheur au monde à cause des scandales. Car une nécesité de venir les scandales, aussi malheur à l'homme à travers qui le scandale vient."17, 1 Puis, il dit à l'adresse des disciples de lui: "Impensable est pour les scandales de ne pas venir, aussi malheur à travers qui elle vient.
18, 15 Ean de hamartēsē [eis se] ho adelphos sou, hypage elenxon auton metaxy sou kai autou monou. ean sou akousē, ekerdēsas ton adelphon sou• 17, 3 prosechete heautois. Ean hamartē ho adelphos sou epitimēson autō, kai ean metanoēsē aphes autō. 18, 15 "Puis, s'il pèche [à l'égard de toi] le frère de toi, va, reprend lui au milieu de toi et lui seul. Si toi qu'il écoute, tu as gagné le frère de toi."17, 3 Prenez garde à vous-mêmes, que si pèche le frère de toi réprimand-le, et que s'il change d'idée, remets à lui.
18, 21-22 Tote proselthōn ho Petros eipen autō• kyrie, posakis hamartēsei eis eme ho adelphos mou kai aphēsō autō; heōs heptakis; legei autō ho Iēsous• ou legō soi heōs heptakis alla heōs hebdomēkontakis hepta.17, 4 kai ean heptakis tēs hēmeras hamartēsē eis se kai heptakis epistrepsē pros se legōn• metanoō, aphēseis autō.18, 21-22 Alors s'étant approché le Pierre il dit à lui: "Seigneur, combien de fois péchera à l'égard de moi le frère de moi et je remettrai à lui? Jusqu'à sept fois? Répond à lui le Jésus: "Je ne dis pas à toi jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept."17, 4 et que si sept fois le jour il pêche contre toi et sept fois il retourne vers toi disant, je change d'idée, tu remettras à lui."

Commentaire

  • Cette péricope présente deux logia qui étaient probablement réunis dans la source Q et que Luc a conservé ainsi, mais que Matthieu a séparé.

  • Mt 18, 7 || Lc 17, 1: malheur à celui qui est cause de scandale.

    • Le nom grec scandalon désigne d'abord un piège ou une trappe dans lequel on tombe, et par extension tout obstacle qui fait trébucher quelqu'un. Ce piège ou obstacle peut être physique (Lv 19, 14: LXX « Tu n'insulteras pas le sourd, et tu ne mettras pas d'obstacle sur le chemin de l'aveugle, et tu craindras le Seigneur ton Dieu : Je suis le Seigneur ton Dieu »), comme il peut être moral (Ps 119, 165 [LXX 118, 165] « qui aiment ta loi ont une grande paix, et il n'y a pas de piège pour eux »), ou encore religieux (Ps 106, 36 [LXX 105, 36] « Ils servirent leurs images taillées, et ce fut un piège pour eux »). Dans les évangiles, le nom lui-même est rare (le verbe « scandaliser » est beaucoup plus fréquent), et à part la source Q, on trouve deux occurrences chez Matthieu: la première l'associe à ceux qui commettent l'iniquité, i.e. qui ne suivent pas la loi (Mt 13, 41) et l'autre à Pierre (Mt 16, 23) qui tente de faire dévier Jésus de chemin qui implique la souffrance et la mort.

    • À qui l'auteur de la source Q fait-il référence? Comme nous n'avons aucun contexte, il est difficile de répondre. Mais on peut imaginer que le scandale désigne tous les obstacle à la foi en Jésus, et ils peuvent être nombreux. D'ailleurs la croix et le chemin qu'a emprunté Jésus est souvent présenté comme une pierre d'achoppement (voir 1 Co 1, 23). Mais la source envisage peut-être des situations comme celle dont parle Paul en 1 Co 8, 1-13 où des chrétiens mangent de la viandes offertes aux idoles dans des fêtes civiques, sachant que les idoles n'existent pas, mais par là ébranlent des frères dont la conscience est moins éclairée et qui, par la suite, quittent la communauté pour retourner dans leur monde ancien. Dans le monde des chrétiens juifs, certains ont pu s'écarter totalement de leur tradition juive, rejetant globalement les lois mosaïques, ce qui a pu ébranler la foi de leurs frères. Bref, l'auteur de la source Q assume avec un certain fatalisme que les situations qui peuvent ébranler le chrétien ou lui tendre un piège surviennent inévitablement. En proférant une malédiction, il entend affirmer que l'auteur d'une telle situation en portera la responsabilité lors du jugement.

    • Matthieu a inséré ce logion dans son discours sur la vie communautaire. Ce logion est mis en contraste avec la réponse de Jésus à la question sur le plus grand dans le royaume (Mt 18, 1), une réponse qui invite à devenir comme des enfants, des êtres, qui à l'époque, n'avaient pas de status social et étaient considérés comme insignifiants: « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même » (Mt 18, 5). Ainsi, Matthieu oriente la discussion vers les membres de la communauté qu'on considère sans importance. Puis, il introduit notre logion ainsi: « Mais quiconque entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule et qu’on le précipite dans l’abîme de la mer » (Mt 18, 5). Dès lors, la mise en garde concerne l'attitude face aux membres fragiles de la communauté, des membres qui, pour quelque raison que ce soit, peuvent être ébranlés dans leur foi. Cette mise en garde s'adresse aux responsables de communauté.

    • Luc a inséré ce logion après la parabole du riche et de Lazare. Le lien avec la parabole semble ténu. Mais depuis le début du chap. 16, Luc a introduit une séquence avec le thème des richesses et du mot crochet « loi ». Or, la parabole du riche et de Lazare présente la figure du riche qui n'a pas su voir la pauvreté autour de lui, et qui se termine ainsi: « S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus » (Lc 16, 31). Rappelons que le nom « Moïse », est synonyme « Loi ». Tout cela colore notre logion, car le scandale devient l'absence de la loi de Dieu et les richesses qui ignorent les pauvres.

  • Mt 18, 15.21-22 || Lc 17, 3-4: si le frère pèche, remets-lui

    • Une grande différence entre la version de Matthieu et Luc sur la correction fraternelle est que celle de Matthieu n'a pas de condition au pardon, i.e. on ne demande pas au frère de changer d'idée ou de se repentir avant de lui pardonner. Aussi, il est probable que la formulation de la source Q était comme ceci:
      Si ton frère a péché contre toi, remets-lui;
      et si sept fois le jour il pèche contre toi, tu lui remettras.

      Cette attitude est cohérence avec la tradition sapientielle comme on le le voit en Si 28, 2: « Pardonne à ton prochain l’injustice commise ; alors, quand tu prieras, tes péchés seront remis ». C'est aussi ce qu'on retrouve dans le Notre Père (« remets-nous nos dettes, car nous-mêmes remettons à nos débiteurs », Mt 6, 12 || Lc 11, 4). L'originalité vient de la mention du nombre de fois: sept. Or sept est un symbole de totalité, ce qui signifie qu'il s'agit de pardonner sans cesse et sans limite. Il est paradoxal que l'auteur de la source Q présentait probablement ce logion à la suite du logion soumettant celui qui cause des scandales à la malédiction. N'est-ce pas atténuer la malédiction que de parler maintenant de pardon sans condition?

    • Matthieu a inséré ce logion dans le discours de Jésus sur la vie communautaire, et plus particulièrement à la suite de la parabole de la brebis égarée, une parabole adressée aux responsables de communauté sur l'attitude à avoir face aux gens qui s'éloignent de la communauté, happés par diverses idéologies. Notre logion devient donc une forme de directive pour ces chefs de communauté sur la façon de gérer les conflits dans la communauté. Mais en insérant ici ce logion, Matthieu l'a beaucoup modifié et amplifié. Tout d'abord, il l'a coupé en deux le logion, si bien que l'approche du frère qui a péché (Mt 18, 15) et le nombre de fois qu'il faut pardonner (Mt 18, 21-22) reçoivent deux développements différents. Remarquons la formulation de la première partie: « s'il pèche [à l'égard de toi] le frère de toi ». Les parenthèse carrées indique des recensions différentes du texte, et il est possible que le contenu de ces parenthèses proviennent de l'effort d'harmonisation avec Luc d'un scribe. Si c'est le cas, il ne s'agit plus d'une faute contre un frère, mais d'une faute plus grave qui affecte la communauté. Matthieu nous présente un développement qui semble une directive ou un droit canon qui a été développé dans la communauté de Matthieu (Mt 18, 15-18): d'abord on approche le fautif en privé, puis si ça ne fonctionne pas, on approche le fautif avec deux ou trois témoins, et si ça ne fonctionne pas encore, on fait intervenir toute la communauté, et en dernier recours, on l'excommunie de la communauté. Il est remarquable de noter que nul part ailleurs dans la Bible on peut trouver une tradition qui serait la source d'une telle directive, sauf à Qumrân:
      Ils réprimanderont chacun son prochain dans la vérité et l'amour miséricordieux envers chacun. Que l'on ne parle pas à son frère avec colère... car, le jour même, on le réprimandera et ainsi on ne se chargera pas d'une faute à cause de lui. - Et aussi : que personne n'introduise une cause contre son prochain devant les Nombreux sans avoir réprimandé devant témoins (Règle de la Communauté, V24 - VI2)

      Et quant à ce qu'il a dit : « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune aux fils de ton peuple (cf. Lv 19, 17 s.) », tout homme d'entre les membres de l'Alliance qui introduira une cause contre son prochain sans l'avoir réprimandé devant temoins et 1'introduira dans l'ardeur de sa colère, ou bien racontera l'affaire à ses anciens pour le déshonorer, celui-là se venge et garde rancune (Document de Damas, IX 2-5).

      On note donc les trois étapes: 1) le réprimander simplement selon Lv 19, 17; 2) le réprimander devant témoins; 3) le dénoncer aux chefs de communauté. Ce n'est pas impossible que la directive de la communauté de Matthieu ait été influencée par l'approche du pécheur à Qumrân.

      Matthieu a fait suivre cette directive de deux logia sur la prière (Mt 18, 19-20): la prière communautaire est exaucée devant Dieu, et dans la prière communautaire Dieu est présent. On pourrait se demander quel lien Matthieu fait-il entre la prière communautaire et la directive sur le pécheur. Il est probable que Matthieu voyait dans la prière communautaire la façon de régler les cas complexes et d'obtenir la conversion des frères égarés.

      C'est seulement après les deux logia sur la prière que Matthieu insère la deuxième partie du logion de la source Q sur le nombre de fois pardonner (Mt 18, 21-22). En raison du long intermède depuis la première partie du logion, il est forcé d'ajouter une introduction pour retrouver le fil abandonné au v. 15. C'est ainsi qu'il compose un récit (on retrouve son vocabulaire comme « alors », « s'approcher », « Seigneur »): il fait alors intervenir Pierre qui demande à Jésus s'il faut pardonner jusqu'à sept fois. En insérant ici la deuxième partie du logion de la source Q, il ajoute une surenchère (« jusqu'à soixante-dix fois sept ») inspirée de son opposé, la vengeance: « Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois » (Gn 4, 24). On aura noté que Matthieu fait intervenir la figure de Pierre. Pourquoi. Le logion s'adresse aux chefs de communauté dont Pierre est le modèle.

    • À la source Q, Luc lui apporte une modification qui lui est chère: le pardon est conditionnel au « changement d'idée » ou « repentir », en grec le verbe metanoeō, formé de la préposition meta (après, au-delà) et du verbe noeō (s'apercevoir par la pensée, se rendre compte): il s'agit de dépasser ce qu'on percevait pour voir autrement les choses. Cette condition s'applique à chaque fois que le fautif pèche. Pour Luc, le thème du changement d'idée ou repentir ou conversion est un thème important qu'il exprime avec le verbe metanoeō (Mt = 5; Mc = 2; Lc = 9; Jn = 0; Ac = 5) et le nom metanoia (Mt = 2; Mc = 1; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 6): pensons à la figure de Zachée (Lc 19, 1-10), ou à celle du bon Larron (Lc 23, 40-43). En gardant ensemble les deux logia des scandales et du pardon et en les insérants après le récit du riche et de Lazare, Luc semble suggérer que l'attitude du riche est scandaleuse, mais il peut être pardonné s'il change d'attitude.

45. Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde, vous pourriez déplacer des montagnes

MatthieuLucMatthieuLuc
17, 20 ho de legei autois• dia tēn oligopistian hymōn• amēn gar legō hymin, ean echēte pistin hōs kokkon sinapeōs, ereite tō orei toutō• metaba enthen ekei, kai metabēsetai• kai ouden adynatēsei hymin. 17, 6 eipen de ho kyrios• ei echete pistin hōs kokkon sinapeōs, elegete an tē sykaminō [tautē]• ekrizōthēti kai phyteuthēti en tē thalassē• kai hypēkousen an hymin.17, 20 Puis, lui, il dit à eux: "À cause du peu de foi de vous. Car amen je dis à vous, que si vous ayez une foi comme une graine de moutarde, vous direz à la montagne celle-là, change de lieu d'ici à là, et elle changera de lieu. Et rien ne sera impossible à vous."17, 6 Puis, il dit le Seigneur: "Si vous avez une foi comme une graine de moutarde, vous diriez le cas échéant au mûrier [celui-là]: 'Déracine-toi et plante-toi dans la mer', et il aurait obéi le cas échéant à vous."

Commentaire

  • Ce logion de la source Q reflète une ancienne tradition qui a eu plusieurs variantes, car on la retrouve également chez Mc 11, 23 (mots soulignés). Elle est centrée sur la puissance de la foi. Quel était le contexte de la source Q? Impossible de le savoir. Quelle était l'image utilisée pour exprimer la puissance de la foi, puisque la version de Marc parle d'une montagne qui se soulève et se jette à la mer (Mc 11, 23), Matthieu d'une montagne qui se déplace (Mt 17, 20) et Luc d'un mûrier qui se déracine et est transplantée dans la mer? Il est possible que Marc reflète le plus ancien témoignage, car on retrouve une image semblable chez Paul: « Quand j'aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes... » (1 Co 13, 2). Luc a peut-être remplacé la montagne par le mûrier, jugeant exagérée l'image d'une montagne qui se déplace. Ainsi, dans la source Q le logion pouvait avoir cette formulation:

    Si vous aviez une foi comme une graine de moutarde
    vous diriez à cette montagne: 'Ote-toi de là et jette-toi dans la mer,
    elle vous aurait obéi.

    On aura remarqué ici l'image de la graine de moutarde que la source Q a utilisée plus tôt pour comparer le royaume de Dieu (Mt 13, 31-32 || Lc 13, 18-19). On y a appris que c'était la plus petite des graines du jardin potager. Ainsi, l'affirmation de Jésus pourrait être paraphrasée ainsi: même si vous aviez une foi aussi minime que ce qu'il y a de plus petit dans les semences, vous pourriez faire des choses extraordinaires.

  • Matthieu a inséré ce logion à la fin du récit de la guérison de l'enfant épileptique (Mt 17, 14-28). Rappelons que les disciples n'ont pas pu guérir l'enfant, ce qui a forcé le père à se tourner vers Jésus qui le guérit. Aussitôt les disciples s'adressent à Jésus sur la cause de leur échec. Notre logion devient la réponse de Jésus pour Matthieu (chez Mc 9, 29, c'est seulement par la prière qu'il aurait pu être guéri). De plus, pour insister sur la cause de l'échec des disciples dans la guérison, il compose une petite introduction à notre logion: « C'est à cause de votre peu de foi (oligopistos) ». L'adjectif oligopistos (peu de foi : Mt = 4; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0) et le nom oligopistia (peu de foi: Mt = 1; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0) sont typiquement matthéens. Notons également que le verbe « changer de lieu » (metabainō) appartient à son vocabulaire: Mt = 6; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 3; Ac = 1. Enfin, Matthieu aurait ajouté la dernière phrase: « Et rien ne sera impossible à vous », afin faire le lien avec la question des disciples sur leur incapacité à guérir.

  • Luc a inséré ce logion après les logia sur les scandales et le pardon accordé à celui qui se repent. Pourquoi? La réponse nous est peut-être donnée par la petite introduction qu'il compose pour opérer une transition: « Et les apôtres dirent au Seigneur: "Augmente-nous la foi". » On reconnait ici le vocabulaire lucanien: « apôtre » (Mt = 1; Mc = 1; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 6), « Seigneur » dans les récits antérieurs à la résurrection, « augmente » (Mt = 2; Mc = 1; Lc = 7; Jn = 0; Ac = 6). La demande d'augmenter la foi suit l'appel à pardonner sans limite. Il est donc possible que les apôtres trouvent difficile la voie tracée par Jésus, celle du pardon illimité, et donc demande son aide pour entrer dans cette vision où on fait confiance ainsi à la vie et aux autres. La foi sera aussi exigée pour entrer dans la vision de Jésus présentée aux versets suivants, où ils sont considérés comme des serviteurs qui n'ont fait que ce qu'ils devaient faire, et donc rien d'extraordinaire, malgré qu'ils aient peiné toute la journée (Lc 17, 7-10). Rappelons que nous sommes en route vers Jérusalem, dans une séquence où Luc concentre l'essentiel de l'enseignement de Jésus sur la vie chrétienne.

46. Signes de la venue du Fils de l'Homme

MatthieuLucMatthieuLuc
24, 26 ean oun eipōsin hyminidou en tē erēmō estin, exelthēte• idou en tois tameiois, pisteusēte• 17, 23 kai erousin hyminidou ekei, [ē•] idou hōde apelthēte de diōxēte. 24, 26 "Donc, que s'ils disent à vous: 'Voici dans le désert il est', ne sortez pas; 'Voici dans les chambres intérieures', que vous ne croyiez pas.17, 23 "Et ils diront à vous: 'Voici ', [ou] 'Voici ici'. Que vous ne partiez pas ni ne poursuiviez.
24, 27 hōsper gar hē astrapē exerchetai apo anatolōn kai phainetai heōs dysmōn, houtōs estai hē parousia tou huiou tou anthrōpou17, 24 hōsper gar hē astrapē astraptousa ek tēs hypo ton ouranon eis tēn hypʼ ouranon lampei, houtōs estai ho huios tou anthrōpou [en tē hēmera autou]. 24, 27 Car comme l'éclair sort à partir du levant et il se manifeste jusqu'au couchant, ainsi sera l'avènement du fils de l'homme.17, 24 Car comme l'éclair éclairant hors d'un (point) sous le ciel vers un (point) sous un ciel il brille, ainsi sera le fils de l'homme [au jour de lui]."
24, 38 hopou ean ē to ptōma, ekei synachthēsontai hoi aetoi.[17, 37 kai apokrithentes legousin autō• pou, kyrie; ho de eipen autois• hopou to sōma, ekei kai hoi aetoi episynachthēsontai.]24, 28 que soit le cadavre, là s'assembleront les vautours.17, 37 Et ayant répondu ils disent à lui: "Où, Seigneur?" Puis, lui, il dit à eux: " le corps, aussi les vautours se rassembleront."

Commentaire

  • Cette péricope présente deux logia différents (Mt 24, 26-27 || Lc 17, 23-24: « s'ils vous disent : le voici »; et Mt 24, 28 || Lc 17, 37: « Où que soit le cadavre »), que Matthieu a regroupé, mais que Luc a gardé séparés, comme ils l'étaient probablement dans la source Q.

  • Mt 24, 26-27 || Lc 17, 23-24: « s'ils vous disent : le voici »

    • Le contexte de ce logion est un contexte chrétien marqué par l'attente frénétique du retour de Jésus, appelé « fils de l'homme ». Pour bien le comprendre, il faut savoir que la tradition juive affirmait que le Messie resterait inconnu de tout jusqu'au jour de sa manifestation à Israël; il devait donc rester caché, soit au désert, soit dans des endroits ignorés de tous. Tout cela explique les rumeurs possibles de ceux qui croient l'avoir trouvé dans sa « cachette ». Mais l'auteur de la source Q dénonce ces rumeurs en affirmant que la venue du fils de l'homme sera totalement visible, évidente pour tous. L'image de l'éclair ne porte par sur sa soudaineté, mais sur son côté éclatant et lumineux, visible d'un point du ciel à l'autre. Dans l'Apocalypse de Baruch, 53, 9, le Messie est comparé à un rayon éclatant qui brille au point d'illuminer toute la terre, à la façon dont Dieu se manifeste selon le Ps 50, 3 (LXX 49, 5): « Notre Dieu, viendra manifestement, et ne se taira pas ; un feu s'allumera devant lui, et autour de lui il y aura une très grande tempête ». C'est Matthieu qui aurait conservé le mieux la formulation de la source Q qui pouvait avoir cette forme:
      S'ils vous disent: 'Le voici dans le désert', ne sortez pas; 'Le voici dans les chambres intérieures', n'y croyiez pas.
      Car comme l'éclair brille du levant jusqu'au couchant, ainsi sera fils de l'homme.
    • Matthieu a placé ce logion dans le discours apocalyptique de Jésus alors qu'il vient de mettre en garde ses disciples contre les temps difficiles qui les attendent, non seulement en raison des persécutions, mais en raison aussi de la présence des faux messies qui feront des prodiges au point d'égarer les élus. Ainsi, notre logion prolonge cette mise en garde, mais en même temps rassure les chrétiens que la venue du Messie sera claire et évidente. Notons que Matthieu a apporté quelques modifications stylistiques au logion en utilisant les mots de son vocabulaire afin d'insister davantage sur la venue du fils de l'homme présentée comme une grande manifestation : plutôt que de briller, l'éclair « se manifeste » (Mt = 13; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 0), et il ajoute « avènement » (Mt = 4; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0) en relation avec le fils de l'homme.

    • Luc a placé ce logion dans cette longue marche de Jésus vers Jérusalem, après la guérison en Samarie de dix lépreux, dont un seul y reconnaît l'oeuvre de Dieu. Puis, il introduit cette séquence avec une question des Pharisiens: « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » (Lc 17, 20). Jésus répond en faisant remarquer que le règne de Dieu n'est pas un fait observable, car il est au milieu de nous, et donc on ne peut dire: le voici, le voilà. Puis vient une phrase propre à Luc : « Des jours vont venir où vous désirerez voir ne fût-ce qu'un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas ». Luc traduit ici la fébrilité de l'attente du retour du Christ. C'est à ce moment qu'il introduit notre logion de la source Q, et non seulement ce logion, mais les autres qui suivent de la source Q et qui seront analysés dans les sections suivantes. Ainsi, alors que Matthieu a placé notre logion dans le discours eschatologique, Luc a préféré le placer plus tôt dans cette longue marche vers Jérusalem. Pourquoi? On peut simplement émettre l'hypothèse que Luc a voulu distinguer plus clairement la fin des temps, et cette période qui précède, la période de l'Église, où le règne de Dieu agit à travers chacun, comme l'a montré le lépreux qui est venu rendre gloire à Dieu, où il faut accepter de ne pas voir le fils de l'homme et éviter de se mettre à la recherche de la personne physique, car le jour où il reviendra, ce sera clair et évident. Luc aurait modifié la première partie du logion qui mentionnait la recherche du Messie dans le désert et les cachettes, sans doute incompréhensible pour son auditoire, pour la remplacer par une phrase plus simple, probablement inspirée de Mc 13, 21 : « Le voici là, le voici ici. Ne partez pas et le poursuivez pas ». Luc a aussi remplacé l'expression sémitique « l'éclair brille du levant jusqu'au couchant » par « l'éclair qui brille d'un (point) sous le ciel vers un autre (point) sous un ciel », une expression probablement plus familière dans le monde gréco-romain.

  • Mt 24, 28 || Lc 17, 37: « Où que soit le cadavre »

    • À prime abord, ce logion de la source Q semble incompréhensible, surtout là où l'a placé Matthieu, à la suite de la venue du fils de l'homme qui sera visible comme l'éclair. Quel lien peut-il y avoir entre cette venue et l'arrivée des vautours. Certains biblistes ont deviné que cette phrase faisait probablement écho à un proverbe connu: « Là où se trouve le cadavre, là se rassembleront les vautours ». Luc semble avoir mieux respecté l'ordre de la source Q qui nous présente une description du grand jugement eschatologique en commençant par les signes de la venue du fils de l'homme (Mt 24, 26-27 || Lc 17, 23-24), puis en poursuivant avec l'annonce d'une catastrophe comme au temps de Noé (Mt 24, 37-39 || Lc 17, 26-27.30), suivie de l'appel à être prêt à perdre sa vie pour la retrouver Mt 10, 39 || Lc 17, 33), et de l'avertissement que le jugement fera un tri au sein d'une même famille (Mt 24, 40-41 || Lc 17, 34-35) et en terminant avec ce proverbe sur le cadavre où se rassemblent les vautours (Mt 24, 28 || Lc 17, 37). Ainsi, ce proverbe ne se comprend qu'à la lumière de l'image qui précède: « Deux femmes écraseront du grain ensemble : l'une sera emmenée et l'autre laissée » (Lc 17, 35). Que signifie « sera amené » et « sera laissée »? L'une est amenée dans le royaume de Dieu, l'autre est laissée pour périr avec la catastrophe finale; cette dernière connaît le sort des impies. Ainsi, les vautours viendront se partager la chair des impies. Cette image apparait également en Ap 19, 17.21: « Ensuite je vis un ange debout dans le soleil. Il cria avec force à tous les oiseaux qui volaient très haut dans les airs : « Venez, rassemblez-vous pour le grand repas de Dieu. La bête et le faux prophète furent jetés vivants dans le lac de soufre enflammé. Tous leurs soldats furent tués par l'épée qui sort de la bouche de celui qui monte le cheval, et tous les oiseaux se nourrirent de leur chair ». Voilà quel sera le sort des impies lors du grand jugement eschatologique.

    • Il est étonnant que Matthieu ait placé cette finale de la séquence du jugement eschatologique de la source Q immédiatement après le verset sur la venue comme l'éclair du fils de l'homme, la rendant presqu'incompréhensible. Une hypothèse possible vient du fait que ce logon lui permet d'insister encore davantage sur la grande visibilité de la venue du fils de l'homme, après avoir utilisé le verbe « se manifester » et le nom « avènement ». Car la présence des vautours serait un autre signe de la visibilité du fils de l'homme, même si c'est lié à l'aspect négatif du jugement final, i.e. la condamnation. Notons en terminant que le logion de Matthieu présente le verbe synagō, composé de la préposition syn (avec) et du verbe agō (mener), et que nous avons traduit par: s'assembler. En revanche, la version de Luc présente le verbe episynagō, le même verbe, mais avec le préfixe epi (sur), pour décrire le fait qu'on s'assemble en un même lieu, et que nous avons traduit par: rassembler. Cela amène la question: quel était le verbe originel dans la source Q? Il est difficile de répondre, mais on peut remarquer que synagō est un verbe très utilisé par Matthieu et fait partie de son vocabulaire: Mt = 24; Mc = 5; Lc = 6; Jn = 7; Ac = 11, et donc cela suggère que Matthieu aurait pu remplacer episynagō par synagō.

    • Luc aurait gardé l'ordre de la source Q, si bien que ce logion apparait à la fin de la séquence sur le jugement eschatologique, après la séparation des membres d'une même famille. Par contre, il sent le besoin d'ajouter une introduction: « Prenant la parole, les disciples lui demandèrent : "Où donc, Seigneur ?"» On retrouve ici le terme « Seigneur » attribué à Jésus avant la résurrection typique de la plume de Luc. La question des disciples est liée à la fin de la phrase précédente: « l'autre laissée », et donc devient: l'autre est laissée où? La réponse est alors: elle est laissée avec tous les impies qui se décomposeront avec le monde en destruction, où tous les charognards se rassembleront.

47. Comme au temps de Noé, ainsi sera la venue du Fils de l'Homme

MatthieuLucMatthieuLuc
24, 37 Hōsper gar hai hēmerai tou Nōe, houtōs estai hē parousia tou huiou tou anthrōpou. 17, 26 kai kathōs egeneto en tais hēmerais Nōe, houtōs estai kai en tais hēmerais tou huiou tou anthrōpou24, 37 "Car comme aux jours du Noé, ainsi sera l'avènement du fils de l'homme.17, 26 "Et de même qu'arriva aux jours de Noé, ainsi sera aussi aux jours du fils de l'homme.
24, 38-39a hōs gar ēsan en tais hēmerais [ekeinais] tais pro tou kataklysmou trōgontes kai pinontes, gamountes kai gamizontes, achri hēs hēmeras eisēlthen Nōe eis tēn kibōton, kai ouk egnōsan heōs ēlthen ho kataklysmos kai ēren hapantas, 17, 27 ēsthion, epinon, egamoun, egamizonto, achri hēs hēmeras eisēlthen Nōe eis tēn kibōton kai ēlthen ho kataklysmos kai apōlesen pantas. 24, 38-39a Car comme ils étaient en les jours [ceux-là], ceux avant le déluge, croquant et buvant, épousant et donnant en mariage, jusqu'au jour où entra Noé dans l'arche, et ils ne surent pas jusqu'à ce que vint le déluge et (les) emporta tous ensemble.17, 27 Ils mangeaient, buvaient, épousaient, donnaient en mariage, jusqu'au jour entra Noé dans l'arche et vint le déluge et (les) fit périr tous.
 17, 28 homoiōs kathōs egeneto en tais hēmerais Lōt• ēsthion, epinon, ēgorazon, epōloun, ephyteuon, ōkodomoun•  17, 28 Pareillement comme il arriva aux jours de Lot, ils mangeaient, ils buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils plantaient, ils construisaients.
 17, 29 hē de hēmera exēlthen Lōt apo Sodomōn, ebrexen pyr kai theion apʼ ouranou kai apōlesen pantas.  17, 29 Puis, au jours où sortit Lot de Sodome, il fit pleuvoir feu et soufre du ciel et il (les) fit périr tous.
24, 39b houtōs estai [kai] hē parousia tou huiou tou anthrōpou. 17, 30 kata ta auta estai hē hēmera ho huios tou anthrōpou apokalyptetai. 24, 39b Ainsi sera [aussi] l'avènement du fils de l'homme."27, 30 Selon ces choses-là sera au jour (où) le fils de l'homme est révélé."

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q entend donner une description du jugement eschatologique en se basant sur deux interventions célèbres de Yahvé de l'AT, le déluge (Gn 7, 7.10) et la destruction de Sodome (Gn 19, 24). Dans la tradition juive, ces deux événements sont donnés comme des exemples du châtiment de Dieu contre les impies. Par exemples:
    Dans l'assemblée des pécheurs s'allume le feu,
    contre un peuple rebelle s'est allumée la colère.
    Il n'a pas pardonné aux antiques géants (Gn 6, 4)
    qui s'étaient révoltés à cause de leur force.
    Il n'a pas épargné la ville de Loth,
    dont il avait l'orgueil en abomination. (Si 16, 6-8)

    Ceux qui jadis avaient commis l'injustice, et parmi eux furent les géants, confiants dans leur force et leur insolence, tu les as anéantis en les submergeant de flots incommensurables. Les gens de Sodome, bouffis d'orgueil et devenus célèbres à cause de leur méchanceté, tu les as consumés par le feu et le soufre, les donnant en exemple à la postérité. (3 M 2, 4-5)

    Cette tradition s'est poursuivie à l'époque du NT, comme le montrent les exemples suivants:

    Il n'a pas épargné non plus l'ancien monde, mais il préserva, lors du déluge dont il submergea le monde des impies, Noé, le huitième des survivants, lui qui proclamait la justice ; puis il condamna à l'anéantissement les villes de Sodome et Gomorrhe en les réduisant en cendres à titre d'exemple pour les impies à venir ; et il délivra Loth le juste, accablé par la manière dont vivaient ces criminels débauchés, car ce juste, vivant au milieu d'eux, les voyait et les entendait : jour après jour, son âme de juste était à la torture, à cause de leurs ouvres scandaleuses. C'est donc que le Seigneur peut arracher à l'épreuve les hommes droits et garder en réserve, pour les châtier au jour du jugement, les hommes injustes (2 P 2, 5-9)

    Quant à Sodome et Gomorrhe et aux villes d'alentour qui s'étaient livrées de semblable manière à la prostitution et avaient couru après des êtres d'une autre nature, elles gisent comme un exemple sous le châtiment du feu éternel. (Jude 1, 7)

    La bête fut capturée, et avec elle le faux prophète qui, par les prodiges opérés devant elle, avait séduit ceux qui avaient reçu la marque de la bête et adoré son image. Tous deux furent jetés vivants dans l'étang de feu embrasé de soufre. (Ap 19, 20)

    Ainsi, l'auteur de source Q partage la croyance de la tradition juive qu'il y aura un jugement final et que Dieu châtira les impies de la même façon qu'il a châtié l'humanité pécheresse au temps de Noé, et de la même façon qu'il a châtié les villes de Sodome et Gomorrhe. C'est l'espérance que l'injustice ne restera pas impunie. Pour l'instant, rien ne laisse présager de ce qui vient, comme le déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe furent inattendus, sans signe d'avertissement. Mais la venue du fils de l'homme amorcera aussitôt ce jugement. Bien sûr, tout cela suppose l'absence de jugement individuel à la mort d'une personne, car on assume que le jugement aura lieu une seule fois, à la fin des temps. Enfin, notons que les deux citations de l'Écriture (italique), Gn 7, 7 (« entra Noé dans l'arche ») et Gn 19, 24 (« il fit pleuvoir feu et soufre du ciel ») utilisent la version de la Septante, comme le fait habituellement la source Q.

  • Matthieu a placé ce logion`dans le discours eschatologique de Jésus, à la suite de celui sur le retour visible du fils de l'homme. Cependant il lui apporte quelques retouches littéraires. Deux fois, il ajoute le mot « avènement » (v. 37 et 39) en relation avec la venue du fils de l'homme, insistant sur la manifestation et le côté visible de cette nouvelle présence. De plus, c'est lui qui aurait ajouté « ils ne surent pas jusqu'à ce que » (v.39) pour accentuer le caractère imprévisible de cette venue du fils de l'homme, une façon de décourager toute recherche de signe. Enfin, soulignons que Matthieu a complètement éliminé la référence à Lot, la considérant sans doute comme un duplicata de la référence à Noé et n'apportant rien de nouveau.

  • Luc se contente de suivre l'ordre de la source Q. Même s'il semble assez bien respecter la formulation de la source Q, il introduit néanmoins certains changements. Il a remplacé par le verbe « manger » (Mt = 24; Mc = 27; Lc = 33; Jn = 15; Ac = 7) le verbe « croquer » de la source Q, un verbe très rare que, autrement, seul Jean utilise dans son discours sur le pain de vie. De plus, il aurait déplacé la seconde mention des jours du fils de l'homme. En effet, la source Q devait avoir le paralléliste suivant:
    a. Et de même qu'arriva aux jours de Noé, ainsi (en) sera-t-il aussi durant les jours du fils de l'homme.
    (ils mangeaient, ils buvaient, etc.)
    b. Pareillement comme il arriva aux jours de Lot de même (en) sera-t-il le jour (où) le fils de l'homme est révélé
    (ils mangeaient, ils buvaient, etc.)

    Luc aùrait déplacé la deuxième mention du jour du fils de l'homme pour le placer à la fin, au v. 30, pour faire le lien avec le v. 31 qui commence par « Ce jour-là, celui qui sera... ». Quoi qu'il en soit, il garde l'idée que la venue du fils de l'homme est associée au jugement sur les impies.

48. Celui qui trouve sa vie la perdra, celui qui la perd la trouvera

MatthieuLucMatthieuLuc
10, 39 ho heurōn tēn psychēn autou apolesei autēn, kai ho apolesas tēn psychēn autou heneken emou heurēsei autēn.17, 33 hos ean zētēsē tēn psychēn autou peripoiēsasthai apolesei autēn, hos dʼ an apolesē zōogonēsei autēn. 10, 39 L'ayant trouvé la vie de lui perdra elle, et l'ayant perdu la vie de lui à cause de moi trouvera elle.17, 33 Quiconque s'il cherchait la vie de lui à conserver perdra elle, puis quiconque le cas échéant (la) perdait, donnera vie à elle.

Commentaire

  • Ce logion traduit une très ancienne tradition qui nous est parvenue sous deux formes, celle reflétee par Marc 8, 35, et celle reflétée par la source Q dont Luc 17, 33 respecte essentiellement la formulation. Voici à quoi ces deux formulations pouvaient ressembler :
    MarcSource Q
    Qui veut en effet sauver sa vie la perdra,Qui chercherait à conserver sa vie la perdra,
    mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera.Et qui la perd lui donnera vie.

    Ces deux versions semblent provenir du même texte araméen. En effet, le verbe araméen be‘a’ peut signifier soit « vouloir », soit « chercher ». Puis, le verbe ḥaia’, au temps intensif araméen paal, signifie « garder en vie » (voir Jn 12, 25), et au temps causatif araméen afel signifie « faire vivre » ou « donner vie ». Ainsi, nos deux versions seraient deux traductions d'un original araméen.

  • L'auteur de la source Q a inséré ce logion dans sa description du jugement de la fin des temps. Plus précisément, il l'a inséré à suite de la référence à Noé et à Lot. C'est probablement le constraste entre les gens qui ont péri du déluge et la famille de Noé qui a été sauvé, tout comme le contraste entre la destruction des populations de Sodome et le salut de Lot, qui a suggéré à l'auteur de la source Q d'insérer ici ce logion, même si leur relation n'est pas évidente. Pour lui, probablement, dans cette période de turbulence associée à la fin des temps où le croyant aura à témoigner de sa foi et à affronter l'adversité, celui qui ne voudrait pas y faire face pour conserver sa vie intacte, ne pourra entrer dans le royaume, et donc connaîtra la destruction avec les impies et tout l'univers physique. Par contre, qui acceptera d'y faire face au risque de sa vie, même s'il meurt, recevra une nouvelle vie dans le royaume.

  • Matthieu a inséré ce logion à la fin du discours missionnaire, après avoir averti ses disciples qu'ils connaîtront des conflits au sein d'une même famille, et qu'ils auront à choisir entre lui et des membres de leur famille, tout comme ils devront accepter de porter leur croix, i.e. d'accepter le chemin de Jésus qui va jusqu'à la mort. Notre logion vient résumer leur choix: s'ils ne veulent pas de cette croix, ils ne connaîtront pas le royaume; s'il l'acceptent, ils connaîtront la vie du royaume. Notons que Matthieu a fusionné ce logion avec celui de Marc, tout en remplaçant le verbe « sauver » par « trouver », sans doute parce qu'il trouvait que c'était un meilleur parallèle avec « perdre ».

  • Luc a sans doute trouvé que de passer de Noé et Lot à ce logion, comme dans la source Q, posait problème, tellement le lien n'est pas évident. Aussi a-t-il inséré entre les deux logia un texte copié de Marc qui aide à faire la transition et à préciser la situation. D'abord, il introduit le texte de Marc avec « En ce jours-là » (Lc 17, 31) qui prend le relais de Lc 17, 30 (« le jour où le Fils de l'homme sera révélé »). Puis il copie le texte de Mc 13, 13-14: « Qui sera sur la terrasse qu'il ne descende pas les prendre ses affaires dans la maison, celui qui sera dans les champs, qu'il ne retourne pas en arrière ». Enfin, pour confirmer le lien avec le récit précédent de Lot, il termine avec la phrase: « Rappelez-vous la femme de Lot ». En faisant tout cela, Luc fournit un contexte à notre logion et renforce l'unité d'ensemble. Qu'est-ce à dire? Le déluge et la destruction de Sodome font allusion à deux catastrophes. Or le texte de Marc que copie Luc fait référence à une autre catastrophe, les derniers moments de Jérusalem assiégée par les forces romaines et à l'appel à fuir au plus vite sans emporter quoi que ce soit. Et Luc ajoute l'appel à ne pas regarder en arrière, comme l'a malheureusement fait la femme de Lot. En insérant ici le logion de la source Q, Luc veut se montrer rassurant: au milieu de la catastrophe, il ne faut pas avoir peur et chercher à tout prix à préserver sa vie; car qui voudra éviter la catastrophe reliée au jour du fils de l'homme et conserver sa vie, la perdra, tandis que celui qui acceptera de perdre sa vie en ce jour de grands bouleversements engendrera une nouvelle vie avec le fils de l'homme. Notons que nous ne sommes pas dans un contexte de témoignage, mais celui de la révélation du fils de l'homme qui engendre de grands bouleversements.

49. En cette nuit, parmi deux, l'un est pris et l'autre laissé

MatthieuLucMatthieuLuc
24, 40 tote dyo esontai en tō agrō, heis paralambanetai kai heis aphietai• 17, 34 legō hymin, tautē tē nykti esontai dyo epi klinēs mias, ho heis paralēmphthēsetai kai ho heteros aphethēsetai24, 40 Alors deux ils seront dans le champ, un est pris et un est laissé.17, 34 Je dis à vous, celle-là la nuit ils seront deux sur un lit, l'un sera pris et l'autre sera laissé.
24, 41 dyo alēthousai en tō mylō, mia paralambanetai kai mia aphietai.17, 36 esontai dyo alēthousai epi to auto, hē mia paralēmphthēsetai, hē de hetera aphethēsetai. 24, 41 Deux (femmes) moulant à la meule, l'une est prise et l'une est laissée.17, 35 Elles seront deux moulant dans un même (lieu), l'une sera prise, puis l'autre sera laissée.

Commentaire

  • Cette péricope de la source Q poursuit la description du jugement eschatologique. Le verbe grec pour juger, krinō, signifie: séparer, distinguer, discerner. Or, la péricope décrit de manière imagée cette séparation, en utilisant deux verbes grecs. Il y a d'abord le verbe paralambanō, formé de la préposition para (auprès de) et lambanō (prendre), et donc signifie: prendre auprès de soi ou avec soi. Et comme le verbe est au passif, comme dans biens des cas, le véritable sujet est Dieu. Et donc c'est Dieu qui prend des gens auprès de lui dans le royaume. Puis, il y a le verbe aphiēmi (laisser de côté, négliger) qui décrit le fait que certains seront négligés et laissés sur place, pour subir la destruction avec l'univers physique. On aura noté que dans la péricope les personnes apparaissent par groupe de deux dans un même lieu et occupées par une même activité; la raison est simple: le discernement ou la séparation ne sera pas basée sur le lieu où se trouve une personne ou sur l'activité dans laquelle elle est impliquée, mais sur le coeur et son être profond, que Dieu seul connait.

  • Cette perspective a des racines profondes dans l'AT.
    Comme ils (les pécheurs) se désolent ! soudain ils succombent, Ils périssent à cause de leur iniquité...
    Tu m'as guidé par ton conseil, et tu m'as pris vers (proslambanō) toi avec gloire. (Ps 73, 19.24 LXX: 72)

    La terre recouverte à cause de lui par le déluge fut encore sauvée par la Sagesse,
    qui pilota le juste sur un bois vulgaire.
    Et lorsque les nations, unanimes dans le mal, furent confondues,
    c'est elle qui reconnut le juste, le garda irréprochable devant Dieu
    et lui permit d'être plus fort que sa tendresse pour son enfant.
    De même, alors que les impies périssaient, elle délivra le juste
    fuyant devant le feu qui s'abattait sur les cinq villes.
    En témoignage de leur perversité subsistent toujours
    une terre aride et fumante,
    des plantes aux fruits que les saisons ne mûrissent pas,
    et une colonne de sel dressée en mémorial d'une âme incrédule.
    Ceux qui ont dédaigné la Sagesse
    non seulement sont devenus incapables de connaître le bien,
    mais encore ont laissé à la postérité un souvenir de leur folie,
    pour que, dans leurs fautes mêmes, ils ne puissent rester cachés. (Sg 10, 4-8)

    Ces passages de l'AT traduisent l'assurance de la tradition juive que Dieu interviendra pour sauver le juste et éliminer les impies. Les images du déluge et de la destruction de cinq villes avec Sodome rappellent que Dieu détruit les impies, mais en même temps arrachent de la destruction ceux qui demeurent fidèle à la sagesse. L'intervention et le jugement de Dieu sont un élément essentiel de l'héritage juif.

  • L'auteur de la source Q, probablement un chrétien d'origine juivie, reflète cet héritage. Ce jugement interviendra lors du retour en gloire du fils de l'homme. Alors se fera la séparation des humains. Une telle scène devait susciter le récomfort chez ceux demeurés fidèles à leur foi, mais la crainte chez ceux qui avaient perdu l'élan initial.

  • Matthieu a placé ce logion dans son discours eschatologique, après le logion sur le déluge où tous périssent, sauf Noé et sa famille. Il est suivi par l'exhortation de Jésus: « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir » (Mt 24, 42). Ainsi, la venue du Seigneur est inattendue, non seulement parce qu'on ne connaît pas le moment, mais elle aura lieu sans événement précurseur, nous saisissant soudainement là où nous serons, au milieu de nos activités quotidiennes. La scène de séparation de deux personnes vient donc renforcer celle du déluge qui est intervenue alors que les gens mangeaient, buvaient, etc., et donc poursuivaient leur vie quotidienne. Notons que c'est Matthieu qui semble avoir le mieux respecté la formulation de la source Q.

  • Luc semble continuer de copier la séquence de la source Q sur la description du jugement eschatologique où notre logion suit celui qui invite à ne pas avoir peur de perdre sa vie. Dès lors l'assurance que celui qui perd sa vie est engendré à une nouvelle vie est consolidée par le fait que Dieu l'arrachera à la catastrophe et le prendra auprès de lui dans le royaume. Mais comme le contexte est celui de Jésus qui est en route vers Jérusalem, et donc nous ne sommes pas encore plongés dans l'atmosphère apocalyptique de Jérusalem, Luc est en quelque sorte forcé de changer le temps des verbes: au lieu du présent de la source Q, il opte pour le futur, désignant ainsi un événement à venir. De plus, dans sa parabole sur la vigilance (Lc 12, 35-40), il a présenté la venue du fils de l'homme comme un événement de nuit. Alors, il modifie ici le logion de la source Q pour ajouter: « cette nuit-là ». Mais en faisant cela, il doit remplacer le travail dans le champ, impossible de nuit, par la situation où on est au lit. Quant aux femmes à la meule, il faut penser que ce travail n'est pas impossible à la lueur de la lampe.

50. Parabole des mines / talents

MatthieuLucMatthieuLuc
25, 14a Hōsper gar anthrōpos apodēmōn 19, 12 eipen oun• anthrōpos tis eugenēs eporeuthē eis chōran makran labein heautō basileian kai hypostrepsai. 25, 14a Car comme un homme partant en voyage,19, 12 Il dit donc: "Un certain homme de haute naissance alla vers un pays éloigné recevoir pour lui-même une royauté et revenir.
25, 14b-15 ekalesen tous idious doulous kai paredōken autois ta hyparchonta autou, kai hō men edōken pente talanta, hō de dyo, hō de hen, hekastō kata tēn idian dynamin, kai apedēmēsen. 19, 13 kalesas de deka doulous heautou edōken autois deka mnas kai eipen pros autous• pragmateusasthe en hō erchomai. 25, 14b-15 il appela ses propres serviteurs et il donna en partage à eux les possessions de lui, et à l'un il donna cinq talents, puis à l'un deux, puis à l'un un, à chacun selon sa propre puissance, et il partit en voyage.19, 13 Puis, ayant appelé dix serviteurs de lui-même il donna à eux dix mines et dit à l'adresse d'eux: "Faites des affaires jusqu'à ce que je revienne."
 19, 14 hoi de politai autou emisoun auton kai apesteilan presbeian opisō autou legontes• ou thelomen touton basileusai ephʼ hēmas.  19, 14 Puis, les citoyens de lui haïssaient lui et ils envoyèrent une ambassade derrière lui disant: "Nous ne voulons celui-là pour régner sur nous."
25, 16-18 eutheōs poreutheis ho ta pente talanta labōn ērgasato en autois kai ekerdēsen alla pente• hōsautōs ho ta dyo ekerdēsen alla dyo. ho de to hen labōn apelthōn ōryxen gēn kai ekrypsen to argyrion tou kyriou autou.  25, 16-18 Aussitôt, étant allé, celui les cinq talents ayant reçus, il travailla en eux et gagna cinq autres. De la même manière celui les deux (talents) gagna deux autres. Puis celui le un (talent) ayant reçu, étant parti, creusa (en) terre et cacha l'argent du seigneur de lui. 
25, 19 meta de polyn chronon erchetai ho kyrios n doulōn ekeinōn kai synairei logon metʼ autōn. 19, 15 kai egeneto en tō epanelthein auton labonta tēn basileian kai eipen phōnēthēnai autō tous doulous toutous hois dedōkei to argyrion, hina gnoi ti diepragmateusanto. 25, 19 Puis, après beaucoup de temps vient le seigneur des serviteurs ceux-là et il règle (son) compte avec eux.19, 15 Et il arriva dans le revenir, lui ayant reçu la royauté, et il dit de héler à lui les serviteurs ceux-là à qui il avait donné l'argent, afin qu'il puisse connaître quoi ils avaient gagné en affaires.
25, 20 kai proselthōn ho ta pente talanta labōn prosēnenken alla pente talanta legōn• kyrie, pente talanta moi paredōkas• ide alla pente talanta ekerdēsa. 19, 16 paregeneto de ho prōtos legōn• kyrie, hē mna sou deka prosērgasato mnas. 25, 20 Et s'étant approché celui les cinq talents ayant reçus, il présenta cinq autres talents disant: "Seigneur, cinq talents à moi tu as donnés en partage, voici cinq autre talents j'ai gagnés."19, 16 Puis, arriva le premier disant: "Seigneur, la mine de toi a rapporté dix mines."
25, 21 ephē autō ho kyrios autou• eu, doule agathe kai piste, epi oliga ēs pistos, epi pollōn se katastēsō• eiselthe eis tēn charan tou kyriou sou. 19, 17 kai eipen autōeuge, agathe doule, hoti en elachistō pistos egenou, isthi exousian echōn epanō deka poleōn. 25, 21 Déclarait à lui le seigneur de lui: "C'est bien, bon serviteur et fidèle. Sur peu de choses tu étais fidèle, sur beaucoup de choses toi j'établirai. Entre dans la joie du seigneur de toi."19, 17 Et il dit à lui, "C'est bien certes, bon serviteur, car en très petite (chose) fidèle tu t'es montré, sois ayant autorité au-dessus de dix villes."
25, 22 proselthōn [de] kai ho ta dyo talanta eipen• kyrie, dyo talanta moi paredōkas• ide alla dyo talanta ekerdēsa. 19, 18 kai ēlthen ho deuteros legōn• hē mna sou, kyrie, epoiēsen pente mnas. 25, 22 [Puis], s'étant approché aussi celui les deux talents (ayant reçus), il dit: "Seigneur, deux talents à moi tu as donné en partage. Voici deux autres talents j'ai gagnés."19, 18 Et vint le deuxième disant: "La mine de toi, seigneur, elle a fait cinq mines."
25, 23 ephē autō ho kyrios autou• eu, doule agathe kai piste, epi oliga ēs pistos, epi pollōn se katastēsō• eiselthe eis tēn charan tou kyriou sou. 19, 19 eipen de kai toutō• kai sy epanō ginou pente poleōn. 25, 23 Déclarait à lui le seigneur de lui: "C'est bien, serviteur bon et fidèle, sur peu de choses tu étais fidèle, sur beaucoup de choses toi j'établirai. Entre dans la joie du seigneur de toi."19, 19 Puis il dit aussi à celui-là: "Toi aussi, sois au-dessus de cinq villes."
25, 24a proselthōn de kai ho to hen talanton eilēphōs eipen• kyrie, 19, 20a kai ho heteros ēlthen legōn• kyrie, 25, 24a Puis s'étant approché aussi celui un talent ayant reçu, il dit: "Seigneur, 19, 20a Et l'autre vint disant: "Seigneur,
25, 24b-25 egnōn se hoti sklēros ei anthrōpos, therizōn hopou ouk espeiras kai synagōn hothen ou dieskorpisas, kai phobētheis apelthōn ekrypsa to talanton sou en tē gē• ide echeis to son. 19, 20b-21 idou hē mna sou hēn eichon apokeimenēn en soudariō• ephoboumēn gar se, hoti anthrōpos austēros ei, aireis ho ouk ethēkas kai therizeis ho ouk espeiras. 25, 24b-25 j'ai connu toi que dur tu es un homme, moissonnant là où tu n'as pas semé et ramassant d'où tu n'as pas dispersé, et ayant été apeuré, étant parti, j'ai caché le talent de toi dans la terre. Voici, tu as le (ce qui est) à toi."19, 20b-21 voici la mine de toi, celle que j'avais ayant mis en réserve dans un linge. Car j'avais peur de toi, parce qu'un homme sévère tu es, tu emportes ce que n'as pas déposé et tu moissones ce que tu n'as pas semé.
25, 26 apokritheis de ho kyrios autou eipen autō• ponēre doule kai oknēre, ēdeis hoti therizō hopou ouk espeira kai synagō hothen ou dieskorpisa; 19, 22 legei autō• ek tou stomatos sou krinō se, ponēre doule. ēdeis hoti egō anthrōpos austēros eimi, airōn ho ouk ethēka kai therizōn ho ouk espeira; 25, 26 Puis, ayant répondu le Seigneur de lui, il dit à lui: "Mauvais serviteur et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n'ai pas semé et ramasse d'où je n'ai pas dispersé.19, 22 Il dit à lui: "Hors de la bouche de toi je juge toi, mauvais serviteur. Tu savais que moi, un homme sévère je suis, emportant ce que je n'ai pas déposé et moissonnant ce que je n'ai pas semé.
25, 27 edei se oun balein ta argyria mou tois trapezitais, kai elthōn egō ekomisamēn an to emon syn tokō. 19, 23 kai dia ti ouk edōkas mou to argyrion epi trapezan; kagō elthōn syn tokō an auto epraxa. 25, 27 Il fallait donc toi lancer les argents de moi aux banquiers, et étant venu, moi, j'aurais recouvré le cas échéant le mien avec intérêt.19, 23 Et pourquoi n'as-tu pas donné de moi l'argent sur la banque? Et moi étant venu avec intérêt le cas échéant cela j'aurais retiré."
25, 28 arate oun apʼ autou to talanton kai dote tō echonti ta deka talanta• 19, 24 kai tois parestōsin eipen• arate apʼ autou tēn mnan kai dote tō tas deka mnas echonti25, 28 Enlevez donc de lui le talent et donnez à celui ayant les dix talents.19, 24 Et à ceux qui s'étaient tenus là il dit: "Enlevez de lui la mine et donnez à celui ayant les dix mines."
25, 29 gar echonti panti dothēsetai kai perisseuthēsetai, tou de mē echontos kai ho echei arthēsetai apʼ autou. 19, 25-26 kai eipan autō• kyrie, echei deka mnas — legō hymin hoti panti tō echonti dothēsetai, apo de tou mē echontos kai ho echei arthēsetai. 25, 29 Car à tout (homme) ayant, il sera donné et il sera dans l'abondance, puis à celui n'ayant pas aussi ce qu'il a sera enlevé de lui.19, 25-26 Et ils dirent à lui: "Seigneur, il a dix mines". - "Je dis à vous qu'à tout (homme) ayant, il sera donné, puis de celui n'ayant pas même ce qu'il a sera enlevé.
25, 30 kai ton achreion doulon ekbalete eis to skotos to exōteron• ekei estai ho klauthmos kai ho brygmos tōn odontōn.19, 27 plēn tous echthrous mou toutous tous mē thelēsantas me basileusai epʼ autous agagete hōde kai katasphaxate autous emprosthen mou.25, 30 Et le serviteur inutile, chassez vers la ténèbre l'extérieure, là sera le pleur et le grincement des dents."19, 27 Quant aux ennemis de moi ceux-là qui n'ayant pas voulu moi régner sur eux, amenez ici et égorgez eux en présence de moi."

Commentaire

  • En comparant la version de Matthieu et Luc de cette parabole, on pourrait avoir l'impression d'être devant deux paraboles différentes, tellement les divergences sont nombreuses, surtout dans la première partie. Pourtant, l'analyse révèle le même noyau fondamental: un maître de maison appelle ses serviteurs pour leur confier une somme d'argent avant de partir pour l'étranger, et à son retour, chacun vint rendre compte comment il a fait fructifier ce qui a été reçu, au grand plaisir du maître, sauf dans le cas du dernier serviteur qui s'était contenté de remiser la somme reçue, suscitant sa colère du maître. Après avoir repéré divers couches rédactionnelles, M.E. Boismard (op. cit., p. 325) croit que la parabole primitive devait ressembler à ce qui suit :
    (C’est) comme un homme (qui), partant à l'étranger, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. Et à l'un il donna cinq mines (?), à un autre deux, à un autre une, à chacun selon ses capacités. (Description du retour du maître, difficile à reconstituer)... Vint celui qui avait reçu les cinq mines, disant : « Maître, tu m'as confié cinq mines, voici cinq autres mines que j'ai gagnées. » Son maître lui déclara : « (C'est) bien, bon serviteur, en peu de choses tu fus fidèle, sur beaucoup je t'établirai. » Vint celui qui avait reçu deux mines, disant : « Maître, tu m'as confié deux mines, voici deux autres mines que j'ai gagnées. » Son maître lui déclara : « (C'est) bien, bon serviteur, en peu de choses tu fus fidèle, sur beaucoup je t'établirai. » Vint celui qui avait reçu la mine unique, disant : « Maître, voici ta mine que j'avais déposée dans un linge, car j'avais peur de toi. » Son maître lui dit : « Mauvais serviteur, il fallait que tu places mon argent chez les banquiers et, arrivé, moi j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt. » (Sanction contre le mauvais serviteur, impossible à reconstituer.)
  • Quelle est la signification de cette parabole originelle? Quelle en est la pointe? Elle semble illustrer cette parole de Jésus que présentent Lc 16, 10-12 et Mt 5, 19 de deux façons différentes, mais qui devait avoir la forme suivante: « Celui qui est fidèle pour une très petite chose est fidèle aussi pour une plus grande; et si vous n'avez pas été fidèle pour une petite chose, qui vous donnera ce qui est grand? » Cette parole a été appliquée par Matthieu au bien qu'est la Loi, par Luc au bien qu'est l'argent. À quoi donc pouvait faire référence la somme d'argent dans la parabole primitive? Il est assez clair que l'absence de l'homme qui doit revenir fait référence à Jésus mort en croix, et le retour de l'homme fait référence au retour de Jésus dans la gloire. Pendant son absence, il s'agit de faire fructifier ce qui a été reçu. Qu'est-ce qui a été reçu? Bien sûr, ce peut être tout l'enseignement reçu, mais ce peut être aussi, comme on le voit dans plusieurs paraboles sur la vigilance, les responsabilités reçues dans la communauté chrétienne en fonction des charismes de chacun. Dès lors, la parabole pourrait s'adresser en priorité aux chefs de communauté les avertissant qu'ils auront à rendre compte de leur gestion. Ceux qui ont su bien s'acquitter de leurs responsabilités en recevront davantage, et ceux qui n'ont pas su se montrer à la hauteur se feront reprocher de ne pas avoir confié à d'autres leur charge.

  • C'est cette parabole primitive que l'auteur de la source Q aurait intégrée à sa collection de paroles de Jésus, tout en apportant certaines modifications, en particulier en donnant plus d'importance au mauvais serviteur: il devient le symbole d'une catégorie de gens avec lesquels les premières communautés chrétiennes sont entrées en conflit, par exemple les chefs du peuple juif, les scribes et les Pharisiens. Cela est confirmé par son image du maître, qui est en fait une image de Dieu: « tu es dur et sévère, et exigeant plus que tu ne donnes ». C'est la perception de Dieu que traduit l'attitude des scribes et des Pharisiens, remplis de crainte de Dieu, soucieux de lui rendre tout ce qui lui est dû, de le servir fidèlement sans jamais transgresser ses commandements. Pour exprimer le jugement à l'égard de ce mauvais serviteur, l'auteur de la source Q aurait inséré une parole de Jésus, qui semble avoir eu une vie indépendante et qu'on retrouve en Mc 4, 25: « Car à celui qui a, il sera donné ; et à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré ». On retrouve ici le thème connu du royaume qui est enlevé aux Juifs pour être donné aux païens, et que Mt 21, 43 exprime ainsi : « le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits ».

    À l'inverse, les bons serviteurs qui ont fait fructifier l'argent qui leur avait été confié seraient les disciples de Jésus, qui acceptent son enseignement, lequel va bien au-delà des exigences de la loi mosaïque. Faire fructifier la Loi, c'est la parfaire, c'est dépasser les simples règles de ne pas faire de tort pour aller jusqu'à aimer, même ses ennemis. Ainsi, la parabole présente deux portraits de Dieu et deux attitudes religieuses fondamentales.

  • En reprenant cette parabole de la source Q, Matthieu apporté selon son habitude plus de clarté et d'exactitude. Pour bien indiquer la référence à Jésus après sa résurrection et le fait que son retour n'est pas pour tout de suite, il mentionne que le retour du seigneur se fait « après beaucoup de temps » (v. 19). Il ajoute les v. 16-18 qui donnent le détail de ce qu'ont fait les trois serviteurs pendant l'absence du maître, afin de rendre plus clair la reddition de compte. C'est peut-être lui qui a modifié la somme d'argent, passant des mines aux talents, car comme chaque talent pesait 20 kilos, cette monnaie ne pouvait plus être mise dans un linge, mais enfouie sous terre. Mais surtout, Matthieu a inséré cette parabole dans son discours eschatologique, après la parabole des dix vierges qui se terminent ainsi: « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure ». Pour bien indiquer le lien avec la parabole des dix vierges, il introduit notre parabole avec la conjonction: « Car ». Dès lors, notre parabole devient une explication de ce que c'est que veiller : on veille quand on fait fructifier ce qu'on a reçu. Et pour accentuer le caractère eschatologique de la parabole, il ajoute le v. 30: « Et le serviteur inutile, chassez vers la ténèbre l'extérieure, là sera le pleur et le grincement des dents »; le mauvais serviteur partagera le sort des impies lors du jugement final. Ainsi, que l'argent confié désigne l'enseignement de Jésus ou les responsabilités confiées aux responsables de communauté, le sort qui attend chacun est très clair : l'un entre dans la joie du seigneur, l'autre est jeté dans les ténèbres extérieures.

  • C'est Luc qui semble avoir apporté le plus de modifications à la parabole. Tout d'abord, pour que l'auditeur comprenne bien le sens de la parabole, il lui compose une introduction au v. 11 où on retrouve son vocabulaire : « Comme les gens écoutaient ces mots, Jésus ajouta une parabole parce qu’il était près de Jérusalem, et qu’eux se figuraient que le Règne de Dieu allait se manifester sur-le-champ ». Luc entend donc rectifier l'attente des disciples quant à la date du retour du Christ en gloire; et comme l'homme de la parabole part pour un pays lointain, ce retour n'est pas pour demain. Une des retouches importantes de Luc concerne l'homme de haute naissance parti recevoir la royauté. On y a vu un fait historique: après la mort d'Hérode le Grand, son fils Archélaüs partit à Rome afin d'y recevoir des mains d'Auguste le titre de roi; mais, en même temps, les Juifs envoyèrent une ambassage afin de s'opposer à cette nomination. Au niveau symbolique, Luc semble donner une portée christologique à cette figure royale en y voyant Jésus qui, après sa mort et sa résurrection, s'en va auprès de Dieu pour y être intronisé comme roi, pendant que les Juifs refusent de reconnaître cette royauté, ce qui leur vaudra de périr lors de son retour et du jugement final.

    Luc semble avoir fait un certain nombre d'autres modifications. Par exemple, les serviteurs sont au nombre de dix, et non trois : peut-être a-t-il pensé qu'un futur roi devait avoir plus que trois serviteurs. De plus, ces serviteurs reçoient tous la même somme, sans doute le reflet qu'au point de départ, tout chrétien reçoit le même enseignement ou une responsabilité semblable. Puis, il ajoute au v. 13b un ordre de l'homme aux serviteurs : « Faites des affaires jusqu'à ce que je revienne ». Pourquoi? Sans cet ordre, l'auditoire grec de Luc ne comprendrait pas le reproche qu'on fera au serviteur qui s'est consenté de bien préserver la somme reçue. Dès lors, la faute de de serviteur en sera une de désobéissance : il n'a pas fait des affaires, comme il lui a été demandé, à l'instar de la parabole de l'intendant fidèle et avisé qui a donné a chacun sa ration de blé tel que demandé par le maître de maison (Lc 12, 42-48). Comme Luc a composé une introduction à cette parabole, il lui compose aussi une conclusion : « Sur ces mots, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem » (Lc 19, 28). C'est donc la fin de son long voyage qui a duré dix chapitres, un voyage où Jésus a présenté la vie chrétienne comme un long cheminement, où il n'a cessé d'enseigner, laissant un héritage avant de mourir. Ainsi, notre parabole est une conclusion qui dit essentiellement ceci: le retour du Christ prendra du temps, un temps où l'important est de mettre en oeuvre ce qu'il a enseigné, tel qu'il l'a demandé, et d'accomplir les responsabilités qu'il nous a laissées.

51. Les disciples sont demeurés avec lui, ils seront assis sur des trônes et jugeront les douze tribus d'Israël

MatthieuLucMatthieuLuc
19, 28a ho de Iēsous eipen autois• amēn legō hymin hoti hymeis hoi akolouthēsantes moi 22, 28 Hymeis de este hoi diamemenēkotes metʼ emou en tois peirasmois mou• 19, 28a Puis, le Jésus dit à eux: "Amen je dis à vous que, vous, vous êtes ceux ayant suivi moi22, 28 Puis, vous, vous êtes ceux étant demeurés avec moi dans les épreuves de moi.
 22, 29 kagō diatithemai hymin kathōs dietheto moi ho patēr mou basileian,  22, 29 Et moi je dispose pour vous, comme a disposé pour moi, le père de moi, d'un royaume,
19, 28b en tē palingenesia, hotan kathisē ho huios tou anthrōpou epi thronou doxēs autou, kathēsesthe kai hymeis epi dōdeka thronous krinontes tas dōdeka phylas tou Israēl. 22, 30 hina esthēte kai pinēte epi tēs trapezēs mou en tē basileia mou, kai kathēsesthe epi thronōn tas dōdeka phylas krinontes tou Israēl.19, 28b dans la régénération, quand siègera le fils de l'homme sur un trône de gloire de lui, vous siègerez aussi, vous, sur douze trônes jugeant les douze tribus de l'Israël."22, 30 afin que vous mangiez et buviez sur la table de moi dans le royaume de moi, et vous siègerez sur des trônes, les douze tribus jugeant de l'Israël..

Commentaire

  • Voilà un autre logion qui semble avoir eu une vie indépendante et que Matthieu et Luc ont inséré dans leur évangile pour appuyer leur thème. Matthieu a peut-être conservé le mieux la formulation initiale du logion où Jésus promet à ceux qui l'on suivi que, lors du retour du fils de l'homme et de la création d'un Israël nouveau (régénération), ils auront un rôle d'autorité sur les douze tribus d'Israël. Cette vision autour des douze tribus et le choix de douze apôtres par Jésus semblent liés. Mais on ne sait pas si dans la source Q ce logion avait été placé dans un contexte précis (ce qui précède, ce qui suit). Mais pour son auteur, qui était d'origine juive, une telle promesse de Jésus devait sembler une promesse douce-amère dans les années 60 à la vue des conflits avec le milieu juif, car l'action de juger dans le royaume devenait moins celle d'exercer un leadership sur le monde nouveau que celle de condamner les douze tribus.

  • Matthieu a placé ce logion dans la discussion qui a suivi le refus du jeune homme riche de suivre Jésus et a entraîné la question de Pierre: « Eh bien ! nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi. Qu’en sera-t-il donc pour nous ? » (Mt 19, 27). La réponse de Jésus est en deux parties: notre logion constitue la première partie, et apparaît comme une première récompense, puis suit la deuxième partie copiée de Marc: « Et quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et, en partage, la vie éternelle » (Mt 19, 29). Et le tout se termine avec « Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers, premiers » (Mt 19, 30). En d'autres mots, aux disciples qui ont l'impression d'avoir beaucoup perdu en laissant tout derrière eux, Jésus promets dans un avenir proche et lointain, ils seront premiers, héritant de ce que Dieu entend leur offrir. Pour Matthieu, voilà une promesse qui peut soutenir l'apôtre et la mission chrétienne.

  • Dans l'évangile de Luc, le logion a été placé lors du repas eucharistique de Jésus. Dans le discours de Jésus à table après le repas, les thèmes chez Luc sont très marqués par le récit de David traqué par Absalon (2 S 16), et Méribbaal qui abandonne David en fuite (2 S 9, 13): ici, les disciples de Jésus « sont demeurés avec lui dans ses épreuves ». On peut noter tout le travail rédactionnel de Luc : « demeurer », « épreuves », « disposer », « comme » et l'idée de remettre le royaume aux disciples (voir Lc 12, 32: « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». Mais pour que son auditoire saisissent dans quel contexte il faut comprendre le logion de la source Q, en plus de la situer lors du dernier repas de Jésus, il ajoute la phrase: « ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon royaume ». Ainsi, la table dont il parle, c'est la table eucharistique. En effet, le repas dans le royaume c'est la communauté chrétienne rassemblée autour de l'eucharistie. De plus, Luc a placé ce logion après une querelle à table pour savoir qui était le plus grand, et qui se termine par cette parole de Jésus : « Lequel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or, moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert » (Lc 22, 27). Le contexte est clairement chrétien et eucharistique, et les conflits sur la préséance étaient un reflet de tensions dans la communauté. Bref, notre logion devient une réalité actuelle pour la communauté de Luc où se vit dans l'eucharistie l'Israël nouveau avec un esprit de service.