John P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire,
v.3, ch. 30 : Jésus et ses relations avec des groupes juifs concurrents: les Scribes,
pp 549-560, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Les scribes se sont-ils vraiment opposés à Jésus?


Sommaire

On peut dire de manière générale que certains scribes ont vécu des controverses avec Jésus et que d’autres ont été impliqués dans son arrestation en tant que conseillers de Caïphe. Mais on ne peut malheureusement utiliser aucun texte des évangiles pour trouver un événement qu’on pourrait remonter au Jésus historique. Dans les synoptiques le portrait du scribe passe par le filtre de la théologie et de la polémique des premiers chrétiens, et montrent parfois une certaine ignorance de la situation avant l’an 70.

Rappelons que les scribes ne constituent pas un groupe religieux, mais une profession, celle d’écrire ou copier des documents. On les retrouve partout dans l’échelle sociale : dans un petit village, on pouvait avoir un scribe avec peu d’éducation qui s’occupait des contrats de mariage ou de la correspondance des illettrés; dans les sociétés plus développées, les scribes pouvaient être des fonctionnaires dans les institutions gouvernementales et religieuses; à la cour royale ou dans les établissements religieux majeurs, ils devenaient des conseillers spéciaux, impliqués dans des missions diplomatiques ou dans l’éducation de l’élite. Dans le Judaïsme, ils vont développer une connaissance de la loi mosaïque. Malheureusement, les évangiles synoptiques auront la tendance à les confondre avec les Pharisiens, même si effectivement certains scribes l’étaient, et en feront l’opposant par excellence.


Jésus et les groupes concurrents juifs : les scribes

Il faut tout de suite éliminer la perception que les scribes, comme scribes, formaient un groupe religieux particulier dans le Judaïsme palestinien et qu’ils étaient des spécialistes de la loi mosaïque, et donc des experts sur les questions religieuses, morales et légales. On oublie que leur fonction de base était simplement d’écrire et copier des documents.

  1. Les scribes dans le monde méditerranéen ancien

    Le titre de scribe s’appliquait à toute une gamme de figures de l’échelle sociale et politique. On pourrait les appeler des secrétaires dans la mesure où on inclut non seulement celui qui prend des notes à une réunion, mais également des bureaucrates ou des hauts fonctionnaires. Ils devaient être capables d’écrire des documents longs et complexes. C’était donc une profession bien spécifique qui était recherchée moins dans les sociétés agraires que dans les grandes villes et dans les centres commerciaux, militaires, religieux, gouvernementaux ou éducatifs.

    Les scribes se retrouvent à différents niveaux de l’échelle sociale. Dans un petit village, on pouvait avoir un scribe avec peu d’éducation qui s’occupait des contrats de mariage ou de la correspondance des illettrés. Dans les sociétés plus développées, les scribes pouvaient être des fonctionnaires dans les institutions gouvernementales et religieuses. À la cour royale ou dans les établissements religieux majeurs, ils devenaient des conseillers spéciaux, impliqués dans des missions diplomatiques ou dans l’éducation de l’élite.

  2. Les scribes dans l’Ancien Testament

    Avant l’exil à Babylone, on les retrouve normalement à la cour royale, dans les milieux militaires et au temple. Le mieux connu à cette époque est Baruch, un collaborateur de Jérémie (Jr 36, 26.32). Au retour d’exil, on les retrouve comme bureaucrates dans le gouvernement et au temple de Jérusalem. Le plus connu est Esdras, quelqu’un qui combine plusieurs fonctions : un prêtre et un leader communautaire, et même un spécialiste de la loi mosaïque qu’il enseigne.

    Avec les réformes administratives de Ptolémée II (3e siècle av. J.-C.), la bureaucratie locale s’est accrue et la demande pour des scribes a augmenté, non seulement à Jérusalem, mais aussi dans les villages. C’est dans ce contexte qu’il faut situer le scribe Ben Sirah, l’auteur de ce livre de la Bible appelé Siracide, un homme à la fois très éduqué et très pieux, un ambassadeur ayant beaucoup voyagé, un maître de la sagesse d’Israël et formateur de l’élite de Jérusalem (voir Si 38, 24 – 39, 11).

    Dans certains cercles apocalyptiques, l’image du scribe juif en Palestine est rehaussée. Par exemple, si on regarde 1 Hénoch, Enoch est appelé « scribe de justice », exerçant la fonction de prophète et de maître de sagesse, et donc n’est pas simplement un écrivain ou un leader religieux, mais un auteur apocalyptique prêchant le repentir à tout Israël. Cela est d’autant plus étonnant qu’à la même époque, dans le milieu gréco-romain, le scribe est vu simplement comme un copiste ou un fonctionnaire du gouvernement.

  3. Le scribe dans les écrits évangéliques.

    Nous nous concentrerons sur Marc, Matthieu et Luc, car Jean ne parle jamais de scribes.

    1. Chez Marc, les scribes proviennent habituellement de Jérusalem et apparaissent souvent comme une commission d’enquête (Mc 3, 22; 7, 1.5); associés souvent aux leaders juifs, leur interaction avec Jésus est négative la plupart du temps. Marc les présente comme des spécialistes de la loi mosaïque qui jouissent d’une certaine autorité. On en trouvait un certain nombre dans le parti des Pharisiens (Mc 2, 16). Dans son évangile, la polémique de Jésus avec les scribes commence très tôt quand ceux-ci l’accuse de blasphème (Mc 2, 6-7). La polémique atteindra un sommet avec le récit de la passion : les scribes apparaissent aux côtés des grands prêtres et des anciens au Sanhédrin, ce qui laisse supposer qu’ils exerçaient un certain pouvoir politique et religieux à Jérusalem. Notons une exception à cette image négative du scribe : ce récit sur le premier des commandements où un scribe se montre d’accord avec Jésus (Mc 12, 28-34), un récit qui pourrait bien remonter au Jésus historique.

    2. En gros, Matthieu reprend le même portrait des scribes, mais en plus noir. Ceux-ci sont les interprètes officiels de la Loi avec les prêtres de Jérusalem. Cependant, pour Matthieu l’adversaire par excellence n’est pas le scribe, mais plutôt le Pharisien, si bien qu’il substitue parfois le Pharisien au scribe dans certains passages qu’il reprend de Marc : la distinction entre Pharisiens et scribes devient floue comme on le voit par exemple dans les malédictions du ch. 23. Les scribes font donc partie des opposants à Jésus. Et quand il reprend le passage de Marc sur le scribe qui est d’accord avec Jésus, il le modifie en insérant une question hostile à Jésus.

    3. Tout comme Matthieu, Luc reprend les conclusions de Marc, sauf que son portrait des scribes est plus vague : ils sont souvent assimilés aux Pharisiens. Il les associe aux grands prêtres et aux anciens. Il complique même les choses en introduisant des légistes dans son évangile, des gens qui semblent équivalents aux scribes. Dans ses Actes des Apôtres, il indique que certains scribes appartenaient au parti des Pharisiens.

  4. En guise de conclusion

    Dans les récits synoptiques, le portrait du scribe passe par le filtre de la théologie et de la polémique des premiers chrétiens, et montrent parfois une certaine ignorance de la situation avant l’an 70. Que dire alors des relations de Jésus avec les scribe? On peut affirmer que Jésus a probablement rencontré divers types de scribe dans ses voyages en Galilée et en Judée. En Galilée, il a pu discuter avec des scribes de village qui n’avaient pas beaucoup d’éducation. Dans des villes plus grandes comme Capharnaüm, on trouvait sans doute des scribes plus éduqués qui avaient une bonne connaissance de la Loi et pouvaient lire et interpréter les écrits sacrés en public. À Jérusalem, Jésus a pu rencontrer des scribes encore plus éduqués qui appartenaient à la bureaucratie gouvernementale et jouissaient d’un rang social assez élevé, jouant le rôle de leader dans certains groupes religieux. Il est donc normal que certains appartenaient au mouvement Pharisien. Alors on peut donc penser que des scribes ont été impliqués dans l’arrestation de Jésus, alors que certains étaient les conseillers de Caïphe.

    Tout cela étant dit, n’oublions pas que les scribes ne constituent pas un mouvement religieux, mais une profession très répandue dans le monde méditerranée ancien, même si cette profession a pris une couleur spéciale dans le Judaïsme palestinien. Oui, Jésus est probablement entré en discussion avec des scribes au cours de son ministère, et ces discussions pouvaient être variées, car les scribes ne représentaient pas un groupe homogène. Par contre, on ne peut recourir à des textes spécifiques des synoptiques pour identifier certains événements historiques, en raison de la tendance des évangélistes à les caricaturer dans le rôle d’opposant à Jésus.

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