John P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire,
v.1, ch. 11 : La quinzième année... Une chronologie de la vie de Jésus,
pp 372-433, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Peut-on parvenir à une chronologie de la vie de Jésus?


  • Pour situer Jésus dans le temps, nous avons quelques points de repère. Les quatre évangiles, les Actes des Apôtres, Tacite et Flavius Josèphe s’entendent pour situer le ministère de Jésus pendant que Ponce Pilate exerçait son autorité sur la Palestine. Par ailleurs, d’après Flavius Josèphe, Tacite, Suétone, Philon d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée, Pilate aurait régné de l’an 26 à 36 de l’ère chrétienne. Enfin, d’après Flavius Josèphe et Luc, Jésus aurait été exécuté avant la fin de ce règne.

  • L’évangile de Luc (2, 1-2) nous fournit d’autres points de repère en datant le début du ministère de Jésus : « L’an quinze du gouvernement de Tibère César (entre 26 et 29), Ponce Pilate (26-36) étant gouverneur de la Judée, Hérode (Antipas) (de -4 à 39) tétrarque de Galilée, Philippe (-4 à 33/34) son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d’Abilène sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe (18-36)... » Selon une première estimation Jésus aurait été exécutée entre 28 et 33.

  • Quant à sa naissance, Luc et Matthieu s’entendent pour la placer vers la fin du règne d’Hérode le Grand mort quatre ans avant le début de l’ère chrétienne. Cette affirmation qui nous vient des récits de l’enfance est toutefois confirmée par Luc 3, 23 : « Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans. ». Si Jésus a commencé son ministère entre 27 et 29, nous sommes renvoyés quelques années avant la mort d’Hérode en l’an -4. D’autres indications nous proviennent de Jean, d’abord 8, 57 : « Sur quoi, les Juifs lui dirent : ’Tu n’as même pas cinquante ans et tu as vu Abraham!’ » Le chiffre cinquante a ici plus une valeur symbolique pour dire un demi siècle, alors qu’Abraham est mort depuis plusieurs siècles, mais néanmoins il confirme l’idée que Jésus a moins de 50 ans. L’autre passage de Jean est 2, 20 : « Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours? » Malheureusement ce passage est ambigu : veut-il dire que la reconstruction a été complétée après 46 ans de travail, ou que la reconstruction est toujours en cours après 46 ans de travail? D’après l’historien juif Flavius Josèphe, le temple de Jérusalem a été restauré par Hérode le Grand à partir de l’an 20 ou 19 avant l’ère chrétienne. Malheureusement, le temple comportait deux parties, le saint des saints et l’ensemble de l’édifice et Josèphe ne précise pas toujours de quelle partie il veut parler. Donc on ne peut s’appuyer sur Jn 2, 20 pour être plus précis, mais il confirme néanmoins le ministère de Jésus vers 27-30.

  • Essayons encore d’être plus exact en revenant à Lc 2, 1-2 qui affirme que le ministère de Jésus a commencé la 15e année du règne de l’empereur romain Tibère. D’après les historiens romains Tacite, Suétone et Cassius Dion, l’empereur Tibère aurait commencé son règne en l’an 14 de notre ère. Comment calculer maintenant la quinzième année de ce règne? Ce calcul varie selon qu’on utilise le calendrier julien, le calendrier juif, le calendrier syro-macédonien ou le calendrier égyptien. Mais comme l’auditoire de Luc est gréco-romain, il est fort probable qu’il utilise le calendrier julien. Donc en calculant la 15e année à partir du début du règne de Tibère le 18 août de l’an 14, on aboutit à l’an 28 pour le début du ministère de Jésus.

  • Essayons maintenant de calculer la date exacte de la mort de Jésus. La difficulté vient de ce que les évangiles synoptiques et l’évangile selon Jean sont en désaccord sur la date du dernier de repas de Jésus avec ses disciples. Il y a cependant un point d’accord : le dernier repas de Jésus a eu lieu un jeudi soir, période où on se prépare au sabbat juif qui commence le vendredi soir après le coucher du soleil. Jésus aurait été exécuté et mis au tombeau dans la journée du vendredi. Samedi était la journée du repos du sabbat et le dimanche, premier jour de la semaine, les femmes sont venues au tombeau.

  • Par contre, on a un problème quand on essaie de situer ce jeudi et ce vendredi dans le calendrier juif. Selon ce calendrier (voir Exode 12), on égorgeait l’agneau pascal au temple de Jérusalem le 14 du mois de Nisan (premier mois de l’année au printemps), entre 15 h 00 et 17 h 00, puis on le mangeait quand le soleil était couché, quand commençait le 15 du mois de Nisan. Or, selon les synoptiques, le dernier repas de Jésus avec ses disciples fut un repas pascal, donc quand commençait le 15 de Nisan : « Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque, ses disciples lui disent : ’Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?’ » (Mc 14, 12) Et ainsi, d’après les synoptiques, Jésus serait mort le vendredi après-midi, jour de la Pâque.

  • Par contre, pour Jean, le dernier repas de Jésus le jeudi soir ne fut pas un repas pascal, puisque la Pâque commençait 24 heures plus tard, au coucher du soleil le vendredi soir; pour Jean, cette année-là, la Pâque et le sabbat tombait le même jour, i.e. du vendredi soir au samedi soir : « Ceux qui l’avaient amené (chez Caïphe, le vendredi) n’entrèrent pas dans la résidence pour ne pas se souiller et pouvoir manger la Pâque (le lendemain) » (Jn 18, 28). Donc les synoptiques disent que Jésus a mangé la Pâque juive avec ses disciples, et a été crucifié la journée même de la Pâque, alors que Jean affirme au contraire que Jésus a pris seulement un repas d’adieu avec ses disciples et est mort la journée qui précède la Pâque juive. Qui a raison? Les biblistes ont essayé de réconcilier les deux versions en proposant deux calendriers (Pharisiens vs Sadducéens, ou solaire vs lunaire). Toutes ces tentatives ne tiennent pas la route, car Jésus apparaît toujours comme quelqu’un qui se conforme aux fêtes juives, et ne semble pas suivre les traditions de quelque secte que ce soit. Il vaut mieux dire : les synoptiques et l’évangile de Jean sont irréconciliables, et sur ce point c’est Jean qui a probablement raison.

  • Regardons les raisons qui favorisent le point de vue de Jean.

  • Il n’est pas totalement impossible que Jésus soit mort le jour de la Pâque comme l’affirment les synoptiques, mais il est peu probable que des événements comme l’arrestation de Jésus, la convocation du Sanhédrin, la tenue d’un procès formel avec témoins, la prise de décision de le déclarer coupable et de le condamner à mort, puis sa remise aux autorités païennes avec demande d’exécution à mort, que tout cela ait eu lieu le même jour, i.e. pendant la nuit et les petites heures du matin.

  • Deuxièmement, les biblistes reconnaissent que Mc 14, 12-26 (« Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque... » et Lc 22, 15-16 (« J’ai tellement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ») sont des développements ultérieurs et sont rédactionnels, i.e. sont le produit d’une réflexion chrétienne et ne proviennent pas d’une tradition ancienne. Et quand on enlève ces deux insertions, on ne voit plus aucune référence à un repas pascal dans le détail du récit. De son côté, Jean consacre 5 chapitres à ce dernier repas de Jésus et à aucun moment on ne peut y voir quelque référence que ce soit à un repas pascal. Et tant les paroles que les gestes reliées à l’eucharistie chrétienne n’entre dans aucun rituel juif.

  • Troisièmement, le geste de libérer Barabbas le vendredi ne se comprend pleinement que s’il précède la célébration de la Pâque, car une telle libération de prisonniers juifs visaient à leur permettre de célébrer la Pâque.

  • Quatrièmement, on remarquera que la salle offerte à Jésus par un bienfaiteur pour le repas ne comprend que Jésus et ses disciples, alors que ce bienfaiteur aurait normalement invité un foule de gens selon la coutume juive s’il s’était agit du repas pascal. Bref, comme le raconte Jean, le dernier repas de Jésus avec ses disciples n’est pas un repas pascal, mais un repas d’adieu solennel.

  • Si Jean a raison, cette année-là la Pâque juive et le sabbat tombait le même jour, du vendredi soir au samedi soir. L’astronomie peut-elle nous aider à déterminer la date exacte? Le problème vient du calendrier juif qui exigeait que deux témoins fiables voient la lune le 29e jour de l’ancien mois pour déterminer le début de la nouvelle année. De plus, on ne sait pas exactement quand tombait l’année bissextile. Quoi qu’il en soit, on trouve seulement deux dates où le 14 Nisan (date où Jésus est mort) tombe un vendredi, soit le 7 avril 30 et le 3 avril 33. Il est plus probable que Jésus soit mort le 7 avril 30, car une exécution en 33 obligerait à prolonger pendant 5 ans le ministère de Jésus (qui a commencé en 28), ce qui est invraisemblable.

  • Voilà posée la question de la longueur du ministère de Jésus. Encore ici, les synoptiques et l’évangile de Jean semblent en contradiction. Quand on lit Marc dont dépendent Matthieu et Luc, on a l’impression que tout se déroule en moins d’un an : Jésus prêche en Galilée puis se rend à Jérusalem en Judée pour célébrer la Pâque, où il mourra. Mais en y regardant de plus près, on remarque que rien n’exige vraiment que tout se déroule en un an. Au contraire, on peut présupposer au moins deux printemps, puisque Marc mentionne les épis que ses disciples arrachent (Mc 2, 33) et l’herbe verte (Mc 6, 39) au début de son évangile, alors qu’on retrouve encore au printemps à la fin de son évangile pour célébrer la Pâque. De plus, certains passages des synoptiques présupposent que Jésus est allé plus d’une fois à Jérusalem ou en Judée : « Jérusalem, Jérusalem... que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants... » (Mt 23, 37); et encore : « Et il prêchait dans les synagogues de la Judée » (Lc 4, 44).

  • Quant à l’évangile selon Jean, le ministère de Jésus a duré deux ans et quelques mois. En effet, on y mentionne à trois reprises la fête de la Pâque : 1) au début de son ministère, « La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem » (Jn 2, 13); 2) alors que Jésus prêche en Galilée et s’apprête à nourrir la foule, on mentionne : « C’était peu avant la Pâque qui est la fête des Juifs » (Jn 6, 4); 3) et enfin, cette Pâque où Jésus se rendra à Jérusalem pour y mourir : « Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie » (Jn 12, 1). En suivant cette chronologie de Jean où le ministère de Jésus a duré deux ans et quelques mois, on peut établir que ce ministère a commencé tôt en l’an 28 pour se terminer en avril de l’an 30.

Voici une reconstitution chronologique possible des principaux événements de la vie de Jésus.
Date Événement
Vers -7 ou -6 Naissance de Jésus à Nazareth
-4 Mort d’Hérode le Grand
Vers la fin de 27 ou début de 28 Jean Baptiste commence son ministère
Au début de l’an 28 Jésus se fait baptiser par Jean Baptiste. Après l’arrestation et la mort de Jean Baptiste, Jésus poursuit seul son ministère. Il a environ 33 ou 34 ans.
De l’an 28 à l’an 30 Jésus poursuit ses activités en Galilée et en Judée, se rendant à Jérusalem pour les grandes fêtes où il peut prêcher aux grandes foules de pèlerins.
Jeudi, 6 avril 30 au soir À Jérusalem pour la fête de la Pâque juive et sentant l’hostilité croissante des autorités du temple, Jésus célèbre un repas d’adieu le jeudi soir avec ses disciples, au moment où les juifs commençaient les préparatifs de la Pâque.
Nuit du 6 au 7 avril Jésus est arrêté au jardin de Gethsémani, subit un premier examen de la part de certaines autorités juives.
Vendredi matin 7 avril Jésus est remis à Pilate qui le condamne rapidement à mort par crucifixion.
Journée du 7 avril Après avoir subit les coups de fouet et la moquerie, il se fait crucifier en dehors des murs de Jérusalem, le jour où on immole l’agneau au temple par la fête de la Pâque qui allait commencer après le coucher du soleil. Il est déjà mort quand vient le soir. Il avait environ 36 ans.
  • En dehors de ces grands points de repère, il est inutile de chercher une chronologie détaillée de la vie de Jésus, en particulier de ses deux ans de ministère, et une tentative de biographie est vouée à l’échec. La plupart des récits des évangiles ne suivent pas de séquences précises. De plus, chaque évangéliste a sa propre façon d’amorcer le ministère de Jésus, et ces façons sont irréconciliables et ne reflètent que leur thèse théologique. Nous sommes donc devant une mosaïque dont le seul fil conducteur est l’hostilité croissante du clergé de Jérusalem qui aboutira à une mort violente de Jésus.

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