John P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire,
v.5, Introduction : Où situer les paraboles dans la quête du Jésus historique?,
pp 1-29, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Où situer les paraboles dans la quête du Jésus historique?


Sommaire

Voici le cinquième volume dans cette série de la quête du Jésus historique. Au point de départ, la stratégie était de commencer avec le matériel qui avait le plus de chance de remonter au Jésus historique, comme le milieu socioéconomique de Jésus, ou la mission de Jean-Baptiste, les guérisons de Jésus, ou encore les groupes avec lesquels il est entré en relation, et de progresser ainsi vers des situations plus complexes. Cette stratégie nous a servi à développer un cadre de référence qui nous a permis de nous attaquer aux cas plus problématiques. Le quatrième volume a abordé une de ces situations complexes, la position de Jésus face à la Loi.

La question des paraboles qu’aborde ce cinquième volume appartient aux situations complexes. Le premier problème concerne leur signification : quand une parabole est détachée de son contexte dans l’évangile ou dans le ministère de Jésus, on peut lui faire dire n’importe quoi. Le deuxième problème est d’ordre méthodologique : quand on applique les critères d’historicité utilisés tout au long de cette quête du Jésus historique, peu de paraboles peuvent être considérées avec un degré de probabilité comme remontant au Jésus historique. Aussi, le ch. 37 présentera sept propositions de bases qui serviront de fondement à nos affirmations sur les paraboles. Le ch. 38 vise à réfuter l’argument de certains biblistes qui utilisent l’Évangile copte de Thomas (ECT) comme attestation multiple des paraboles. Le ch. 39 passe en revue les diverses paraboles selon l’ordre chronologique de leur source. Enfin, le ch. 40 s’intéressera aux quelques paraboles qui ont survécu aux critères d’historicité.

Il est vital de distinguer la question théologique du message de foi contenu dans une parabole de la question de son historicité pour savoir si elle remonte au Jésus historique. C’est à cette dernière question que s’intéresse ce volume. Pour répondre à cette question nous utiliserons les cinq critères principaux utilisés dans les autres volumes : le critère d’embarras, de discontinuité, d’attestation multiple, de cohérence et de rejet. Les critères secondaires comme les traces de langue araméenne ou de l’environnement palestinien du premier siècle ne peuvent être utilisés que pour confirmer les critères principaux. Certains biblistes ont cherché d’autres critères, ou encore ont rejeté en bloc tout critère, pour se retrouver soit à laisser entrer par la porte arrière les critères traditionnels, soit à tomber dans l’arbitraire.


  1. La stratégie d’ensemble du livre Le Juif marginal

    La stratégie d’ensemble pourrait ressembler à la stratégie adoptée dans toute négociation : on s’attaque d’abord aux questions les plus faciles avant de s’atteler aux problèmes presqu’insolubles. C’est ainsi que nous avons commencé notre quête avec du matériel qui jouissait de multiples attestations dans une grande variété de formes littéraires, avant de progresser, volume par volume, vers des situations plus complexes.

    1. Dans le premier livre, nous avons établi des principes de base pour guider notre quête et nous avons brossé le portrait initial du milieu social, culturel, économique et familial de Jésus. Dans le deuxième volume, nous nous sommes attaqués à trois grandes questions : 1) Jean le Baptiste, le mentor de Jésus, 2) le message de Jésus autour du royaume de Dieu, 3) la proclamation du royaume à travers les actes de puissance de Jésus, appelés : miracles. La multitude et la variété des récits nous a permis d’appliquer à loisir nos critères d’historicité. Et le portrait de Jésus qui s’en dégage est celui d’un prophète guérisseur et eschatologique, reflétant les traditions et les espoirs autour du prophète Élie.

    2. Le troisième volume a adopté un angle beaucoup plus large en considérant ceux qui ont interagit avec Jésus, d’abord les foules et ceux qui l’ont suivi, comme ses disciples, puis ceux qui se sont opposés à lui, comme les scribes, les Sadducéens, les Pharisiens. Cela a représenté un défi, car à part des personnages comme Simon Pierre, il est presqu’impossible de préciser le visage de ceux qui se sont intéressés au message de Jésus. De même, définir exactement des groupes comme les Esséniens ou les Hérodiens représente un défi titanesque, car soit les données nous manquent, soit les sources possibles sont biaisées. Ainsi, au cours de ce volume, les conclusions fermes sont devenues de plus en plus rares. Néanmoins, nous avons pu obtenir ici et là, à travers l’interaction de Jésus avec ses partisans et ses adversaires, une meilleure compréhension du Jésus historique, en particulier en ce qui concerne l’interprétation de la loi mosaïque. Tout cela a ouvert la voie au quatrième volume.

    3. Ainsi, dans le quatrième volume, au terme de notre quête, nous nous sommes retrouvés avec quatre énigmes :

      1. L’attitude de Jésus face à la Loi
      2. Son utilisation des paraboles
      3. La façon de le décrire, ses mots ou ceux des autres (autodésignation et titres)
      4. Les derniers jours à Jérusalem culminant avec sa mort

    4. La valeur de cette approche est de nous permettre de nous attaquer aux énigmes en n’étant pas dans le vide, car nous avons un portrait de référence de Jésus.
      1. Il est un prophète guérisseur et eschatologique comme Élie
      2. Il proclamait et initiait le rassemblement des douze tribus d’Israël pour la fin des temps
      3. En même temps, il menait des débats avec d’autres mouvements juifs et s’en détachait

      Tout cela nous a donné une grille d’analyse pour déterminer les choses possibles, celles qui sont probables et, le cas échéant, la solution la plus probable aux énigmes.

    5. Le volume quatre s’est attaqué au premier des quatre énigmes : l’attitude de Jésus face à la Loi. Mais la quête de la « Loi historique », i.e. celle qui existait au temps de Jésus, s’est avérée plus problématique que celle du Jésus historique. Par exemple, de larges sections sur les déclarations de Jésus concernant la pureté ont dû être rangées au rang de création de l’église primitive, alors que pour d’autres matériaux légaux on a été incapable de conclure. En revanche, on a pu conclure comme historique d’autres déclarations de Jésus, comme celles de l’interdiction du divorce et des serments, celle associant l’amour de Dieu et celui du prochain et les élevant au rang de premier commandement. Cette analyse nous a permis d’enrichir le visage de Jésus par celui d'un homme enseignant la Loi avec autorité, au risque de le rendre plus complexe. Car comment ces nouveaux éléments du portrait cadrent-ils avec celui du prophète guérisseur et eschatologique? Cela est typique de tous les autres résultats que nous obtiendrons en essayant d’éclairer les énigmes : certaines questions reçoivent une réponse, le portrait de Jésus s’élargit, mais tout le casse-tête n’est pas complété pour autant.

  2. Le problème spécial des paraboles

    1. Le premier problème propre aux paraboles concerne leur signification. Contrairement à la situation des déclarations de Jésus touchant aux réalités légales, où on pouvait établir une frontière entre ce qu’elles pouvaient probablement signifier et ce qu’elles ne signifiaient absolument pas (par exemple, les questions sur le divorce et les serments), les paraboles se prêtent à toutes les interprétations possibles, sans aucune limite. Car après l’avoir détaché soit de son contexte rédactionnel dans l’évangile, soit de son contexte historique dans le ministère de Jésus, un interprète peut faire dire à une parabole tout ce qu’il veut. Et au cours du dernier demi-siècle, on ne s’est pas gêné pour appliquer diverses grilles d’analyse selon les modes du moment : existentialiste, structuraliste, socioéconomique, marxiste, postmoderne, nietzschéen.

    2. Le deuxième problème, et le plus important, est d’ordre méthodologique. Jusqu’ici, dans notre quête du Jésus historique, nous nous sommes constamment posé la question : est-ce que tel ou tel élément de la tradition remonte au Jésus historique, ou bien, est-il une création des porteurs de la tradition chrétienne au milieu de la première ou deuxième génération de l’église primitive. Ou pour dire les choses autrement, tel ou tel passage évangélique reflète-t-il tellement le vocabulaire, les intérêts et la théologie du rédacteur que c’est probablement une création de l’évangéliste? Les premiers volumes sur la quête du Jésus historique ont porté sur des points où les chances étaient les plus grandes de faire remonter des paroles ou des actions au Jésus historique en appliquant notre méthodologie. Malheureusement, avec ce cinquième volume sur les paraboles, nous faisons face à un fossé. Car nous verrons que, dans la plupart des cas et en appliquant nos critères d’historicité, on ne peut trouver d’argument pour faire remonter telle ou telle parabole au Jésus historique. Cela ne signifie pas pour autant que telle ou telle parabole ne remonte pas au Jésus historique. Mais les arguments nous manquent pour le faire. Attribuer automatiquement toutes les paraboles au Jésus historique relève de la pensée magique. Et de fait, on pourra trouver des arguments démontrant que telle ou telle parabole sont des créations de l’église primitive ou de l’évangéliste. À l’inverse, on verra que quelques paraboles ont de bonnes chances remonter au Jésus historique, mais elles sont peu nombreuses.

    3. Une telle conclusion pourrait paraître choquante pour certains lecteurs. Aussi, le présent volume essaiera de fournir un guide dans cette réflexion. Tout d’abord, le ch. 37 présentera sept propositions de bases qui serviront de fondement à nos affirmations sur les paraboles. Ces propositions portent le nom de : Sept thèses démodées, et nous commencerons avec la moins controversée pour terminer avec l’affirmation la plus litigieuse, celle où nous déclarons que pour la vaste majorité des paraboles synoptiques nous manquons d’arguments pour démontrer leur authenticité, car elles ne rencontrent pas même un seul de nos critères d’historicité, en particulier celui de l’attestation multiple.

    4. Le ch. 38 vise à réfuter l’argument de certains biblistes qui utilisent l’Évangile copte de Thomas (ECT) comme attestation multiple des paraboles. Il s’agit ici de notre sixième thèse qui affirme que ECT montre une connaissance directe ou indirecte de l’un ou de l’autre des évangiles synoptiques, et donc ne peut être utilisé comme témoin indépendant.

    5. Le ch. 39 passe en revue les diverses paraboles. Plutôt que de les regrouper par thèmes, on les regroupera par sources et dans l’ordre chronologique probable de leur composition, i.e. Marc, Q (ce qui est commun à Matthieu et Luc, et qu’on ne trouve pas chez Marc), le matériel propre à Matthieu (M) et le matériel propre à Luc (L). À mesure que nous avancerons dans notre analyse, nous ferons la découverte étonnante que le nombre de paraboles bien développées s’accroit à mesure qu’on passe de Marc à Q, puis à Matthieu, puis enfin à Luc. De plus, le nombre de paraboles propres à Matthieu (M) sont plus nombreuses que ceux qu’on trouve chez Marc ou la source Q, et celles propres à Luc (L) sont les plus nombreuses de tous.

    6. Ainsi, il faut inspecter chaque parabole pour voir si on peut y déceler une indication préliminaire qu’elle pourrait satisfaire à au moins un critère d’historicité. Peu de paraboles survivent à cette inspection. Aussi, dans notre ch. 40, nous nous intéresserons spécialement à ces paraboles qui ont survécu à cette première inspection : la graine de moutarde, les vignerons meurtriers, le festin nuptial, les talents/mines. Dans leur contenu, sinon dans leur formulation, nous avons des raisons de croire qu’elles pourraient remonter au Jésus historique. En revanche, cela ne signifie pas pour autant que toutes les autres paraboles seraient une création des premières communautés chrétiennes ou des évangélistes. Plutôt, la vaste majorité des paraboles ne nous offrent pas de données probantes pour soutenir un jugement ferme.

  3. Méthodologie : un rappel du code de notre route

    1. Il est vital de faire une distinction entre la quête du Jésus historique et la théologie, plus particulièrement la christologie. Dans le premier cas, le travail s’effectue au département d’histoire d’une université en appliquant les règles académiques rigoureuses propre à l’histoire. Par contraste, l’étude de la christologie s’effectue au département de théologie en appliquant les méthodes propres à la théologie. Si on se tourne vers les paraboles, cette distinction signifie qu’il faut distinguer entre le travail pour déterminer avec un niveau de probabilité quelles paraboles pourraient remonter au Jésus historique, et celui où on précise le message de foi des premiers chrétiens, plus spécialement celui que l’évangéliste a voulu communiquer avec les paraboles. Ce volume est orienté vers ce qui se fait normalement au département d’histoire, et non celui de la théologie.

    2. Il y a malheureusement beaucoup de confusion entre le rôle que jouent les paraboles dans la foi chrétienne et la théologie, et celui qu’elles jouent dans la quête du Jésus historique. Le nombre d’ouvrages qui commentent les paraboles rend témoignage de la place qu’occupent les paraboles dans la vie chrétienne. Mais il y a un problème quand on glisse sans s’en apercevoir de la richesse théologique des paraboles à la prétention de leur origine dans le ministère de Jésus. La conséquence est que les paraboles reçoivent une passe gratuite dans le club exclusif du matériel authentique provenant de Jésus.

    3. Bref, cet ouvrage est à la recherche des paraboles historiques du Jésus historique. Rappelons qu’il faut distinguer le Jésus « réel », i.e. tout ce qu’il a dit, fait, ressenti au cours des trente-six ans de sa vie, dont la majeure partie nous échappe et nous échappera toujours, et le Jésus « historique », celui qui nous est accessible par les documents laissés en appliquant de manière rigoureuse les méthodes historico-critiques. Nous avons de bonnes raisons de croire que le Jésus historique qui se dégage après l’application des méthodes historico-critiques coïncide du moins partiellement avec le Jésus « réel ». C’est ainsi que dans le volume premier nous avons imaginé un conclave « non-papal » réunissant des historiens catholiques, protestants, juifs et agnostiques et qui essaierait d’arriver à un consensus en se basant uniquement sur des sources et des arguments historiques. Par exemple, il y aurait un consensus pour affirmer que Jésus « a été crucifié sous Ponce Pilate et en est mort », car ce fait est soutenu par des historiens non-chrétiens comme Flavius Josèphe et Tacite, ainsi que par un certain nombre de courants de la tradition chrétienne indépendants les uns des autres. En revanche, une affirmation plus longue qui ajouterait la signification de cette mort : « pour nous les êtres humains et pour notre salut », échappe à l’investigation et à la vérification empirique, et relève de la foi chrétienne et de la christologie, et non pas de l’historien en sa capacité d’historien.

    4. Nous sommes donc renvoyés à question des sources. Malheureusement, à part les quatre évangiles, elles sont peu nombreuses. Paul et Flavius Josèphe nous offrent que des miettes. Les prétentions que les écrits apocryphes ultérieurs et le matériel gnostique de Nag Hammadi nous offrent des sources indépendantes sont totalement fantaisistes. Tout cela oblige les historiens à retourner aux quatre évangiles pour obtenir de l’information sur le Jésus historique. Sachant que les évangiles sont avant tout une catéchèse pour soutenir la foi des croyants, composés entre quarante et soixante-dix après la mort de Jésus, on ne peut les approcher qu’en appliquant rigoureusement les critères d’historicité et d’authenticité. Il est temps de les présenter de nouveau.

    5. Les cinq critères principaux

      1. Le critère d’embarras fait référence au matériel évangélique qui ne peut provenir de l’église primitive, car elle aurait été une source d’embarras et aurait présenté un problème théologique, comme le baptême de Jésus par Jean-Baptiste au début de son ministère, ou la mort de Jésus comme un criminel aux mains des autorités romaines, un sort réservé aux esclaves, aux bandits et aux rebelles, et qui pouvaient rendre les chrétiens suspects devant l’autorité politique. Cela était scandaleux. Alors on peut remarquer que les premiers chrétiens ont développé différentes stratégies, qui vont un peu dans tous les sens, pour gérer cette source d’embarras. Les plus anciennes traditions, préservées dans les discours de Pierre dans les Actes des Apôtres font clairement une distinction entre la crucifixion (un acte mauvais des hommes permis par Dieu) et la résurrection (l’action salvifique de Dieu contrant la méchanceté humaine); ces discours ne discernent rien de salvifique dans la crucifixion de Jésus en elle-même. Mais assez tôt, voyant les lacunes d’une telle présentation de la croix, certaines formulations de foi pré-pauliniennes ont vu le jour, probablement vers la fin des années 30, et on interprété la crucifixion comme une sorte de sacrifice pour les péchés (voir 1 Co 15, 3-5; Rm 3, 24-26; l’épitre aux Hébreux a beaucoup développé cette approche). Pour Paul, c’est seulement en acceptant cette mort honteuse comme instrument de salut que le pécheur, sans mérite de sa part, est justifié par la foi au Christ. De manière plus simple, la source Q associe la mort de Jésus aux prophètes martyrs de l’AT : il est le prophète eschatologique, le dernier d’une longue lignée de martyr qui amène l’histoire du salut à son achèvement. Les sources des récits de la passion associent Jésus à d’autres figures, comme celle du juste souffrant dans les psaumes de lamentation et glorifié par Sg 2, 20 – 3, 9, ou encore celle du serviteur souffrant de Yahvé d’Is 52, 13 – 53, 12. Dans une approche radicale totalement différente, l’évangile de Jean fait de la croix le lieu d’exaltation et de glorification, un triomphe sur le monde qui a cru à tort le vaincre et le condamner. Toutes ces stratégies témoignent du malaise sur la façon dont Jésus est mort, car elle ne correspondait pas au type de messie attendu, et rendait difficile le travail de recrutement de nouveaux adeptes.

      2. Le critère de discontinuité fait référence aux paroles ou actions de Jésus qui ne peuvent pas prendre leur source dans le Judaïsme de l’époque de Jésus ou de l’église primitive. Un exemple typique discuté dans notre premier volume est celui de la prise de distance par rapport au jeûne. Un autre exemple est celui du titre « Fils de l’homme » qui apparaît dans les quatre évangiles et par laquelle Jésus se désigne lui-même. Ce titre remplace le pronom personnel « Je » dans la bouche de Jésus et laisse entendre une mission spéciale de Jésus. On chercherait en vain un parallèle de cet usage dans les Écritures hébraïques ou araméennes ou dans la littérature juive qui précède la période de Jésus. Et ce titre disparaît par la suite dans le reste du N.T. et de sa christologie. Chez les Pères de l’Église, le titre est devenu une façon de désigner la double nature de Jésus, humaine et divine. Nous sommes donc devant un exemple de double discontinuité, la première par rapport aux usages juifs, la deuxième par rapport à l’usage chrétien.

      3. Le critère d’attestation multiple désigne les paroles ou les actions de Jésus qui reçoivent le témoignage i) de plus d’une source littéraire indépendante (Marc, Q, Paul, ou Jean) et ii) sous plus d’une forme ou genre littéraire (paroles, récits). Un exemple typique dans ce cinquième volume concerne les paraboles : le fait que Jésus ait enseigné en paraboles est confirmé par le récit de tous les évangiles synoptiques ainsi que par la partie rédactionnelle de tous les évangiles synoptiques. De plus, quelques paraboles jouissent d’une attestation multiple de sources : Marc, source Q. Il en est de même du titre de « fils de l’homme » qu’on trouve chez Marc, source Q, M et L, ainsi que chez Jean, avec une légère variation. Enfin, on peut mentionner la mort de Jésus en croix rapportée par Paul, les écrits deutéro-pauliniens (Colossiens, Éphésiens), 1 Pierre, les quatre évangélistes, et par Flavius Josèphe (et implicitement par Tacite).

      4. Le critère de cohérence intervient seulement après avoir sélectionné du matériel à l’aide des critères précédents et repère une certaine cohérence dans les paroles et les actions de Jésus qui ont été ainsi sélectionnées. Par exemple, le fait que Jésus aurait parlé de sa mort prochaine violente, que ce soit de manière directe ou voilée, est soutenu par l’attestation multiple, mais ce fait est aussi cohérent avec la vision de Jésus de lui-même comme prophète eschatologique, à la suite de tous les prophètes martyrs d’Israël, et cohérent également avec le sort de son mentor, Jean-Baptiste, un prophète eschatologique exécuté par Hérode Antipas.

      5. Le critère de rejet et d’exécution cherche à identifier les paroles et les actions de Jésus qui cadrent avec ou expliquent son procès et sa crucifixion. Par exemple, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, sa prédiction de la destruction du temple et son intervention prophétique dans la purification du temple prennent une importance majeure à la lumière de son arrestation et de sa crucifixion à Jérusalem.

    6. Des critères secondaires (parfois douteux)

      Ces critères secondaires ne peuvent être utilisés qu’après les cinq critères principaux pour apporter une sorte de confirmation. Parmi ces critères secondaires nommons les traces de la langue araméenne dans les paroles de Jésus ou l’écho d’un environnement palestinien du 1ier siècle. On pourrait ajouter la nature colorée ou concrète du récit, ou encore l’observation qu’un récit a tendance à s’amplifier avec le temps, et donc plus un récit est concis, plus il est ancien. Malheureusement, ces critères secondaires ne seront d’aucune utilité dans l’étude des paraboles.

    7. D’autres approches

      Un certain nombre de biblistes ont exprimé leur scepticisme face à l’utilisation de critères en général. Ce scepticisme est probablement né de la déception de ne pas arriver à des certitudes dans un domaine où il n’y en aura jamais. Comment peut-on être surpris que même l’utilisation de critères ne permet pas d’arriver à un consensus quand on regarde l’absence de consensus sur le problème synoptique (quel évangile dépend de quel évangile) ou sur les étapes dans la tradition et la rédaction du quatrième évangile. Ce scepticisme a conduit certains biblistes à préférer se débrouiller sans critères dans leur analyse, se fiant à leur instinct d’érudit. D’autres, ont voulu avoir recours à des études modernes sur des phénomènes comme la mémoire commune et la transmission orale d’une tradition, ignorant que le type de société des premièrs chrétiens est très différente de celle des épopées homériques ou médiévales décrites par ces études. D’autres encore ont voulu redéfinir les critères d’historicité, en proposant par exemple celui de plausibilité, mais se sont retrouvés à réintroduire les critères traditionnels par la porte arrière. De plus, comme tout roman historique cherche toujours à être plausible, ou ce que dit un menteur habile est toujours plausible, ou encore toutes les diverses reconstructions du Jésus historique sont toutes plausibles, ce critère de plausibilité ne permet pas vraiment de porter un jugement de probabilité sur l’historicité d’un récit.

      Tout cela nous amène à réaffirmer la valeur et l’importance des critères que nous avons utilisés dans notre quête du Jésus historique. Ils ne sont pas parfaits et leur application relève plus de l’art que de la science, mais ils nous permettent d’arriver à un degré de probabilité. Et surtout, ils forcent parfois le chercheur à accepter des conclusions qu’il n’avait pas prévu, ou même peut-être qu’il ne voulait pas. Ce fut le cas pour nous dans l’étude des paraboles où nous n’avions pas imaginé qu’on ne pouvait pas faire remonter avec un bon degré de probabilité la plupart d’entre elles au Jésus historique. Sans la fidélité à ces critères, nous aurions probablement répété la position majoritaire qui plaît à tous, mais prouvée par personne. À qui voudrait rejeter complètement le besoin de critères d’historicité dans la quête du Jésus historique, nous proposons une simple définition et une question : le mot « critère » signifie « des règles pour poser un jugement »; et si quelqu’un n’a aucune règle pour poser un jugement sur le matériel prétendant remonter au Jésus historique, comment le jugement qu’il posera évitera-t-il d’être totalement arbitraire?

Prochain chapitre: Quels sont les problèmes reliés aux paraboles synoptiques?

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