![]() Sybil 1999 |
Le texte évangélique
Matthieu 3, 1-12 1 En ce temps-là se présente Jean Baptiste dans un lieu désert de Judée et il proclame : 2 « Réorientez votre vie, car le royaume des cieux est arrivé tout près de vous ». 3 Cela correspond à ce qu’on trouve chez le prophète Isaïe : Voici ce que dit une voix dans le désert : faites une place au Seigneur, facilitez son accès à vous. 4 Jean portait le vêtement typique des prophètes fait de poils de chameau avec une ceinture de cuir, et se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. 5 Les gens de Jérusalem, de toute la Judée et des environs du Jourdain se rendaient à lui. 6 Et ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve Jourdain, en avouant leurs égarements. 7 En remarquant que les Pharisiens et les Sadducéens se présentaient également à son baptême, il leur dit : « Bandes d’hypocrites, comment pouvez-vous échapper au jugement qui vous attend? 8 Affichez un comportement qui reflète une véritable orientation de vie. 9 Et ne vous appuyer pas sur la prétention d’être les descendants d’Abraham. Car je vous assure que Dieu peut créer à volonté des descendants d’Abraham, même avec ces pierres que vous voyez. 10 Dieu a déjà sa hache près de la racine des arbres à couper. Ainsi, tout arbre qui ne donne pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. 11 Quant à moi, c’est dans l’eau que je baptise comme signe d’une réorientation de vie, mais après moi viendra quelqu’un qui a la capacité même de Dieu, que je ne peux même pas servir faute d’une qualité suffisante. C’est lui qui vous confèrera un baptême efficace en donnant le souffle qui vous transformera pour être l’image de Dieu. 12 C’est lui qui fera du vannage pour séparer le blé de la paille : dans son grenier il recueillera le blé, mais se débarrassera de la paille en la jetant dans le dépotoir où il y a toujours un feu. » |
Des études |
![]() Où veut-on aller avec sa vie? |
Commentaire d'évangile" - Homélie Tout dépend d’une décision prise C’est l’histoire d’un homme qui a voulu tuer ses enfants1. Il s’appelle Martin. Un jour, alors qu’il travaillait dans les plates-bandes, sa conjointe s’approche pour lui dire : c’est fini entre nous, je pars. Et elle est partie, lui laissant les enfants. Ébranlé, Martin prend néanmoins sans le savoir une décision : je serai un bon père de famille, je serai un homme solide, un homme debout. Et puis, il comprenait la décision de sa conjointe de partir et la trouvait même courageuse de renoncer à une vie qui la rendait malheureuse, plutôt que de faire semblant. Au tout début, il était trop occupé pour s’apitoyer sur son sort : les comptes à payer, la maisonnée à faire rouler, les dettes, les devoirs et les lunchs des enfants. Une pression constante. Mais l’édifice de sa vie a commencé à se lézarder quand il apprît que son ex-conjointe avait refait sa vie avec un autre homme avec des voyages, des fêtes, des restos. Et même ses amis commençaient à se poser des questions sur les raisons du départ de son ex. C’est ainsi que Martin a commencé à s’isoler. De toutes façons, on ne l’appelait plus, on ne l’invitait plus. C’est ainsi que la tristesse s’est infiltrée, que la douleur a grandi. Malgré la rencontre avec le médecin ou le psychologue, la rancœur et l’amertume se sont installées, et surtout le sentiment d’être un « perdant », une victime. Puis est venue la question : Pourquoi continuer ? À quoi ça sert ? La solitude lui semblait absolue et les pensées suicidaires commencèrent à s’incruster. Il imaginait des choses comme un accident de la route qui l’emporterait, lui et les enfants. Les emmener avec lui, mettre fin à la douleur. De fait, ce serait pour leur bien, pour les protéger; il leur rendrait même service. Dans la tête de Martin, c’était le noir complet. Comment s’est terminé cette histoire? Au plus noir de sa vie, Martin s’est souvenu du bref sentiment qui l’avait habité quand son ex-conjointe lui a annoncé son intention de partir : je serai un bon père de famille, je serai un homme solide, un homme debout. Il s’est alors accroché à cette décision comme si sa vie en dépendait. Et il ne l’a pas lâchée depuis. C’est ainsi que l’idée de continuer à vivre malgré les embûches a trouvé sa place. La lumière a fini par revenir, tranquillement. Et la douleur a commencé à se faire moins vive. Finalement, la conviction est devenue très forte qu’il restera debout quoi qu’il arrive : probablement blessé, fatigué, endetté, usé, mais debout. Cette histoire vraie m’apparaît comme une bonne introduction à l’évangile de ce jour, car on y parle d’égarement, de décision et de retour à ses sources. Matthieu nous présente la mission de Jean Baptiste, ce prophète acétique qui appelle la population à réorienter sa vie en avouant ses égarements et à se préparer à une intervention de Dieu, tout cela exprimé symboliquement par une immersion dans l’eau. Quelle est la signification de cette scène? Rappelons que l’évangile de Matthieu a été écrit vers l’an 80. Ce chrétien juif a sous les yeux l’évangile de Marc dont il suit le plan, et qui commence avec ce récit autour de Jean-Baptiste. Mais il tient à identifier la mission de Jean-Baptiste à celle de Jésus, car il met dans la bouche du baptiste le même appel qu’on trouve chez Jésus : « Réorientez votre vie, car le royaume des cieux est arrivé tout près de vous ». Pourquoi? Matthieu ne veut pas jouer à l’historien en nous donnant un reportage sur le « vrai » Jean-Baptiste. En l’an 80, Jean-Baptiste représente la mission chrétienne qui reprend celle de Jésus. Et comme pour tout bon Juif, l’agir est au centre de la vie. Et ce qu’il souligne est clair : on ne peut accueillir ce mystérieux royaume dont parle Jésus, sans prendre une décision sur l’orientation qu’on veut donner à sa vie. Son attaque de Juifs religieux, comme les Pharisiens, des laïcs extrêmement observants, et des Sadducéens, appartenant à la famille sacerdotale, peut paraître surprenante, mais elle accentue le fait que c’est une illusion de penser que la belle place qu’on occupe dans la société nous permet d’éviter la décision fondamentale sur l’orientation qu’on veut donner à sa vie. Puis suit dans la bouche de Jean-Baptiste la menace du jugement de Dieu en regard de ceux qui ne produisent pas de fruit. On chercherait en vain une définition de ce que c’est « produire du fruit ». Mais, en fait ce n’est pas important, car ce qui est demandé se résume à une seule chose : vous devez prendre conscience que tout votre agir dépendra de l’orientation que vous donnerez à votre vie. Jean-Baptiste représente la mission chrétienne, et celle-ci entend confronter l’humanité à cette décision qui touche l’orientation de sa vie. Beaucoup ne veulent rien entendre d’une telle décision. Les Pharisiens et les Sadducéens croyaient que leur situation de vie leur éviterait une telle décision. C’est le rôle de Jean-Baptiste, et le nôtre, de rappeler que nous avons tous à prendre cette décision. Mais alors comment situer Jésus et Jean-Baptiste l’un par rapport à l’autre? Matthieu, à la suite de Marc, distingue un baptême d’eau et un baptême dans l’esprit saint. Qu’est-ce à dire? Le baptême d’eau symbolise la décision prise pour donner une orientation à sa vie. Le baptême dans l’esprit saint symbolise cette force mystérieuse qui soutient cette orientation de vie et lui permet d’atteindre son but. Pour le regard croyant, c’est l’esprit de Jésus ressuscité à l’œuvre dans notre monde. Ainsi, notre mission ne peut qu’amener le gens à prendre en main leur vie et à décider de cette orientation; nous ne pouvons faire qu’un baptême d’eau. Mais pour la mise en œuvre de cette décision, nous devons nous en remettre à une réalité plus grande, un mystère à l’œuvre dans le monde et qui a sa source en Jésus ressuscité; le baptême dans l’esprit saint est hors de notre pouvoir. Revenons à Martin. Ce qui a été fondamental dans sa vie fut sa décision initiale d’être un bon père de famille et d’être un homme debout. Cela ne l’a pas empêché de sombrer dans l’abîme, mais un jour le souvenir lui est revenu de cette décision. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’au fond de l’obscurité cette décision lui revienne à l’esprit? Un hasard? Un accident dans les connexions des synapses de son cerveau? Le regard croyant peut y voir cette mystérieuse force à l’œuvre dans le monde et qui a sa source en Jésus ressuscité, et que Matthieu et Marc nomment sous le terme de baptême dans l’esprit saint. Mais remarquons qu’il n’y a ici rien de magique : cette montée hors de l’obscurité n’aurait pas été possible sans la décision initiale de Martin. L’évangile de ce jour peut donner le vertige : notre vie est suspendue à notre décision, et si nous refusons de prendre cette décision qui oriente notre vie pour son bien, alors même le mystère de vie et d’amour à l’origine de ce monde sera impuissant. Voilà toute la signification des images où on jette au feu ce qui n’est pas productif. On comprend alors l’importance de Jean-Baptiste et de notre mission. Mais il y a une bonne nouvelle : si nous avons osé prendre des décisions orientées vers la vie, elles auront une telle force que rien ne pourra les détruire, malgré tous les naufrages et les démentis apparents, car elles seront soutenues par le mystère de la résurrection. Alors pourquoi avoir peur d’affronter la vie?
-André Gilbert, Gatineau, octobre 2022 1 Cette histoire a été publiée dans La Presse (Montréal, Canada) par Patrick Lagacé, le 23 octobre 2022. Pour le texte complet : https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2022-10-23/fais-pas-ca.php |
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